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Paroles d'Actu
13 mai 2016

François Delpla : « Hitler avait tout misé sur une victoire éclair... »

L’historien François Delpla s’est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans dans l’étude de la Seconde Guerre mondiale et du nazisme. Dans son dernier ouvrage en date, Hitler : propos intimes et politiques, paru en deux tomes chez Nouveau Monde éditions (le premier en janvier, le second à la fin de l’année), il s’attache à traduire, analyser et contextualiser une somme impressionnante de propos et mots du Führer. Il a accepté avec enthousiasme - je l’en remercie chaleureusement - de se prêter pour Paroles d’Actu au jeu des questions-réponses que je lui ai soumis pour un grand format autour d’une thématique, « Questions d’histoire : Hitler ». Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

QUESTIONS D’HISTOIRE : HITLER

« Hitler avait tout misé sur une

victoire éclair contre la France »

Interview de François Delpla

Q. : 12/05 ; R. : 13/05.

Propos

Propos intimes et politiques : 1941-1942 (Nouveau Monde éditions, 2016)

 

L’Allemagne aurait-elle regardé Adolf Hitler comme un « grand » homme d’État (à l’image d’un Frédéric ou d’un Bismarck) s’il avait disparu juste après les « accords » de Munich ?

Oui… mais à plusieurs conditions, difficiles à réunir. Il aurait fallu...

- que l’Allemagne consolide et conserve les progrès qu’il lui avait fait faire, quant à son rang international ;

- que la prétendue question juive soit résolue dans le sens d’un retour au statu quo juridique (les juifs déjà partis ne seraient sans doute pas revenus en masse, mais au moins ceux qui restaient, ou arrivaient pour quelque raison que ce soit, auraient retrouvé des droits identiques à ceux des non-juifs, seule situation acceptable au XXème siècle) ;

- que la succession de Hitler débouche, non sur une guerre de revanche, mais sur une stabilisation de la situation internationale.

Dans ces conditions, il pouvait se produire ce que Churchill appelait de ses vœux, notamment dans un article du 17 septembre 1937 :

« En plusieurs occasions j’ai appelé publiquement à ce que le Führer de l’Allemagne devienne maintenant le Hitler de la paix. Quand un homme mène une lutte désespérée, il se peut que ses dents grincent et que ses yeux lancent des éclairs. La colère et la haine soutiennent le courage du lutteur. Mais le succès devrait amener un adoucissement et un apaisement sur le visage et, en corrigeant l’humeur pour l’adapter aux circonstances nouvelles, préserver par la tolérance et la bonne volonté ce qui a été acquis par la lutte. »

On aurait considéré l’idéologie nazie comme un échafaudage temporaire, propre à tendre les forces de la nation derrière un pouvoir autoritaire le temps de rétablir son rang. On aurait pu aussi attribuer les folles imprécations de Mein Kampf à des tâtonnements de jeunesse, et considérer que les réalités avaient peu à peu poli l’auteur en lui inspirant des attitudes raisonnables. La crise des Sudètes n’était qu’une répétition générale avant de frapper les trois coups un an plus tard contre la Pologne, dans des conditions militaires et diplomatiques grandement améliorées : cette réalité aurait risqué de rester inconnue longtemps, et même toujours. Seuls de rares historiens auraient creusé la question, et de l’idéologie nazie, et de la stratégie que le décès de Hitler avait tuée dans l’œuf. Il n’est pas sûr qu’ils aient diagnostiqué que ce décès avait sauvé in extremis l’humanité d’une immense catastrophe, dont le scénario de 1945 n’était que la version la plus douce, grâce à la ténacité de Churchill au moment de la chute de la France.

Dans un exercice d’histoire contre-factuelle, ce scénario aurait été, lui, parfaitement impensable ! Aucun passionné d’uchronie n’aurait eu l’audace d’imaginer que l’histoire aurait produit le même jour, c’est-à-dire le 10 mai 1940, le poison et l’antidote, l’offensive de Hitler contre la France et la venue de Churchill au pouvoir. Mais encore une fois, qui se serait posé la question d’une éventuelle application de Mein Kampf si le Diable avait rappelé l’auteur à lui en octobre 1938 ?

 

Un statu quo diplomatique favorable à une perpétuation (et donc à un renforcement) funeste de l’État et de la société nazis se serait-il imposé si, dans l’hypothèse précédemment citée, le successeur d’Hitler à la tête du Reich avait opté pour une attitude de modération au-dehors ? (je précise ma pensée : si le successeur d’Hitler avait choisi de ne pas envahir la Pologne en 1939 ou s’il avait obtenu une satisfaction relative sur la question de Dantzig, les démocraties auraient-elles bougé contre l’Allemagne nazie ?)

Le nazisme n’est pas une nouvelle conception des rapports sociaux ou politiques à l’intérieur des frontières d’un pays, c’est un mouvement tendu vers la guerre et vers un rééquilibrage des relations entre puissances, obtenu par surprise avant que quiconque ait compris où Berlin voulait en venir. Alors de deux choses l’une : ou bien Hitler avait prévu sa succession et laissé des instructions précises à quelqu’un qui à l’époque ne pouvait être que Göring, ou bien, ce que je crois, il se jugeait indispensable et, parmi ses paris, figurait en bonne place celui de la prolongation de son existence. Göring ne partageait pas son obsession antisémite (ce qui n’excuse pas sa complicité dans la Shoah, tout au contraire) et, livré à lui-même, il n’aurait pas su quoi faire dans ce domaine. De même, il avait peu de liens avec le mouvement SS et n’aurait guère su se servir de cet instrument, mis au point par Hitler et Himmler en une décennie de rencontres fréquentes.

Et que faire encore du culot de Hitler dans le mensonge, avec son cortège de demi-aveux ? C’est l’oeuvre d’un artiste et d’un seul, par exemple quand, cinq mois après que vous l’avez enterré, il prononce le stupéfiant discours du 30 janvier 1939. Il sait alors qu’il va faire la guerre et il accuse les Juifs de s’apprêter à la déclencher, ce qui leur vaudra, dit-il, un châtiment terrible. Cependant, celui-ci est présenté sous une forme édulcorée : ils disparaîtront de l’Europe, ce qui avec un peu de bonne volonté (et les autres gouvernements n’en manquent pas) peut encore à la rigueur passer pour un projet d’expulsion et non de massacre.

Non, vraiment, nul ne pourrait former suffisamment bien un disciple pour obtenir de lui un dosage aussi millimétré de la violence, et verbale et physique. Oui, j’augure très mal de la destinée du navire si on fait disparaître le capitaine au moment que vous dites !

Les événements de 1945 peuvent ici nous guider : tout se dissipe comme un rêve, les SS s’effacent sans retour malgré leurs tentatives minables de devenir des « loups-garous » menant la vie dure aux Alliés. Il reste suffisamment de bourgeois conservateurs pour prendre les rênes en endiguant le peuple, d’ailleurs abasourdi, et, un peu plus tard, réhabiliter la Wehrmacht sous l’égide de l’OTAN. Fin 1938 c’aurait été plutôt l’inverse, l’armée prenant le pouvoir le temps qu’une classe politique se reforme dans les hautes sphères. Certes, en 1945, une catastrophe militaire a quelque peu aidé à la dissipation du rêve, mais la disparition de Hitler juste avant sa guerre aurait joué le même rôle.

C’est d’ailleurs une des clés de son succès : personne ne voyait clair dans son jeu en Allemagne ni ailleurs, tant il voulait de choses à la fois. Il fallait beaucoup de maîtrise pour slalomer au jour le jour en définissant des priorités, lui seul avait cette maîtrise… et l’un de ses plus grands talents était de dissimuler le sien ! Notamment sous un discours violent qui le rendait peu suspect de finesse et de retenue.

 

Que sait-on de la manière dont Hitler considérait les deux personnalités suivantes : Winston Churchill ; Charles de Gaulle ? Portait-il quelque estime à ceux de ses ennemis résolus qui étaient prêts à mourir pour la défense de leur patrie et de leurs valeurs ?

Oui et non. Il admirerait volontiers Churchill dans l’absolu, mais il vit dans le relatif ! Et Churchill est avant tout celui qui le frustre d’un triomphe très bien parti, donc il ne saurait être qu’une « putain des Juifs ». Pour de Gaulle c’est très différent ; il le voit sans doute d’abord comme un aventurier qui joue la carte anglaise, puis progressivement il admire sa capacité de survie et son talent pour rassembler son peuple. Cela débouche sur un texte extraordinaire, une lettre signée Himmler mais portant la griffe hitlérienne, adressée à de Gaulle en avril 1945. Elle affirme que l’ambition du Général de faire pièce à la fois aux Américains et aux Soviétiques a pour condition première de réalisation la réconciliation franco-allemande et que « Himmler » est prêt à négocier la chose. L’artiste n’est pas mort ! Il est très en forme au contraire, à la veille de son suicide, malgré sa déchéance physique. De Gaulle évidemment ne répond pas… mais publie la chose, hélas partiellement (et sa famille n’a pas été en mesure de me dire où était l’original), en 1959 dans le dernier tome de ses mémoires, en prélude à ses rencontres avec Adenauer !

 

Hitler

Hitler (Grasset, 1999)

 

L’Allemagne nazie, comme l’empire napoléonien, a joué et perdu gros contre l’immense Ours russe. Dans quelle mesure l’échec final de l’Opération Barbarossa tient-il à des erreurs d’appréciation et de stratégie imputables à Hitler ?

Tout le monde convient bon gré mal gré que Hitler n’a pas commis beaucoup d’erreurs avant l’été de 1940, mis à part le putsch raté de 1923, dont il a tiré intelligemment les leçons. Quand on veut dénigrer son intelligence, ou ses compétences militaires, on est obligé de se rabattre sur des événements postérieurs à la campagne de France. Il aurait en particulier sous-estimé la puissance russe, ou l’américaine… ou, au diable l’avarice, les deux. Ce sont d’ailleurs ses succès de la première année de guerre, que cette littérature attribue volontiers à la chance, qui l’auraient grisé et lui auraient donné l’audace d’écouter de moins en moins les experts militaires.

Une observation plus attentive montre qu’il avait tout misé, précisément, sur ce mois de mai 40 où la France aurait dû signer la paix peu après la percée de Sedan, alléchée par des conditions « généreuses », et où l’Angleterre elle-même, faisant ses comptes, aurait pris le chemin de la négociation. Churchill trouble ce scénario, tout d’abord en retenant Reynaud sur la pente de l’armistice et en obligeant l’Allemagne à s’enfoncer en France (au risque de fâcher les États-Unis), puis en ne signant pas lui-même la paix et en se maintenant au pouvoir, après l’armistice français. Entre le 22 juin, date de cet armistice, et le 3 juillet, Hitler attend avec confiance que la classe dominante anglaise congédie Churchill quand se produisent les événements de Mers el-Kébir, qui sont pour lui un tocsin ou, déjà, un glas : Churchill a réussi une performance de type nazi - faire couler un sang innocent - et il obtient les félicitations, non seulement des Communes, mais de Roosevelt ! C’est la « Juiverie » qui s’organise, en vue d’une guerre d’usure pour laquelle l’Allemagne n’est absolument pas préparée… non parce que Hitler a fait n’importe quoi, mais parce qu’il a tenté la seule opération qui pouvait permettre la reprise de l’expansion allemande après le coup d’arrêt de 1918 : une victoire éclair sur la France, qu’une planète stupéfaite aurait bien été obligée d’entériner.

Toutes les « erreurs » découlent de l’échec, d’extrême justesse, de cette manœuvre. Après il faut bien l’assumer, la guerre longue, en tentant de provoquer des occasions de la terminer… et l’idée d’un Barbarossa liquidant la Russie en trois mois n’est, vue sous cet angle, pas sotte du tout. Mais là encore Churchill sera à la parade, par son discours du 22 juin 1941 qui sidère Staline avant de le sauver.

 

Question liée, souvent posée : Hitler a-t-il été, pour ce que l’on en sait, manifestement « sain d’esprit » s’agissant de chacune des grandes décisions stratégiques qui lui sont dues ?

Réponse liée : sa manie des paris ne s’explique que par sa folie, dont la croyance en une mission à lui donnée par la Providence est l’un des deux grands fantasmes, l’autre étant la certitude d’un cancer juif en train de tuer l’humanité.

 

Comment recevez-vous ces rumeurs régulièrement resservies selon lesquelles Hitler ne se serait pas suicidé en avril 1945 mais aurait fui en Amérique latine ? De manière plus générale : l’historien sérieux que vous êtes prête-t-il quelque attention critique aux théories des uns et des autres, y compris les plus farfelues, ou bien tendez-vous à les balayer d’un revers de manche ?

Je balaye ! Hitler était un adepte du tout ou rien : triomphe ou suicide, depuis le début. Survivre en s’échappant puis vivre traqué et reclus, très peu pour lui !

 

La situation de crises plurielles, identitaires notamment, que connaît l’Europe actuellement vous paraît-elle de nature à favoriser, si l’on n’y prend garde, la poussée des mouvements de droite extrême au cœur de nos systèmes démocratiques ? Est-ce que de ce point de vue, vous avez le sentiment qu’on se retrouve potentiellement au début des années 30 pour tel ou tel point de l’espace Europe ?

Le nazisme ne pouvait survivre et ne peut revivre. Le procès de Nuremberg, malgré ses défauts, a joué et joue ici un rôle majeur. Cependant, comme ledit nazisme n’a pas été encore vraiment analysé et digéré, il continue de pourrir l’ambiance. Il a notamment beaucoup contribué à faire raisonner les humains en termes binaires et ce, à l’échelle mondiale. Un ennemi sournois, sur le modèle du Juif vu par Hitler, menace les honnêtes gens partout dans le monde. Pour Staline et les siens ce sera le trotskysme puis le titisme maniés par la Gestapo puis la CIA, pour l’Amérique de la guerre froide le communisme tapi derrière la moindre grève et la plus petite révolte coloniale, pour Bush junior l’islamisme et pour Ben Laden Bush junior… je vous laisse prolonger les courbes !

Un bon signe de l’influence hitlérienne est l’ironie avec laquelle on parle de l’ONU, tout comme on dénigrait la SDN dans les années 30 et plus tard. On oublie que c’est Hitler en personne qui a tué celle-ci, en la traitant d’entreprise juive, en la quittant et en méprisant son autorité. Les autres grandes puissances n’étaient que des complices de l’assassin, en acceptant ce verdict et en régressant de l’affirmation d’une discipline collective vers des négociations au cas par cas… comme celle de Munich.

Aujourd’hui, c’est une gendarmerie internationale qui manque le plus, dans le cadre d’une ONU à qui on donne enfin les moyens d’agir, en rendant ses résolutions contraignantes pour les États, petits et grands. Moyennant quoi les accords seraient infiniment mieux suivis d’effet. Et faute de quoi chacun fait sa petite loi, ses petits états d’urgence, ses petites déchéances de nationalité et ses gros cadeaux aux partis xénophobes.

 

Quelles sont, à ce jour, les zones d’ombre qu’il conviendrait encore d’éclaircir s’agissant d’Adolf Hitler ?

Tout ! Le nazisme est un sujet vierge, au sens propre : disons que s’il y a sept voiles, on en a enlevé un ou deux ! Attention, cela ne veut pas dire que les millions de pages écrites aient été inutiles. Mais pour l’instant il s’agit d’une banque de données, et il urge de les ordonner.

 

Où vous situez-vous par rapport au concept de « devoir de mémoire » ?

Si cela reste entre nous, je vous dirais que je trouve lexpression horriblement contre-productive, malgré les intentions sans doute louables de la plupart de ceux qui lemploient. Le devoir que je prêche est le devoir d'histoire. L'historien est tenu davoir mauvais esprit ! Il faut faire connaître et surtout comprendre le passé avec ses lumières et ses ombres, chaque fois que cela peut éclairer les choix daujourd'hui. Non seulement en ce qui concerne les périodes un peu reculées, mais les derniers temps : ainsi par exemple un dossier sérieux sur les origines de la dette publique grecque et ses profiteurs jusquaujourd'hui assainirait immédiatement latmosphère autour de cette question. Dune façon plus générale, la déliquescence des institutions européennes requiert impérieusement des notions précises sur les erreurs et les paresses, anciennes et récentes, de leurs constructeurs. Lamnésie des médias est désolante mais rien ne sert de se lamenter, il faut agir, et faire généreusement don aux journalistes surmenés dune profondeur temporelle.

Tenez, un dernier exemple, qui nous ramènera à la période nazie : un philosophe académicien sémeut de lélection du maire travailliste de Londres en se demandant si Churchill, auquel il voue « une admiration sans bornes », aurait ses chances à Londres aujourd'hui, puisquil nétait pas le fils d'un prolétaire immigré et musulman. Je lui réponds sur un réseau social :

« Churchill aurait-il ses chances dans l'Angleterre daujourdhui ? Pour la mairie de Londres, sans doute pas, mais de son temps non plus ! Mais l'imprécateur semble ignorer que son plus proche équivalent, socialement parlant, est à Downing street. David Cameron est en effet larrière-petit neveu de Duff Cooper, issu de la haute et le seul ministre vraiment churchillien des terribles semaines de mai-juin 40. Le fantasme du "Grand remplacement" entraîne quelques esprits pourtant un peu éduqués à anticiper une forêt là où il n'y a pour l'instant que quelques arbres, même pas un bosquet ! »

 

Parlez-nous de vos projets, François Delpla ?

L’édition des Propos de Hitler, qui va m’occuper jusqu’en septembre, a été décidée brusquement pour accompagner la sortie de Mein Kampf et a interrompu un livre en cours intitulé Hitler et Pétain. Un sujet particulièrement vierge ! Un Paxton, par exemple, l’a à peine effleuré. Barbara Lambauer, dans sa thèse sur Abetz, a livré force matériaux, mais n’y a vu que par intermittence et de façon décousue les impulsions données par le chef, et n’a pas soupçonné qu’il pût manipuler son représentant. Il y a énormément à dire aussi sur le remplacement progressif des militaires par les SS dans toutes sortes de fonctions au sein des forces allemandes d’occupation. Et les SS, c’est Hitler : encore un tabou, ou tout au plus une vérité qu’on veut bien reconnaître sans en tirer les conséquences. En matière de persécution des juifs, j’espère arriver à dépasser la querelle du Vichy protecteur et du Vichy persécuteur en montrant que là aussi l’occupant décide, en fonction d’une masse de paramètres dont le dosage varie souvent.

Ensuite ? Je pense que le prochain sujet viendra, comme d’habitude, chemin faisant, en fonction des nouvelles questions et des nouvelles sources. Depuis peu je participe sur Facebook à des débats qui ont vocation à déboucher sur une structure associative, afin de stimuler les découvertes.

 

François Delpla

Crédit photo : Paolo Verzone

 

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12 mai 2016

« Rendons la parole au peuple... ça urge ! », par Nicolas Marié

Lorsque j’ai lancé linitiative de la rubrique « Si la Constitution m’était confiée... » et considéré l’idée d’une liste de contributeurs désirés dans ce cadre, assez vite, j’ai pensé à Nicolas Marié. Il faut dire que, dans linterview qu’il mavait accordée pour Paroles d’Actu il y a un an et demi, le comédien, qui incarnait alors un président de la République fort crédible dans la série Les Hommes de l’ombre, avait démontré clairement que son intérêt pour la vie de la cité allait bien au-delà d’un rôle de fiction. Grand bien m’en a pris : son texte, qui mériterait de tourner, d’être partagé, est un cri du cœur ; Nicolas Marié y expose les dysfonctionnements de notre société tels qu’il les perçoit, sans concession mais non sans espérance - celle en l’occurrence qu’il place dans la capacité de sursaut et d’intelligence collectifs. Sans doute se fait-il là l’écho de beaucoup, beaucoup de voix qui n’aspirent qu’à la faire entendre à nouveau... Merci, M. Marié... Une exclusivité Paroles d’ActuPar Nicolas Roche.

 

« Rendons la parole au peuple... ça urge ! »

par Nicolas Marié

Nicolas Marié

Nicolas Marié est actuellement à l’affiche de la comédie populaire Adopte un veuf.

 

L’image de la politique et de ceux qui la pratiquent est désastreuse. Langue de bois, mensonges, prévarication, promesses non tenues, aspirent inexorablement les hommes politiques toujours plus bas dans les sondages d’opinion. Les affaires DSK, Balkany, Cahuzac et consorts deviennent emblématiques et alimentent la désillusion des Français : tous pourris. Les urnes sont orphelines, nourries de bulletins bleu-facho…

Le malaise est profond. La montée des extrêmes l’illustre avec gravité. Les démocrates doutent et s’interrogent. Leurs voix ne sont plus audibles.

La proximité, voire la connivence, entre les journalistes et les hommes politiques ont fait perdre toute crédibilité aux canaux d’information. Le grand shaker télévisuel qui brasse sans discernement, information, dérision, politique et variété pour booster l’audience, est dévastateur pour l’image de ceux qui veulent représenter un peuple rebelle, frondeur, râleur mais aussi farouchement épris de vérité, de culture, d’indépendance et par-dessus tout d’exemplarité. 

Les lieux de culture justement, et d’information, sont accaparés par des prédateurs avisés qui ont compris qu’en démocratie le pouvoir de l’argent ne suffit pas pour nourrir leur insatiable cupidité. Ils savent qu’ils doivent combattre sans états d’âme ces rebelles, ces frondeurs, ces râleurs qui brandissent trop bruyamment leurs étendards et remettent en cause leur système de domination. La censure refait son apparition. La classe politico-journalistique se tait. Les prédateurs la manipulent. Elle est leur affidée. L’argent l’a pervertie, contaminée.

Le bon peuple assiste avec amertume à ce grand bal des « puissants ». Assiste sans défense au musellement de Canal+ et à la fuite des abonnés qui risque de préluder à l’effondrement du financement du cinéma français. Il rit à Merci Patron !, le documentaire qui piège François Pinault, le grand prédateur du luxe et son indécente vulgarité à vouloir faire taire les petites gens à grand renfort de liasses de billets. Il pleure en regardant la courbe du chômage et attend, en vain, la mise à l’écart - voire la mise en examen - des responsables politiques indélicats et corrompus…

Ici et là on articule laborieusement quelques remarques sur la tentative de libre parole de la place de la République. Les commentaires sont  : amusés, pour les plus détendus à gauche ; méprisants, pour les plus agités à droite ; dubitatifs, pour les plus inquiets ; condescendants, pour les plus indifférents…

« La loi du marché a remplacé la loi divine »

Les grands prédateurs du CAC 40 assument et revendiquent leurs rémunérations annuelles obscènes : 550 fois le salaire annuel d’un Français moyen, 1700 fois le minimum vieillesse annuel. Ils prétendent que ces rémunérations sont méritées et légitimes dès lors que c’est la grande loi du marché qui en régit le montant. Les nobles en 1789 revendiquaient aussi leurs rentes indécentes arguant que leur rang les commandait et que la grande loi divine les légitimait… La loi du marché a remplacé la loi divine…

Circulez, il n’y a rien à voir. Laissez les Botero du CAC 40, bouffis d’orgueil, dominer le monde. Laissez les politiques gérer leurs petits fonds de commerce électoral à coups d’effets d’annonce, de cumuls des mandats, de cumuls de pensions, d’exonérations d’impôts, d’absentéisme caractérisé...

Au secours !!! La colère gronde !!!

Et si, devant pareilles dérives, la situation devenait insurrectionnelle ? Et si, au fond, cette colère était légitime, salutaire ? Et si l’esprit de 1789 conduisait nos Botero du CAC 40, nos politiques aveugles et repus, nos journalistes timorés, sous la guillotine… du rejet social ?

Et si nous y étions déjà ?

Et si la montée du Front national n’était que la partie émergée de l’iceberg ? Et si la partie immergée était au bout du compte beaucoup plus dangereuse pour notre démocratie que nos avatars de chemises brunes aux crânes rasés ? Et si cette partie immergée, c’était la conscience de la société française qui s’insurge contre les dérives immorales ; dégoutée, dépitée ? Mais qui s’insurge sans violence parce que ce n’est plus dans sa culture. Parce que 200 ans de démocratie et de progrès économique et social l’ont apaisée, voire anesthésiée, et que sa nouvelle forme d’insurrection c’est le silence, le repli sur soi. Le renoncement comme arme de destruction des masses, telle une colonie de termites qui grignote la maison de l’intérieur.

Une société qui renonce à militer parce qu’elle ne croit plus à la politique. Une société qui renonce à militer parce que les hommes politiques lui ont volé la politique sous prétexte qu’ils la représentent. Et avec insolence et fatuité l’ignorent et musellent sa parole jusqu’aux élections suivantes. Ce racket de la parole sociale nourrit la grande désillusion. Elle gagne du terrain inexorablement et gangrène les consciences. Elle les anéantira si on ne traite pas…

« La parole, c’est l’oxygène, le sang de nos sociétés modernes »

La parole, c’est l’oxygène, le sang, de nos sociétés modernes. Moins de parole et la démocratie est malade, anémiée, vulnérable. Elle se replie sur elle-même. Se cache pour mourir... Elle est livrée à ceux qui prétendent la représenter, aux prédateurs et aux extrêmes.

Qu’on rende la parole au peuple français. Elle est son oxygène, son sang, mais elle est aussi son arme suprême. Une arme de reconstruction massive… C’est du débat que se nourrit la démocratie. Lui seul permet de maintenir sa vitalité, sa force, sa créativité, sa fierté, sa dignité.

Et aujourd’hui, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, à l’heure de la feuille de déclaration de revenus en ligne obligatoire, il est du devoir des vrais démocrates de ce pays de mettre en place une grande structure officielle de prise en compte de la parole sociale, via le web. Une espèce de grande toile informatique française destinée uniquement au débat démocratique et qui recueillera la parole du peuple français. Dans un premier temps bien sûr elle ne se substituera pas aux structures politiques institutionnelles mais devra trouver une place officielle, un statut officiel, avec un vrai pouvoir de décision au sein même des structures institutionnelles.

Elle deviendra comme un grand système d’alerte du peuple français, avec des paliers d’impact qui restent à déterminer et qui contraindront les politiques à ne plus attendre et à prendre des mesures. Une fois mise en place, c’est du fruit de son expérimentation qu’il sera décidé de son évolution et de la place qui lui reviendra. De nouveau poumon social artificiel, cette parole informatique pourra muter vers une greffe constitutionnelle qui fera de sa structure un outil permanent, naturel, de notre démocratie. Elle deviendra à grande échelle le lieu du questionnement du peuple français. Les politiques auront alors l’obligation de s’interroger, évalueront l’urgence à agir et à trouver les pistes de réflexion, voire les réponses.

« Installons un tensiomètre permanent de la nation »

Bien au-delà d’un institut de sondage, elle sera de dimension nationale avec évaluation transparente du nombre de votants, de pétitionnaires, de manifestants, ou encore de simples participants aux interrogations du moment. Elle donnera toujours en instantané le retour indispensable aux choix qui seront appliqués. Elle sera le tensiomètre permanent de la nation française. Sa structure, ses règles, la qualification de ses modérateurs, restent à déterminer. Quel chantier ambitieux et exaltant !

Le monde bouge. Il va plus vite. La vitesse ne fait pas peur si elle est maitrisée. La planète entière se joint dans l’instant. La plus longue distance est parcourue en 24 heures. Les transactions boursières se font en millisecondes.

L’informatique a bouleversé nos modes de vie. Chacun peut avoir accès à la grande fenêtre sur la connaissance. Chacun peut exprimer sur les réseaux sociaux ses états d’âme, ses avis sur tout et n’importe quoi. Le monde de la politique, de la représentation nationale, doit intégrer ce vehicule instantané de la parole. Il ne doit pas en avoir peur. Il doit en tenir compte et adapter ses outils du pouvoir à cette instantanéité à dimension nationale, qui, si elle est structurée, maitrisée, et elle doit l’être bien sûr, peut devenir un indicateur unique, précieux, éminemment représentatif de la sensibilité de la Nation.

C’est en apprenant à gérer cette instantanéité de la parole, à en extraire ce qui en nourrit l’essentiel du débat, que notre démocratie sauvera sa peau. C’est en apprenant à trouver les réponses impérieuses aux dérives avérées, aux dérapages éthiques insupportables, transmis par la parole du peuple, qu’elle se régénérera, se renforcera, se grandira. La Révolution française aura été un exemple d’émancipation des peuples. L’évolution de la démocratie française pourra aussi devenir exemplaire dès lors qu’elle saura inventer les nouveaux outils qui permettront d’utiliser l’instantanéité d’internet dans le dessein de rendre la parole au peuple en parfaite complicité avec le pouvoir.

Restituer cette parole. Lui redonner de l’expression, de la valeur, du sens, de l’influence, du pouvoir, c’est la seule parade au renoncement, à l’abstention, au repli sur soi, au mirage des extrêmes. Il n’y a que par la parole qu’on réduit les tensions, qu’on résout les conflits, qu’on invente, qu’on respecte, qu’on aime. Une grande démocratie se doit d’aimer son peuple et donc d’organiser sa prise de parole de manière à ce qu’elle soit permanente et représentative. Internet est devenu le véhicule planétaire de la parole du monde. La France se doit de l’adapter à ses structures pour en faire le support de la parole de son peuple. Une parole représentative mais aussi transparente, salvatrice.

« Créer un ministère de la Parole serait un geste salutaire »

C’est en faisant cet effort d’ouverture à l’autre, aux autres, que la démocratie française se déliera du renoncement. La création immédiate d’un ministère de la Parole chargé d’en inventer les nouveaux supports, les nouvelles structures institutionnelles, serait un signal fort, symbolique, que la préservation de notre pacte républicain est la préoccupation essentielle de nos gouvernants.

par Nicolas Marié, le 11 mai 2016

 

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