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Paroles d'Actu
2 juin 2020

« La parole publique au défi du Covid », par Pierre-Yves Le Borgn'

Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger (entre 2012 et 2017), est bien connu des lecteurs réguliers de Paroles d’Actu. Il a été, depuis notre première interview de 2013, la personnalité politique que j’ai le plus souvent interrogée, toujours avec plaisir, pour ce site. Il y a quelques semaines, dans un contexte de fin de confinement, j’ai souhaité lui accorder, une fois de plus, une tribune libre pour évoquer, via l’angle de son choix, l’exceptionnelle expérience vécue collectivement. Son texte, dont je le remercie, est un focus pertinent sur l’importance et l’impact de la parole publique en ces temps troublés, et un message, un appel directement adressés à nos dirigeants. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« La parole publique au défi du Covid »

par Pierre-Yves Le Borgn, le 1er juin 2020

En ces premiers jours du mois de juin, la France sort pas à pas du confinement imposé durant près de deux mois en réponse à la pire pandémie qu’elle ait connu en un siècle. Les nouvelles communiquées par le Premier ministre Édouard Philippe il y a quelques jours sont encourageantes. Rien n’est certes encore gagné, mais la pandémie recule. Il n’en reste pas moins qu’une redoutable crise économique et sociale nous attend, dont la portée et l’ampleur seront malheureusement inédites. À la fin de cette année maudite, ce seront sans doute plus d’un million de Français supplémentaires qui auront rejoint les chiffres des demandeurs d’emploi. Pareille perspective est une bombe à retardement, une catastrophe pour la société française, déjà minée par nombre de fractures sociales, territoriales et générationnelles révélées par la crise des gilets jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites et le drame sanitaire du printemps.

« On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale

qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide. »

Derrière cela, il y a un pessimisme, un marasme, une défiance, une crise morale qui viennent de loin. Deux livres, chacun à leur manière, le présentaient remarquablement il y 4 ou 5 ans : Comprendre le malheur français, de Marcel Gauchet, et Plus rien à faire, plus rien à foutre, de Brice Teinturier. Leur lucidité d’analyse m’avait impressionné. Ainsi, le diagnostic avait quelque part déjà été fait. En a-t-on seulement tenu compte ? Là est la question, à laquelle il faut lucidement reconnaître qu’une réponse insuffisante a été apportée. La peur du déclassement travaille pourtant la société française depuis longtemps et elle progresse de jour en jour. Notre société est l’une des plus pessimistes, si ce n’est la plus pessimiste d’Europe. Des moments difficiles, beaucoup de pays en ont traversé. Ils ont su pourtant se redresser, chacun à leur manière. Et nous ? On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide.

Dans ce contexte, la parole publique est essentielle. Elle doit avoir du crédit, de la force. Malheureusement, la polémique sur les masques l’a mise à mal. La défiance se nourrit de petits arrangements coupables et ravageurs avec la vérité. Il n’y avait pas suffisamment de masques. Pourquoi le gouvernement ne l’a-t-il pas dit, plutôt que de laisser entendre que les masques ne servaient à rien avant, poussé par la réalité, de devoir se raviser ? Autre erreur : annoncer un samedi soir la mise à l’arrêt de toute l’économie française et le confinement de 66 millions de personnes tout en leur demandant d’aller voter le lendemain pour les élections municipales. L’incohérence était flagrante. Les Français ont eu le sentiment d’être infantilisés, méprisés, qu’on leur mentait ou qu’on leur cachait quelque chose. Le complotisme y a trouvé matière à prospérer. Et derrière la perte de sens de la parole publique, c’est toute l’efficacité de l’action publique qui est affectée.

Il faut trouver le mot et le ton justes. Il faut pouvoir écouter, expliquer et justifier. De ce point de vue, ce quinquennat, comme les précédents, n’a pas à ce jour répondu aux attentes. À deux ans de son terme, le pourra-t-il ? L’optimisme farouche d’Emmanuel Macron, sa détermination à faire bouger les lignes et mettre en mouvement l’économie et la société ont été desservi par une pratique excessivement verticale, distante et centralisée du pouvoir. Le Président est en surplomb des Français, là où il devrait être avec eux et parmi eux. Jamais le sens des réformes n’a été suffisamment présenté, comme si cela n’avait pas été jugé nécessaire. C’est une erreur profonde. Aucune réforme n’est efficace ni durable sans appropriation par tout ou partie des Français. La parole publique souffre d’être tour à tour rude, vague, lointaine ou lyrique. La question n’est pas de parler fort, trop ou trop peu, elle est de parler juste et de parler vrai.

« Il faut trouver une expression et un ton

qui fédèrent derrière l’immensité des efforts

à accomplir et la direction à prendre. »

La France est un pays que l’on doit sentir. Je suis convaincu que les Français peuvent entendre la réalité, même si elle est dure, pour peu que l’on mêle à l’exercice de la parole publique la sobriété, le souci didactique, la simplicité de l’échange et la volonté de rassurer par l’exercice de la vérité. C’est ce que le Premier ministre Édouard Philippe est parvenu à faire ces dernières semaines et cet engagement doit inspirer. C’est ce qui fait en Allemagne depuis des années la force de la Chancelière Angela Merkel. On ne sortira pas notre pays de la crise sans l’adhésion d’une majorité de Français. Il faut pour cela trouver une expression et un ton qui fédèrent derrière l’immensité des efforts à accomplir et la direction à prendre. Le défi, c’est la capacité de la France de se réinventer, de reprendre une marche en avant émancipatrice pour chacun, solidaire et créatrice de sens pour tous. Beaucoup se joue maintenant et pour longtemps. Plus que jamais, l’unité de la parole publique doit y contribuer.

 

PYLB

Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député des Français de l’étranger (2012-2017).

 

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