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Paroles d'Actu
16 juin 2020

François Delpla: « Refuser tout armistice à Hitler en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle »

Il y a 80 ans jour pour jour se jouait, sous les yeux incrédules du monde, un des plus grands drames de l’histoire de France. Le 16 juin 1940, le président du conseil Paul Reynaud acceptait le principe d’une incroyable fusion franco-britannique, porté par Jean Monnet et soutenu par Churchill et De Gaulle, qui eût conduit à une continuation conjointe et résolue du combat contre l’Allemagne nazie. Le soir même, alors que De Gaulle, confiant, quittait l’Angleterre pour Bordeaux (siège du gouvernement en déroute), il apprenait que Reynaud, vaincu en cabinet, avait démissionné, cédant presque naturellement sa place au maréchal Pétain, et aux partisans de l’armistice, dont la demande fut transmise à l’ennemi dès le lendemain. De Gaulle, désormais condamné par le pouvoir, prit ses dispositions pour regagner Londres et y organiser une résistance tandis que Pétain s’apprêtait, bientôt, à installer le pays dans la voie de la collaboration, et son gouvernement à Vichy.

J’ai proposé, pour l’occasion, à l’historien François Delpla, que les lecteurs de Paroles d’Actu connaissent bien (il est notamment l’auteur de Hitler et Pétain, paru chez Nouveau Monde en 2018), une interview portant sur ces journées décisives et à bien des égards tragiques. Je suis heureux qu’il ait accepté de se prêter au jeu, et salue dautant plus son travail de fouille et de recherche qu’il a été injustement banni par un grand réseau social il y a quelques semaines. Je profite également de l’occasion que me procure cet article pour saluer tout particulièrement quelqu’un que j’ai la joie d’appeler mon ami, l’Américain francophile et passionné d’Histoire Bob SloanUne exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - 80 ANS JUIN 1940

François Delpla: « Refuser tout armistice à Hitler

en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle. »

Reynaud et Pétain

Le général Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et le maréchal Pétain, mai 1940.

Photo : © Getty / Keystone-France.

 

Se figure-t-on encore aujourd’hui l’ampleur du traumatisme que constitua, pour les Français d’alors, la défaite lourde de conséquences - et peut-être inéluctable au vu de l’excellence du coup allemand - de mai-juin 1940 ? La plus grave catastrophe de notre histoire ?

débâcle historique

Oui et non. Sans Churchill - ou n’importe quel Anglais décidé… mais il n’y avait guère que lui -, Hitler mourait dans son lit 40 ans plus tard dans un empire allemand qui aurait eu le temps de faire de « nous » ce qu’était la Grèce par rapport à Rome. Fin de la France. Mais, Hitler ayant finalement été vaincu, elle existe, conserve un poids en Europe et dans le monde, n’est pas si inférieure que ça à l’Allemagne et à l’Angleterre, mais évidemment, l’énorme contribution des « deux grands » à la bataille a fait régresser, relativement, toute l’Europe.

 

Considérant les forces en présence et les moyens matériels dont disposaient les belligérants, peut-on établir que la défaite était davantage affaire de choix stratégique (mobilité mécanique en attaque contre murs statiques en défense) que d’infériorité numérique ? Si, hypothèse, De Gaulle, avec ses conceptions novatrices de l’armée, avait été aux manettes à la place de Gamelin dès la déclaration de guerre de septembre 1939, la France aurait-elle eu une chance de connaître alors un autre destin ?

rapport de forces

Oui.

L’Allemagne est faible, par rapport à ses ambitions. Elle ne peut gagner qu’en prenant de grands risques, en cachant constamment son jeu, en divisant les gens qu’elle veut léser pour les battre séparément. Sa victoire de mai-juin 40 est due à des facteurs politiques beaucoup plus que militaires. On s’attendait à tout sauf à ce qu’elle joue toute sa mise ainsi parce que jusque là elle ne s’était attaquée qu’à des proies nettement plus faibles. Le 10 mai, tout le monde pense qu’elle ne vise que l’occupation du Benelux. Il y a avant tout une faillite intellectuelle, dans le refus de voir Hitler en face, la propension à le prendre pour un bouffon, l’idée que Staline serait plus dangereux, la croyance en une Allemagne divisée et au bord de l’implosion…

 

Qu’aurait-il fallu pour que la position de Paul Reynaud à la tête du gouvernement demeure tenable au-delà du 16 juin 1940 (voire soyons fous la nomination d’un Georges Mandel) ? Une solution autre qu’une demande d’armistice à l’ennemi (l’exil du gouvernement à Londres ou en Afrique, voire la fusion franco-britannique) eût-elle été sérieusement envisageable au regard de l’immense capacité de nuisance et de destruction aux mains des Allemands sur la France occupée ?

pertinence d’un armistice

Parce que l’armistice ne leur donnerait aucun moyen de nuire ni de détruire ?

Si nous convenons que Hitler n’a conclu un pacte avec Staline que pour écraser la France, provoquer par là une résignation anglaise à sa domination du continent et se payer ensuite sur la bête soviétique (mais pas forcément en 1941 et pas forcément en une seule fois), le seul fait de lui refuser tout armistice en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle. C’est d’ailleurs bien dans cette impasse que Churchill l’a englué en l’obligeant à tout miser une fois de plus sur une seule case, une Blitzkrieg vers l’est à finir impérativement dans les trois mois.

Avec une France restée en guerre, il n’aurait même plus eu cette échappatoire.

 

François Delpla 2019

  

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