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Paroles d'Actu
12 septembre 2021

Christophe Dickès : « Un historien doit cultiver l'humilité, cela passe par l'écoute de l'autre. »

Au commencement de cet article, il y eut ma recherche de podcasts sur l’histoire (domaine qui m’intéresse, vous l’aurez remarqué si vous suivez régulièrement Paroles d’Actu). Storiavoce apparaît rarement parmi les premiers résultats : d’abord, ce qui se comprend, ceux des grosses radios, plus fréquentés et mieux référencés. Je suis tombé récemment sur un podcast traitant dun sujet qui m’intéressait, sur la webradio Storiavoce donc. Et de fil en aiguille, sur une belle collection de sujets traités, dont un peut-être, donnera lieu à un article, une démarche est en cours. Séduit par la chaîne, j’ai souhaité proposer à son fondateur et dirigeant, l’historien Christophe Dickès, spécialiste du catholicisme contemporain et du Saint-Siège, cette interview. Merci à lui, et allez promener vos oreilles sur Storiavoce ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Christophe Dickès: « Un historien doit cultiver l’humilité,

cela passe inévitablement par l’écoute de l’autre. »

Storiavoce

Christophe Dickès, avec sa collaboratrice Mari-Gwenn Carichon.

 

D’où, et de qui vous vient votre goût pour l’histoire ?

Indéniablement de mon père qui aimait l’histoire et lisait beaucoup (l’historien Jean-Pierre Dickès, ndlr). Il possédait une belle bibliothèque avec plusieurs rayons consacrés à l’histoire des idées politiques. Il m’a fait comprendre que l’histoire, selon le mot de Cicéron, était maîtresse de vie et de vérité. Bainvillien, il voyait l’histoire comme une façon de mieux comprendre le présent, de savoir d’où l’on venait, de dire ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas. Cela dit, ma vocation a été tardive (rire) : je n’ai commencé vraiment à lire et à m’y intéresser qu’après mes 18 ans !…

 

Quelle importance accordez-vous au fait de la partager, de la transmettre ?

La transmission est essentielle, même si les dispositions de votre interlocuteur sont tout aussi importantes. Vous ne transmettrez rien si votre public n’est pas disposé à vous écouter. Partager, c’est échanger et dialoguer, voire confronter. Je suis toujours surpris de voir que ceux qui ne sont pas d’accord avec vous, parce qu’ils viennent par exemple d’un camp politique qui vous est opposé, ne prennent pas le temps d’écouter ou, pire, cherchent à vous ostraciser. Or le dialogue est nécessaire.

Laissez-moi vous donner un exemple : je présente une émission d’histoire sur KTO TV pour laquelle je n’invite que des universitaires. Or, parce que le logo est celui d’une chaîne catholique, le public qui n’est pas catholique peut rejeter tout bonnement l’idée qu’une chaîne catholique puise présenter l’histoire de façon objective. Pourtant les personnes que j’invite sont des universitaires reconnus, qui ont autorité. Il est d’ailleurs intéressant de voir que ceux qui rejettent l’histoire de l’Église ou ne s’y intéressent pas ou peu, sont souvent les mêmes qui rejettent le roman national. Or, le roman national de Jules Michelet a écarté l’histoire de l’Église par anti-cléricalisme. Dit autrement, ceux qui rejettent le roman national devraient réhabiliter l’histoire de l’Église qui est partie intégrante de notre propre histoire : socialement, économiquement et bien évidemment intellectuellement.

Pour terminer je dirai qu’un historien doit cultiver l’humilité et cette humilité passe inévitablement par l’écoute de l’autre. Que la revue Le Débat de Pierre Nora cesse sa publication parce que, dans le monde digital leur ligne éditoriale n’est précisément plus possible, est un signe des temps inquiétant.

 

Jacques Bainville

 

Vous avez beaucoup travaillé sur l’oeuvre du journaliste et historien Jacques Bainville. Dans quelle mesure diriez-vous partager ses analyses quant à l’histoire de France ?

Bainville, comme beaucoup de personnages qui ont marqué l’histoire et les idées, est un personnage complexe. Son Histoire de France n’est pas son meilleur texte : il est écrit à une époque qui avait besoin d’entendre un récit après le traumatisme de la Grande Guerre. L’histoire antique et médiévale est dépassée, moins la moderne et la contemporaine. Mais même l’histoire contemporaine relève d’une vision particulière de l’histoire : l’histoire diplomatique et réaliste d’Albert Sorel. Bref, Bainville est un historien engagé : le « fils de droite du roman national ». Faut-il s’en étonner et le reprocher comme on le fait aujourd’hui? Je ne le crois pas. Il est rejeté par une doxa qui, pourtant, est elle-même engagée avec ses propres conceptions idéologiques. Chaque époque possède ses historiens. Je prends chez Bainville ce qui me semble bon : encore une fois l’histoire qui éclaire le présent, la qualité du récit et, sur le plan de la politique étrangère, une conception réaliste des relations internationales.

 

Parmi vos spécialités également : le Saint-Siège. Question qui fâche (ou pas), pas complètement tranchée en tout cas : est-ce que pour vous, le Vatican et notamment Jean-Paul II ont contribué de manière décisive à l’effritement du système soviétique, notamment bien sûr en Pologne ?

Dans mon livre Le Vatican, vérités et légendes paru aux éditions Perrin, je pose une série de questions auxquelles je réponds en prenant en compte les derniers éléments de l’historiographie. Une de ces questions est liée au rôle de Jean-Paul II dans la chute du communisme. Comme l’a finement analysé le journaliste Bernard Lecomte, Jean-Paul II surpasse par son audace et son habileté un régime à l’agonie, en soutenant un peuple qu’il sait capable de se soulever pacifiquement. Sur le plan des idées, et selon l’expression du théologien Weigel, il opère « une révolution des consciences » en créant les « conditions culturelles, morales et psychologiques » permettant de venir à bout du régime communiste. D’où l’expression de « mise à mort » utilisée par Hélène Carrère d’Encausse ou de « victoire du pape », par l’historien Frédéric Le Moal. Seul un pape slave, qui connaissait de l’intérieur le système, pouvait agir de la sorte et porter des valeurs capables de répondre à la nécessité du moment. Il n’a pas été la cause unique de la chute (le régime est surtout mort de ses propres contradictions) mais un de ses vecteurs sans aucun doute.

 

Le Vatican

 

Comment est née Storiavoce ? C’est compliqué d’entretenir, et de faire vivre un tel média, partant de rien ?

J’ai travaillé pendant plusieurs années pour la radio web Canal Académie. Après cette belle expérience, j’ai décidé de créer moi-même mon média consacré uniquement à l’histoire et à son enseignement. Mon objectif était de m’adresser à un grand public cultivé : professionnels et étudiants en histoire, passionnés aussi. Oui c’est compliqué de partir de rien mais le digital permet bien des choses et a facilité mon travail. Le secret est naturellement d’être régulier, ce que nous sommes avec la publication de deux podcasts par semaine. Nous pensons sérieusement à passer à dix podcasts par mois : soit un podcast tous les trois jours.

 

Quel bilan tirez-vous de cette aventure jusqu’à présent ?

Storiavoce, c’est une équipe de quatre journalistes dont une correspondante en Italie ; 400 podcasts disponibles gratuitement et plus de 150 000 écoutes par mois. Sur les trois derniers mois, nous avons enregistré plus de 100 000 auditeurs. Pour la deuxième année consécutive, nous participerons aux « Rendez-vous de l’histoire » de Blois. Nous avons aussi de beaux partenariats avec des éditeurs qui nous permettent de vivre, ainsi que quelques mécènes fidèles. Sans ce soutien, nous ne pourrions exister : n’hésitez donc pas à soutenir storiavoce.com en allant sur le site dans la rubrique « Soutenez Storiavoce » !

 

Petit scénario fantastique, 1. On vous donne la possibilité de faire un aller-retour à un endroit, un moment de l’histoire pour modifier son cours : alerter tel dirigeant, ou lui donner un conseil éclairé de vos connaissances de 2021. Quel serait votre choix ?

Question difficile… il y en a de multiples ! On sait par exemple qu’Hitler aurait reculé si la France avait réagi au moment de la remilitarisation de la Rhénanie en 1936. Or, préoccupée par les élections, la France reste inactive face à la violation du Traité de Versailles. Elle en paie le prix fort. J’irais alerter les autorités mais elles ne m’écouteraient pas ! Elles n’ont pas écouté Bainville qui, pourtant, a prédit l’ensemble des événements des années 1936-1940 dès 1918.

 

Petit scénario fantastique, 2. On vous propose cette fois l’aller simple sans retour, où et quand vous voulez, pour continuer votre vie à l’époque choisie. Vous saisissez l’offre, et si oui où et quand iriez-vous ?

J’hésite entre la civilisation inca et plus particulièrement le Machu Picchu, ou les moines copistes de l’époque médiévale. Dans l’un et l’autre cas, il s’agirait de mieux comprendre le pourquoi et les motivations de ces gens qui ont passé leurs jours à bâtir une civilisation, à transmettre un savoir et un savoir-être particulier. Le Machu Picchu est une énigme au centre de nombreuses interprétations. Les moines copistes sont plus abordables et nous connaissons mieux leurs motivations. Cependant un de mes intérêts serait de mieux comprendre les chemins de la culture de l’époque. On parle beaucoup de la filière arabe dans la redécouverte des textes antiques en oubliant qu’il existait aussi une filière orientale et un ensemble de réseaux monastiques qui communiquaient ensemble. Mieux connaître l’importance et la valeur de ces réseaux est une question qui m’intéresse.

 

Vous l’aimez notre époque ?

À l’heure où vous me posez la question, on brûle des livres dans une école de l’Ontario… Un mouvement historiographique idéologique vise aussi à remettre en cause notre passé : ce qu’on appelle communément la cancel culture. Nous ne sommes plus d’ailleurs dans le domaine de la culture mais dans celle de la justice et du procès à charge. Comment aimer les autres quand on ne s’aime pas soi-même ? L’histoire n’est pas là pour juger, elle est là pour éclairer. Or ces gens n’éclairent rien d’autres que leur propre tristesse et leur colère insatiable en imposant des schémas intellectuels totalitaires. Cette époque est assez détestable pour cela… On en revient à la transmission et au dialogue que j’évoquais au début de cet entretien.

 

Vos projets, et surtout vos envies pour la suite ?

Promouvoir ! Promouvoir tout d’abord Storiavoce : j’ai étoffé l’équipe afin précisément de me donner du temps dans le développement de la radio. Promouvoir aussi mon prochain livre à paraître chez Perrin le 4 novembre. Il s’agit d’une monographie consacrée à Saint-Pierre. Un livre au carrefour des savoirs : histoire, sociologie historique, théologie mais aussi archéologie et histoire de l’art. Un pari ambitieux à l’heure de l’hyper spécialisation, mais que j’assume.

 

Un dernier mot ?

Simple : écoutez Storiavoce, soutenez-nous si vous le pouvez, parlez de nous autour de vous ! Et enfin merci Nicolas pour cet entretien.

 

Interview : début septembre 2021.

  

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