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Paroles d'Actu
10 février 2023

« Catherine de Médicis, une femme au pouvoir ? », par Didier Le Fur

Il y a deux mois était publiée sur Paroles d’Actu une retranscription de la longue interview que j’ai réalisée avec l’historien Didier Le Fur, qui a dirigé l’ouvrage collectif Les guerres d’Italieun conflit européen (Passés/Composés, septembre 2022). Il avait fallu faire des choix pour que l’article reste lisible : beaucoup de sujets avaient été abordés au cours de ces 2h30 d’entretien téléphonique. D’un commun accord, nous avons écarté de l’article final quelques questions relatives au traitement actuel de l’histoire, à son utilisation politique aussi. Également une question que j’avais voulu consacrer à un personnage intervenant après ces guerres d’Italie, une femme forte comptant certainement parmi les acteurs les plus fascinants de notre histoire : Catherine de Médicis, si elle fut épouse de roi et mère de trois souverains, s’est bel et bien fait, pour la postérité, un nom par elle-même. J’ai contacté M. Le Fur il y a quelques jours, il a accepté que je reproduise ici cet extrait de notre échange, je l’en remercie. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Catherine de Médicis

Catherine de Médicis et ses enfants, en 1561. Atelier de François Clouet, collection privée.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Catherine de Médicis,

une femme au pouvoir ? »

INTERVIEW AVEC DIDIER LE FUR, 18 OCTOBRE 2022, EXTRAIT

À l’heure où l’on défend à juste titre une meilleure intégration des femmes dans les sphères d’influence, question un peu poil à gratter : Catherine de Médicis n’a-t-elle pas compté parmi nos souverains les plus énergiques et résolus ?

(Il hésite) Là, on sollicite un peu notre regard d’aujourd’hui. Or, je pense que le travail de l’historien consiste à tenter de regarder comme les gens de l’époque concernée. Non pas de reconstruire, mais d’essayer de recomposer quelque chose. Catherine de Médicis n’aurait jamais eu cette gloire si Henri II avait vécu dix ans de plus - il est mort très jeune, à 40 ans. Elle n’aurait pas eu cette gloire non plus si elle avait eu des enfants plus tôt et qu’ils avaient été plus grands quand ils sont venus à régner. Elle n’a eu cette existence finalement que parce qu’elle a été mère de trois rois (François II, Charles IX et Henri III, ndlr), et c’est un point important. La question est ensuite de savoir comment on va gérer un État, pratiquement au jour le jour, avec des oppositions parce qu’il y a des rois enfants, dont toujours critiquables, avec forcément des gouvernants qui sont des favoris comme les Guise, ou des princes du sang comme les Navarre, Condé, et d’autres qui veulent le pouvoir. Ce n’est pas simplement une lutte entre catholiques et protestants, c’est aussi une lutte entre sang légitime et favoris.

Si l’on a choisi les Guise en 1559 sous François II, c’est aussi par leur statut de favoris, et leur dépendance au pouvoir du roi : cela permettait de les installer dans une certaine fragilité. Les princes du sang, qui se disaient toujours les "conseillers nés" du roi, étaient exclus. C’est dans cette faille des favoris qu’ils ont pu critiquer, et tenter de casser leur puissance. Ces favoris étaient eux-mêmes dans cette fragilité-là, puisqu’ils étaient dans l’idée que finalement, ils pouvaient être rapidement déposés de leurs pouvoirs. Un prince du sang, c’est compliqué de le déposer de son pouvoir puisqu’il est, de par le sang, choisi par Dieu... Catherine de Médicis n’est qu’une mère. Elle doit jouer avec tout cela pour conserver sa place, son autorité, et peut-être aussi, tout bêtement, pour conserver à ses enfants, dans le cadre de la tradition, le pouvoir que son mari avait exercé. Elle a été une femme puissante, c’est une évidence. Mais finalement, à maintes reprises, elle aurait pu aller au couvent ou s’occuper de ses affaires. Il se trouve que, de par le fait qu’il y eu des rois jeunes, qui donc se sont mariés tard, il y a toujours eu besoin d’un intermédiaire entre le roi et les autres. Ce rôle-là, de représentant puissant de la monarchie face aux oppositions, elle l’a joué jusqu’à son dernier jour. Comprenez : s’il y avait eu un roi puissant de 45 ans, une reine, avec un dauphin de 25 ans comme habituellement, elle n’aurait pas existé comme elle l’a fait. Il y avait un vide à combler, tout cela, pour la première fois, dans une opposition réelle et manifeste au pouvoir royal, celle d’un parti sous Charles IX, de deux partis sous Henri III. Songez à un président de la République se retrouvant, au milieu, avec la gauche et la droite en embuscade, c’était un peu ça. Henri III faisait face au parti des Guise, et à celui des Navarre.

Catherine jouait cet intermédiaire honorable, parce qu’au regard des égos des princes du sang, il fallait faire intervenir quelqu’un de puissant, or le roi ne pouvait scabaisser à aller voir l’un ou l’autre. Elle a trouvé son utilité en tout cas... Elle a quand même duré trente ans, ce qui est excessivement rare.  Elle n’a pas eu autant qu’on le dit le contrôle effectif de tout le pouvoir. Et ces capacités diplomatiques ou de gouvernement, pour ce qu’elles valaient, elles les a apprises sur le terrain.  Mais quand on regarde bien, il y a eu pas mal de maladresses aussi. Notamment avec son dernier fils : je n’ai jamais compris pourquoi, alors qu’elle a donné la charge de lieutenant-général du royaume au futur Henri III alors qu’il avait 16 ans, elle n’a pas donné cette même charge à son quatrième fils le duc d’Alençon quand le duc d’Anjou, futur Henri III donc, est devenu roi de Pologne. Alençon est parti furieux, et il a ramené tous les malcontents, ceux qui avaient été écartés des charges, et ils ont constitué un autre parti... Et ce fut là une grosse bêtise de la part de la reine-mère, et il y en a eu d’autres. Mais on oublie, parce qu’on n’a étudié que sa vie, pas celle de Charles IX, pas celle de François II. On oublie un peu tous ces aspects ratés, tout comme l’importance d’autres personnages, comme Antoine de Navarre, François de Guise, ou même de Louis Ier de Condé : il n’y a pas un livre sur ce dernier. Les Guise, on les travaille en prenant trois générations ensemble. C’est ce qui me désole un peu avec ces guerres de religions : on les étudie parfois sans travailler réellement sur les acteurs qui les ont faites.

 

Catherine de Médicis a comblé un vide, et vous en tant qu’historien vous pourriez combler des vides historiographiques donc, pour le coup...

Oui, mais c’est énorme travail. On se rend compte qu’elle est plus faible, et moins importante qu’on ne croit. Charles IX a finalement une aura plus grande, mais on n’a travaillé finalement que sur Michel de l’Hospital (chancelier du royaume ayant eu pour mission de tenter une pacification civile, ndlr), et sur elle, dans cette idée d’une tolérance. Mais la tolérance à cette époque, c’est la tolérance maladive, comme si je disais que je suis tolérant aux asperges et intolérant aux épinards. Les tolérants ce sont des saints, ceux qui résistent à la douleur et à la souffrance. Être «  tolérant  » à cette époque, c’est souffrir l’existence de l’autre, on n’est pas du tout dans la conception de tolérance qu’on aura au XVIIIè, moins encore à notre époque...

 

Didier Le Fur

Didier Le Fur a dirigé l’ouvrage collectif Les guerres d’Italie,

un conflit européen (Passés/Composés, septembre 2022).

 

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