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Paroles d'Actu
22 juillet 2021

Bernard Lonjon : « L'âme de Brassens m'a suivi dans mon parcours et dans ma vie. »

Le 22 octobre de cette année, Georges Brassens aurait eu 100 ans. En 1951, Charles Trénet chantait : « Longtemps, longtemps, longtemps / Après que les poètes ont disparu / Leurs chansons courent encore dans les rues... » Que retient-on, aujourd’hui, un siècle après sa première venue au monde, de Brassens, qui davantage peut-être que son statut d’auteur-compositeur-interprète, dont il fut des plus grands, compte et comptera parmi les poètes intemporels ?

J’ai la joie de vous proposer cette interview avec Bernard Lonjon, un des meilleurs connaisseurs de l’artiste, dont il a d’ailleurs embrassé, partant de son Auvergne natale, le berceau sétois (notons quil participe à la programmation exceptionnelle mise en place par Sète à l’occasion de ce centenaire). M. Lonjon est notamment auteur du très ambitieux Brassens, l’enchanteur (L’Archipel, 2021), ouvrage qui retrace minutieusement la vie de Brassens jour après jour, année après année ; une publication agréable à lire parce que très vivante, et sur laquelle les fans du génial moustachu - mais pas que - devraient se précipiter.

Je profite de cet article pour avoir également une pensée pour mon père, qui aurait eu 70 ans la semaine dernière, et qui aimait Brassens. Sur la photo qui suit, les deux coffrets vinyles qu’il possédait de lui. Je n’ai plus, à ce jour, le matériel pour les écouter, mais je compte bien le faire un jour.

Vinyles Brassens

Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Bernard Lonjon: « L’âme de Brassens

m’a suivi dans mon parcours et dans ma vie. »

Brassens l'enchanteur

Brassens, l’enchanteur (L’Archipel, 2021).

 

Bernard Lonjon bonjour. Quel temps passé, quelle somme de travail (l’écriture et, toute la recherche en amont) votre Brassens, l’enchanteur (L’Archipel, 2021) a-t-il représenté ? Avez-vous eu accès à des documents inédits, je pense à la foisonnante correspondance de Brassens avec notamment, ses copains ? Appris, vous-même, qui en êtes grand connaisseur, des choses importantes ?

Quatre années de travail depuis mon dernier Brassens: Les jolies fleurs et les peaux de vache. De passionnantes longues heures de recherches dans les vidéos (entretiens) on-line ou sur le site de l’INA, des milliers d’articles de presse, des manuscrits ou des correspondances dans diverses Archives, des entretiens avec ses amis à Sète ou ailleurs (de visu ou par mail), des relectures de livres de souvenirs (Tillieu, Battista, Poletti, Onteniente, Laville, Iskin, Larue...), de ses cahiers, de ses journaux intimes (peu nombreux), de ses agendas... Un gros travail de compilation ensuite avant de tenter de relier tous ces évènements petits ou grands qui replacent l’homme et l’artiste dans sa vie quotidienne.

 

Dans quelle mesure les périodes de vaches maigres, qui en son temps, celui des restrictions, ont réellement voulu dire, crier famine, ont-elles forgé le rapport de Brassens à l’argent ?

L’argent n’a jamais été un moteur, ni un frein pour lui. Il le disait: « J’ai de l’argent, c’est bien, je peux manger. Je n’en ai pas, ce n’est pas bien grave, je saute des repas. » La seule chose qui le gênait fut de dépendre des autres, et notamment de 1944 à 1952, de Jeanne. Il le lui rendra bien en l’immortalisant dans trois chansons (Chanson pour l’Auvergnat, La cane de Jeanne et Jeanne), en rendant à sa maison-taudis (ses propres mots) de l’impasse Florimont des allures de lieu de vie plus correct avec eau courante, toilettes et électricité. Ila toujours vécu de peu, même si ce fut souvent à cette époque, de rien! Une lecture-découverte d’un nouveau poète (Antoine Pol par exemple) l’enrichissait plus que des boîte de conserves (dont il a par ailleurs beaucoup trop abusé pour son corps... surtout qu’il les dévorait à même la boîte

 

 

L’anarchisme de Brassens, son anticléricalisme, son antimilitarisme, puisent-ils autant dans ses lectures, dans son regard sur le monde qui tourne (mal, souvent) que dans son expérience de vie ? Son message a-t-il résonné d’une manière particulière auprès des auditeurs de son époque ?

Sa hantise de l’ordre établi, des corps constitués, de la police, de la justice et de toute autorité... remonte peut-être à ce jour où à l’école maternelle de Sète, il fut mis au placard pour indiscipline avec pour conséquence une dizaine de furoncles dans la tête après ce choc psychologique. Plus vraisemblablement après une éducation balancée entre la ferveur catholique de sa mère grenouille de bénitier et la libre pensée de son père, il a penché vers le second à son arrivée à Paris (après l’affaire des bijoux pour laquelle il eut affaire à la justice et à la rumeur des Sétois). C’est là qu’il rencontra en 1946, au coeur du XIVe arrondissement, une bande de joyeux libertaires qui le convertirent très vite à leur cause, ce qui le conduisit à écrire des articles plutôt violents envers l’autorité dans « Le Monde libertaire », alors journal de la Fédération anarchiste.

 

Brassens était-il un vrai timide, ou bien une espèce de misanthrope qui s’est affirmée avec le temps ?

Il était du genre plutôt timide, sauf entouré de sa bande de copains habituels. En même temps, il aimait bien se retrouver seul, pour écrire ses chansons, lire ou flâner dans la poésie, « serein, contemplatif, ténébreux, bucolique. » Il aimait les gens, mais surtout ceux qu’il connaissait. Ce n’était pas un extraverti et son idéal eût sans doute été de se réfugier dans sa thébaïde.

 

Nous réalisons cette interview alors qu’il est question en continu, de vaccination obligatoire, de pass sanitaire pour des activités du quotidien, tout cela sur fond de règne du politiquement correct. Cette époque, la nôtre, Brassens l’anar, l’anticonformiste, il l’aurait haïe, non ?

Ni Dieu, ni maître! Aurait-il cependant obéi en portant un masque ou en allant se faire vacciner? Sans doute oui pour éviter toute confrontation avec l’ordre établi tout comme il le faisait en son temps en traversant sur les passages protégés pour éviter les flics. Il avait une forte tolérance envers les individus et prônait la liberté individuelle. Cette époque l’aurait probablement beaucoup "emmerdé" car il râlait déjà en son temps contre le conditionnement dû à la publicité à outrance. Il se serait peut-être replié sur lui-même. De toute façon, il ne fut jamais de son époque, lui qui disait être « foutrement moyenâgeux » !

 

On cite souvent, parmi les auteurs-compositeurs-interprètes de sa génération, en-dehors de lui, Ferré, Brel, Barbara, Béart, Ferrat... Rarement Aznavour, qui pourtant est peut-être celui qu’on écoute le plus souvent, en partie parce qu’il a vécu jusqu’à nous. Brassens, Aznavour, ce n’était pas tout à fait la même catégorie ?

Oui, on met au même niveau les 4B (Barbara, Brel, Béart, Brassens) et les 2F (Ferrat, Ferré). On oublie souvent Anne Sylvestre. Aznavour est plutôt comparé à Bécaud. En réalité, même Aznavour ou Bécaud ne passent pas la barrière du temps excepté 5 ou 6 ritournelles. Idem pour Béart. Barbara survit grâce à quelques interprètes. Brel et Ferré ont du mal, tout comme Ferrat. Tout ceci est lié à la conjonction de deux phénomènes: l’intemporalité de l’oeuvre (seul Brassens possède cela dans la quasi totalité de toutes ses chansons) et la musique (là aussi seul Brassens peut survivre, d’une part parce qu’il avait choisi, contrairement à ses congénères, une orchestration minimaliste de bout en bout avec guitare-voix et contrebasse, alors que la plupart des autres auteurs-compositeurs-interprètes ont sur-orchestré leurs textes, fait beaucoup d’arrangements, qui ont du mal à passer les génération).

Seul Brassens a su privilégier le texte par rapport à la musique, et certains textes comme La mauvaise réputation, La mauvaise herbe, Je suis un voyou, Le gorille... sont repris par les jeunes générations (rappeurs, slameurs, musiques actuelles...). Sa seconde force est la richesse de sa musique, unique dans le monde de la chanson, à la fois jazzy, swingante et blues. Brassens est à la fois un folksinger et un bluesman, mais on ne l’entend bien que lorsque sa musique est jouée par d’autres (jazzmen, bluesmen...).

 

 

Quelle est votre histoire avec Brassens ? En quoi dans son œuvre, dans son parcours de vie, vous parle-t-il au plus profond de vous, Bernard Lonjon ?

Une histoire d’amour qui remonte à ma tendre enfance. Ma mère chantait La chasse aux papillons, Le parapluie, Les amoureux des bancs publics... lorsque j’étais gamin. Ensuite j’ai découvert les chansons "pas pour toutes les oreilles" et j’ai adoré ces mots inconnus, ces gros mots qu’il chantait avec un sourire coquin, presque complice. Il m’a depuis accompagné, depuis mon Auvergne natale jusqu’à sa ville natale où je vis aujourd’hui, une ville bien singulière, à la fois populaire et d’un très haut niveau culturel, entre Paul Valéry, Jean Vilar, Agnès Varda, Brassens et les peintres Soulages, Combas, Di Rosa... Son âme m’a suivi dans mon parcours professionnel et dans ma vie quotidienne.

 

 
Si, par hypothèse, vous pouviez lui dire quelque chose, ou lui poser une question, que choisiriez-vous ?

J’aimerais savoir s’il se marre vraiment au bistrot des copains avec sa « bande de cons » qu’il adorait, de Fallet à Boudard, de Ventura à Brasseur, de Clavel à Gévaudan, de Laville à Granier... toute cette bande de joyeux lurons qui se retrouvaient autour d’une bonne table ou plus simplement devant une bouteille de rouge et un saucisson pour refaire le monde à leur manière.

 

Quelles chansons de lui, celles qui vous touchent le plus, pas forcément d’ailleurs parmi les plus connues, auriez-vous envie de nous inviter à découvrir ?

Le blason est pour moi la plus belle chanson sur le sexe féminin. Saturne, une magnifique chanson d’amour. Mourir pour des idées, une chanson anarchiste par nature et Supplique pour être enterré à la plage de Sète, sa meilleure à mon goût, et pas seulement parce qu’elle nous ramène en île singulière. Sinon, écoutez Les châteaux de sable, L’inestimable sceau ou encore Le fidèle absolu, Le modeste et Le sceptique. De sacrées trouvailles qui passeront le temps car Le temps ne fait rien à l’affaire. En réalité, chez Brassens, il n’y a Rien à jeter. Il faut embrasser l’oeuvre dans son intégralité, dans sa complexité et dans sa richesse inégalée.

 

 
Brassens s’est largement inspiré, référé à des poètes des temps passés, on le voit au jour le jour dans votre livre. Quelle sera la trace que lui laissera dans le patrimoine des belles lettres françaises ?

Il a déjà laissé des traces, étant au programme à la fois des classes primaires, des lycées et de l’enseignement supérieur. Plus de deux cents thèses ont été défendues sur son oeuvre. Il est traduit dans plus de 80 langues ou dialectes et repris par plus de 5000 interprètes dans le monde (qui ont réalisé des disques de chansons et/ou de musiques en hommage à sa puissance créatrice).

 

Vous êtes très actif quant aux festivités autour du centenaire Brassens, qui se déroulent notamment à Sète. Quels premiers retours vous sont parvenus, et quel est l’auditoire de Brassens en 2021 ?

Des emballements multi-générationnels. On retrouve souvent trois générations côte à côte et il est fréquent d’entendre des jeunes adolescents raconter qu’ils sont là parce que leurs grands-parents leur ont parlé de Brassens. Nous avons programmé des chanteurs et musiciens de toutes générations, de Maxime Le Forestier à son fils Arthur, de Catherine Ringer à Barbara Carlotti, de Michel Jonasz à JP Nataf ou Piers Faccini ou encore de Benjamin Biolay à Albin de La Simone. Joël Favreau est évidemment venu chanter sur le Roquerols, le bateau spécialement amarré à Sète où se déroulent les 250 évènements (de juin à décembre) : concerts, colloques, conférences, théâtre vivant, philo pour enfants, escape games pour ados, dessins pour enfants, expositions... Il y en a vraiment pour toutes les générations. Souvent les soirées se poursuivent avec des DJ qui enflamment le bateau-phare du Roquerols en reprenant Brassens sous forme de musiques actuelles...

 

Est-ce qu’il y a de nos jours, dans la chanson française, parmi ceux-ci et d’autres, des artistes dont vous diriez qu’ils sont des poètes comme a pu l’être Brassens ? Et qui trouveraient grâce à vos yeux ?

J’en ai cité quelques-uns déjà. Il y en a beaucoup : Olivia Ruiz, Jeanne Cherhal, La Grande Sophie, Camélia Jordana, Zaz, Pauline Croze... Philippe Katherine, Thomas Dutronc, Yves Jamait, Cali, Thomas Fersen, Mathieu Boogaerts, Alexis HK, Alex Beaupain, Gérald De Palmas... Liste non exhaustive, sans hiérarchie...

 

Vos projets, peut-être surtout, vos envies pour la suite, Bernard Lonjon ?

Deux autres livres sur Brassens à paraître en fin d’année (La ronde des chansons, Brassens au cabaret), une biographie de Manitas de Plata, des contributions à des livres autour de Polanski et Pasolini... sur Nougaro également... Envie de me remettre à écrire des nouvelles, fictions... de laisser libre cours à mes envies d’écriture !

Interview : mi-juillet 2021.

 

Bernard Lonjon

Bernard Lonjon, par Jeanne Davy.

 

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