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Paroles d'Actu
10 avril 2023

Baptiste Vignol : « Véronique Sanson et Lynda Lemay sont deux véritables poètes... »

Mon invité du jour, Baptiste Vignol, a signé depuis une vingtaine d’années un grand nombre de travaux consacrés, en particulier, à la chanson française et francophone, qu’il aime depuis son enfance, et à celles et ceux qui la font et qui la portent. J’ai souhaité l’interroger plus précisément sur deux de ses "personnages" récents, deux femmes, grandes interprètes et créatrices (paroles & musiques), qui comptent toutes deux parmi mes artistes préférés à moi aussi : Véronique Sanson, à laquelle il a consacré l’an dernier Tout Véronique Sanson (Gründ), et Lynda Lemay, qui a largement contribué au livre Lynda Lemay - Il était une fois mes chansons (Gründ également, 2021). Deux ouvrages somptueusement illustrés et richement détaillés sur chaque chanson, chaque album, et sur la "drôle" de vie de l’une et de l’autre. Mais le côté bio vient ici en complément, l’œuvre d’abord, et ça c’est bien.

 Le premier coup de cœur de votre serviteur avec Lynda Lemay.

Si vous aimez Lynda Lemay, si vous aimez Véronique Sanson, vous apprécierez forcément les livres qu’il a consacrés à l’une et à l’autre. Je remercie Baptiste Vignol pour l’interview, une sorte de portrait croisé de deux vraies "poètes", comme il dit. Je veux saluer au passage, pour ce qui me concerne, trois personnes croisées pour de précédents articles : Violaine Sanson-Tricard, qui a écrit la préface de l’ouvrage sur sa sœur, et les gardiens du temple Sanson, Laurent Calut et Yann Morvan. Et dire à Véronique, à Lynda : je me tiens dispo pour une interview, où et quand vous voulez ! ;-) Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU / Q. 01/23 ; R. 04/23

Baptiste Vignol : « Véronique Sanson et Lynda

Lemay sont deux véritables poètes... »

Sanson Lemay

Vancouver interprété par V. Sanson et L. Lemay,

un soir sur France 2... (capture YouTube Granule27)

 

Baptiste Vignol bonjour. Quand on se penche sur votre parcours, on constate rapidement à quel point la chanson française tient une place importante dans votre carrière de journaliste et biographe, et dans votre vie tout court. Qu’est-ce qui a déclenché tout ça, et quels ont été en la matière, vos premières émotions, vos premiers coups de foudre musicaux et artistiques ?

J’avais des parents qui aimaient la chanson et qui en écoutaient beaucoup. J’ai donc grandi dans cet univers avec, comme têtes de gondole, Jacques Brel, Guy Béart, Georges Brassens, Anne Sylvestre, Malicorne, Juliette Gréco, Yves Montand, Mouloudji, Angelo Branduardi... Le premier concert que j’ai vu était un tour de chant, comme on ne dit plus, des Frères Jacques. Je devais avoir 5 ou 6 ans et j’avais été fasciné. Tellement que je voulais devenir, moi aussi, un Frère Jacques. Mon père m’avait emmené les revoir quelques années plus tard à Lyon, lors de leur tournée d’adieu. La mort de Claude François m’avait beaucoup marqué. Elle me l’a fait découvrir. J’étais gamin et j’étais fasciné par ce chanteur si blond, qui dansait si bien, avec ses Clodettes. Enfin, je me souviens de la mort de Jacques Brel. J’avais sept ans. J’étais assis à l’arrière de la voiture, avec mes sœurs. Mon père était au volant. La radio a annoncé la nouvelle. J’entends encore le « Merde ! » de mon père. Et puis j’ai découvert Renaud grâce au 33 tours qu’avait acheté ma mère, celui avec la DS qui brûle… Je n’ai jamais cessé de le suivre. Vinrent ensuite Cabrel, Daho, pendant l’adolescence. À 17 ans enfin, je suis allé voir Charles Trenet au théâtre du Chatelet. Le plus beau concert de ma vie. La poésie, le génie à l’état pur.

 

Renaud 33T

 

Lors de cet entretien, nous nous pencherons plus précisément sur deux personnages, deux grands artistes au féminin : vous avez consacré, chez Gründ dans les deux cas, un ouvrage à Lynda Lemay (2021), un autre à Véronique Sanson (2022). Un principe commun : on regarde l’œuvre, on étudie les chansons avant tout, la vie de l’artiste étant abordée comme toile de fond à la création et non l’inverse. Pourquoi ce parti pris ?

Parce qu’il ne s’agit pas de biographies mais de livres sur la discographie d’autrices-compositrices-interprètes, c’est à dire de femmes qui écrivent, composent et chantent. Qui s’« engagent » donc, se livrent, se dévoilent. La vie privée des artistes ne m’intéresse que si elle nourrit leurs chansons. C’est souvent le cas, bien sûr.

 

Livre Lynda Lemay

Lynda Lemay - Il était une fois mes chansons (Gründ, octobre 2021) 

 

Lynda Lemay est très présente dans le livre que vous lui consacrez, à tel point qu’il ressemble réellement à un livre écrit à deux, et c’est jouissif : elle se confie longuement et avec beaucoup de franchise sur sa carrière et sur chacune de ses chansons. On l’apprend dans votre livre, tout cela est né d’une promesse datant de pas mal de temps : "un jour, on fera un livre ensemble". Alors, comment est-ce que ça s’est fait, de la première idée jusqu’au travail en commun ? Vous vous êtes vus souvent j’imagine, vous avez écouté pas mal de ses chansons ensemble, grand privilège quand on y songe…

Cette promesse dont vous parlez, qui fait l’objet d’une légende d’une photographie où l’on me voit lui parler à l’oreille sur un plateau de télévision, est plus une blague qu’autre chose. Sur le moment, j’avais sûrement d’autres choses à lui dire. Par la suite, bien des années plus tard, alors que j’avais déjà écrit quelques ouvrages sur la chanson, j’ai revu Lynda à l’Olympia. Nous avons alors vaguement évoqué ce projet. Qui s’est concrétisé deux ou trois ans plus tard quand avec l’éditeur Luc-Édouard Gonot nous lui avons formellement proposé, appuyés par Gérard Davoust - l’éditeur de Lynda -, de l’inclure dans la collection « Musique », chez Gründ. L’écriture du livre a commencé en même temps que le monde se fermait avec le Covid. Nous nous sommes donc écrit tous les jours. Je lui posais une question, ou deux, ou trois, auxquelles elle répondait invariablement avec sa finesse et sa générosité.

 

 

L’ouvrage sur Véronique Sanson, très riche également, et comme le Lemay magnifiquement illustré, est différent : chacune de ses chansons est également évoquée, mais plutôt sur la base d’interviews qu’elle a données, ou de vos commentaires personnels. J’imagine que ça a été plus compliqué de l’intégrer sur la durée à un tel projet ? Sur quelle documentation, sur quels témoignages vous êtes-vous appuyé pour ce livre ?

Pour ce livre, j’ai essentiellement recueilli les témoignages de Véronique Sanson en visionnant sur le site de l’INA toutes les interviews qu’elle a pu donner depuis 1972. Mais je me suis également plongé dans le blog Harmonies que lui a consacré Laurent Calut, blog qu’il enrichit encore, avec une précision d’horloger. On y trouve des centaines d’articles de presse. Laurent connaît tout de Véronique, et il possède en outre sa confiance. Il y a quelques années, il avait co-écrit avec Yann Morvan le livre Les Années américaines (chroniqué sur Paroles d’Actu à l’époque, ndlr).

 

Tout Véronique Sanson

Tout Véronique Sanson (Gründ, octobre 2022)

 

Peut-on dire, pour schématiser, et forcément caricaturer un peu, que l’une (Sanson) est plutôt une musicienne qui met le texte au service d’une musique, un peu à l’anglo-saxonne, tandis que l’autre (Lemay) est plutôt une auteure qui songe à la musique pour accompagner un texte, dans une tradition peut-être plus française ? Attention, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit ;-) Sanson a écrit des textes magnifiques, j’invite simplement le lecteur à écouter Mortelles pensées ou Je me suis tellement manquée, et Lemay a composé de très belles mélodies…

Vous avez tout dit. L’une et l’autre écrivent et composent merveilleusement, mais elles n’œuvrent pas dans le même sens.

 

Mortelles pensées, la plus intime, la plus belle de Sanson ?

 

Que vous inspirent la vie de l’une et de l’autre ? Pour Sanson, après les années d’apprentissage, après la gémellité amoureuse et artistique avec Berger, ce furent les années américaines, Sex, Drugs & Rock’n’roll, et pas que, avec Stephen Stills. L’aventure, jusqu’à se faire mal. Lynda Lemay a l’air plus sage, plus apaisée dans son cocon, moins en quête d’aventure justement, mais pas moins curieuse…

À cette question, je répondrai qu’on ne connaît jamais les artistes réellement, que leurs chansons leur ressemblent quand elles ou ils ont du talent, bien sûr, mais qu’il ne faut jamais les prendre, ces chansons, comme le pur témoignage de leur quotidien. La création va plus loin, l’inspiration est mystérieuse. Toutes deux naissent d’un mot, d’une idée, d’une phrase musicale. Cela n’a donc rien à voir avec l’image que l’on peut donner de soi, ce que vous appelez « l’air de », l’air d’être tourmentée, ou sereine, par exemple...

 

Quelles sont les grandes influences musicales de l’une et de l’autre ? On sait que chez Véronique Sanson, on écoutait beaucoup de classique, et aussi de la world music, quand elle était gosse. Chez les Lemay, c’était plutôt de la chanson francophone. Peut-on malgré tout établir, à cet égard, des points communs, des passerelles entre les deux ?

Par-delà leurs différences, ou plutôt leurs singularités, il y a chez ces deux artistes le même amour des mots, du mot juste, de l’image qui foudroie. Elles sont toutes les deux de véritables poètes. Leurs textes, leurs « paroles » comme on disait autrefois, peuvent se lire à voix haute et tiennent debout sans musique.

 

Un trait commun, évident même si j’enfonce là une porte ouverte : l’importance de la famille, pour l’une et l’autre. Avec, dans un cas comme dans l’autre, une sœur qui est une confidente, un repère, un ange-gardien : Diane pour Lynda, et bien sûr Violaine pour Véronique, Violaine qui d’ailleurs signe un texte touchant sur sa sœur... Sans elles, les parcours d’artiste et de femme auraient été différents, forcément ?

Il m’est impossible de répondre à cette question. La seule chose dont je sois certain, c’est que l’une comme l’autre est rassurée par la présence de cette sœur. Elles peuvent dès lors entièrement se consacrer à leur art.

 

Dans ses chansons, Sanson se raconte avec beaucoup de pudeur, mais sans cacher grand chose à son public, à tel point que tout ou presque parmi son répertoire sonne comme un morceau d’autobiographie. Lynda Lemay, elle, raconte surtout les autres, observatrice inspirée de ses contemporains et très bonne comédienne quand il s’agit de se mettre dans la peau d’un(e) autre. Peut-on dire que sur ce point, elles s’inscrivent dans des traditions d’artiste qui ne sont pas tout à fait les mêmes ?

Il y a beaucoup de Lynda dans des chansons qui, à première vue, paraissent être loin d’elle, parce que Lynda a le don de pouvoir se glisser dans la peau de ses personnages et de vivre les situations qu’elle invente ou décrit, comme elle le ferait si elle avait à les vivre concrètement.

 

 

Chez Sanson, souvent, les textes sont très imagés, on ressent des émotions, une atmosphère plus qu’on ne comprend au mot près ce qu’elle dit. Lynda Lemay, elle, a le texte beaucoup plus "précis", à la Aznavour. "Précis", un mot qu’elle emploie d’ailleurs dans le commentaire d’une de ses chansons. Là encore, c’est une école, un exercice bien distincts ?

C’est une façon de voir la vie, de s’exprimer, de se livrer, voire de se dévoiler. La chanson est comme la peinture, elle compte plusieurs courants, plusieurs « écoles ». Véronique et Lynda ne ressemblent à personne. Chacune a son style, qui n’appartient qu’à elle. On ne peut pas dire, ni de l’une ni de l’autre, qu’elles sont les héritières d’untel ou d’unetelle. Bien entendu, elles ont chacune des idoles, mais elles n’ont jamais fait dans l’imitation.

 

 

À l’heure où féminisme rime trop souvent avec "guerre aux hommes", peut-on dire de ces deux-là qu’elles sont des femmes qui portent des combats féministes et qui, pour autant, aiment les hommes et l’assument ?

Je crois que c’est effectivement le cas. Lynda et Véronique aiment les hommes et sont fières d’être femmes. Amoureuse (Véronique Sanson), Jamais fidèle (Lynda Lemay), Besoin de personne (V.S.), Les souliers verts (LL) sont des chansons parmi tant d’autres qui, dès leurs débuts, montrent à quel point ces deux chanteuses se sont toujours présentées comme des femmes qui chantent.

 

Véronique Sanson, Lynda Lemay, deux belles ambassadrices de la chanson, et au-delà, de la francophonie : on les écoute et on les aime en France, au Québec bien sûr, et dans tout cet espace linguistique. Mais ni l’une ni l’autre n’a su, pu, voulu peut-être, percer hors francophonie, comment l’expliquez-vous ?

C’est tout simple, elles aiment trop la langue française, et leurs pays, leurs cultures, francophones, pour tenter une autre aventure.

 

 

Quelles sont les chansons dans lesquelles à votre avis l’une comme l’autre met le plus d’elle-même ?

Il y a dans chacun des répertoires des dizaines de chansons dans lesquelles chacune s’est complètement, irrémédiablement investie. Il faut bien comprendre qu’elles n’enregistrent pas des chansons de remplissage. Si une chanson figure sur un disque, c’est parce que cela leur a semblé essentiel qu’elle s’y trouve. Lynda a coutume de dire que Le plus fort c’est mon père est celle qui lui ressemble le plus. Mais il y a tant d’elle dans Dans mon jeune temps ! Dans La visite. Et tant d’autres… L’œuvre de Véronique regorge de trésors méconnus. Ecoutez Tout va bien sur son album sorti en 1985. Une valse d’une minute quarantes secondes où elle dit, donne tout.

 

 

Celles qu’à titre perso vous préférez d’elles et que vous aimeriez recommander à nos lecteurs ?

Là encore, il est impossible de faire un choix définitif… Leurs répertoires sont si riches, féconds. Tout va bien, justement, m’a ébloui quand je l’ai réécoutée avant hier. La houle de sa voix... Chez Lynda, il ne se passe pas un mois sans que je ne regarde sur YouTube De tes rêves à mes rêves à l’Olympia. Mais j’ai adoré sur son dernier album La mangue, que j’ai du écouter cinquante fois.

 

B

 

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