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Paroles d'Actu
5 octobre 2022

« The Gracious Queen », par Hélène de Lauzun

La disparition d’Elizabeth II, le 8 septembre, a comme on s’y attendait entraîné une vague d’émotion qui a déferlé bien au-delà du Royaume-Uni et des terres du Commonwealth : elle était, parmi nos contemporains, la femme la plus connue au monde, et une des figures les plus respectées du monde occidental. Elle a, sept décennies durant, assumé sa charge avec rigueur et sens du devoir ; elle fut pour pas mal de jeunes femmes (et pas que !) qui ont grandi et vieilli avec elle, une source d’inspiration. Disons-le, gracious, comme chanté dans le God save the Queen, cet hymne qu’on n’entendra plus pendant longtemps, elle l’était, elle l’était vraiment. C’est d’ailleurs sous cet angle qu’Hélène de Lauzunhistorienne et auteure d’une Histoire de l’Autriche (Perrin, mars 2021) chroniquée sur Paroles d’Actu il y a un an, a souhaiter évoquer sur ma proposition, et avec un peu de recul, la souveraine défunte. Je l’en remercie et vous invite également à relire mon interview de mai avec Elizabeth Gouslan. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

The Gracious Queen

« The Gracious Queen »

par Hélène de Lauzun, le 3 octobre 2022

 

Le tourbillon médiatique mondial qui a suivi l’annonce de la mort de la reine Elizabeth II est désormais retombé, et a laissé la place à d’autres soucis et à d’autres ombres. Par ces quelques lignes, alors que la presse s’est déjà emparée du nouveau souverain et de son héritier pour scruter leurs moindres effets et gestes, distribuant bons et mauvais points, nous souhaiterions rendre un ultime hommage à la gracieuse reine.

«  God save our gracious Queen  »  : la formule tirée de l’hymne britannique appartient désormais au passé et pour longtemps, car la succession de la couronne d’Angleterre sera masculine pour quelque temps. Honni soit qui mal y pense  ! Après Charles, viendra William. Après William, George.

Gracious est le terme que l’on retiendra aujourd’hui dans ce billet pour qualifier la reine. Les rétrospectives photographiques n’ont pas manqué pour revenir à travers quelques images sur ce règne si long. Alors que nos contemporains ont en mémoire la vieille dame, gentiment voûtée mais jamais courbée, revêtue de ses tailleurs impeccables et dûment chapeautée, on se prend à rêver devant les images de sa jeunesse, quand elle avait toutes les apparences d’une princesse de conte de fées.

Elizabeth a vingt-cinq ans quand elle monte sur le trône, en 1952, à la mort de son père George VI. Sa jeunesse est alors merveilleusement mise en valeur par la délicieuse mode des années cinquante. La taille fine et les amples jupons tournoient tandis qu’elle valse dans les bras de son prince Philip, ou en compagnie de chefs d’État. À cette époque bénie, l’art de vivre et l’élégance alliés au protocole donnaient à une jolie souveraine la possibilité de faire de la politique en dansant sur un rythme à trois temps, comme lorsqu’elle esquissa, en 1961, quelques pas avec le Ghanéen Krumah, lui ôtant l’envie de quitter le Commonwealth pour céder aux sirènes de Moscou.

Une reine est faite pour attirer les regards. Les années ont passé, et les robes de la reine se sont assagies. Mais elle est restée gracious aux yeux de ses sujets, car la grâce n’est pas qu’une affaire de jeunesse, mais d’état d’esprit, et la beauté trouve toujours refuge dans ce qui a de l’âme. Certains esprits chagrins – bien peu en vérité – se sont offusqués des cérémonies qui ont entouré la dépouille de la reine. Trop d’ors et trop de fastes… Il ne s’agit pourtant pas d’un vain gaspillage. Comme le disaient les anciens Grecs, le beau est l’éclat du bien. L’incarnation du pouvoir dans des formes policées par les siècles apaise, rassure et donne l’espérance. D’autres sont venus, des milliers en cohorte, avant nous. D’autres suivront. Ce n’est pas un hasard si plus de quatre milliards de personnes se sont inclinées devant la gracieuse reine, elle qui pourtant s’est évertuée à incarner jusqu’au bout tout ce que le torrent de boue parfois charrié par la vie contemporaine s’acharne aujourd’hui à vouloir emporter  : le sens du devoir plutôt que la poursuite de la jouissance immédiate, la stabilité et la sérénité plutôt que l’anarchie ou la dictature, l’oubli de soi plutôt que la glorification de l’ego.

Le lecteur français pardonnera-t-il le ton quelque peu nostalgiquement monarchiste de ces lignes  ? Faire de l’histoire donne le pli du passé, ce qui laisse nécessairement quelques traces… Mais le merveilleux de l’actualité, c’est qu’elle ne cesse de renouveler l’histoire. Charles III, en choisissant ce nom comme souverain – il aurait pu en choisir un autre, à l’exemple d’Albert qui, succédant à Edouard VIII, se transforma en George VI – enjambe sans sourciller trois siècles et demi et montre qu’entre Charles II et Elizabeth II, il n’y a finalement qu’un instant, mais un instant d’éternité. En avoir conscience est le meilleur des remèdes contre la pesanteur du temps présent.

 

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun est historienne et auteure

d’une Histoire de l’Autriche (Perrin, mars 2021).

 

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