J’ai découvert sur la toile il y a trois ans, presque par hasard, l’artiste Mathieu Rosaz, auteur-compositeur-interprète de grand talent. Une interview fut réalisée dans la foulée puis publiée sur Paroles d’Actu. Un vrai coup de cœur : rares sont ceux qui savent aussi bien que lui chanter, « transmettre » Barbara. Ses compositions propres valent elles aussi, clairement, le détour. Son actualité du moment, c’est justement la sortie de son dernier opus perso en date, l’EP Oh les beaux rêves. Une voix sensuelle, des textes et mélodies fins et sensibles, à son image. Et une belle occasion de l’inviter à se confier, la quarantaine passée depuis peu, sur sa carrière, ses projets et envies... Comme une sorte de bilan d’étape. Cet exercice-là, il l’a de nouveau accepté, et il y a mis beaucoup de sincérité, je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
« Je revendique mon goût pour la variété »
Interview de Mathieu Rosaz
Q. : 31/03 ; R. : 03/04
Oh les beaux rêves, nouvel EP disponible sur iTunes, Amazon, Spotify et Deezer.
Paroles d’Actu : Merci Mathieu de m’accorder ce nouvel entretien, trois ans après notre première interview. La première question que j’aimerais te poser n’est pas des plus joyeuses, elle touche à l’actualité, une actualité décidément bien sombre... Paris, cette ville que tu aimes tant, est naturellement le théâtre de nombre de tes chansons ; les hommages que tu lui rends en rappellent d’autres dont ils sont bien dignes. Comment as-tu vécu à titre personnel les événements tragiques du 13 novembre dernier ? Est-ce qu’il y aura clairement, pour ce qui te concerne, un « avant » et un « après » cette date ?
Mathieu Rosaz : Il est finalement difficile de ne pas dire de banalités à ce sujet… Comme tout le monde j’ai été terriblement choqué, bouleversé. J’étais pas loin des Halles ce soir-là quand j’ai reçu l’information. Il a fallu rentrer en rasant les murs. J’habite à 10 minutes à pied du Bataclan. L’idée de l’avant et de l’après ne se situe pas pour moi autour du 13 novembre 2015. Cela fait bien plus longtemps qu’une guerre plus ou moins sournoise est déclarée. Cela date du 11 septembre 2001.
PdA : Lors de notre échange de février 2013, nous avons largement évoqué ton travail autour de l’œuvre de Barbara, dont tu t’es fait - c’est un ressenti personnel - l’un des plus beaux interprètes. On entend beaucoup tourner depuis quelques semaines l’album Très souvent, je pense à vous que Patrick Bruel a consacré à la « Dame brune ». C’est fait avec sincérité et respect, comme toujours avec Bruel... mais il y a chez toi, dans ton interprétation d’elle, un vrai supplément d’âme par rapport à ce que lui fait (j’invite simplement nos lecteurs à comparer vos deux versions de Madame (liens : la version Rosaz et la version Bruel). Comment as-tu reçu son album ? N’est-ce pas frustrant sincèrement de voir la promo monstre qu’il y a autour par rapport à tes créations à toi, qui en mériteraient sans doute au moins autant ?
M.R. : J’ai été ravi du projet de Patrick Bruel. Cela faisait un bon moment que j’étais persuadé que l’œuvre de Barbara avait besoin pour continuer à vivre d’être portée par un nom, par une figure populaire. Forcément, avec le temps, le public de Barbara s’étiolait un peu, vieillissait, même si certains continuaient à la découvrir. Il fallait un coup de projecteur médiatique et Patrick Bruel l’a donné en allant en parler partout. Et il en parle bien. Son disque est très bien produit, avec des arrangements raffinés, des harmonies renversées et des directions musicales audacieuses, risquées aussi. Son chant est sobre. Je n’ai absolument rien à lui reprocher. On a le droit de ne pas aimer une voix mais on n’a toujours pas réussi malgré les progrès de la science à greffer de nouvelles cordes vocales sur quelqu’un. J’ai vu proliférer à l’égard de Bruel des insultes inacceptables, avec des relents d’antisémitisme parfois. C’est une honte. Qu’est-ce que ces gens qui insultent en prétendant défendre l’oeuvre de Barbara ont compris à Barbara ? Le public qui vient voir Bruel chantant Barbara sur scène n’est pas le public de Barbara mais son public à lui. Après plus de trente ans de carrière, il s’offre un rêve et son public l’aime assez pour le suivre. Depuis cette mise en lumière de Barbara, des projets se débloquent : films, émissions. C’est formidable. Le but de tout cela est que des gens qui ne connaissaient pas Barbara la découvrent. Et le but est atteint. Tout va bien !
PdA : Ton actualité, c’est la sortie au début de l’année d’un nouvel EP que tu as choisi d’intituler Oh les beaux rêves. Quelle a été l’histoire de cette création-là ? En quoi porte-t-elle à ton avis la marque d’une évolution depuis l’album La tête haute quitte à me la faire couper ! sorti en 2009 et que tu disais être dans notre interview ton « disque le plus abouti » ?
M.R. : Je n’avais pas sorti de chansons inédites depuis 2009, à l’exception de quelques unes postées directement sur YouTube de temps en temps. J’ai fait ce petit disque à la base pour les quelques personnes qui ont la bonté de me suivre, et d’attendre… Il n’y a que sept chansons. Quatre d’entre elles ont été écrites aux alentours de l’été dernier. Rapidement, facilement et spontanément. Je n’avais pas envie d’attendre encore d’avoir de quoi faire un album entier, d’autant que le format bref du EP me convient et me semble en totale adéquation avec une époque où même si on a du temps, on est moins disponible car submergés d’informations et de tentations. J’ai eu quarante ans et sans que cela soit une véritable révolution intérieure, je l’ai senti passer. Je n’en reviens pas de ne plus faire partie des « jeunes » ! Même si je n’ai jamais eu l’impression d’être particulièrement jeune… Mais bien qu’étant une vieille âme de naissance, je pouvais encore faire illusion… Les chansons traduisent donc les humeurs traversées ces derniers temps. Les illusions et les désillusions dans Oh les beaux rêves, la quête de sérénité et un certain détachement dans Vivre au bord de la mer, une de mes préférées, et les souvenirs d’enfance, toujours très présents dans N’ai-je jamais grandi ?.
PdA : Dans un des titres du dernier opus, L’éphémère, on retrouve des thèmes qui te sont chers et que tu viens en partie d’évoquer : la jeunesse qui s’enfuit, les angoisses liées au temps qui passe inexorablement, le désir ardent de plaire toujours et la hantise de la solitude... Est-ce que ce sont là des questions qui sont prégnantes dans ton esprit, et notamment depuis que tu as passé, l’an dernier, ce fameux cap de la quarantaine ?
M.R. : Attention, je ne parle pas vraiment de moi dans L’éphémère. Cette chanson est née de l’observation de quelqu’un qui dansait, qui était beau, jeune, qui formait un tout très cohérent. Et je me suis demandé comment allait vieillir cette créature ? Comment allait-elle négocier le virage ? Je ne sors plus beaucoup en boite mais à l’époque où je sortais, j’observais. On voyait parfois des gens d’un âge certain, dirons-nous, qui s’accrochaient. Mais elles seules étaient dupes. Si toutefois elles l’étaient. Il pouvait y avoir quelque chose de pathétique. C’est l’éternelle question : comment être et avoir été ?
PdA : La chanson Oh les beaux rêves m’a elle aussi beaucoup touché. On y oscille entre désillusions et espoirs. Où se situe ton curseur à ce niveau-là ?
M.R. : Le bilan est fait et cette chanson le résume. Maintenant il faut avancer !
PdA : Sur cet EP comme dans d’autres chansons, je pense à tes reprises de Madame, de Le bel âge de Barbara, à ton emblématique Banquette arrière pour ne citer qu’elles, tu abordes souvent, avec beaucoup de finesse et de sensibilité, le thème des amours au masculin. Est-ce que ça a été évident, facile à faire pour toi au départ ? Est-ce qu’à ton avis il est plus simple de chanter cela aujourd’hui qu’il y a vingt, dix ans ?
M.R. : Le problème est que si j’écris une simple chanson d’amour en disant « il » et non « elle », la chanson deviendra une chanson « gay » et plus une chanson d’amour, tout simplement. Cela fausse la donne. Mieux vaut employer le « tu » dans ce cas, si possible. Il n’est pas plus simple de chanter ce type de choses aujourd’hui qu’il y a vingt ans car finalement et malheureusement, malgré tout, les mentalités ont très peu évolué en vingt ans. Elles ont presque régressé d’ailleurs. Même si globalement, si on se base sur ces cinquante dernières années, il y a eu du progrès. Un nouveau type de blocage a débarqué : celui des gays eux-mêmes. Beaucoup sont à la tête d’importants médias et j’ai clairement l’impression qu’ils ne veulent pas trop entendre parler de ce qui pourrait avoir un rapport avec l’homosexualité, leur homosexualité… Il y a aussi un facteur économique. Les homosexuels restent une minorité et le graal reste pour beaucoup la timbale à décrocher auprès de ce qu’on appelle le grand public.
PdA : « La » chanson signée Barbara que tu aurais aimé écrire ?
M.R. : Perlimpinpin, bien sûr, entre autres.
PdA : La même, tous artistes confondus.
M.R. : Il y en a trop. Mais suite au 13 novembre, j’ai repensé avec beaucoup d’émotion à la chanson Ils s’aiment de Daniel Lavoie. Sortie en France en 1984. Magnifique chanson.
PdA : Quel regard portes-tu sur ton parcours d’artiste jusqu’à présent ? Que crois-tu avoir appris de ce milieu ?
M.R. : Je n’ai pas fait le quart du dixième de ce que j’aurais voulu faire. J’ai passé plus de temps à cogiter qu’à agir. Aurais-je pu faire autrement ? Quant au « milieu », de quel milieu parles-tu ? Celui de la chanson, du showbiz ? Je n’ai pas le sentiment d’avoir fait vraiment partie plus de deux secondes d’affilée de l’un de ces « milieux ». Mais j’ai observé des systèmes, des trajectoires, des comportements. Je connais les chapelles, les réseaux. Si « milieu » il y a, il est à l’image me semble-t-il de tous les autres. Et au bout du compte de l’Homme, avec ses grandeurs et ses bassesses…
PdA : Une question qui sonne comme l’expression d’un désir perso, j’assume... à quand une collaboration avec Marie-Paule Belle ? ;-)
M.R. : Quand elle veut ! J’adore son répertoire. C’est une formidable compositrice. Avec ses auteurs, elle a créé des chansons qui sont des sommets du genre. Elle a à cause de La Parisienne une image de rigolote mais c’est très réducteur de la limiter à ce registre. Il faut écouter Sur un volcan, Assez, L’enfant et la mouche, Comme les princes travestis, Celui… Bien qu’issue des derniers cabarets et du classique, elle a totalement sa place aux côtés des artistes qui firent partie de ce qu’on a appelé la nouvelle chanson française dans les années 70 : les Souchon, Sheller, Sanson etc… C’est une grande.
PdA : Est-ce que tu te sens « bien dans tes baskets » dans cette époque qui est la nôtre ? Si tu avais la possibilité de la quitter pour partir ailleurs, dans un autre temps, ce serait quoi, le Paris de l’âge des cabarets ?
M.R. : Il y a quinze ans j’aurais pu répondre la période des cabarets, Saint-Germain-des-Prés etc… mais je ne suis plus tellement dans ce trip-là. Sur le plan musical en tout cas. Je revendique mon goût pour la bonne (et même moins bonne) variété. La chanson fait partie de la culture populaire et il ne faut pas trop l’intellectualiser. La chanson n’est pas la poésie bien qu’elle puisse être poétique. Les chansons sont des parfums et du divertissement. Elles sont mon île aux trésors et mon refuge. Plus généralement, la période rêvée pourrait être celle des « Trente Glorieuses » où on trouvait du travail au coin de chaque rue, où il n’y avait pas de chômage ou si peu. Je suis né juste après. Pas de bol !
PdA : Comment définirais-tu le bonheur ? Et, si la question n’est pas trop indiscrète, que manquerait-il pour faire le tien ?
M.R. : « Bonheur » est un mot qui, à force d’avoir été mis à toutes les sauces, ne veut plus dire grand chose. C’est un mot pour les publicités. Rien de plus insignifiant que l’expression « rien que du bonheur ». Le mot « bonheur » a aussi des allures de dictature culpabilisante pour qui ne l’atteint pas. C’est pourtant un bien joli mot. Être heureux, de temps en temps, c’est tout ce que je demande. Ces moments-là surgissent grâce au rire, à la complicité, au partage… Ce sont des petites « victoires sur l’ironie du sort », comme chantait quelqu’un.
PdA : Un dernier mot ?
M.R. : Tout d’abord merci à toi, Nicolas, de me permettre de m’exprimer via ton blog.
J’aimerais signaler que j’ai participé à une formation passionnante l’année dernière sur le chant, la voix et le coaching avec Richard Cross, véritable savant dans le domaine. J’ai commencé à donner quelques cours et j’aime ça. Elèves de tous niveaux bienvenus ! Suffit de me contacter via mon site ou ma page Facebook.
Et puis je vais réaliser sur scène à la fin de l’année un projet auquel je pense depuis plus de douze ans : chanter les chansons que j’ai adorées quand j’étais enfant. J’ai choisi des chansons créées uniquement par des voix féminines entre 1983 et 1988. Cela s’appellera « Ex-Fan des Eighties ». Libéré temporairement du piano, je serai juste accompagné à l’accordéon par le talentueux Michel Glasko, très calé lui aussi dans les titres de cette époque. On a commencé à répéter et on se régale. Je vais chanter des tubes ou des succès qui furent créés par des filles qui répondent aux doux prénoms de Jeanne, Muriel, Mylène, Jakie, Viktor etc… Là oui, je peux peut-être parler de bonheur… Ce sera drôle, léger, décalé et plus profond aussi qu’on peut l’imaginer car derrière le côté kitsch des arrangements d’époque, se cachent de très belles chansons. Et leurs maladresses ont un charme fou. J’aborde ces chansons comme de grands classiques. Le respect étant de les bousculer un peu. J’ai hâte !
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