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Paroles d'Actu
28 avril 2021

Thierry Lentz : "En vainquant Napoléon, Londres s'est offert un siècle de domination mondiale"

Dans une semaine très exactement, les Français et d’autres, au-delà de nos frontières, au-delà même des mers, se souviendront que, deux cent ans plus tôt, disparaissait sur un caillou perdu dans l’Atlantique sud, un homme qui, pour l’avoir longtemps dominée, aurait pu mourir en maître de l’Europe continentale. Un personnage tellement grand qu’on en écrirait bientôt la légende.

Pour ce dernier article d’une « trilogie bicentenaire » qui n’était pas forcément prévue au départ, j’ai la grande joie, après Éric Teyssier (Napoléon et l’histoire) et Charles Éloi-Vial (les Cent-Jours), de recevoir une nouvelle fois M. Thierry Lentz, un des plus fins connaisseurs de l’épopée et de l’époque napoléoniennes (il dirige également la Fondation Napoléon depuis plus de vingt ans).

Je remercie chaleureusement M. Lentz d’avoir accepté de m’accorder cet entretien, traitant principalement du combat implacable que se livrèrent Napoléon, qui aspirait à l’hégémonie continentale, et l’Angleterre, déjà maîtresse des mers. À la fin on le sait, Britannia rules, Britannia rules the waves. Une autre légende, forgée celle-ci par des vainqueurs. Une autre histoire... Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - SPÉCIAL BICENTENAIRE NAPOLÉON

Thierry Lentz: « En vainquant Napoléon,

Londres s’est offert un siècle de domination mondiale... »

Pour Napoléon

Pour Napoléon, Éditions Perrin, 2021.

 

Certains réflexes claniques du Corse Bonaparte (népotisme, etc...) ont-ils contribué à la perte de Napoléon?

L’argument « clanique » a été utilisé notamment par les royalistes, Louis XVIII en tête, pour dévaloriser la politique familiale de Napoléon. Il est vrai qu’il a sans doute exagéré sur ce point, en confiant des trônes importants pour son système à ses frères les plus jeunes et incapables, Louis et Jérôme. Sans doute les traditions corses ont-elles joué. Ceci étant dit, l’essaimage des Bonaparte en Europe n’est comparable à celui des Habsbourg ou des Bourbons, voire par la mainmise de certaines familles dans la monarchie d’ancien régime, comme les Colbert sous Louis XIV. On le voit, corse ou non, le tropisme familial a toujours joué… et joue encore aujourd’hui.

 

« Sans doute a-t-il exagéré, en confiant

des trônes importants pour son système à ses frères

les plus jeunes et incapables. »

 

Napoléon a-t-il perdu pied après Tilsit, comme enivré à son apogée?

Après Tilsit et la victoire sur la Russie, Napoléon avait une grande liberté de choix pour la suite. Il pouvait, par exemple, se reposer et peaufiner son système européen. Sans doute, avec un peu de patience, l’Angleterre aurait-elle fini par négocier, la tentative avortée de 1806, qui avait capoté largement par la faute de Napoléon, le prouve. Mais alors qu’il avait assuré la prépondérance française sur le Continent, l’empereur des Français ne s’en contenta pas. L’occasion était trop belle, sa puissance trop grande pour qu’il ne continue pas à s’en servir. Il fit alors de mauvais choix, comme la prise de contrôle de l’Espagne - inutile tant ce pays était un satellite de la France - et l’absence de souplesse dans ses relations avec la Russie alliée. Une sorte d’engrenage, ignoré mais implacable, avait été mis en route.

 

« Napoléon n’a pas su se contenter de la prépondérance

française qu’il avait réalisée en Europe.

Il fit alors de mauvais choix... »

 

The Plumb-pudding in danger

Une des plus célèbres caricatures du temps de Napoléon, réalisée par l’artiste britannique

James Gillray en 1805. À gauche, le Premier ministre britannique Pitt Le Jeune, à droite

l’empereur des Français. Le partage du monde n’aura pas lieu...

 

Une grande paix de compromis aurait-elle pu être atteignable entre Français et Britanniques autour de 1807, une position prépondérante - pas forcément hégémonique, un pacte entre puissances s’en serait assuré - en Europe pour les uns, le contrôle des mers et l’accès aux marchés continentaux pour les autres?

L’ennemi le plus acharné de Napoléon s’avéra être l’Angleterre, libérée de la menace d’invasion suite à la destruction de la flotte franco-espagnole à la bataille de Trafalgar (octobre 1805). Après avoir sciemment fait capoter des négociations (été 1806) afin de poursuivre sa marche en avant de dicter « sa » paix en position de domination absolue du continent, Napoléon décida de la vaincre par là où, selon les Français, elle pêchait : ses finances et son commerce. La réputation de la « perfide Albion » était de vivre à crédit et de ne dépendre que de ses exportations. L’analyse était exacte dans ses grandes lignes mais la fragilité du système anglais comme les conséquences que pouvait avoir à court terme un dérèglement de ce système furent surévaluées. Côté anglais, la détermination était plus forte que les dérèglements. Albion finançait les guerres des autres, contournait souvent le Blocus continental et employait tous les moyens pour faire taire son peuple. Seul le temps aurait pu aboutir à un compromis. Napoléon ne se le donna pas, d’autant plus que la guerre que lui imposa l’Autriche en 1809 ne fit qu’accroître son sentiment d’invincibilité.

 

« Napoléon a surévalué la fragilité du système

socio-économique de son rival britannique. »

 

Tout bien pesé, la victoire du Royaume-Uni dans cette guerre des systèmes et sa domination du XIXème siècle a-t-elle constitué un préjudice évident, palpable quant au développement ultérieur de la France?

Napoléon fut vaincu à Waterloo, désastre militaire aux conséquences politiques et économiques immenses. Avec le second traité de Paris (20 novembre 1815) et les garanties prises par les vainqueurs durant le congrès de Vienne (qui s’était achevé en juin), l’ « équilibre européen » fut restauré presque dans sa configuration de 1789, à ceci près que la France était ramenée au niveau d’une puissance moyenne soumise à la surveillance de ses grands vainqueurs, Autriche, Prusse, Russie, Angleterre. Au niveau mondial, le gagnant principal était indubitablement cette dernière. Elle avait obtenu à peu près tout ce qu’elle souhaitait. Le commerce pouvait reprendre sur des routes maritimes contrôlées par elle et un marché européen libéré. Bien évidemment, Albion ne s’était mise à la tête d’une « croisade » de libération que pour la galerie. Grande importatrice de matières premières, déjà usine de transformation du monde et exportatrice de produits manufacturés, elle pouvait à nouveau s’approvisionner sans obstacle et inonder les marchés. Que ses élites aient toujours allégué un alibi « moral », libéral et pacifique, n’empêche pas de constater qu’en défendant « l’équilibre européen », elles protégeaient surtout un déséquilibre commercial en leur faveur. En ce sens, leur projet n’était pas moins hégémonique que celui de Napoléon, mais elles usaient de moyens d’une autre nature. Sans autres visées territoriales que l’occupation des carrefours commerciaux (Héligoland, Malte, îles Ioniennes, Cap de Bonne-Espérance, Mascareignes, …), elles visaient avant tout au contrôle des échanges et à l’élimination d’un concurrent trop puissant. Au large, la fragilisation des colonies françaises et hollandaises des Antilles, de l’océan Indien et du Pacifique était assurée. Que l’on y ajoute une indépendance des places financières et des tarifs douaniers raisonnables, et tout serait à nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Bien calée dans son île inexpugnable, l’Angleterre avait su se montrer patiente, endurante et prodigue avec ses alliés. Elle pouvait désormais rentabiliser l’investissement consenti pendant vingt ans et dominer le monde pour un long siècle.

 

« En défendant "l’équilibre européen",

les élites anglaises protégeaient surtout

un déséquilibre commercial en leur faveur. »

 

Interview : fin avril 2021.

 

Thierry Lentz 2021

 

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19 avril 2021

Benjamin Boutin : « Le combat de la francophonie, c'est celui du plurilinguisme »

L’article qui suit va me permettre d’aborder une fois de plus (voir, sur ce blog, les interviews avec Grégor Trumel, Valéry Freland et Fabrice Jaumont) une thématique qui me tient à coeur: la francophonie, ou le français en tant que richesse partagée, et sa vitalité dans le monde. Benjamin Boutin est entre autres (nombreuses) activités, le dynamique président-fondateur de l’association Francophonie sans frontières. Il a accepté de répondre à mes questions, je l’en remercie, ainsi que pour cette cause honorable qu’il défendUne exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Benjamin Boutin: « Le combat de la fran-

cophonie, c’est celui du plurilinguisme. »

Benjamin Boutin, avec Ousmane Drabo

Une photo de Benjamin Boutin sur le plateau de RFI avec le journaliste Ousmane Drabo.

 

Bonjour Benjamin Boutin. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a donné envie de vous engager pour la promotion de la cause francophone ?

pourquoi la cause francophone ?

À l’école, j’avais une prédilection pour les langues, notamment pour le français ; j’étais passionné par l’histoire, l’instruction civique et la géographie. J’eus la chance de voyager durant mon adolescence dans une vingtaine de pays et outre-mer. Cela forgea mon goût pour la rencontre des cultures et les échanges internationaux. 

En 2012, j’intégrai le master 2 Diplomatie et négociations stratégiques de l’Université Paris-Sud Saclay, dont le thème principal était la francophonie. Le parrain de ce master réunissant des étudiants et des professeurs de 23 nationalités n’était autre qu’Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie, ancien Président de la République du Sénégal. J’eus le grand honneur de le rencontrer en 2013.

Alors que je m’impliquais déjà au sein d’une association de jeunes francophones qui plaidait pour la diversité linguistique et culturelle dans les organisations internationales, je publiai mon premier article sur la francophonie dans La Tribune le 10 juillet 2013 et devins responsable des Débats francophones internationaux à la Conférence Olivaint, une association française de débat public et d’art oratoire.

À l’automne 2014, après avoir vécu en France et en Belgique, j’effectuai un stage à l’Assemblée nationale du Québec. On me confia le suivi des dossiers internationaux relatifs à la francophonie pour le compte du Chef de l’Opposition officielle. En 2015, j’intégrai l’École nationale d’administration publique (ENAP) du Québec, où je rencontrai des jeunes chefs de file, certains originaires de pays africains et caribéens francophones et plurilingue. Je deviens vice-président de l’Association étudiante de l’ENAP et fis de la francophonie ma priorité.

La même année, je partis enseigner en Haïti, pays partiellement francophone trop souvent résumé au seul fait qu’il est économiquement l’un des moins avancés de la planète. En 2015 également, je co-organisai une mission d’étude à New-York, à la rencontre de responsables d’organisations internationales. Une prise de parole à la Représentation permanente de la Francophonie auprès des Nations Unies me permit d’annoncer la tenue d’un colloque sur la francophonie que je préparai déjà depuis plusieurs mois.

 

« La francophonie est pour moi, un espace

de liberté, de création, d’entrepreneuriat, d’innovation... »

 

Ce colloque international, intitulé « Quelle stratégie pour l’avenir de la francophone ? », eut lieu le 9 mars 2016 à Montréal, en présence d’une centaine de personnes et d’une trentaine d’intervenants de haut niveau. À cette occasion, nous présentâmes avec Marie-Astrid Berry le projet pilote de Francophonie sans frontières (FSF). Depuis, je n’ai cessé de m’impliquer pour la francophonie. Elle est pour moi un espace de liberté, de création, d’entrepreneuriat, d’innovation. Elle représente surtout une voie d’accès à des millions d’êtres humains avec qui je peux échanger, grâce à notre langue partagée.

 

Que retenez-vous de votre expérience comme enseignant en Haïti ? En quoi cette aventure a-t-elle été différente, par exemple, de ce temps pendant lequel vous avez enseigné à Paris ?

enseigner à Haïti, et ailleurs

Enseigner à une cinquantaine de jeunes Haïtiens prometteurs au Centre d’études diplomatiques et internationales (CEDI) me sensibilisa aux richesses culturelles et spirituelles de ce pays. En Haïti, l’éducation ouvre véritablement une fenêtre d’espoir sur un futur plus prospère et apaisé. Comme l’écrivait Benjamin Disraeli (Premier ministre britannique de la fin du XIXè siècle, ndlr), de l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays.

Haïti est en proie aux difficultés. Les crises se succèdent. Malgré tout, je place beaucoup d’espoirs en la jeunesse. Celle, la plus éduquée, à laquelle j’ai eu affaire, est tentée par l’émigration. J’ai voulu transmettre à mes étudiants non seulement des connaissances sur le développement économique, la prospective, la géopolitique et la coopération, mais aussi les inciter à valoriser les atouts de leur pays et à préserver son patrimoine culturel et naturel inestimable.

Enseigner à Paris est une expérience différente mais non moins enrichissante. Depuis quelques années, je donne des conférences et des cours sur la francophonie, la diplomatie culturelle, la géopolitique, l’influence... Je compléterais volontiers cette offre par un cours de géoéconomie. Je suis aussi très attentif à l’évolution des technologies dans nos sociétés et dans nos vies.

 

« Mon rôle d’enseignant, je le conçois comme celui d’un

passeur de connaissance, voire d’un mentor. »

 

Mon rôle d’enseignant, je le conçois comme celui d’un passeur de connaissance, mais aussi comme celui d’un tuteur voire d’un mentor pour aider les jeunes à exprimer le meilleur d’eux-mêmes et à devenir d’honnêtes femmes et d’honnêtes hommes. Ce désir découle de l’instruction humaniste que j’ai moi-même reçue.

 

Quel regard portez-vous sur l’état de la francophonie dans le monde ? Est-elle, en 2021, stable, en déclin, ou plutôt en expansion ?

l’état de la francophonie

Son existence a une valeur propre qui ne dépend pas, selon moi, de sa variabilité. L’important est que la francophonie existe et rayonne dans le respect des autres aires linguistiques et culturelles. L’enjeu majeur est d’éviter la sur-représentation d’une seule langue dans les échanges internationaux. Le combat de la francophonie, c’est celui du plurilinguisme, qui nous permet d’exprimer les spécificités de nos cultures, de nos traditions, de nos idéaux dans toutes leurs nuances.

En 2021, la francophonie a comme atout d’être portée par le dynamisme démographique de nombreux pays, d’être représentée sur les cinq continents et d’être bien structurée en associations, en universités et en institutions. Cela lui donne un avantage.

Mais il manque encore quelques briques pour conforter la présence des langues françaises (oui il y en a plusieurs) dans les sphères économiques, médiatiques, numériques, artistiques, scientifiques : par exemple la structuration de filières économiques mutualisées, le développement et l’accessibilité d’une offre culturelle - notamment audiovisuelle - attractive, la mise en place d’une banque francophone d’investissement, etc.

 

« L’avenir de la francophonie est conditionné

à notre capacité à former et à mobiliser

un grand nombre d’enseignants. »

 

Sans être exhaustif, l’avenir de la francophonie est conditionné à notre capacité à former et à mobiliser un grand nombre d’enseignants. La demande éducative est forte, notamment en Afrique. Y répondre doit être la priorité des priorités des instances de coopération francophones.

 

Concernant le Québec et du Canada que vous connaissez bien : la langue française s’y développe-elle, y compris au-delà de ses espaces traditionnels ?

le français au Québec et au Canada

La francophonie québécoise et la francophonie canadienne sont deux réalités imbriquées et interdépendantes. Le Québec abrite une société majoritairement francophone, où les droits de la minorité anglophone sont garantis. J’aimerais que ce soit réciproque au sein du Canada majoritairement anglophone. Or, je constate et déplore des coupes budgétaires dans les services rendus en français, ainsi qu’un manque d’ambition pour assurer une éducation réellement bilingue, d’un océan à l’autre. Le bilinguisme français-anglais doit être un critère absolu pour la sélection des immigrants et pour l’accès aux emplois publics. En premier lieu, les ministres, les parlementaires et les hauts fonctionnaires doivent donner l’exemple.

Et n’oublions pas non plus les langues et les cultures autochtones qui doivent être respectées et valorisées, dans l’ensemble du Canada.

 

Comment défendre et promouvoir le français dans d’ex-pays de l’empire colonial français notamment, en évitant l’écueil du néocolonialisme ?

francophonie et liberté des peuples

Les politiques de ces pays dépendent de leurs peuples souverains. C’est à eux d’investir à la fois dans des programmes éducatifs, culturels, économiques, scientifiques et autres ainsi que dans les organisations internationales francophones crées par les pères de l’indépendance (Senghor, Bourguiba, Diori, Sihanouk…) s’ils considèrent, comme leurs grands aïeux, que le français et le plurilinguisme sont de formidables outils de connaissance, de prospérité, de dialogue interculturel et de paix.

L’élan de la francophonie dépend fortement de la volonté des sociétés civiles organisées en associations, en coopératives, en syndicats et en conseils économiques, sociaux et environnementaux. Ces forces vives peuvent et doivent lancer des initiatives pour la francophonie, comme le fait Francophonie sans frontières, et inciter leurs gouvernements à développer des programmes pour stimuler la francophonie locale, régionale, nationale et internationale.

 

« En Europe, le français est la deuxième langue

la plus parlée et la plus apprise. »

 

Je rappelle aussi que la francophonie n’est pas seulement constituée de pays issus de l’ancien empire colonial français ou belge. Un certain nombre d’États qui n’ont jamais subi cette colonisation choisissent le français comme langue d’enseignement, de culture, de tourisme, d’affaires… En Europe, par exemple, le français est la deuxième langue la plus parlée et la plus apprise. En Amérique latine et même aux États-Unis, la francophonie est attractive parce qu’elle est synonyme de mieux-être, de culture et d’art de vivre. Apprendre cette langue confère des atouts dans tous les domaines, y compris dans la sphère professionnelle.

 

La diversité culturelle et les échanges entre les cultures sont des concepts nobles, qui vous parlent. Quel rôle pour le français, et quels atouts jouer en la matière ?

de la diversité culturelle

La diversité culturelle et les échanges entre les cultures constituent l’une des sources de mon bonheur. Et le mot n’est pas trop fort. À ce titre, la langue française représente un pont de compréhension et de coopération extraordinaire ; mais celui ou celle qui la pratique doit être animé par un esprit d’ouverture et d’accueil. La langue française, seule, n’est pas une baguette magique. Et comme toutes les langues, elle peut être utilisée à bon ou mauvais escient. C’est la raison pour laquelle le mouvement francophone doit être, à mon sens, animé par l’éthique, ce chemin de réflexion et d’action vers la juste décision, qui commence par la considération pour autrui et pour sa culture.

 

De fait, l’espace francophone est extrêmement divers : pourquoi cette richesse collective-là n’est-elle pas davantage mise en avant, notamment auprès du grand public ? Que faire pour rendre la francophonie populaire comme peut l’être, par exemple, l’anglais du Commonwealth ?

et le grand public ?

Le Commonwealth est une organisation politique centralisée autour du monarque britannique en exercice. Bien que je le respecte et que je trouve plusieurs de ses initiatives positives, ce n’est pas ma conception d’une francophonie multipolaire et décentralisée.

Faire connaître la francophonie au grand public et notamment aux jeunes, développer l’engagement et le sentiment d’appartenance à cette communauté de langue et de destin, c’est précisément ce à quoi je m’emploie depuis mes jeunes années. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons fondé avec Marie-Astrid Berry Francophonie sans frontières (FSF), l’association des francophones engagés.

Nous offrons avec FSF un espace de coopération, disponible à l’ensemble des francophones et des francophiles volontaires qui adhèrent à notre mission et à notre charte éthique élaborée avec notre partenaire principal, René Villemure Ethicien.

 

Que faites-vous concrètement pour promouvoir la langue française, et quel bilan tirez-vous de votre action en la matière jusqu’à présent ?

actions concrètes

Notre association internationale fait feu de tout bois, avec des moyens qui sont pour le moment assez limités. Nous pourrions faire plus avec davantage de moyens. Mais la vision que nous proposons d’une francophonie joyeuse, intergénérationnelle, ouverte, amicale, favorisant les synergies et les projets, est extrêmement attirante.

Concrètement, nous structurons des équipes et des modes d’action, nous mettons en place des systèmes d’échange, d’adhésion, de communication et de formation pour créer une culture associative commune.

 

« La magie du monde associatif permet d’imaginer

et de réaliser des projets, si on y investit suffisamment

de réflexion, d’énergie et de cœur... »

 

Nous organisons différents types d’événements comme Les Matins francophones et Les Coulisses de la francophonie. C’est cela la magie du monde associatif : être libre d’imaginer et de réaliser des projets, si on y investit suffisamment de réflexion, d’énergie et de cœur.

Nous intervenons également dans le milieu scolaire et universitaire, nous organisons des colloques et des conférences en ligne, nous organisons une école d’été et nous diffusions une émission de radio, La Voix de la diversité.

Nous coopérons aussi avec d’autres associations et institutions mais aussi avec des entreprises désireuses de s’engager pour la francophonie comme l’Hôtel Château Laurier à Québec, un établissement « franco-responsable ».

Francophonie sans frontières est une aventure toujours en mouvement. Notre organisation non-gouvernementale mériterait davantage de soutien, parce qu’elle a vocation à perdurer afin de créer des liens durables pour la francophonie. C’est sa raison d’être.

 

Je note que, parmi vos sources d’inspiration majeures, il y a le grand poète et écrivain Léopold Sédar Senghor. Quels ouvrages, de lui et d’autres, auriez-vous envie de recommander, aussi bien à des non francophones qu’à des francophones d’ailleurs, pour s’imprégner à la fois de la beauté des lettres et de la diversité culturelle de ceux qui parlent notre langue ?

Senghor et les auteurs francophones

De Senghor, j’apprécie autant la poésie que les discours, deux genres qui expriment les multiples facettes du poète-président sénégalais et français, enraciné et universel, pragmatique et spirituel.

Pour en savoir plus sur Senghor, je vous conseille la lecture d’un livre écrit de sa main intitulé Ce que je crois (Grasset) ainsi que du livre de Jean-Michel Djian, Léopold Sédar Senghor. Genèse d’un imaginaire francophone, paru chez Gallimard.

La Voix de la diversité, l’émission de radio de FSF, diffusera bientôt une série de chroniques consacrée à Senghor, présentées par l’agrégé de Lettres classiques Anthony Glaise, à qui j’ai confié la responsabilité de coordonner l’Année Senghor de Francophonie sans frontières. 2021 marque en effet les vingt ans de la disparition de Senghor. Nous soulignerons son héritage francophone humaniste lors d’un colloque à Paris et d’une grande conférence à Dakar.

 

 

« En ce 400e anniversaire de la naissance de

Jean de La Fontaine, relisons avec joie ses fables

et ses contes, empreints de sagesse et d’irrévérence. »

 

La beauté des lettres françaises et la diversité culturelle de la francophonie sont infinies. Il m’est difficile de recommander un livre en particulier. Mais puisqu’il faut se prêter à l’exercice, je conseille aux francophiles la lecture du Dictionnaire amoureux de l’Esprit français de Metin Arditi (Plon Grasset) ou encore le roman d’une jeune auteure franco-mauricienne de talent, Caroline Laurent, intitulé Rivage de la Colère (Escales). Et puis, en ce 400e anniversaire de la naissance de Jean de La Fontaine, relisons avec joie ses fables et ses contes, empreints de sagesse et d’irrévérence.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Je continuerai d’être là où j’estime être utile par mes initiatives, mon expertise et mes valeurs. La francophonie mobilise beaucoup de mon temps actuellement ; néanmoins, j’ai d’autres dossiers à faire avancer.

En plus de mon engagement social, j’ai sur le feu plusieurs projets de création. J’ai notamment deux projets d’écriture bien avancés, qui pourraient voir le jour avec le concours d’une éditrice ou un éditeur.

On n’arrive jamais à rien sans l’aide de personnes de bonne volonté qui regardent à peu près dans la même direction que soi. J’ai beaucoup d’envies et d’idées. J’aime créer, fédérer, transmettre et donner le meilleur de moi-même. Mais il y a aussi une part d’inconnu et de hasard dans la destinée. Je l’accepte et je vous dirais même que je l’accueille.

 

Un dernier mot ?

… pour vous remercier de votre attention.

Interview : mi-avril 2021.

 

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16 avril 2021

Jean-Eric Perrin : « Angèle est, dans sa musique, une photographie exacte de la génération qu'elle représente »

Aux origines de cet article, il y eut un coup de coeur. Tardif, mais un gros coup de coeur. Je crois qu’il est venu de la découverte par un ami que je salue ici, de Ta reine, puis de ce clip :

 

C’est faux peut-être mais au plus je ris
Au plus j’te donne tort
De pas vouloir m’aimer

 

Bref, j’ai découvert Angèle. Talent d’interprétation (timbre et intonations très caractéristiques), à l’écriture (légère mais profonde) et à la compo (des années de piano derrière elle), charme énorme (pourquoi le nier) et une bonne dose d’humour (la touche belge ?). Autant le dire, il y aura peut-être un léger manque d’objectivité dans cet article, et un nombre de vidéos un peu élevé mais tant pis, j’assume (je voulais inclure chacune d’elles, et j’ai eu la flemme de choisir, et encore j’ai dû sacrifier La Thune et Je veux tes yeux).

Jean-Éric Perrin, écrivain et journaliste qui a écrit énormément de choses sur la musique (mais pas que) vient de signer une bio de Miss Van Laeken, aux éditions L’Archipel. Un ouvrage intéressant qui raconte le parcours de vie de la chanteuse, décortique son premier album Brol et explore les thèmes qui lui sont chers, et tous les à-côtés (l’image, le côté business) qu’elle partage avec les artistes de sa génération, amplement ancrés dans les réseaux et l’auto-production.

Merci à l’auteur d’avoir accepté de répondre à mes questions. Et à l’éditeur, une fois de plus. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Jean-Éric Perrin: « Angèle est,

dans sa langue et ses thèmes, une photographie

exacte de la génération quelle représente. »

Angèle

Angèle, Pop féminisme (LArchipel, avril 2021).

Entretien daté du 15 avril.

 

Jean-Éric Perrin bonjour. Comment avez-vous découvert Angèle, et pourquoi avoir choisi de lui consacrer un livre ?

Je l’ai découverte comme tout le monde, à travers ses premières chansons et ses clips malins. Son succès phénoménal et le fait qu’elle soit devenue « phénomène de société » justifiait de lui consacrer un livre, même si sa carrière est « jeune ».

 

 

En plus d’être jolie, drôle dans ses clips et douée dans ses interprétations, Angèle est loin d’être sotte et, on l’oublie souvent, elle est auteure de ses textes, et compositrice, avec pas mal d’années de piano derrière elle. Étudier Angèle, c’est aussi une histoire de « codes à casser » ?

Si ces « codes » subsistent encore, il serait temps de la pulvériser une fois pour toutes. Nous avons une génération brillante de jeunes artistes qui sont auteures, compositrices, interprètes, parfois productrices (comme Angèle) : avec Clara Luciani, Suzane, Pomme, et quantité d’autres. La pop est féminine en 2021.

 

Il est pas mal question d’autres artistes belges dans votre ouvrage, et notamment l’exemple brillant de Stromae. Est-ce qu’il y a une touche belge particulière, et comment la définir par rapport à la France ?

Peut-être en raison de leur proximité avec l’Angleterre, mais les Belges ont toujours été à la pointe du rock et de la pop. En tout cas depuis les années 80. Le pays est petit, mais riche, la preuve, avec Stromae et Angèle, nous avons les deux plus gros vendeurs francophones depuis des années.

 

 

Le sous-titre de votre livre, « Pop féminisme », fait écho aux messages portés par Angèle, féministe donc - et féminine -, notamment bien sûr dans Balance ton quoi. À l’heure des suites de #MeToo, elle compte parmi les figures médiatiques (Adèle Haenel côté ciné, Clara Luciani pour le rock, Pomme pour la folk) qui incarnent ces combats. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ? Cette génération-là va-t-elle pouvoir les faire bouger, les lignes ?

Les mouvements #MeToo, #TimesUp et autres ont eu un impact considérable, et fédéré à travers le monde un mouvement salvateur, légitime, et attendu depuis si longtemps... Angèle se défend d’en être une porte-drapeau, mais le message de ses chansons est de toute évidence important parce qu’elle le porte vers un public dont une bonne partie est très jeune, et donc en pleine élaboration de ses futurs choix et attitudes envers ces sujets. Elle ne fera pas bouger le lignes de façon frontale, mais le fera certainement de façon durable, la génération qui a grandi avec Balance ton quoi ou Ta Reine va forcément assimiler cette façon de voir et de se comporter, que l’on soit une fille, un garçon, ou tout autre définition.

 

 

Vous le rappelez bien dans votre livre, Angèle, c’est un role model, la grande sœur idéale pour les jeunes filles, les préados et les adolescentes. Ses thèmes sont plus larges, comme son public : histoires de cœur, d’acceptation de la différence, railleries sur la prééminence des réseaux sociaux, du poids de l’image dans nos sociétés... En quoi est-ce qu’elle vous « parle » à vous Jean-Éric Perrin ?

Il est vrai que ça peut paraître étrange de la part d’un sexagénaire de trouver un écho personnel dans les mots d’une chanteuse de 24 ans, mais d’abord je suis un sexagénaire qui n’a jamais dépassé les 17 ans. Ensuite en tant qu’analyste de la société à travers la musique populaire, je trouve dans sa langue et dans ses thèmes une photographie exacte de la génération qu’elle représente, et à ce titre je trouve son travail passionnant. Et puis j’adore ses chansons.

 

Vous pratiquez et côtoyez des artistes depuis pas mal d’années. Est-ce qu’à votre avis, ceux d’aujourd’hui, et notamment Angèle, très protégée dans un cocon et control freak assumée, calculent trop leur image, et verrouillent trop leur communication ?

Nous sommes à une époque où les artistes-marionnettes, ça a assez duré. Il y a eu des chefs d’oeuvre, certes, mais en 2021, pour exister, et pour durer, les artistes sont obligés d’en passer par ce contrôle total.

 

On connaît tous la pression
Tu t’sens comme la reine du monde
Mais c’est qu’une impression
Les gens t’aiment pas pour de vrai
Tout le monde te trouve génial alors que t’as rien fait
Tout est devenu flou
Un peu trop fou, pour moi
Tout est devenu flou
Et j’en ai peur, la suite on verra

 

Dans ses interviews, que vous reproduisez à bon escient, Angèle fait montre d’une humilité qui trahit, parfois, un manque de confiance en elle, et peut-être une vraie maturité. Elle est consciente de l’anormalité de ce qui lui arrive, d’une forme d’illégitimité par rapport à d’autres artistes qui n’auront jamais des publics larges comme les siens après une vie complète de scène. Est-ce qu’il y a chez elle, et peut-être chez les artistes de sa génération (lien avec la question précédente), un excès de sérieux, un manque de candeur ?

Angèle a vécu en deux ans ce que la plupart des artistes ne vivront jamais dans toute leur carrière. Ca peut perturber, interroger, susciter des questions, des doutes. Je pense qu’avec le temps, cette question d’illégitimité s’amenuisera. Le deuxième album sera crucial dans cette démarche.

 

 

Justement, pour avoir étudié et vu grandir pas mal de groupes et artistes, c’est quoi les écueils à éviter et les exigences à avoir pour un deuxième album réussi quand on est à ce point attendue au tournant ?

Il n’y a pas de règle. Après un tel succès, il est évident qu’un deuxième album se vend toujours moins. L’important est de garder une ligne en proposant de nouvelles choses, pas de reprendre les recettes du premier. Si l’album garde une vraie valeur artistique, les critiques seront bonnes, et la fan base rassurée.

 

Vous évoquez dans votre ouvrage le risque de voir disparaître, à terme, les maisons de disque traditionnelles, pointant la grande professionnalisation des jeunes artistes, et ces réseaux dont ils savent très bien se servir pour se lancer, s’auto-produire, communiquer et se vendre. Qu’est-ce que ça donnerait, demain, un monde sans majors ?

Cette disparition progressive des majors me semble inéluctable. Même si elle n’est pas pour demain. Mais une future réorganisation du système des maisons de disques va forcément se produire. Les gros artistes internationaux ont un pouvoir de les court-circuiter, ce qu’ont fait Drake ou Taylor Swift. L’indépendance d’Angèle, à cet égard, est un exemple à suivre.

 

 

Angèle, en trois adjectifs ?

Créative, maligne, puissante.

 

Si vous pouviez lui adresser un message, là ?

J’espère juste qu’elle aimera le livre que je lui consacre.

 

Quels sont vos gros coups de cœur musicaux du moment à partager avec nous, parmi les artistes déjà connus mais surtout, ceux qui ne le sont pas encore ?

Pas de grosses découvertes récentes, mais plutôt des confirmations. En rock, j’écoute en boucle les nouveaux albums de Western Machine et de Mustang. En pop, L’Impératrice et La Femme confirment leur talent. Comme la pop, le rap du moment est féminin, avec Lala & Ce et, encore une Belge, Lous & The Yakusas qui est géniale.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Je ne les dévoile jamais à l’avance, mais j’ai un autre livre terminé, pour septembre, et des projets en route.

 

Un dernier mot ?

Le « Pop féminisme » est en marche, et c’est la meilleure nouvelle d’une période par ailleurs épuisante.

 

Jean-Eric Perrin

 

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Et une dernière pour la route.

Le spleen n'est plus à la mode, c'est pas compliqué d'être heureux...

13 avril 2021

Charles Eloi-Vial: « Les Cent-Jours, une catastrophe mais aussi une période charnière... »

Charles Éloi-Vial est conservateur au service des manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, il est aussi historien. Il a notamment consacré plusieurs ouvrages à la période napoléonienne, dont une biographie de l’impératrice Marie-Louise (Perrin, 2017), et très récemment une Histoire des Cent-Jours (Perrin, 2021), ce moment si important dans l’épopée de Bonaparte, de l’exil forcé sur l’île d’Elbe jusqu’à celui, définitif, sur Sainte-Hélène, en passant par le « vol de l’Aigle », la fuite des Bourbons et l’ultime défaite de Waterloo. Un livre passionnant, très documenté avec de nombreux témoignages d’époque qui contribuent à rendre le récit vivant (il le fait tirer, avec pertinence, jusqu’au Traité de Paris de novembre 1815), comme un document d’actu, d’une actu vieille de 206 ans (mais pas dénuée pour autant de résonances modernes). Je vous recommande la lecture de cet ouvrage et remercie l’auteur pour l’interview, la deuxième, qu’il m’a accordée. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - SPÉCIAL BICENTENAIRE NAPOLÉON

Charles Éloi-Vial: « Les Cent-Jours,

une catastrophe mais aussi une période charnière

pour la naissance de notre monde actuel... »

Histoire des Cent-Jours

Histoire des Cent-Jours, Éditions Perrin, 2021.

 

Son exil forcé sur l’île d’Elbe a-t-il conféré de la sagesse à Napoléon ? Revenu au pouvoir, entendait-il sincèrement, à votre avis, apporter calme et une plus grande liberté au pays, et si on le lui avait permis, appliquer une diplomatie pacifique à l’extérieur ?

les intentions de Napoléon

Napoléon a passé dix mois à Elbe, et il en est revenu reposé mais certainement pas assagi, comme le montre cette « évasion » spectaculaire et son débarquement le 1er mars à Golfe-Juan. Son retour au pouvoir est justifié par une rhétorique plutôt tortueuse, où il met en avant sa légitimité face à « l’usurpation » bourbonienne, pose en défenseur des intérêts de la France face aux rois de l’Europe et à l’Angleterre ennemie et affirme vouloir sauver la liberté et l’égalité héritées de 1789. Il doit marcher sur une ligne de crête, en promettant à la fois la paix aux Français encore excédés des dernières guerres de l’Empire et aux autres monarques, tout en galvanisant ses anciens soldats en leur rappelant les souvenirs de leurs glorieuses conquêtes.

Entre des sujets pacifiques à qui il promet une monarchie constitutionnelle et une armée rêvant de repartir au combat, dans un contexte diplomatique explosif, la question de ce que désire réellement Napoléon n’a en réalité aucune importance. Il a sans doute quitté l’île d’Elbe avec un discours justifiant son retour soigneusement préparé, un itinéraire planifié jusqu’à Grenoble, Lyon et enfin Paris, mais sans savoir ce qu’il ferait une fois revenu au pouvoir. Et de fait, il est emporté dans une spirale infernale qui le mène vers la guerre, qui le condamne à mentir en annonçant sans cesse la signature d’une paix imminente, et il applique finalement une politique qui ne contente personne et déçoit tout le monde, ses grognards comme les paysans, les grands et petits notables et les libéraux comme Benjamin Constant qui auraient été prêts à se rallier à lui si son projet avait été sincère et cohérent.

 

« La question n’est pas tant de savoir s’il comptait

réussir ou non, mais plutôt de déterminer s’il était

devenu inconscient, ou simplement suicidaire… »

 

Son idée première était sans doute de tenter de restaurer l’Empire tel qu’il avait existé jusqu’en 1814, rêve qui était en réalité parfaitement impossible tant les oppositions étaient fortes, mais qu’il continua à nourrir même après l’humiliation de Waterloo. Sa seconde intention, en revenant en France, était probablement de tenter un baroud d’honneur, de retrouver sa gloire militaire et de marquer la postérité par un coup d’éclat. La question n’est pas tant de savoir s’il comptait réussir ou non, mais plutôt de déterminer s’il était devenu inconscient, ou simplement suicidaire…

 

La guerre nouvelle provoquée par les quatre grands vainqueurs de 1814 pour anéantir l’empire restauré était-elle inéluctable ? Certaines puissances, de premier ou de second ordre, se seraient-elles accommodées du retour d’un Napoléon assagi ?

l’Europe en face

Du point de vue du Congrès de Vienne, l’entente avec Napoléon est impossible. Depuis la fin de 1813, le tsar Alexandre et le prince-régent en étaient convaincus, de même que les souverains allemands qui avaient secoué le joug français, ou encore le prince héritier de Suède, Bernadotte. L’Autriche avait un peu louvoyé avant de se résigner à la guerre à outrance à partir de mars 1814. Certes, la perspective de l’accord final esquissé à Vienne avait probablement déçu certains souverains, tels Murat ou le roi de Saxe, jugés trop proches du vaincu, ou encore le roi de Prusse qui nourrissait d’importants appétits territoriaux. Par ailleurs, Napoléon était peut-être regretté dans quelques-unes de ses anciennes conquêtes, en Italie du Nord notamment, ou même dans quelques secteurs de Belgique ou de la rive gauche du Rhin, mais personne n’envisageait plus de s’entendre avec lui, à l’exception du royaume de Naples où régnaient encore Caroline et Murat.

 

« Pour le dire franchement, depuis 1814,

plus personne ne veut entendre parler de Napoléon,

son nom est devenu synonyme de guerre... »

 

Pour le dire franchement, depuis 1814, plus personne ne veut entendre parler de lui, son nom est devenu synonyme de guerre, et c’est bien contre lui que les Alliés vont reprendre les armes, et non contre la France. Napoléon a fait une grande erreur de calcul en estimant qu’il parviendrait à émouvoir son beau-père l’empereur d’Autriche ou à ramener à la raison son «ami» Alexandre. Après son retour de l’île d’Elbe, il a très vite compris que la diplomatie ne mènerait à rien, tout en continuant à promettre la paix aux Français pendant plusieurs semaines, avant de leur présenter le conflit à venir comme une guerre-éclair purement défensive. La déception de ceux qui l’avaient accueillis à bras ouverts est parfaitement perceptible dans les archives, tandis que le refus de négocier de l’Europe peut s’étudier par les papiers officiels et surtout par les quelques documents concernant la diplomatie secrète menée par Talleyrand et Fouché.

 

Les Bourbons, au premier rang desquels Louis XVIII, et son frère le futur Charles X, ont-ils appris de l’échec de la première Restauration, et de l’élan conféré par leur propre impopularité à l’Aigle en vol ?

chez les Bourbons, l’électrochoc

Les Bourbons et leurs partisans, qu’il s’agisse des royalistes « constitutionnels » et modérés regroupés autour de Louis XVIII ou des « ultras » réactionnaires partisans du comte d’Artois, ont beaucoup appris des Cent-Jours. Ils ont pris conscience de leurs erreurs de 1814, de l’impopularité dans laquelle ils avaient rapidement sombré, ce qui les pousse à travailler ce que l’on appelait pas encore la « communication politique ». Ils ont aussi tiré les conséquences des quelques imperfections de la Charte, qui est légèrement retouchée à la fin de l’été 1815. Comme le montre aussi l’activité intense de la Chambre dite « introuvable » où siège une majorité ultra, les royalistes ont aussi reçu un cours accéléré de parlementarisme, et compris qu’il leur faudrait faire triompher leurs idées par les urnes, et imposer leurs projets par des lois. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de se dire que les Cent-Jours bénéficient en premier lieu au modéré Louis XVIII, mais aussi aux royalistes les plus virulents, qui ont pris conscience des évolutions advenues en France depuis 1789, et compris qu’ils ne pourraient arriver et se maintenir au pouvoir qu’en apprivoisant les formes de la Révolution.

 

Tout bien pesé (bilan des pertes, réduction de la France après le Traité de Paris, renforcement de la suprématie britannique et de la puissance d’une Prusse installée à nos portes, mais aussi modération de la politique des Bourbons et émergence d’un imaginaire glorieux qui marque encore aujourd’hui), l’épisode des Cent-Jours fut-il, pour vous, une catastrophe sans nuance, ou bien sur la balance, les choses sont-elles plus contrastées ?

les Cent-Jours, un bilan

En histoire, tout est affaire de nuances et de perspectives, de sources et de critique, bien plus que de jugements de valeur. La question de savoir si les Cent-Jours ont été bons ou mauvais est donc compliquée à démêler. À court et moyen terme, tous les contemporains s’accordent pour considérer les Cent-Jours comme une catastrophe. Le pays est déchiré et au bord de la guerre civile en juillet 1815, l’occupation étrangère est très violente, le territoire national rapetissé et les caisses de l’État ruinées par une monstrueuse indemnité de guerre. La France était déjà exsangue en 1814, elle sort des Cent-Jours à genoux, et complètement discréditée au plan international.

Dans une telle situation, Louis XVIII, qui a tout fait pour limiter les dégâts, a forcément bénéficié d’un élan de popularité qui profita à toute sa famille et qui donna aux Bourbons un peu plus de dix années de répit. Il faudra vraiment attendre 1826 ou 1827 pour que les erreurs de Charles X fassent oublier son frère, disparu en 1824, et les Français ne se sont soulevés contre leur roi qu’en 1830. Les Cent-Jours ont été un événement d’une telle violence que le pays a été mis au repos forcé pendant quinze années, ce qui a été forcément salutaire après plus de deux décennies de guerres révolutionnaires puis impériales.

Si l’on se place sur le plan politique, les Cent-Jours ont accéléré la formation des partis de droite comme de gauche, qui n’existaient encore qu’à l’état embryonnaire en 1814, permettant ainsi la mise en place de la vie politique au sens contemporain du terme, avec ses nuances et ses clivages.

 

« Les Cent-Jours ont contribué à faire naître

la légende napoléonienne, essentielle plus tard

à l’avènement de Napoléon III... »

 

En ce qui concerne les imaginaires enfin, les Cent-Jours, réinterprétés par le Mémorial de Sainte-Hélène comme un grand moment de défense des valeurs libérales face à l’ultracisme, permettant de faire naître la légende napoléonienne et facilitant plus tard sa récupération politique par Napoléon III. Les Cent-Jours sont une catastrophe économique, diplomatique, militaire et politique, effectivement, mais aussi une période charnière pour la naissance de notre monde actuel.

Interview : début avril 2021.

 

Charles Éloi-Vial

Charles Éloi-Vial. Illustration : France Info.

 

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11 avril 2021

Eric Teyssier : « Lorsque l'on déboulonne les statues, on ne tarde jamais à faire tomber des têtes »

Le 5 mai prochain sera commémorée, à l’occasion de son bicentenaire (1821), la disparition à Sainte-Hélène, lieu de son exil forcé, de Napoléon Ier à l’âge de 51 ans. Pour évoquer, une fois de plus sur Paroles d’Actu la figure de l’empereur et ces pages si importantes de notre histoire, j’ai la joie de recevoir l’historien et romancier Éric Teyssier, auteur notamment du roman Napoléon est revenu !, chroniqué sur notre site en 2018 et réédité en poche en 2020. Un entretien axé sur l’Histoire qui entend rééquilibrer un peu les arguments, à l’heure où les promoteurs de la cancel culture reçoivent, sans doute, un écho excessif. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Napoléon est revenu poche

Napoléon est revenu !, réédité en poche, 2020.

 

INTERVIEW EXCLUSIVE, 8-10 AVRIL 2021

Éric Teyssier: « Lorsque l’on déboulon-

ne les statues, on ne tarde jamais

à faire tomber des têtes... »

  

Comment avez-vous « rencontré » Napoléon, et pourquoi est-il important dans votre vie ?

Du plus loin que je me souvienne j’ai toujours aimé et admiré Napoléon, et des années d’études n’ont rien changé à l’affaire. Ma grand-mère maternelle, qui adorait l’histoire de France et Napoléon, y est sans doute pour quelque chose. À 14 ans, elle m’a fait visiter Paris pour la première fois et je suis allé «  le voir  » aux Invalides avec elle. Le 2 décembre, le 5 mai et le 15 août ne sont pas des dates comme les autres pour moi, elles me rattachent au souvenir de son épopée. Il est important dans ma vie car il demeure un modèle du fait de sa volonté implacable et de son génie. L’Empereur constitue aussi un modèle de ce que l’Homme peut accomplir de grand dans une vie.  C’est ce qui m’a conduit aussi à faire de la reconstitution napoléonienne (association Le Chant du départ) et à écrire mon premier roman (Napoléon est revenu), dans lequel je livre une image très personnelle de l’Empereur.

 

En étant aussi objectif que possible, et sans rien occulter des polémiques du moment (rétablissement de l’esclavage, accusations de misogynie) : quels reproches peut-on légitimement lui faire, et qu’est-ce qu’on lui doit ?

Vaste question...

 

« Misogyne ? Ce n’est pas Napoléon

qui l’était, mais toute la société. »

 

Un mot sur les accusations les plus courantes que l’on entend aujourd’hui. Il serait misogyne. Mais ce terme ne veut rien dire à cette époque. Ce n’est pas Napoléon qui l’était, mais toute la société. Faut-il rappeler que les mentalités de 1800 ne sont pas celles de 2021 ? Pourquoi Napoléon aurait-il eu les mêmes pensées que nous à l’encontre de tous ses contemporains ? Connaissons-nous quelqu’un qui aurait aujourd’hui les pensées de l’an 2240 ? Rappelons que la Révolution n’a pas réellement changé le statut des femmes en leur faveur. Elles n’avaient pas plus le droit de vote sous Robespierre que sous Bonaparte. Certes, la Terreur a cependant reconnu aux femmes le droit d’être guillotinées comme les hommes, à commencer par Olympe de Gouge. Comme progrès vers l’égalité on peut faire mieux. Par ailleurs, Napoléon pérennise le droit au divorce en donnant lui-même l’exemple.

 

« Tous les pays européens pratiquaient l’esclavage

en 1802. Bonaparte l’a rétabli non par racisme

mais pour se rapprocher du cadre commun. »

 

Il y a aussi la question de l’esclavage qu’il a rétabli dans certaines îles (mais pas toutes) où la Révolution l’avait aboli. Jusqu’en 1802, Bonaparte n’était pas favorable à ce rétablissement. S’il finit par s’y résoudre en 1802 c’est dans le contexte de la paix d’Amiens. En 1802, la France est en paix pour la première fois depuis dix ans. Tous les pays européens, Grande-Bretagne en tête sont esclavagistes et craignent une contagion de l’exemple français. C’est donc pour se rapprocher du cadre commun et non pas pour un quelconque racisme que Bonaparte a rétabli l’esclavage. De plus, lors de son retour en 1815, il interdit la traite négrière ce qui constitue à court terme à la fin de l’esclavage qui est abolie en 1848 par la France. Condamner Napoléon à l’oubli pour ces raisons anachroniques revient à condamner toute les sociétés de cette époque et donc notre histoire. C’est sans doute le véritable but de ceux qui ne veulent pas célébrer le bicentenaire de l’empereur des Français.

En dehors de tout anachronisme militant, on peut reprocher, ou regretter, deux décisions qui relèvent bien de ses choix. La guerre d’Espagne, constitue la seule guerre qu’il aurait pu éviter. Elle fut dramatique. La campagne de Russie est un peu différente quant aux responsabilités qui sont plus partagées, mais c’est sa plus grande erreur stratégique. Celle qui lui fut fatale...

 

« On lui doit d’avoir pacifié un pays déchiré

par dix ans de révolution, en conservant

ce que celle-ci avait de meilleur. »

 

Ce qu’on lui doit... Tant de choses…. Avoir imposé plusieurs fois la paix par la victoire en mettant notamment fin (traités de Campo Formio et de Lunéville avec l’Autriche et paix d’Amiens avec la Grande-Bretagne) à une guerre provoquée par la Révolution. Rappelons que lorsque la France déclare la guerre à l’Europe en 1792, Napoléon a 21 ans et il est lieutenant. L’accusation d’avoir «  aimé la guerre  » ne tient donc pas. Il a hérité des guerres de la Révolution entretenues par l’Angleterre. On lui doit aussi d’avoir balayé, sans un coup de feu, le Directoire. Ce régime étroitement censitaire était corrompu jusqu’à la moelle. Il est invraisemblable de voir que certains politiques font semblant de confondre ce marécage avec la république. Ce que Bonaparte a balayé c’est un régime ou seuls les 30 000 citoyens les plus riches avaient le droit de vote sur une population de 30 millions d’habitants. Si c’est cela leur république, c’est inquiétant, tout en relevant d’une certaine logique au regard de la situation actuelle où les élites semblent de plus en plus éloignées du peuple. On lui doit aussi d’avoir pacifié un pays déchiré par dix ans de révolution, en conservant ce qu’elle avait de meilleur. Son œuvre législative a également fondé la France contemporaine mais plus que tout il a montré ce que la France et les Français peuvent accomplir lorsqu'ils sont unis et rassemblés derrière un chef digne de ce nom.

 

La cancel culture, très en vogue, est au déboulonnage des statues qui ne correspondent plus aux critères de beauté actuels, sans remise en contexte aucune. Qu’est-ce que ça dit de notre époque ?

« Juger nos ancêtres avec nos critères contemporains

relève d’une sinistre stupidité. »

Cela nous dit que notre époque est malade d’inculture et dominée par une dictature de l’émotion et des minorités. C’est aussi très inquiétant, car lorsque l’on déboulonne les statues on ne tarde jamais à faire tomber des têtes. À force de niveler par le bas on en arrive aussi à s'agenouiller devant ceux qui hurlent le plus fort, même s'ils ne sont qu'une poignée. La cancel culture a pour but l’effacement nos mémoires et notre histoire. Le but ultime étant de faire de notre passé table rase pour bâtir à la place un système totalitaire où toute évocation d’un passé non conforme aux dictats du moment sera exclue. Inutile de dire que ça ne passera pas par moi et que je fais tout pour m’y opposer en tant qu’historien. Juger nos ancêtres avec nos critères contemporains relève d'une sinistre stupidité. Cela voudrait dire que les principes de notre époque sont parfaits et que les valeurs passées seraient toutes condamnables. Certains veulent aussi nous convaincre d’avoir honte de notre Histoire. Quand ils affirment cela, ils se gardent bien d’accepter le débat car ils connaissent trop la minceur de leurs arguments. Personnellement, je dis (comme ma grand-mère), que nous pouvons être fiers de ceux qui nous ont précédé et qui ont bâti notre héritage. Plutôt que de le salir en hurlant avec les loups, il nous appartient de le défendre bec et ongle. Je comprends que pour certains l'histoire de notre pays soit insupportable. Heureusement, ils sont libres d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Qu’ils aillent interroger l’histoire d’autres contrées qui seraient exemplaires à leurs yeux et qui n’auraient rien à se reprocher. Nous ne sommes pas en URSS, on ne retient personne.

 

Quand vous considérez le rapport qu’ont les Français à leur histoire globalement, ça a plutôt tendance à vous rassurer, ou à vous inquiéter ?

« Pour certains, seuls comptent la dénonciation,

l’anathème et le manichéisme, toutes choses étrangères

à l’Histoire qui doit être fondée sur le débat,

la confrontation des sources et des points de vue. »

Une majorité de Français aime leur histoire. Ils lisent des livres, regardent des documentaires, assistent à des spectacles historiques. C’est très rassurant. Pourtant l’Histoire n’a jamais été aussi mal enseignée, mais c’est justement parce que la nature a horreur du vide que le public va chercher ailleurs ce que l’École ne transmet plus comme avant. Les incertitudes du présent et de l’avenir y sont pour quelque chose aussi. On recherche dans notre histoire les exemples de nos ancêtres qui font encore sens aujourd’hui et qui nous encouragent à aller de l’avant. Alors il y a bien sûr ceux qui font profession de cracher sur le passé, de juger, de dénigrer et de condamner l’Histoire. Mais qui sont-ils pour s’ériger en procureurs ? Qu’ont-ils accompli d’exemplaire ? Quand on les écoute on comprend très vite qu’ils ne connaissent pas l’Histoire. Pour eux seuls comptent la dénonciation, l’anathème et le manichéisme, toutes choses étrangères à l’Histoire qui doit être fondée sur le débat, la confrontation des sources et des points de vue. Ces mémoricides sont inquiétants, non pas par leur nombre mais par les tribunes qu’on leur accorde et les micros qu’on leur tend avec complaisance. Sans cela, ils retourneraient très vite au néant dont ils procèdent car ils n’ont au fond que l’importance que certains médias leur donnent.

 

Entre d’un côté la contrition permanente qui conduit à la haine de soi, de l’autre l’inculcation idéologique d’un roman national biaisé, quel « bon » enseignement de l’histoire pour la construction d’une nation apaisée et qui puisse regarder de l’avant ?

« Comme sous la IIIe République, il faut

que l’Histoire que l’on enseigne à l’école

serve à rassembler plutôt qu’à diviser. »

Il y a belle lurette qu’on « n’inculque » plus un quelconque roman national mais plutôt une « haine de soi » et une repentance officielle et systémique. Le « bon » enseignement serait d’en finir définitivement avec cette repentance. Le passé est tel qu’il est et vouloir l’instrumentaliser en désignant des coupables ne peut mener qu’à la guerre civile, ce qui semble le but objectif de certains. La Troisième République était anticléricale mais dans ses écoles elle présentait Jeanne d’Arc comme une héroïne exemplaire et Saint Louis comme un grand roi. Elle était antimonarchique mais elle considérait Richelieu, Louis XIV et Napoléon comme de grands Français. Tout cela contribuait à unir les Français au-delà de leurs différences autour d’un héritage commun. C’est cela construire une nation apaisée. Après, il est toujours possible de soupeser les mérites et les erreurs des uns et des autres mais sans cet esprit de procès permanent et d’épuration qui finit par devenir écœurant à la longue. Comme sous la IIIe République, il faut que l’Histoire que l’on enseigne à l’école serve à rassembler plutôt qu’à diviser. Contrairement à ce que l’on entend tous les jours, il faut faire une histoire sans a priori idéologique contemporain. Cela ne veut pas dire effacer ce que le passé a de négatif mais il faut toujours analyser chaque période, chaque évènement par rapport à son contexte historique en se posant la question : « Aurions nous fait mieux à leur place dans leur situation ? »

  

Quels enseignement tirer de l’épopée napoléonienne, et que peut-on en retenir en 2021 ?

On ne peut pas détacher l’épopée napoléonienne de la Révolution, ni de la France d’Ancien Régime. Napoléon a réussi à faire la synthèse de ce que ces deux systèmes totalement opposés pouvaient avoir de meilleur, en assumant tout de « Clovis au Comité de Salut public ». Napoléon était un Romain de l’Antiquité, car il était pragmatique. La France de 1799 était en plein chaos quand il « ramasse » le pouvoir en 1799. En l’espace de quatre ans, il a profondément réformé le pays, réconcilié les Français et rendu sa prospérité à la France. Il nous montre ce que les Français peuvent faire quand ils sont réellement gouvernés. La crise que nous traversons montre comme en 1799, ou en 1940, la faillite d’élites coupées des réalités. L’épopée napoléonienne nous enseigne qu’il ne faut jamais désespérer de ce « cher et vieux pays » comme disait le général de Gaulle.

 

Quels hommages devraient à votre avis lui être rendus à l’occasion du bicentenaire de son décès, en particulier au niveau de la République, de l’État ?

« Arrêtons de prostituer le passé en faveur de telle

ou telle idéologie du temps présent ! »

Je dirais, le moins possible. Les politiques ont trop tendance à s’accaparer le passé à travers des commémorations officielles où ils ne célèbrent souvent que leur propre impuissance à entrainer le pays vers l’avenir. Que l’on arrête de prostituer le passé en faveur de telle ou telle idéologie du temps présent. Comme les autres, elles seront vite balayées par le vent de l’Histoire. Napoléon sera toujours là lorsque les polémiques stériles auront été oubliées depuis longtemps. Qu’on laisse donc ceux qui ont un réel attachement à l’empereur le célébrer comme ils l’entendent. On s’apercevra alors que les Français seront nombreux à vouloir rendre hommage à celui qui fut le plus illustre de leurs compatriotes.

 

Un dernier mot ?

Vive l’Empereur !

 

Eric Teyssier

Photo : Christel Champ.

 

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