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Paroles d'Actu
8 janvier 2016

Nicole Bacharan : « Donald Trump donne des sueurs froides à l'appareil républicain »

Le 1er février prochain, l’Iowa, petit État du Midwest des États-Unis, se retrouvera comme tous les quatre ans au centre de l’attention nationale : c’est comme d’habitude dans l’Iowa que s’ouvrira le bal des primaires pour la désignation par chacun des partis des candidats à la présidentielle américaine. Le point de départ d’une année électorale longue et intense qui s’achèvera en deux temps : le 8 novembre, jour des élections générales ; le 20 janvier 2017, date de la prise de fonction du successeur de Barack Obama (empêché par la Constitution de candidater à un troisième mandat) et de l’ensemble des élus de novembre.

J’ai souhaité inviter Nicole Bacharan, politologue de renom qui compte parmi les meilleurs experts des affaires américaines, à nous livrer son analyse autour de trois questions que je lui ai envoyées (05/01). Je tiens à la remercier pour ses réponses (08/01), claires et éclairantes, et au-delà pour la bonté, la fidélité qu’elle m’a témoignées. Je signale que son prochain ouvrage, Du sexe en Amérique, sortira chez Robert Laffont le 4 février. Et profite de cet article, le premier de 2016, pour vous souhaiter à toutes et à tous, pour vous et vos proches, une bonne année. Qu’elle vous soit favorable... Nicolas Roche

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Donald Trump donne des sueurs froides

à l’appareil républicain »

Interview de Nicole Bacharan

 

Donald Trump

Donald Trump en campagne. Photo : Mandel Ngan/AFP/Getty Images.

 

Paroles d’Actu : Est-ce que la position de domination d’un Donald Trump dans les sondages pour la primaire présidentielle républicaine nous dit quelque chose de l’évolution, de l’état du parti qui fut, à l’origine, celui de Lincoln ?

 

Nicole Bacharan : L’engouement suscité par Donald Trump nous révèle un parti républicain en pleine crise. Depuis les années 90, le parti a dérivé de plus en plus vers la droite. L’élection de Barack Obama en 2008 a provoqué un rejet violent de la part de l’électorat le plus conservateur, et donné naissance au mouvement des Tea Parties, frange certes marginale, mais très virulente. Le racisme n’était pas absent de cette révolte conservatrice. Cet électorat militant, en colère, a élu au Congrès de jeunes représentants très radicaux, opposés à tout compromis. Le leadership républicain traditionnel est la première cible de ces jusqu’au-boutistes. Alors que le système institutionnel américain est construit de manière à obliger les différentes branches du gouvernement (exécutif, législatif, judiciaire) à négocier entre elles, le refus systématique du compromis aboutit à des blocages répétés, à une inefficacité générale, et provoque une grande frustration dans l’opinion américaine.

 

« Le parti républicain fait peur à beaucoup d’Américains »

 

Le parti républicain, à la merci des radicaux, est ainsi devenu un parti qui fait peur à beaucoup d’Américains, qui se révèle capable de gagner des élections locales et régionales, mais est voué à l’échec dans les élections nationales. En 2012, le candidat « modéré » Mitt Romney a ainsi terminé les primaires très affaibli par les attaques de son propre parti. Il avait adopté des positions ultra-conservatrices pour tenter de plaire aux plus militants, qui votent beaucoup plus que les autres électeurs, et quand il a tenté de revenir au centre dans l’élection finale, il avait perdu toute crédibilité.

 

En 2015, Donald Trump a donné une voix tonitruante à cet électorat en révolte. La majorité de ses soutiens se trouvent parmi des hommes blancs, d’âge mûr, non diplômés, aux revenus plutôt modestes. Ces « hommes blancs en colère » (même si, bien sûr, on trouve aussi des femmes, des jeunes, des diplômés, des personnes fortunées parmi les enthousiastes de Trump) ont le sentiment d’être laissés pour compte, ils pensent que le gouvernement est tout occupé à favoriser les minorités - Noirs, Latinos, immigrants - à leur détriment. Donald Trump leur dit en substance : « On veut vous faire taire ? Moi je vais parler pour vous ! »

 

Quel que soit le futur candidat républicain en novembre 2016, il se sentira obligé de courtiser la frange « Trump ». Mais il risque ainsi de faire fuir les électeurs modérés, indispensables à une victoire présidentielle. Donald Trump représente le cauchemar des élites républicaines déterminées à reconquérir la Maison Blanche.

 

PdA : L’Amérique qu’on qualifiait sans grand doute d’hyperpuissance il y a vingt ans n’a cessé depuis de se trouver en proie à des remises en question de tous ordres, souvent à la suite d’épisodes de vie collective traumatisants : l’horreur du 11 septembre bien sûr ; les guerres terriblement coûteuses à tous niveaux d’Afghanistan et d’Irak ; la tragédie Katrina ; le choc financier et économique de la fin des années 2000 ; la persistance à peu près inébranlée des fléaux que constituent la criminalité, le racisme. Vous connaissez bien le peuple américain : est-ce que vous percevez des traits distincts qui, depuis vingt années, seraient venus se greffer à l’âme, à l’identité américaine (à considérer qu’une telle chose existe) pour, finalement, en former une nouvelle, un peu différente ? Posé autrement : est-ce que l’Américain de 2016 a quelque chose qui le caractérise par rapport à celui des années Clinton ? des années Reagan ?

 

N.B. : Contrairement à ce que l’on entend souvent, l’Amérique de 2016 n’est pas en déclin. Son économie, même si elle garde des fragilités, est de loin la plus prospère et même la plus stable du monde développé. Sa capacité d’innovation reste intacte, ainsi que l’attraction qu’elle exerce sur les inventeurs et les entrepreneurs étrangers. La force militaire américaine demeure la première du monde, loin devant tout autre pays. Mais les États-Unis n’ont ni la volonté ni la possibilité réaliste de jouer le rôle de « gendarme du monde ». Leurs adversaires ne les redoutent plus, leurs alliés ne les suivent plus guère.

 

« Les États-Unis de 2016 sont un gendarme fatigué »

 

La Russie a réussi à imposer un statu quo précaire et tout à son avantage en Ukraine. Elle bombarde les cibles de son choix en Syrie sans être inquiétée. La Chine défie les États-Unis sur les mers d’Asie du Sud-Est. La Corée du Nord continue ses provocations. Le Moyen-Orient est plongé dans une tourmente que les États-Unis savent ne pas pouvoir maîtriser. Barack Obama n’aurait pas le soutien de son opinion pour des aventures militaires lointaines, que beaucoup ressentent comme vouées à l’échec. Il agit à travers les sanctions, les frappes de drones, les opérations spéciales, la guerre cybernétique. Il a fait un pari risqué avec l’accord nucléaire avec l’Iran, dont le succès ou l’échec mettra longtemps à apparaître. Les États-Unis de 2016 sont un gendarme fatigué, qui rêve de désengagement, et ne parvient pas à développer une vision claire du rôle qu’il devrait jouer dans un monde éclaté.

 

PdA : Qu’est-ce qui, parmi les points que l’on peut anticiper aujourd’hui, posera défi aux citoyens américains, aux parlementaires qui les représenteront et aux administrations qui les gouverneront dans les huit années qui suivront les élections de novembre ?

 

N.B. : L’Amérique, comme l’Europe, continuera à être confrontée à la question de la sécurité à l’époque du terrorisme mondialisé, qui peut venir de l’extérieur comme naître directement de l’intérieur du pays.

 

Sur le plan de l’économie, les inégalités croissantes, l’absence de progression des salaires, et le montant disproportionné de la dette étudiante constituent les plus grandes difficultés. Même si la réforme de la santé continue à être remise en cause, même si elle peut certainement être améliorée, je ne pense pas que l’on puisse revenir sur son principe, ni enlever leur assurance médicale à des millions d’Américains qui y ont accès pour la première fois.

 

La réforme de l’immigration - dont chacun sait les contours qu’elle devrait prendre, sous la forme d’une légalisation progressive des « sans papiers » qui n’ont pas eu maille à partir avec la justice - reste indispensable, mais fait toujours l’objet de débats partisans très violents.

 

« L’Amérique ne pourra se passer

d’un débat sur le contrôle des armes à feu »

 

Enfin, le président tente de mettre la question du contrôle des armes à feu au cœur du débat de l’élection, et même de la présidence à venir. Même si, comme il le dit lui-même, il faudra certainement beaucoup d’années pour progresser sur ce sujet, c’est un problème majeur pour l’avenir du pays.

 

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