Gabriel Martinez-Gros: « Le récit "woke" tiers-mondiste est le nouveau discours religieux de l'Occident »
Gabriel Martinez Gros est professeur d’histoire médiévale du monde musulman à l'université de Paris-X. De fait, un de nos meilleurs experts de l’espace islamique. Parmi ses spécialités d’étude également, la vie et l’œuvre d’Ibn Khaldûn, grand penseur du 14ème siècle. Son dernier ouvrage en date, paru il y a quelques jours aux éditions Passés/Composés, est une relecture et une réflexion nouvelle autour des théories du philosophe arabe, faites à l’aune des évolutions de notre temps. La traîne des empires : Impuissance et religions, n’est pas un livre facile à appréhender, je le dis d’entrée, mais pour peu qu’on s’y plonge et qu’on s’y accroche, ce que j’ai fait, il constitue une précieuse grille de lecture pourrant nourrir discussions et débats quant à la disparition ou à la survivance des empires, au développement des religions appelées à devenir mondiales, et à la psychologie de nos nations. Rien que ça. Je vous conseille de vous en emparer, ça ne sera jamais du temps perdu, et je remercie M. Martinez-Gros d’avoir accepté, avec bienveillance et sympathie, de se livrer au jeu de l’interview. Exclu. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Gabriel Martinez-Gros : « Le récit "woke"
tiers-mondiste est le nouveau discours universel,
religieux, de l’Occident... »
La traîne des empires: Impuissance et religions (Passés/Composés, août 2022).
Parlez-nous de la figure d’Ibn Khaldûn, penseur central dans vos travaux : pourquoi est-il remarquable, et quelles leçons tirer de son existence ?
La vie d’Ibn Khaldûn (1332-1406) traverse l’une des épreuves les plus tragiques de l’histoire humaine, à savoir la peste. Elle frappe Tunis – comme Paris – en 1348, quand il a 16 ans, et elle ne le quitte plus jusqu’à sa mort, en Egypte, en 1406, au cours d’une des pires décennies de l’épidémie dans la vallée du Nil. Descendant d’intellectuels et de hauts fonctionnaires andalous, Ibn Khaldûn est lui-même administrateur et ministre jusqu’à l’âge de 43 ans. Il a pu mesurer l’impact de la peste, la contraction des villes, l’effondrement des populations et par conséquent de l’impôt, la raréfaction des échanges et donc des taxes. La peste a mis les États en faillite. C’est de cette constatation que vient probablement la nouveauté absolue de sa théorie. Il y avait eu avant lui et il y aura après lui des théoriciens de l’État d’une subtilité, d’une qualité d’analyse comparable à la sienne, comme Machiavel. Mais jusqu’au XIXe siècle, personne ne lie comme lui le fonctionnement de l’État avec celui de l’économie, avec la démographie, la taille des villes, la diversité des métiers qu’on y trouve, les gains de productivité, l’accumulation de la richesse… sur lesquels l’État repose. Pour Ibn Khaldûn, l’État, c’est l’impôt, et l’impôt est le produit d’une situation économique qu’il analyse avec un luxe de détails inconnu jusqu’aux théoriciens modernes du XIXe siècle.
Après avoir étudié l’Islam, puis l’histoire des empires, le présent récit, qui cible et analyse la passation entre empires finissants et religions mondiales en devenir, était-il comme une suite logique à apporter à vos ouvrages précédents ?
J’avais déjà travaillé sur la notion d’empire. Mais ce que je précise dans ce livre, c’est justement la séquence Royaumes Combattants/Empires/Religions. Le mot ‘Royaumes Combattants’ est tiré de l’historiographie chinoise, mais je l’emploie pour désigner en général les phases de conquête et de constitution des empires. C’est au total très simple : la constitution des empires exige une phase de guerres de conquête, au cours de laquelle le peuple conquérant est largement mobilisé – et cette mobilisation lui donne son mot à dire : les périodes de ‘Royaumes Combattants’ impliquent des formes diverses, mais toujours actives, de participation populaire à la décision politique. Le peuple se bat (pour conquérir), donc il est en position d’imposer sa volonté. C’est le cas dans les cités grecques avant Alexandre (vers 490-323 avant notre ère), de la République romaine (à partir des guerres contre Carthage, 264 avant notre ère jusqu’à la victoire de César, 48 avant notre ère), ou de l’âge tribal des conquêtes arabes (VIIe-IXe siècles), ou des Royaumes Combattants chinois (480-220 avant notre ère).
« Au temps de l’empire, l’impôt et les préoccupations
financières se substituent à la guerre. »
Puis vient l’empire, dont l’institution repose sur une rupture fondamentale : le désarmement, progressif en général, du peuple en armes et son remplacement au fil des générations ou des siècles, par des mercenaires barbares. Le peuple conquérant désarmé est soumis à l’impôt comme les populations conquises. En un mot l’impôt et les préoccupations financières se substituent à la guerre. C’est ce que je nomme d’après Ibn Khaldûn, la sédentarisation. Cet âge impérial de la sédentarisation est celui de la prospérité, par exemple dans le monde hellénistique d’après les conquêtes d’Alexandre (Egypte, Syrie, Asie Mineure), dans l’empire romain après les conquêtes de l’époque républicaine, dans l’empire chinois unifié, dans l’empire islamique à son apogée démographique et économique entre IXe et XIe-XIIe siècles.
Puis la sédentarisation, le désarmement de l’empire enraye son mécanisme en limitant ses capacités de violence et donc d’action politique et militaire. Ses seules ressources demeurent financières, mais l’impôt, pour cette raison même, pèse de plus en plus sur l’économie, qu’il ruine au lieu de favoriser, comme il le fait au début des temps impériaux, l’accumulation du capital, la diversification des activités et les gains de productivité.
L’impuissance de l’empire ouvre la voie à la religion, qui proclame les mêmes valeurs que l’empire, en particulier la paix et l’universalisme, mais prétend les atteindre par d’autres voies que politiques et militaires.
Ce ne sont donc pas les religions qui amollissent l’empire, comme le disent Machiavel et Nietzsche pour le christianisme, mais l’amollissement des empires, le fait que leur mécanisme s’enraye, qui ouvre la voie aux religions.
Le schéma retenu par Ibn Khaldoun, que vous venez de rappeler et que vous enrichissez par votre propre réflexion et l’expérience de notre temps, peut donc se résumer comme suit : des royaumes combattants fondent par la conquête des empires dont les populations vont se sédentariser et se pacifier en même temps que va s’enrichir l’empire ; aux marges de l’empire, des "bédouins" en embuscade vont, de plus en plus, après invitation ou par la force (les "invasions barbares"), y assumer les fonctions de violence institutionnelle (armée, police), puis le pouvoir politique. Ce schéma-là s’applique de manière satisfaisante aux différents exemples que vous avez pu étudier, en tout cas avant l’ère contemporaine ?
Il y a évidemment peu d’exemples où ce mécanisme se manifeste dans sa totalité : l’empire hellénistique et l’empire romain, étroitement associés dans le temps et dans l’espace méditerranéen ; l’empire chinois ; l’empire islamique. Mais ces trois empires ont donné naissance à trois religions – christianisme, bouddhisme, islam – qui représentent, avec l’hindouisme, plus de 80% de l’humanité d’aujourd’hui. Ce sont en vérité les trois seuls empires qui répondent entièrement à la séquence Royaumes Combattants/Empires/Religions. – et les seuls dont mon livre se préoccupe. Comme je le notais déjà dans un livre précédent, depuis l’émergence presque simultanée de l’empire chinois (fin IIIe siècle avant notre ère) et de l’empire romain (Ier siècle avant notre ère), il n’y a jamais eu en même temps plus de deux ou trois empires dans le monde qui répondent à la définition, mais ces deux ou trois empires ont représenté une forte minorité, voire une majorité de la population mondiale. Rome et la Chine mises ensemble représentent sans doute la moitié de la population mondiale aux alentours de notre ère. De même l’Islam et la Chine des Tang vers 800.
Vous notez une parenthèse (en est-ce une ?), un accroc au schéma entre, disons, les révolutions américaine et française, et les guerres de décolonisation : on était alors, s’agissant de l’Occident, au temps des États-nations triomphants, des peuples armés, de la conscription massive. Avec en parallèle, un développement technologique et industriel permettant la création de richesses jamais vues jusque là. Quel regard portez-vous sur cette époque-là, et qu’aurait-elle inspiré à votre avis à Ibn Khaldûn ?
L’âge impérial commence quelques siècles avant notre ère. Il y faut d’abord une masse de populations denses, pour que l’impôt puisse prélever un surplus sur leur travail, fonder une capitale où les métiers et les techniques se diversifient et les gains de productivité se réalisent. L’empire perse (VIe-IVe siècles avant notre ère), appuyé sur la Mésopotamie, la Syrie, l’Asie Mineure et l’Égypte, avec ses 20 ou 25 millions de sujets sur les 150 millions d’humains sur terre de son temps, est peut-être le premier empire. Le système impérial – impôt lourd, désarmement des peuples, métropoles qui concentrent la richesse – se prolonge jusqu’au XVIIIe siècle en Chine, en Inde, en Islam. En revanche l’Europe l’ignore après la chute de l’empire romain. Au Moyen-Âge, les prélèvements fiscaux, seigneuriaux, y sont faibles et dispersés. Les villes y sont plus réduites qu’en Islam ou en Chine.
« Avec la Révolution industrielle, ce n’est plus l’impôt
qui crée la richesse, mais l’amélioration des rendements
agricoles, le recul de la mortalité, la multiplication
des hommes dans des proportions inouïes,
le progrès technique et la production
industrielle, les échanges… »
Mais c’est en Europe que se produit la Révolution industrielle, qui renverse la priorité des empires : ce n’est plus l’impôt qui crée la richesse par la concentration de capital qu’il permet, mais l’amélioration des rendements agricoles, le recul de la mortalité grâce à l’hygiène et à la médecine, la multiplication des hommes dans des proportions inouïes, le progrès technique et la production industrielle, les échanges… Du coup, le désarmement des populations, nécessaire à la levée de l’impôt et à l’enrichissement dans le système impérial, n’est plus requis. Après 1780, les nouvelles ‘nations’ – les USA, la France… - arment leurs peuples et retrouvent la voie des Royaumes Combattants, des peuples armés, qui dictent donc leur volonté politique. La démocratie revient avec la guerre. Presque toute l’Europe sera ‘démocratique’, acquise au suffrage universel, après 1870.
Qu’en aurait dit Ibn Khaldûn ? Il en serait resté muet. Ce système où la prospérité va avec la guerre et avec l’hégémonie du peuple dément absolument sa théorie, qui reste caduque tant que la révolution industrielle dure. Elle retrouve sa pertinence dès que la révolution industrielle s’enraye, ce qui pourrait bien être le cas dans les décennies qui viennent, en particulier avec le vieillissement de la population mondiale.
Par quel processus complexe, entre attirance et répulsion, les différentes assimilations entre conquérants et conquis se font-elles au cours de l’Histoire ? Et pourquoi ce point-là est-il moins unilatéral qu’on pourrait le penser ?
La structure impériale distingue une population nombreuse, productive, désarmée, soumise – les sédentaires – et une population infiniment minoritaire – 1 à 3% de la proportion des sédentaires – issue des marges barbares, qui assument les fonctions de violence et la souveraineté. L’exemple le mieux connu chez nous, dans les derniers siècles de l’empire romain, ce sont les ‘Barbares’, germaniques, arabes, illyriens, qui protègent et dominent l’empire romain. Mais déjà auparavant, les Romains avaient joué le rôle de ‘barbares’ au détriment des population du bassin oriental de la Méditerranée – Égypte, Syrie, Asie Mineure, Grèce – beaucoup plus nombreuses et riches que celles du bassin occidental de la mer.
La règle la plus commune, c’est que les Barbares, fascinés par la civilisation de l’empire, l’adoptent (langue, religion, coutumes). C’est le cas des Mongols ou des Mandchous en Chine, des Turcs en Islam… Mais les figures sont multiples : après l’An Mil, la Chine tient les barbares à distance de sa civilisation, même ceux qui la gouvernent. Les Arabes, envahisseurs barbares du Moyen-Orient, y ont imposé au moins en partie leur langue et leur religion, contre la règle. En Occident, les Barbares germaniques adoptent la forme romaine du christianisme et le latin, mais à l’inverse, les populations de l’ancien empire romain adoptent souvent le nom et l’histoire des nouveaux maîtres : les habitants latinisés de la Gaule romaine se nomment ainsi ‘Francs’, du nom du peuple germanique qui occupe la Gaule, et plus tard ‘Français’.
À propos du rapport entre ex-empires coloniaux d’Europe et ex-pays colonisés, vous produisez une réflexion intéressante (qui serait valable pour certains d’entre eux en tout cas) : il y aurait si je vous comprends bien entre ces deux types d’acteur, de manière plus ou moins consciente, une espèce de jeu entre contrition chez les premiers, victimisation chez les seconds, comme une manière de raviver le souvenir du temps de l’empire... Quelle est la rationalité des uns et des autres, dans pareil cas ?
« Incapable de faire face militairement et politiquement,
comme les empires dans leur déclin, à ses rivaux
qui émergent, l’Occident se transforme
en discours religieux, qui tente de retenir
par la parole et par le moralisme ce qu’il est incapable
de retenir par la force ou l’autorité politique. »
Il s’agit de fait de mon analyse du tiers-mondisme. Grâce à leur avance technique, industrielle, militaire et politique, nos États-nations occidentaux – il faut y inclure la Russie – ont imposé leur hégémonie au monde à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle en particulier. Cette époque de la colonisation et de l’impérialisme occidental est largement révolue, non pas depuis les décolonisations des années 1947-1965, mais depuis l’essor économique prodigieux de la Chine après 1978, de l’Inde aujourd’hui, ou depuis l’expansion de l’islamisme dans le monde musulman après 1980 surtout. Incapable de faire face militairement et politiquement, comme les empires dans leur déclin, l’Occident se transforme en discours religieux, qui tente de retenir par la parole et par le moralisme ce qu’il est incapable de retenir par la force ou l’autorité politique. C’est cela la nouvelle religion post-impériale que nous vivons, sous forme de repentance et d’auto-flagellations. La majorité de l’humanité (Chine, Inde, Islam) qui se libère ou s’est libérée de notre emprise, n’a rien à faire de notre repentance. En revanche, elle est utile et reçue dans les régions du monde si profondément colonisées, par les langues européennes en particulier, qu’elles sont incapables de concevoir leur histoire hors de celle de l’Occident – c’est le cas de l’Amérique latine et surtout de l’Afrique subsaharienne non-musulmane. Entre ces régions et les centres occidentaux du nouveau discours religieux (États-Unis, Europe) s’établit un dialogue vicié fait d’accusations d’un côté, de repentance de l’autre, mais qui maintient une forme d’empire occidental sur plus d’un tiers de la population mondiale.
On remarque qu’il n’est pas rare que la religion appelée à dominer l’ancien espace impérial (par exemple, le christianisme avec Rome) provienne des marges de l’empire (dans notre exemple, la Palestine). Trouve-t-on des traits communs dans la manière dont ces dogmes vont se propager jusque dans la métropole, et peut-on dire, schématiquement, qu’ils correspondent à une quête de sens allant de pair avec l’émiettement de l’idéal impérial ?
Vous avez raison, et je n’ai pas d’explication simple. Cette origine de la religion, étrangère au cœur de l’empire, est un aspect du succès de la religion, qui se montre plus universaliste que l’empire, qui prouve qu’elle accomplit mieux le programme impérial que l’empire lui-même. Mais pourquoi la réflexion sédentarisante, pacifiante, de l’empire, par exemple le stoïcisme des élites romaines, ne réussit-elle pas là où le christianisme va réussir ? Pourquoi pas le confucianisme plutôt que le bouddhisme ? Probablement parce que ce sont les valeurs des élites, qu’elles ne correspondant pas à la grande fusion des populations qui se produit dans l’empire au bout de quelques générations, et qui réclame autre chose. Nous sommes nous aussi à ce point de fusion ‘mondialisée’. C’est pourquoi il est probable que la nouvelle religion ne sortira pas d’Oxford ou de Cambridge, même si Oxford et Cambridge l’adoptent pour maintenir leur position…
Vous venez de l’évoquer, justement : comment expliquer que le bouddhisme, né en Inde, se soit largement diffusé dans toute l’Asie mais qu’il ait été supplanté, dans sa terre natale, par l’hindouisme ? Question similaire pour la Chine : le bouddhisme y était très fort jusqu’à la montée en puissance du confucianisme... La religion d’un peuple, c’est beaucoup fonction de la religion du prince ?
Bien qu’il soit l’une des trois plus grandes religions de ce monde, le bouddhisme a en effet totalement échoué en Inde, où il a pratiquement disparu, et relativement en Chine, mais pour des raisons presque totalement opposées, je crois. En Inde, c’est l’échec de la construction d’un empire, dès le IIe siècle avant notre ère, qui explique le recul du bouddhisme, qu’avait favorisé aux IVe-IIe siècles avant notre ère la dynastie des Maurya. Il faudra attendre la conquête islamique, entre XIIe et XVIe siècles, pour trouver en Inde une véritable forme impériale, que l’Angleterre s’approprie après 1760.
« La religion suit l’empire quand il s’étiole,
mais elle le gêne quand il est en pleine vigueur. »
En Chine au contraire, le bouddhisme triomphe entre 300 et 900, mais il est ensuite expulsé de la gestion de l’État, confiée au confucianisme. Le bouddhisme est rejeté aux marges de l’empire (Mongols, Tibétains, Japonais, Coréens, Vietnamiens). C’est le signe du plein rétablissement de l’empire sous les Song (960-1276), la preuve que la religion cohabite difficilement avec l’empire quand il est restauré dans la plénitude de son autorité. La religion suit l’empire quand il s’étiole, mais elle le gêne quand il est en pleine vigueur.
Les dogmes très ancrés dans l’Occident d’aujourd’hui (plutôt chez les élites dites intellectuelles que chez les autres d’ailleurs) et portant, pour le dire vite, sur une idéologie progressiste et humaniste à savoir : défense de la planète et des écosystèmes, rejet des discriminations, souhait d’une gouvernance mondiale renforcée... ces valeurs ne se retrouvent-elles que chez les mieux lotis du monde occidental, et sentez-vous de manière générale chez nos contemporains, une quête de sens aigüe qui serait largement partagée ? Et d’ailleurs, vous consacrez une réflexion intéressante aux jeunes, dont les idéaux d’aujourd’hui formeront sans doute le monde de demain. Quels idéaux croyez-vous percevoir chez les jeunes d’aujourd’hui, et sont-ils tout à fait les mêmes dans nos contrées et ailleurs ?
« La vraie différence qui s’affirme peu à peu entre
la Chine, l’Inde... et l’Occident, c’est qu’une large part
de nos élites et des jeunes générations éduquées
qui les écoutent et les suivent, ont abandonné le discours
national pour celui d’une religion post-impériale. »
Il est clair que les convictions de la jeunesse occidentale ne sont pas totalement partagées par ses homologues ailleurs. Les modes de vie, le nombre des enfants par famille, ce qui est capital, sont de plus en plus partout les mêmes. Mais en Inde ou en Chine, l’orgueil ‘national’ est beaucoup plus présent qu’en Occident, où il est politiquement suspect. ‘Make China Great Again’ serait approuvé sans état d’âme dans la jeunesse chinoise ; aux États-Unis, ‘Make America Great Again’, c’est le slogan de Donald Trump, qui ne convainc qu’une partie de la jeunesse, et qu’une autre partie, sans doute majoritaire, rejette avec violence. En fait nos jeunes générations – et aussi beaucoup parmi les plus anciennes – ont adopté les valeurs religieuses nouvelles, et rejettent celles des États-nations, c’est-à-dire leur histoire faite de guerres, d’usage de la force en même temps que d’exaltation nationale. Nos sociétés, contrairement à une opinion commune, sont aujourd’hui à peine plus âgées que celles de la Chine ou de l’Inde ; la vraie différence qui s’affirme peu à peu, c’est qu’une large part de nos élites et des jeunes générations éduquées qui les écoutent et les suivent, ont abandonné le discours national pour celui d’une religion post-impériale.
Question liée, logique inversée : des dogmes portant sur de hautes valeurs morales au détriment de l’action, ceux-là peuvent-ils constituer pour qui les porte un "soft power" efficace ? Et quelque part, la religion comme "traîne" des empires, cela veut-il dire en substance, que non contente de remplacer l’empire mourant, elle le prolonge en le réinventant ?
Tout à fait. La religion nouvelle assure aux centres du discours moralisateur et éthique que nous sommes en train de devenir une position de force et de domination pour ces 35 à 40% de l’humanité qui parlent nos langues européennes (anglais, espagnol, français et portugais pour l’essentiel, on peut y ajouter le russe) et partagent notre histoire, coloniale ou impériale, supposée criminelle, mais dont le discours religieux de la contrition a l’avantage de prolonger l’existence. La différence avec la Chine et l’Inde, comme on l’a dit, c’est qu’elles ont réellement regagné leur indépendance ; l’Algérie ou le Cameroun, non. C’est à les maintenir dans une forme nouvelle de dépendance que sert l’enthousiasme auto-flagellateur de la nouvelle religion : les maintenir avec nous, les dominer au moins par le discours ‘woke’ à défaut d’une autre domination désormais révolue. Oui, à mon sens, la religion nouvelle est une arme qui se substitue aux anciennes, un soft-power qui remplace le hard-power évanoui. L’espérance ‘woke’ de l’Occident, c’est que le général Massu ait définitivement perdu la guerre d’Algérie, mais que Sartre l’ait gagnée, ou que la pensée tiers-mondiste d’un Frantz Fanon s’impose de part et d’autre de la Méditerranée et refasse, dans une certaine mesure, l’unité de la France et de l’Algérie.
« L’espérance ‘woke’ de l’Occident, c’est que
le général Massu ait définitivement perdu la guerre
d’Algérie, mais que Sartre l’ait gagnée. »
Dans votre livre, il est écrit que les États-nations sont des empires avec un récit. Il y a une crise de récit, plutôt en Occident qu’ailleurs ? Et quand il y a crise de récit, cela rend les sociétés plus perméables aux récits vigoureux, de l’islam jusqu’au wokisme ?
Le récit ‘woke’ tiers-mondiste est le nouveau discours universel, religieux, de l’Occident. Il ne mord pratiquement pas en Asie et se heurte dans l’Islam à la reconquête culturelle des valeurs supposées de la religion musulmane – ce qu’on appelle l’islamisme. En Afrique en particulier, les deux discours, le ‘woke’ et l’islamisme, sont en conflit ouvert partout où il y a des musulmans, soit environ un tiers de l’Afrique subsaharienne. D’un côté le woke est porté par l’adoption des langues européennes -anglais, français, voire portugais au Mozambique ou en Guinée -Bissau-, de l’autre, une part croissante des populations musulmanes refuse ces langues et par conséquent ce récit de la repentance coloniale, au profit des valeurs et des langues supposées authentiques de l’Islam. On peut placer l’Algérie – mais pas vraiment le Maroc ni la Tunisie – dans ce même ensemble.
L’actuelle guerre que mène la Russie de Poutine contre son voisin ukrainien nous indique-t-elle que la Russie, comme bon nombre d’anciens espaces impériaux, conservent de l’Histoire et de son sens tragique une lecture et une conscience plus fines que notre Occident pacifié ?
Il ne fait pas de doute que la majorité des Russes et des Ukrainiens ne partagent pas l’universalisme néo-religieux de l’Occident. Ukraine comme Russie se ressentent comme des nations. Le but de la guerre d’Ukraine, pour Vladimir Poutine, c’est de récupérer autant de Russes qu’il le peut sur le territoire de l’Ukraine à l’est du Dniepr – où les russophones comptent pour 15 à 18 millions d’âmes, plus du tiers de la population de l’Ukraine. Ce sont des buts étroitement nationaux et territoriaux, contrairement aux analyses échevelées qu’on en fait en Occident. L’empire, avec l’universalisme de ses valeurs, c’est nous, l’Occident, bien sûr. L’empire, ou plutôt l’Église, car nous anathémisons et condamnons très fort, mais nous avons des moyens d’action beaucoup plus limités.
Les citoyens devraient-ils à votre sens, se saisir un peu plus d’une part de violence institutionnelle, en l’occurrence la violence défensive ?
C’est à peu près inévitable si le but est la préservation de la démocratie. En fait, la démocratie est historiquement inséparable du peuple en armes, à Athènes aux Ve-IVe s. avant notre ère, aux États-Unis ou en France à la fin du XVIIIe s. La démocratie est en fait, comme je l’écris, une conséquence de la situation de ‘Royaume Combattant’. Le combat implique la mobilisation populaire et la mobilisation populaire aboutit d’une manière ou d’une autre à la participation populaire à la décision politique – même parmi les tribus arabes du temps des conquêtes arabes aux VIIe-IXe siècles.
« La plupart de nos concitoyens ont perdu
jusqu’au sens du mot démocratie. Ils n’y voient
que les libertés individuelles et la
prospérité, et jamais le combat… »
Le problème pour nous et nos contemporains est : voulons-nous vraiment la préservation de la démocratie ? Préférons-nous vraiment ce qu’elle implique de responsabilités collectives et d’affrontements belliqueux le cas échéant à la paix de l’empire, à la vaticination de la paix des religions, qui nous offre en échange un peu de prospérité (l’empire) ou la satisfaction d’être du côté du bien (‘vous n’aurez pas ma haine’). Ce n’est pas évident. La plupart de nos concitoyens ont perdu jusqu’au sens du mot démocratie. Ils n’y voient que les libertés individuelles et la prospérité, et jamais le combat…
La religion a-t-elle toujours pour effet de ramollir les populations sédentarisées, en ce qu’elle serait porteuse d’un moralisme condamnant l’action, voire d’autoflagellations ? Ou bien est-ce encore une spécificité chrétienne, qui n’est pas valable notamment s’agissant de l’islam dont vous suggérez qu’il réconcilierait le dogme et l’action ?
La religion ne ‘ramollit’ pas les peuples. C’est parce que l’empire les a au contraire ‘ramollis’ que la religion émerge. C’est vrai au total des trois grandes religions, et l’islam ne fait pas exception. L’islam qui a vraiment triomphé, le sunnisme (aujourd’hui 85% des musulmans du monde) naît au IXe siècle avec la fin des ‘Royaumes Combattants’ de l’Islam, c’est-à-dire la fin des conquêtes arabes et le désarmement des Arabes, remplacés à la tête de l’État qu’ils ont fondé par des ‘Barbares’ venus d’Asie Centrale ou des steppes turques. Le sunnisme naît dans les masses urbaines, désarmées, et s’oppose aussitôt à l’autorité impériale. Il n’a jamais cessé de le faire. Il y a entre l’empire et la religion en Islam une querelle d’autant plus vive que la forme impériale a survécu jusqu’au XIXe siècle – contrairement à l’Occident – et que les domaines respectifs de l’État et de la religion, qui ne sont nullement confondus comme on l’a dit absurdement, n’ont cependant pas été délimités avec autant de rigueur qu’en Chine.
Les empires islamiques se sont déployés parmi les derniers, ils ont pu tirer des conclusions du destin des empires qui les ont précédés. Ce qui caractérise les espaces impériaux islamiques, n’est-ce pas au fond, la prédominance de l’islam dès leur création, en tant que religion mais aussi, en tant que code de lois ?
Il est vrai que l’empire islamique comme la religion musulmane vient tard dans l’histoire, presque un millénaire après la constitution des empires chinois et romain. Empire islamique et religion musulmane ont tiré exemple et bénéfice de l’expérience des empires qui avaient précédé sur les terres occupées par les invasions arabes – l’expérience de l’empire romain surtout. Bagdad atteint son apogée moins d’un siècle après sa fondation (762-vers 850) – il a fallu 5 à 6 siècles à la ville de Rome pour atteindre son propre apogée dans l’Antiquité. L’empire islamique se donne d’emblée pour tâche de traduire le patrimoine des vaincus, en particulier la science grecque. La religion musulmane sunnite hérite des moines byzantins la tradition d’affrontement avec le pouvoir impérial. L’islam est un code de Loi rigide d’abord pour empêcher le pouvoir politique de s’ingérer dans l’administration de la justice. Inversement, l’État impérial islamique, abbasside au Moyen-Age, ottoman et surtout moghol en Inde entre XVe et XVIIIe siècles, a pu compter sur d’imposantes minorités, ou de très larges majorités de sujets non-musulmans, qui lui ont permis de limiter l’influence politique des hommes de religion musulmans.
« L’islam est un code de Loi rigide d’abord
pour empêcher le pouvoir politique de s’ingérer
dans l’administration de la justice. »
Une question en aparté, que je ne peux pas ne pas vous poser parce que l’actualité de ces derniers jours (l’agression de Salman Rushdie sur la tête duquel une fatwa avait été émise par R. Khomeini) et de ces dernières années (les attentats commis au nom du Prophète) le commandent. Vous êtes de ceux qui connaissent le mieux l’histoire du monde islamique : peut-on dire de manière certaine qu’il a eu son temps des lumières ? Tandis qu’aujourd’hui, ceux de ses adeptes qu’on entend le plus sont souvent les plus violents, quelques bédouins fanatisés bousculant une masse de sédentaires pacifiques ? Et finalement, les textes étant flous, on se dit souvent de bonne foi qu’une interprétation en vaut une autre. Le problème de l’islam ne réside-il pas dans ce qu’il n’y a pas en son sein de hiérarchie claire, où une espèce de "pape" reconnu de tous pourrait dire : cet acte-là est contraire à la religion ?
Le temps des Lumières de l’Islam est récurrent, mais il correspond à des époques de pouvoir impérial fort, qui contient et limite la fermeture idéologique des oulémas et leur refus de toute expérience étrangère à la supposée tradition du Prophète. L’empire abbasside aux IXe-XIe siècles, l’empire moghol en Inde aux XVIe-XVIIIe siècles, en furent des exemples. Aujourd’hui, plus qu’un renouveau religieux, l’Islam vit un renouveau culturel qui passe par l’expulsion des langues et des valeurs occidentales. Les courants jihadistes en revanche reprennent le schéma des Royaumes Combattants. Ce sont des tentatives de conquêtes impériales menées, comme il se doit dans le schéma théorique d’Ibn Khaldûn, par des minorités ‘barbares’, marginales et fortement ethnicisées, comme les Pachtouns en Afghanistan et au Pakistan, ou les Peuls en Afrique subsaharienne. Les deux mouvements ne coïncident pas sociologiquement et démographiquement. La reconquête ‘culturelle’ vise les grandes majorités et se traduit par une assistance accrue à la prière ou le port le plus général possible du voile pour les femmes. Le jihadisme est le fait au contraire de minorités agissantes. Sa victoire, comme celle des Taliban en Afghanistan, ouvre aussitôt le conflit avec les majorités ‘civiles’, même acquises à l’islamisme antimoderne et antioccidental. Plutôt que l’absence d’Église et de Pape, la tradition islamique plaiderait plutôt pour la restauration d’un État fort pour s’opposer à ces mouvements ou les contrôler.
Vous avez étudié, dans un précédent ouvrage, l’affaissement et la chute des grands empires. Quels traits communs trouvez-vous à ces histoires particulières, et percevez-vous auprès de grands États pouvant actuellement prétendre à l’empire, ou agissant de manière impériale, ces mêmes signes de faiblesse ?
La manifestation extérieure la plus évidente de la chute des empires, c’est la crise financière. Et pour cause. Le mécanisme même de l’empire, la sédentarisation, tend à désarmer le peuple en armes du temps des Royaumes Combattants – les Macédoniens désarment les cités grecques, l’Empire désarme le peuple romain. La compensation de la liberté perdue, c’est la prospérité économique promise, et la libéralité de l’État à l’égard des anciens citoyens devenus sujets. Au-delà même, de génération en génération, la sédentarisation de l’empire lui fait préférer de plus en plus les solutions financières aux solutions militaires. L’empire vieillissant achète ses ennemis ou ses Barbares plutôt qu’il ne les combat. L’empire est pusillanime. Il achète sa paix parce qu’il ne sait plus l’imposer. Sans avoir connu à proprement parler l’étape impériale, nos États-nations répondent aujourd’hui à ce schéma. Ce sont des traits qu’on retrouve dans l’extrême prudence politique et militaire de l’Occident autrefois conquérant, aujourd’hui désarmé, pour l’essentiel depuis la fin des guerres d’Algérie (1962) et du Vietnam (1975). Comme les empires, l’Occident ne se bat plus que par supplétifs interposés (les Kurdes, les Ukrainiens, même si chacun de ces ‘supplétifs’ tient son combat pour national et sacré). Nos crises financières disent en fait la perte de l’esprit démocratique. En 1958, Albert Camus proposait une hausse des impôts et une politique d’austérité en France pour pouvoir investir en Algérie et y gagner la guerre. Quel dirigeant politique occidental oserait aujourd’hui combiner l’appel à la guerre et à l’austérité pour accomplir le destin national ?
« En 1958, Albert Camus proposait une hausse
des impôts et une politique d’austérité en France
pour pouvoir investir en Algérie et y gagner la guerre.
Quel dirigeant politique occidental oserait aujourd’hui
combiner l’appel à la guerre et à l’austérité
pour accomplir le destin national ? »
Si l’on devait associer un adage aux bédouins que vous décrivez à la suite d’Ibn Khaldûn, ne serait-ce pas "l’avenir appartient aux audacieux" ? Qui sont les bédouins de 2022, les aventuriers, les gens aux idées tranchées ?
La caractéristique principale des mondes nouveaux qui créent des religions universelles après les empires, c’est la pérennisation de la division entre bédouins et sédentaires. Les religions rassemblent les sédentaires et imposent les valeurs des sédentaires : la paix, l’universalisme, l’absence totale de violence, d’autant plus fortement proclamées que la religion et les sédentaires ne gouvernent pas. À l’inverse, les bédouins sont en charge de l’inéluctable violence, se battent pour le pouvoir, vivent et meurent pour des valeurs qui semblent vides de sens ou profondément archaïques aux sédentaires. Il y a donc deux systèmes de valeurs parallèles, l’un clairement affirmé par la religion, l’autre plus confusément vécu par les hommes de violence et de pouvoir.
« L’immense majorité communie dans les valeurs
de la paix, de l’écologie – il faut y ajouter l’antiracisme
en Occident. Des minorités – les banlieues, pas seulement -,
vivent d’autres valeurs, de conflit, de combat, d’ethnie
ou de race, de virilité. Cette dichotomie peut durer
des siècles, elle est faite pour durer. »
C’est cette dichotomie qui s’affirme aujourd’hui dans nos pays. L’immense majorité – sans doute de plus en plus partout dans le monde – communie dans les valeurs de la paix, de l’écologie – il faut y ajouter l’antiracisme en Occident. Des minorités – les banlieues, mais sans doute pas seulement -, vivent d’autres valeurs, de conflit, de combat, d’ethnie ou de race, de virilité. Cette dichotomie peut durer des siècles, elle est faite pour durer.
Que vous inspire-t-il, le monde de demain, comme historien et comme citoyen ?
Question intéressante parce qu’il y a une sorte de dichotomie entre les deux. L’historien voit la progression des pratiques impériales et surtout du discours religieux de l’impuissance politique, et donc le retrait des grandes majorités de l’arène politique. En gros notre démocratie est très malade, ou déjà condamnée, comme probablement les nations, en tous cas aux yeux de nos élites. Toute manifestation populaire est populisme. Le citoyen que je suis a du mal à s’y résigner. Il se sent du parti de Démosthène face à Philippe de Macédoine, même s’il ne se fait pas d’illusion sur la capacité de la nation et de la démocratie à résister au rouleau compresseur que nous appelons ‘mondialiste’, et qui est en fait le credo du désir d’empire de nos élites, mais au-delà, de l’impuissance assumée, consacrée, de la nouvelle religion.
Qu’est-ce qui finalement, dans votre parcours d’études et de vie, vous a incité à vous spécialiser dans l’histoire de l’Islam ? Vos projets et surtout, vos envies pour la suite, Gabriel Martinez-Gros ?
Soyons honnêtes. Ma naissance en Algérie a sans doute joué un rôle décisif dans mes choix de recherche, même si j’ai longtemps refusé d’aborder de front ce sujet douloureux, même si je me suis d’abord dirigé vers la Grèce antique, c’est-à-dire la quintessence supposée de l’Occident. Aujourd’hui, après ce livre, je crois que j’aimerais revenir vers l’Algérie, parce que je suis personnellement attaché à cette histoire, mais aussi parce qu’il s’y est noué une part décisive de notre histoire encore actuelle, c’est-à-dire le tiers-mondisme, cette relation ambigüe et délétère entre colonisateur et colonisé qui ne veulent pas se quitter ; où l’ancien colonisé trouve son identité dans la guerre qu’il continue contre son ancien colonisateur. C’est ce schéma du tiers-mondisme qui inspire encore aujourd’hui la culture woke.
Justement, sur quelles bases devrait-on construire, de part et d’autre, une relation nouvelle, apaisée et plus saine, entre la France et l'Algérie pour, en quelque sorte, mettre fin pour de bon à la guerre d'Algérie ?
Rien en vue de ce côté-là. Comme je l’explique à propos du tiers-mondisme, dont la culture woke est le dernier avatar, dans le vaste espace de l’Occident - Europe, Amériques, Afrique non-musulmane – la relation tiers-mondiste est le lien indispensable. Elle passe par l’insulte d’un côté, la repentance de l’autre. C’est ce qui permet de rester ensemble, de continuer à faire partie d’un même monde, auquel la Chine, l’Inde, l’Islam participent de moins en moins. Macron va se faire insulter à Alger, et il salue. C’est dans l’ordre – n’y voyez aucune ironie. Le seul problème est qu’en principe l’Algérie est un pays musulman, mais elle s’accroche au tiers-mondisme, et en particulier à la relation frelatée avec la France, là où le reste du monde musulman s’engage dans la reconquête de valeurs islamiques, voire islamistes. On pourrait dire froidement, presque cyniquement, que la seule manière de sortir avec l’Algérie de cette relation frelatée, ce serait une victoire islamiste en Algérie. Mais ce n’est guère souhaitable pour la majorité des Algériens…
Gabriel Martinez-Gros. Crédit photo : Hannah Assouline.
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