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Paroles d'Actu
9 janvier 2016

Olivier Da Lage : « L'Arabie Saoudite jouit d'un leadership incontesté sur le monde sunnite »

Olivier Da Lage, journaliste à Radio France internationale (RFI) depuis 1983, connaît très bien le Moyen-Orient, région qu’il a beaucoup étudiée et pratiquée et à laquelle il a consacré de nombreux articles et plusieurs ouvrages, dont Géopolitique de lArabie Saoudite (Éd. Complexe, 1996/2006), Ces trente ans qui ébranlèrent le golfe Persique (Éd. du Cygne, 2011) et Qatar : les nouveaux maîtres du jeu (Éd. Démopolis, 2013). Dans un contexte marqué, sur fond de frictions confessionnelles inaltérées, par la recrudescence des tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et par l’omniprésence de la problématique Daesh, il a accepté de répondre (09/01) aux questions que je lui ai proposées (07/01). Je le remercie pour le sérieux avec lequel il a considéré ma requête et espère que cet article aidera à clarifier certains points obscurs, à mieux comprendre une réalité complexe. Nicolas Roche

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« L’Arabie Saoudite jouit d’un leadership

incontesté sur le monde sunnite »

Interview dOlivier Da Lage

 

Ambassade saoudienne à Téhéran

L’ambassade d’Arabie Saoudite à Téhéran en flammes, le 2 janvier. Photo : Atta Kenare/AFP/Getty Images.

 

Paroles d’Actu : Après l’aggravation des tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran provoquée par l’exécution d’un important dignitaire chiite par le royaume des Saoud, nombre de pétromonarchies du Golfe ont apporté leur soutien explicite à Riyad. Est-ce un phénomène que l’on retrouve peu ou prou dans d’autres capitales sunnites ? Au fond ma question est la suivante : l’Arabie Saoudite bénéficie-t-elle nécessairement auprès de ceux des sunnites qui s’intéressent à la géopolitique d’une image de « leader » parmi d’autres en vue d’une « cause commune » ou bien n’est-ce là qu’un cliché basé sur une vision faussée des fractures confessionnelles dans l’Islam ?

 

Olivier Da Lage : Le soutien des autres monarchies du Golfe membres du Conseil de coopération du Golfe (à l’exception notable du sultanat d’Oman) était acquis. À la fois parce que plusieurs d’entre elles partagent les craintes saoudiennes vis-à-vis de l’Iran, notamment le Bahreïn, et parce que les pressions saoudiennes qui s’exercent sur elles ne leur laissent guère le choix. Il y a quand même des nuances, car si le Bahreïn a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran, comme l’Arabie, les autres se sont contentés de rappeler leur ambassadeur. Le Soudan et Djibouti ont également rompu leurs relations diplomatiques avec Téhéran. Mais on peut imaginer que la dépendance financière de ces pays à l’égard de Riyad est une partie importante de l’explication. Le poids de l’aide financière saoudienne pèse lourd dans le positionnement de nombreux pays. Cela étant, il ne fait pas de doute que le monde sunnite partage largement une même inquiétude à l’égard de l’Iran et de son influence. L’Arabie cherche bien entendu à se poser en leader du monde sunnite. Une position que pour le moment, aucun autre pays musulman ne cherche à lui disputer.

 

PdA : L’Égypte ne s’inscrit pas dans cette logique de luttes d’influence sur la base de lignes confessionnelles ?

 

ODL : L’Égypte, qui s’inscrit également dans ce conflit chiites-sunnites, dans la lignée du soutien qu’avait apporté le président Moubarak à Bagdad lors de la guerre Iran-Irak, est trop affaiblie par sa situation intérieure pour pouvoir prétendre à son traditionnel rôle de chef de file du monde arabe. Par conséquent, Le Caire s’aligne largement sur les positions de Riyad.

 

PdA : La lecture qu’on se fait de l’Islam dans les hautes sphères de l’Arabie Saoudite et du Qatar diffère-t-elle de manière substantielle - j’entends, sur le fond de la doctrine - de celle qui a cours chez les idéologues d’Al-Qaïda et de Daesh ?

 

ODL : Difficile à dire. Dans les sphères gouvernementales du Qatar, je ne pense pas que l’on se reconnaisse dans la doctrine de l’État islamique, même si cette dernière puise dans le wahhabisme qui est la doctrine religieuse commune au Qatar et à l’Arabie. Dans le cas de l’Arabie, c’est plus compliqué. Il y a certainement une parenté, un cousinage entre la doctrine dont se réclame l’établissement religieux wahhabite qui légitime le pouvoir de la famille al-Saoud et celle de Daesh. Le très net raidissement du pouvoir saoudien depuis l’arrivée du roi Salman en janvier 2015, avec la multiplication des exécutions et des châtiments corporels donne du crédit à ceux qui font le lien entre les deux, ce qui a le don de mettre en fureur les responsables du royaume, qui ont menacé de procès tous ceux qui établissent une telle comparaison.

 

PdA : L’Arabie Saoudite et le Qatar, en tant qu’États souverains ou individus proches du pouvoir, ont-ils favorisé directement, de par des formations ou des financements, la propagation d’un Islam fondamentaliste hors de leurs frontières - peut-être à l’intérieur des nôtres ?

 

ODL : D’une manière ou d’un autre, sans aucun doute. Pas avec la volonté de subvertir la société française, mais parce que tout simplement, ils considèrent comme de leur devoir (et aussi de leur intérêt) de promouvoir l’Islam partout dans le monde (c’est la daawa, l’appel islamique) et il se trouve que la forme d’islam qu’ils favorisent est celle qui leur ressemble, comme on a pu le voir avec l’émergence de courants salafistes là où ils n’existaient pas, ou étaient négligeables : en Asie centrale, en Afrique, dans les Balkans, et en Europe occidentale.

 

PdA : Comment expliquer les revirements (récents) de ces États par rapport à, disons, leurs positions d’ambiguïté face au terrorisme islamiste ?

 

ODL : Pour au moins deux raisons : du fait des pressions internationales (venues notamment des États-Unis et dEurope), mais surtout parce que l’État islamique leur a déclaré la guerre, ce qui ne leur laisse guère le choix.

 

PdA : Les ambiguïtés manifestées jusqu’à récemment par la Turquie de R.T. Erdogan face à Daesh ont-elles des fondements autres qu’économiques (trafics, etc.) et tactiques (affaiblissement des positions kurdes) ?

 

ODL : Non pas vraiment. Il y a aussi l’objectif affiché depuis quatre ans de renverser le régime de Bachar al-Assad en Syrie, et pour ce faire, tous les moyens sont bons.

 

PdA : Daesh peut-il être vu, dans un contexte de renforcement objectif du croissant chiite, comme un avatar du nationalisme sunnite pour les sunnites d’Irak et de Syrie notamment ?

 

ODL : Oui, très certainement. Pour des raisons avant tout opportunistes. En Irak et en Syrie, les populations sunnites se considéraient comme opprimées par les chiites (en Irak) ou le pouvoir alaouite en Syrie. Les jihadistes de l’État islamique sont apparus comme plus déterminés et efficaces que les autres mouvements pour les débarrasser de ces oppresseurs, ce qui explique largement la facilité avec laquelle quelques dizaines de milliers de combattants seulement ont pu venir à bout de l’armée irakienne dans les zones habitées par les sunnites en Irak.

 

PdA : Quelles sont les clés pour atteindre, à plus ou moins long terme, l’objectif largement partagé d’une reprise en main de ces pays par des modérés non (ou moins) sectaires ?

 

ODL : La réponse est tout sauf évidente : il faut que les pays occidentaux cessent de bombarder de façon indiscriminée des zones sunnites, faisant immanquablement des victimes civiles parmi les populations sunnites ; que l’on profite du processus diplomatique en cours avec l’Iran pour lui demander d’user de son influence de façon modératrice sur ses protégés en Irak et en Syrie (ce qui suppose qu’on traite l’Iran en partenaire à part entière) ; que l’on noue un partenariat avec les tribus sunnites de ces pays pour les détacher du soutien à l’État islamique (cette tendance se manifeste déjà) ; que l’on coupe les débouchés financiers et commerciaux de de Daesh à l’étranger ; que l’on poursuive la guerre secrète visant à éliminer les principaux cadres de l’organisation, sans faire intervenir ouvertement des soldats occidentaux sur un sol considéré comme musulman par tous les acteurs régionaux. Enfin, que l’on encourage un processus régional de désescalade, ce qui promet d’être extrêmement difficile dans l’avenir prévisible, au vu du récent regain de tension entre l’Iran et l’Arabie.

 

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