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Paroles d'Actu
21 novembre 2022

Alain Wodrascka : « Barbara était en couleur, il faut arrêter de la voir en noir et blanc ! »

On commémorera ce 24 novembre les 25 ans de la disparition de Barbara. Elle était déjà évoquée il y a quelques jours sur Paroles d’Actu lors de l’interview avec Jean-Daniel Belfond, patron de L’Archipel et amoureux de la "longue dame brune". Je vous propose ce nouvel article, fruit d’un long entretien daté du 15 novembre avec le biographe et chanteur Alain Wodrascka, qui vient de publier tout récemment Barbara - Un ange en noir (Éditions City). Barbara, lui aussi la connaissait bien, il l’aime depuis plus de 40 ans, et celle qu’il nous dépeint ici s’éloigne un peu de l’image qu’on peut en avoir habituellement. Car il est vrai que les extraits qu’on nous présente souvent datent du temps de la télé en noir et blanc, alors qu’elle est partie en 97 et qu’elle a été très active entre-temps...

Il faut dit-il rendre à cette Barbara qu’on voit toujours en noir et qu’on croit toujours sombre, sa part de couleur et de fantaisie qui était réelle. En somme, la femme complexe et contrastée qu’elle était, tout sauf monochrome. Il nous présente aussi une Barbara aimant jouer de son image, convoquant volontiers y compris dans son art, l’imagerie gothique, aimant provoquer aussi : un peu la grande sœur de Mylène Farmer. À lire, entretien rendu tel quel, tout comme l’ouvrage de Wodrascka, pour connaître le regard personnel d’un passionné, et se saisir peut-être d’une part supplémentaire de la vérité d’une Barbara qui inspire toujours le mystère... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Alain Wodrascka: « Barbara

était en couleur, il faut arrêter

de la voir en noir et blanc ! »

Barbara un ange en noir

Barbara - Un ange en noir (Éditions City, novembre 2022).

 

Barbara est morte il y a 25 ans, vous vous souvenez de ce moment-là ?

Il y a les histoires de biographe et les histoires personnelles. Je n’y ai pas cru, c’était tellement violent... Et je n’en rajoute pas : ça a été pour moi, un des décès les plus difficiles à accepter. Il y a eu une annonce en deux fois. La veille de son décès, on a préparé le terrain en annonçant qu’elle n’allait pas bien. La veille, je n’y croyais pas. Je ne pensais pas que c’était possible, qu’elle puisse mourir...

 

 

Quelle est votre histoire avec elle ?

Je l’ai connue le 11 février 1984, j’étais très jeune et je lui avais envoyé une cassette. Et pour être précis, en 1990, elle m’avait aidé personnellement parce que je n’étais pas dans une période très facile, et elle a contribué à m’en sortir, en me téléphonant tous les jours, et en me disant des phrases qui me sont restées. Une en particulier est restée gravée en moi : "On traverse tous des couloirs, mais il ne faut pas aller contre les couloirs, il faut aller avec les couloirs".

Elle m’a été d’une aide précieuse à ce moment-là. Rôle artistique aussi, elle s’est penchée sur mes chansons, parmi les premières. Quand j’ai vraiment compris qu’elle n’était plus là, j’ai réellement eu l’impression que la vie s’arrêtait, et que tout ce qu’elle m’avait dit était faux, parce qu’elle partait. Pour moi, et je suis prudent dans ce que j’affirme, d’ailleurs je n’affirme rien, c’est un départ volontaire. D’où l’aspect impossible, parce que je l’ai pris comme ça, sensiblement, instinctivement. Tout ce qu’elle avait pu me dire ne tenait plus debout...

 

Aucun des éléments qu’on a connus depuis ne vous a fait dévier de cette conviction personnelle ?

Quel que soit le motif médical, il me semble que c’est l’interruption volontaire d’un chemin. On peut parler de décongélation d’un mauvais surgelé, mais pourquoi à ce moment-là ? C’était une femme hors du commun et une très grande artiste : avec Véronique Sanson, elle est en France la principale femme auteur-compositeur-interprète avec un répertoire et un style. Je parle vraiment de ces femmes qui ont apporté une musicalité et un langage. Il n’y a que ces deux-là, je crois. On peut dire qu’elles sont les deux femmes-piano de la chanson et de la pop actuelles. Parce que Barbara était aussi une chanteuse pop : à partir des années 1970, elle a changé de cap, trouvé une musicalité nouvelle, en travaillant avec William Sheller, François Wertheimer, etc... Et Jean-Louis Aubert sur son dernier album. C’est quelqu’un qui suivait les nouveautés musicales.

 

 

Elle était exceptionnelle du point de vue de l’intelligence, de la carrière. Pour moi, et ça va peut-être étonner, une de ses héritières c’est Mylène Farmer. Pourquoi ? Parce que la stratégie de communication est la même : on nourrit le mystère, et ça a toujours marché chez l’une et l’autre. Barbara était totalement pionnière en la matière : hormis elle, personne ne se serait permis, en 1987, de faire une rentrée au Châtelet sans affichage. Mylène Farmer n’a rien copié, simplement, ce qu’elle a fait en matière de stratégie de communication a fonctionné et nourri le mythe, comme Barbara. Ce sont deux femmes qui conjuguent un aspect intime et une forme de provocation élégante. Bref, Barbara était très importante pour tout le monde. Sa façon de respirer, c’était de chanter. Par manque de chance, comme Maria Callas en son temps, elle a perdu son organe - quand on chante de l’opéra c’est encore pire, parce qu’on ne peut pas s’amuser à chanter l’air d’opéra sans avoir la technique. Mais Barbara a malgré tout chanté pendant 15 ans à peu près avec une voix malade, et arrivé à un moment, ça n’a plus du tout été possible de chanter. Donc, par rapport à l’importance fondamentale qu’elle accordait à la chanson, dont elle ne pouvait plus faire usage, il était un peu normal qu’elle s’en aille. Parce que c’était sa vie... Elle a essayé de faire des mémoires, ça a duré un certain temps, puis elle est partie...

 

 

Pourquoi cette nouvelle bio, qu’apporte-t-elle ? Et pourquoi ce titre, "un ange en noir" ?

Ce sont les 25 ans, donc c’est important de penser à elle. Ce n’est pas moi qui ai trouvé ce titre, mais l’éditeur. Je l’ai trouvé bien. Un "ange en noir", ça fait forcément référence à L’Aigle noir. Mais je pense aussi à la mythologie de Federico Garcia Lorca, à ses "anges noirs de la mort". Tout cela lui correspond bien. Elle n’était pas la seule à chanter en noir, Juliette Gréco l’a fait avant (elle avait trois ans de plus et a chanté très jeune). Gréco chantait en noir par rapport à Cora Vaucaire, parce qu’elle n’avait pas d’argent et que le noir était moins salissant que le blanc qu’arborait Vaucaire. Je pense que Barbara a chanté en noir au départ parce que c’était plus facile et plus pratique. Après, c’est devenu quelque chose de légendaire. Elle a dit plus tard après que ça n’était pas pour elle couleur de deuil, mais quelque chose d’élégant, d’érotique aussi quelque part. Et, avec le recul, on va s’apercevoir que ça correspond aussi à l’univers gothique. Barbara est une chanteuse gothique à mon sens, elle en utilise l’imagerie, celle qu’on retrouve dans la littérature du XIXè siècle, du Portrait de Dorian Gray au Dracula de Bram Stoker, tout ce mélange où l’art se marie à l’aspect maléfique. Barbara avait dans sa bibliothèque notamment des traités de magie noire, non qu’elle y croyait mais pour alimenter son personnage. Elle a arrêté la télé en 1975, j’étais petit à l’époque. Quand on la voyait chez les Carpentier à l’époque, entre Johnny et Sylvie Vartan, les enfants que nous étions avions très peur. Je regardais cette femme sur un rocking chair avec ce regard qui semblait jeter des sorts. Je crois que c’est une des raisons pour lesquelles elle a arrêté la télé : elle a su qu’elle faisait peur aux enfants.

 

Sur le fond et la forme, le noir c’est vraiment ce qui la caractérise, ou bien c’est plus nuancé ?

On en a beaucoup parlé. Elle est quelqu’un qui a exprimé les sentiments de l’être humain, et elle l’a très bien fait. Sentiments de bonheur, d’émotions. Dis, quand reviendras-tu ?, son premier succès, raconte l’absence. Il est question du tourment amoureux, mais aussi de la difficulté d’être avec Le Mal de vivre, de la solitude... Assez rapidement, les médias en ont fait une chanteuse "triste", pour prendre un mot un peu simpliste, et on a associé cela à la couleur noire de ses tenues. Pourquoi n’a-t-on pas retenu à ce point cette noirceur chez Juliette Gréco ? Sans doute L’Aigle noir, le plus grand tube de Barbara, a-t-il joué...

 

 

Peut-être aussi que Gréco jouait moins de l’ambiguïté de son personnage...

Oui c’est vrai. Elle chantait des choses diverses, mais on retient surtout d’elle des choses plus légères, plus malicieuses comme Jolie môme. Mais encore une fois, ce sont beaucoup les médias qui ont entretenu cela. Je me pose aussi cette question : chaque fois qu’on fait un bouquin sur Barbara, elle est toujours en noir et blanc. Je rappelle qu’elle nous a quittés en 1997. Michel Berger est mort en 1992, Daniel Balavoine en 1986, ce n’est pas pour autant qu’on les représente tout le temps en noir et blanc. Et quand on fait une émission, on nous colle toujours des archives des années 1960, de chez Denise Glaser généralement, donc en noir et blanc. On alimente un peu des clichés. Barbara est beaucoup plus complexe que ce que certains prétendent : Barbara est aussi en couleur ! Il y a du noir, mais il y a aussi du rouge, songez à ses lèvres rouge carmin, etc... D’ailleurs, si elle a arrêté de faire de la télé en 1975, il y a eu pas mal de concerts filmés, en couleur, par la suite.

 

Ce qui s’appelle alimenter une légende noire...

Oui, alors évidemment, elle aimait le noir, mais pour elle, c’était vraiment de l’ordre de l’anecdote.

 

La guerre est évoquée dans des chansons bouleversantes comme GöttingenMon enfance, ou Il me revient. En quoi ce temps-là l’a-t-il marquée ?

Forcément, quand on est né en 1930, on n’a pas pu échapper à la Seconde Guerre mondiale. Ça l’a d’autant plus marquée qu’évidemment, elle était juive. Sa guerre, ce fut une vie d’errance où il a fallu déménager dans la clandestinité avec ses parents : Marseille, Saint-Marcellin où elle est restée plusieurs années, Tarbes... Ce fut pour elle un déménagement perpétuel la nuit, avec des gens qui par bonheur ont été là pour protéger cette famille. Dans Mon enfance elle dit : "La guerre nous avait jetés là / Nous vivions comme hors-la-loi / Et j’aimais cela quand j’y pense". Les enfants aiment bien le danger dont ils n’ont pas complètement conscience, je pense que c’est dans ce sens qu’il faut lire ces mots. Elle évoque ici son séjour à Saint-Marcellin, dans le Vercors, où elle a été réfugiée avec ses parents, et cette chanson retrace son retour sur les "lieux du crime" si je puis dire. Cette maison-là, je suis allé la voir, c’est très émouvant parce que la chanson prend un autre sens quand on va la voir. J’étais aussi allé voir ses camarades de classe.

 

 

On peut considérer que c’est dommage, d’ailleurs, qu’on n’en fasse pas un musée Barbara ?

Vous avez raison. En revanche, Saint-Marcellin tenait un festival pour lui rendre hommage, je crois que c’est toujours d’actualité. Mais cette maison qui ne paie pas de mine pourrait bien devenir un musée en effet.

 

Il y aussi ces textes où le rapport au père est évoqué...

Il y a évidemment Nantes, le père y est évoqué sans que les choses soient vraiment claires. C’est l’histoire de ce père dont on apprend la disparition et qu’on va, la mort dans l’âme, enterrer dans une ville inconnue et pluvieuse. La chanson qui évoque les relations incestueuses, puisque c’est le sujet sur lequel vous m’interrogez, celle que Barbara a revendiquée comme telle, c’est bien Au cœur de la nuit. D’ailleurs elle a arrêté de la chanter sur scène, parce que personne ne comprenait. Mais on peut comprendre cette incompréhension, parce qu’il n’y a pas vraiment de clé si on ne sait pas... À propos de cette histoire : elle avait porté plainte, à l’époque, quand elle avait atteint l’âge de l’adolescence. C’est très rare, surtout à cette époque-là, les enfants victimes qui vont jusqu’à faire cela. Beaucoup de relations inappropriées et criminelles restent tues dans des secrets de famille. Ça n’a pas été son cas, elle a tout de suite eu ce réflexe de se défendre, d’aller voir les gendarmes pour en parler. Ils ne l’ont pas vraiment crue, mais en tout cas psychologiquement il y avait une démarche de survie. Tout le monde ne l’a pas crue en France, ce n’est qu’à partir de l’affaire Dutroux qu’on a commencé à prendre au sérieux tout ce qui était crimes sexuels contre l’enfance. Claude Sluys, qui a été son mari dans les années 1950, se destinait à la profession d’avocat tout en étant artiste. Il m’avait dit que lui-même n’y avait pas cru au départ, beaucoup de gens se posaient la question, mais les enquêtes menées ont confirmé la chose. À l’époque on ne croyait pas ce que les enfants racontaient...

 

 

Pour ce que vous en savez, elle s’était remise de ses blessures d’enfance ?

Je pense que personne ne se remet d’une chose pareille, ce n’est pas possible. Mais on peut composer avec. S’agissant de L’Aigle noir, elle-même n’a jamais confirmé qu’elle y évoquait l’inceste, mais comme le climat est le même que pour Au cœur de la nuit, je comprends bien qu’on puisse le prétendre.

 
Quel regard portez-vous sur le parcours d’artiste de Barbara ? Quelle est sa patte singulière dans le patrimoine culturel francophone ?

Le regard que je porte, c’est vraiment celui, encore une fois, sur une femme auteur-compositeur et interprète aussi, elle était une grande interprète. Elle conjuguait des qualités incroyables. Il y a un personne, une femme très belle avec un physique très particulier, une prestance, un charisme très forts. Sa voix aussi était très particulière, elle l’a travaillée au fil des années pour se libérer du chant classique - au départ elle avait fait des études de chant classique, ce qui sonnait un peu lourd dans les premières chansons. Elle s’est libérée de ce point de vue à partir des années 1970. Et elle était aussi un poète. Elle ne choisissait pas forcément la facilité, elle pouvait écrire paroles et musique en même temps. Elle n’écrivait pas non plus de la rédaction chantée, elle écrivait bien de la poésie. Écoutez Vienne. Gauguin. Nous sommes dans le sillage de Verlaine. Je peux citer quelques passages de Vienne : "Une vieille dame autrichienne / Comme il n’en existe qu’à Vienne / Me loge, dans ma chambre / Tombent de pourpre et d'ambre / De lourdes tentures de soie". C’est l’expression d’une poésie réelle, spontanée, lyrique et pourtant très simple. Son écriture est restée très simple, aussi par volonté. Elle ne voulait pas frimer avec l’écriture. D’ailleurs un éditeur a créé dans les années 1960 une collection consacrée aux chanteurs, on y trouvait Brel, Brassens, Anne Sylvestre. On a proposé à Barbara de faire partie de cette collection en 1968, elle n’était pas très chaude pour ça. L’appellation "Chanteurs poètes" est devenue "Chanteurs d’aujourd’hui", mais elle a refusé l’appellation de poète, alors qu’elle en était vraiment une. Il faut dire aussi qu’elle avait pu, grâce à son mari et à sa période belge, fréquenter pas mal de poètes surréalistes : si elle n’a pas fait d’études, elle a eu le bonheur de rencontrer des artistes prestigieux dans son jeune âge, et notamment ces poètes surréalistes.

 

 

D’ailleurs elle a chanté Aragon à ses débuts...

Oui tout à fait. Et il faut noter qu’elle a été aussi une vraie femme de scène, ça s’est exprimé de plus en plus et sa carrière a pris un nouvel essor à Pantin en 1981. C’était quelqu’un qui mettait sa vie en jeu, comme un Johnny au féminin. On l’entend pas trop, ça. Ses spectacles, avec elle derrière son piano, c’était vraiment des shows. Moi je l’ai vraiment découverte dans les années 1980, notamment au Châtelet en 87, puis à Mogador en 90, Paris encore en 93... Je suis allé la voir souvent à Mogador en 90, c’est là que j’ai eu ce petit accident de vie dans lequel elle m’a aidé. Elle avait acquis, notamment à partir des années 1980-90, un nouveau public de jeunes qui était très fan et exprimait son enthousiasme comme on savait le faire dans ses années. J’y suis allé notamment un dimanche, et je me souviens d’un groupe de gens de sa génération à elle qui était venu, et je les entendais râler parce qu’on n’entendait pas les paroles, se plaindre parce qu’on n’était pas "à un concert de rock"... À partir des années 80, on retrouvait chez Barbara une ambiance comparable à celle des concerts de rock. Sa musicalité n’était pas du rock, l’esprit si. Il y avait une énergie, une façon de se mettre en scène comme si sa vie en dépendait proches du rock plutôt que de la chanson française.

 

Et cette espèce de communion particulière entre elle et son public...

Oui, ce genre de communion qu’on trouve dans l’univers du rock, aussi. Mais clairement, ses derniers concerts étaient plus proches de Janis Joplin que de Gréco. L’évolution avait été extrême, ce qui explique aussi que certains aient été agacés, parce que ceux qui l’ont vue à Bobino, bien sagement assis, ne retrouvaient plus cette ambiance : les rappels commençaient à partir de la cinquième chanson... Moi j’adorais ça, elle sortait du cadre, un peu provocatrice et insolente aussi par rapport au métier. Ma plus belle histoire d’amour c’est vous, la chanson date de 66, enregistrée en 67, ça voulait vraiment dire qu’il y avait un lien, quelque chose de l’ordre de l’orgasme dans les concerts. Ce n’est pas juste un mot, une formule, il y avait dans cette communion quelque chose de l’ordre du sexuel, du sensuel. Pas très catholique si je puis dire !

 

 

Sa vie, c’est une source d’inspiration pour vous ?

C’est quelqu’un qui pouvait n’écrire que si elle avait vécu la chose. Elle prétendait en tout cas qu’elle n’avait pas d’imagination. Toutes ses chansons sont nées d’une histoire vécue. On retrouve des prénoms, des lieux (parfois ils sont inventés), des choses qu’elle a vécues, elle se racontait complètement. Vienne c’est l’exception confirmant la règle, elle n’y était pas allée, c’était une Vienne imaginaire suite à une crise sentimentale avec la personne avec qui elle était, elle avait besoin de prendre le large. Mais sinon, même la comédie musicale Lily Passion est liée à la réalité... On pourrait penser que c’est de la fiction pure, parce que ça met en scène une chanteuse et un meurtrier, mais c’est aussi autobiographique. D’ailleurs c’est assez amusant, on a plutôt eu tendance à prêter à Gérard Depardieu des séquences autobiographiques dans cet opéra-rock, alors que ça parlait plutôt de son vécu à elle. Il y a une chanson dans ce spectacle qui s’appelle Qui est qui et qui joue un peu de cette ambiguïté entre les deux personnages. C’est aussi une chanson sur l’ambivalence sexuelle, il faut dire qu’à l’époque elle était un peu une pasionaria des homosexuels et du Sida.

Je ne pense pas que Barbara ait été meurtrière (rire) mais quoi qu’il en soit, il faut raconter qu’elle a rencontré Jacques Mesrine à l’occasion d’une tournée qu’elle a faite avec son ami Jean-Jacques Debout en 1970 (elle était aussi l’amie de Chantal Goya). Jean-Jacques Debout avait eu Jacques Mesrine comme camarade de classe, et ils étaient restés amis proches. Il savait que Mesrine se cachait au Canada. Ils sont allés un soir dîner chez lui. À la fin du repas, Mesrine demande à Jean-Jacques Debout de chanter quelque chose, puis il demande la même chose à Barbara. Celle-ci lui a répondu qu’elle ne chantait pas sur commande, que ça n’était pas son truc... Et il menace de l’étrangler pour qu’elle chante. Jean-Jacques Debout est rentré en scène pour essayer de le calmer, puis ils sont partis. Quelques jours plus tard, pour se faire pardonner, Jacques Mesrine est venu dans la loge de Barbara lui apporter une rivière de diamants. Elle n’a pas osé la lui rendre (rire), il faut dire qu’elle avait eu une vraie frayeur, elle en a finalement fait profiter quelqu’un de sa famille qui était dans le besoin. Voilà l’histoire. Jean-Jacques Debout est quelqu’un d’adorable qui a vécu des choses incroyables.

 

 

Ce qui est bien avec ce genre d’histoire, c’est qu’elle casse un peu plus l’image trop sombre de Barbara...

Oui, c’est bien parfois d’éclaircir un peu le personnage, on dit tellement de choses sur elle qui ne sont pas en couleur... On ne peut pas dire qu’elle était sinistre ou dépressive. Son côté gothique, c’est une esthétique artistique, pas de la tristesse. Est-ce qu’on dit que Mylène Farmer est triste ? Elle parle pourtant de choses parfois très provocatrices. Elles ont en commun de parler du suicide, de la mort... il y a une volonté de dire la vérité. Et la volonté de provocation, Barbara l’a aussi à coup sûr. Après, il est vrai que la musicalité est différente. Une chanson comme La Mort, de Barbara, une de mes préférées d’ailleurs, est complètement gothique. Sa musicalité est très étrange, il y a des accords de synthé, l’atmosphère incroyable... Mylène Farmer aurait très bien pu chanter ça, elle aurait sans doute mis une rythmique différente ce qui en aurait changé la couleur. Je pense que Mylène Farmer est l’héritière de Barbara. Peut-être sa seule héritière...

Son inceste, Barbara a essayé de composer avec, elle a même fait une chanson qui s’appelle Amours incestueuses, issue d’un album du même nom paru en 1972. À cette époque, les gens étaient beaucoup trop inconscients de tout ça, maintenant on ne pourrait plus appeler un album comme ça. Et dans cette chanson elle dit : "Les plus belles amours / Sont les amours incestueuses"... Je pense que c’était là une façon d’inverser le dramatique de son histoire. Parce qu’il faut bien le vivre, alors parfois on essaie de le sublimer. Barbara n’a fait qu’un clip, question de génération, mais ceux de Mylène Farmer sont très axés sur Eros et Thanatos, l’érotisme et la mort qui sont les deux pôles du gothisme qui sera très présent dans la pop anglo-saxonne, puis chez les punks. Barbara a été pionnière en matière de gothisme musical, mais effectivement ceux deux-là traitent des mêmes thèmes, et personne n’avait vraiment réfléchi à ça...

 

 

Et la vie de Barbara, c’est quelque chose qui vous inspire, vous ?

Une source d’inspiration je ne sais pas, mais les réponses par rapport aux problèmes, que j’ai entendues et intégrées. L’intelligence de son regard sur la psychologie, aussi. Souvent, il m’arrive de penser à ce qu’elle dirait par rapport à telle chose, lorsqu’il y a un obstacle dans la vie. Elle avait tout compris du fonctionnement humain et devinait très rapidement comment fonctionnait quelqu’un, on ne pouvait pas lui cacher quelque chose à cette femme... Certains vont dans le mysticisme, Jean-Jacques Debout qu’elle était une voyante. Je n’irais pas jusque là, je suis plus intéressé par la psychologie que par la parapsychologie, je dirais simplement qu’il y avait une énorme intelligence et un art d’associer les choses. Il y a des gens qui devinent parce qu’ils maîtrisent cet art-là, c’est une question de vivacité d’esprit, de logique aussi. Et ça, ça m’inspire beaucoup parce que c’est très rare, ces personnes-là.

Sa vie elle-même m’inspire oui. À un moment, j’ai voulu écrire une pièce de théâtre inspirée d’elle-même. Il y a eu depuis le film d’Amalric. C’est difficile... un biopic ça ne me semble pas très intéressant, on va y rencontrer une forme de "religion"... Mais c’est un personnage exceptionnel, très riche et qui ne ressemble à aucun autre, à aucun niveau. Très inspirant !

 

 

Peut-être faudrait-il contrebalancer un peu, justement, le film d’Amalric, belle œuvre mais qui peut-être, charrie encore quelques clichés ou tend à statufier Barbara...

Sans doute. Après, il faut avoir les moyens. Être suivi par la famille aussi, ce n’est pas simple. Alors, je la fais connaître autrement. Autre chose : c’était quelqu’un qui était féministe sans le dire. Une féministe qui aimait les hommes. Dans chaque cause il y a des gens un peu extrêmes qui assument ces positions parce qu’ils espèrent faire bouger la cause. Dans son cas c’était une féministe qui aimait les hommes, elle disait d’eux d’ailleurs qu’ils l’avaient accouchée. Au lieu de faire des chansons sous forme de règlements de comptes sur la place de l’homme et de la femme, elle a toujours prôné naturellement sa liberté. Dans une chanson comme Vienne elle dit : "Je suis seule et puis j’aime être libre / Oh que j’aime cet exil à Vienne sans toi". Dans Dis, quand reviendras-tu ?, elle dit que si l’amant en question voyage tout le temps et ne la rejoint jamais, elle ira voir ailleurs avec ce vers très emblématique : "Je n’ai pas la vertu des femmes de marins". C’est une façon beaucoup plus efficace à mon avis d’être féministe que de prôner cette liberté. Elle ne se serait pas revendiquée comme "féministe", parce que les mots en -iste, ça n’était pas son histoire. Prôner cette liberté, ça permet de convaincre l’ennemi, parce que vous le séduisez en même temps...

Autre chose, qui sort un peu du cadre habituel, cette image un peu "bobo", convenue, d’un personnage surfait qui a des codes parisiens. Ce n’est pas ça du tout : elle était quelqu’un qui aimait bien se marrer, elle ne rentrait pas dans des cases. Songez qu’elle a chanté en duo avec Johnny Hallyday pour une émission des Carpentier, et c’est Jean-Jacques Debout (encore lui !) qui avait voulu créer l’évènement. Barbara et Johnny s’aimaient et s’estimaient énormément, d’autant plus qu’ils avaient eu tous les deux un problème par rapport au père (pas d’inceste mais un abandon côté Johnny). Ils venaient d’un milieu de saltimbanques et ont tous les deux vécu avec un père vagabond... Bref, c’est un peu marrant, la façon dont ils se sont retrouvés. Barbara ne supportait pas qu’on arrive en retard. C’était même excessif, j’imagine, parce que c’était à 5 ou 10 minutes près. Certains évènements professionnels n’ont pas eu lieu parce que des équipes sont arrivées avec 10 minutes de retard. Et donc, pour l’enregistrement, pour cette rencontre artistique provoquée par Jean-Jacques Debout, Barbara arrive au rendez-vous, et Johnny se fait attendre, donc elle commence à vouloir s’en aller... Et Debout a fait en sorte que l’ascenseur tombe en panne (rire), ce qui l’a contrainte à rester. Ils se sont finalement bien entendus, et il est allé chercher un bon Bordeaux pour la mettre à l’aise. Voilà pour l’anecdote qui tranche un peu avec l’image un peu sinistre. Souvent on dit, soit qu’elle était très désespérée, soit qu’elle était une grande farceuse. Comme tout le monde, il y avait des deux.

Une deuxième anecdote que j’aime bien. Nous sommes au début des années 80. Il faut savoir que Barbara aimait les potins, ça l’amusait beaucoup. Elle était amie avec Michel Sardou notamment - tout le monde ne va pas le dire, parce que ça ne fait "pas bien", alors que Sardou est quelqu’un de respectable qui souvent s’amuse à en rajouter. Elle voulait entendre ce que les gens du show biz disaient, parce qu’elle fréquentait peu ce milieu, surtout depuis qu’elle avait déménagé à Précy-sur-Marne, à une quarantaine de kilomètres de Paris. Donc, pendant que Michel Sardou dédicaçait des disques dans sa loge, elle s’est enfermée dans un placard. Elle écoutait, ça la faisait marrer, c’était une complicité entre eux bien sûr. Sauf qu’un soir Michel Sardou quitte les lieux, et il se rend compte une ou deux heures après qu’il a oublié Barbara dans le placard ! Ça ne s’invente pas...

 

Photos livre A

Barbara en couleur... Photos extraites du carnet central du livre d’A. Wodrascka.

 

Encore une fois, de quoi casser un peu cette image triste ! Vous avez déjà un peu à cela, mais quelles chansons d’elle vous touchent le plus ?

(Il hésite) Comme je l’ai dit tout à l’heure, ce serait plutôt celles des années 70, parce que je préfère sa façon de chanter de cette époque, et même sa façon de s’exprimer, plus actuelle. Il y a des chansons que j’aime beaucoup. Vienne, je l’aime énormément, elle concilie l’amour avec la description d’une ville magnifique, un texte d’une extrême poésie et en même temps, très simple. Une musique superbe, pour une chanson intemporelle. Mon enfance, parce qu’effectivement celle-ci joint l’intime et l’universel, le retour sur les "lieux du crime", son enfance, tout ce qu’elle a ressenti et que chacun peut ressentir, magnifiquement exprimé. Et, donc, La Mort, chanson très peu connue, pour son aspect gothique merveilleux, elle y décrit la mort comme un personnage surnaturel comme dans cette littérature-là. On touche au tabou suprême...

 

 

Mais elle s’en amusait un peu, vous le disiez, elle-même jouait un peu la petite sœur de Dracula...

Bien sûr. Sa façon de s’habiller, ses poses étaient très en relation avec tout ça. L’ambiance de L’Aigle noir est complètement gothique, il y a un lac, une voix avec plein de réverbes... Cette imagerie elle en jouait, mais elle disait aussi à qui voulait l’entendre qu’elle ne se baladait pas "avec un corbeau sur l’épaule".

 

 

Ce côté joueur de Barbara transparaît pas mal de notre échange finalement...

Oui, on pense toujours qu’elle est dépressive et que, posée devant un piano, on ne sait même pas si elle ira au bout de la chanson.  C’est un peu ce qui est véhiculé. Or, c’est quelqu’un qui avait un contrôle absolu sur tout : sa carrière, ses musiciens, etc... Elle avait vécu des choses difficiles, avait de vraies séquences de mal de vivre, c’est humain, mais elle était quelqu’un qui était dotée d’une grande force vitale.

Elle s’amusait à mettre en scène cet aspect gothique. Son album le plus gothique au niveau de l’aspiration, c’est La Louve, en 1973. On y trouve des chansons comme Le Minotaure, La Louve donc, Marienbad dans laquelle on retrouve le vers suivant : "C’était un grand château, au parc lourd et sombre / Tout propice aux esprits qui habitent les ombres"... Pas mal de chansons sont conçues selon cette esthétique. Ce qui est drôle, c’est que les textes ne sont pas d’elle mais de François Wertheimer, un homme plus jeune qu’elle avec qui elle était à cette époque-là. Et finalement il a été plus loin que ce qu’elle avait pu faire sur le plan de l’imagerie gothique. Il a pris l’esthétique gothique de Barbara et il l’a façonnée avec une culture plus grande qu’il avait sur ce terrain. Elle est complètement en phase avec ça. Écoutez Ma Maison, autre texte complètement gothique : "Ma maison est un bois, mais c’est presque un jardin / Qui danse au crépuscule, autour d’un feu qui chante". C’est donc par un autre qu’elle, un jeune auteur, qu’elle avait à l’époque sublimé cette esthétique. Il faut dire que Barbara avait du mal à écrire. Ses textes sont magnifiques, mais elle n’avait pas la facilité d’écriture que lui par exemple avait, il y a énormément de mots et d’images dans ses chansons. C’est du Barbara plus gothique que nature ! Avec évidemment, sa bénédiction.

 

 

Vous aviez écrit une bio précédente de Barbara qui s’intitulait N’avoir que sa vérité. Quelle est finalement la vérité de Barbara telle que vous croyez l’avoir comprise ?

C’est une bonne question... Sa vérité, c’est qu’il faut être soi-même à 300%, ne pas tricher. Il ne faut pas essayer d’aller contre les choses. Je reprends cette phrase citée au début et qu’elle m’avait adressée à un moment difficile de ma vie : "On traverse tous des couloirs, mais il ne faut pas aller contre les couloirs, il faut aller avec les couloirs". Toute sa vérité est là-dedans : s’il y a un obstacle dans la vie, il ne faut pas aller "contre" l’obstacle, mais "avec", faute de quoi on a une double peine, celle d’être embêté, et celle d’être embêté d’être embêté.

 

D’ailleurs dans son dernier album il y a une chanson qui s’appelle Le Couloir, il y a des choses angoissantes qui s’y passent, mais aussi des moments de vie et d’espoir, le cadre c’est un service de réanimation...

Oui, absolument. Et on revient là au gothisme. Barbara ne s’interdisait rien. Très peu de chanteurs et de chanteuses de sa notoriété se sont permis d’aborder des thèmes aussi durs avec une telle dureté. Le Couloir ou Fatigue, dans cet album de 1996, ce sont des textes qui sont à la limite de l’insoutenable, par rapport à ce que ça exprime. Mais du moment que c’était vrai, il fallait le faire, et c’était sans doute ça son souhait. Quand dans Le Couloir elle évoque "La chambre 12 qui s'en va", ça n’est pas rien...

 

 

Quel regard portez-vous sur son dernier album de 96, au passage ?

(Il soupire) En pensant à cette question, je pense aussi à Jacques Brel. On ne peut que les comparer, ils avaient un an de différence et étaient très proches, d’ailleurs ils se sont connus avant d’être reconnus. Leur démarche était similaire, comme leur conception de l’existence où il faut foncer carrément. D’ailleurs ce n’est pas un hasard s’ils sont morts prématurément l’un comme l’autre. Sans doute n’étaient-ils pas faits pour vieillir... Ils ont connu des parcours de fous, en une vie ils en ont vécu cinq...

Le dernier album de Brel est paru en 1977, un an avant sa mort, même chose pour Barbara. Aussi bien le dernier album de Jacques Brel était un chef-d’œuvre, aussi bien ne dirais-je pas la même chose de l’album de Barbara, pour plusieurs raisons. Elle a voulu être arrangeuse elle-même, or les artistes ont besoin me semble-t-il d’un regard extérieur. Les producteurs, les arrangeurs ont un rôle. Les arrangements, elle les faisait déjà pour la scène, et elle faisait ça très bien. Mais faire du studio c’est autre chose, et je trouve que les arrangements de cet album ne sont pas à la hauteur de ceux, par exemple, de ceux de Michel Colombier, son meilleur arrangeur à mon avis. C’est un peu une musicienne qui a fait des arrangements de chanteur. Les instruments, on ne les entend pas bien, et pourtant il y a des pointures. Je sais qu’au départ l’album avait été fait d’une certaine façon, avec un mixage traditionnel, et à la toute fin ça lui a pris, ça c’est Barbara, son côté un peu fantasque, impulsif, elle a refait toutes les voix les unes après les autres, très vite, et le nouveau mixage donne une voix très en avant, on n’entend quasiment pas les musiciens... C’est dommage. Il faut se souvenir qu’elle avait fait beaucoup de choses pour les autres, elle était allée visiter des prisons, et un de ses arguments a été de dire qu’il fallait une voix forte pour qu’on entende, les femmes dans les prisons notamment, ce qu’elle avait à dire. Moi je pense que cet album aurait pu être meilleur, il y avait la matière au niveau des chansons. Mais à la réalisation, il manque quelqu’un... Après, je respecte le choix de Barbara. Cet album était devenu autre chose, peut-être plus celui d’une femme qui s’occupait des autres que d’une chanteuse. Elle voulait se faire entendre plutôt que de faire quelque chose d’artistiquement bien léché, voilà.

 

Dans l’interview que j’ai faite avec Jean-Daniel Belfond il y a quelques jours, lui aussi insiste beaucoup sur la dévotion de Barbara pour les autres...

Oui, c’était toute sa vie de s’occuper des autres. Elle disait que si elle n’avait pas été chanteuse, elle aurait été assistante sociale.

 

Si par extraordinaire (hypothèse un peu gothique pour le coup !) vous pouviez là, les yeux dans les yeux, poser une question à Barbara quelle serait-elle ?

Je n’aurais pas de question à lui poser. Ou plutôt je lui demanderais si j’ai suivi le chemin qu’il fallait suivre. Je lui demanderais si le bilan, le mien, est bien par rapport aux conseils qu’elle m’avait donnés. Ai-je été à la hauteur de ce que j’ai entendu ?

 

D’accord... Peut-être aussi lui demander ce qu’elle pense de la manière dont on l’a statufiée, recréée, reconstruite ?

Je ne sais pas si ce serait si important que ça pour elle, finalement. Par rapport à sa génération, Brassens l’air de rien, derrière sa modestie légendaire, était très soucieux de sa postérité. Pour prendre quelqu’un de plus proche de nous, Michel Berger évoquait aussi la sienne à travers Starmania. Elle, à moins que quelque chose m’échappe, je ne l’ai jamais entendue évoquer cette chose-là, je crois qu’elle n’en avait absolument rien à faire. Donc je ne dis pas que ça n’est pas important, mais si à ses propres yeux ça ne l’était pas, alors... Une de ses phrases était : "On est tous des passants, l’essentiel c’est de passer le mieux possible". Mais je ne sais pas si les choses l’intéressaient une fois le passage fini...

 

 

Ce qui ressort de cette interview en tout cas, c’est cette idée qu’il faudrait recoloriser Barbara...

Lui redonner de la couleur bien sûr. C’était quelqu’un qui existait en couleur, elle était très vivante, très drôle. Encore une fois, quand on revoit ces archives en noir et blanc où elle chante Le Mal de vivre derrière son piano, avec un son qui d’ailleurs n’est plus celui qu’elle ferait 15 ans plus tard, on se dit que c’est dommage. Parce que le son ça existe. Elle a un son qui ne correspond pas aux archives des années 60, Barbara. D’ailleurs elle a réenregistré certaines de ses chansons, comme La Solitude ou Les Rapaces dans les années 70, avec des instruments différents, une coloration beaucoup plus pop. C’est important parce que sans cette mutation, il y a tout un public qu’elle n’aurait pas eu. Comme moi. La Barbara des années 60, je l’écoute parce que je connais celle d’après. Mais s’il y avait eu tout le temps ce personnage piano/contrebasse/accordéon tout le temps, je ne m’y serais pas intéressé parce que c’était vraiment d’une autre époque pour moi. Pas mon truc. Mais je pense que ça n’était plus son truc non plus, dans les années 70-80-90. C’est pour ça qu’elle a fait autre chose.

Elle a évolué, là où des gens de sa génération n’ont pas du tout évolué et sont restés à ce qu’on faisait avant 68. Je ne crois pas qu’elle écoutait les Beatles toute la journée, mais le fait est qu’ils ont révolutionné la pop mondiale, et de ce point de vue Sgt. Pepper’s est peut-être l’album le plus mythique dans le monde. Et il y a des gens qui ne se sont pas rendus compte de ça. Même au niveau de l’écriture, elle a évolué. Dans les années 60, elle évoque la solitude dans La Solitude. En 1981, elle évoque ce même sujet avec Seul, chanson qui donne son nom à l’album d’ailleurs. Ce n’est plus la même écriture, c’est beaucoup plus contemporain, il y a moins de mots, avec un synthé un peu bizarre... Elle était ouverte aux changements musicaux à tous les niveaux. Ils ne sont pas si fréquents, ces artistes qui évoluent. Je pense que Barbara ne serait pas devenue une légende si elle n’avait pas évolué. Elle serait devenue une nostalgie. On citait Gréco tout à l’heure. Dans ses déclarations publiques, Gréco était très en phase avec le monde. Musicalement, c’était très bien, très bien fait, mais très daté.

Jusqu’à la fin, Barbara a écouté ce qui sortait, elle s’intéressait. On en revient à l’aspect en couleur du personnage : elle a reçu deux Victoires de la Musique, une en 94, une en 97. Elle ne s’est déplacée pour aucune, mais dans une de ces cérémonies elle était en concurrence avec Ophélie Winter et Zazie. Barbara au téléphone avait dit qu’elle avait bien compris qu’on lui avait donné la Victoire de la Musique parce qu’elle était "la plus vieille", mais elle avait assuré qu’elle aimait beaucoup les autres chanteuses. Il y avait aussi Valérie Lemercier dans l’émission, elle avait improvisé une chanson qui s’appelait Poussin Coin-Coin. Et Barbara a exprimé son envie de continuer la chanson avec Valérie Lemercier, parce qu’elle trouvait pas mal qu’il y ait une chanson qui s’appelle comme ça. C’était sa dernière apparition médiatique. Et ça montre bien sa distance par rapport au show biz aussi, elle n’était pas dupe, elle considérait sincèrement que Zazie comme Ophélie Winter ne lui étaient pas inférieures, elle les respectait complètement. Et en même temps il y avait de l’humour.

 

 

Elle restait ouverte, curieuse des autres...

Exactement. Je pense qu’elle aurait aimé des gens comme Stromae, certains rappeurs comme Orelsan... Certains chanteurs de sa génération faisaient semblant d’aimer les rappeurs, mais chez elle la démarche était sincère. Bref, il ne faut pas la figer dans une époque, c’est quelqu’un d’intemporel. Les gens qui l’ont rencontrée gardent toujours un peu cette impression de personne très vieille et très jeune à la fois... On en revient au gothique, à une forme d’immortalité pour quelqu’un qui avait traversé le temps. D’ailleurs on peut dire qu’elle a eu 50 ans toute sa vie : elle n’a jamais eu recours à la chirurgie esthétique et a gardé un visage très lisse, même à la fin. Peut-être était-elle une créature surnaturelle finalement ?

 

Un mot sur ses passages au cinéma ?

C’était plutôt bien. Elle a joué sous la direction de Jacques Brel dans le film Franz. Et dans un film de Brialy qui s’appelait L’Oiseau rare. Dans ce film-là elle a complètement changé le scénario et les dialogues, elle a raconté sa vie à la place. C’est intéressant : elle devait y jouer le rôle d’une diva déchue, finalement elle joue un peu le sien. C’est très drôle, et très en couleur pour le coup. Je crois qu’elle n’avait de frontière ni dans l’humour ni dans la gravité. Elle bousculait les tabous naturellement, c’est son côté Rock’n’roll. Et en développant ça, je pense à Bashung. La nuit je mens, c’était déjà un peu du domaine de la folie. Elle, c’est quelqu’un qui a raconté la difficulté d’être, mais elle était tout sauf folle. Loufoque, fantasque, perchée si vous voulez, mais tout le contraire d’une folle. Tout ce que j’ai pu entendre sur le plan de la psyché sont des paroles de la personne la plus lucide, en phase avec les choses humaines qui soit.

 

 

 

Vos projets et vos envies pour la suite ?

Je prépare un livre sur Brigitte Bardot, avec sa contribution comme pour tout ce que j’ai fait en ce qui la concerne. Donc on passe du "B" à "BB". Parallèlement à mes concerts. Et je prépare un album qui sortira au printemps prochain.

 

Alain Wodrascka

 

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15 novembre 2022

Alain Poulanges : « Ecrire, composer, chanter en public, c'est une drogue pour Pierre Perret »

Parmi les personnalités emblématiques de la chanson française, il en est qui depuis des générations font partie de nos vies, mais dont la discrétion égale le talent. Discret, Pierre Perret l’est à l’évidence : on le voit ou on l’entend bien peu dans les médias ; quand il s’y exprime, il a toujours cette voix de gamin espiègle et qui a l’air un peu timide, pas totalement sûr d’être légitime. Et pourtant, le talent comme la popularité sont indissociablement liés à son nom, et ce depuis six décennies. Sa vie, on la connaît moins, à part ceux qui ont lu ses livres.

Alain Poulanges, journaliste à Radio-France spécialiste de la chanson française, a choisi tout récemment de consacrer à Perret, qu’il connaît bien personnellement, une jolie bio qui met l’accent sur les chansons de son "ami Pierrot", qu’elles soient rigolotes, tendres ou graves (engagées d’une manière ou d’une autre, elles le sont presque toujours). L’ouvrage s’intitule Pierre Perret - La porte vers la liberté (L’Archipel, octobre 2022), et il est vrai que le mot "liberté" lui va bien, à notre personnage qui depuis des décennies nous invite avec malice à ouvrir "la cage aux oiseaux". À lire, pour la qualité de plume, et pour la découverte d’un artiste, d’un homme décidément attachant. Et merci à Alain Poulanges pour l’interview qu’il m’a accordée. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Alain Poulanges : « Écrire, composer,

chanter en public, c'est une véritable

drogue pour Pierre Perret ! »

Pierre Perret

Pierre Perret - La porte vers la liberté (L’Archipel, octobre 2022).

 

Alain Poulanges bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Racontez-nous un peu "votre" histoire personnelle avec notre héros du jour, monsieur Pierre Perret ?

Je l’ai rencontré il y a plus de 30 ans alors que je faisais une émission sur la chanson française sur RFI. Mais j’avais rencontré ses chansons bien des années auparavant. J’étais un jeune ado quand est sorti Le Tord-Boyaux (1964) et j’avoue que ça a été un vrai choc. La chanson détournait tous les genres existants (ce qu’alors je ne savais pas) et surtout elle me faisait marrer par ses outrances, ses expressions et son humour noir. J’ai évidemment continuer à l’écouter et chaque nouveau disque renfermait des chansons jubilatoires avec des trouvailles qui faisaient mon bonheur et celui de mes potes.

 

 

Dans votre ouvrage, on découvre ou redécouvre avec plaisir, avec ce focus sur Pierre Perret, l’ascension d’un artiste dans les années 50-60, entre petits cabarets, émissions de radio et grandes salles de spectacle. On y retrouve des personnages hauts en couleur, les Eddie Barclay (ici fidèle à sa réputation), Lucien Morisse, Bruno Coquatrix... C’est une époque que vous regrettez de n’avoir pas vécue ?

Je suis né dans les années 50. Je l’ai connue cette période. Je n’étais pas encore en activité mais je m’intéressais au show-biz comme on disait alors. Plus tard, j’ai pu rencontrer Eddie Barclay, Jacques Canetti et beaucoup d’artistes qui me fascinaient lorsque j’étais plus jeune.

 

Vous travaillez pour la radio depuis longtemps. Ce média prend-il autant qu’il le devrait sa part dans la mise en avant des nouveaux talents ? Et d’ailleurs n’idéalise-t-on pas un peu trop ce qu’ont fait vos aînés de ce point de vue ?

Quand j’étais à la radio, je me suis appliqué à faire découvrir de nouveaux talents. Je travaillais sur France-Inter et j’avais "un grand frère", Jean-Louis Foulquier, qui recevait beaucoup de jeunes artistes. C’est grâce à lui que j’ai découvert Michel Jonasz, Jacques Higelin, Bernard Lavilliers, etc. On idéalise toujours le passé mais est-ce qu’aujourd’hui une émission prend le risque de programmer des inconnus qui n’ont pas encore intégré l’industrie du disque ou qui ne se sont pas fait remarquer par des télés-crochets ?

 

Vous revenez longuement sur les chansons d’amour de Perret, sur celles où il parle de cocus, d’épouses bafouées, de mecs lâches ou de "nanas" manipulatrices. Tous ces portraits lui ont été inspirés par les scènes du théâtre de la vie, ces personnages rencontrés depuis le temps du bar de ses parents, sa mésaventure avec sa chérie partie avec le toubib qui était censé le soigner, aussi ?

La réponse est dans votre question. Oui, il s’est inspiré de sa propre vie, de celle des autres, rencontrés dans le café familial, à l’armée ou ailleurs.

 

Pierre Perret, c’est un lettré qui s’est formé sur le tas (de ce point de vue sa rencontre avec un libraire providentiel est une histoire inspirante).  Il manie avec doigté la langue traditionnelle et a aussi une utilisation gourmande de mots d’argot. A-t-il contribué véritablement, comme auteur, à redonner à ces jargons populaires de leurs lettres de noblesse ?

Il s’est fondu dans un courant qui rassemblait des auteurs tels que Queneau, Boudard, Dard, Bruand, etc. Peu d’auteurs de chansons de sa génération s’y sont risqués.

 

 

Pierre Perret a réussi ce tour de force d’écrire des chansons à plusieurs niveaux de lecture, amusant les gamins et faisant réfléchir les adultes prêtant plus attention aux textes (typiquement je pense au Tord-boyaux déjà cité, ou aux Jolies colonies de vacances de 1966). Avec cette malice, cette gourmandise (encore) qui lui font chanter parfois des énormités (ou plutôt, des vérités qui font mal) mais avec le sourire, et cette bonne bouille à laquelle on pardonnerait tout... Sa force, c’est autant ce qu’il raconte, que comment il le raconte ?

Cette force, comme vous le dites, a évolué. À ses débuts, la forme l’emportait. Bien-sûr, sous-jacents, ses valeurs, ses convictions, ses idées filtraient mais ce qui séduisait le public c’était la forme de ses chansons, ses trouvailles langagières pour décrire ses personnages et les situations dans lesquelles il les plaçait. Au fil du temps, le fond est devenu de plus en plus lisible et son répertoire s’est enrichi de titres engagés (Au nom de Dieu, Vert de colère, Le Monsieur qui vend des canons, Voir, etc.). Et le public l’a suivi. Je pense que cette double lecture dont vous parlez lui a permis de conserver son audience quelque soit la forme employée.

 

 

J’ai fait il y a peu une interview autour de Francis Cabrel, dont le biographe, Daniel Pantchenko, suggère qu’il aurait un peu souffert de n’avoir souvent été vu que comme le chanteur romantique, et pas assez comme le citoyen lucide sur le monde. Pierre Perret a su ciseler des chansons rigolotes poilantes, mais aussi des textes d’une tendresse inouïe (là tout de suite je pense à Mon p’tit loup, de 1979). Est-ce qu’il a eu du mal parfois à imposer aussi des titres qui collaient moins à son image ?

Les programmateurs ont toujours du mal lorsqu’un artiste dévie de son image publique. Lily (1977) n’a pas décollé grâce à la radio. C’est par la scène et l’accueil que les spectateurs lui ont réservée que cette chanson est devenue un monument de notre culture populaire. Les gens qui aiment Pierre Perret, qui achètent ses disques, qui viennent à ses concerts, l’acceptent en bloc  : ils aiment autant l’affreux Jojo que Pierrot la tendresse.

 

 

Vous revenez dans le détail sur ses rapports avec Brassens, dont l’influence sur lui fut décisive : Perret l’a un peu imité au départ avant de se créer son propre univers. Les deux hommes étaient amis mais se sont éloignés ensuite, notamment du fait de l’entourage pas toujours bienveillant du poète sétois. Il y a quelque chose de dommage, dans tout ça... Le respect mutuel est toujours resté, mais l’amitié peut-être pas.  Peut-on parler d’occasions manquées, entre les deux hommes ?

Sincèrement, je ne sais pas quoi vous répondre. C’est une histoire d’amitié qui tourne mal. Comme dans toutes les histoires qui tournent mal, bien malin celui qui pourra expliquer le pourquoi du comment. Ce qui est certain c’est que les deux hommes ont construit une œuvre, chacun la sienne, personnelle, originale et en même temps toutes les deux teintées d’un regard lucide et bienveillant sur leurs semblables.

 

Vous évoquez, à un moment du récit, la maladie de Pierre Perret qui l’a contraint à subir des soins coûteux et à mettre son parcours artistique en suspens. Et la solidarité dont il a bénéficié de la part d’artistes, Brassens donc mais pas que (un grand show très joliment peuplé s’est tenu à son profit). A-t-il noué des amitiés véritables dans ce milieu, et quel regard porte-t-il sur ce monde du show biz qu’il connaît bien  ?

Un des forces de Pierre Perret, c’est d’avoir acquis une totale liberté. Il a su, au bon moment, s’extirper du show-business, créer son label et devenir son propre patron. Il est sorti des exigences de ceux qui financent les disques et les tournées. Il a refusé d’être contraint d’enregistrer annuellement un certains nombre de titres, d’écouter les conseils de directeurs du marketing qui affirment de façon péremptoire savoir "ce que veulent les gens". Il a fait un pari à la fin des années 60, en pleine gloire, et il l’a gagné. Depuis plus de 50 ans, il est son propre producteur, éditeur, manager, tourneur… Mais je ne pense pas qu’il aurait réussi ce tour de force sans Mme Perret.

 
Vous racontez très bien en effet la relation particulière qu’il entretient avec sa femme Simone, dite Rebecca. Une complice, une femme forte qui aura été son meilleur agent. Sans elle, sa carrière aurait été différente ? Le petit quelque chose de confiance en soi, de niaque en plus, et cette liberté bien organisée, tout cela est venu d’elle ?

Oui, sans elle son parcours aurait été très différent. Il serait resté une vedette de la chanson, c’est certain mais grâce à Rebecca, il a d’abord pris confiance en lui. Elle a toujours été un soutien indéfectible et une oreille sans concessions. Elle l’a dégagé de toutes les contingences emmerdantes, elle s’occupe du business et lui s’occupe de faire des chansons. Au-delà du couple uni depuis le 18 août 1962, c’est une équipe, une entité bicéphale, qui met toute son énergie, tout son talent, au service de l’artiste Pierre Perret et de son œuvre.

 

Vous le devinez en fin d’ouvrage : il y a beaucoup de textes que Perret ne pourrait sans doute  plus écrire aujourd’hui, tout comme Brassens d’ailleurs. Que vous inspire-t-elle notre époque de ce point de vue ? Il n’y a plus de ministre de l’Information pour censurer ce qui est dit sur les ondes, mais la méthode actuelle, avec la puissance des réseaux sociaux anonymes et l’omniprésence d’une bien-pensante qui combinés, peuvent crucifier un artiste, n’est-elle pas plus vicieuse encore ?

Encore une fois la réponse est dans votre question. La censure a toujours existé. Allez faire un tour au fichier central de la discothèque de Radio-France et vous trouverez encore des fiches sur lesquelles sont inscrites des mentions du genre  : "interdit", "interdit avant 22h", "m’en parler avant diffusion"… Aujourd’hui les censeurs ont changé de costumes et de canaux d’expressions mais les œuvres, les vraies, celles qui parlent au cœur, à l’intelligence, celles qui ont du style, ont toujours franchi les fourches caudines de la censure.

 

 

Ses révoltes à lui, parlons-en. Il me semble que ce qu’il combat, on peut  le résumer en deux mots : "bêtise humaine" ?

Oui, c’est ça. La bêtise, le pouvoir, la domination, les dogmes.

 

Quelle est la place de Pierre Perret dans le patrimoine culturel français ? Comment est-il perçu, entre les populaires et les élitistes ? Lily c’est vraiment son pass pour l’éternité ?

Quand on fait rire on est rarement pris au sérieux par ce qu’il est convenu d’appeler les élites. Et puis, avec le temps, les clowns, les fantaisistes, les rigolos, deviennent cultes grâce à leur longévité et surtout grâce à l’adhésion du public. Des publics. Car en plus de 60 ans de carrière, le public de Perret s’est élargi. Grands-parents, parents, enfants, petits-enfants ont tous un lien avec une ou plusieurs de ses chansons.

 

 

Elle est là sa place dans le patrimoine de notre culture. Ce n’est pas un hasard si une trentaine d’écoles portent son nom, si les écoliers de France apprennent La cage aux oiseaux (1971), si les jeunes parents du XXIe siècle transmettent Vaisselle cassée, Les jolies colonies de vacances, Ma p’tite Julia, Tonton Cristobal… à leurs petits. La vraie consécration pour un artiste est l’amour que le public lui renvoie. Et de ce côté Pierre Perret est un artiste gâté.

 

 

Perret a-t-il à vos yeux des successeurs évidents, ou au moins, prometteurs ? Vous évoquez Les Ogres de Barback, qui d’autre ?

Des successeurs je ne sais pas. Lui-même est-il le successeur de quelqu’un ? Les Ogres de Barback ont toujours chanté Pierre Perret, depuis leurs débuts avant même de travailler avec lui. Ils ont amené d’autres artistes (Olivia Ruiz, François Morel, Tryo, Didier Wampas, Mouss et Hakim, Massilia Sound System, Alexis HK, Féfé, …) mais avant eux Idir, Yves Duteil, Patrick Bruel, Renaud, Barbara l’avaient chanté.

 

 

5 chansons de lui parmi vos préférées que vous aimeriez inviter nos lecteurs à découvrir ou redécouvrir ?

Voir (1986)
Je suis le vent (1983)
Malika (2006)
Les postières (1967)
La petite kurde (1992)

 

 
 
3 qualificatifs pour décrire au mieux cet "ami Pierrot" que vous connaissez bien ?

Fidèle. Généreux. Exigeant.

 

Si vous pouviez l’avoir face à vous, là au moment de cette interview, les yeux dans les yeux, quelle question auriez-vous envie de lui poser ?

Tu as vraiment aimé mon livre ?

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite, Alain Poulanges ?

Écrire, c’est à la fois une envie et un projet.

 

Un dernier mot ?

Pierre Perret est né le 9 juillet 1934. Il a donc 88 ans. Il vient de terminer 10 nouvelles chansons qu’il est en train d’enregistrer. Il assure encore des galas de 2h et, son tour de chant terminé, va à la rencontre de son public, signe des disques, des livres, répond aux questions, accepte les selfies. Écrire, composer des chansons, les chanter en public, c’est une véritable drogue pour lui dont il ne se prive pas, d’autant que la Nature l’a doté d’une santé de fer et d’un moral d’acier !

 

A

 

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15 novembre 2022

Jean-Daniel Belfond : « Il y avait autour de Barbara, comme un fil invisible... »

Le 24 novembre 1997 disparaissait Monique Serf, plus connue sous le nom de Barbara. La chanteuse, qui n’avait pas 68 ans, laissait derrière elle des fidèles inconsolables, et une œuvre considérable qu’on ne cesse de redécouvrir, d’analyser, de reprendre. L’admiration qu’elle suscitait, elle l’inspire encore 25 ans après, et nombreux sont celles et ceux, y compris parmi les jeunes, qui l’écoutent toujours, qui la citent parmi leurs sources d’inspiration. Et qui la lisent aussi : dans ses textes celle qui aimait se parer de noir corbeau se mettait parfois à nu, elle s’y racontait beaucoup, y compris sur des aspects très intimes, douloureux de sa vie.

Ces textes - qui n’ont pas vocation à se suffire à eux-mêmes - sont à découvrir ou redécouvrir, posément, dans un ouvrage qui vient de paraître, Barbara, l’intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022) et qui rassemble aussi des documents rares ou inédits signés de la plume de Barbara, et des analyses de son œuvre. Parmi les contributeurs, l’éditeur Jean-Daniel Belfond, patron de l’Archipel et grand amateur de Barbara : il a accepté de répondre à mes questions, l’interview s’est déroulée début novembre. Je l’en remercie, et effectivement, pour qui voudrait approfondir le sujet Barbara, c’est un livre à parcourir... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Jean-Daniel Belfond : « Il y avait

autour de Barbara, comme un fil invisible... »

Barbara l'intégrale

Barbara, l’intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022).

 

Jean-Daniel Belfond bonjour, merci d’avoir accepté de m’accorder cet entretien. Quel souvenir gardez-vous de ce matin de novembre 1997, il y a 25 ans donc, où fut annoncée la disparition de Barbara ?

J’avais entendu la veille, sur France Musique, une dépêche : elle avait été admise d’urgence à l’hôpital américain de Neuilly. Là, j’ai senti qu’on allait apprendre rapidement une mauvaise nouvelle. La mort de Barbara, d’une toxi-infection, a été annoncée peu après. Par la suite, son frère Jean m’a dit qu’elle avait connu le même type d’infection, et une hospitalisation d’urgence, six mois plus tôt. Elle n’était absolument pas prudente en matière alimentaire : elle décongelait puis recongelait des plats, chose qu’il ne faut jamais faire. C’est une infection alimentaire qui l’a emportée...

 

Et quelle a été votre réaction ?

J’étais un fan depuis 25 ans. J’avais vu tous ses spectacles depuis celui de Pantin en 1981. Alors, bien sûr, une grande tristesse m’a envahi. Mais Barbara nous avait prévenus. D’abord, elle avait annoncé qu’elle arrêtait la scène, qu’elle n’en avait plus la force. Elle ne s’interdisait pas de faire un dernier disque, ce qu’elle a fait - une sorte d’adieu, mais aussi un disque un peu expédié, pas entièrement satisfaisant. J’ai su après, par son directeur musical chez Universal qu’une version bien plus belle du même album, avait été enregistrée… et perdue. Bref, on devinait qu’elle arrivait au bout de son chemin. J’ai eu pas mal de contacts avec elle... sans pour autant pouvoir prétendre l’avoir bien connue.

 

 

Justement, dans le texte que vous écrivez en introduction du recueil paru aux éditions de l’Archipel, vous évoquez vos échanges avec elle, des projets en commun, et je rappelle ici que vous avez été l’auteur en 2000 d’une biographie, Barbara l’ensorceleuse, aux éditions Christian Pirot. Comment qualifier les rapports que vous avez eus avec elle, professionnellement parlant, et avez-vous des regrets en la matière, sur des choses qui n’ont pu se faire ?

D’abord, très jeune, de retour de coopération, j’ai eu envie d’écrire un livre sur Barbara. J’avais eu l’accord de Frédéric Ferney, qui travaillait chez Sand et Tchou, mais sans l’accord de la principale intéressée ça n’a pu se faire. J’ai ensuite proposé à Fred Hidalgo, le fondateur de Paroles et Musique, le mensuel de la chanson, de réaliser le dossier Barbara avec Cécile Abdesselam. Nous avons alors recueilli le témoignage de gens qui l’avaient connue tel le photographe Jean-Pierre Leloir, ou son premier bassiste, Michel Gaudry. Le dossier a paru en janvier 1985. Nous n’avons pu la rencontrer, malgré nos demandes à son agent, Charley Marouani, qui faisait écran. A l’époque on n’avait aucune idée précise de ce qu’avait été la vie de Barbara avant la notoriété. On savait qu’elle était devenue la "chanteuse de minuit" à la fin des années 50 lorsqu’elle se produisait dans ce cabaret mythique du quai des Grands-Augustins, l’Écluse, mais sans avoir de détail sur son enfance ou ses années de jeunesse. Sur le piano de sa prof de piano Madeleine Dusséqué trônait une photo encadrée de l’immédiat après-guerre où elle était… très ample. Ca m’avait marqué  ! On savait aussi qu’elle n’aimait guère qu’on écrive sur elle. Bref, il y avait bien des zones d’ombre… En dépit des trous dans son parcours, on s’est évertué à reconstituer une chronologie. D’ailleurs, Barbara elle-même n’avait pas de mémoire ! Lorsqu’à l’instigation de Jacques Attali elle a entrepris de rassembler ses souvenirs à la fin de sa vie, elle a dû faire appel au meilleur spécialiste de son œuvre, Jean-François Fontana, et à ses proches (dont son mari Claude Sluys !) pour compléter son livre !

Ma première rencontre avec Barbara s’est produite quelques années après, fin 1988. Par le plus grand des hasards. J’étais parti sac au dos faire le tour d’Israël. Sur le principal boulevard de Tel-Aviv, je vois des affiches annonçant qu’elle se produit en concert, le 28 décembre. Bien sûr, je suis allé prendre une place et ai vu ce spectacle, magnifique. Elle était "en voix". C’était un an après son premier Châtelet. Ils louaient des jumelles à l’entrée de la salle, de sorte que j’ai vu Barbara comme si elle était à deux mètres de moi. N’oubliez pas que j’étais un fan absolu. À la fin du spectacle je suis allé la voir. Je me suis présenté à elle et lui ai expliqué avoir rédigé le dossier qui lui avait été consacré dans Paroles et Musique. Elle m’a répondu qu’elle l’avait bien aimé, et de là nous nous sommes mis à parler. Elle était très impressionnante. Elle m’a dit cette phrase, qui m’a marqué : "Vous viendrez un jour à Précy, nous dînerons devant un grand feu de bois". Il émanait d’elle un magnétisme très fort. Je n’ai ressenti cela qu’avec deux ou trois personnes dans ma vie  : elle dégageait comme une chaleur, un fluide. Elle m’a parue très grande. Cette rencontre m’a tellement impressionnée que j’en ai encore des frissons...

Il y a eu donc, par la suite, d’autres contacts et, comme je suis éditeur, tout naturellement, je lui ai dit un jour : "Barbara, il faudrait publier une intégrale papier de vos chansons". Je le raconte dans l’avant-propos du livre. Elle m’a répondu qu’elle n’était pas un poète, que les textes de ses chansons elle aimait les chanter à son public mais qu’ils ne "tenaient" pas à la lecture. Impossible d’avoir son accord.

En revanche, un jour elle m’appelle, et me dit : "Que diriez-vous de rassembler les photos de Lily Passion ?" Lily Passion, c’est son opéra-rock de 1986, qui a connu toutes sortes d’aléas, avec trois metteurs en scène successifs, et qui finalement avait été monté avec deux personnages seulement, elle et Gérard Depardieu. C’était un très beau spectacle, mais qui n’a pas rencontré son public, avec une tournée un peu catastrophique en France. Là, je l’avoue, j’ai commis une énorme erreur, je n’ai pas donné suite à sa proposition. Cela fait partie de la vie d’un éditeur, on prend de mauvaises décisions. A plusieurs reprises il m’est arrivé de dire "non" à des projets et de m’en mordre les doigts. Cela aurait été l’occasion de la rencontrer plus souvent, de la connaître mieux... Mais on s’est revu, on s’est parlé plusieurs fois au téléphone. Elle appelait le matin à 9 heures précises. Au standard de la maison d’édition elle disait toujours "C’est Barbara la chanteuse". Et, quand elle voulait quelque chose, c’était un bulldozer. On ne pouvait même imaginer la contredire.

 

Ce recueil pour lequel elle disait ne pas être poétesse, vous pensez que c’était vraiment de l’humilité, une forme de manque de confiance en soi ?

Non, elle était sincère. Elle m’a dit une autre chose qui m’a énormément surpris : "Je ne pourrai pas empêcher qu’un jour il y ait des dizaines de livres sur moi". On était au début des années 90, deux livres lui avaient été consacré. Et on savait qu’elle voulait tout contrôler  : les photos, les parutions… Comment pouvait-elle imaginer qu’il y aurait un jour une ribambelle de livres sur elle ? Une fois de plus, elle avait raison. Quand je les recense dans ma bibliothèque, j’arrive à plus de soixante-dix ouvrages de tous formats…

Bref, comment en sommes–nous venus à publier l’intégrale de ses chansons ? Par un incroyable concours de circonstances. Ce livre aurait dû paraître chez Fayard, qui avait publié ses mémoires posthumes inachevés, Il était un piano noir, en septembre 1998. Un jour, je reçois un appel de Jean Serf, le frère aîné de Barbara qui était son ayant-droit. Il m’explique qu’il ne s’est pas mis d’accord sur le taux de droits avec Fayard. Il me demande si ce projet m’intéresse. J’ai couru, j’ai bondi  :  bien sûr, nous étions d’accord ! Le livre est ainsi né et, tous les cinq ans depuis, à chaque anniversaire, il reparaît dans une version enrichie. L’ouvrage a existé en grand format à partir de 2000, puis au format poche, puis en livre illustré enrichi d’articles de presse, tout cela avec le soutien de Bernard Serf, le fils de Jean, qui accomplit un beau travail de mémoire autour de Barbara.

 

Et cette histoire d’album photo sur Lily Passion, même si Barbara n’est plus là, ça reste une idée que vous pourriez reprendre ?

Bien sûr. J’ai écrit à Gérard Depardieu, pour qu’il écrive un livre, le "Barbara de Depardieu" illustré de photos. Il ne m’a pas répondu. Je crois qu’il y a de la souffrance chez lui. Barbara a joué un grand rôle dans sa vie, il lui rend hommage en lui consacrant un superbe tour de chant tout en émotions. Il y a du non-résolu dans sa relation à Barbara. On ne sait pas tout. Il s’est opposé à ce que Universal réédite ses duos avec Barbara dans Lily Passion, ce qui est vraiment dommage, ils sont magnifiques. Je crois qu’il ne s’est pas remis de la fin de leur travail en commun. Vous savez : avoir côtoyé, avoir vécu, ri, partagé tant de choses avec un être humain si exceptionnel, on n‘en sort pas indemne. Il a même inauguré à Nantes, avec Barbara, la rue de la "Grange-au-loup"  : un nom qu’avait inventé Barbara dans sa chanson Nantes (1964), où elle évoquait la mort de son père.

 

 

Concernant Depardieu, il y a dans le livre, parmi les textes divers de Barbara qui y sont reproduits, un très beau texte dans lequel elle décrit très bien le personnage, alors oui certainement il y aurait certainement à creuser là...

Il ont vécu quelque chose d’extraordinaire, et j’en reste persuadé oui, ce Lily Passion qui a connu tellement de vicissitudes, d’aléas, Depardieu pourrait en parler très bien...

 

Barbara Depardieu 1 Barbara Depardieu 2

Extrait de Barbara - L'intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022).

 

Barbara n’a, depuis 1967, cessé de répéter à son public qu’il était sa "plus belle histoire d’amour". Quelle est "votre" histoire personnelle, comme auditeur et comme spectateur, avec elle ?

Enfant, à l’époque où mes copains étaient fans de Johnny et des Beatles, mes idoles à moi se nommaient Brassens et Anne Sylvestre, que mes parents m’avaient fait découvrir. J’ai 11 ans, en 1970. Mon meilleur ami, avec qui nous chantions Brassens à tue-tête, me fait écouter un 33 tours de sa grande sœur : Barbara, récital Bobino 1967. Dernière chanson de l’album : Les Rapaces, enregistrée le jour où l’artiste vient de la composer. Cette chanson m’a sidéré. J’ai écouté, j’ai été comme captivé par ce personnage.

 

 

Comme je suis compulsif dans ma passion pour la chanson, j’ai tout voulu écouter, tout voulu connaître. Petit à petit je suis rentré dans son univers, qui est magique... Les années 1965-1975 sont les plus marquantes de sa carrière. Sa voix est d’une pureté absolue  ; ses albums de l’époque sont d’une force envoutante. J’ignorais que j’habitais alors à cent cinquante mètres de chez elle, rue Michel-Ange…

 

 

C’était une évidence pour vous, que les éditions de l’Archipel, que vous dirigez, publient quelque chose pour les 25 ans de sa disparition...

Oui, j’ai du reste publié plusieurs livres sur elle au fil des années. La première biographie de Sophie Delassein, Barbara, une vie, dès 1998. Mais aussi les mémoires posthumes d’Hubert Ballay, qui lui avait offert son appartement de la rue de Rémusat et à qui elle aurait écrit deux cent lettres (perdues  ?). Un homme d’affaires pour qui a été écrit en 1962 Dis quand reviendras-tu ?, son premier grand succès, titre devenu celui du livre.  J’ai aussi fait paraître Vingt ans avec Barbara, les souvenirs de Roland Romanelli, qui fut son homme-orchestre et son compagnon. Et, cet automne, deux longs chapitres sont consacrés à la dame en noir dans Mes années lumière, le livre de Jacques Rouveyrollis, qu’elle appelait le "magicien des lumières".

 

Le vôtre, Barbara l’ensorceleuse, en 2000 ?

Il était paru chez Christian Pirot, fou de chansons et excellent éditeur, hélas disparu trop tôt. Un texte où je raconte comment Barbara m’a ensorcelé.

 

Que retenir de cette nouvelle édition de Barbara, l’intégrale des chansons ?

Parmi les nouveautés, une étude de son univers scénique, par Sébastien Bost. Les cent cinquante chansons que Barbara a écrites sont classées chronologiquement, présentées et replacées dans leur contexte par le directeur d’ouvrage, Joël July, qui signe en outre une étude sur l’univers poétique de Barbara. Le livre indique les variantes connues des chansons. Il inclut de nombreux textes manuscrits de Barbara. Il y a une annexe assez volumineuse avec les textes écrits par Barbara pour accompagner ses spectacles, notamment. Puis une chronologie détaillée de sa vie et de son après-vie, une discographie et une bibliographie mises à jour.

Nous avons failli avoir un scoop pour cette réédition  : un poème inédit  ! Un collectionneur avait acquis, lors d’une vente aux enchères en 2000, un lot de textes et scripts de Lily Passion annotés par Barbara. Il m’a adressé le scan de quelques pages. Parmi elles le tapuscrit d’un poème inconnu écrit pour cet opéra-rock : La Mer du Nord. Un très beau texte, avec des réminiscences de l’univers de Barbara. Par acquis de conscience, on a interrogé Luc Plamondon,  qui avait collaboré à la première version de Lily Passion. Alors que l’on bouclait le livre, Plamondon a confirmé qu’il était bien l’auteur de ce texte et… qu’il en interdisait la reproduction ! Je me suis souvenu qu’il avait souffert lors de l’accouchement difficile de Lily Passion et ne devait pas en avoir gardé un bon souvenir.

En couverture figure une très jolie photo, peu connue : elle est datée de 1967 et on voit Barbara toute jeune, à l’arrière de sa voiture, en tournée. Le fan de Barbara ne peut pas passer à côté !

 

Lire des textes de chanson est un exercice bien différent de la simple écoute d’une chanson, qu’on imagine plus distraite. Est-ce à dire que le texte se suffit à lui-même dès lors qu’il est poétique ?

Question difficile : le texte d’une chanson se suffit-il à lui-même ? Si l’on part du principe qu’une chanson est un composé de texte et de musique, on serait tenté de répondre non. Mais le premier plaisir très égoïste qu’on a avec un recueil, c’est d’entonner les chansons qu’on aime, seul ou en groupe, peut-être même en les jouant avec un instrument. Le plaisir de retrouver des refrains qu’on a en tête. Indépendamment de tout jugement sur la qualité poétique de la chanson. Quand je disais à Barbara que ses fans seraient heureux de disposer du recueil de ses textes, je n’émettais pas de jugement sur leur valeur poétique. Barbara, elle, avait un doute sur la qualité intrinsèque de ses textes, sur leur postérité. Quand on voit que Brassens ciselait ses chansons, recherchant des rimes riches à chaque vers, des enjambements d’une créativité extraordinaire... Quand on constate la puissance poétique des vers de Léo Ferré, on peut comprendre les craintes de Barbara, pour qui les textes sont le support d’une émotion davantage que le fruit d’un travail très élaboré. Elle avait peur de voir ses textes souffrir de la comparaison avec ceux de Brassens ou de Brel, qu’elle avait jadis chantés. Maintenant, ses chansons sont si chargées de moments forts, d’amour qu’on leur pardonne leurs imperfections, leur côté parfois inabouti. 

 

 

Une vraie manque de confiance en soi malgré tout... On a tous un peu de Barbara l’image sombre qu’elle s’est toujours donnée, sur la forme et souvent sur le fond. Mais quelques textes prêtent aussi à sourire, et entre des blocs d’ombre jaillissent des rayons de lumière. D’après ce que vous en percevez, comment se situait Monique Serf entre l’optimisme volontariste de Le jour se lève encore (1994), et le pessimisme sans recours de Fatigue (1996), pour ne citer que deux textes parmi ses derniers ?

Barbara a souvent été questionnée sur son côté "aigle noir", "mante religieuse". Elle avait énormément d’humour. Elle avait cette phrase : "Je ne veux pas qu’on me voie de profil, je risque de faire peur aux enfants" (rires). Elle était le contraire de ce qu’on croit  : elle était en noir, parce que c’était la couleur qui lui allait, la couleur du personnage qu’elle s’était façonné, mais elle était le contraire d’un personnage sombre. J’ai souvent parlé d’elle avec Georges Moustaki, il me disait qu’il n’avait jamais ri avec personne comme avec Barbara. Elle était gaie. Mais je pense qu’elle était aussi sujette à des moments de détresse, avec une humeur pouvant varier... Elle parle de la tentation du suicide dans ses chansons, et elle ne triche jamais dans ses écrits. Elle n’était pas quelqu’un de linéaire. C’est aussi une femme qui s’est beaucoup vouée aux autres, aux rêveuses de parloir, ces femmes qui venaient écouter les prisonniers... Elle a consacré des nuits entières aux malades du Sida, elle a chanté bénévolement en prison. Elle a donné beaucoup de son temps et, comme elle était insomniaque, elle appelait des gens la nuit. Un être généreux, désintéressé. Le contraire de l’image vénéneuse... D’ailleurs il y a un texte reproduit dans le livre où elle écrit qu’elle n’est pas une "tulipe noire". Mais ce cliché court toujours sur elle... Si on gratte un peu, ça ne tient pas.

 

 

N’avait-elle pas compris, aussi, que pour la postérité, dans l’art le noir et blanc s’abîmerait moins vite que la couleur ?

C’est une jolie formule, je pense qu’on peut la garder. Je peux la signer, et je vous l’emprunte!

 

 

Quelles sont les chansons de Barbara qui vous ont personnellement le plus touché, sur le moment ou après redécouverte ? Ces titres, connus ou mieux, moins connus, que vous aimeriez inciter nos lecteurs à écouter, et aussi à lire ?

Plusieurs titres sont poignants. Celui qui me bouleverse le plus, c’est Mon enfance (1968). Elle retourne dans ce petit village dans le Vercors où elle a passé plusieurs mois à la fin de la guerre, et qui ont été douloureux, comme tout le conflit où, petite fille juive, elle n’a cessé de fuir l’occupant. Elle en parle de façon très émouvante, la musique est magnifique... C’est un texte autobiographique, un peu comme Nantes. De manière générale, ce sont les chansons où elle parle d’elle de façon très directe, comme Rémusat (1970), évocation du deuil de sa mère, ou Drouot (1971), salle des ventes qu’elle a beaucoup fréquentée, qui sont aussi très prégnantes. Et il y a cette chanson sombre qu’on n’a décodée qu’après sa mort et qui s’appelle Au cœur de la nuit (1966). Si on l’écoute et qu’on la lit bien, c’est au cœur de la nuit que les choses se passent et que son enfance est à jamais détruite...

 

 

L’Aigle noir (1970) aussi, de ce point de vue-là ?

C’est sa chanson la plus populaire. Elle l’avait ajoutée en dernière minute à l’album paru en mai 1970. Cette chanson est devenu son plus grand succès malgré elle tant elle a tourné en radio au cours de l’été suivant. Il y eu énormément d’interprétations psychanalytiques de la chanson. Peut-être veut-on lui faire dire trop de choses. Comme pour le tableau d’un peintre où celui-ci découvre qu’il a représenté des concepts qu’il n’avait pas imaginés. L’Aigle noir, on lui a trouvé tant de sens cachés ! Je ne sais si tout cela a lieu d’être, mais encore une fois, pour décoder le viol il faut surtout écouter Au cœur de la nuit.

 

 

Quand on songe à Barbara, à son public, il y a comme une forme de communion qui reste forte. Vous l’évoquiez, est-ce que ça tient à l’espèce d’intimité née, collectivement et individuellement, entre elle et chacun de ses auditeurs, à sa manière à elle de se mettre à nu ? Barbara écrit : "Voilà tu la connais l’histoire..." dans la touchante Nantes...

L’émotion vous prenait, au spectacle, dès qu’on arrivait au théâtre. Quelque chose de très prégnant, une atmosphère très particulière qui faisait battre le cœur avant même que le rideau ne se lève. Comme si tous les gens présents appartenaient à une sorte de communauté, liés par un fil invisible, une expression qu’elle utilise dans la chanson Vienne (1972). Un groupe d’êtres humains reliés à elle, à ses notes, à sa respiration. Certains fanatiques la suivaient en tournée, certains se couchaient sur son paillasson rue Rémusat comme elle le raconte dans Les Rapaces. Sa façon de chanter, l’intensité de ses phrases, de ses histoires étaient telles que les gens se sentaient concernés de façon très intime par ce qu’elle racontait. Après sa disparition j’ai retrouvé cette atmosphère si particulière, lorsque Marie-Paule Belle a donné un spectacle hommage où elle a fort bien chanté Barbara. On ne retrouvait pas cela chez d’autres artistes : Brassens, en spectacle, créait une atmosphère de complicité, Ferré un élan vital d’adhésion à ses mots, Anne Sylvestre un plaisir intense, une adhésion à la beauté de ses textes, de ses musiques et à sa générosité.

 

 

Quel regard portez-vous sur la carrière de Barbara, sur son parcours de vie aussi ?

Son parcours de vie est très intéressant. Quand on regarde de près la vie de Barbara, ça commence par beaucoup de souffrance, vingt premières années assez terribles... Elle grandit sans père, suit des cours de piano, de chant lyrique, puis se rend compte que sa voix n’est pas de celles qui conviennent pour mener carrière à l’opéra... Elle a crevé de faim en Belgique pour essayer de monter un cabaret, elle a été à deux doigts de se prostituer pour pouvoir manger... Elle s’est faite seule, malgré le père absent, malgré la misère. Un parcours assez extraordinaire, avec aussi elle a la capacité de subjuguer les hommes. Elle ne dit pas qu’elle écrit des chansons, elle ne les signe pas tout de suite, une sorte de pudeur. À partir de la fin des années 1950, elle se rend compte que la scène de l’Écluse est trop étroite pour elle, qu’elle a en elle une force incroyable, elle invente des jeux scéniques dès qu’elle ose quitter son piano. À partir de 1963, de sa première scène en solo au Théâtre des Capucines, elle passe dans une autre dimension...

 

En quoi est-elle une source d’inspiration pour vous, et en quoi peut-elle inspirer ceux qui prêtent attention à son œuvre ?

Par sa générosité, Barbara nous montre l’exemple de quelqu’un qui a beaucoup fait, sur bien des sujets, par exemple pour prendre conscience qu’il fallait mettre des préservatifs, se protéger contre les MST, avoir un regard généreux sur les gens qui sont fragiles, sur les infirmières, les prisonniers aussi... Elle le dit elle-même, elle a voulu rendre aux gens tout ce qu’ils lui avaient donné. Elle disait que ce qui la motivait le plus, c’était le plaisir du spectacle. Je pense qu’elle sentait la ferveur du public, qu’elle comprenait à quel point les gens comptaient sur elle et ça l’a émue, elle a voulu rendre tout ce qu’elle avait reçu d’amour de son public, un amour plus intense que celui qu’elle a pu recevoir d’un homme...

 

Il y a des artistes qui vous font penser à elle en 2022, retrouveriez-vous en eux ce qui vous a fait aimer Barbara ?

Oui, il y a une jeune artiste qui a un talent fou, une voix très différente de Barbara et une grande sensibilité, c’est Pomme. Je retrouve beaucoup de choses en elle, elle a aussi un vécu très original. C’est une fille qu’on sent mal dans sa peau, dans l’ambivalence... Elle a une voix vulnérable, et elle dégage beaucoup de choses. Parmi les artistes d’aujourd’hui j’aime aussi Barbara Pravi qui a une belle voix et la merveilleuse Clarika, qui excelle aussi bien sur scène qu’en disque. Ces femmes ont un talent barbaresque, mais il ne faut pas essayer de copier. Que chacun suive sa route... Certes, je n’ai jamais ressenti une telle intensité entre un artiste et son public qu’avec Barbara. J’imagine que les fans Mylène Farmer vivent ce phénomène de communion, qui relie beaucoup d’artistes, notamment anglo-saxons, à leur public...

 

 

Une forme de religion quelque part...

Oui, une forme de religion. Mais chacun trouve ce qu’il cherche. Mon déclic en matière de chanson c’est vraiment la musique. C’est d’abord elle qui me fait aller vers un artiste. Si je n’ai pas le plaisir du son, c’est fini, je suis hors course. Si, par contre, la musique me plaît, je peux accepter une certaine imperfection, une facilité dans les textes.

 

Si, par un improbable prodige, vous pouviez vous retrouver face à Barbara, lui poser les yeux dans les yeux une question, quelle serait-elle  ?

Comme je l’ai dit, Barbara était quelqu’un d’impressionnant. Pourtant, je ne suis peu impressionnable. Elle dégageait quelque chose de magnétique... J’aurais aimé l’interroger sur les histoires cachées derrière ses chansons, tout en sachant qu’elle aurait refusé de répondre. J’ai essayé de convaincre Anne Sylvestre de raconter les histoires qui étaient en filigrane cachées dans ses textes, mais j’ai vu très vite qu’il y avait beaucoup de souffrance là-dedans. Elle aussi a connu des drames dans sa vie ; elle n’a pas voulu les revivre.

 

Trois qualificatifs, pour décrire au mieux Monique Serf alias Barbara, telle que vous croyez l’avoir comprise par ses attitudes, par ses textes et parce qu’il y avait entre les lignes ?

La passion de convaincre : elle était dotée d’une force extraordinaire de ce point de vue. La passion de transmettre. Et une vraie bienveillance envers autrui.

 

 

Quel bilan tirez-vous de l’année écoulée, en tant cette fois qu’éditeur, pour l’Archipel ? Le marché du livre se porte-t-il plutôt plus ou moins bien qu’avant la crise Covid ?

Disons qu’on a été un peu leurrés par l’année 2021, qui a été celle  de la fin du Covid. Les gens, ayant été frustrés de livres, se sont précipités en librairie. Le marché a connu une année anormalement faste, et la plupart des éditeurs ont vu leur chiffres d’affaires faire un bond. On a pu croire qu’il était facile de vendre des livres... 2022 nous a cruellement ramenés à la réalité, on est revenu à un marché plus difficile, avec trois phénomènes qui se sont additionnés : la guerre en Ukraine, avec cette peur du nucléaire en Europe qui a noué pas mal de ventres ; l’année politique avec les incertitudes qu’elle a générées ; dernièrement l’inflation disparue depuis quarante ans à ce niveau qui revient et impacte le budget culture des ménages.

 

Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ?

Je fais un métier qui me permet de rencontrer des gens passionnants, de tous horizons. On ne s’ennuie jamais, on est toujours dans la curiosité, dans la découverte. Une grande partie du plaisir de l’éditeur, c’est de travailler les textes avec les auteurs. Le plaisir de découvrir une plume de talent, c’est quelque chose dont on ne se lasse pas. J’aime féliciter les auteurs qui nous enchantent par leur talent de plume. C’est l’aventure de faire des livres, des livres qui vous intéressent, vous passionnent parfois. Dans le domaine de la chanson, j’ai publié deux témoignages cet automne. Les souvenirs de Françoise Canetti, la fille de Jacques Canetti. Elle raconte le parcours de cet extraordinaire découvreur de talents que fut son père. Ensuite, les mémoires du plus grand éclairagiste de la scène, Jacques Rouveyrollis : il a connu tant d’artistes depuis un demi-siècle et les raconte avec beaucoup d’humour. Je signale aussi un livre très différent signé Philippe Di Folco, qui recense les impostures littéraires. On se rend compte qu’il y a ceux qui écrivent, ceux qui s’inspirent et ceux… qui trichent !

 

Jean-Daniel Belfond

 

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15 novembre 2022

Frédéric Quinonero : « L'éclectisme de Patrick Bruel est admirable... »

 

Qui oserait prétendre qu’il ne connaît pas cet homme ? Depuis une trentaine d’années, Patrick Bruel est partout. Cette vidéo d’une de ses plus belles chansons, Qui a le droit ?, nous vient de ce temps où passer à côté était même impossible : autour de 1991, la "Bruelmania", une espèce de folie collective - même si elle a surtout touché les jeunes filles de l’époque. Bruel aurait pu rester enfermé dans cette image-là, mais force est de constater, qu’on l’aime ou qu’il agace, qu’il a su se renouveler, et faire prendre à sa carrière - devrais-je dire "ses" ? - des chemins inattendus. Bruel le chanteur est toujours là, idem pour l’acteur, rôle qu’il joue depuis plus longtemps encore. Frédéric Quinonero, fidèle de Paroles d’Actu, biographe empathique et rigoureux, vient de lui consacrer chez l’Archipel un nouvel ouvrage, un abécédaire inspiré et richement illustré : Patrick Bruel, au fil des mots. À feuilleter forcément, si vous aimez Bruel. Merci à Frédéric Quinonero pour cette interview. Exclu. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero : « L’éclectisme

de Patrick Bruel est admirable... »

Bruel au fil des mots

Patrick Bruel, au fil des mots (L’Archipel, octobre 2022).

 

Frédéric Quinonero bonjour. Pourquoi ce nouveau livre sur Patrick Bruel, et pourquoi avoir choisi ce format de l’abécédaire ? Cet exercice-là t’a plu ?

J’avais pris beaucoup de plaisir à écrire la biographie de Patrick Bruel, Des refrains à notre histoire, parue en 2019 chez le même éditeur. C’est un livre qui a rencontré le succès et m’a permis de beaucoup échanger avec les admiratrices du chanteur. Ce lien sympathique méritait d’être entretenu. L’abécédaire, proposé par mon éditeur, a permis de prolonger cette complicité. L’exercice, plus ludique, moins rigoureux et contraignant que la biographie pure, m’a beaucoup plu. De la même façon que le lecteur a le loisir de musarder d’une lettre à l’autre, au gré de son humeur, j’ai éprouvé un égal plaisir à vagabonder, à écrire sans être tenu de respecter un ordre chronologique, sans avoir à dérouler le fil d’un récit.

 

 

"Des refrains à notre histoire", justement. Raconte-nous "ton" histoire avec Patrick Bruel ? Tu l’as aimé assez tôt, ou plutôt après la "Bruelmania" ?

En réalité, je n’aurais jamais pensé écrire sur Patrick Bruel. Je suis passé totalement à côté de la "Bruelmania". Comme tout le monde, je connaissais quelques tubes et je l’avais apprécié dans certains films… Lorsque la proposition est venue de mon éditeur, j’ai accepté de relever le défi mais il m’a fallu tout écouter, tout visionner, tout découvrir. Et ce fut un vrai plaisir. En fait, la partie la plus intéressante du travail de biographe c’est celle-là  : partir à la découverte de son sujet. Aujourd’hui, je suis aussi incollable sur Bruel que ses ferventes admiratrices ! (Rires)

 

Bruel comme Johnny ont connu le même drame : l’abandon par le père. Dans le cas de Bruel, une mère forte a su prendre le relais, adoucir son enfance et ouvrir ses horizons, tandis que la mère de Johnny a, elle, été défaillante. Tu connais bien les deux artistes : quel regard portes-tu sur la manière dont l’un et l’autre a affronté ces blessures originelles ?

La mère de Johnny a été défaillante, par la force des choses. Mais Johnny a longtemps pensé qu’elle l’avait à son tour abandonné. Ce double abandon, du père et de la mère, a été le tourment de sa vie, sa blessure profonde. Longtemps, comme Bruel, il s’est cherché un père de substitution, mais surtout une mère. On peut plus facilement se passer d’un père que de l’amour d’une mère, surtout quand on est un garçon. C’est la scène qui a sauvé Johnny  : il n’existait vraiment que face au public, dans son habit de chanteur. Il était paumé, partout ailleurs. Bruel a bénéficié de l’amour exclusif de sa mère, une mère qui l’a protégé de tout ce qui aurait pu faire entrave à son équilibre. Des hommes ont occupé la place vacante tout au long de sa vie, tenant rôles de confidents, inspirateurs, maîtres à penser, puis il a su faire la paix avec son géniteur, au moment où lui-même allait devenir père.

 

 

On n’est pas dans son intimité, mais quand on te lit, on a l’impression d’un Bruel ayant le culte de l’amitié, et un état d’esprit très famille aussi, très clan. Est-ce qu’il s’est un peu cherché des modèles de substitution, je pense par exemple à un Guy Carcassonne, ou dans un autre genre à un Alexandre Arcady ? Dans le monde de la chanson, aussi ?

Oui, Bruel a su préserver sa vie privée, lui accordant une place privilégiée. On le sait fidèle, à Arcady par exemple. Les deux hommes ont démarré ensemble, l’un comme cinéaste, l’autre comme acteur. Ils ont tourné cinq films ensemble. Arcady est le parrain d’un des deux fils de Bruel. Il vouait à Guy Carcassonne un attachement quasi filial. Son décès l’a beaucoup ébranlé. Dans le monde de la chanson, les amitiés sont plus difficiles, mais Bruel a toujours entretenu une étroite connivence avec ses collègues des Enfoirés et n’a jamais manqué le rendez-vous annuel. Bruel avait beaucoup d’affection et d’admiration pour Johnny. Il est aussi très attaché à Jean-Jacques Goldman ou Renaud.

 

 

Qui l’a influencé de manière décisive quant à son univers musical ? Barbara bien sûr, Aznavour aussi, et Sardou pour le magnétisme scénique ?

Sa mère a assuré son éveil artistique, elle l’emmenait au théâtre, à l’opéra et lui faisait découvrir les chanteurs qu’elle aimait, comme Barbara, qu’il a longtemps suivie par la suite et à qui il a rendu hommage dans un album, Jacques Brel, qui l’a pas mal inspiré, et Serge Reggiani. À l’adolescence, il s’est passionné pour le rock anglais, les Rolling Stones en particulier. Et c’est en assistant par hasard à un concert de Michel Sardou à l’Olympia, en 1976, qu’il a trouvé sa vocation. Son éclectisme est admirable.

 

 

On va dans le vif du sujet, dans la chaleur du succès. Comment Patrick Bruel a-t-il vécu la folie (parce qu’il faut bien appeler un chat un chat) "Bruelmania" ? À ton avis, il a galéré pour s’extirper de l’image d’idole qui lui a collé à la peau  ? Et penses-tu que, par ses choix artistiques, il a su conquérir véritablement de nouveaux publics (les anciens avec l’album Entre deux par exemple) ?
 
Une célébrité à un tel paroxysme a quelque chose d’inquiétant. Bruel s’en accommode, à l’époque – on ne se plaint pas d’avoir du succès quand on l’attend depuis longtemps, même si ce succès dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer –, mais il a conscience du danger, des effets pervers de ce genre de "phénomène". Le succès, oui, mais Bruel voulait s’inscrire dans la durée, ne pas être un chanteur à minettes. Il visait plus loin, plus haut. Alors, il a délaissé quelque temps son habit de chanteur pour se consacrer à la comédie, se faire une place au cinéma, avant de revenir avec un album de chansons plus matures, à la fois intimes et poétiques, qui trouvaient leur place au rayon "grande variété". Son auditoire s’est peu à peu élargi. Il a ensuite rallié les anciens, en effet, avec le double album Entre deux, qui a obtenu un énorme succès. Puis il a su s’entourer de jeunes partenaires pour toujours rester dans l’air du temps. Explorer de nouveaux univers, tout en restant Bruel.

 

Bruel a l’air de réussir tout ce qu’il entreprend : la musique bien sûr, le ciné aussi, le théâtre, la production artistique (il a importé quelques tubes de l’été) et production d’huile (!), le poker, et il parle en expert de politique ou de foot... Ça agace non ? Est-ce qu’une forme d’omniprésence a pu lui nuire ?

La jalousie est un mal français. On n’aime pas ceux qui réussissent. Et, évidemment, quand on réussit tout ce qu’on entreprend, comme c’est le cas de Patrick Bruel, on peut imaginer que cela suscite de l’agacement. Pourtant, il a plutôt une bonne cote de sympathie. Les professionnels de la profession l’ont longtemps boudé, lui refusant certains prix pourtant mérités, mais les salles de concert sont combles. Partout en France, et dans quelques autres pays. Depuis la mort de Johnny, il est le chanteur qui attire le plus grand nombre de spectateurs.

 

Michel Sardou a choisi il y a quelques années de quitter la scène musicale pour revenir à ses premières amours : le théâtre (entre le moment de l’interview et sa mise en ligne il a annoncé son retour, ndlr). Pour toi, Bruel est-il fondamentalement, plutôt un chanteur, ou un acteur, à supposer que l’un et l’autre soient si différents que ça d’ailleurs...  ?

Bruel est un artiste qui a réussi dans les deux domaines. Il est même le seul à avoir mené les deux carrières de front. Ses aînés, Montand et Reggiani, ont longtemps délaissé l’une des deux disciplines pour se consacrer pleinement à l’autre. Bruel a tout assuré en même temps  : chanson, cinéma, théâtre. La "Bruelmania" a été un tel phénomène qu’on a tendance à le voir plutôt comme un chanteur, mais reconnaissons lui une filmographie plutôt riche – une quarantaine de films, dont quelques gros succès.

 

 

Quelles chansons te touchent le plus, dans son répertoire ?

J’ai une nette préférence pour ses chansons tendres, celles où sa voix est tout en douceur et en sobriété. Je n’aime pas trop quand il fait des prouesses vocales. Ainsi, j’écoute avec plaisir Juste avant, Ce soir on sort, J’te mentirais, Raconte-moi, Les Larmes de leurs pères, Élie, Mon repère… Sa reprise de Madame, de Barbara, me plaît beaucoup aussi. Parmi les plus connues, j’aime beaucoup Qui a le droit et Place des grands hommes, qui sont parmi ses chansons celles qui resteront.

 

Si tu devais nous recommander un film avec Bruel, à voir absolument ?

Un seul c’est difficile. Un secret, peut-être. Mais j’ai un souvenir assez marquant de La Maison assassinée.

 

 

 
Quelle question lui poserais-tu si tu l’avais face à toi, les yeux dans les yeux ?

Qu’est-ce qui fait courir Patrick ? (pour paraphraser son ami Chouraqui).

 

3 qualificatifs qui iraient bien à Bruel tel que tu crois l’avoir compris ?

Sincère. Battant. Sympathique.

 

Nous commémorerons bientôt les cinq ans de la disparition de Johnny Hallyday, que tu aimes, et sur lequel tu as tant écrit. Ce moment de décembre 2017, comme beaucoup, tu l’as redouté. Comment as-tu vécu tout ça, et ça t’a fait quoi, ces cinq ans sans Johnny ?

Je sais qu’il est mort, sans l’avoir complètement assimilé. Je continue à l’écouter et à le regarder comme quelqu’un de bien vivant, parfois j’ai un sursaut de lucidité et je me répète : "Il est mort, Johnny est mort", plusieurs fois pour m’en convaincre. Ce sentiment est étrange. Pour commémorer les cinq ans de sa disparition, j’ai le sentiment d’avoir été écarté de l’événement, car depuis mon Johnny immortel, on m’a plus ou moins signifié que j’avais tout dit (le livre fait 900 pages). Or, Johnny est mon sujet de prédilection. Il disait de moi que j’étais juste et bienveillant. Je voudrais pouvoir encore perpétuer sa mémoire, j’ai plein d’idées… Et je connais mon sujet. On ne peut pas dire que ce soit le cas de tous ceux qui, depuis sa mort, y vont de leur livre… Mon livre sur les femmes et leur influence dans le parcours et la vie de Johnny, je l’ai publié chez un autre éditeur et je regrette qu’il soit si peu connu, car c’était un travail d’enquête passionnant… Je pense que je vais consacrer du temps à un autre projet autour de Johnny, quitte à l’autopublier si aucun éditeur n’est intéressé. Je vais m’occuper un peu de moi à partir de l’année prochaine (sourire).

 

JH Immortel 2022

 

Ton ouvrage sur Jacques Dutronc vient de connaître une version poche, une première pour ce qui te concerne. Je rappelle que Françoise Hardy, à laquelle tu avais également consacré une bio, y a participé par les témoignages qu’elle t’a offerts, et que le livre a été préfacé par leur fils Thomas. Comment qualifierais-tu tes liens avec ces trois-là ? Quelque chose de particulier, de plus affectif qu’avec les autres ?
 
C’est une de mes plus belles expériences biographiques ! J’avais d’abord écrit le livre sur Françoise Hardy (Un long chant d’amour) sans elle. On m’avait donné une adresse email qui n’était plus valide, puis j’avais envoyé une longue lettre à son éditeur littéraire qui, a priori, ne lui a pas été remise. Elle m’a dit plus tard, lorsque je lui en ai fait parvenir copie : "Vous pensez bien que si j’avais reçu une lettre comme celle-ci, j’y aurais répondu !" Et on peut la croire sur parole, car tout le monde connaît sa franchise décapante… Puis, un jour, dans ma voiture, j’ai entendu une chanson, La rose et l’armure d’Antoine Élie, qui m’a fait immédiatement penser à elle. Comme je ne cessais de l’écouter et de penser à Françoise, je lui ai envoyé un email pour le lui dire – entre-temps je m’étais procuré la bonne adresse. Elle était estomaquée que je puisse écouter en boucle la même chanson qu’elle, et surtout que j’aie pu le pressentir. Elle a parlé plus tard de cet engouement pour la chanson d’Antoine Élie, notamment dans son dernier livre, mais à l’époque je n’en savais rien. Notre dialogue par mail a commencé là. Régulièrement je lui envoie des petits mots auxquels systématiquement elle donne suite. Je me sens privilégié, mais pour elle cela semble tout à fait naturel. Et quand j’ai travaillé sur le livre consacré à Jacques, elle a accepté bien volontiers de répondre à mes questions. Je lui en ai envoyé 25, en lui demandant de choisir celles qu’elles jugeraient le plus pertinentes. Elle a répondu – longuement – à toutes. L’écriture de ce livre a été un grand bonheur, couronné par la préface drôle et émouvante de Thomas. Je crois pouvoir dire que mon texte, qu’il a lu dans sa maison de Corse lors du second confinement, lui a fait un bien fou en cette période morose. Replonger dans le passé de son père, retrouver ses grands-parents disparus et mesurer peut-être l’urgence de profiter de ceux qu’on aime tant qu’il est encore temps. Et j’ose penser que ce livre a été à l’origine de la tournée Dutronc & Dutronc. Thomas est une belle personne, un être simple, gentil, généreux. Il ne se comporte pas comme les autres stars de la chanson. Françoise non plus, d’ailleurs. Il a de qui tenir… Je n’ai jamais pu rencontrer Jacques, c’est mon regret. Mais je ne force pas les choses. En tout cas, je les aime beaucoup tous les trois. C’est vrai qu’ils ont une place à part dans mon cœur de biographe, avec Johnny.

 

F

 

Sheila fête actuellement ses 60 ans de carrière. Tu as pas mal écrit sur elle, dont une bio, et je sais que tu l’as beaucoup aimée, mais j’ai l’impression que quelque chose est un peu cassé je me trompe ? Quel regard portes-tu sur ces six décennies, et sur l’artiste qu’elle est ?
 
On aurait pu penser que c’est avec elle, plutôt qu’avec Françoise, que j’entretiendrais un échange épistolaire, voire même une collaboration artistique. Elle a été ma fée Clochette, l’idole de mon enfance. Elle a été, avant Johnny, la première sur qui j’ai écrit. Je lui avais remis un premier manuscrit en 1998, dans sa loge de l’Olympia. Elle n’a jamais donné suite. Je lui ai envoyé en 2002 une seconde mouture, en lui proposant de participer au projet. Toujours rien. J’ai laissé tomber pour m’occuper de rassembler toutes mes notes concernant Johnny et en faire une éphéméride, ce qui a été mon premier livre publié. Le deuxième a été consacré à Sheila, en 2007 (Biographie d’une idole). Puis il y en a eu deux autres : Sheila, star française, en 2012 (que je revendique comme étant le plus réussi), puis Une histoire d’amour en 2018. Je passerai sur les menaces de procès… Jamais il n’y a eu un mot, un geste, une main tendue. D’autres collègues biographes ont eu cette chance que je n’ai pas eue d’être approchés par leur idole d’enfance et d’avoir concrétisé ce lien si particulier qui unit un chanteur à l’un de ses admirateurs. Sylvie Vartan, par exemple, valide, cosigne et promotionne les livres qu’écrivent ses fans les plus proches (elle ne l’a pas fait pour moi, malheureusement, mais elle a eu des mots dithyrambiques sur mon travail dans la presse). Peut-être n’avais-je pas choisi le bon camp lorsque j’étais enfant… Pour les 60 ans de carrière de Sheila, j’ai passé la main. Si la sienne m’avait été tendue, je l’aurais saisie…

 

On connaît peu les retours que reçoivent les auteurs, et notamment les biographes, de la part des publics qui les lisent. Quelles remarques précises t’ont le plus touché ?

Oh, il y en a beaucoup ! Les plus beaux retours sont souvent ceux-là… On me dit que je suis bienveillant, c’est le terme (également employé par Johnny) qui revient le plus souvent. Bienveillant, sans être forcément cireur de pompes. On trouve mon style fluide et précis, agréable à lire. Et puis, je ne résiste pas à te faire part d’une remarque de Thomas lorsqu’il lisait la biographie de son père et me faisait ses commentaires par mail au fil de sa lecture  :  "Vous semblez très bien percevoir les vérités que l’on cherche à exprimer avec nos mots dans des interviews pas toujours inspirantes et vous les restituez avec toute la finesse dont on rêverait qu’elle soit la norme." Est-il besoin de dire à quel point cela m’a touché…

 

Tes projets, surtout tes envies pour la suite ? Ton projet de roman avance-t-il ?

Je l’ai dit plus haut, m’occuper de moi. Quitte à tenter l’autoédition… Mon roman est fini, envoyé à quelques éditeurs. Personne ne répond.

 

Un dernier mot ?

Merci (pour l’intérêt que tu portes fidèlement à mon travail) !

 

Frédéric Quinonero 2021

 

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9 novembre 2022

Dobbs : « Vivre de la BD est difficile : mieux vaut se diversifier... »

Qui connaît encore, en France, le nom d’Alexeï Leonov ? Pas grand monde, sans doute. Cet homme, disparu en 2019, comptait pourtant parmi les pionniers historiques de la conquête spatiale, un peu comme un Youri Gagarine, ou un Neil Armstrong. Il fut, en mars 1965, le premier humain à avoir réalisé une sortie extravéhiculaire dans l’espace - c’était la mission Voshkod 2, et ce fut un motif de fierté pour l’URSS, en pleine Guerre froide. Le scénariste Dobbs et le dessinateur italien Antonello Becciu (avec Josie de Rosa à la couleur) ont décidé de consacrer à Leonov une bio graphique pour la collection Biopic de Passés/Composés, le résultat, de belle facture, est inspiré et inspirant. Inspirant parce qu’il nous donne à revivre cette aventure, non pas tant du côté des bureaucraties gigantesques qui comparaient la taille de leurs fusées (ce match se rejoue aujourd’hui entre mastodontes privés, le duel Musk/Bezos en est le meilleur exemple), mais parce qu’on suit le parcours d’un gamin qui, petit, rêvait aux étoiles et qui, adulte, a pu les tutoyer. Un ouvrage à lire, et je remercie Dobbs pour les réponses qu’il m’a apportées. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Dobbs : « Vivre de la BD

est difficile : mieux vaut se diversifier... »

Leonov

Leonov (Passés/Composés Biopic, novembre 2022).

 

Dobbs bonjour. Comment est né le projet Leonov, et comment vous êtes-vous retrouvé dans cet équipage ?

Stéphane Dubreil, avec qui j’avais déjà travaillé, m’a parlé de sa collection «  Biopic  » pour Passés/Composés et de plusieurs pistes de scénarios. Je connaissais pour ma part certains éléments de la course à l’espace entre URSS et USA, et l’orientation vers la biographie aventureuse de Leonov est devenue une évidence pour lui et moi comme futur projet.

 

Vous connaissiez le dessinateur, Antonello Becciu, avant ce travail en commun ? Comment les choses se sont-elles organisées, et de ce point de vue la barrière de la langue n’a-t-elle pas été un obstacle pour exprimer, l’un et l’autre, ce que vous souhaitiez ?

Je le connais depuis pas mal d’années, nous avions même débuté un projet de road movie trash ensemble. J’aime son style et nous avons œuvré avant Leonov à une BD sur la Seconde Guerre mondiale qui devrait sortir en 2023 chez Glénat. En fait, je travaille depuis de nombreuses années avec des artistes et amis italiens, nous parlons anglais la plupart du temps sur les réseaux sociaux ou par échanges de mails. Cela fait partie de notre quotidien d’œuvrer avec des dessinateurs/trices, coloristes étrangers.

 

Avez-vous rencontré des difficultés particulières pour composer ce récit, et si oui lesquelles ?

Les recherches prennent un temps considérable sur ce genre de BD, et il faut trouver un certain axe pour la narration. Pour Leonov, le plus difficile a été de gérer ce temps et de trouver les astuces pour que le récit ne soit pas trop linéaire pour les lecteurs.

 

Les torches

 

Ce que vous mettez bien en avant dans votre histoire, au-delà de ce combat de titans, c’est l’esprit de pionniers, et le rêve de celui qui, admirant les étoiles gamin, se retrouve à force de travail à les tutoyer comme jeune adulte. De ce point de vue votre BD est inspirante. Ce rêve-là, vous l’avez eu un peu vous aussi ?

Merci beaucoup pour ce retour de lecture. Je n’ai jamais eu l’âme d’un pionnier ou d’un aventurier, si ce n’est dans mon imaginaire. J’ai été inspiré par plusieurs rencontres qui m’ont amené à faire ce que je fais actuellement, et il est vrai que raconter et imaginer des histoires et des personnages a toujours fait partie de ce que je suis profondément. Était-ce un rêve  de gosse ? Je ne sais pas. J’ai toujours pensé que mon imaginaire demeurerait ainsi et m’accompagnerait toute ma vie, c’était ça l’essentiel pour moi.

 

Alexeï Leonov, premier homme à avoir effectué une sortie extravéhiculaire dans l’espace donc, est mort en 2019, son nom, bien que fameux, ne l’est pas autant que celui d’un Gagarine, ou d’un Armstrong. Si vous aviez pu le rencontrer, quelle question lui auriez-vous posée ?

«  Que pensiez-vous réellement devant ce parterre de bureaucrates du comité politique en débriefing de la mission  ?  »

 

Parmi les nombreuses BD que vous avez écrites, pas mal de biographies, de récits historiques aussi. Le "non-fiction" suppose-t-il une discipline particulière, et n’a-t-il pas un petit côté frustrant, en ce qu’il laisse moins libre cours à l’imagination de l’auteur ?

Toute forme d’écriture scénaristique demande de la discipline. Les récits biographiques et historiques n’empêchent en rien le rajout de fictionnel et la part d’imaginaire. Il y a juste un curseur à mettre sur le degré de véracité et de réalisme de la narration.

Ce n’est pas frustrant, il faut simplement le prendre comme un exercice mental qui demande parfois de tordre des éléments pour s’affranchir de carcans divers. Il y a de la fiction dans cette façon de faire. Je vois juste des différences entre créations et commandes…

 

De qui rêveriez-vous de retranscrire la vie en BD ?

Malcolm X par exemple, ou Diane Arbus (une fameuse photographe de rue américaine, ndlr).

 

Vous écrivez de la BD depuis une vingtaine d’années. Parmi toutes vos créations, quelles sont celles pour lesquelles vous avez une tendresse particulière, et que vous aimeriez inviter nos lecteurs à découvrir ?

Question très difficile… car cela signifierait qu’il existe une sorte de préférence personnelle. Je botte en touche sur la BD (comme ça je ne mets aucun camarade dessinateur à dos sur mes collaborations, héhé). L’œuvre pour laquelle je ressens le plus de fierté est le livre Méchants que j’ai écrit pour l’éditeur Hachette. C’est une analyse de l’usage des vilains dans la pop culture et de leur évolution, avec des articles de fond, des illustrations inédites etc… une version ludique et fun de ce qu’aurait dû/pu être ma thèse en socio-anthropologie.

 

Méchants

 

Comment décririez-vous votre univers, sur la base de qui vous inspire, et de ce que vous avez produit jusque-là ?

Aimant les différents genres de récits, je dirai que je n’ai pas qu’univers mais plusieurs, en lien les uns avec les autres. Ce qui fait sens chez moi, ce sont des personnages fun et forts, des émotions à faire partager aux lecteurs, des découpages cinématographiques et des thématiques comme la part sombre de l’histoire, ou encore des mécanismes tels que l’ironie dramatique par exemple.

 

Vos conseils pour quelqu’un, un jeune ou un moins jeune d’ailleurs  qui, après vous avoir lu, rêverait de faire lui aussi de la BD, son métier ?

Vivre à 100% de la BD est très difficile, la plupart des auteurs (dessinateurs, scénaristes, coloristes…) ont souvent plusieurs cordes à leur arc et travaillent dans un autre domaine en parallèle (ou sur plusieurs projets). Il faut donc non seulement affiner sa/ses technique(s), apprendre au quotidien, constituer son réseau et diversifier son métier. C’est un métier technique et créatif de longue haleine, fait parfois de sacrifices, mais surtout de rencontres, d’attentes et de marathons.

Il y a des festivals où l’on peut rencontrer des auteurs et même des éditeurs afin de présenter son portfolio, des écoles pour affiner ses techniques et des associations pour prendre des cours de modèles vivants, de colorisation, de types de BD, etc… Mais soyons clair, à l’heure actuelle, peut-être est-il plus sûr de ne pas tout miser sur la BD et de se préparer à faire à côté de l’illustration en jeu vidéo, en livres jeunesse, du storyboard en pub ou même en institutionnel, car l’important est surtout de dessiner et d’en vivre. Pour le scénario, c’est encore différent, car il n’y a pas d’école véritable préparant à la scénarisation en BD  : là aussi, les scénaristes font souvent leurs armes dans d’autres médias et apprécient les cours de storytelling qui sont assez universels, et les cursus anglophones qui sont rodés à ce genre d’apprentissage.

 

Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ?

Encore du western (avec Nicola Genzianella), du genre avec du récit de guerre en album et en collection (Glénat et Passés/composés), de la piraterie fantastique et du space opera… Et en même temps un peu de développement en animation. C’est assez chargé mais surtout étalé sur x années, c’est aussi ça la difficulté d’auteur de BD, le planning qui peut s’étirer assez loin hors de notre sphère de contrôle.

 

Un dernier mot ?

Kamoulox

 

Dobbs

 

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