Jean-Claude Dreyfus : "Avec Devos, nous sommes d'une même famille..."
Très vite, Jean-Claude Dreyfus a accepté, sur le principe, de se prêter au jeu des questions-réponses, pour Paroles d'Actu. Gracieusement, le grand acteur a bien voulu me parler de ses débuts, des gens qu'il aime bien, de son parcours. Parmi les figures qui l'ont émaillé jusqu'ici, il y a évidemment Jean-Pierre Jeunet. Dreyfus en parle avec pudeur, sans mentionner, à aucun moment, le drame qui vient de secouer le réalisateur du film Un long dimanche de fiançailles. Sans doute l'aurez-vous lu dans les pages les plus sérieuses de la presse people, sa chère Amélie Poulain vient en effet d'être retrouvée dans une barquette de lasagnes, mystérieusement estampillée « Trouvez-nous ». Chacun se souvient, cruelle coïncidence, de l'inquiétant boucher qu'interprétait Jean-Claude Dreyfus dans le film de Jeunet, Delicatessen. Troublant... D'ailleurs, n'a-t-il pas fait de pub pour... STOOOP !!! On arrête ! Fin du cirque... De toute façon, J.-C.D. est davantage cochons que chevaux. Pas les « cochons » qui portent des récits à hauuute valeur informative et en assurent la médiatisation, non. Les vrais. Ceux auxquels il voue une vraie, une belle tendresse.
Cet entretien, dans l'idéal, nous aurions dû le réaliser, au départ, attablés à la terrasse d'un bistrot parisien. Des contraintes, principalement géographiques, ne l'ayant pas permis, l'échange s'est fait par textes. Ce n'est que partie remise... Je tiens ici à faire part à Monsieur Jean-Claude Dreyfus de mon amitieuse reconnaissance pour le temps qu'il a bien voulu me consacrer. Pour son humour, sa gentillesse à mon égard. Il vient de sortir le premier tome de son autobiographie, Ma bio dégradable : J'acte I. Et sera bientôt sur la scène du Théâtre du Petit Hébertot pour un hommage très vivant à Raymond Devos. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU
JEAN-CLAUDE DREYFUS
Acteur... Auteur... Et bien plus enqueur...
« Avec Devos, nous sommes
d'une même famille... »
(Photos fournies par M. Jean-Claude Dreyfus ;
Portrait ci-dessus réalisé par Patrice Murciano.)
Q. : 13/02/13 ; R. : 25/02/13
Paroles d'Actu : La première question que j'aurais envie de vous poser aujourd'hui, c'est « Quand est-ce que la chaleur va revenir ? Vous avez des infos là-dessus ? L'hiver, c'est dur quand ça dure ! » Mais bon... tout bien réfléchi, je m'en tiendrai à un plus traditionnel « Comment allez-vous ? » (Vous avez sorti un bouquin intitulé Les Questions à la con il y a quelques années, j'espère que vous ne penserez pas ça des miennes... ouch... trop tard ?)
Jean-Claude Dreyfus : La chaleur chez moi est permanente. Pour éviter de dire, « Les chaleurs n'ont pas besoin de saisons, mes quatre saisons ne vivent pas chez Aldi »... Wouaf wouaf... c'est bien mauvais, mais effectivement, question à la con entraîne réponse très con. Mais vraisemblablement, ça réchauffe en rude hiver, et ça ne dure jamais, malgré les fameuses couches d'ozone qui répartissent bien les zones, qui dans nos pays d'Europe ponctuent les couleurs de l'année.
PdA : Votre bio, enfin, sa première partie, est parue au mois de septembre : Ma bio dégradable : J'acte I, au Cherche Midi. Comment l'idée vous est-elle venue de vous raconter ainsi ?
J.-C.D. : Après une série d'entretiens avec un monsieur qui m'entreprit pour raconter ma vie à son propre chef et désirant paraître "entretien avec" sur la couve première, et après avoir compris que lui ne comprenait jamais là où je voulais aller dans l'humour de mon parcours désuet... Après l'avoir gentiment "fait piquer", donc m'en être débarrassé, je repris tout a zéro, me pris au jeu de l'écriture. Vraiment, j'ai décidé de prendre mon pied, et même les deux, du plaisir de conter, de compter sur moi même, ce qui me paraît plus sûr pour m'entendre dire les vérités mensongères que je gère et digère, avec un petit verre de Fernet-Branca...
PdA : De quelle manière vous y êtes-vous pris pour mener cet ouvrage à terme ? A-t-il été long à écrire, éprouvant à composer par moments ? Sans doute a-t-il fait rejaillir en vous des souvenirs plus ou moins heureux ?
J.-C.D. : N'ayant pas relu l'ordre des questions, je pense avoir joliment répondu à celle-ci... Dans la mesure où les souvenirs « plus ou moins heureux » chez moi rejaillissent souvent travestis, trans-déformés en simple mémoire de moments revus et corrigés, à l'amiable.
PdA : Votre fibre écolo, on la retrouve dans le titre. À moins qu'il ne s'agisse d'une réflexion plus personnelle sur la biodégradation, celle qu'a priori nous connaîtrons tous (à échéance raisonnable évidemment !). Histoire d'être un peu sombres deux minutes, c'est une idée à laquelle vous pensez souvent ?
J.-C.D. : Vous voulez dire la mort... ? Moi, je ne songe qu'à l'amor qui mène ma vie et mon vit par ma main ou celle des autres... ou plus si raffinement. Et là, j'en viens au titre de mon livre, où je livre avec ambiguïté mon rapport éternel pour les bons produits mais aussi pour l'éphémère modasse et modeste de nos envies...
PdA : Qu'aimeriez-vous dire à nos lecteurs pour leur donner envie de lire votre livre ? Y retrouve-t-on de savoureux récits, voire... de croustillantes anecdotes ? ;-) Quelques exemples ?
J.-C.D. : Je leur dis qu'une bière et un morceau de pain autour d'une tranche de mon animal fétiche va leur coûter le même prix que mon appétissant bouquin, et que, même dégradable, celui-ci les nourrira d'amour et d'humour sans les alourdir...
(Photo : Dominique Desrue)
PdA : Le tome 2, c'est pour bientôt ?
J.-C.D. : J'ai déjà commencé J'acte II, bien sûr, et puis un roman, mais le tome 2 ne viendra que si mes spectateurs et lecteurs se privent de sandwichs au jambon pour que le Cherche Midi, autrement dit l'éditeur, ait l'envie de me rééditer...
PdA : Je vous propose maintenant d'évoquer ensemble quelques points de votre vie publique. Commençons par le commencement... J'ai découvert qu'avant de faire l'acteur, vous aviez été magicien. De belles images vous viennent à l'esprit en repensant à cette époque, j'imagine...
J.-C.D. : Oui, je fus magicien, mais je ne me faisais aucune illusion, la magie n'était pas vraiment mon "truc". Ce que j'adorais, c'était de voir les autres prestidigitateurs, qui me fascinaient. Savoir les moyens de créer l'illusion me paraissait illusoire. L'envers du décor gâchait mon envie... Alors, je suis passé a une autre forme d'allusion, celle du théâtre...
PdA : C'est évidemment d'abord pour votre parcours - le terme de carrière est assez laid dans ce cas - d'acteur que le public vous connaît, vous aime. Parlez-nous de vos débuts ? Quel a été le déclic qui a pu vous faire penser, à un moment donné, "Oui, décidément, c'est ça que j'ai envie de faire" ?
J.-C.D. : Mon chemin, de jeux, et non de croix, a toujours été sur les planches, essence de ce "métier", car même si l'on ne parle pas de carrière mais de long chemin à parcourir, de continuité, c'est le plaisir et l'envie de jouer qui m'ont sans cesse mené par le bout du nez. Bien sûr, il faut en avoir, "du nez", pour les textes et les aventures de saltimbanque. On est loin de la roulotte, mais la roulette chance m'a porté, souvent, vers de superbes projets...
PdA : Sur la base de votre expérience, justement, quels conseils pourriez-vous donner à un(e) jeune qui rêverait de vivre pleinement sa passion pour la comédie, voire d'en vivre ?
J.-C.D. : Pour une personne qui, comme moi, passe son temps à repartir de zéro, à éviter toute routine, il est complexe de donner des conseils à qui que ce soit. Le doute est permanent, le trac subsiste. La seule recommandation est de faire, défaire et refaire, et surtout savoir faire, avec un caractère de fer...
PdA : Tenter d'aborder l'ensemble de votre "carrière" serait vain, tant elle est conséquente. S'agissant du cinéma, vous avez tourné sous la direction des plus grands noms : Audiard, Lelouch, Mocky, Pinoteau, Rohmer, Annaud... Je vais peut-être m'attarder un peu sur une collaboration, peut-être la plus importante de votre filmo, je pense à Jean-Pierre Jeunet. Delicatessen, La Cité des enfants perdus puis, plus tard, Un long dimanche de fiançailles. Trois films qui ont fait date. Quelle place tient-il, à vos yeux, dans votre parcours, peut-être dans votre vie ?
J.-C.D. : J'ai une denture petite, de bébé, écartée devant au milieu. La chance donc m'accompagne dans des histoires belles et de qualité. Ma vie a pris souvent les chemins de traverse, qui mènent à certains succès sans pour autant vraiment en changer le cours...
PdA : Quelles ont été les expériences, les rencontres qui vous ont le plus marqué, touché durant les quarante premières années de votre petit bonhomme de chemin (théâtre, cinéma, télévision...) ?
J.-C.D. : La liste serait bien longue de décrypter ce qui aurait marqué quarante années de rencontres et expériences, entre l'éducation offerte par mes parents, celle de mes professeurs et aussi des partenaires côtoyés tout au long d'une, sans cesse, densité d'activités. Le mieux, je crois, est de lire mon premier livre, ma bio.
PdA : Une partie de la population - certes pas parmi les plus cinéphiles - aura immanquablement une réaction en voyant votre visage apparaître dans les médias, pour telle ou telle raison. "Oh, mais c'est Monsieur Marie !" Je sais que vous avez beaucoup d'humour. Mais ça n'est pas un peu agaçant, parfois, d'être à ce point populaire pour ce rôle-là alors que tant d'autres auraient davantage mérité une telle reconnaissance ?
J.-C.D. : Ça m'est complètement égal qu'il y ait des crétins réducteurs et incultes. Je reste, d'une façon ou d'une autre, un culte vivant...
PdA : Justement... On va essayer de remettre un peu de justice dans tout ça ! Quels sont, parmi vos films, - courts comme longs métrages - ceux pour lesquels vous avez une tendresse particulière, même s'ils ne sont pas forcément objectivement les meilleurs ? Ceux que vous aimeriez recommander à nos lecteurs ?
J.-C.D. : Mis a part les films de Jeunet et (Marc, ndlr) Caro, puis Jean-Jacques Annaud (Deux frères, ndlr), ou Mocky (Bonsoir, Le deal, Le bénévole, ndlr), justice serait faite auprès de vos lecteurs de s'emparer du sublime film de Rohmer, L'Anglaise et le Duc.
PdA : Ce que l'on demande entre autre au cinéma, c'est de nous faire oublier nos soucis, l'espace d'un film. De nous faire rêver, un peu... Quel est le cinéma qui vous fait rêver ? Le fait-il toujours aussi bien aujourd'hui qu'hier ?
J.-C.D. : Bien sûr, les films d'antan, avec tous ces acteurs hauts en couleurs. Et puis certaines grandes fresques cinémato et très graphiques, tournées dans des espaces et des lieux au sein d'histoires auxquelles je ne serai jamais confronté. Celles-ci me ferons toujours partir dans des rêves dont on ne voudrait jamais sortir...
PdA : Questions évidemment liées. Quels sont, hors les vôtres et toutes époques confondues, vos films préférés ?
J.-C.D. : Le Golem, Freaks, Sous le plus grand chapiteau du monde...
PdA : Vos acteurs de référence ?
J.-C.D. : Visconti, Michel Simon et Serrault, Madeleine Renaud, Annie Cordy... Merde, trop dur et compliqué comme question... Je n'aime pas les références, ma devise est de ne pas en avoir.
PdA : Vous serez bientôt sur la scène du Théâtre du Petit Hébertot - du 28 février au 27 avril 2013 - pour Devos - Dreyfus, d'Hommages sans interdit(s). Avec le maître Devos, vous vous attaquez à un monument de l'humour. Devos, c'est quelqu'un qui vous inspire ? Who else, comme pourrait dire l'un de vos confrères également star de pub ?
J.-C.D. : Pierre Desproges, Zouc, Muriel Robin, Pierre Palmade, Joly (Sylvie, pas Eva, ndlr), Jonathan Lambert, Gerra, Fernand Raynaud, Louis de Funès, Bourvil, Jacqueline Maillan... Et Raymond Devos.
PdA : Une question pour inciter nos lecteurs à vous découvrir dans cette pièce... Qu'apportez-vous de votre univers à celui de Raymond Devos ? Pourquoi faut-il absolument voir ce spectacle ?
J.-C.D. : Je pense profondément que nous sommes d'une même famille. L'oeil sur la scène. En coulisse, de l'absurde poétique...
PdA : Vous avez été nommé sur les listes de 2010 et 2011 pour le Molière du comédien pour la pièce Le Mardi à Monoprix. Quatre fois en tout, ce qui est exceptionnel... Si vous aviez un choix à faire entre ciné et théâtre, votre coeur pencherait davantage vers les planches, vers le vivant, j'imagine ?
J.-C.D. : Oui. OUI, quatre fois, pour ne jamais repartir avec. Ils ont spurement peur que ce trophée soit perdu dans mon immense collection de cochonneries, et puis sans doute s'attendent-ils à ce que je ne puisse plus le porter, à ce que je n'en aie plus ni la force, ni l'envie... ?
Quant à mon choix entre César et Molière... Quand je fais du théatre, je meurs d'envie de faire du cinéma et lycée de Versailles... car les vices sont ô combien versatiles…
PdA : J'écoutais récemment l'une de vos interviews, dans laquelle vous déploriez un certain manque de prises de risques de la part des producteurs et du public. Ce qui, in fine, tend à brider la création, à auto-alimenter un système dans lequel la qualité n'importe pas tant que la rentabilité. Êtes-vous malgré tout optimiste quant à l'avenir d'une création artistique de qualité ?
J.-C.D. : Moi je reste optimiste. Quand je choisis un auteur, par exemple Devos, j'arrive à trouver les moyens de le monter. Mais il faut bien savoir que deux personnes sur un plateau ne coûtent pas trop cher (je suis avec Thomas Février au piano). Mais arriver aujourd'hui à réaliser une création avec de nombreux comédiens devient de plus en plus complexe, voire impossible. Donc optimiste, mais pas rose comme l'on pouvait le croire pour la culture à gauche...
PdA : Ma prochaine question, ça ne sera pas celle du portrait chinois, non. D'ailleurs, je sais que vous avez déjà répondu à ce genre de sollicitations. J'aimerais inviter le comédien que vous êtes, qui a joué plus qu'à son tour en costume, à répondre à une question que je pose souvent, parce que je l'aime bien. Imaginons qu'un vieux type un peu fou, un savant fou en quelque sorte, que l'on appellerait, bah... "Doc", disons, invente une machine à voyager dans le temps, en avant ou en arrière. Je sais pas, un truc complètement loufoque. Une DeLorean qui nous permettrait de choisir le lieu et la date (pas mal mon idée, je devrais la proposer à un producteur). Un seul voyage par personne. Aller-retour, ou simple aller, c'est vous qui voyez... Alors, quel est votre choix ?
J.-C.D. : Le voyage, à vrai dire, n'est pas complètement mon trip, même si je viens de faire 24h de vol pour Nouméa avec mon Devos. Et comme, à ce jour, j'ai plus de 24h de vol, le trajet, dear Doc', qui me paraîtrait le plus dépaysant serait de me faire tout petit et de rentrer dans la Batmobile Playmobil et de me rendre dans la Batcave pour repérer les meilleurs vins "pinard", crus... d'un autre monde...
PdA : Du Cochon considéré comme l'un des beaux-arts, c'est le titre de votre livre de 2005. Une bien belle passion, ma foi, même si elle étonne certaines personnes ! En avez-vous d'autres, moins connues ?
J.-C.D. : Ah oui, j'ai une nécessaire passion, à ce jour, pour les vitrines, avec plus de cinq-mille cochons. De port en porc, je dois enfermer, emprisonner cette énorme batterie porcine pour qu'elle ne me fasse pas partir en eau de boudin... et que je ne devienne pas le "mâle des truies" ou le "mal détruit"...
PdA : Un scoop, une info inédite pour Paroles d'Actu ?
J.-C.D. : Roseline Bachelor serait-elle un homme ? Ne serait-ce pas une idée folle, démente ou démentie... ? ...
PdA : Qu'est-ce qui, dans notre société, dans le monde, vous donne envie de réagir, de vous engager ?
J.-C.D. : Trop vaste cette question... il fallait la poser au début. Là, je suis fatigué du monde et de sa société. Je ne m'engage pas... mais je vais réagir…
PdA : Un message pour nos lecteurs ?
J.-C.D. : Plus de crise, faisons comme si... Ah oui, une crise de nerfs, de temps en temps, gratuite.
PdA : Un message pour quelqu'un en particulier ?
J.-C.D. : J'aime la personne que j'aime…
PdA : Quels sont vos projets, vos rêves pour la suite ?
J.-C.D. : Je projette des rêves pour les suites de chacun de nous tous... (il tousse)
PdA : Que peut-on vous souhaiter, cher Jean-Claude Dreyfus ?
J.-C.D. : D'être contraint au carcan de sa liberté !
PdA : Quelque chose à ajouter ? Merci infiniment !
J.-C.D. : Amitieusement à tous…
Très heureux et flatté de cet échange, cher Jean-Claude Dreyfus... Merci encore ! Amitieusement... Phil Defer Et vous, quels rôles, quelles images vous viennent à l'esprit en pensant à ce grand acteur ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer
Vous pouvez retrouver Jean-Claude Dreyfus...
- Sur son site officiel.
- Sur sa page Facebook.
- Dans toutes les bonnes librairies, en ligne ou en vrai... Ma bio dégradable : J'acte I.
- Au théâtre du Petit Hébertot, du 28 février au 27 avril 2013... Dreyfus - Devos, d'Hommages sans interdit(s)
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Présentation remaniée : 15/01/14.