Jean-Marc Sylvestre : "J'ai parfois blessé des gens, je le regrette"
Jean-Marc Sylvestre a longtemps fait figure d'épouvantail, de "punching ball" commode pour les détracteurs d'un libéralisme économique dont les dérives ont pu, légitimement, choquer des hommes, des femmes de bonne foi. On a accolé à ce dernier, de plus en plus souvent, le préfixe "ultra", quitte à confondre, par facilité, des principes et leur caricature. Jean-Marc Sylvestre "était" le libéralisme en France, il l'incarnait au quotidien sur TF1. Ce professeur d'économie se voulait pédagogue avant tout, mais l'étiquette des excès de sa science a parasité le message. Elle lui colle toujours à la peau. Rencontre avec un homme bien plus complexe que son image publique. Un homme que la vie n'a pas épargné, pas sectaire ni avare en autocritiques. Je le remercie pour ses réponses, pour nos échanges. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU
JEAN-MARC SYLVESTRE
Spécialiste de l'économie pour TF1, LCI puis i>Télé
Rédacteur en chef de Jean-Marc Sylvestre, le blog
"J'ai parfois blessé des gens, je le regrette"
(Photo fournie par M. Jean-Marc Sylvestre)
Q : 30/11/12
R : 21/01/13
Paroles d'Actu : Bonjour Jean-Marc Sylvestre. En 2003, le public, habitué à vous voir sur les plateaux de télévision, découvrait Une petite douleur à l'épaule gauche (Ramsay). Vous y narriez les gros pépins de santé vécus un an auparavant, votre redécouverte, en tant que patient cette fois, du système de santé français. De ses bienfaits, de ses failles, également... Une expérience qui vous avait fait beaucoup réfléchir... Comment allez-vous aujourd'hui ? Avec le recul d'une décennie, en quoi diriez-vous de cet épisode de votre vie qu'il vous a changé ?
Jean-Marc Sylvestre : Je me serais bien passé de cette "expérience", comme vous dites, mais je m'en suis tiré... Avec beaucoup de difficultés, certes, mais aussi avec un regard un peu différent sur la vie et le système hospitalier. J'ai d'ailleurs écrit tout cela dans Une petite douleur à l'épaule gauche, et comme le livre a marché, je crois qu'il a touché pas mal de monde...
Il ne se passe pas une journée de ma vie sans que je ne pense à cette histoire... Donc, je fais attention à un certain nombre de choses. J'essaie de ne pas perdre de temps. Je me sens plus proche de tous ceux qui sont malades... J'essaie d'être utile... plus juste... Enfin, ça a dû me faire grandir.
PdA : J'évoquais à l'instant votre notoriété auprès du public. Vous avez été durant une quinzaine d'années (1994-2010) le "Monsieur économie" de la Maison TF1 (LCI-TF1). Quel regard portez-vous sur cette collaboration ? Quels souvenirs forts en gardez-vous ? Êtes-vous restés en bons termes ?
J.-M.S. : Je ne regrette pas du tout la notoriété, c'est très agréable... Vous savez, je connais des animateurs de télé ou des vedettes du show-biz qui se plaignent... Ils ont mis vingt ans à se faire connaître et, quand ils sont connus, ils se cachent et mettent des lunettes noires. C'est ridicule. Ça fait partie du métier, mais ça n'est pas le coeur du métier... Le coeur du métier, c'est de parcourir l'histoire qui se déroule sous vos yeux et d'en rapporter les faits et les chiffres en essayant de distinguer ce qui est accessoire de ce qui est important...
Mon histoire avec TF1 a duré près de vingt ans. Ses dirigeants m'ont donné les moyens d'exercer mon métier, c'est une grande chance. J'ai essayé d'être à la hauteur de cette confiance, c'est-à-dire de faire de la pédagogie de l'économie pour le plus grand nombre.
Les souvenirs, ce sont les amis que je m'y suis fait et les occasions de rencontrer les acteurs de l'actualité. C'est un lieu de pouvoir, et donc d'influence exceptionnel. TF1 m'a donné la chance de couvrir depuis vingt ans tous les grands événements économiques : le passage à l'euro, les crises, etc, etc... Je suis resté en excellent terme avec TF1, c'est une très belle entreprise moderne.
PdA : Durant cette période de forte médiatisation, vous avez été attaqué parfois en tant que "Monsieur libéral" de la télévision, endossant à titre personnel les griefs faits par ses détracteurs à l'économie de marché. Avez-vous ressenti les choses de cette façon ? D'ailleurs, qu'en est-il réellement ? Comment définiriez-vous en quelques mots l'idée que vous vous faites d'une économie qui fonctionne ?
J.-M.S. : J'ai été critiqué, mais c'est normal. Il y avait un peu de jalousie mais aussi de concurrence, sans parler de mes erreurs... Je n'ai parfois pas été assez clair, assez pédagogique, trop "presse". C'est normal d'être critiqué.
La lecture libérale de l'économie, je l'assume, totalement. Je suis professeur d'économie, mon métier, c'est d'expliquer le fonctionnement du système. Je crois profondément, parce que j'ai lu Marx, qu'il n'y a pas deux façons de créer de la richesse : il faut du travail, encore du travail, de l'intelligence et de l'épargne... Le système économique a pour objectif de créer de la richesse, des emplois, des investissements, du progrès, etc, etc... Il n'a pas à faire de la morale. La morale, c'est personnel. L'entreprise ne fabrique pas de la morale, elle fabrique de l'argent. Les acteurs de l'entreprise doivent en revanche avoir un comportement moral, éthique, exemplaire...
À titre personnel, je m'en suis tenu à cette définition. Alors, j'ai parfois blessé des gens, et je le regrette. J'ai parfois été arrogant, sans doute, et je le regrette... Mais je suis intimement convaincu que le système a besoin de liberté individuelle et de responsabilité personnelle. L'État ne peut pas tout faire. Son rôle n'est pas de créer de la richesse, son rôle est de mettre en place un code de la route et de le faire respecter. Le rôle de l'État est de créer les conditions les plus favorables pour que les hommes et les femmes puissent exercer leur liberté et leurs initiatives.
PdA : Cette image qui vous a collé à la peau était aussi liée à celle du média. On dit souvent de TF1 qu'elle est une chaîne de droite... C'est le cas ?
J.-M.S. : TF1 n'était ni de droite, ni de gauche... TF1 est une entreprise qui se doit d'avoir le maximum de téléspectateurs. TF1 ne peut pas être partisan.
PdA : Vous avez enseigné l'économie, vous l'avez commentée depuis le début des années 70. Quelles évolutions majeures de l'économie mondiale, quelles tendances lourdes notez-vous par rapport à vos débuts ?
J.-M.S. : Depuis les années 1970, l'économie s'est mondialisée. Les pays sous-développés sont devenus des émergents. L'économie s'est mise en concurrence, ce qui est un facteur de progrès. L'économie a été tractée par le progrès technique...
Le problème en France, c'est que les opinions publiques ont peur de la mondialisation. Elles ont peur de la concurrence. Elles ont peur du progrès technique... On ne leur a pas assez expliqué les bienfaits de cette évolution. Les hommes politiques n'ont pas fait leur métier de pédagogues et d'explicateurs des évolutions nécessaires.
PdA : Louis Gallois vient de remettre au Premier ministre Jean-Marc Ayrault son rapport sur la compétitivité des entreprises françaises. Imaginons maintenant qu'un gouvernement quelconque, sur la base de votre expérience et de votre expertise économique, décide de vous confier à votre tour une mission. Un rapport visant à redynamiser la croissance française et notamment à booster nos entreprises à l'international. Quelles seraient vos préconisations ?
J.-M.S. : J'ai accepté une fois une mission auprès du ministre de l'Agriculture pour préparer la loi d'orientation agricole. Ça a été une expérience passionnante, très difficile. Le métier politique est très difficile. Nous sommes en démocratie, un homme politique doit être élu pour gouverner. La logique du marché politique n'est pas forcément la même que celle du marché économique. L'homme politique doit faire des promesses pour être élu. Il a parfois du mal à les respecter et les réaliser.
Mes préconisations sont celles de tous les experts. Il faut réformer ce pays pour le mettre à niveau de la concurrence internationale. Tout le monde sait cela, mais l'homme politique doit l'appliquer, et c'est très difficile à faire passer. Louis Gallois a été formidablement habile, mais Louis Gallois n'est pas un élu...
PdA : Très franchement, que vous inspirent les débuts du quinquennat de François Hollande ?
J.-M.S. : Les débuts du quinquennat sont à la mesure de la campagne présidentielle... Beaucoup de promesses et d'ambitions mais des contraintes difficiles à surmonter. D'où les difficultés, les couacs et les déceptions. Mais c'est normal, tout cela...
PdA : Vous reconnaissez-vous dans l'offre politique française actuelle ? D'ailleurs... n'avez-vous jamais eu la tentation de vous lancer vous-même dans une aventure politique ?
J.-M.S. : L'offre politique est une chose, elle répond à la logique du marché politique. La réalité m'intéresse davantage, et tout le talent d'un homme politique, c'est de tenir compte de cette réalité sans pour autant décevoir son électorat. C'est un métier très difficile.
PdA : Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste quant à l'avenir de l'union économique et monétaire européenne ? Quelle Europe appelez-vous de vos vœux pour relever les défis de demain ?
J.-M.S. : Je suis assez pessimiste, mais je sais qu'on ne peut pas faire machine arrière. Je sais aussi que, quand nous sommes au bord du ravin, au bord de la crise, on se redresse... Depuis 2007, on est passé à côté de la catastrophe mondiale, on l'a évitée à chaque fois... Ça a coûté cher, mais le système tient debout.
PdA : Le site Ebuzzing vient de classer votre blog à la tête des blogs éco, et à une dix-huitième place remarquable au classement général. Quelle est votre réaction ? Quid de votre rapport à internet ?
J.-M.S. : L'accueil est plutôt bon, ça veut dire qu'en disant la vérité, on doit gagner. Les lecteurs ne veulent plus qu'on leur raconte des histoires. On essaie d'être vrais.
PdA : Que peut-on vous souhaiter, Jean-Marc Sylvestre ?
J.-M.S. : De continuer le plus longtemps possible...
PdA : Quel message aimeriez-vous adresser à nos lecteurs ?
J.-M.S. : De ne pas céder à la résignation. Leur dire que quand on veut, on peut... Le bonheur n'est pas toujours dans le pré... mais on doit pouvoir s'en approcher.
PdA : Un dernier mot ? Merci infiniment...
J.-M.S. : Les faits sont têtus... ce n'est pas de moi, c'est de Lénine, un grand auteur libéral comme vous savez !
Merci encore, Jean-Marc Sylvestre, pour le temps que vous avez bien voulu me consacrer. Tous mes voeux pour une belle et heureuse année 2013 ! Phil Defer
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