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Paroles d'Actu
30 août 2021

Grégoire Thoby : « Le pardon ça se mérite ; moi d'une certaine manière, j'ai déjà pardonné à mon père... »

Lorsque je songe au prochain article, parfois je sais assez précisément où je souhaite aller (sans être sûr de jamais y parvenir), et parfois c’est la surprise, au gré des rencontres. La publication du jour est de cette catégorie, et je suis heureux que mes pérégrinations virtuelles aient croisé le chemin de Grégoire Thoby, artiste expat, un passionné de cinéma dont le premier roman, d’autant plus touchant qu’il reprend, en de larges proportions, des éléments autobiographiques, vient de sortir. La Ride du souci (Les Presses Littéraires) nous plonge, plus qu’on l’imagine sans doute, dans l’univers et dans la tête de l’auteur, avec au cœur du récit et des réflexions, ces deux concepts essentiels que sont le pardon, et la rédemption. Je ne puis que vous recommander de vous emparer de ce livre qui risque fort d’interpeller ceux qui s’y engageront. Comme une bouteille à la mer. An author is born. Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Grégoire Thoby: « Le pardon ça se mérite. Moi, d’une

certaine manière, jai déjà pardonné à mon père... »

La ride du souci

La Ride du souci (Les Presses Littéraires, 2021).

 

Bonjour et merci de m’accorder cet entretien à l’occasion de la sortie de ton premier roman, La Ride du souci (Les Presses Littéraires). Ce goût d’écrire, de la fiction et du plus intime, c’est quelque chose qui, pour toi, remonte à loin ?

Merci à toi  ! Ma passion pour l’écriture est assez récente en fait. Bien qu’ayant passé un Bac L, je n’écrivais pas vraiment étant ado. Je n’en avais ni l’ambition ni le désir. C’est arrivé petit à petit, par le cinéma d’abord, lorsque j’ai commencé à griffonner des scénarios il y a quelques années (tous restés dans mes tiroirs). Mais ce goût de la fiction et de l’intime a toujours été présent, que ce soit par le biais du théâtre, ma boulimie de films, la réalisation d’un documentaire…

 

Quelle a été l’histoire de ce roman, de cette aventure ? Je sais que pas mal d’éléments sont, au moins en partie, d’inspiration autobiographique ; est-ce que certaines choses ont été dures ou au contraire, jouissives à écrire, et as-tu mis beaucoup de toi dans cette démarche ?

Fin 2018, alors que j’étais reclus dans le désert espagnol, j’ai appris que mon père, escroc notoire, s’était volatilisé après avoir arnaqué de nouvelles personnes. Je venais de quitter mon quotidien sédentaire parisien pour une vie nomade et me pensais loin de tout, en particulier de ses agissements. Frustré, mais aussi inquiet, je me suis mis à écrire spontanément. Une sorte d’urgence, et l’envie d’entremêler souvenirs réels, fiction et fantasmes afin de raconter une histoire universelle, au-delà de son aspect intime et cathartique. Mon père est devenu Bernard, je suis devenu Gaëtan, et La Ride du souci a commencé à se former. Bien que certains passages aient été douloureux à coucher sur le papier, j’avais la conviction d’avoir le recul nécessaire pour m’y attaquer. J’ai vraiment pris un plaisir fou à écrire ce livre, à réinventer ce père.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet : pas mal de tes personnages, notamment les secondaires, sont hauts en couleur, ou en tout cas bien décrits et rendus vivants. Es-tu quelqu’un qui aime observer les gens, le monde qui t’entoure ?

Oui, c’est fascinant d’observer les gens (de tous âges, cultures, milieux sociaux), de tenter de se glisser dans leur peau, et je ne dis pas cela dans un but uniquement anthropologique et intéressé ; les gens sont fascinants, qu’ils soient bienveillants, abjects ou chiants à crever. Depuis toujours, j’ai une affection particulière pour les marginaux, ceux qu’on ne remarque pas au premier coup d’œil, ceux que la société délaisse, dénigre ou veut faire taire.

 

Au cœur  de l’intrigue donc, le regard porté par un fils sur son père "greater than life" mais toxique pour ses conquêtes et ses proches, entre jugement, espoir et fantasmes. Un père qui finalement, limité par toutes ses failles, et bien qu’agaçant au possible, inspire une bonne dose de tendresse. Comment l’appréhendes-tu, toi, le personnage de Bernard ?

Je l’appréhende un peu comme ce que tu viens de décrire  ! Bernard est un antihéros aussi néfaste qu’attendrissant. Il vole, il ment, il pète des câbles, il trahit ceux qui lui prêtent main-forte, mais c’est aussi un homme profondément inadapté, bloqué dans son enfance, qui génère sa propre solitude. Bien sûr, à l’origine de ce personnage, il y a mon père, et donc un affect particulier, mais bizarrement, j’ai la sensation de m’en être totalement détaché. J’entends par là qu’en rentrant dans la tête de Bernard, en lui imaginant cette soudaine remise en question, je l’ai vraiment considéré comme un personnage à part entière. Un père 2.0, en quelque sorte.

 

Au cœur de l’intrigue, surtout, deux thèmes essentiels, complémentaires : la rédemption, démarche intérieure, et le pardon, accordé ou non par les autres. Est-ce qu’ils te parlent tout particulièrement et, sur la capacité à pardonner notamment, penses-tu avoir toi-même évolué  ?

Intéressante, cette question, et quelque peu déstabilisante. Ces thèmes me parlent, oui. J’aime penser qu’il est toujours possible de se racheter, de s’améliorer, même quand tout paraît foutu et qu’on a déçu tout le monde. Tout est une question de volonté. Il en va de même pour le pardon. Bien sûr, chaque situation est différente et je comprends parfaitement qu’on puisse refuser d’accorder le sien. Le pardon, ça se mérite. Quant au mien, je crois que je n’aurais pas pu débuter l’écriture de ce livre si je n’avais pas, d’une certaine manière, déjà pardonné à mon père. Sans cela, j’aurais probablement accouché d’un règlement de compte indigeste dont les lecteurs n’auraient su que faire. Quant à Bernard, libre à chaque lecteur de se forger un avis.

 

Le narrateur principal du roman, Gaëtan, le premier fils de Bernard, te ressemble beaucoup. Comme toi, il vit dans un camping-car (qui a un nom à lui !) avec son mari et chérit cette vie nomade, un peu bohème aussi. Qu’est-ce qui te plaît dans cette vie-là, et te verrais-tu retourner durablement entre quatre murs ?

J’aime cette sensation de liberté de la vie nomade. Ce sentiment incroyable de voyager dans sa propre petite maison roulante. On se déplace et tout change, les paysages, la lumière, les odeurs, le taux d’humidité, mais l’intérieur reste le même. Être chez soi, mais ailleurs  ; un vrai remède contre la lassitude. On rencontre des gens formidables sur la route aussi  ! Il y a plein de façons de vivre ainsi, en fonction de son budget, de ses envies, de ses exigences en terme de confort. En ce qui nous concerne, mon compagnon et moi, on est off-grid, (panneaux solaires, citerne d’eau, wifi, etc) donc on peut se garer en pleine nature sans avoir besoin de se raccorder à l’eau courante ou à l’électricité. Je ne pense pas encore en être arrivé au stade du «  un appart ou une maison, plus jamais  !  » mais pour l’instant, même si ce n’est pas toujours évident, ce choix de vie me comble.

 

LRDS

 

Votre vie est actuellement en Californie, quelque part dans le désert du Mojave. Qu’est-ce que ça change, et qu’est-ce que ça implique,  de vivre en un tel endroit ?

En ce qui concerne le désert du Mojave, il faut surtout se préparer à la chaleur ! L’air est ultra sec toute l’année, et la vie sauvage, très présente  : lièvres par milliers, coyotes, lynx, aigles, serpents à sonnettes, tarentules… J’aime beaucoup cette région, mais il est temps de partir vers un peu de fraîcheur maintenant que l’aménagement du bus scolaire est terminé  !

 

Qu’est-ce qui saute aux yeux dans le contraste entre la France et l’Ouest américain ? Les choses (je ne parle pas des proches) qui manquent, et celles qui ne manquent pas quand on est aux US ?

Ce qui saute aux yeux  ? D’autres expatriés pourraient me rejoindre là-dessus, les mentalités sont vraiment différentes. Par exemple, les Américains cherchent très rarement à polémiquer, à débattre de vive voix, même sur des sujets anodins. Ce n’est pas dans leur culture, à l’inverse des Français, rois incontestés dans le domaine. C’est souvent agréable mais ça engendre forcément des limites. Donc paradoxalement, la liberté de ton des Français me manque parfois. Et la bouffe, bien sûr  ! Surtout les pâtisseries… Tu peux m’expédier un Paris-Brest en Colissimo  ? Thanks.

 

 

Il y a quelques années, tu as connu un petit succès autour de Cousine Madenn, touchant documentaire que tu as consacré, comme son nom l’indique, à ta cousine et à ses doutes. Que retiens-tu de cette expérience avec le recul, et aimerais-tu t’essayer encore à l’exercice du long métrage  ?

Incroyable expérience que ce documentaire. Je n’en retiens que du bon, et ma cousine me presse pour qu’on tourne la suite  ! Je suis heureux que ce film ait pu contribuer à faire évoluer les mentalités sur les personnes en situation de handicap mental léger. Aussi, Madenn et moi avons tous les deux gagné en confiance grâce à ce film. J’aimerais en réaliser d’autres, documentaires ou fictions, mais pour l’instant je privilégie l’écriture, médium nécessitant bien moins de budget et de personnes extérieures.

  

Quels sont les livres qui t’ont le plus marqué, et que tu souhaiterais nous faire découvrir ?

Je ne vais pas vous le faire découvrir puisque c’est un best-seller, mais dernièrement, j’ai adoré Vernon Subutex ; Virginie Despentes me bouleverse autant qu’elle me fait rire aux éclats. Sa liberté de ton, son parcours atypique, sa rudesse cachant une grande finesse… Un autre roman qui m’a profondément marqué par sa critique sociale baignée d’humour noir : La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Dans un genre très différent, la délicatesse de Jirō Taniguchi me transporte immédiatement (je recommande Le Gourmet solitaire et Un zoo en hiver).

 

Même question pour les films (je précise ici que tu as étudié le cinéma) ?

Plusieurs de mes films fétiches sont consacrés à l’enfance : Kes de Ken Loach, Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, Billy Elliot de Stephen Daldry, Bonjour de Yasujirō Ozu, Les Quatre cents coups de François Truffaut… J’aime la filmo de tous ces cinéastes. Pêle-mêle, je citerais également Asghar Farhadi, David Lynch, Billy Wilder, Stanley Kubrick, Céline Sciamma, Pedro Almodóvar, Mike Leigh, Gus Van Sant, Robin Campillo… Et tellement d’autres  !

 

G

 

Après le Mojave, quels endroits insolites aurais-tu envie d’aller explorer, pour quelques jours, ou plus si affinités ?

Le fin fond de l’Alaska et du Canada  ! Du désert aux glaciers, quoi de plus dépaysant  ? Avec le bus, on aimerait aussi faire une bonne partie de l’Amérique latine. Et sinon, j’ai hâte de retourner au Japon, notamment dans les petits villages isolés où les vieilles traditions persistent.

 

Quels sont tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

Continuer à écrire tout en voyageant. J’ai commencé La Ride du souci sur les routes espagnoles, je compte bien terminer mon deuxième roman sur les routes américaines. Et un passage en France est prévu.

 

Un dernier mot ?

Simplement, je vous souhaite à toutes et à tous une excellente lecture  !

Interview : fin août 2021.

 

Grégoire Thoby

 

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