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Paroles d'Actu
6 septembre 2021

Arthur Dreyfus : « On écrit sur son intimité pour libérer une forme de vérité sur soi qui est restée écrasée. »

Avec son Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui (P.O.L, 2021), Arthur Dreyfus signe un récit qui fascine autant qu’il dérange : il ne nous cache rien, au cours des 2.300 pages du livre, de son intimité, et sa mise à nu, au sens propre et moins facile, au sens figuré, est complète. Un objet littéraire qui ne peut laisser indifférent ; un témoignage, celui d’un gay des années 2020 qui peut-être, se cherche à travers les autres, et se pose une question éternelle et, elle aussi bien d’aujourd’hui : celle du sens. Merci à lui d’avoir accepté de répondre à mon invitation. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Arthur Dreyfus: « On écrit sur son intimité,

je crois, pour libérer une forme de vérité

sur soi qui est restée écrasée. »

Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui

Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui (P.O.L, 2021)

 

Raconter au grand jour ses rencontres, ses plans cul, ses ébats et surtout, ses états d’âme (Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui, P.O.L), est-ce là, pour toi, une mise à nu plus parfaite, plus difficile qu’en étant nu ? As-tu craint d’être lu par certains proches par exemple ?

Écrire sur sa vie privée oblige à se poser la question des proches. On écrit sur son intimité, je crois, pour libérer une forme de vérité sur soi qui est restée écrasée. Évidemment, la nudité physique s’avère limitée dans le temps, alors qu’une publication inscrit quelque chose dans l’éternel. À la fin de la journée on remet son maillot, mais le livre, lui, reste rangé dans la bibliothèque. La seule chose, finalement, qui libère un peu, c’est de se dire que les vérités évoluent, et que ma "nudité" d’hier ne parle plus d’aujourd’hui.

 

Certains commentateurs t’accusent de nombrilisme, pour ce livre, que leur réponds-tu ?

Que nous avons tous un nombril, et que sans ce nombril nous n’existerions pas.

 

Coucher sur papier numérique ces portraits de garçons, ces moments partagés (qu’ils soient sexuels, plus câlins, intello ou simplement humains), c’est ta façon à toi de capturer des instantanés, de casser une logique, celle d’appli comme Grindr où l’éphémère et le one shot sont rois ?

Je ne peux pas expliquer mes motivations en quelques mots : elles me sont pour la plupart inconnues. Mais une chose est sûre : graver des portraits est une manière de lutter contre la fugacité des rencontres. La plupart de ces garçons dépeints - leurs phrases, leurs vies, leurs visages -, je les aurais oubliés sans ce journal.

 

Fort de cette expérience, la tienne, quel regard portes-tu sur la séduction telle qu’on la pratique de plus en plus, sauce appli, entre conso compulsive, parfois frénétique, et d’après des critères rigides où on laisse de moins en moins de place au hasard, à la (potentiellement bonne) surprise ?

Je pense que le hasard est toujours roi, même à l’époque des pixels. On ne sait jamais avec qui on va tchater. Mais c’est vrai, les applications transforment l’autre en image, donc désincarnent le monde. On peut avoir le sentiment de pouvoir atteindre l’infinité des autres, sans limite. Lorsque les occasions étaient plus restreintes, on profitait sans doute davantage de son "petit morceau de réel".

 

Constates-tu, dans le flot de ta pratique et de celle des autres, une forme peut-être préoccupante de banalisation des IST/MST ?

Je ne suis pas médecin, mais je pense que les MST participent (en partie) de l’attrait pour le sexe. C’est la nouvelle forme du danger, depuis que la loi ne condamne plus le péché de chair. Le plaisir et la mort sont liés. J’aimerais que ce ne soit pas le cas, mais je ne suis pas Dieu !

 

On retire de ce parcours que tu nous donnes à lire, pas mal d’instants de jouissance, mais aussi l’expression de vrais tourments. Entre découverte de soi (via les autres ?) et pulsions autodestructrices, qu’as-tu appris de toi, à vivre et à écrire tout cela ?

Avant tout, que les choses se répètent. C’est la magie de l’écriture sur soi : le recul offert par le texte page après page, an après an. Et on s’aperçoit qu’on change peu.

 

Où en es-tu de ton évolution personnelle ? Penses-tu être plus proche qu’à d’autres moments de ta vie d’une forme de plénitude, et est-ce que tu penses que ça aurait été moins difficile de l’atteindre si tu n’avais pas été gay ?

J’ai beaucoup idéalisé l’hétérosexualité, c’était peut-être aussi une manière de me complaire dans un malheur. Je pense que la vie est difficile pour tout le monde quand on la scrute de face. Être gay complique la possibilité d’avoir des enfants : un programme de vie "clés en main" s’évapore. Pour le reste, le métier d’écrivain est aussi une activité solitaire, consistant à scruter le vide. Aujourd’hui, je dirais qu’il faut accepter les choix que nous avons faits, et les tenir le mieux possible sans se comparer.

 

Quel message aurais-tu envie de faire passer à un jeune mec qui vivrait mal, en soi ou par rapport aux autres, son éveil en tant que gay ? Je pense notamment à ceux issus de milieux moins urbanisés, et où la religion est plus présente.

De parler de ses souffrances sans honte, et de croire aux lendemains meilleurs.

 

Tu es un touche-à-tout qui maîtrise bien pour les avoir pratiqués les différents médias. Est-ce que cette histoire-là, telle que relatée dans le livre qui nous occupe aujourd’hui, tu aurais envie de l’adapter autrement, comme série audio ou vidéo ?

Non. L’écriture est un objet en soi.

 

Si tu avais ton avis à donner sur la question, qu’aurais-tu envie qu’on écrive sur toi, après toi ?

Que j’ai été fou et intéressant.

 

Tes projets, tes envies pour la suite ?

Respirer, rêver de me laisser happer par une nouvelle énergie créative.

 

Un dernier mot ?

La vie entière.

Interview : été 2021.

 

Arthur Dreyfus

© Hélène Bamberger/P.O.L

 

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