Je dois bien l’avouer : né en 1985, et n’ayant pas vraiment été bercé par ses "Fabulettes" durant mon enfance, jusqu’à il y a peu, le nom d’Anne Sylvestre, s’il me parlait vaguement, n’évoquait pas grand chose pour moi. Oh, je savais qu’elle était une grande dame de la chanson, parce que tous ceux qui l’évoquent le disent, mais de là à citer trois, deux, ou même un de ses titres... Et il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de lire Anne Sylvestre - Elle enchante encore ! (Fayard, 2023), écrit par le journaliste et écrivain Daniel Pantchenko, grand connaisseur de la chanson française et habitué de Paroles d’Actu. Ce livre, une réédition augmentée d’un ouvrage paru en 2012, a largement bénéficié de la participation bienveillante de l’artiste, malheureusement disparue en 2020 à l’âge de 86 ans.

On y découvre une femme touchante mais au caractère bien trempé, avec ses combats, ses tourments et ses passions ; on y rencontre surtout une artiste dont on se demande pourquoi, au vu de la qualité de son œuvre, aujourd’hui comme hier on ne l’entend pas davantage. "Elle enchante encore", oui, ceux qui la connaissent déjà, mais elle mérite certainement d’être reprise, et d’enchanter de plus jeunes générations, pour peu que celles-ci aient l’occasion d’au moins l’entendre... Merci à Daniel Pantchenko pour l’interview réalisée début mai, et pour son ouvrage, qui je l’espère contribuera à donner au public lenvie de rendre à Anne Sylvestre sa place éminente parmi les grands de la chanson, de la seule manière qui vaille : l’écouter, encore et encoreExclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Daniel Pantchenko: « Anne Sylvestre

était une femme libre... qui avait

du caractère ! »

Anne Sylvestre Elle enchante encore

Anne Sylvestre - Elle enchante encore ! (Fayard, 2023).

 

Daniel Pantchenko bonjour. La réédition avec mise à jour de la biographie que vous aviez consacrée à Anne Sylvestre (1934-2020), avec la participation active de l’artiste, vient de paraître chez Fayard. Je sais que vous aviez eu du mal à la convaincre, il avait presque fallu la harceler pour qu’elle cède, et je crois qu’elle n’avait pas regretté ensuite. Comment se sont passés vos échanges, vos séances de travail avec elle ?

Anne Sylvestre avait dit et répété qu’elle ne voulait pas de biographie de son vivant. Donc, cela a été un peu indécis au début, mais comme j’avais mené à terme une biographie de Jean Ferrat (qui n’en voulait pas non plus, et qui est mort d’ailleurs avant sa parution), j’ai procédé de manière analogue, c’est à dire avec une sérieuse recherche de documents. Jusqu’au jour où Anne m’a téléphoné  : «  Daniel, je vois que tu ne me lâcheras pas  !  » Pour la bio, je l’ai alors rencontrée une première fois dans un bar où elle avait ses habitudes, puis à huit autres reprises chez elle, soit une bonne douzaine d’heures entre février et juillet 2012, le livre étant paru en octobre. Nos échanges se sont super bien passés. La seule discussion un peu délicate a été à propos de l’histoire de son père (qui a été collaborateur) et je me souviens qu’à un moment, elle m’a dit  : «  Mais, c’est mon père  !  » Je lui ai répondu «  Mais c’est mon livre  !  » et on s’est mis assez vite d’accord pour respecter un équilibre entre son histoire personnelle et l’Histoire tout court.

 

A

Anne Sylvestre et Daniel Pantchenko au Salon du Livre

de Paris, en mars 2013. Photo : Claudie Pantchenko.

 

Que savez-vous de l’appréciation qui fut la sienne à propos de votre travail ? Je pense notamment à tous ces témoignages de personnes gravitant autour d’elle que vous avez recueillis (je pense à celui très touchant d’Anne Goscinny par exemple)...

Anne n’était pas très expansive à ce sujet, mais c’était à mon sens une forme de pudeur, et j’ai toujours préféré le fond à la forme. Quand des personnes proches se sont étonnées qu’elle ait accepté cette biographie, elle leur a répondu  : «  Je sais qu’il ne me trahira pas  !  » Alors j’ai écrit dans l’introduction  : «  Bref, j’ai la Légion d’honneur.  » À la sortie du livre, Anne m’a dit  : «  Quand même, tu l’as écrit vite  !  » Comme je l’ai indiqué ci-dessus, avant d’avoir son accord, j’avais déjà pas mal travaillé. Le 22 mars 2013, lors du Salon du Livre de Paris, Anne est venue dédicacer à mes côtés et il s’est produit une chose assez savoureuse. Au stand Fayard, deux personnalités TV du moment devaient également dédicacer (l’animateur Karl Zéro et le journaliste économiste François Lenglet) et une dizaine de photographes les attendaient. Raté ! Les deux vedettes ne sont pas venues et les photographes ont commencé à mitrailler Anne, qui leur a lancé en me montrant  : «  Non ! C’est lui qui a écrit le livre  !  » L’année suivante, elle m’a téléphoné un jour, juste pour me dire : «  C’est dur d’écrire un livre  !  » À la demande de son ami Philippe Delerm, elle avait accepté de s’y mettre à son tour et ça a donné le savoureux Coquelicot et autres mots que j’aime (aux éditions Points)… Ce coup de fil, c’était sa manière à elle de saluer mon travail, qu’elle se plaisait à résumer ainsi  : «  Les gens sauront qu’il n’y a pas eu que des cabarets et des Fabulettes dans ma vie. Tout est là  ! C’est fait  !  »

 

Ça a été quoi votre histoire avec Anne Sylvestre ? Pourquoi elle parmi tant d’autres, pourquoi est-ce que tout particulièrement son œuvre vous a touché, parlé ?

Je l’indique dès l’introduction du livre, j’ai vraiment découvert Anne Sylvestre au Printemps de Bourges 1978. Elle m’a fait beaucoup rire et pleurer, en compagnie des quatre mille filles et garçons enthousiastes sous le chapiteau  : après Ferrat, c’était sans doute l’artiste de la chanson qui me touchait le plus, par la qualité de ses textes (ainsi que de ses mélodies, ce que l’on ne souligne pas assez souvent !) et par son implication sociale. À preuve, si je l’ai beaucoup croisée en concerts c’était surtout ceux de jeunes artistes, en particulier de jeunes chanteuses (et d’abord Michèle Bernard que j’ai tout de suite adorée). Donc, dès 1978, j’ai écrit différents articles sur elle dans L’Humanité et L’Humanité Dimanche, puis au fil des publications auxquelles j’ai collaboré, jusqu’au trimestriel Chorus disparu à l’automne 2009. Le succès de ma bio de Jean Ferrat en 2010 (plus grosse vente Fayard de la semaine – 15 000 exemplaires – à sa sortie en septembre 2010) m’a permis de proposer Anne pour mon livre suivant, ce qui n’aurait peut-être pas été possible auparavant.

 

 

"Nul ne guérit de son enfance", disait Jean Ferrat justement. Celle d’Anne Sylvestre fut compliquée, il y a eu les difficultés de la guerre, le fait aussi d’avoir eu, vous l’évoquiez, un père qui n’a pas choisi le bon camp - il a fait de la prison pour cela. La mort surtout, violente, de ce grand-frère lui aussi embrigadé, frère qui la protégeait quand elle était gamine. Elle a mis beaucoup de temps avant d’assumer cela publiquement. Elle a longtemps souffert de cette culpabilité par procuration  ?

Bien sûr qu’il y a eu cette culpabilité. Comment y échapper dans les années 1960 où elle sort ses premiers disques et obtient un succès certain avec ses «  Fabulettes  » (Hérisson, Veux-tu monter dans mon bâteau  ?, Mouchelette…) De plus, en 1968 (année très politique, historique) elle a quitté les disques Philips pour signer chez Meys où enregistre notamment Jean Ferrat. À l’époque, nombre de ses copines et copains artistes sont comme on dit «  bien à gauche  » et elle a confié son «  secret  » à ses plus proches, en se demandant toujours s’ils continueraient à l’aimer… Alors quand sa sœur cadette de huit ans, Marie Chaix, lui a dit qu’elle préparait un livre sur l’histoire de leur père, elle a été terrorisée (selon ses propres mots) et elle lui a demandé de ne pas dire qu’elle était sa sœur. Cela tombe d’autant plus mal pour elle que le livre en question (Les Lauriers du lac de Constance) sort en 1974, année où Anne devient sa propre productrice et sort son premier 30 cm comme telle, avec notamment Non tu n’as pas de nom (titre-phare sur le droit à l’avortement, le droit du choix) et Un mur pour pleurer, aussi sublime qu’autobiographique. L’année suivante, le deuxième album (tout aussi magnifique à mes yeux) s’ouvrira sur Une sorcière comme les autres, véritable «  manifeste  » (le mot est d’elle) de plus de sept minutes sur le sort ordinaire des femmes dans l’Histoire y compris récente, avec dès le premier couplet des allusions familiales sensibles  :

Quand vous jouiez à la guerre
Moi je gardais la maison
J’ai usé de mes prières
Les barreaux de vos prisons
Quand vous mouriez sous les bombes
Je vous cherchais en hurlant
Me voilà comme une tombe
Et tout le malheur dedans

En 2007, Anne Sylvestre enregistrera l’album "Bye mélanco", titre de la chanson d’ouverture qui constituera une espèce de synthèse de sa vie, alors apaisée, mais n’oubliant pas «  Une enfance à refaire […] En s’excusant de tout / La honte jusqu’au bout  »…

 

 

En quoi est-ce que ses débuts dans la musique et dans la chanson la distinguent - ou au contraire la rapprochent - de ses pairs illustres, ceux dont on la rapproche habituellement, les Brassens, Brel, Ferré, Ferrat, Béart, Barbara ?

L’histoire de ses débuts est décisive. Si, dès la petite enfance, elle a beaucoup entendu du Trenet que son père adorait, elle n’était pas encore passionnée par la chanson. Elle y est venue beaucoup plus tard et le premier microsillon qu’on lui offrira contient Le Gorille de Brassens (paru en 1956). En fait, après avoir participé naturellement à des chorales, elle a mis longtemps à réaliser que des artistes écrivaient leurs chansons. C’est grâce à la découverte d’une fille de son âge qui s’accompagnait à la guitare, qu’elle a compris qu’elle pouvait le faire également. Il s’agissait de Nicole Louvier, sans doute la première du genre en 1953 (elle a 20 ans), dont le 25 cm a obtenu un joli succès avec notamment Qui me délivrera  ? et Mon petit copain perdu. Et c’est lors de vacances en Bretagne avec des copines et des copains, qu’Anne Sylvestre se risque à montrer ses toutes premières chansons. Encouragée, elle va faire ses vrais débuts au fameux cabaret La Colombe, à l’automne 1957, en même temps que Jean Ferrat et Pierre Perret. Elle a 23 ans.

Pour répondre plus directement à votre question, Anne a forcément des points communs avec des artistes qu’elle a croisé.e.s dans ces cabarets, mais ce sont fondamentalement d’autres éléments qui la rapprochent ou la distinguent. Bien sûr, elle ne peut pas être insensible aux louanges d’un Brassens qui dès 1961 dit (dans une émission de Denise Glaser): «  À mon sens, parmi les jeunes, les nouveaux venus dans la chanson, c’est celle qui se distingue par les qualités les plus éminentes…  » En photo avec lui, elle devient dans la presse «  sa filleule de la chanson  ». Et comme en bonne logique, il confirmera l’année suivante son sentiment sur la pochette du deuxième 25 cm d’Anne («  On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose, et quelque chose d’important.  »), elle deviendra par la suite «  la Brassens en jupons  ». C’est juste la feignasserie et l’incompétence ordinaires des grands médias. En réalité, Anne se sentira toujours beaucoup plus proche d’un Jacques Brel, de ses envies de liberté, de folie, d’imprudence. Ce sera l’inverse à l’égard du très «  engagé  » Jean Ferrat  : alors qu’elle cache/protège son histoire paternelle et qu’elle a signé en 1968 chez son producteur Gérard Meys, elle enregistre Chanson dégagée. Quant à son point commun essentiel avec Barbara, c’est la secrétaire de celle-ci, Marie Chaix, sœur cadette d’Anne…

 

 

Anne Sylvestre a été très tôt auteure-compositrice-interprète, et même productrice pour son propre compte. Trop de casquettes à la fois ?

Je ne pense pas. Pour jouer avec les mots, je dirais qu’elle n’a jamais eu la grosse tête. En revanche, elle avait un sacré caractère et a elle-même qualifié de portrait «  complètement autobiographique  » sa savoureuse chanson Elle f’sait la gueule de 1998. Un joli moment d’humour. Et elle reconnaissait que dans certaines émissions de télé elle avait tendance à rester sur la défensive et à réagir au quart de tour  : «  C’est comme ça  ! Je ne supporte pas qu’on dise des conneries.  » Tant pis si leurs responsables se nommaient Jacques Chancel ou Françoise Giroud… Elle voulait bien faire certains efforts, mais pas se plier au jeu ordinaire des médias… qui se sont mis vraiment à s’intéresser à elle quand elle a sorti son premier livre en 2014, Coquelicot et autres mots que j’aime, dont j’ai déjà parlé. Heureusement, il y a eu la presse écrite ainsi que des José Artur et autre Claude Villers de France Inter.

 

 

Quelques uns des titres d’Anne Sylvestre la positionnent volontiers dans la mouvance des féministes avancées. Des textes sublimes, comme Non tu n’as pas de nom et Une sorcière comme les autres, que vous avez déjà évoqués. Mais se voyait-elle totalement comme une féministe ainsi qu’on entendait ce terme dans les années 70, et quel rapport entretenait-elle avec l’idée d’engagement ? Ce fond de culpabilité par procuration dont on parlait plus haut, ça l’a bridée ?

Déjà, si ces deux chansons que vous citez ont eu et ont toujours un impact très fort, c’est certes par la qualité de leurs textes mais également par celle de leurs mélodies, de leurs musiques. C’est peut-être en cela qu’il y a un cousinage entre Anne Sylvestre et Georges Brassens  : pour lui aussi, on a beaucoup plus parlé de ses textes, jusqu’à ce que des Maxime Le Forestier rétablissent un certain équilibre (y compris pour leurs voix, qui, sans être exceptionnelles, assuraient, avec une vraie personnalité). Pour Anne, je voudrais aussi rappeler qu’elle a très vite travaillé avec le même arrangeur que Brel  : François Rauber.

 

 

Pour le côté «  féministe  », le seul mot en «  iste  » qu’elle supportait, il y a eu bien sûr son histoire, jusqu’au début des années 1980 où des articles de presse ont dévoilé qui était son père. Néanmoins, dans ses trois premiers albums comme productrice (ceux qui m’ont bouleversé et que j’ai beaucoup écoutés après l’avoir vue sur scène), la démarche était clairement entamée avec effectivement Non tu n’as pas de nom en 1974, Une sorcière comme les autres en 1975 (mais aussi Java d’autre chose que je trouve très forte, et Bergère) et Comment je m’appelle, Clémence en vacances et Petit bonhomme en 1978 dans l’album avec "Les Gens qui doutent". Dès l’album suivant de 1979, elle a brossé rien moins que cinq portraits de femmes, chacun à sa manière et souvent personnalisé par un prénom (Marie-Géographie, Frangines, Ronde Madeleine, Mon mystère, La Faute à Ève) et a abordé différents thèmes de société, notamment ici le viol (Douce maison) et la pollution (Un bateau mais demain, inspiré par le naufrage d’un pétrolier géant en mars 1978, l’Amoco Cadiz). En 1981, elle a abordé le risque nucléaire avec Coïncidences et, à sa manière, elle n’a jamais arrêté, acceptant finalement, au fil des ans le qualificatif «  engagée  ». Bref, «  bridée  » en partie au début, mais ça n’a pas duré longtemps.

 

Je citais Barbara plus haut. On ne peut que constater à quel point l’une (la dame en noir) jouit d’une postérité, d’une aura plus grande que l’autre. Et quand on regarde les parcours, on se dit que ça n’est pas vraiment juste, parce qu’elles ont des mérites similaires, d’ailleurs leurs parcours se ressemblent un peu même si pour l’une ce fut le piano pour l’autre la guitare. Vous parlez peu de Barbara dans le livre, comment expliquez-vous cet écart : est-ce lié au fait que Barbara a su créer un personnage, autour d’elle un imaginaire mystérieux, gothique, une communauté de fidèles ? Et s’agissant des chansons pour enfants - ses Fabulettes - je vous posé la même question par rapport à Chantal Goya, que vous évoquez dans la bio : si ça a mieux marché pour elle dans la durée c’est parce qu’il y avait en renfort tout le Barnum visuel très bien pensé par elle et Jean-Jacques Debout ? Est-ce que, par rapport à Barbara (ça a été plus compliqué pour Chantal Goya de ce point de vue après 1985) elle a souffert simplement d’une moindre exposition médiatique ?

Avant de parler de Barbara et de Chantal Goya, quelques précisions qui me semblent essentielles. En 1985, avec un humour plus que jamais d’auto-défense, Anne Sylvestre chante Trop tard pour être une star. Il y a également Les Blondes, à la couleur de cheveux réputée plus vendable au plan médiatique («  Alors on se fait teindre en blonde / Et on se hait  »). À ce moment précis de savie, ce choix s’avère en fait terrible, car dans ce disque et sa chanson-titre Écrire pour ne pas mourir, Anne fait allusion au cancer, à l’opération qu’elle a subie fin 1983, aux neuf mois de chimio et à son changement physique que ce combat a provoqués (Le Western  : «  Pour mieux tenir ta carabine / Déjà tu ressembles à Birkin  »). J’avoue que je n’avais pas vraiment décodé ces allusions, mais les médias, comme trop souvent, ont fait bien pire  : comme Anne avait dû couper ses cheveux, ils ont surtout parlé de ça…

 

 

Dans Trop tard pour être une star, Anne a fait une espèce de clin d’œil à Barbara, ses tenues, son jeu scénique, etc. Bref, un corportement là encore très média-compatible auquel Anne n’a jamais voulu se prêter. Elle l’a clairement payé. Pour le seul service public (de l’ORTF à nos jours), si vous faites une recherche sur l’INA, vous trouverez 1756 résultats pour le nom Anne Sylvestre (904 TV et 852 radio), mais en fait seulement 188 émissions de TV où elle est réellement présente – avec des rediffusions - et 264 de radio. Pour Barbara, décédée 23 ans plus tôt (novembre 1997), cela donne 2383 sur son nom (1299 TV et 1084 radio), avec 334 présences en TV et 208 en radio. Si je n’ai pas beaucoup parlé de Barbara dans mon livre, c’est qu’à mon sens, elle a surtout chanté sa vie intime, sentimentale, son «  je  » très personnel, et beaucoup moins la société et les grands problèmes du monde comme Anne. Sans contester le moins du monde le talent de Barbara (qui, par rapport à Anne, a dit elle-même qu’elle ne faisait que des «  zinzins  »), son écriture et son interprétation ne m’ont jamais vraiment touché. Quant à Chantal Goya, rien à voir me semble-t-il c’était purement commercial et abêtissant, abus d’images à l’appui et pas grand chose à dire  : 1171 résultats INA (1056 TV et 115 radio), dont 562 présences TV et 37 en radio.

 

Je vous connais Daniel, vous allez me dire que vous ne cherchez pas tellement à connaître la personne, que c’est l’œuvre qui compte pour vous, mais malgré tout comment la qualifieriez-vous cette femme que vous avez côtoyée de nombreuses heures ? Fondamentalement une femme libre ? Un caractère aussi?

J’ai écrit des biographies sur Aznavour, Ferrat, Sylvestre et Reggiani, parce qu’il me semblait qu’il n’existait rien de sérieux sur leur œuvre (Aznavour l’a particulièrement apprécié  : il me l’a dit et a été très content en 2017 de me recevoir pour mon livre sur ses chansons «  faits de société  », paru malheureusement après sa mort)  ; ensuite, sur Ferré j’évoquais surtout son histoire avec un théâtre parisien alors dirigé par des anarchistes (le TLP-Déjazet de 1986 à 1992), théâtre que j’ai beaucoup fréquenté comme journaliste. Les deux «  beaux livres  », respectivement sur Goldman et Cabrel, ont été des commandes d’éditeur que j’ai acceptées car il s’agissait de l’histoire de tous leurs disques. Bien sûr, dans tous ces ouvrages, il y a une part biographique minimale, mais je ne cherche jamais à dévoiler une part de leur vie privée que ces artistes veulent préserver.

 

Ecole Bacalan

École du quartier Bacalan à Bordeaux, avril 2019. Photo : Claudie Pantchenko.

 

Oui, Anne Sylvestre était une femme libre. Elle était drôle, sensible, courageuse, partageuse. Je n’ai jamais fait partie de son groupe d’ami.e.s (ni de celui d’autres artistes), mais quand j’essayais de la joindre par téléphone ou par écrit, elle me répondait très vite. En avril 2019, quand je lui ai demandé si elle était d’accord pour donner son nom à une école de mon quartier populaire bordelais (Bacalan), elle est venue et ça a été génial. Alors, oui, elle avait du caractère (ce qui concernant une femme signifie «  mauvais caractère  » pour beaucoup d’hommes), elle n’était pas toujours facile, mais le suis-je moi-même  ? Et vous, l’êtes-vous tous les jours  ? Après la sortie de mon livre, j’ai reçu un mail de Marie Chaix, qui savait combien sa sœur aînée avait toujours refusé de participer à une biographie la concernant  : «  Je reste admirative que vous y soyez parvenu  !  » Génial, non  ? Et Jean-Michel Boris (ancien directeur de l’Olympia)  : «  Une fois de plus j’ai retrouvé ton extrême volonté de vérité et de respect…  » Pour la petite histoire (là, il s’agit de la mienne, donc je peux), un auteur m’a contacté pour me dire qu’il ne comprenait pas pourquoi elle lui avait dit non quelques années plus tôt. Un auteur avec lequel je n’avais jamais eu le moindre contact auparavant. Et plus aucun après… J’ai également décliné deux ou trois demandes d’écriture de livres, qui ne me correspondaient pas suffisamment.

 

 

Dans quelles chansons nous donne-t-elle le plus à voir, à découvrir qui elle est ?

Tant par l’humour (y compris cinglant) que par la tendresse pudique, je trouve Anne omniprésente dans la plupart des chansons déjà citées ici (+ celles du très beau disque – et spectacle – "Partage des eaux", de 2000, indiquées à la fin de mon interview précédente. Par clin d’œil à sa chanson «  chef d’œuvre  » plusieurs fois évoquée (et à la présence de la rivière, de l’eau, dans ses chansons), j’avais titré un de mes articles  : «  Une sourcière pas comme les autres  ». Après, il y a des merveilles comme Carcasse (1981 - une fille qui ne s’aime pas, alors qu’elle a «  les yeux verts  »), Si mon âme en partant (20 ans après, la suite de Un mur pour pleurer, dans laquelle elle cite ses petits-enfants Clémence et Baptiste, ce dernier décédé depuis dans l’attentat du Bataclan en novembre 2015.)

Cette chanson de 1994 - une merveille pour moi, mélodie comprise – figure dans l’album très sentimental "D’amour et de mots", sans doute le plus intime d’Anne Sylvestre au plan de son évolution sexuelle. Elle n’aime pas le mot «  lesbienne  » et à cette question que j’ai mis longtemps à lui poser, elle m’a répondu (et j’ai trouvé ça génial)  : «  Eh bien oui, j’ai aimé des hommes, j’ai aimé des femmes… j’aimerai des chats quand il faudra !  » Dès Allez-y doux, le premier titre de l’album, elle s’adresse explicitement à une femme («  Un jour que je n’y croyais plus / Vous êtes venue…  ») et dans Ruisseau bleu, elle chante en voix de tête «  Qui est l’une ou l’autre comme / Les deux faces d’un reflet  »…

 

 

Elle a persisté et signé de façon ironique en 2007 dans l’album "Bye mélanco" avec Gay marions-nous, mais l’un des titres peut-être les forts/émouvants pour comprendre qui elle est, c’est tout simplement Pour un portrait de moi, une merveille nichée dans son dernier album, "Juste une femme" de 2013 et suivi presque aussitôt par un autre que je trouve également très beau  : Je n’ai pas dit (mon dernier mot d’amour…).

 

Celles qui vous touchent le plus et que vous aimeriez nous recommander (et je sais que ça non plus vous n’aimez pas) ?

Je n’ai quasi jamais accepté (sauf une fois ou deux pour la revue Chorus) de donner un classement. Là, c’est un peu différent, mais j’ai déjà suggéré pas mal de titres. J’en rajouterai deux de l’album "Bye mélanco" de 2007  : Les Rescapés des Fabulettes (tendre clin d’œil d’Anne à son public, qui me permet d’évoquer ses Fabulettes, qu’elle n’a jamais voulu chanter en scène et que j’ai personnellement découvertes bien après, surtout en écrivant le livre) et Laissez les enfants (pleurer, rêver, grandir…) un hymne sensible à la liberté que j’ai proposé à la directrice de l’école de mon quartier quand Anne est venue. Toute l’équipe l’a alors interprétée devant elle et les enfants. C’est dans une vidéo de mon site Internet, dans laquelle Anne interprète d’ailleurs une fabulette avec eux. C’est ici.

Et côté humour, voire rigolade, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas, on peut citer Les grandes balades (1997), Ça n’se voit pas du tout (2000) ou les irrésistibles Le Deuxième œil et Langue-de-pute (2003). Sans oublier son duo historique avec Boby Lapointe dans Depuis l’temps que j’l’attends mon prince charmant (1969).

 

 

Quelle est à votre sens la place singulière d’Anne Sylvestre dans le Panthéon de la chanson ?

Je crois que mes diverses réponses montrent que je la place parmi les plus grandes et les plus grands, dans le sens où elle constitue une entité, entre sensibilité profonde, engagement citoyen (pour ne pas dire féministe) et humour.

 

Qui lui ressemble sur la scène musicale aujourd’hui ?

Je suis d’autant plus incapable de répondre à cette question que j’ai largement arrêté d’aller au spectacle et d’écouter des disques depuis la fin de "Chorus" (juin 2009), situation qui s’est systématisée après mon départ de Paris (juin 2016). Historiquement, il y a eu bien sûr eu – entre autres – Michèle Bernard et Agnès Bihl, mais parmi les plus jeunes je ne sais pas.

 

Y a-t-il des questions que vous regrettez de n’avoir pas songé à lui poser ? Que peut-être vous n’avez pas osé lui poser ?

Sans doute y’en a-t-il, mais je ne vois pas. Au fil du temps, avant, pendant et après l’écriture du livre, je lui en ai quand même posé beaucoup et sans véritable problème.

 

L’anagramme la plus pertinente pour Anne Sylvestre ça donne quoi ?

Le mot «  Lyre  » désignant à la fois une constellation et un instrument de musique, deux dimensions très présentes pour moi chez Anne, il devient donc pluriel. Et comme, elle a également beaucoup joué sur l’humour, voire la rigolade, la synthèse anagrammique s’impose, comme une définition  : Lyres et vannes.

 

Vos projets, vos envies surtout pour la suite Daniel Pantchenko ?

Ainsi que je vous l’ai déjà dit, je travaille effectivement sur un livre d’anagrammes, dans lequel j’associe des chanteuses et chanteurs à une ou plusieurs de leurs œuvres. Comme je procède par ordre alphabétique (et que je risque encore d’avoir une commande de livre), j’en ai au moins pour deux ou trois ans. Quand j’arriverai à Sylvestre, ça commencera à être bon…

 

Un dernier mot ?

À suivre…

 

D

Photo : Claudie Pantchenko.

 

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