Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles d'Actu
26 août 2014

Micheline Dax : "Profitez de la vie, sans remords... et sans vergogne !"

   « Micheline est décédée tout à l'heure. C'est très étrange, car j'étais en train de récupérer des images de sa première apparition dans un film en 1948. On m'a appelé pour m'annoncer sa disparition alors que j'étais plongé dans mes "fouilles archéologiques", comme elle disait pour se moquer gentiment de moi. Je n'arrive pas à réaliser... » C'est par ces mots, par ce message qu'il m'a envoyé le 28 avril à 00h53 que l'ami Jean-Paul Delvor m'a appris la triste nouvelle. On la savait diminuée - elle venait de fêter ses 90 ans - mais on espérait qu'elle reprendrait le dessus, une fois de plus... Ce qu'elle laisse derrière elle est inestimable : des œuvres qui ont touché plusieurs générations d'un public qui lui est resté fidèle - en témoigne la déferlante d'hommages qui lui ont été rendus après l'annonce de son décès ; le respect et la reconnaissance que ses pairs du métiers réservent à l'une des leurs, une grande pro ; une belle famille, resserrée, élargie, une famille qu'elle aimait et qui n'a pas fini de l'aimer... Au revoir, Madame... et merci pour tout...

   Le document qui suit nous laissera, forcément, un goût d'inachevé. Au début de l'année, j'avais proposé à Jean-Paul Delvor, qui gère avec amour et dévotion sa page officielle, de réaliser ensemble une seconde interview de Micheline Dax, un an après la première, qui fut publiée le jour de son 89ème anniversaire. Elle n'était plus au mieux, son moral était fluctuant : cette interview-là serait solaire... ou ne serait pas. J'ai demandé à Jean-Paul, qui a eu avec elle d'innombrables conversations, de me faire une liste de ces points de son parcours d'artiste dont elle parlait avec plaisir. Une fois la liste reçue, j'ai rédigé les questions, les ai envoyées à celui qui fut son partenaire dans Arsenic et vieilles dentelles. Il a pu lui en poser quelques unes au téléphone, pas forcément dans l'ordre. Ses dernières réponses, tantôt drôles, tantôt émouvantes, forcément précieuses, elle les a livrées autour du 3 mars, de son 90ème anniversaire. Pour le reste, Jean-Paul a pris le relais. Il a complété une bonne partie des "blancs" par l'évocation de ce que Micheline lui avait raconté, avant. Et invité quelques amis à participer, eux aussi, à cet article, à cet hommage à une dame de cœur. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

MICHELINE DAX

 

« Profitez de la vie, sans remords...

et sans vergogne ! »

 

Micheline Dax

(Source des photos avec M. Dax : J.-P. Delvor)

 

Q. : 15/02/14 ; R. : jusqu'au 03/03/14 (?)

 

Paroles d'Actu : Bonjour, chère Micheline Dax... Je suis très heureux de vous retrouver, un an après la première, pour cette nouvelle interview réalisée pour Paroles d'Actu. Comment allez-vous ?

 

Micheline Dax :

 

Paroles d'Actu : Je tiens à remercier, à nouveau, et de tout cœur, notre ami Jean-Paul Delvor. Sans lui, aucun de nos entretiens n'aurait pu avoir lieu. Il est, grâce à la belle page qu'il gère avec passion sur Facebook, comme un trait d'union entre vous et vos nombreux admirateurs. Il était votre neveu dans la version d'Arsenic et vieilles dentelles que Thierry Harcourt avait mise en scène il y a quelques années. Comment votre relation, professionnelle, au départ, s'est-elle transformée en une amitié aussi fidèle ?

 

Jean-Paul Delvor : Le texte qui suit est la retranscription d'un extrait de conversation datant d'il y a plusieurs années. Ce soir-là, je l'avais accompagnée au théâtre. Un peu plus tard, au resto, elle s'est mise à parler de Facebook, de ses "fans". Peu après, j'ai pris quelques notes...

 

« Il fait partie de ma cour ! (rires) Je suis une personne assistée, tu comprends ? (rires) J'ai du bol, ce garçon me trimballait partout. J'ai de la chance, tu sais. C'est lui qui m'a fait mon site ! Sur Facebook (!?) J'ai jamais vu, moi... ! Je n'ai pas d'ordinateur, ni d'internet, j'm'en fous... Mais les messages que je reçois ! ... Il m'en lit de temps en temps. C'est irrésistible ! Et des gens jeunes ! "Madame, je vous aime depuis que je suis tout petit", "Vous êtes un monument"... non mais, tu comprends, c'est irrésistible ! ... Parce qu'avant ce... cette... chose... moi, j'savais pas qu'il y avait des jeunes qui me connaissaient encore ! ... Tu vois c'que j'veux dire ? ... »

 

Dax_Delvor

(Photo : J.-P. Delvor, Arsenic et vieilles dentelles, 2006)

 

Paroles d'Actu : J'aimerais, à l'occasion de cette interview, vous inviter à évoquer ensemble quelques dates-clés, quelques moments qui ont jalonné votre incroyable parcours... Quelques uns, évidemment, pas tous, il y en a tellement... Tout à l'heure, il y aura non pas une, mais deux surprises...

 

Micheline Dax : Ah, chic alors ! (Rires)

 

Paroles d'Actu : Nous sommes en 1954. Vous êtes sur les planches du théâtre Édouard VII pour Souviens-toi mon amour, une pièce écrite par André Birabeau et mise en scène par Pierre Dux...

 

Jean-Paul Delvor : Micheline m'avait demandé d'en rechercher le texte, elle souhaitait le relire, car elle avait gardé un excellent souvenir de la pièce - une très bonne pièce, selon elle - et de sa distribution - elle était très amie avec l'une de ses co-actrices. Je ne l'ai jamais trouvé...

 

Paroles d'Actu : En 1957, vous êtes à l'affiche de Ce joli monde, film réalisé par Carlos Rim. Darry Cowl est également de la partie...

 

Jean-Paul Delvor : Elle aimait me parler de Darry Cowl. Elle disait qu'il était complètement fou, délirant, insolite... Une fois, après une journée de tournage de ce film, il l'a raccompagnée chez elle. Il a fait dix fois le tour du rond-point des Champs-Élysées en lui parlant et en lui faisant la cour. Il lui racontait des blagues, des choses absurdes... Elle était écroulée de rire... Il était très adroit, au billard et au lancer de fléchettes. Micheline l'imitait très bien, la cigarette aux lèvres et, remettant ses lunettes, en train de viser une cible avec une fléchette.

 

Paroles d'Actu : Deux ans plus tard, en 1959, vous jouez dans Messieurs les ronds-de-cuir, d'Henri Diamant-Berger. À vos côtés, on trouve Noël-Noël, Michel Serrault, Pierre Brasseur et Jean Poiret. Je crois que vous avez une anecdote à nous raconter à propos de ce film...

 

Jean-Paul Delvor : Il faut savoir que Pierre Brasseur, disons... n'était pas insensible aux charmes féminins (si j'arrêtais de mettre des gants, je dirais : un "chaud lapin"). Clairement, Micheline ne le laissait pas indifférent... Un jour, Jean Poiret lui a fait une blague. Micheline était en train de se changer dans sa loge. Poiret a conduit Brasseur jusqu'à sa porte. Il la lui a ouverte. Brasseur a poussé un "Oh ! Micheline !" de surprise et de concupiscence... Et il l'a poursuivie sur le plateau pendant de longues minutes. Elle riait beaucoup quand elle me racontait ça... même si elle en a voulu à Poiret pour cette "vacherie".

 

M

 

Paroles d'Actu : Un peu de temps s'écoule... On est en 1967. La Vie parisienne, d'Offenbach est interprété par la compagnie Renaud-Barrault. Jean-Louis Barrault est aux commandes...

 

Jean-Paul Delvor : Je n'ai pu lui poser cette question, mais ce que je sais, c'est que Micheline était très fière d'avoir fait ça. Elle adorait les costumes, elle disait que c'était somptueux (elle prononçait "sompetueux", en accentuant le "p")... Elle était très admirative du couple que formaient Simone Valère et Jean Desailly, et de leur jeu...

 

Paroles d'Actu : La même année, vous êtes la voix du personnage éponyme de Titus, le petit lion, une série télévisée d'animation pour laquelle vous avez gardé une grande tendresse...

 

Micheline Dax : Ah oui alors ! J'ai fait ça avec Bodoin, qui faisait le Grand Yaka au pays de Jaimadire... (rires) C'était drôle, naïf et poétique. Je faisais la voix de Titus, et aussi de Bérénice, qui était une petite souris... et y'avait Carel, qui faisait un pingouin et un pélican ! (rires)

 

Paroles d'Actu : Le Francophonissime, jeu télévisé créé par Jacques Antoine et Jacques Solness, apparaît sur les écrans à la fin des années 60...

 

Jean-Paul Delvor : Elle en a déjà parlé dans quelques interviews. Elle aimait beaucoup cette émission, surtout la première version, avec Georges de Caunes. Et elle avait beaucoup d'admiration et d'amitié pour Jean Valton et Michel Deneriaz, dont elle parlait toujours avec tendresse.

 

Paroles d'Actu : Entre 1978 et 1983, vous participez aux Bubblies et jouez des rôles, disons... assez improbables. Y compris, si je ne me trompe pas... un hachis parmentier ?

 

Micheline Dax : C'était un truc anglais d'une connerie ! Je faisais Madame Poubelle (rires) et Gwendoline, une jeune blonde qui changeait d'apparence. Et un jour, je dois dire : "Eh bien mes amis, aujourd'hui, je serai un hachis parmentier" ! (avec la voix de Gwendoline, ndlr) Va faire le bruitage d'un hachis parmentier, toi ! (rires) Alors, j'ai fait prrrrrrr... (bruit d'une chose molle, qui s'écrase, comme une bouse, ndlr)

 

Paroles d'Actu : Au milieu des années 80, vous êtes de l'aventure N'écoutez pas, mesdames !, de Guitry, mise en scène par Pierre Mondy. Une expérience qui vous a laissé, je crois, un très bon souvenir...

 

Micheline Dax : Ah, ça, mon p'tit garçon, Guitry, c'est un tel bonheur à jouer... Qu'est-ce que tu veux, c'est tellement drôle ! et intelligent ! et c'est d'une cruauté... Et ce rôle (Valentine, ndlr), c'était pile le genre de personnage que j'avais envie de jouer à ce moment-là... Et jouer avec Pierre Dux, c'était divin ! Et je me suis beaucoup amusée, ensuite, en tournée, avec Paturel !

 

N'écoutez pas mesdames

 

Paroles d'Actu : En 2004, Stephan Meldegg reprend pour le théâtre Saint-Georges Miss Daisy et son chauffeur, d'Alfred Uhry...

 

Ndlr : Pour évoquer cette pièce, Jean-Paul Delvor a eu l'excellente idée d'inviter M. Jean-Loup Horwitz, qui en partagea l'affiche avec Micheline Dax, à évoquer pour Paroles d'Actu cette aventure commune... (03/05/14)

 

Jean-Loup Horwitz : Miss Daisy et son chauffeur... Que de souvenirs. Que de rires avec Micheline, Jean-Michel Martial, le chauffeur, et moi dans le rôle du fils, Boolie ! Quel bonheur aussi de travailler avec Stephan Meldegg... C'était la première fois que Micheline et Stephan travaillaient ensemble. Il faut dire que c'étaient deux mondes différents. Quand nous avons commencé à répéter, Micheline connaissait toute la pièce par cœur, comme à son habitude. Jean-Michel et moi, pas un mot. Petit à petit le texte entrait, encore incertain. Et quand l'un de nous se trompait, Micheline tapait du pied... Ça énervait tout le monde, et surtout, cela déconcentrait Jean-Michel... Alors, ce qui devait arriver arriva : Jean-Michel s'arrête et demande à Micheline de cesser, soutenu par le metteur en scène. Micheline, renfrognée, se fait violence, et pendant quelques temps, le travail reprend... Au fil des jours, avec le travail sensible et exceptionnel de Meldegg, nous avions et le texte et l'émotion des personnages. Et là, à notre grand étonnement, c'est Micheline qui se trompait ! Il a fallu qu'elle reconstruise son personnage selon les consignes de Stéphan pour devenir l'exceptionnelle Miss Daisy quelle fut. C'était l'affrontement de deux techniques... Micheline jouait en musicienne qu'elle était. Meldegg travaillait sur l'âme des personnages. Miss Daisy, c'est aussi le début d'un changement radical : Stephan Meldegg s'est battu pour que Micheline porte une perruque blanche... Elle a trouvé que ça lui allait bien et a abandonné sa couleur noire.

 

Je parlerai aussi des 80 ans de Micheline. Micheline m'avait fait promettre de ne rien faire... Mais sa fille Véronique, avait convoqué au Théâtre Saint-Georges les vieux complices de sa mère... Et au dernier rappel, ce fut une avalanche de personnalités ! Micheline troublée, avait quand même trouvé le mot - « Revenez dans vingt ans ! » - pour faire rire la salle. Pour ses 81 ans, nous étions en tournée à Metz. Au dernier rideau, l'immense salle, prévenue par les ouvreuses avant le début du spectacle, s'est mise à chanter Joyeux anniversaire ! tandis que du fond de scène roulait un immense gâteau lumineux fabriqué par les machinistes du théâtre ! Quelle émotion !

 

Je finirai par un petit secret... Nous avions un rituel, Micheline et moi. Avant le lever de rideau, Micheline avait toujours les mains gelées par le trac. Et comme j'ai toujours les mains chaudes, Micheline tendait vers moi ses deux mains et nous restions là, tous les deux, écoutant le merveilleux bruit de la salle avant l'ouverture du rideau... En jouant Boolie, je suis devenu le presque fils de Micheline... et quand elle m'envoyait un mot, Micheline signait : "Ta presque mère" ! C'est dire le lien qui nous unissait et la tristesse qui est la mienne aujourd'hui... (05/05/14)

 

Jean_Loup_Horwitz

(Photo : agent)

 

Paroles d'Actu : Dans la deuxième moitié des années 2000, vous interprétez, avec d'autres femmes, les fameux Monologues du vagin. Il y en a une qui a accepté, à ma demande, de me parler de vous... Et, au travers de ce témoignage, de vous transmettre toute son affection... Voici ce que m'a dit Marie-Paule Belle...
 
« Dites-lui que j'ai sur mon bureau la photo de Sara Giraudeau, elle et moi prises devant le miroir de sa loge quand nous jouions Les Monologues du vagin au Théâtre de Paris !
 
Le 3 mars, c'est son anniversaire, et je me souviens que nous l'avions fêté au Bistro des deux théâtres, où elle avait sa table ! Nous avons souvent dîné ensemble : elle me racontait sa vie, des anecdotes sur Piaf, et d'autres... Nous avons partagé beaucoup d'émotions... et de fous rires ! Et de trac, aussi. Par exemple, à l'Olympia, pour le concert de William Sheller : elle sifflait magnifiquement un Aria écrit pour elle par William et je chantais seule au piano une très belle chanson que William m'avait écrite, L'Homme que je n'aime plus... Elle voulait s'en aller avant d'entrer en scène, tellement elle avait peur ! On se tenait la main, on s'encourageait...
 
Je vis maintenant dans le sud , au soleil. Elle me manque et je l'embrasse bien fort, comme ces souvenirs... »

 

Ndlr : Message lu par Jean-Paul Delvor à Micheline Dax le 3 mars 2014, jour de son anniversaire...

 

Micheline Dax : Oh que c'est gentil ! Elle m'a appelée tout à l'heure ! C'est vrai, je suis partie... On m'a rattrapée ! (rires) Elle est tellement gentille avec moi... Dis-lui que je l'embrasse fort fort fort !

 

Belle_Dax_Giraudeau

(Photo : collection personnelle M.-P. Belle)

 

Paroles d'Actu : La seconde surprise, c'est un autre message qu'un grand nom du théâtre, qui a pour vous une grande tendresse, a tenu à vous adresser... C'est Monsieur Jean-Claude Dreyfus.

« Pour la divine Micheline : Nous qui avons partagé durant des années le même quartier, celui des Batignolles, ainsi que le même parking de l'Europe, où nous nous sommes retrouvés soudain en fourrière - celles du beauf de Tonton, face au Paris Rome. Je pense à son patron, retrouvé découpé en morceaux dans une valise au bois de Boulogne et qui, de son vivant, me harcelait pour que j'écoute des musiques militaires sorties du juke-box... Oh... comme j'aurais aimé prendre une boisson à vos côtés, et que vous me siffliez « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle... » en sirotant un Fernet-Branca... Bref, je vous adore et vous embrasse tendrement... et amitieusement ! JcD » (02/03/14)

 

Micheline Dax : (Rires) C'est très gentil... Merci beaucoup...

 

Paroles d'Actu : Je crois savoir que vous n'avez rien perdu de votre amour du cinéma... Quels sont vos films préférés ?

 

Micheline Dax : Ah... J'ai une passion pour L'Aventure de Mme Muir, (J. Mankiewicz, 1947, ndlr) avec Rex Harrison et Gene Tierney - elle est d'une beauté... J'en pleure à chaque fois. Je l'ai vu un nombre incalculable de fois, tout comme Le Plaisir d'Ophüls (1952, ndlr), qui est un chef d'oeuvre... Gabin et Darrieux, magnifiques ! La scène où Gabin fait la cour à Darrieux... (rires) c'est un régal, une merveille ! ça repasse de temps en temps sur le câble, je n'en rate jamais une miette !

 

(...) Madame Bovary (V. Minnelli, 1949, ndlr), avec Jennifer Jones, qui était d'une beauté insolente ! Ah, la garce ! (rires) le moment où elle se voit dans le grand miroir... et la scène du bal, avec Jourdan ! (...) Le Père tranquille (R. Clément, 1946, ndlr), avec Noël-Noël ! (...) et tous les Guitry ! tous sans exception...

 

Jean-Paul Delvor : Micheline m'a aussi fait découvrir un film qu'elle adorait et que je lui avais retrouvé en VHS. Elle en connaissait les dialogues absolument par cœur. Elle gloussait de rire et de plaisir quand on évoquait certaines scènes. Elle connaissait aussi le nom de tous les interprètes : Elvire Popesco, Victor Boucher, - qu'elle adorait comme acteur et dont elle me parlait souvent - André Lefaur, Blier dans un tout petit rôle ! Ça s'appelle L'habit vert (R. Richebé, 1937, ndlr), une pépite...

 

Paroles d'Actu : Vous êtes devenue Commandeur des Arts et des Lettres en 2006, Chevalier de la Légion d'Honneur en 2012. Que vous inspirent-elles, ces distinctions ?

 

Jean-Paul Delvor : Un matin, Micheline, très remontée, me laisse un message sur mon répondeur :

« Bonjour mon p'tit coco, c'est Micheline... On vient de me laisser un message pour me dire que j'ai été "nommée" Chevalier de la Légion d'Honneur... mais c'est pas possible, il faut la demander ! et moi, j'ai rien demandé ! on me l'aurait proposé, je l'aurais refusé... oh, tu sais alors ! qu'est-ce que c'est que cette histoire ?! Si tu pouvais faire une enquête, ça m'arrangerait. Tu me tiens au courant, tu seras gentil... C'était aujourd'hui, ou hier soir, je ne sais pas, enfin, je suis nommée aujourd'hui... non mais quelle connerie... ! (rires) Je t'embrasse, mon garçon... »

 

Paroles d'Actu : Quel message souhaiteriez-vous adresser à nos lecteurs, notamment celles et ceux qui comptent parmi vos fidèles et seront heureux d'avoir de vos nouvelles, de lire vos mots ?

 

Micheline Dax : Je suis bienheureuse de savoir que l'on ne m'oublie pas, et je vous embrasse tous très fort...

 

Paroles d'Actu : Que peut-on vous souhaiter, chère Micheline ?

 

Micheline Dax :

 

Paroles d'Actu : Aimeriez-vous ajouter quelque chose avant de conclure cet entretien ?

 

Micheline Dax : Profitez de la vie, sans remords... et sans vergogne !

 

 

Quelques lignes...

 

Claire Nadeau

Claire_Nadeau

(Photo : agent)

 

(...) Bien que j'aie rencontré Micheline très tard, à l'occasion des Monologues du Vagin que nous avons joués ensemble plusieurs mois, elle a tout de suite pris une grande place , et je l'ai tout de suite aimée. Micheline et ses indignations légendaires ! Quand je la retrouvais en arrivant au théâtre, elle m'accueillait souvent par un : "Non mais, tu as vu ça, ce pauvre gosse, ce que les gens peuvent être salauds !" en référence à un quelconque fait divers (et il y en avait beaucoup). Pour la taquiner, je lui répondais : "Ah bon, tu connaissais le gamin ?", ce qui avait le don de la faire redoubler de fureur, contre les "salauds", contre moi qui ne compatissais pas autant qu'elle aurait voulu, et puis, très vite on se racontait des histoires joyeuses, et sa bonne humeur revenait, et elle descendait sur le plateau comme une jeune fille, pleine d'entrain et jubilant de jouer ces Monologues. Et, bien souvent, la soirée se poursuivait au restaurant, avec toujours une petite coupe de champagne : "Ça fait un bien fou, tu ne trouves pas ?".

 

Micheline qui n'aimait pas aller se coucher, qui aimait tant la vie tout en râlant contre les uns, les autres, les cons et les salauds, Micheline que je chérissais tendrement, et qui me manque... Merci à vous de perpétuer son souvenir.

 

Bien amicalement,

 

Claire Nadeau. (12/07/14)

 

 

Une réaction, un commentaire ?

Et vous, quels souvenirs garderez-vous de Micheline Dax ?

 

 

Quelques liens...

 

 

13/07/14

Publicité
Publicité
23 août 2014

UMP : Paroles de jeunes militants

« Si l'on en croit un sondage récent (Le Parisien-CQFD-iTélé ; 10-11/07/14), un tiers des sympathisants UMP seraient désormais favorables à une dissolution du parti, une proportion qui aurait doublé en deux semaines. En cause : les révélations touchant au train de vie de certains des cadres de l'UMP et qui suivent de peu le scandale Bygmalion. Ce sur fond de difficultés financières majeures : la dette du parti s’élèverait à 74,6 millions d'euros... Les militants, eux, sont souvent déboussolés : le nombre de ceux à jour de cotisation est en forte baisse... Pour le député-maire de Nice, Christian Estrosi, 'le parti est déjà mort'. J'aimerais vous demander ce que vous inspire la situation de votre formation politique, savoir comment vous envisagez son avenir ? » Voici, sur la base de cette question que j'ai rédigée le 14 juillet dernier, quelques réflexions signées par de jeunes militants de l'UMP, ici disposées par ordre de réception. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

UNE EXCLUSIVITÉ PAROLES D'ACTU

UMP : Paroles de jeunes militants

 

 

Pierre-Henri Bovis

Pierre-Henri BOVIS

P.-H. Bovis est adjoint au maire d'Achères (78) et délégué national des Jeunes populaires.

 

« Tout est à reconstruire »

 

Après la défaite aux présidentielles et la débâcle que nous avons vécue, il existe quelque chose de merveilleux : il y a tout à reconstruire. C’est un message d’espérance à adresser à nos militants et à tous ceux qui n’ont jamais franchi le pas. C’est le moment d’apporter sa pierre pour construire un nouvel édifice avec de nouvelles fondations, de nouvelles idées et une nouvelle dynamique.

 

À ceux qui ont profité de l’étiquette UMP pour être élus et qui aujourd’hui pilonnent le parti et ses responsables : il faut savoir se regarder dans une glace. Fuir l’orage sans l’affronter, c’est lâche, irresponsable et irrespectueux envers les militants et les électeurs qui vous ont accordé leur confiance. Les élus qui ne paient pas leur cotisation n’ont, quant à eux, plus rien à faire au sein du parti, selon moi.

 

Mon expérience de campagne me fait dire aussi qu’il faut laisser la place à la jeune génération, propre de tout soupçon. Elle a des idées, de l’ambition pour son pays. Que ce soit Nicolas Sarkozy ou un autre, le chef de l’UMP devra se rapprocher et s’entourer inéluctablement de la jeunesse, qui n’a pas été assez écoutée. Elle en a assez que l’on parle en son nom avec des idées qui ne sont pas les siennes.

 

Les Français veulent voir de nouvelles têtes prendre les commandes. Toutefois, c’est bien l’expérience qui fait la différence, et c’est pourquoi un Nicolas Sarkozy aujourd’hui me paraît tout à fait légitime pour reprendre les rennes.

 

C’est bien le politique qui doit ciseler l’opinion générale et non l’inverse ; je vois là l’une des difficultés de notre société, où l’inquiétude du passage devant les urnes force certains à adopter des positions parfois contraires à leurs convictions… La force des idées doit suivre la force des convictions pour mener une politique forte, sans peur ni crainte, sans tabou. La nouvelle génération saura y faire face.

 

Et s’il doit y avoir un nouveau parti, il faudra rebattre les cartes des dirigeants politiques avec un nouveau système qui inclue plus de transparence sur la gestion du parti et l’attribution de ses comptes. Une erreur, pas deux. Les jeunes du parti doivent être mieux considérés et avoir plus la parole. C’est à eux d’aller devant les urnes désormais, y compris sur les terres de reconquête.

 

La jeunesse n’est pas le monopole du Front National !

 

Propos recueillis le 24/07/14

Retrouvez Pierre-Henri Bovis sur Twitter, sur Paroles d'Actu...

 

 

Jonas_Haddad

Jonas HADDAD

J. Haddad est adjoint au maire de Bernay (27) et délégué national des Jeunes populaires.

 

« Nous devons nous réinventer »

 

Comme dans toute organisation, il peut exister des déceptions, des désillusions même. Pourtant depuis cet été, il me semble que l'UMP a retrouvé de l'attrait, peut-être tellement d'attrait que les candidatures se multiplient...

 

Au-delà de ces questions de personnes et d'ambitions, la vacuité tient lieu de programme au Gouvernement et l'incantation est le seul levier du FN.

 

En réalité, je sens à Bernay, comme ailleurs en France, que nos concitoyens seront extrêmement exigeants à l'égard de l'UMP et ils ont raison : nous devons nous réinventer.

 

Comme Refonder la Droite, de nombreux groupes de réflexion se créent à l'initiative de la nouvelle génération. Tous ces projets me rassurent pleinement sur notre capacité à recréer un projet 2.0 pour la France : modernisé et mieux connecté aux réalités du pays !

 

Propos recueillis le 21/08/14

Retrouvez Jonas Haddad sur Twitter, sur son site, sur Paroles d'Actu...

 

 

Pierre_Gentillet

Pierre GENTILLET

P. Gentillet est président des Jeunes de la Droite populaire.

 

« L'UMP devra clarifier sa ligne »

 

Clairement la situation n'est pas au beau fixe. Notre parti traverse une crise très grave, sur le fond comme sur la forme.

 

Sur le fond, le parti est entaché de scandales financiers, mais aussi d'une dette colossale, de plus de 70 millions. D'après moi, la vraie crise n'est pas là. On a voulu nous faire croire que les problèmes liés à la gestion du parti étaient la raison du score décevant de l'UMP aux européennes. En réalité, on a exigé la tête de Copé pour éviter de regarder la vérité en face. La raison essentielle pour laquelle nous avons fait un score si décevant, il faut bien le dire, c'est la ligne idéologique adoptée au moment des élections. Notre électorat attend depuis plus de dix ans une véritable politique de droite, c'est à dire gaulliste, souverainiste et réformiste. C'est cette politique-là que nous aurions dû mener au moment des européennes pour arriver en tête. Au lieu de cela, nous avons préférer mener la campagne sur une ligne centriste, libérale et euro béate. Au final, la droite a fait 20% et le Front national a atteint 25%.

 

J'aurais beaucoup aimé que nous puissions avoir à l'UMP un débat sur les raisons de cet échec, il faut bien le dire, aux dernières élections européennes. Au lieu de cela, on s'est contenté de remercier Jean-François Copé.

 

L'avenir de l'UMP ne doit pas passer par des règlements de comptes et de l'étalage d'ambitions personnelles. Les Français s'en moquent complètement. Ce qui les intéresse, c'est de savoir comment on va pouvoir changer leur quotidien, rétablir l'autorité et la souveraineté de l'État, résoudre les problèmes de chômage, d'insécurité dans des quartiers désormais assimilables à des territoires non-français, redonner à la France la place qui devrait être la sienne dans le concert des grandes nations, rendre les Français fiers de leur appartenance à la communauté nationale.

 

Hélas, on risque de se retrouver dans la même situation que la gauche en 2012. Les Français qui voteront UMP ne le feront pas pour les idées mais uniquement pour évacuer le pouvoir en place. À terme ce désamour croissant de la politique peut s’avérer fatal. L'UMP doit donc se repenser, clarifier sa ligne et choisir pour de bon entre une vraie politique de droite et une politique du centre. C'est à cette seule condition que nous récupérerons un véritable vote d'adhésion des Français.

 

Dans le cas contraire, notre parti, et la droite française, courront un grave et réel risque de disparition.

 

Propos recueillis le 22/08/14

Retrouvez Pierre Gentillet sur Twitter...

 

 

R_mi_Tell_2014

Rémi TELL

R. Tell est conseiller délégué à la Jeunesse de Conflans-Sainte-Honorine (78).

 

« Les militants doivent

reprendre la main »

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à première vue, la situation de l'UMP n'est guère reluisante. Affecté par les scandales financiers, par la guerre des chefs, et par l'absence d'une ligne politique claire, notre parti semble être complètement exsangue. Nous avons beaucoup promis, mais très peu fait. Nous en payons aujourd'hui le prix. Ne nous voilons pas la face, notre famille politique est discréditée de ne pas avoir su répondre aux attentes de nos compatriotes, quand nous étions encore aux responsabilités. Mais la crise que nous traversons est une crise qui, j'en suis convaincu, sera une crise salutaire. Et plus que jamais, il y a toutes les raisons de croire en l'UMP. C'est un parti d'avenir. Parce ce que c'est le parti de la jeunesse.

 

En mars dernier, ce sont des dizaines de jeunes maires, certains d'à peine 30 ans, qui ont été élus sous nos couleurs pour agir dans nos villes. Ils ont mis en place des équipes renouvelées qui apportent un grand vent d'air frais dans les localités de notre pays. Si nous avons perdu notre crédibilité au niveau national, nous déjà sommes en passe de la regagner au niveau local. L'UMP est un parti d'avenir, parce que c'est aussi une force militante considérable, Malgré les scandales, malgré leur écœurement légitime, les militants sont restés fidèles à leur engagement. Chaque soir, ce sont des centaines, des milliers d'entre eux qui vont à la rencontre des Français, qui vont frapper à leurs portes, distribuer des tracts dans leurs boites au lettres pour défendre leurs convictions. Ce week-end encore, ils étaient nombreux au campus du Touquet. Leur enthousiasme et leur détermination forcent le respect et l'admiration.

 

La crise, c'est donc celle de l'UMP d'en haut, pas celle de l'UMP d'en bas. Celle des cadres, pas celle des militants. Nous avons un grand rendez-vous à ne pas manquer pour cette année 2014, celui de la désignation de notre président lors du congrès de l'automne. Bruno Le Maire me paraît être le mieux à même de porter ce renouveau dont nous avons tant besoin. C'est un homme droit, sincère, et qui a démontré qu'il était capable de donner la parole aux jeunes, de leur donner une chance. Il est sans conteste l'homme de la situation, et a donc tout mon soutien dans cette campagne qui commence. Après viendra le temps du projet pour la présidentielle de 2017. Quelle France voulons-nous dans dix ans ? Voilà la question à laquelle il va falloir répondre. Les militants devront incontestablement y être associés, car si ils sont déjà le cœur et le poumon de notre mouvement, il est désormais temps d'en devenir la tête.

 

Propos recueillis le 30/08/14

Retrouvez Rémi Tell sur Twitter, en lisant son livre publié chez EdiLivre...

 

 

Une réaction, un commentaire ?

 

Suivez Paroles d'Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

21 août 2014

Daniel Pantchenko : "Aznavour a su conjuguer qualité et chanson populaire"

   Je caressais depuis longtemps l'idée de consacrer à Charles Aznavour, qui a eu quatre-vingt-dix ans le 22 mai dernier, un article qui me permette d'évoquer celles de ses chansons que j'aime, de donner à nos lecteurs une occasion de les (re)découvrir. Avec, à l'appui, du son et de l'image : l'inclusion au document de liens audiovisuels mis en ligne par des passionnés, bien loin de décourager l'éventuelle consommation tarifée d'un produit artistique aurait, au contraire, pour effet d'enrichir l'expérience de l'écrit, d'aiguiser la connaissance, l'appétit du public pour une œuvre remarquable. Ô combien...

   Daniel Pantchenko, qui a signé il y a quelques années Charles Aznavour ou le destin apprivoisé, une biographie de référence sur cet auteur-compositeur-interprète de génie, m'a fait l'honneur d'accepter l'invitation que je lui ai proposée. Il nous ouvre à des titres fort peu connus et revient pour Paroles d'Actu sur le parcours exceptionnel - mais non dénué d'embûches - de celui qu'un sondage CNN/Time avait consacré « artiste du siècle » en 1998 et qui, aujourd'hui encore, après si longtemps, demeure présent, en bonne position, dans le cœur des Français.

   Un hommage à quatre mains, donc, à un artiste dont l'empreinte dans la légende et la grande histoire de la belle chanson française est assurée depuis longtemps. Chapeau bas, Monsieur Aznavour. Merci, Monsieur Pantchenko, pour vos réponses, passionnantes et qui nous donnent envie d'aller plus loin. Pour votre gentillesse. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

DANIEL PANTCHENKO

Auteur de Charles Aznavour ou le destin apprivoisé

 

« Aznavour a su conjuguer

qualité et chanson populaire »

 

Charles Aznavour ou le destin apprivoisé

(Source des photos : D. Pantchenko.

Dont : trois photos provenant de documents de présentation édités par l'Alhambra, 1956.)

 

Q. : 09/06/14 ; R. : 20/08/14

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Daniel Pantchenko. Vous êtes journaliste et l'auteur de plusieurs ouvrages, dont celui qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, Charles Aznavour ou le destin apprivoisé (Fayard), publié en 2006. Ce projet, c'est aussi une histoire d'amitié : vous avez souhaité terminer ce qu'avait entrepris votre ami Marc Robine, décédé en 2003...

 

Daniel Pantchenko : Effectivement. Marc et moi, nous étions journalistes à la revue Chorus, les cahiers de la chanson et nous nous retrouvions surtout à chaque réunion trimestrielle. Aussi passionné l’un que l’autre mais extrêmement différents, nous avions donc des discussions animées au sein de l’équipe dirigée par Fred et Mauricette Hidalgo. Marc m’avait parlé à plusieurs reprises du livre qu’il avait commencé sur Aznavour et il savait que j’avais beaucoup aimé certaines de ses chansons. Pas toujours des plus connues, d’ailleurs, que j’avais apprises par cœur (Sa jeunesse, Plus heureux que moi, Le Carillonneur…). Nous n’étions pas amis intimes avec Marc, mais nous avions une estime professionnelle réciproque. À son décès (l’été 2003), j’ai vu les documents précieux qu’il avait réunis et j’ai lu les quelque 150 feuillets qu’il avait écrits. C’était un travail non finalisé mais remarquable.

 

Dans un premier temps, j’ai pensé qu’il aurait été symbolique de poursuivre son travail avec plusieurs membres de l’équipe, mais cela ne s’est pas produit et j’ai donc décidé de m’atteler seul à la tâche. Je n’avais encore jamais écrit de livre et cela m’a mis en quelque sorte le pied à l’étrier. Comme je souhaitais pouvoir interroger Charles, j’ai fait parvenir le manuscrit de Marc Robine à Gérard Davoust (l’associé d’Aznavour aux éditions Raoul Breton), que j’avais déjà croisé au plan professionnel. Quelques mois plus tard, il m’a téléphoné, enthousiaste, pour me dire que Charles était d’accord pour me rencontrer. Je l’avais déjà interviewé en 1987, lorsque j’étais pigiste au quotidien L’Humanité, mais Charles n’avait plus accepté de participer à une biographie de ce type depuis quarante ans. J’ai alors signé le contrat en septembre 2004 avec les éditions Fayard, avec lesquelles la revue Chorus était partenaire. Et le livre est sorti en mai 2006.

 

PdA : Charles Aznavour naît d'une famille d'artistes le 22 mai 1924, à Paris, presque par hasard... Est-ce au hasard que l'on doit l'installation des Aznavourian en France et, par voie de conséquence, l'émergence d'un des futurs grands ambassadeurs de notre langue ?

 

D.P. : Les parents de Charles Aznavour ont été ballottés par l’Histoire, entre la Révolution russe côté paternel et le génocide arménien en Turquie côté maternel. S’ils se sont installés à Paris, c’est qu’après avoir été l’un des cuisiniers du Tsar, Missak Aznavourian (le grand-père de Charles) y avait émigré et ouvert un restaurant, Le Caucase, où se retrouvaient de nombreux Russes blancs. Mischa (le père de Charles) y travaillera et y jouera du Târ (un instrument à cordes pincées) en chantant pour distraire les clients. En 1980, Aznavour a enregistré une magnifique chanson où tout est dit, Autobiographie, et il avait créé en 1975 Ils sont tombés, sur le génocide arménien.

 

PdA : Le jeune Charles rêve d'abord de devenir acteur, il s'orientera un peu plus tard, plus clairement, vers le monde de la chanson, des cabarets... En 1941, il rencontre le jeune auteur-compositeur Pierre Roche. En 1946, leur chemin croise celui de Piaf. Le duo va bientôt découvrir l'Amérique...

 

D.P. : Beaucoup de chanteurs, tels Reggiani ou Bruel, ont débuté ainsi avant de conjuguer les différentes disciplines ou d’en choisir une. Charles a fréquenté dès l’âge de neuf ans une école du spectacle et débuté tout de suite au théâtre. Avec sa sœur aînée Aïda, ils ont été des « enfants de la balle » (ils ont grandi dans le milieu du spectacle) avant d’être ces Enfants de la guerre que Charles a enregistrés en 1966. Aïda a commencé à chanter avant lui, il a débuté au cinéma à quatorze ans dans Les Disparus de Saint-Agil, de Christian-Jaque, aux côtés de Mouloudji et Michel Simon. Et il va gagner de nombreux radio-crochets avant d’intégrer une troupe où officie déjà sa sœur.

 

De fait, c’est sa rencontre au Club de la Chanson avec le pianiste-compositeur Pierre Roche en 1941 qui se révèlera déterminante. Lors d’une soirée où ils doivent se succéder, la présentatrice se trompe et les annonce ensemble. Du coup, ils décident de monter un duo qui va durer huit ans, orientant définitivement Aznavour vers la chanson. Curieusement, il passera d’ailleurs aussi huit ans auprès de Piaf… qui interprètera huit de ses chansons. Mais si le duo Roche-Aznavour découvre l’Amérique en passant par le Québec, Piaf va pousser Aznavour à chanter en solo et à bâtir sa carrière en France, ce qu’il va faire. En se libérant ensuite de la tutelle de Piaf, dont il dira toujours deux choses essentielles : qu’elle a été très importante pour lui et pour sa carrière ; qu’il n’y a jamais eu d’histoire d’amour entre eux.

 

PdA : Au début des années 50, il écrit pour Bécaud, compose pour Patachou, Gréco... En solo, il peine à décoller...

 

D.P. : Aznavour rencontre Bécaud en 1952 et ils se mettent à écrire ensemble des chansons que l’un et l’autre enregistreront : Viens, Mé qué, mé quéGréco avait remporté un prix avec Je hais les dimanches (qu’avait d’abord refusé Piaf !) ; avant d’auditionner Aznavour dans son cabaret sur la Butte Montmartre, Patachou était secrétaire chez Raoul Breton, l’éditeur obstiné et décisif d’Aznavour (j’ai tenu à lui consacrer tout un chapitre). Bientôt l’auteur Aznavour est chanté par de nombreux interprètes tels Georges Ulmer, Philippe Clay, Les Compagnons de la chanson (on dit que la France est « Aznavourée »), mais le chanteur Aznavour va être l’objet de critiques violentes à la limite du racisme pour ses origines ou sa petite taille, et de façon soi-disant spirituelle pour sa voix au timbre singulier : « l’enroué vers l’or », « l’aphonie des grandeurs », « la petite Callas mitée »… Il lui aura fallu une détermination et un courage hors-norme (sans oublier le soutien sans faille de l’éditeur Raoul Breton) pour venir à bout de tous ces obstacles. D’où le titre du livre (Charles Aznavour ou le destin apprivoisé) qu’avait trouvé Marc Robine, et que j’ai bien entendu conservé.

 

PdA : La consécration vient autour des années 1956-57. Il crée Sur ma vie (1956), son premier grand succès populaire. Le public le fête à l'Alhambra, à l'Olympia; il va, dès lors, enchaîner les contrats. Une vedette est née...

 

D.P. : Aznavour connaît ses premiers vrais succès publics fin 1954 après une tournée en Afrique du Nord, où il a enthousiasmé le propriétaire du Casino de Marrakech, qui est alors également celui du Moulin-Rouge. Il y passe donc ensuite en tête d’affiche, et pendant trois mois. L’année suivante, il sera en « vedette anglaise » de l’Olympia où il créera Sur ma vie, son premier grand succès populaire… que reprendra Hallyday beaucoup plus tard (un article de la revue Music-Hall le qualifie alors de « Monsieur-Force-la-Chance »). Ce n’est pas encore la « consécration » et même si son succès est de plus en plus grand, ladite consécration viendra véritablement avec son arrivée chez Barclay et le choc scénique et médiatique lié à Je m’voyais déjà (entre-temps, le 31 août 1956, un autre choc s’est produit, terrible celui-là, où Charles a failli perdre la vie dans un accident de voiture).

 

Alhambra 1

 

PdA : J'aimerais, à ce stade de notre entretien, vous inviter à évoquer quelques chansons d'Aznavour, à nous livrer les anecdotes dont vous auriez connaissance, votre ressenti face à tel ou tel titre. La liste est totalement subjective, presque égoïste : une sélection, parmi mes préférées. De superbes mélodies. Des textes très riches et, à la fois, désarmants de simplicité, la mise en scène quasi-cinématographique de situations, de sentiments qui peuvent toucher tout le monde... Il y en a qui sont archi-connues, d'autres moins. Une belle occasion, à mon sens, de faire découvrir ou redécouvrir quelques perles de son répertoire...

 

D.P. : En 1954, certains titres, déjà, ont marqué comme Viens au creux de mon épaule et Je t’aime comme ça (cousine annonciatrice de Tu t’laisses aller) et il les a réunis dans un 25 cm. Côté un rien mélodramatique, il y a eu ensuite Le Palais de nos chimères et Une enfant ; côté swing, On ne sait jamais, J’aime Paris au mois de mai, Pour faire une Jam… et toujours lié à la musique, Ce sacré piano ; côté sensualité voire provocation, il y a eu Après l’amourQuand nos corps se détendent …/… Quand nos souffles sont courts »), et des titres que parfois Piaf et Bécaud ont un peu édulcorés. Le mieux, c’est quand même d’écouter tous ces titres qu’on trouve aisément sur le web.

 

PdA : Sa jeunesse (Année : 1956. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Bien sûr, Sa jeunesse est une pure merveille, dans l’œuvre d’un auteur-compositeur où la thématique du « temps » est omniprésente (« C’est normal pour quelqu’un qui a peur de la mort », me confiera-t-il). Il l’associera plus tard à Hier encore, autre merveille (la chanson préférée, je crois, de Marc Robine), et il ne faut jamais oublier chez Aznavour la dimension mélodique extraordinaire. La sienne propre d’abord, mais aussi, celle de son grand complice (et beau-frère) Georges Garvarentz, qui a signé – en outre - de nombreuses musiques de films. Pour revenir à Sa jeunesse, Charles a écrit le texte fin 1949 à l’époque de son passage québécois au Faisan Doré avec Pierre Roche, et il n’a composé la musique que sept ou huit ans plus tard…

 

PdA : Les deux guitares (Année : 1960. Paroles : C. Aznavour. Musique : Tzigane russe.)

 

D.P. : C’est l’une des toutes premières chansons d’Aznavour chez Barclay (après Tu t’laisses aller), adaptée d’un air traditionnel russe, et qui prend valeur de symbole en évoquant les racines et les années d’enfance à travers la musique et l’ambiance des restaurants ouverts par son père. L’arrangement est de Paul Mauriat et on retrouvera cette ambiance et cet esprit musical en 1980, dans Autobiographie, cette longue et incontournable chanson déjà évoquée.

 

PdA : Je m'voyais déjà (Année : 1960. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Le 12 décembre 1960, pour la première de presse du passage d’Aznavour à l’Alhambra, Barclay a fait tirer pour les VIP un 45 tours / 2 titres spécial avec Je m’voyais déjà et L’Enfant prodigue. Pour la première chanson, Charles a imaginé toute une mise en scène, de dos au public, qui va se révéler très efficace. Et susciter un triomphe et l’avènement d’une vedette, bientôt internationale (d’où le chapitre que j’ai intitulé « L’effet 'Je m’voyais déjà' »). Bien qu’elle paraisse très autobiographique, Charles a maintes fois répété que cette chanson lui a été inspirée par un artiste croisé dans un cabaret belge.

 

PdA : Bon anniversaire (Année : 1963. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : C’est dans l’album qui s’ouvre sur For me… formidable (paroles de Jacques Plante, l’auteur de La Bohême). Ce titre doux-amer sur un anniversaire de mariage calamiteux, mais où l’amour reste le plus fort, s’inscrit dans l’esprit de Tu t’laisses aller, qu’on retrouve encore dans l’album à travers Dors et Tu exagères. L’homme y a quand même un peu trop le beau rôle, extrêmement compréhensif et patient à l’égard de cette femme qu’il aime « malgré tout ». Cette « abnégation » gentiment auto-célébrée aurait eu un peu de mal à passer dix ans plus tard avec l’essor du mouvement féministe.

 

PdA : La mamma (Année : 1963. Paroles : R. Gall. Musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Énorme tube sur un texte du père de France Gall, et encore sur une mélodie efficace de Charles. Il y a un côté cinématographique à l’Italienne, un récitatif, un refrain-cantique et une montée finale typiquement aznavourienne… Mais comme toujours, pour les chansons de Charles qui ont eu un tel succès et qu’on a – à mon goût – un peu trop entendues (c’était un peu le cas dans le même album avec Et pourtant), j’ai préféré ici Je t’attends (musique de Bécaud) ou Les Aventuriers (encore un texte de Jacques Plante).

 

PdA : À ma fille (Année : 1964. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Là, j’ai beaucoup aimé l’ensemble de l’album (à part son tube, Que c’est triste Venise) même si je trouve À ma fille un peu convenu. Cela étant, Charles (40 ans) sait les « dangers » qui guettent sa fille Patricia qui a alors 17 ans… l’âge de plusieurs de celles qu’il courtise dans ses chansons (Viens, Donne tes seize ans, Trousse-Chemise…). Et comme je l’ai dit plus haut, ici, c’est Hier encore que je préfère, l’une des plus belles de Charles à mon sens.

 

Alhambra 2

 

PdA : La Bohème (Année : 1965. Paroles : J. Plante. Musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Celle-ci aussi est évidemment superbe. Elle a permis à l’opérette Monsieur Carnaval (sur un livret de Frédéric Dard, alias San-Antonio) d’obtenir un grand succès. La chanson n’y était pas prévue au départ. Sentant immédiatement l’impact qu’elle pouvait avoir, Charles l’a enregistrée avant la vedette du spectacle, Georges Guétary, ce qui a provoqué un sérieux accrochage entre les deux artistes et leurs maisons de disques respectives. Tous ayant vendu beaucoup, la réconciliation eut lieu assez vite.

 

PdA : Et moi dans mon coin (Année : 1966. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Chantre inlassable du sentiment amoureux, Aznavour parle rupture d’une manière cinématographique et promène son œil-caméra sur la femme aimée et son rival, dont il saisit clairement et avec accablement le « manège ». Il y a souvent des saynètes de ce genre chez Charles, qui n’oublie jamais qu’il est comédien (il a enregistré Les Comédiens quelques années plus tôt). Il y a, dans ce même disque, Les Enfants de la guerre dont j’ai déjà parlé, et un exercice de style assez rare qui vaut le détour, éclairant d’intéressante façon la façon d’écrire du chanteur : Pour essayer de faire une chanson.

 

PdA : Emmenez-moi (Année : 1967. Paroles : C. Aznavour. Musique : G. Garvarentz.)

 

D.P. : Encore un titre-culte, et dont près d’un demi-siècle après, les deux dernières lignes du refrain gardent toute leur actualité : « Il me semble que la misère / Serait moins pénible au soleil ». Avec, une fois de plus cette touche cinéma, qui invite particulièrement bien au voyage.

 

PdA : Non, je n'ai rien oublié (Année : 1971. Paroles : C. Aznavour. Musique : G. Garvarentz.)

 

D.P. : Rebelote, et de façon magistrale, dans ce flash-back de plus de six minutes, avec la patte de Garvarentz, roi de la musique de film. Excellent en scène, of course, ce que plusieurs critiques ont souligné.

 

PdA : Comme ils disent (Année : 1972. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Inspirée à Charles par certains de ses amis (et déconseillée alors prudemment par des proches), cette chanson reste encore aujourd’hui la plus connue au plan symbolique sur le thème de l’homosexualité. Aucun chanteur de sa notoriété n’avait alors osé l’aborder ainsi et en finesse. Comme je l’ai noté dans le livre, des militants et autres artistes « engagés » ont déploré alors qu’Aznavour n’ait pas écrit cette chanson dix ans plus tôt. Quand on voit les débats pour le moins houleux qu’a provoqué « le mariage pour tous », on se dit qu’il y a encore du travail… À noter que cette chanson d’Aznavour sera la dernière à obtenir autant de succès (avec, à un degré moindre, Les Plaisirs démodés, sur ce même album).

 

PdA : Je t'aime A.I.M.E. (Année : 1994. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : J’avoue que cette chanson en forme d’exercice de style ne m’a pas vraiment passionné, même si elle illustre parfaitement une des manières d’écrire de son auteur.

 

PdA : Une autre, de votre choix ?

 

D.P. : Là, c’est le genre de question à laquelle je ne répond jamais, parce que la chanson que je choisirai aujourd’hui sera différente demain, et encore différente après-demain. Mais la question suivante me permettra de résoudre plus ou moins ce dilemme.

 

PdA : Justement... Quelles sont, notamment parmi celles qui sont un peu moins connues, vos chansons préférées d'Aznavour, celles qui, de votre point de vue, mériteraient d'être connues davantage ?

 

D.P. : Il y en a beaucoup, et le bonheur que m’apporte chacune de mes biographies, où je mets en avant l’artiste et son œuvre, c’est lorsqu’une personne me dit que sa lecture lui a donné envie de découvrir d’autres chansons de l’artiste en question. J’ai découvert Aznavour lorsque j’étais adolescent, au début des années 60, et j’ai adoré sa voix et son premier disque Barclay, avec Les deux guitares, bien sûr (peut-être à cause de mes origines paternelles ukrainiennes : à Bordeaux, on allait sur des bateaux soviétiques de passage, on trinquait et des marins chantaient des variantes - façon corps de garde - de cette chanson d’origine traditionnelle qui les faisaient beaucoup rigoler, mais pas nous, malgré la traduction).

 

Dans ce même disque, j’adorais Fraternité, Rendez-vous à Brasilia et surtout J’ai perdu la tête et Plus heureux que moi, que j’avais apprises par cœur et que je me chantais souvent. Et plus encore même, Le Carillonneur, dans le disque suivant, avec Il faut savoir. Le Carillonneur, c’est sur un texte de Bernard Dimey, auquel j’ai consacré un chapitre (38), car c’est le seul auteur auquel Aznavour a lui-même consacré tout un album (en 1983).

 

Ensuite, j’ai découvert des chansons antérieures qui m’ont aussi beaucoup plu comme On ne sait jamais, J’aime Paris au mois de mai, Sa jeunesse, Il y avait, Sur la table, C’est merveilleux l’amour, Ce sacré piano… Et puis encore, dans les années 60, L’Amour c’est comme un jour, Les petits matins, Avec, Le Toréador

 

Alhambra 3

 

PdA : Quelle image vous êtes-vous forgée, pour l'avoir étudié, rencontré plusieurs fois, de l'homme Charles Aznavour ?

 

D.P. : D’abord, « forger », c’est vraiment un verbe qu’utilise beaucoup Aznavour et qui lui correspond très bien, en homme – j’y reviens - qui a su apprivoiser son destin. Je l’ai effectivement rencontré plusieurs fois, mais vous savez, c’était dans un contexte privilégié où le rapport était évidemment facilité, simple, préparé par Gérard Davoust et empreint de confiance réciproque. Pour autant, j’ai constaté son professionnalisme, son souci du détail, son souci primordial pour sa famille, et aussi son humour, jeux de mots à l’appui…

 

PdA : Avez-vous été étonné, surpris par certaines découvertes, certaines révélations lors de la préparation de votre ouvrage ?

 

D.P. : Pas vraiment. Marc Robine avait déjà réuni de nombreux documents et, comme j’avais déjà écrit sur Aznavour (interview comprise), je le connaissais pas mal. J’ai appris des choses, comme j’en apprends chaque fois sur les artistes, des choses importantes mais pas véritablement surprenantes.

 

PdA : En 1998, CNN et les internautes de Time le consacrent « artiste du siècle » devant Elvis Presley et Bob Dylan. C'est un choix que vous comprenez, que vous auriez pu faire vous-même ?

 

D.P. : Pour moi, ce type de classement n’a pas vraiment de sens en matière artistique et donc, ne m’intéresse pas (même si cela a été indiqué en quatrième de couverture de mon livre).

 

PdA : Quel est, au fond, l'apport de Charles Aznavour à la chanson française ? Que lui doit-elle ?

 

D.P. : Charles rappelle toujours que son nom n’est jamais cité parmi les « grands » de la chanson française. Sans doute son immense succès populaire est-il en partie responsable de cela, et sans doute y a-t-il contribué lui même en se prêtant à certaines opérations plus médiatiques qu’artistiques. Il reste qu’il a su conjuguer qualité et chanson populaire, un certain nombre de ses compositions n’ayant rien à envier à personne, personne n’ayant par ailleurs porté comme lui cette expression culturelle française à travers le monde, au fil d’une carrière d’une exceptionnelle longévité.

 

Daniel_Pantchenko

(Photo de Claudie Pantchenko.)

 

PdA : Nous ne conclurons pas cet entretien avant d'avoir évoqué, l'espace d'un instant, votre dernier ouvrage : Serge Reggiani, l'acteur de la chanson. Reggiani, grand interprète qui, c'est heureux, revient dans l'actualité et sur les ondes, dix ans après sa disparition... Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire cette nouvelle biographie ?

 

D.P. : Exceptée la biographie d’Aznavour, écrite après le décès de Marc Robine qui l’avait amorcée, les trois suivantes (Jean Ferrat, Anne Sylvestre et aujourd’hui Serge Reggiani) répondent toujours de ma part à un souci fondamental : combler un manque éditorial à propos d’une chanteuse ou d’un chanteur importants à mes yeux, dont j’ai suivi professionnellement la carrière. Il n’existait pas de biographie vraiment pointue de Reggiani, que j’ai interviewé cinq fois entre 1981 et 2003.

 

Tout en abordant l’ensemble de sa carrière et de sa vie, j’ai centré naturellement mon travail sur la chanson, sur son répertoire remarquable et sur sa dimension d’acteur, avec cette voix émouvante reconnaissable entre mille. Et je me suis rendu compte que, toutes générations confondues, la plupart des gens auxquels j’ai parlé de mon projet d’écrire sur Reggiani ont réagi spontanément en disant : « J’adore ! »

 

PdA : Quels sont vos projets pour la suite, cher Daniel Pantchenko ?

 

D.P. : J’ai quelques idées de nouvelles biographies, mais pour l’instant, rien n’est arrêté. Je réfléchis également à des choses plus personnelles et je commence à réunir du matériel divers sans savoir encore ce que cela donnera et à quelle échéance…

 

PdA : Quelque chose à ajouter ?

 

D.P. : Sans doute, mais j’ai déjà beaucoup répondu et le mieux et de chercher directement dans le livre la réponse à d’autres éventuelles questions…

 

PdA : Merci infiniment...

 

Ndlr : Il m'a fallu opérer quelques choix s'agissant des chansons évoquées lors de l'interview et qui ont été commentées par M. Pantchenko. J'aurais pu en citer d'autres, que j'apprécie beaucoup, dont Être, Je voyage ou encore Un Mort vivant. N.R.

 

Aznavour Pantchenko

(Photo de Francis Vernhet, datée de janvier 2006.)

 

Et vous, que vous inspire l'œuvre de Charles Aznavour ? Quelles sont, parmi ses chansons, celles que vous préférez ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

Pour aller plus loin...

  

9 août 2014

Antoine Coppolani : "Nixon était capable du meilleur... comme du pire"

   Le 9 août 1974, à midi - heure locale -, la démission de Richard Nixon devint effective. Cette décision, le 37e président des États-Unis l'avait annoncée au peuple américain et au monde la veille, par une allocution restée célèbre. « D'après les discussions que j'ai eues avec des membres du Congrès et d'autres leaders, j'ai conclu qu'à cause de l'affaire du Watergate, je n'aurais sans doute plus l'appui du Congrès, appui que je considère comme indispensable pour prendre des décisions très difficiles et pour m'aider à accomplir les devoirs de ma charge dans le sens des intérêts de la nation. Quand je commence quelque chose, je le termine. Abandonner mes fonctions avant que mon mandat ne soit terminé est contraire à tous mes instincts. Mais comme Président, je dois faire passer en premier les intérêts des États-Unis. » (source : Larousse) 

   L'ampleur des événements, de leurs déflagrations, la teneur des révélations du scandale dit du « Watergate » - appellation générique par laquelle on a pris l'habitude de désigner toute une série de (mé)faits allant bien au-delà du cambriolage de 1972 - ne laissaient plus d'alternative : chacun en convenait, Nixon allait devoir partir, de gré ou de force. Son départ volontaire, s'il fut loin de la fin de carrière dont il aurait rêvé, lui évita au moins la disgrâce suprême : l'impeachment par le Congrès. Le gouvernement allait pouvoir recommencer à travailler, le pays commencer à panser ses plaies. Dans les deux cas, la tâche sera longue et difficile. La grâce octroyée par Gerald Ford à son prédécesseur, en septembre 1974, lui coûtera - on peut sérieusement le penser en tout cas - l'élection de 1976. Pour le reste, le bilan, le bottom line, les historiens jugeront.

   Que reste-t-il, quarante ans après, du scandale du « Watergate », de la présidence de Richard Nixon ? Réduire la seconde au premier serait, à l'évidence, simpliste à l'excès. Le sénateur Bob Dole n'avait-il pas promis, à l'heure des obsèques de l'ancien président, en 1994, que l'on parlerait bientôt de la dernière moitié du XXe siècle comme de l'« ère Nixon »; ce même Nixon qu'on avait recommencé, les dernières années, à consulter, à louer pour son expertise en matière de politique étrangère ? Voici, en marge de l'anniversaire de cette démission, une interview de M. Antoine Coppolani, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry Montpellier III et auteur d'un ouvrage remarquable, sobrement intitulé Richard Nixon (Éd. Fayard, 2013). Merci, Monsieur ! Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

ANTOINE COPPOLANI

Auteur de Richard Nixon

 

« Nixon était capable du meilleur...

comme du pire »

 

Richard_Nixon

(Source des photos : A. Coppolani)

 

Q. : 07/08/14 ; R. : 09/08/14

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Antoine Coppolani. Le 9 août 1974, Richard Nixon mettait prématurément fin à son mandat. Celui qui, vingt et un mois plus tôt, avait été réélu triomphalement allait quitter la présidence des États-Unis par la (toute) petite porte, frappé de disgrâce. S'il n'avait démissionné, il aurait très probablement été destitué par le Congrès...

Cette affaire dite du « Watergate » aura empoisonné la vie politique américaine pendant deux longues années. Obstructions à la justice, abus de pouvoirs, de la confiance que les citoyens avaient placée en lui, en leur président : le traumatisme est réel auprès du public américain. Quel regard portez-vous, quarante ans après le départ de Nixon, sur cette affaire incroyable ?

 

Antoine Coppolani : Oui, une affaire « incroyable », et en tout cas inédite, qui a conduit à la seule et unique démission d’un président américain. À maints égards, l’ombre du Watergate plane depuis sur la vie politique américaine. C’est devenu l’archétype du scandale politique, celui à l’aune duquel tous les autres sont mesurés. Il n’est que de voir la pléthore de suffixes « gate » accolés, aux États-Unis, en France, et de par le monde, à toute une série d’affaires. À ce jour, bien sûr, aucune d’entre elles n’est capable de rivaliser avec le scandale suprême, le Watergate.

 

Or, le Watergate, c’est tout à la fois peu de choses, mais aussi, de façon indéniable, un scandale d’exception. « Peu de choses », je conviens que cette expression puisse choquer le lecteur. Elle reprend en somme la ligne de défense de Nixon. Le Watergate ? Pas même un « cambriolage de troisième ordre », comme l’avait appelé son attaché de presse : une « tentative de cambriolage de troisième ordre » avait corrigé Nixon en 1972. Pas de quoi fouetter un chat; une sordide et banale affaire d’espionnage politique. C’est d’ailleurs cette perception des faits, et sans doute le cynisme de l’opinion publique, habituée à pire, qui explique que de nos jours les sondages révèlent que, pour les jeunes adultes américains, le Watergate n’est pas vraiment un scandale politique d’exception...

 

Et pourtant ! Le Watergate fut un scandale politique d’exception, pour au moins deux raisons. La première, l’inouïe entreprise de dissimulation, entrave à la justice et abus de pouvoirs caractérisés; le fameux cover-up, qui conduisit Nixon à demander à la CIA d’intervenir pour que le FBI suspende son enquête sauf à nuire aux intérêts de la sécurité nationale des États-Unis. La seconde, c’est que le cambriolage des locaux du Comité national démocrate, sis dans l’immeuble du Watergate, à Washington, D.C., ne fut que la partie émergée de l’iceberg. Rapidement, le terme Watergate devint un terme générique, embrassant tout ce que l’Attorney General John Mitchell appela les « horreurs de la Maison-Blanche » (Mitchell lui-même finit en prison pour avoir trempé dans ces basses oeuvres). La somme de ces indélicatesses ou délits flagrants en vint à constituer une nébuleuse épaisse d’actes illégaux et répréhensibles. C’est aussi cela, le « vrai » Watergate.

 

PdA : Le personnage de Nixon a quelque chose de fascinant et dont l'étude relèverait sans doute, pour partie, de la psychanalyse : il a été, au cours de sa longue carrière, capable d'authentiques moments de grandeur (je pense à la manière avec laquelle il a choisi de gérer sa défaite contestable face à Kennedy en 1960, notamment) et, à d'autres moments, coupable des bassesses les plus inexcusables. Comment percevez-vous l'homme Richard Nixon ?

 

A.C. : S’il y a un mot qui caractérise Nixon, c’est bien celui de « paradoxe ». Je crois juste la définition que donnait de lui H.R. Haldeman - son plus proche collaborateur avec Kissinger -, l’homme qui fut le secrétaire général de la Maison-Blanche avant d’être envoyé, lui aussi, en prison par le Watergate. Il comparait la personnalité de Nixon aux multiples facettes d’un cristal de quartz : « Certaines brillantes et étincelantes, d’autres sombres et mystérieuses. […] Certaines fort profondes et  impénétrables, d’autres superficielles. Certaines douces et polies, d’autres brutes, rugueuses et coupantes. ».

 

Nixon était capable du meilleur, comme du pire. Paradoxe ultime, il savait faire preuve de beaucoup de grâce et de qualités d’homme d’État dans les crises et la défaite. Mais il était en revanche beaucoup moins noble dans la victoire et le succès. Vous citez à juste titre son attitude irréprochable en 1960 lors de sa défaite, d’un cheveu, contre Kennedy. Or, en 1972, alors qu’il avait écrasé McGovern, le candidat démocrate et que tous les sondages le donnaient, depuis des mois, gagnant, il eut une attitude beaucoup moins noble, et même quasiment pathologique. Ses proches, en particulier Charles Colson, un autre des protagonistes centraux du Watergate, ont décrit un Nixon renfermé et paranoïaque à l’heure de son triomphe. Et, à peiné réélu, il accumula d’ailleurs des erreurs qui allaient contribuer à sa chute, comme celle d’exiger une démission collective immédiate de ses collaborateurs à la Maison-Blanche ! Comme si on changeait une équipe qui gagne...

 

PdA : « Le jugement de l'histoire », disait Nixon, « repose sur ceux qui l'écrivent ». À quoi un bilan honnête, juste de sa présidence devrait-il ressembler, à votre avis ?

 

A.C. : Il allait même plus loin que cela. « L’histoire me traitera bien. Les historiens probablement pas, car ils sont pour la plupart de gauche », affirmait en 1988 Richard Nixon durant l’émission Meet the Press. Bref, Nixon a cherché à politiser une domaine qui ne devrait pas l’être, celui de la recherche historique. Et, lui-même, comme Kissinger, tous deux auteurs prolixes, se sont personnellement chargés d’écrire « leur » histoire, ou en tout cas leur « part de vérité ». Aussi, tenir la balance égale, parvenir à un bilan équilibré sont-ils des tâches ardues.

 

C’est ce que je me suis efforcé de faire, dans ma biographie, en ayant pour fil conducteur une masse considérable et précieuse d’archives inédites ou nouvellement déclassifiées. La tâche, une fois encore, était ardue : j’y ai donc consacré plus de huit années et j’ai jugé nécessaire de dépasser les mille pages de texte, car les débats et polémiques abondent dans la longue carrière de Nixon : anticommunisme; Chasse aux sorcières, Guerre froide; Vietnam/Cambodge; Chili; Realpolitik; crimes de guerres, voire crimes contre l’humanité; droits civiques/discrimination positive; Watergate, etc.

 

PdA : Reste-t-il encore quelque chose de l'affaire du « Watergate », de Nixon aujourd'hui ?

 

A.C. : De l’affaire du Watergate, sans nul doute, comme évoqué en réponse à votre première question. De Nixon, sans nul doute aussi, ne fût-ce que par ses succès éblouissants en politique étrangère. « L’ouverture » de la République populaire de Chine, un des éléments les plus fondamentaux de l’histoire du XXe siècle, en est le témoin. Et c’est sur cet héritage que nous vivons encore aujourd’hui, avec la place de plus en plus grande prise par la Chine sur échiquier mondial. « Nixon goes to China » : cette expression est le pendant du Watergate. Les deux côtés du bilan de Nixon. Sa face obscure, le Watergate, et sa face brillante, un succès diplomatique extraordinaire, devenu un modèle que cherchent à imiter les chefs d’État. Imaginez un Obama qui se rendrait à Téhéran avant de conclure la paix au Proche-Orient...

 

Nixon avait pris conscience de l’affaiblissement relatif des États-Unis à la fin de la décennie soixante et au début de la décennie soixante-dix (Vietnam, parité stratégique avec l’Union soviétique, concurrences économiques nouvelles de la CEE et du Japon, divisions et fractures profondes de la société américaine…). La moindre de ses qualités n’est pas d’être parvenu, dans ce contexte très défavorable, à avoir redonné toute leur place et leur poids aux États-Unis dans le concert des nations.

 

Antoine_Coppolani_Hano_

 

 

Une réaction, un commentaire ?

 

 

Vous pouvez retrouver Antoine Coppolani...

 

Publicité
Publicité
Paroles d'Actu
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 056 103
Publicité