Fabien Rodhain : « Parmi mes créations, Whisky San est clairement mon chouchou ! »
En cette période où l’actu est morose, pour ne pas dire anxiogène, je veux vous proposer de me suivre pour un récit, pour un voyage. Le voyage nous conduira au Japon et en Écosse. Le récit, c’est celui d’une histoire inspirante, comme le cinéma sait en inventer. Celle-ci est vraie : c’est celle de Masataka Taketsuru, un sympathique Japonais qui, bravant les traditions (qui au Japon de son temps avaient presque force de loi), se battit pour créer un whisky qui soit propre au pays du Soleil Levant (oui, ça relevait quasiment du sacrilège).
Cette histoire-là nous est contée avec beaucoup de talent, de cœur aussi ai-je envie d’écrire, dans une BD, Whisky San (Grand Angle, février 2024), avec aux manettes Fabien Rodhain, Didier (Alcante) Swysen (un habitué prestigieux de Paroles d’Actu !) et Alicia Grande, qui ont tous trois accepté de répondre à mes questions (toutes datées du 30 mars), ce dont je les remercie. Un chouette album que je ne peux que vous recommander ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
Whisky San (Grand Angle, février 2024).
Fabien Rodhain : « Parmi
mes créations, Whisky San est
clairement mon chouchou ! »
EXCLU PAROLES D’ACTU
I. Alicia Grande, la dessinatrice
Alicia Grande bonjour. Parlez-nous un peu de votre parcours, de votre goût pour le dessin ? À partir de quand avez-vous su que vous feriez de la BD ?
Je suis un grand lectrice du manga depuis l’enfance, j’ai toujours essayé de dessiner mes personnages préférés, mais c’était à l’école de Beaux-Arts que j’ai vraiment découvert la BD, grâce à quelques professeurs qui travaillent dans les maisons d’éditions françaises.
Vous êtes espagnole et avez je crois grandi à Barcelone, ville ô combien connue pour son art. Est-ce qu’il y a quelque chose de votre art qui à votre avis tient de ces influences espagnoles, et comment se porte l’industrie de la BD, dans votre pays ?
Oui, je suis Barcelonaise ! Mes influences espagnoles ont été dessinateurs et dessinatrices que j’admire comme Jordi Lafebre, Teresa Valero, Purita Campos, Guarnido... Je pense qu’ils font extra attention à l’expressivité des personnages : quand je regarde leur BD, j’étudie les gestes du corps, les dynamismes, la transmission des émotions... Des points auxquels je suis sensible moi aussi. L’industrie de la BD en Espagne n’est pas florissante comme en France ou en Belgique, c’est un peu un mystère, par contre il y a de très grands professionnels.
Le Japon, à la base, c’est un pays, une culture qui vous intriguent ?
Je trouve la culture japonaise fascinante. La lecture de mangas a beaucoup contribué à sa découverte, mais ayant pu, l’an dernier, visiter le pays, j’ai réalisé à quel point c’était un autre univers. J’y ai connu de nombreux chocs culturels très intéressants.
Qu’est-ce qui vous a intéressée, touchée dans l’aventure Whisky San ?
Le destin de Masa résonnait en moi comme dessinatrice, et je pense que son histoire est similaire à celle de beaucoup de créateurs et créatrices qui doivent faire face à un entourage qui est contre leur décision, ou qui ne veut pas regarder leur métier sérieusement. Persévérer dans un monde artistique implique un travail marathonien, plein de moments d’abnégations, de victoires et d’échecs.
Comment s’est passé ce projet, et la collaboration avec Fabien Rodhain et Alcante ? Comment avez-vous travaillé ? En étudiant en amont pas mal de photos d’époque j’imagine ?
C’était Fabien qui m’a contacté, grâce à Laurent Galandon, scénariste avec qui j’ai travaillé dans le dyptique Retour de flammes. J’ai travaillé très confortablement, ils avaient de la documentation, mais pendant la réalisation du storyboard, j’ai cherché beaucoup de documentation sur le Japon et l’Écosse, et aussi tout ce que le scénario me demandait : vêtements, gestes spécifiques (comme servir le saké par exemple), etc... j’ai aussi lu des épisodes historiques pour comprendre l’ambiance dans les rues, etc... J’ai pris mon temps, pour la documentation ! Mais c’est une chose que j’adore !
Avez-vous joui d’une vraie liberté pour vos dessins, ou bien vos deux coauteurs ont-ils exprimé de manière précise ce qu’ils voulaient ?
Vraiment, Fabien et Alcante, m’ont donné pleine liberté pour m’exprimer dans la narration et dans le dessin, j’ai pu parler avec eux des planches tout en respectant toujours le scénario et ce qu’ils voulaient expliquer.
Est-ce que vous avez dessiné cette histoire d’une manière particulière, notamment du fait que l’histoire se passe, justement, en partie au Japon, en partie en Écosse ?
Fabien et Didier voulaient exprimer les paysages des deux pays, donc j’ai fait attention au dessin, pour des planches qui respireraient plus en profitant des beaux paysages du Japon et de l’Écosse.
Dessiner, c’est quelque chose qui vous fait du bien ?
Oui, pour moi dessiner est un vrai moyen d’expression, je peux rester des heures devant une planche en oubliant le monde extérieur !
Quels sont vos projets, et surtout vos envies pour la suite, Alicia Grande ?
Mon prochain projet est avec Fabien aussi, et ça se passe dans la Drôme ! Vraiment mon envie, c’est de continuer à dessiner des BD, et de raconter de belles et humaines histoires, comme le parcours de Masa.
(Réponses datées du 2 avril 2024.)
Masataka Taketsuru et son épouse Rita.
II. Alcante, le scénariste
Alcante bonjour. J’ai lu que cette aventure Whisky San était intervenue pour toi pendant, disons, un coup de mou. Ça t’arrive fréquemment, ces besoins de te remettre en question, de prendre un nouvel élan ?
Il faut préciser le contexte, qui était très particulier.
Fabien Rodhain est à l’origine de cet album. On travaillait déjà ensemble sur Les Damnés de l’Or brun, ça se passait très bien et il a donc eu la bonne idée de me proposer de collaborer à nouveau sur ce projet.
Mais le moment où il m’a contacté était doublement particulier car on était alors en avril 2020, c’est-à-dire en plein premier confinement Covid. À l’époque, les librairies étaient fermées, comme tout le reste, et l’épidémie était en plein essor. L’incertitude était totale, il y avait quand même une ambiance de fin du monde, et il était donc difficile de se projeter !
De plus, j’avais déjà pas mal de projets sur le feu, et j’avais un peu envie de ralentir le rythme après avoir travaillé comme un fou sur La Bombe pendant les années précédentes. Pour toutes ces raisons, j’ai d’abord dit non à Fabien quand il est venu avec cette proposition de nouvelle collaboration, avant même de lire le projet en question. Puis j’ai lu le projet, et voilà, l’histoire m’a tellement plu, que je me suis quand même lancé dans cette nouvelle aventure. 😊
Sinon, de manière générale, oui, de temps en temps, j’éprouve le besoin d’un peu me ressourcer, de lire beaucoup, de regarder de nouveaux films ou de nouvelles séries, de découvrir de nouvelles choses de manière générale pour un peu me récréer une sorte de réservoir dans lequel j’irai chercher de nouvelles idées.
Après La Bombe, Whisky San donc, raconte l’épopée de l’invention du, ou plutôt des deux premiers whiskies japonais. Ce Japon qui décidément te suit, presque te colle à la peau ! C’est un pays, une culture qui t’intriguent depuis longtemps ? Qu’est-ce que tu ressens de particulier quand tu penses à ce pays, pour t’y être rendu plusieurs fois ?
Au-delà du Japon, j’aime vraiment bien l’Asie en fait. J’ai eu la chance d’y voyager plusieurs fois (trois fois au Japon, mais aussi en Chine, en Thaïlande, en Inde, en Indonésie et en Birmanie) et à chaque fois j’adore tout : la culture, les paysages, le climat, l’architecture, la nourriture.
Je ne sais pas pourquoi, mais l’Asie m’a toujours attiré, depuis que je suis petit. J’ai sans doute été asiatique dans une vie antérieure. 😊
Whisky San, c’est aussi, j’ai envie de dire avant tout une histoire humaine, touchante, inspirante, celle de Masataka Taketsuru, jeune homme né à Hiroshima (!) qui, pour aller au bout d’un rêve fou (créer un whisky au pays du saké) s’est installé bien loin de chez lui après avoir dû avancer face aux vents contraires portés par le poids des traditions, familiale, culturelle. Du pain bénit pour un auteur ?
Oui, il y a tout dans cette histoire ! Le simple fait d’imaginer un Japonais qui voyage en Écosse en 1918, ça a déjà attisé mon imagination ! Mais en plus de ça, il y a une rivalité, plein d’obstacles à surmonter, des paysages magnifiques, une belle histoire d’amour, de l’Histoire avec un grand H, et un happy end, vraiment il y a tout ce qu’il faut ! Pourtant, je ne m’intéresse absolument pas au whisky, et je n’y connais vraiment rien. Mais par contre, je m’y connais en histoires, et celle de Masataka Takesturu est vraiment une très, très bonne histoire. 😊
Qu’est-ce qui résonne en toi dans le parcours de Masataka Taketsuru ?
Il a eu un rêve, très original, voir insensé pour son pays et son époque. Il s’y est accroché malgré tous les obstacles, à commencer par le poids des traditions et sa propre famille qui s’opposait à son projet. Il a osé sortir de sa zone de confort, c’est le moins qu’on puisse dire ! Il est allé à la rencontre d’une autre culture, l’a épousée (littéralement !) et y a apporté sa propre expérience pour en faire quelque chose de magnifique. Il a fait preuve d’une résilience incroyable. Franchement, on ne peut qu’être admiratif de ce parcours !
Fabien Rodhain, ton coauteur, tu le connais bien tu l’as rappelé, notamment pour votre travail en commun sur Les Damnés de l’or brun. Comment ça s’est passé, cette collaboration entre deux scénaristes, notamment sur la définition du rôle de l’un et de l’autre ?
Fabien est un gars super, il est très enthousiaste, on s’entend vraiment très bien et c’est un plaisir de travailler avec lui. Je trouve que cette collaboration sur Whisky San a vraiment été parfaite. On a vraiment tout écrit à deux, dans le sens où chacun faisait relire ses scènes à l’autre, puis on en discutait parfois longuement, on se faisait des propositions alternatives etc. Globalement, Fabien trace les grandes lignes et puis moi j’aime bien peaufiner en partant de ce qu’il propose. C’est lui aussi qui s’est chargé des parties plus techniques sur la fabrication du whisky car d’une part je n’y connais rien et d’autre part, après La Bombe, je voulais un peu moins m’investir dans la compréhension de mécanismes complexes.
Différents visuels préparés pour la couverture.
Au dessin, une jeune artiste espagnole, Alicia Grande. Une belle rencontre ? Ça a été quoi, le calendrier, les grandes étapes de la création de l’album ?
En fait, je n’ai encore jamais rencontré Alicia pour de vrai ! Nous n’avons eu des contacts que par e-mail ! Mais oui, Alicia a tout d’une « Grande ». 😊 Elle a vraiment un dessin très agréable, je trouve qu’elle est très forte dans les expressions des personnages, on comprend bien leurs émotions, et ça convenait tout à fait à l’histoire. En plus son dessin a un petit côté manga qui correspond parfaitement pour cette histoire « japonaise » ! Elle a été vraiment très à l’écoute, n’a jamais rechigné à la tâche quand il fallait refaire un storyboard ou quoi que ce soit, et elle a amené aussi de belles idées, notamment sur les doubles planches qui sont très chouettes !
Je voudrais aussi mentionner la coloriste, Tanja Wenisch, qui a fait elle aussi de l’excellent boulot, amenant vraiment sa touche personnelle ! Vraiment, on a formé une très chouette équipe !
Au compteur désormais, pas mal d’interviews ensemble pour de la BD, de La Bombe jusqu’à Whisky San en passant par Les Piliers de la Terre... et beaucoup de projets en cours ! À quoi ressemble ta vie quand tu ne penses ni BD ni écriture ?
Alors quand je ne travaille pas sur mes scénarios, je donne des cours de math (4H par semaine en première secondaire), je lis (des BD, des romans, des articles, etc…), je regarde des films ou des séries, je fais du sport (surtout du padel pour l’instant), je passe du temps avec ma famille…
As-tu envie d’écrire d’autres histoires qu’on pourrait qualifier de biographiques, comme ce Whisky San ? Des personnages dont tu aurais envie, secrètement ou non d’ailleurs, de brosser le portrait ?
Oui, certainement, j’aime beaucoup les récits historiques ou tirés de faits réels. Je suis très fan de la série The Crown (sur la reine Elizabeth), j’ai beaucoup aimé Le cercle des neiges (sur l’accident de l’avion paraguayen dans les Andes) ou encore Insubmersible (sur cette femme de 60 ans qui tente de relier Cuba à la Floride à la nage !), toutes des histoires vraies passionnantes.
C’est trop tôt pour en parler, mais oui j’irai certainement vers ce genre d’histoires à l’avenir, et d’ailleurs mon prochain album qui sort début juin est également basé sur une histoire vraie, celle du pongiste (joueur de ping pong/ tennis de table) américain qui en 1971 fut à la base du rapprochement entre la Chine et les USA, mettant fin à plus de 20 ans de crise diplomatique entre ces deux pays. Vous vous souvenez de Forrest Gump qui joue au ping pong en Chine ? Eh bien mon album racontera la véritable histoire derrière ce match (il s’agit de La diplomatie du ping pong, à paraître dans la collection Coup de tête, chez Delcourt, avec Alain Mounier au scénario, on aura certainement l’occasion d’en reparler)...
Avec le recul désormais, quel premier bilan tires-tu de la diffusion en langues étrangères de La Bombe, notamment aux États-Unis ? Notamment au Japon pour ceux qui y ont eu accès ? Il y a eu un accélérateur Oppenheimer ?
En fait, on a très peu d’info, malheureusement, sur la manière dont notre album La Bombe s’est réellement vendu dans les différents pays (15 versions étrangères pour l’instant). On a quand même eu le prix de la meilleure BD « étrangère » en Corée et au Portugal. De ce que je vois, je pense que l’album s’est bien comporté aussi en Italie, en Allemagne, et en Espagne. Je n’ai pas vraiment de retours sur les ventes aux USA et au Japon.
Sinon, oui, il y a clairement eu un effet Oppenheimer cet été, les ventes sont remontées au moment de la sortie du film.
Tes projets, tes rêves pour la suite ? Que peut-on te souhaiter ?
D’abord j’aimerais que Whisky San, ainsi que mes prochains albums (La diplomatie du ping pong en juin, GI Gay en septembre et le tome 2 des Piliers de la Terre en octobre) marchent bien. Ce sont franchement des bons albums auxquels je suis attaché. J’aimerais bien aussi que des producteurs se penchent sur les trois premiers, qui pourraient franchement faire de bons films.
(Réponses datées du 31 mars 2024.)
III. Fabien Rodhain, scénariste et initiateur du projet
Fabien Rodhain bonjour. Parlez-nous un peu de vous, de votre parcours ?
C’est un peu un lieu commun, mais j’ai l’impression d’avoir eu plusieurs vies, de ma naissance à Metz à mon installation dans la Biovallée... De mon apprentissage de l’informatique à 16 ans à celui de l’art du scénario à presque 50, en passant par l’Armée de Terre (comme sous-officier) pendant 5 ans, ou encore la direction d’un service dans une grande coopérative agricole du sud-est de la France !
Qu’auriez-vous envie qu’on découvre de vous, les travaux dont vous êtes le plus fier, pour mieux vous connaître ?
Ce dont je suis peut-être le plus fier, c’est d’avoir suivi mes rêves d’écriture (romans et pièces de théâtre, puis BD), alors que ma vie professionnelle ne s’était pas du tout lancée sur ces rails !
En termes de scénario, je suis heureux de m’être lancé seul et d’être allé au bout de ma première saga, Les seigneurs de la Terre (6 tomes), même si je lui vois aujourd’hui pas mal de défauts ! J’aime aussi beaucoup Les damnés de l’or brun (en cours), même si mon « chouchou » est clairement Whisky San !
Diriez-vous que vous êtes un écrivain engagé, et que quelque part, dans chacun de vos écrits, dans chacune de vos œuvres, ces engagements se retrouvent ?
Absolument, même si c’est moins flagrant dans Whisky San car il n’y est pas question de mes combats habituels (écologiques et/ou sociétaux).
Whisky San, c’est l’histoire d’un rêve un peu fou, surtout une belle histoire humaine, touchante, inspirante, un petit gars qui avance face aux contraintes et au poids des traditions. Quand vous avez commencé à vous documenter sur cette histoire, le coup de cœur a été immédiat ?
Oui, et même avant : au cours de ma toute première dégustation de whisky japonais, j’ai entendu parler de quelques éléments de l’histoire de Masatake, et les images défilaient devant mes yeux ! Je devais en faire une BD, c’était une évidence...
C’est quoi votre histoire, ou en tout cas l’imaginaire que vous associez au Japon ?
Pas grand chose, à vrai dire ! Pêle-mêle, les films Le dernier samouraï, Soleil levant ou encore Kill Bill - que je vénère ! ;-) -, les BD de Taniguchi...
Je me représente un pays plein de contrastes, entre modernité extrême et respect de la tradition... Et depuis que je suis enfant, je suis frappé par ce qui me semble être une caractéristique de ce peuple japonais : lorsqu’ils s’intéressent à quelque chose, d’abord ils le copient avant de l’améliorer puis d’exceller... Je l’ai observé avec les automobiles : enfant, avec mon frère nous nous moquions des Toyota mais aujourd’hui, qui est le premier constructeur mondial ? Il me semble que c’est aussi ce qui s’est passé avec l’électronique, l’informatique ou encore... le whisky. Je suis assez fasciné par leur sens de la qualité, de l’honneur, de la résilience... Mais également touché par le mal-être que cela contribue à créer auprès d’une part non négligeable de leur population !
Racontez-nous un peu la manière dont les contacts ont été pris, et dont le travail s’est fait, avec Alcante, que vous connaissez bien, et avec Alicia Grande, que vous connaissiez moins ?
Toutes les étoiles se sont alignées autour de la création de cette BD : une fluidité hors-normes a régné entre nous 5 (Didier et moi bien sûr, mais également Alicia, Tanja Wenisch - la coloriste - mais aussi l’éditeur, qu’il ne faudrait pas oublier !)
J’ai d’abord contacté Didier, qui a initialement refusé car il était totalement débordé. Je l’ai alors un peu « piégé » en lui demandant « seulement » son avis sur ma note d’intention. Et le charme a opéré, d’autant plus qu’il est fan du Japon et que Masataka était natif d’Hiroshima, que connaît Didier !
Nous avons mis plusieurs mois à trouver notre dessinatrice, et avons effectué beaucoup d’essais. Mais lorsque nous avons reçu les planches de test d’Alicia, cela a mis tout le monde d’accord ! Avec Didier, nous nous sommes partagé toutes les phases (scénario puis découpage) puis nous avons fonctionné classiquement avec Alicia (découpage, story-board puis encrage). Ce que je trouve extrêmement agréable avec elle, c’est qu’elle comprend très bien nos intentions en matière de sentiments, de réactions etc., et qu’elle est capable de les traduire à sa manière. Ce fut réellement précieux pour la tonalité dont nous rêvions ! Par ailleurs, elle est d’une grande souplesse.
Est-ce que la BD, c’est décidément un art qui, de plus en plus, gagne à être connu, et reconnu ?
Cela nous ferait du bien, en tout cas ! ;-) Une bonne chose serait que les jeunes publics (ados et jeunes adultes) s’y intéressent davantage. Car la vague des mangas a un peu tout balayé, en particulier en France, et j’espère que nous allons assister à un rééquilibrage car le niveau de la qualité de la BD dite franco-belge le mérite bien, selon moi. Il y a de la place pour tout le monde bien sûr, mais je suis un peu triste quand j’entends de jeunes adultes dire qu’ils n’ont jamais lu de BD !
Est-ce que la BD, c’est un véhicule pertinent pour alerter, faire prendre conscience aux lecteurs ?
Je le crois, car la BD réunit l’image et le son (que le lecteur a dans la tête). Et puis bien sûr, c’est un média qui permet en premier lieu la fiction, qui porte en elle-même une force incroyable : celle des personnages ! C’est à eux et à leur histoire que s’accrochent les lecteurs et c’est ainsi qu’on peut leur faire passer quelques « graines de conscience » ou « d’interrogations »... La difficulté étant alors de ne basculer ni vers un didactisme excessif, ni vers le prosélytisme. Un risque omniprésent pour moi, dès lors que je suis dans mes combats écologiques et/ou sociétaux ! Il faut alors que je « calme la bête » en moi, qui voudrait en faire trop...
Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ?
Toujours avec Alicia, nous sommes en train de créer un roman graphique sur l’histoire de la Biovallée (vallée de la Drôme), région dont je suis « néo-natif » (je sais, c’est un oxymore... mais c’est tellement vrai !)
Et je projette, entre autre, d’écrire une histoire mêlée de SF (proche) et de politique - dans le bon sens du terme (« gestion de la cité »). Je suis très inspiré par la pensée de Damasio (lui-même inspiré par le philosophe Yves Citton), qui consiste à « pré-scénariser des combats désirables » (plutôt que de « décrire des avenirs désirables »). Dit autrement, je suis à la recherche d’une forme d’équilibre entre récit utopique et dystopique, plutôt que de les opposer comme on le fait trop souvent à mon goût.
Un dernier mot ?
Il est trop tard pour être pessimistes ! ;-)
(Réponses datées du 15 avril 2024.)
Fabien Rodhain et Didier Swysen en pleine... réunion préparatoire. ;-)
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