Le mois dernier, Jean-Vincent Brisset, général de brigade aérienne en retraite et directeur de recherches à l’IRIS, acceptait de répondre, pour le blog, aux questions d’actualité que je lui avais soumises quelques jours auparavant. En cette journée de « débat » à l’Assemblée nationale sur l’intervention aérienne en Syrie planifiée dans le cadre de la lutte contre l’État islamique, j’ai souhaité l’inviter à nous livrer son point de vue sur ce moment politique et, au-delà, sur la manière dont il entrevoit, fort de son expertise précieuse sur les affaires aériennes notamment, la suite des opérations. Je le remercie pour la bienveillance qu’il m’a, une fois de plus, témoignée. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Jean-Vincent Brisset : « On ne détruira Daesh
qu’en s’attaquant à son financement et à sa logistique »
Sur le débat à l’Assemblée nationale, le 15 septembre 2015
L’Assemblée nationale vient de débattre sur les frappes aériennes en Syrie, débat retransmis sur LCP. Le moins que l’on puisse en dire est qu’il a été décevant. Décevant parce que les discours, à l’exception d’une partie de l’intervention du ministre de la Défense, sont restés de la très basse politique politicienne. Des seaux de larmes de crocodiles versés sur le sort des victimes, des torrents de bonnes intentions, de la communication. D’un côté un Premier ministre expliquant, droit dans ses bottes comme un Cahuzac face à la même Assemblée, que la ligne de la France sur le sujet n’avait jamais changé. Des députés qui, selon leur appartenance, vont de la critique molle et politiquement correcte à la flagornerie. Des présidentes de commissions pataugeant dans l’angélisme. La conclusion par le Premier ministre a été largement consacrée à une démolition en règle d’une opposition très divisée sur le sujet. Elle comprenait aussi, outre le whishful thinking sur la création d’une coalition anti-État islamique dont le Président serait l’initiateur, des affirmations sur le refus de tout contact avec Bachar qui font craindre que la France ne soit, comme elle l’a été en Iran, un frein à une solution diplomatique.
« Pour les politiques, les militaires sont des pions »
On en a oublié que l’on était là pour parler de l’engagement de la France dans une guerre. Et qu’un tel engagement avait des conséquences qui ne sont pas que de politique et de légalité internationale. À part d’étonnantes déclarations de la présidente de la Commission de la Défense sur l’augmentation des moyens de la Défense (?), rien ou presque sur les aspects pratiques de l’engagement décidé, sur les risques encourus, sur les cibles, sur les coordinations indispensables avec les autres intervenants, sur les coûts... RIEN. Encore une fois, les députés, tous bords confondus, et le gouvernement démontrent qu’ils considèrent les militaires comme des pions que l’on agite et la « guerre » comme une opération dématérialisée autour de laquelle on communique. La notion même de « but de guerre » est ignorée.
Quels « buts de guerre » ? Quelle stratégie politico-militaire pour la Coalition ?
Les « buts de guerre » ne sont pas définis de manière claire, même si les discours martiaux se multiplient et se répètent autour d’une même phrase : « Il faut anéantir Daesh ». Mais l’État islamique n’est pas Carthage, et c’est ce que nos politiques ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre, ou font semblant de ne pas comprendre. On en reste à une conception selon laquelle la victoire s’obtient soit par la reddition complète de l’ennemi (qu’il soit anéanti ou seulement brisé), soit par une négociation. Mais ce type de victoire ne s’obtient que face à un adversaire dont le format est clairement défini. C’est loin d’être le cas.
Et l’équivoque ne se limite pas là. Parce que les gouvernants tendent à se prendre pour des chefs de guerre, surtout quand ils pensent que c’est bon pour leur image, ils se limitent à une perspective d’action essentiellement militaire. C’est facile et cela ne demande que le courage des exécutants. Et, si on se limite aux frappes aériennes, le risque de voir revenir des cercueils reste limité.
« Les coalisés n’ont pas de but de guerre commun »
Dans la lutte qui oppose aujourd’hui la « Coalition » et l’EI, les paramètres sont autrement plus nombreux. Surtout en Syrie. On est loin du schéma « un camp contre un autre ». Et les « coalisés » n’ont pas de « but de guerre » commun. Loin de là. Mais, sans se plonger ce débat, une chose est sûre, qui n’est pratiquement pas abordée : la suppression de la menace Daesh ne passera que par un tarissement de son financement et de sa logistique. Il faudrait pour cela une volonté commune qui n’existe actuellement pas et un courage politique encore plus improbable.
Quelle place pour la France au sein de la coalition ?
Pour le moment, l’action envisagée se limite à une action par des moyens aériens. Ceux engagés par la France en Irak peuvent être renforcés et/ou redéployés, mais on atteint vite des limites capacitaires. Le Premier ministre a déclaré que la France choisirait seule ses objectifs. C’est oublier que la France n’est pas la seule à survoler la Syrie et qu’une coordination est indispensable. Elle est nécessaire pour éviter les interférences entre aéronefs de la coalition. Elle doit aller plus loin, au niveau renseignement, ne serait-ce que pour éviter les tirs fratricides et les dommages collatéraux.
« Les forces françaises en Syrie seront tributaires d’autres
membres de la coalition en terme de logistique »
Plus loin encore, les moyens français engagés, déjà tributaires de soutiens au sol sur les terrains de stationnement, ne pourront pas se passer de l’aide apportée - entre autres - par les AWACS et les ravitailleurs de la coalition. On ne peut donc pas imaginer que la France puisse se singulariser alors qu’elle ne l’a pas fait en Irak. Par contre, le fait de donner une grande importance à l’indépendance que procure une bonne capacité de renseignement permet, comme c’était déjà le cas au Kosovo, de valider au niveau national des objectifs qui pourraient être proposés par un autre membre de la coalition.
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Vous pouvez retrouver Jean-Vincent Brisset...
- Sur le site de l’IRIS.
- Sur son site, Brisset.org.
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