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Paroles d'Actu
4 mars 2016

Jean-Clément Martin : « Robespierre était un pragmatique, il n'a pas théorisé la Terreur »

Jean-Clément Martin est un des spécialistes les plus éminents de la période ô combien troublée de la Révolution française (entendue ici comme s’achevant à l’avènement de Bonaparte à la tête du pays). Professeur émérite à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne et ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française (IHRF), M. Martin a notamment composé une Nouvelle Histoire de la Révolution française (Perrin, 2012) qui fait référence et, tout récemment, une biographie de l’« Incorruptible », Robespierre, la fabrication d’un monstre (Perrin, 2016). Il a accepté, sur la base de ce dernier élément bibliographique, de répondre à mes questions, ce dont je le remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Robespierre était un pragmatique,

il n’a pas théorisé la Terreur »

Interview de Jean-Clément Martin

Q. : 01/03 ; R. : 03/03

 

Robespierre 

Robespierre, la fabrication d'un monstre, aux éd. Perrin.

 

Paroles d’Actu : Dans quelle mesure peut-on dire, s’agissant de Maximilien Robespierre, que les idéaux des Lumières, ceux de son temps, ont contribué à le construire en tant qu’homme et en tant que citoyen ?

 

Jean-Clément Martin : Qui pourra assurer que les idees des Lumières ont façonné les personnalités de la Révolution ? Et quelles Lumières d’ailleurs ? La polémique liée au dernier livre de Jonathan Israël (Les Lumières radicales, aux éd. Amsterdam, ndlr) rappelle que les définitions mêmes des Lumières sont imprécises, et on sait bien que des révolutionnaires comme Marat ne peuvent pas être rattachés simplement aux courants des Lumières. Robespierre, comme de très nombreux autres députés de 1789, a reçu une éducation classique qu’il a partagée aussi bien avec de futurs partisans comme avec de futurs  opposants. En outre, il est manifestement lié à un horizon chrétien réformateur par ses parents et leurs relations arrageoises. Vouloir expliquer la Révolution par l’héritage des Lumières est une habitude de pensée qui n’explique rien.

 

PdA : 1792 : la France déclare la guerre « au roi de Bohême et de Hongrie » - en fait à la Maison d’Autriche. Robespierre compte parmi les rares révolutionnaires avancés à s’opposer à cette aventure extérieure, pourquoi ?

 

J.-C.M. : Lorsque la France déclare la guerre au roi de Bohême et de Hongrie - mais aussi au roi de Prusse - l’élection du nouvel empereur n’est pas encore faite, ce qui explique la formule précise employée à raison par les députés. Robespierre est initialement favorable à la guerre, ce qui est régulièrement oublié. Il se rallie ensuite, au bout de quelques semaines à cette position, dénonçant le risque de la prise de pouvoir par un général victorieux. Il demeure cependant très isolé, étant en butte aux critiques de la majorité des députés et de l’opinion publique. Ce refus, qui le distingue des Girondins jusqu’à la fin de 1792, est abandonné lorsqu’il se rallie de fait à la guerre contre les Anglais tout en affirmant son rejet de la guerre de conquête. Il soutient l’offensive contre la Vendée longtemps avant de prendre ses distances, au début de 1794.

 

PdA : Quelle est, au-dehors et au-dedans, la situation de la France de la Révolution à l’heure où sont instaurées les premières mesures de ce qui, pris tout ensemble, restera dans les mémoires sous l’appellation de « Terreur » ?

 

J.-C.M. : La « Terreur » n’a jamais été un « système » avant que les thermidoriens n’assurent que Robespierre en aurait été l’inspirateur et le chef. Il n’y eut jamais de loi instaurant la Terreur. Il y eut bien des mesures qui mirent en place un état d’exception (tribunal révolutionnaire, loi des suspects, etc.), ceci en réponse aux demandes formulées par les sans-culottes et pour faire face aux menaces sur les frontières et devant les insurrections « fédéralistes » et vendéenne. Ces mesures doivent être lues comme le moyen de contrôler les surenchères politiques et d’empêcher le retour des massacres, comme ceux de septembre. Il y eut là une politique, éventuellement cynique, pour faire la « part du feu » en laissant les individus les plus violents accomplir des gestes atroces servant cependant à l’établissement de la révolution. Il convient de rappeler que la guerre mobilise à peu près 600 000 hommes à ce moment et que cette guerre ne peut se conclure que par la victoire ou la disparition du régime révolutionnaire.

 

PdA : Est-ce que le régime de la Terreur tel qu’il a été pratiqué a participé de manière décisive à, pour faire simple et certainement grossier au vu des crimes commis par ailleurs, faire triompher ou en tout cas préserver la France issue de la Révolution face aux forces de la Réaction ?

 

J.-C.M. : Vous comprendrez que je ne peux pas vous répondre. Il n’y eut jamais de « régime de terreur », pas plus qu’il n’y eut d’unité des révolutionnaires. Les violences les plus grandes de 1793 sont liées aux concurrences entre députés de la Convention et sans-culottes, celle du printemps de 1794 sont elles liées aux rivalités entre membres des comités ! Il est aussi illusoire de penser que la « réaction » ait organisé la lutte contre la Révolution. Une fois ceci posé, il est cependant évident que les exigences de la guerre ont pesé sur le contrôle imposé et surtout sur l’emploi des sans-culottes dans les armées envoyées en Vendée. Les crimes de guerre commis alors ont été permis par cette situation compliquée.

 

PdA : La Terreur pose-t-elle, comme l’affirment certains auteurs, une partie des fondations des régimes totalitaires du XXème siècle ?

 

J.-C.M. : Je laisse ce genre d’imputations à ceux qui pensent la Terreur en adoptant les inventions thermidoriennes sans les confronter à la réalité des faits. Il conviendrait aussi de ne pas voir la révolution française comme la seule révolution violente, comme il est souvent dit.

 

PdA : Quelle image vous êtes-vous forgée de Robespierre finalement ? Quelle perception avez-vous de sa personne, de ses actions et des traces qu’il a laissées derrière lui ?

 

J.-C.M. : Je ne me suis pas forgé d’image de Robespierre et je n’ai pas eu la prétention de donner un portrait psychologique. J’ai voulu replacer Robespierre en son temps, le comparer avec ses pairs et ses rivaux. Il s’agit d’un homme « ordinaire » qui a incarné peu à peu une ligne politique, parfois involontairement, parfois même en étant isolé - notamment lorsqu’il réclame la mort du roi sans jugement. Après l’été 1793 il devient dans la Convention l’un des représentants de la gauche révolutionnaire, meme s’il est conduit à envoyer les sans-culottes à la guillotine. Il suit ainsi une ligne politique pragmatique en fonction des luttes internes entre conventionnels. Après le printemps 1794, il inspire beaucoup d’inquiétude à ses pairs qui le voient comme un dictateur potentiel. Ceci explique que Thermidor se réalise en fixant l’image de Robespierre comme un « tyran » et un « monstre ». Il ne s’agit pas de penser qu’il a été « responsable » de sa trajectoire et de l’image qu’il a laissée.

 

Jean-Clément Martin

Source : éd. Vendémiaire.

 

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