Bertrand Tessier : « Sardou n'a pas son pareil pour capter l'air du temps »
Le 14 octobre paraissait, chez Fayard, Sardou : 50 années ensemble, un riche retour en texte et en images sur la carrière et la vie de Michel Sardou. Si le chanteur en a écrit la préface, l’ouvrage, lui, est signé Bertrand Tessier, journaliste et auteur de nombreux livres sur, notamment, les parcours de quelques artistes populaires. Le 18 octobre, il m’envoyait les réponses aux questions que je lui avais écrites et envoyées par mail six jours plus tôt. Merci à lui. Bonne lecture... et bonne écoute ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Bertrand Tessier: « Sardou n’a pas son pareil
pour capter l’air du temps »
Paroles d’Actu : Bonjour Bertrand Tessier, merci de m’accorder cette interview à l’occasion de la sortie de votre dernier ouvrage en date, Sardou : 50 années ensemble (il y a quatre ans, déjà, vous co-composiez Les images de ma vie chez Flammarion). Comment en êtes-vous arrivé à nous présenter aujourd'hui ce livre édité chez Fayard ? Parlez-nous de ce projet ?
Bertrand Tessier : Qui peut se targuer d’avoir cinquante ans de carrière dans la chanson en France ? Qui plus est : cinquante ans de succès. Nous nous connaissons depuis plusieurs années ; il a, je crois, confiance en moi. Il était logique de célébrer ce bel anniversaire avec un livre à la hauteur du personnage. Un livre de grand format, où s’entremêlent textes, photos, documents d’archives…
PdA : Quelle était votre perception de l’homme Michel Sardou avant de travailler sur et avec lui ?
B.T. : J’avais l’image d’un homme bougon, râleur, difficile d’accès. En fait, c’est une protection. Une manière de mettre de la distance. À partir du moment où il vous a adopté, il se montre tel qu’il est vraiment : charmant, fin, cultivé, délicieux, drôle. En plus, à la différence de toutes les stars que j’ai pu rencontrer au cours de ces dernières années, il a une immense qualité : il n’est pas du tout égomane !
PdA : Avez-vous fait de réelles découvertes sur l’artiste et l’homme lors de l’édification de cet ouvrage ?
B.T. : Le but de ce livre n’était pas de faire des « révélations » plus ou moins sulfureuses mais de retracer une carrière année par année, à la fois à travers ses disques, mais aussi à travers les reportages photo qu’il a accordé à la presse. Ce qui est fascinant, c’est de voir la quantité de choses qu’il a faites en cinquante ans : disques, concerts, tournées, pièces, films, téléfilms, émissions de télévision. C’est un bourreau de travail ! Et en cinquante ans de carrière, il n’a pas connu le moindre passage à vide : il a toujours eu le public de son côté.
PdA : Michel Sardou a souvent été et demeure, de par certaines de ces chansons et ses nombreuses prises de position, un personnage controversé. Comment recevez-vous et analysez-vous ses « engagements » ? Sardou est-il « politique » ?
B.T. : Politique, non, car ce n’est pas un homme d’engagement. Il n’est inféodé à aucun parti ni aucune idéologie. En revanche, je dirais que c’est un chanteur de société. Depuis ses débuts, il raconte la société française et ses évolutions. Les villes de solitude, consacrée aux villes nouvelles qu’on n’appelait pas encore les cités, c’est Starmania cinq ans plus tôt ! Il n’a pas son pareil pour capter l’air du temps. On lui a collé une étiquette de droite et de facho après Je suis pour, dont il a reconnu que le titre était une erreur - ce n’était en rien un plaidoyer pour la peine de mort, mais l’illustration de la loi du talion.
En France, on aime ranger les artistes dans des tiroirs. On lui a fait de véritables procès en sorcellerie : qui peut, sincèrement, douter de la dimension parodique, ouvertement humoristique, de Le temps des colonies ? Il a eu toutes les peines du monde à se départir de cette image. Aujourd’hui, les clivages sont différents, on voit bien à quel point il est avant tout un homme libre. Et c’est ce qui plaît. Dans le monde politiquement correct qui est le nôtre, un artiste qui n’hésite pas à ouvrir sa gueule pour dire ce qu’il pense, cela fait du bien !
PdA : L’espèce de détachement désabusé et, en même temps, d’autodérision aux traits prononcés dont il fait régulièrement montre depuis quelques années reflètent-ils à votre avis le vrai de sa personnalité ?
B.T. : Désabusé, je ne pense pas qu’il le soit. Il a gardé le même enthousiasme. Regardez les photos lors de sa dernière tournée : il y a dans son regard quelque chose qui pétille. La scène est vraiment son domaine. Mais son regard sur le monde a évidemment évolué, notamment sur le personnel politique… il n’est plus dupe de rien, si tant est qu’il l’ait jamais été. En ce qui concerne l’autodérision : le mot est juste. Non seulement il a beaucoup d’humour, mais il en a beaucoup envers lui-même.
PdA : Quelles sont, parmi ses chansons, celles qui ont votre préférence - et pourquoi ?
B.T. : Ses grands classiques : La maladie d’amour, En chantant, Les lacs du Connemara, etc. J’aime beaucoup ses chansons d’album, comme on dit : des titres qui ne sont pas voués à devenir des tubes, mais où il exprime des choses très personnelles, avec une qualité d’écriture tout à fait exceptionnelle. J’ai aussi une tendresse toute particulière pour Musulmanes. Vous en connaissez beaucoup, des artistes qui sont capables de propulser au sommet des hit-parades le mot « musulmanes » ? En concert, c’est au moment où retentissent les youyous de la chanson que ses fans accourent au pied de la scène… Preuve que cette chanson vaut tous les plaidoyers pour la tolérance…
PdA : Comment définiriez-vous la place qu’occupe, la trace que laissera Michel Sardou dans le paysage musical français ?
B.T. : On l’a pris pour un fabricant de tubes ; c’est un artiste singulier qui au fil des ans a construit une véritable œuvre. Il est entré dans le patrimoine français. Voir ses détracteurs d’hier l’encenser aujourd’hui en est la meilleure preuve.
PdA : Depuis quelques mois, l’objet premier de notre entretien semble privilégier de plus en plus clairement les scènes de théâtre aux salles de concert. Il chantera encore, ça ne fait aucun doute, mais il semble avoir perdu un peu de cette envie, s’agissant au moins de créations nouvelles. Quel est votre ressenti sur cette question ?
B.T. : Il a 68 ans et le marché du disque a évolué. Aujourd’hui, on ne cherche plus à construire des carrières, mais à faire des coups. Il ne se reconnaît pas dans cette évolution. Lui a toujours privilégié la durée. Ses derniers albums ont malgré tout été des succès. Il craint le disque de trop. Et puis, le théâtre est son vieux rêve. Comme il le dit souvent, il est devenu chanteur par accident : il se destinait à être comédien. Il ne fait pas du théâtre par défaut mais par passion.
PdA : Pourquoi le fan de la première heure / l’amateur occasionnel / le curieux serait-il, de votre point de vue, bien inspiré de s’emparer de votre livre ? Qu’a-t-il de plus que tous les précédents ? Vos meilleurs arguments ?
B.T. : Pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre ? Parce qu’il y a tout Michel Sardou dedans ! Les coulisses de ses disques, de ses tournées, de ses pièces… Quatre cents photos dont de nombreux documents inédits : Anne-Marie, son épouse, m’a notamment confié de nombreuses photos qu’elle a faites de Michel…
PdA : Si vous aviez un message à adresser à Michel Sardou, là, maintenant ?
B.T. : « Remets-toi à écrire des chansons ! Ta place est unique, le public suivra. »
PdA : Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, Bertrand Tessier ?
B.T. : Continuer à alterner livres et documentaires pour la télévision, continuer à osciller entre l’univers du cinéma et celui de la musique.
Photo : Thomas Dusseau / SudOuest.fr
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Pour aller plus loin...
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- Le site de Bertrand Tessier : www.bertrandtessier.com.
- Les chansons de Michel Sardou : Amazon, Fnac, Deezer, MusicMe, Dailymotion et YouTube.
- L’interview Paroles d’Actu de Frédéric Quinonéro datée de juin 2014.
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