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Paroles d'Actu
11 avril 2021

Eric Teyssier : « Lorsque l'on déboulonne les statues, on ne tarde jamais à faire tomber des têtes »

Le 5 mai prochain sera commémorée, à l’occasion de son bicentenaire (1821), la disparition à Sainte-Hélène, lieu de son exil forcé, de Napoléon Ier à l’âge de 51 ans. Pour évoquer, une fois de plus sur Paroles d’Actu la figure de l’empereur et ces pages si importantes de notre histoire, j’ai la joie de recevoir l’historien et romancier Éric Teyssier, auteur notamment du roman Napoléon est revenu !, chroniqué sur notre site en 2018 et réédité en poche en 2020. Un entretien axé sur l’Histoire qui entend rééquilibrer un peu les arguments, à l’heure où les promoteurs de la cancel culture reçoivent, sans doute, un écho excessif. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Napoléon est revenu poche

Napoléon est revenu !, réédité en poche, 2020.

 

INTERVIEW EXCLUSIVE, 8-10 AVRIL 2021

Éric Teyssier: « Lorsque l’on déboulon-

ne les statues, on ne tarde jamais

à faire tomber des têtes... »

  

Comment avez-vous « rencontré » Napoléon, et pourquoi est-il important dans votre vie ?

Du plus loin que je me souvienne j’ai toujours aimé et admiré Napoléon, et des années d’études n’ont rien changé à l’affaire. Ma grand-mère maternelle, qui adorait l’histoire de France et Napoléon, y est sans doute pour quelque chose. À 14 ans, elle m’a fait visiter Paris pour la première fois et je suis allé «  le voir  » aux Invalides avec elle. Le 2 décembre, le 5 mai et le 15 août ne sont pas des dates comme les autres pour moi, elles me rattachent au souvenir de son épopée. Il est important dans ma vie car il demeure un modèle du fait de sa volonté implacable et de son génie. L’Empereur constitue aussi un modèle de ce que l’Homme peut accomplir de grand dans une vie.  C’est ce qui m’a conduit aussi à faire de la reconstitution napoléonienne (association Le Chant du départ) et à écrire mon premier roman (Napoléon est revenu), dans lequel je livre une image très personnelle de l’Empereur.

 

En étant aussi objectif que possible, et sans rien occulter des polémiques du moment (rétablissement de l’esclavage, accusations de misogynie) : quels reproches peut-on légitimement lui faire, et qu’est-ce qu’on lui doit ?

Vaste question...

 

« Misogyne ? Ce n’est pas Napoléon

qui l’était, mais toute la société. »

 

Un mot sur les accusations les plus courantes que l’on entend aujourd’hui. Il serait misogyne. Mais ce terme ne veut rien dire à cette époque. Ce n’est pas Napoléon qui l’était, mais toute la société. Faut-il rappeler que les mentalités de 1800 ne sont pas celles de 2021 ? Pourquoi Napoléon aurait-il eu les mêmes pensées que nous à l’encontre de tous ses contemporains ? Connaissons-nous quelqu’un qui aurait aujourd’hui les pensées de l’an 2240 ? Rappelons que la Révolution n’a pas réellement changé le statut des femmes en leur faveur. Elles n’avaient pas plus le droit de vote sous Robespierre que sous Bonaparte. Certes, la Terreur a cependant reconnu aux femmes le droit d’être guillotinées comme les hommes, à commencer par Olympe de Gouge. Comme progrès vers l’égalité on peut faire mieux. Par ailleurs, Napoléon pérennise le droit au divorce en donnant lui-même l’exemple.

 

« Tous les pays européens pratiquaient l’esclavage

en 1802. Bonaparte l’a rétabli non par racisme

mais pour se rapprocher du cadre commun. »

 

Il y a aussi la question de l’esclavage qu’il a rétabli dans certaines îles (mais pas toutes) où la Révolution l’avait aboli. Jusqu’en 1802, Bonaparte n’était pas favorable à ce rétablissement. S’il finit par s’y résoudre en 1802 c’est dans le contexte de la paix d’Amiens. En 1802, la France est en paix pour la première fois depuis dix ans. Tous les pays européens, Grande-Bretagne en tête sont esclavagistes et craignent une contagion de l’exemple français. C’est donc pour se rapprocher du cadre commun et non pas pour un quelconque racisme que Bonaparte a rétabli l’esclavage. De plus, lors de son retour en 1815, il interdit la traite négrière ce qui constitue à court terme à la fin de l’esclavage qui est abolie en 1848 par la France. Condamner Napoléon à l’oubli pour ces raisons anachroniques revient à condamner toute les sociétés de cette époque et donc notre histoire. C’est sans doute le véritable but de ceux qui ne veulent pas célébrer le bicentenaire de l’empereur des Français.

En dehors de tout anachronisme militant, on peut reprocher, ou regretter, deux décisions qui relèvent bien de ses choix. La guerre d’Espagne, constitue la seule guerre qu’il aurait pu éviter. Elle fut dramatique. La campagne de Russie est un peu différente quant aux responsabilités qui sont plus partagées, mais c’est sa plus grande erreur stratégique. Celle qui lui fut fatale...

 

« On lui doit d’avoir pacifié un pays déchiré

par dix ans de révolution, en conservant

ce que celle-ci avait de meilleur. »

 

Ce qu’on lui doit... Tant de choses…. Avoir imposé plusieurs fois la paix par la victoire en mettant notamment fin (traités de Campo Formio et de Lunéville avec l’Autriche et paix d’Amiens avec la Grande-Bretagne) à une guerre provoquée par la Révolution. Rappelons que lorsque la France déclare la guerre à l’Europe en 1792, Napoléon a 21 ans et il est lieutenant. L’accusation d’avoir «  aimé la guerre  » ne tient donc pas. Il a hérité des guerres de la Révolution entretenues par l’Angleterre. On lui doit aussi d’avoir balayé, sans un coup de feu, le Directoire. Ce régime étroitement censitaire était corrompu jusqu’à la moelle. Il est invraisemblable de voir que certains politiques font semblant de confondre ce marécage avec la république. Ce que Bonaparte a balayé c’est un régime ou seuls les 30 000 citoyens les plus riches avaient le droit de vote sur une population de 30 millions d’habitants. Si c’est cela leur république, c’est inquiétant, tout en relevant d’une certaine logique au regard de la situation actuelle où les élites semblent de plus en plus éloignées du peuple. On lui doit aussi d’avoir pacifié un pays déchiré par dix ans de révolution, en conservant ce qu’elle avait de meilleur. Son œuvre législative a également fondé la France contemporaine mais plus que tout il a montré ce que la France et les Français peuvent accomplir lorsqu'ils sont unis et rassemblés derrière un chef digne de ce nom.

 

La cancel culture, très en vogue, est au déboulonnage des statues qui ne correspondent plus aux critères de beauté actuels, sans remise en contexte aucune. Qu’est-ce que ça dit de notre époque ?

« Juger nos ancêtres avec nos critères contemporains

relève d’une sinistre stupidité. »

Cela nous dit que notre époque est malade d’inculture et dominée par une dictature de l’émotion et des minorités. C’est aussi très inquiétant, car lorsque l’on déboulonne les statues on ne tarde jamais à faire tomber des têtes. À force de niveler par le bas on en arrive aussi à s'agenouiller devant ceux qui hurlent le plus fort, même s'ils ne sont qu'une poignée. La cancel culture a pour but l’effacement nos mémoires et notre histoire. Le but ultime étant de faire de notre passé table rase pour bâtir à la place un système totalitaire où toute évocation d’un passé non conforme aux dictats du moment sera exclue. Inutile de dire que ça ne passera pas par moi et que je fais tout pour m’y opposer en tant qu’historien. Juger nos ancêtres avec nos critères contemporains relève d'une sinistre stupidité. Cela voudrait dire que les principes de notre époque sont parfaits et que les valeurs passées seraient toutes condamnables. Certains veulent aussi nous convaincre d’avoir honte de notre Histoire. Quand ils affirment cela, ils se gardent bien d’accepter le débat car ils connaissent trop la minceur de leurs arguments. Personnellement, je dis (comme ma grand-mère), que nous pouvons être fiers de ceux qui nous ont précédé et qui ont bâti notre héritage. Plutôt que de le salir en hurlant avec les loups, il nous appartient de le défendre bec et ongle. Je comprends que pour certains l'histoire de notre pays soit insupportable. Heureusement, ils sont libres d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Qu’ils aillent interroger l’histoire d’autres contrées qui seraient exemplaires à leurs yeux et qui n’auraient rien à se reprocher. Nous ne sommes pas en URSS, on ne retient personne.

 

Quand vous considérez le rapport qu’ont les Français à leur histoire globalement, ça a plutôt tendance à vous rassurer, ou à vous inquiéter ?

« Pour certains, seuls comptent la dénonciation,

l’anathème et le manichéisme, toutes choses étrangères

à l’Histoire qui doit être fondée sur le débat,

la confrontation des sources et des points de vue. »

Une majorité de Français aime leur histoire. Ils lisent des livres, regardent des documentaires, assistent à des spectacles historiques. C’est très rassurant. Pourtant l’Histoire n’a jamais été aussi mal enseignée, mais c’est justement parce que la nature a horreur du vide que le public va chercher ailleurs ce que l’École ne transmet plus comme avant. Les incertitudes du présent et de l’avenir y sont pour quelque chose aussi. On recherche dans notre histoire les exemples de nos ancêtres qui font encore sens aujourd’hui et qui nous encouragent à aller de l’avant. Alors il y a bien sûr ceux qui font profession de cracher sur le passé, de juger, de dénigrer et de condamner l’Histoire. Mais qui sont-ils pour s’ériger en procureurs ? Qu’ont-ils accompli d’exemplaire ? Quand on les écoute on comprend très vite qu’ils ne connaissent pas l’Histoire. Pour eux seuls comptent la dénonciation, l’anathème et le manichéisme, toutes choses étrangères à l’Histoire qui doit être fondée sur le débat, la confrontation des sources et des points de vue. Ces mémoricides sont inquiétants, non pas par leur nombre mais par les tribunes qu’on leur accorde et les micros qu’on leur tend avec complaisance. Sans cela, ils retourneraient très vite au néant dont ils procèdent car ils n’ont au fond que l’importance que certains médias leur donnent.

 

Entre d’un côté la contrition permanente qui conduit à la haine de soi, de l’autre l’inculcation idéologique d’un roman national biaisé, quel « bon » enseignement de l’histoire pour la construction d’une nation apaisée et qui puisse regarder de l’avant ?

« Comme sous la IIIe République, il faut

que l’Histoire que l’on enseigne à l’école

serve à rassembler plutôt qu’à diviser. »

Il y a belle lurette qu’on « n’inculque » plus un quelconque roman national mais plutôt une « haine de soi » et une repentance officielle et systémique. Le « bon » enseignement serait d’en finir définitivement avec cette repentance. Le passé est tel qu’il est et vouloir l’instrumentaliser en désignant des coupables ne peut mener qu’à la guerre civile, ce qui semble le but objectif de certains. La Troisième République était anticléricale mais dans ses écoles elle présentait Jeanne d’Arc comme une héroïne exemplaire et Saint Louis comme un grand roi. Elle était antimonarchique mais elle considérait Richelieu, Louis XIV et Napoléon comme de grands Français. Tout cela contribuait à unir les Français au-delà de leurs différences autour d’un héritage commun. C’est cela construire une nation apaisée. Après, il est toujours possible de soupeser les mérites et les erreurs des uns et des autres mais sans cet esprit de procès permanent et d’épuration qui finit par devenir écœurant à la longue. Comme sous la IIIe République, il faut que l’Histoire que l’on enseigne à l’école serve à rassembler plutôt qu’à diviser. Contrairement à ce que l’on entend tous les jours, il faut faire une histoire sans a priori idéologique contemporain. Cela ne veut pas dire effacer ce que le passé a de négatif mais il faut toujours analyser chaque période, chaque évènement par rapport à son contexte historique en se posant la question : « Aurions nous fait mieux à leur place dans leur situation ? »

  

Quels enseignement tirer de l’épopée napoléonienne, et que peut-on en retenir en 2021 ?

On ne peut pas détacher l’épopée napoléonienne de la Révolution, ni de la France d’Ancien Régime. Napoléon a réussi à faire la synthèse de ce que ces deux systèmes totalement opposés pouvaient avoir de meilleur, en assumant tout de « Clovis au Comité de Salut public ». Napoléon était un Romain de l’Antiquité, car il était pragmatique. La France de 1799 était en plein chaos quand il « ramasse » le pouvoir en 1799. En l’espace de quatre ans, il a profondément réformé le pays, réconcilié les Français et rendu sa prospérité à la France. Il nous montre ce que les Français peuvent faire quand ils sont réellement gouvernés. La crise que nous traversons montre comme en 1799, ou en 1940, la faillite d’élites coupées des réalités. L’épopée napoléonienne nous enseigne qu’il ne faut jamais désespérer de ce « cher et vieux pays » comme disait le général de Gaulle.

 

Quels hommages devraient à votre avis lui être rendus à l’occasion du bicentenaire de son décès, en particulier au niveau de la République, de l’État ?

« Arrêtons de prostituer le passé en faveur de telle

ou telle idéologie du temps présent ! »

Je dirais, le moins possible. Les politiques ont trop tendance à s’accaparer le passé à travers des commémorations officielles où ils ne célèbrent souvent que leur propre impuissance à entrainer le pays vers l’avenir. Que l’on arrête de prostituer le passé en faveur de telle ou telle idéologie du temps présent. Comme les autres, elles seront vite balayées par le vent de l’Histoire. Napoléon sera toujours là lorsque les polémiques stériles auront été oubliées depuis longtemps. Qu’on laisse donc ceux qui ont un réel attachement à l’empereur le célébrer comme ils l’entendent. On s’apercevra alors que les Français seront nombreux à vouloir rendre hommage à celui qui fut le plus illustre de leurs compatriotes.

 

Un dernier mot ?

Vive l’Empereur !

 

Eric Teyssier

Photo : Christel Champ.

 

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