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Paroles d'Actu
19 juillet 2020

Eric Teyssier : « La thèse de l'esprit de jouissance coupable ne tient plus à propos de la défaite de 1940 »

Il y a 80 ans, en juillet 1940, les pleins pouvoirs venaient d’être confiés au Maréchal Pétain tandis que s’ouvrait à Vichy, siège du nouvel « État français », une des pages les perturbantes de notre histoire nationale. On parle beaucoup, en connaissant plus ou moins lépoque, de ce gouvernement de collaboration avec - et en partie contraint par - l’occupant nazi, mais tellement peu finalement de la bataille de France qui a précédé ces développements. Parce que oui, même si au bout ce fut la défaite, et même une défaite traumatisante, on s’est battu, et même plutôt bien battu, avec honneur et parfois héroïsme, côté français, en mai et en juin 1940. S’il y a des responsabilités à rechercher du côté des militaires, et clairement il y en a, il semble falloir regarder du côté du commandement, ou plutôt du haut-commandement.

Je suis heureux de vous proposer aujourd’hui, sur ce thème, une interview avec l’historien Éric Teyssier, qui a publié en début d’année L’an 40 : La bataille de France (Michalon), un roman passionnant qui nous raconte, dans toute sa complexité, ce que représenta, côté français, pour les militaires de terrain, pour les civils des régions du nord, et pour les dirigeants politiques et militaires, cette tragédie des mois de mai et juin 1940, qui n’était décidément pas écrite par avance. Je vous recommande chaleureusement cette lecture et remercie M. Teyssier pour sa collaboration. Je dédie cet article à la mémoire de mon ami Bob Sloan, disparu il y a un mois tout juste : il était passionné d’Histoire et notamment de cette histoire-là, bien qu’Américain, et surtout, un homme délicieux. Nicolas Roche

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - 80 ANS 1940

Éric Teyssier: « La thèse de l’"esprit de jouissance"

coupable ne tient plus à propos de la défaite de 1940... »

L'an 40

Des reconstituteurs de l’armée française de l’association France 40.

 

Éric Teyssier bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu, qui porteront sur votre roman L’an 40 : La bataille de France (Michalon, 2020). On vous connaît principalement pour vos écrits et vos activités (reconstitutions historiques notamment) sur les époques Révolution, Premier Empire, et surtout Rome antique. Pourquoi avoir choisi, ici, d’écrire sur ces mois de mai-juin 1940, parmi les plus tragiques de notre histoire ?

pourquoi l’an 40 ?

En fait deux films anglo-saxons récents sont à l’origine de ce roman, Les heures sombres et Dunkerque. Dans les deux cas, il est question de la bataille de France mais sous un angle exclusivement britannique. Les Français y sont présents mais comme des silhouettes dans l’arrière-plan d’un drame où seuls les Anglais semblent vouloir se battre. Bien sûr, beaucoup de Français, parmi ceux qui connaissent encore leur Histoire, ont été choqués et l’ont dit. Pour ma part, j’ai apprécié ces deux films et je me suis dit qu’il ne fallait pas faire le reproche aux Anglais de raconter leur Histoire de leur point de vue mais qu’il incombait aux Français de faire valoir le leur. C’est pour cela que j’ai pris ma plume. 

 

Cet ouvrage, dont on sent bien qu’il vous tient à cœur, vous le dédiez, je reprends vos mots, « aux 58 829 soldats français morts au combat, et aux 21 000 civils français tués pendant les 45 jours de la bataille de France, pour ne pas oublier leur courage et leur sacrifice ». L’idée centrale de ce roman, c’était de raconter ces heures sombres, mais aussi vous l’indiquiez à l’instant d’expliquer, par l’exemple, que oui, elles ont aussi été héroïques de la part de Français, là où on ne conçoit, trop souvent, que le rouleau compresseur allemand écrasant la France sans résistance ? N’a-t-on pas même oublié qu’on s’est battu, en 40 ?

la France combattante

Oui, on a très vite oublié le sacrifice de ces héros et il y a depuis un « french bashing » entretenu sur ce point dans le monde anglo-saxon et, il faut bien le dire, par certains Français qui éprouvent un plaisir masochiste à dénigrer systématiquement leur propre histoire. Il faut dire que l’exemple vient de loin avec Céline qui décrivait la drôle de guerre et la Bataille de France par une formule à l’emporte-pièce : « Neuf mois de belote, six semaines de course à pieds ». S’il a en partie raison pour la belote, l’ancien combattant de 14 se trompe pour la course à pied. En effet, les fils des poilus de 14 se sont bien battus. Il se sont parfois sacrifiés avec un courage d’autant plus étonnant qu’ils luttaient au milieu de l’effondrement moral des élites et de la population qui s’enfuyaient sur les routes de l’Exode.

 

GP Teyssier

Mon grand-père Adrien Teyssier devant son char Renault FT17.

 

Quelle est votre part personnelle, familiale, j’ai envie de dire « intime », dans cette histoire de la campagne de France, de l’Exode, de l’effondrement de l’État, et de l’Occupation ? Quels souvenirs forts vous ont été transmis par vos aïeux, vos proches, et dans quelle mesure avez-vous été habité par cette mémoire-là ?

histoire familiale

Je suis né dix-sept ans après la fin de la guerre, mais j’ai eu l’impression de la vivre par procuration. Mon père avait dix ans en 1944, et j’ai eu la chance de grandir en étant entouré de mes quatre grands parents qui avaient connu et parfois fait la seconde guerre mondiale, et même la première pour mon grand-père paternel. Le sujet revenait souvent sur le tapis et comme je suis tombé tout petit dans le chaudron de l’Histoire, je n’arrêtais pas de les questionner. Il y a beaucoup de leurs récits dans ce roman et cela m’a donné l’envie d’en rechercher d’autres, car rien ne vaut la réalité qui dépasse toujours, et de loin, la fiction.

 

Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir, dans le détail de leur être, chacun de vos personnages. On suit le déroulé du récit, entre mai et juillet 40, à travers les destins de l’équipage (aux origines sociales et géographiques très variées) d’un char d’assaut français, de la famille d’un de ses équipiers vivant à Dunkerque, et du haut-commandement politique et militaire de la France et du Royaume-Uni. Comment s’est opéré votre travail de documentation, que l’on devine très conséquent ? Où est le vrai, où est le romancé chez tous ces personnages, dans tous ces moments de vie ?

écrire un roman historique

L’historien précède toujours le romancier chez moi. Je suis donc parti de mes connaissances sur la période car je l’enseigne à l’université de Nîmes. J’ai ensuite approfondi en relisant les mémoires des décideurs que j’avais dans ma bibliothèque. Cependant, ces derniers ont à cœur de justifier leurs actions passées et ont souvent un point de vue « personnel » sur les évènements. Je suis donc allé chercher à l’échelon juste au-dessous, chez les chefs de cabinets. Ces derniers ne sont pas des politiques, mais plutôt des serviteurs de l’État. Ils ont souvent pris des notes au jour le jour et ont publié leurs mémoires plus tard, parfois même après leur mort. Je pense notamment à Roland de Margerie, le conseiller diplomatique de Paul Reynaud qui est une source de renseignements et d’anecdotes étonnantes.

Pour l’aspect militaire, je suis allé du côté des journaux de marche des bataillons de chars. Pratiquement toutes les actions vécues par mon équipage de B1 bis correspondent à des fait d’armes réellement vécus par des équipages français. Ces exploits montrent à quel point ces soldats se sont battus avec courage. Pour les civils, il y a aussi de nombreux témoignages, mais j’ai également eu recours à la presse qui donne à voir la façon de présenter les choses au jour le jour à une population déboussolée, et souvent terrifiée par l’idée que des centaines d’espions étaient parmi eux pour préparer l’invasion, la fameuse « cinquième colonne ». Parmi les sources, l’hebdomadaire Match est très intéressant car il était très lu à l’époque. Bref, au total c’est un roman très historique, où tout ce qui n’est pas strictement authentique est parfaitement vraisemblable.

 

B1 Bis

Le char B1 Bis L’Eure, dont l’histoire a en partie inspiré mon roman.

 

On est surpris effectivement, quand on vous lit, par la combativité de l’équipage du Stonne (éléments vous le disiez inspirés de faits réels), et par la puissance de leur char français, un B1 bis qui semblait n’avoir pas grand chose à envier aux panzer allemands. On est effaré, surtout, quand on découvre, suivant les routes de la débâcle, des chars et des avions flambant neufs dans des dépôts.

Nous parlerons choix politiques dans un instant mais pour vous, s’agissant des opérations de terrain, la faillite, c’est d’abord celle du commandement militaire, de la doctrine défensive statique, de Gamelin ? Est-ce qu’avec un De Gaulle (qui portait depuis longtemps l’idée d’unités mécaniques cohérentes), un Huntziger, ou même un Weygand comme généralissime dès septembre 39, les choses auraient été bien différentes ?

les choix de Gamelin

De Gaulle n’est qu’un simple colonel jusqu’à la fin mai 1940. Personne ne l’imagine à la tête de l’armée en 1940, pas même lui. Huntziger n’aurait pas fait mieux que Gamelin, il commandait les troupes stationnées dans la région de Sedan le 10 mai 1940… avec le succès que l’on sait. Weygand, malgré ses 73 ans aurait eu plus de mordant que Gamelin qui était un général de salon, qui doit surtout sa place à ses accointances avec le ministre Daladier. Malgré tout, il est difficile de dire s’il aurait changé le cours de l’Histoire.

En tout cas, il est probable que Weygand aurait conservé une masse de manœuvre en réserve derrière la ligne de front. Cette réserve stratégique existait. En l’occurrence, il s’agissait de l’excellente VIIe armée du général Giraud. Placée en réserve à Reims, elle aurait pu barrer la route à la percée de Guderian. Mais au lieu de ça, en avril Gamelin l’a envoyé dans la région de Lille pour aller soutenir… la Hollande. C’est ce qu’elle tentera de faire, en vain. Cette décision aberrante aurait dû valoir le peloton à Gamelin, le pire généralissime que la France aura connu dans sa longue histoire militaire.

 

Quel regard portez-vous, comme historien connaissant bien les batailles, la vie et la mort des empires, sur les causes profondes des succès foudroyants de l’Allemagne nazie au printemps 1940 ? Faut-il pointer une politique diplomatique et militaire des démocraties ayant manqué d’audace dans la seconde moitié des années 30, parce que trop empreinte de pacifisme ? Un esprit de jouissance l’ayant emporté sur l’esprit de sacrifice, d’après le mot de Pétain ? Ou bien tout simplement, et avant tout, comme le défend François Delpla, l’excellence du coup allemand ?

les raisons de la défaite

Pas plus que pour la chute de l’empire romain, il n’y a une cause unique pour la défaite de la France en 1940.

Pour comprendre les choses, il faut surtout garder en mémoire l’effroyable saignée causée par la guerre de 14-18. Huit millions de mobilisés pour quarante millions d’habitants et 1,4 millions de morts sur les huit millions de mobilisés… Le « plus jamais ça » n’était pas dû à la couardise des Français ou à « l’esprit de jouissance » mais à la conscience du fait que le pays ne pouvait pas se permettre une autre hécatombe de ce genre. De là vient « l’esprit Maginot ». De l’autre côté du Rhin les choses étaient différentes. Le désir de revanche, une natalité forte, une armée remise à neuf et Hitler, tout cela portait un peuple de 80 millions d’individus vers la guerre. Pour autant l’historiographie a liquidé l’idée de « l’esprit de jouissance ». La France se réarme dès 1937 et consacre la même part de son budget à l’armement que le IIIe Reich, mais l’Allemagne est plus riche et plus peuplée.

Cependant, une autre cause est moins souvent évoquée : la méfiance de l’Angleterre vis-à-vis de la France victorieuse. Londres qui se méfie d’une France redevenue la première puissance militaire mondiale en 1918. Très vite le naturel antifrançais revient au galop. Deux exemples parmi d’autres illustrent cet état d’esprit chez nos voisins d’outre-Manche. En 1935, les Britanniques autorisent unilatéralement l’Allemagne à reconstruire une flotte de guerre égale à un tiers de la Royal Navy. Cette trahison donne pleine satisfaction à Hitler qui peut ainsi considérer que le traité de Versailles est mort et enterré. Le second exemple se passe en 1938 à propos de la Tchécoslovaquie. Les Tchèques ont une excellente armée et des lignes de défenses solides. Face aux appétits d’Hitler, Daladier serait prêt à la guerre pour défendre notre alliée d’Europe centrale, mais il ne peut y aller seul sans l’appui britannique. Hélas, Chamberlain fait confiance au Führer et refuse de soutenir les Français et les Tchèques. Préférant « l’apaisement » à la guerre, il signe les accords de Munich en septembre 1938. C’est Churchill qui voit clair dans cette affaire avec sa formule : « Vous avez préféré le déshonneur à la guerre, vous aurez le déshonneur et la guerre ». On connaît la suite, un an plus tard, l’Histoire lui donne raison.

Enfin, il faut aussi tenir compte de l’extraordinaire culot de Guderian qui va bien au-delà du plan allemand en fonçant devant lui en profitant de la situation. Plus que l’état-major allemand, c’est lui qui emporte la décision, grâce à un coup d’œil et une audace d’une efficacité rare dans les annales de l’histoire militaire.

 

Reynaud et Pétain

Le général Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et le maréchal Pétain, mai 1940.

Photo : © Getty / Keystone-France.

 

Deux éléments de détail, mais cruciaux, que j’aimerais développer avec vous...

Premier point : Comment expliquez-vous l’ordre donné par Hitler à Guderian de stopper net sa course triomphale vers Dunkerque, rendant par la même le ré-embarquement quasi-miraculeux de plus de 330 000 soldats britanniques et français ? Crainte réelle de s’exposer dangereusement ? Volonté par le Führer d’affirmer son statut de chef suprême ne goûtant que modérément les initiatives personnelles ? Voire gage de bonne volonté envers Londres pour faire flancher le cabinet britannique ? 

Dunkerque

Le gage de bonne volonté est un mythe forgé par Hitler lui-même après coup. Sa volonté de s’imposer face à ces junkers prussiens que le « caporal de Bohème » déteste pourrait être une explication, sauf que dans ce cas précis, Hitler se rallie à la prudence que prêche les généraux de son état-major. Je pense en fait, qu’Hitler a eu peur de son propre succès dont l’ampleur n’a été prévu par personne. Il a aussi peur d’une réaction des alliés. En cela les réactions des Français à Stonne et à Montcornet ou des Anglais à Arras, ont joué leur rôle. Même si elles n’ont pas été suffisantes pour freiner l’invasion, elles ont semé le doute dans l’esprit d’Hitler. L’ancien combattant de la première guerre connait la valeur de ses adversaires et il redoute un nouveau miracle de la Marne. Aussi joue-t-il la prudence en permettant, malgré lui, le miracle de Dunkerque. Ce dernier est aussi dû à l’échec de Goering qui lui avait assuré que la Luftwaffe pourrait noyer l’armée anglaise dans une mer de sang. Il est également dû à la résistance héroïque des Français qui retiennent les Allemands pendant une semaine autour de Dunkerque. Une résistance qui a fait dire aux Allemands qu’ils avaient devant eux les dignes héritiers des défenseurs de Verdun.

 

Deuxième point : Dans votre récit, la comtesse Hélène de Portes, maîtresse du président du Conseil Paul Reynaud, est omniprésente et fait lourdement pression, jusqu’au harcèlement, sur son amant à bout de nerfs, pour lui faire accepter une demande d’armistice. A-t-elle été pour vous, un acteur décisif de ces temps des plus troublés ?

le cas Hélène de Portes

Difficile de dire si elle a été décisive, mais sa petite musique a toujours joué en faveur de l’armistice à tout prix auprès du faible Reynaud. Ce dernier a passé ces semaines tragiques entre volonté de combattre et désir d’abandon. Et la musique lancinante de sa maîtresse a scié les nerfs du versatile chef du gouvernement français. De toute évidence, Reynaud n’était pas l’homme de la situation. En tout cas, la comtesse est si omniprésente que tous les témoins, Churchill, de Gaulle, Weygand, de Margerie, Villelume… parlent d’elles dans des termes souvent cinglants. Tous, sauf un, Reynaud, qui ne cite même pas son nom dans l’épais volume de ses mémoires. Un silence qui ressemble à un aveu…

 

Weygand devenu généralissime a beaucoup reproché aux Britanniques d’avoir économisé leurs forces, et surtout leurs avions, là où des contre-attaques efficaces pouvaient encore, selon lui, être engagées. Ont-ils pensé trop tôt à l’étape d’après, la défense de leurs îles, ou bien leur décision fut-elle clairement la bonne au vu de la situation déjà très compromise sur le territoire français ?

la part des Anglais

Cette histoire constitue une tragédie grecque où tout le monde à raison. Weygand a raison de reprocher aux Anglais de se replier vers Dunkerque alors qu’il espère encore contre-attaquer. Il a raison d’exiger une aide massive de la R.A.F. au moment où l’aviation française, malgré le courage de ses pilotes, est submergée. Mais Weygand arrive trop tard à la tête des armées alliées. Le 16 mai, l’impression donnée par Gamelin, encore généralissime, est désastreuse. Il n’a pas de plan de contre-attaque, pas de réserve et surtout aucune volonté de combattre. C’est un spectateur passif de l’effondrement et le pouvoir politique hésite encore à le chasser. À partir de là, pour Churchill, la messe est dite. Il faut sauver ce qu’il peut de ses trop rares soldats et sauvegarder la R.A.F. pour tenter de défendre son île. La suite lui a donné raison, mais l’impression d’abandon ressentie par les Français a fait le lit de la demande d’armistice, et donc de Pétain.

 

J’aimerais votre sentiment sur cette question : imaginons un instant que Paul Reynaud soit resté à la barre, après le 16 juin, que le gouvernement ait choisi de continuer la lutte, de partir pour l’Afrique, voire d’aller effectivement vers l’union franco-britannique. Est-ce que ça aurait pu marcher ? Qu’est-ce que ça aurait changé ?

no surrender !

C’est une question qui me tracasse depuis longtemps et mon opinion à varié suivant les époques et mes lectures. Dans mon livre, c’est une question qui est au cœur des débats entre les responsables civils et militaires. C’est pour moi l’occasion de donner les arguments des uns et des autres sans pour autant trancher ce débat. Un débat qui ne le sera jamais car on ne peut pas refaire l’histoire. 80 ans après, mon avis personnel est qu’au moment de l’armistice, les faits donnent raison aux partisans de l’arrêt des combats. Rien ne peut laisser supposer que Churchill va continuer la guerre. L’URSS est alliée avec Hitler, les USA détournent le regard et l’Angleterre n’a plus d’armée. Pourtant, la volonté de fer et le jusqu’auboutisme du Premier ministre britannique demeurent inébranlables. Il faut être visionnaire comme de Gaulle pour le percevoir. Si Reynaud avait eu le même courage, je pense qu’une décision de continuer la lutte en Afrique aurait tout changé. Hitler aurait alors concentré ses efforts contre l’Angleterre et aurait subi le même échec. L’Italie aurait été chassé d’Afrique du nord dès la fin de 1940 et on n’aurait jamais entendu parlé de l’Afrika Korps de Rommel. Il est possible que la guerre aurait été raccourcie d’un an et Reynaud, donc la France, aurait été sur la photo de Yalta. Mais tout cela n’est que le reflet de mon opinion, car on ne refait pas l’Histoire… hélas.

 

Antichar

Des soldats français autour d’une pièce antichar.

 

Y a-t-il encore, 80 ans après, un traumatisme vivace quant à l’effondrement national de mai-juin 1940 ? Des séquelles, jamais complètement guéries (et je ne parle même pas de l’après, de Vichy) ?

les séquelles

Oui, je pense que ce traumatisme est fondateur, d’une forme de manque de confiance dans la France et son avenir. Cette période a vu l’effondrement des élites qui se sont souvent enfuies avant de capituler alors qu’il fallait encore se battre. Elle a vu aussi la défaite d’une nation qui passait pour l’une des toutes premières au monde. Vichy a accentué ce phénomène en martelant que c’était « l’esprit de jouissance » des Français qui était la cause du mal. Pourtant, le personnel politique de Vichy, à commencer par Laval, faisait bien partie de ces élites qui ont mené la France à la catastrophe. Il ne faut pas oublier que c’est le parlement de 1936, à 80 exceptions près, qui donne légalement les pleins pouvoir au maréchal Pétain dès le mois de juillet 1940. L’occupation allemande et l’humiliation qu’elle entraîne pendant quatre ans constitue également un traumatisme profond que de Gaulle n’a que partiellement apaisé. S’il n’avait pas été là pour sauver l’honneur, les séquelles en seraient encore plus graves.

 

Quelles leçons tirez-vous de mai-juin 40 ? Les recherches effectuées pour ce livre, et son écriture, ont-elles affermi certaines de vos convictions en la matière ?

résonances actuelles

Paradoxalement, j’en tire un regain de confiance dans l’avenir de la France. Ce vieux pays a connu des catastrophes incroyables mais c’est toujours relevé grâce au courage de son peuple. J’en retire également la conviction que des élites déconnectées des réalités du pays qu’elles dirigent sont dangereuses. Leur fonctionnement en circuit fermé dans une sorte d’entre-soi confortable peut révéler au grand jour une incapacité de réaction face à une crise sans précédent. Je trouve sur ce point de vue, que la « gestion » de la crise du Covid a eu de grandes similitudes avec mai-juin 1940. Le fameux « les masques ne servent à rien » m’a fait penser au non moins redoutable « les divisions blindées ne servent à rien ». On a également assisté à la même auto-satisfaction malgré une impréparation totale. On a vu une communication désordonnée, une incapacité de tenir un cap, les mêmes disputes entre les « experts » devant des décideurs qui ne décident plus grand-chose, les mêmes rumeurs qui agitent l’opinion… Tout cela avait un parfum de Troisième République finissante. Mais on a vu aussi « ceux qui ne sont rien » et autres « sans dents » qui étaient sur le « front ». Ils ont fait tourner le pays de la même façon que les héros de mon roman se battent avec courage face à la catastrophe. C’est cela qui doit être retenu.

 

Pomier

Le lieutenant Pomier qui a abattu l’as allemand Molders. Je consacre un chapitre

à ce duel pour ne pas oublier non plus ceux qui se sont battus dans les airs.

 

Je le rappelais tout à l’heure, vous êtes un grand spécialiste des reconstitutions historiques, qui ré-insufflent de la vie à l’Antiquité ou à l’épopée napoléonienne. On imagine assez peu, en revanche, des reconstitutions sur la Première Guerre mondiale ou, a fortiori, sur le front occidental de la Seconde (je me trompe peut-être). Parce que trop proches, trop sujettes à passions, trop « sombres » aussi ?

histoire vivante

Pas du tout, il existe des associations très vivantes de reconstitutions sur les deux guerres mondiales, pour n’en citer qu’une sur 1940, je parlerais de l’association « France 40 » qui s’attache notamment et restaurer et à faire revivre les véhicules de l’armée française de cette époque. Cette association et beaucoup d’autres font un énorme travail de conservation du patrimoine et de transmission de la mémoire. Elles participent pleinement aux commémorations qui malheureusement pour mai-juin 1940 ont été zappées à cause du Covid. De plus, ces associations d’histoire vivante attirent de plus en plus de jeunes venus de milieux très différents, ce qui est une très bonne chose.

 

Que vous inspirent ces temps, pas mal troublés aussi dans leur genre, où l’on abat les statues assez facilement, et sans guère s’encombrer de complexité historique ?

les nouveaux iconoclastes

Rien ne peut justifier d’abattre une statue qui témoigne d’une époque passée. Au-delà de l’acte barbare, il s’agit d’un crime contre la mémoire d’une nation et donc d’un véritable acte de « populicide ». Le pire dans tout ça, demeure l’inaction voire la complicité des politiques, mais aussi le silence assourdissant des historiens universitaires qui vont parfois jusqu’à cautionner ces actions hallucinantes. Écrire « raciste » sur la statue de Churchill relève en effet de la maladie mentale, lorsque l’on sait que cet homme a été le principal acteur de la défaite du nazisme en Europe… Où seraient ces nouveaux vandales si Hitler avait vaincu ? Mais la bêtise n’a pas de limite puisque même le roi d’Écosse Robert Bruce (mort en 1329) a eu droit lui aussi à son « raciste » sur sa statue… alors même qu’il n’a sans doute jamais croisé un homme noir de sa vie… Je constate en fait que l’histoire est prostituée à des intérêts politiques et « racialistes » (comme on dit) très inquiétants, en voulant opposer les gens les uns contre les autres. Chaque fois que l’on a fait tomber des statues dans l’Histoire, on ne tarde jamais à faire tomber des têtes.

 

Votre deuxième tome de L’An 40 est-il en bonne voie ? Vos autres projets et envie pour la suite ?
 
Il est bien avancé en effet, c’est l’objectif de l’été. J’ai aussi des projets de documentaire sur la Seconde Guerre mondiale et sur Rome. D’autres projets de livres et de spectacles également. Je ne manque jamais de projets.

 

Un dernier mot ?

Oublier, jamais…

 

E

  

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Commentaires
E
Merci pour vos commentaires mais pouvez vous développer ?... Je n'ai pas l'impression d'être complaisant pour Weygand et encore moins envers Huntziger. Avez vous bien lu l'article Olivier Loukidis ? De Même j'aimerais savoir en quoi je suis "tributaire des historiens auxquels je fais confiance" ? Pouvez vous m'éclaire François Delpla ? En tout cas je vous suggère de lire mon livre afi de vous faire une idée complète et de me dire ce que vous en pensez... A vous lire.
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O
Un jugement bien complaisant sur Weygand et sur Huntziger : Weygand ,à partir de sa nomination n'a strictement rien fait, pire : il a saboté les derniers plans de Gamelin, qui auraient peut-être pu contribuer à fixer le front, et surtout il a conforté Pétain dans sa volonté d'arrêter la guerre au plus vite. Pour Huntziger, le constat est encore plus grave : il était le principal responsable qui pouvait stopper Gudérian dans les Ardennes et il n'a strictement rien fait, à part se défausser sur le général Corap. Son attitude est suspecte car il avait manifestement toutes les cartes en main mais les a négligés. Un jour il faudra peut être se poser la même question, le concernant, que celle que l'on s'est posé sur Bazaine.
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F
Eric Teyssier est tributaire des historiens auxquels il fait confiance. Malheureusement, le plus en vue, Karl-Heinz Frieser, encensé en France, est bien surfait.<br /> <br /> <br /> <br /> Cf. http://www.delpla.org/forum/viewtopic.php?f=29&t=27&sid=7d9e3cfc9fb4c0df238feafd9f917763&start=315 .
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