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Paroles d'Actu
11 juillet 2021

Ramon Pipin : « J'aime qu'un roman soit transgressif, qu'il m'emmène loin... »

Alain Ranval, alias Ramon Pipin, est de ces artistes dont il serait difficile de résumer la carrière en un, deux, trois ou même sept mots. Durant ses plus de 50 ans de parcours artistique (et c’est pas fini !), il a chanté, écrit des chansons, beaucoup composé (chansons, BO de films ou séries), sorti pas mal d’albums en groupe(s) et en solo. Ça, vous connaissez forcément, c’était en 1973, avec "Au Bonheur des Dames" :

 

 

Son actu du moment, c’est la parution de son premier roman, Une jeune fille comme il faut (Mon Salon éditions, 2021). Je l’ai lu, sans trop savoir à quoi m’attendre au départ, et j’ai été séduit par l’histoire et les atmosphères changeantes dans lesquelles il nous fait baigner, un fond de l’air déjanté ici, là touchant, parfois les deux d’un coup. Je remercie Ramon pour cette agréable rencontre, pour ce qu’il est, et pour l’interview grand format qu’il m’a accordée en ce début juillet. Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Ramon Pipin: « Jaime quun roman

soit transgressif, qu'il memmène loin... »

Ramon et son livre

Une jeune fille comme il faut (Mon Salon éditions, 2021).

(Sisi c’est bien, lisez-le ! Il est dispo sur Amazon ou sur ramonpipin.fr...)

 

Bonjour. Déjà, comment je dois vous appeler ? Ramon (Pipin), ou Alain (Ranval) ? Où est l’un, où est l’autre ?

Comme vous voulez ! Mon vrai nom est plutôt réservé à ma sphère privée encore que de nombreux proches, à mon grand dam, m’appellent Ramon, nom dont on m’a affublé en 1972 et dont personne ne connaît l’origine.

 

Première question d’une actu évidente : comment avez-vous vécu, et vivez-vous toujours cette crise dite du Covid ?

Les restrictions m’ont assez peu pesé. Je n’ai aucunement le profil itinérant de Vasco de Gama et j’en ai profité pour créer tous azimuts : musique, écritures diverses, tournages à l’arrache, etc.

 

Vous êtes un touche-à-tout qui a touché à plein, plein de choses. Racontez-nous l’aventure du roman ? Cet exercice-là a-t-il été plus ou moins difficile que d’autres ?

À force de lire des scénarios mal foutus en tant que compositeur de BO, je me suis dit : "Pourquoi pas moi ?". J’avais en effet réalisé un court métrage dont je ne rougis pas, dans mon registre caustique : Et tu récolteras ce que tu as semé avec Jacky tout droit sorti du Club Dorothée. J’ai sué sang et eau pour parvenir à quelque chose de satisfaisant. J’ai tenté de monter ce film — j’avais un joli casting avec Eddy Mitchell en tête — mais cela n’a pas abouti. Après 8 ans d’efforts j’ai rangé ce script, puis l’ai ressorti du tiroir, hanté par cette histoire, pour en faire un bouquin, qu’a préfacé Tonino Benacquista. Il est sorti en 2015 mais la maison d’édition a déposé le bilan 2 mois après... Je l’ai repris l’année dernière à l’occasion de cette longue hibernation et minutieusement réécrit.

 

Je ne vais pas raconter l’intrigue, qui est riche, je laisse aux lecteurs le plaisir de la découvrir. C’est quoi les livres que vous aimez lire ? De quoi vous êtes-vous inspiré pour composer cette histoire-là ?

L’idée de départ vient d’une scène de Pastorale américaine de Philip Roth, l’un de mes auteurs de chevet. Après j’ai laissé mon imagination dériver pour construire cette histoire qui, sous couvert d’un polar, embrasse des thèmes qui me sont chers : l’humour, l’exclusion, le vieillissement, la sexualité, la famille... les lacets. J’aime être malmené et surpris, quelle que soit la forme artistique.

Je lis surtout des romans car j’aime la transgression, qu’on me prenne par la main pour m’emmener loin, les mots choisis et le style.

En vérité je ne me suis inspiré de personne. Le creuset fumant où crépitent mes nombreuses lectures m’a nourri de ses effluves. Et mon histoire personnelle quelque peu, mes rencontres, bien que ce ne soit pas autobiographique.

  

Parmi les protagonistes, Paul, flic mélomane à la retraite ; Naj, jeune tornade sensuelle et complexe ; le fils et la femme de Paul, Fabien et Julie, et quelques slaves hauts en couleur. Est-ce que vous avez mis de vous dans ces personnages justement, Paul mais pas que ? Est-ce que vous avez dessiné en eux des personnes que vous avez réellement rencontrées ?

Je n’ai pas rencontré de Potok ni de Naja. j’aurais aimé, c’est sans doute pourquoi je les ai imaginés ! Pour Paul, quelques lointaines résonances personnelles.

  

Votre plume est agréable, pas mal d’éléments d’immersion, de références, des sourires et aussi de vrais moments d’émotion. Je pense à ces mots touchants qui décrivent le départ de la mère de Paul, Rachel. Ou à ce qu’évoquent les derniers mots du livre. Parfois, il faut composer avec sa pudeur, quand on écrit ce genre de chose ?

Les mots sont venus, puis je les ai repris, modifiés, triturés sans relâche, je crois avoir fait plus de 100 relectures de la dernière édition. Je ne me suis pas autocensuré. Lorsque la situation m’emportait vers l’émotion, pas de barrières. Vers l’humour ou le zizi-panpan non plus.

 

Page Ramon Pipin

 

Vous connaissez bien le milieu du cinéma : si vous aviez carte blanche et budget illimité, quels acteurs engageriez-vous pour interpréter les rôles principaux de votre récit ?

J’ai beaucoup travaillé en ce sens comme vous l’avez vu ci-dessus. Jean-Pierre Bacri aurait été le personnage mais il l’avait souvent joué, cet atrabilaire misanthrope. C’est pourquoi Eddy Mitchell me semblait correspondre. Depardieu également. Pour Potok, j’avais en scène depuis l’origine Patrick Eudeline, que j’aurais volontiers casté ? Après les acteurs anglo-saxons me ravissent : James Gandolfini ? Ou Robert Carlyle ? Pour Naja, un casting s’imposait. La sublimement touchante Nastassja Kinski de Maria’s Lovers ? J’aime bien celle qui joue dans Scènes de ménages, bizarrement, sur M6, Claire Chust qui me semble avoir un joli potentiel, en-dehors de sa fantaisie.

 

Premier petit décrochage justement : si vous deviez n’en choisir que cinq, ou six ou sept je ne suis pas un tortionnaire, ce serait quoi votre top films, tous confondus ?

Très très dur, je suis un cinéphile assidu. Néanmoins, j’ai adoré le cinéma coréen des années 90-2000 avec un chef-d’œuvre absolu : Oasis de Lee Chang-dong. Ainsi que Memories of murder de Bong Joon-ho. Également sur le podium Sur la route de Madison de Clint Eastwood. Dans un autre genre l’inénarrable Spinal Tap de Rob Reiner. La vraie dernière claque que je me suis prise c’est The Painted Bird du réalisateur tchèque Vaclav Marhoul d’après le roman de Jerzy Kosinski, d’une noirceur étouffante à la limite de l’insoutenable. Ah, je dois citer également le film russe The Tribe de Miroslav Slaboshpytskiy, histoire de bullying dans un internat pour sourd-muets sans sous-titres (non ce n’est pas une blague et c’est génial). Et me revient ce film américain Thunder Road de Jim Cummings avec une scène d’ouverture mémorable.

 

  

Vous avez pas mal côtoyé Coluche, dont on commémore cette année les 35 ans de la disparition. Que retenez-vous de lui, de cette rencontre ? Coluche, Desproges, le professeur Choron (avec Hara-Kiri), des figures d’un temps révolu, peut-être plus léger et ou la parole était plus libre, la bien-pensance, moins pesante ?

Oui certes. Cependant des artistes comme Gaspard Proust perpétuent cet état d’esprit. Je fréquentais Coluche, Desproges, Choron mais il était difficile d’en être proche.

Il est sûr que certaines des chansons interprétées par "Odeurs" à l’époque, voire "Au Bonheur des Dames" auparavant, qui parlaient de nécrophilie, de tournantes, de déviances sexuelles, de religion seraient infaisables aujourd’hui et parfois j’évoque ces moments avec nostalgie et regret. Mais je continue, en essayant de ne pas sortir des rails, à exprimer ce qui me passe par la tête, comme sur mon dernier album la haine, l’indifférence, le mirage de l’ascenseur social ou le groove français !

 

Est-ce que vous lui trouvez des charmes, à notre époque ?

Pour en revenir au cinéma coréen, le dernier plan du 4ème film de Lee Chang-dong, Secret Sunshine, l’histoire magnifique d’une femme qui tente de se reconstruire après la perte de son mari ET de son enfant, nous montre une petite flaque d’eau où se reflète le soleil. Mon interprétation, — peut-être erronée d’ailleurs — est que le réalisateur veut nous montrer que la beauté du monde réside même dans l’infiniment banal. Donc j’y trouve de l’horreur, beaucoup, mais aussi des trésors qui m’enchantent parfois. Ce que j’ai traduit dans ma chanson Qu’est-ce que c’est beau de l’album éponyme.

 

 

J’aimerais aussi vous interroger sur Renaud, avec lequel vous avez beaucoup collaboré, notamment lors de ses premiers albums. Comment avez-vous vécu ces années-là ? Quel regard portez-vous avec le recul, sur sa carrière ?

J’étais simplement un musicien réalisateur. De complicité, nenni. J’ai eu la chance de collaborer avec lui, d’avoir de solides responsabilités artistiques qui se sont soldées par d’énormes succès en le faisant aller vers des contrées moins balisées — un peu — musicalement. Mais ce sont des souvenirs un peu froids en vérité, qui m’ont assez peu fait vibrer.

 

Si vous pouviez lui adresser un message, là ?

La démocratie, c’est quand on sonne chez vous à 6h du matin et que... c’est le laitier (Henri Jeanson).

 

Quelles sont, parmi vos chansons à vous, groupe ou solo, celles que vous aimeriez nous recommander, à ma génération, pour les découvrir ?

Période "Odeurs" : Couscous boulettium, Que c’est bon, Le stade nasal, Je m’aime. Mes albums : Nous sommes tous frères, Je promène le chien, Qu’est-ce que c’est beau, Stairway to eleven et avec "Au Bonheur des Dames", Mes funérailles.

 

 



Votre top chansons, tout confondu, et hors les vôtres ;-) ?

Alors là impossible. Trop ! Disons que dans mon Olympe se trouvent XTC, les Beatles, Gentle Giant. Disons que Stupidly Happy de XTC c’est tout là-haut et God only knows des Beach Boys aussi. En ce moment c’est I disagree de Poppy.

 

 
Qui trouve grâce à vos oreilles en 2021, parmi les artistes mainstream et plus underground ?

Poppy. Leprous. The Moulettes. Brad Mehldau. Michael League. Mainstream ? Connais pas...

 

L’évolution de l’industrie du disque, c’est quelque chose qui vous paraît inquiétant pour la suite ? Ou bien pour le coup, internet et les réseaux permettent-ils une plus grande démocratisation de la production de musique ?

J’ai eu l’extrême chance de vivre de ma musique. Ce ne serait plus possible aujourd’hui. L’offre incommensurable me désole d’un côté et me réjouit d’un autre car elle permet à des créateurs talentueux, s’ils parviennent à maîtriser leur communication, de s’exprimer et de se faire entendre. Mais ma chanson Une chanson ennuyeuse résume parfaitement ma pensée.

 

 
Quelques mots pour inciter nos lecteurs à se précipiter sur Une jeune fille comme il faut ?

C’est un roman qui marie l’humour et l’émotion, ancré dans une réalité intemporelle sans ordis ni smartphones et qui j’espère pourra toucher au cœur avec ces personnages déjantés ou profondément humains. On a évoqué Frédéric Dard mais je me retrouve bien plus dans Jean-Paul Dubois. L’humour y est présent certes, mais il y a, comme dans mes chansons toujours (ou à peu près) un fond de mélancolie ou d’humour allez, juif new-yorkais, gaiement désespéré.

 

Ramon Pipin souriant

Photo : Thierry Wakx.

 

De quoi êtes-vous le plus fier, quand vous regardez derrière ?

De pouvoir me retourner sans rougir.

 

 

Des regrets ?

De n’avoir pas pu faire le film Une jeune fille...

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Nous sortons à la rentrée le CD des "Excellents", 3 millions de vues sur FB. L’album massacre menu nombre de tubes pop des 50 dernières années. L’accueil est réjouissant.

  

Un dernier mot ?

« L’humour renforce notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d’esprit. » (Charlie Chaplin)

Interview : début juillet 2021.

 

Ramon Pipin seul

 

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4 juillet 2021

Cynthia Sardou : « Les femmes se battent toujours pour exister dans le milieu du cinéma... »

En ce 4 juillet, fête de lindépendance américaine, je suis ravi de pouvoir vous présenter cet article autour d’un milieu bien particulier, le cinéma hollywoodien, que mon invitée du jour, Cynthia Sardou, connaît bien pour l’avoir vu tourner de près. Deux ans après notre premier entretien, je vous propose cette nouvelle rencontre, alors que Ramsay a publié il y a peu son premier roman, Le Film, qui nous dévoile les coulisses du cinéma autour des destins de Louise, nouvelle étoile, et de Kevin, son agent. Une histoire d’actualité, bien documentée, qui captive tandis que monte la tension... À découvrir ! Et merci à Cyntha Sardou. Par Nicolas Roche.

 

PAROLES D’ACTU

Cynthia Sardou : « Les femmes se battent toujours

pour exister dans le milieu du cinéma... »

Le Film

Le film (Ramsay, 2021).

 

Votre roman Le film (Ramsay, 2021) nous plonge dans les coulisses du cinéma hollywoodien, milieu que vous connaissez bien. Ce thème-ci vous est apparu comme une évidence ?

Une évidence oui et non, je trouve le thème d’actualité, intéressant. J’ai voulu élaborer celui-ci en particulier, et rendre hommage à la fois, à toutes ces actrices qui vivent le même calvaire depuis longtemps. Elles en parlent ouvertement aujourd’hui, le mouvement #MeToo a aidé, je n’invente rien.

 

Beaucoup de références liées au cinéma et à son histoire dans votre livre. Quels sont les films, quel est ce cinéma que vous aimez, vous ?

Le cinéma de Hitchcock, de Truffaut, de Martin Scorsese, de Kubrick, de David Lynch... Tarantino parfois, Soderbergh j’aime beaucoup aussi. Spielberg reste le plus imaginatif à mes yeux, ou le plus créatif, le plus discret aussi. Il est moins axé sur la réalité et nous fait rêver malgré notre société actuelle... Le reste et la plupart des réalisateurs actuels nous montrent les faces cachées du monde d’aujourd’hui, rejoignent toujours une grande part de réalité, des portraits, des faits de société...

Pour mes références, Peter Biskind, historien et journaliste au New York Times, pour Première, etc... restera celui qui m’a le mieux informée sur le cinéma, en plus de ma propre opinion, et celui qui a peut-être prévenu aussi sur ce qui allait se produire dans le milieu...

 

Je ne veux pas dévoiler l’intrigue mais la thématique de l’emprise est centrale dans votre récit...

Oui et moins apparente en effet. Je me suis surtout inspirée de mon voyage là-bas lorsque j’étais correspondante pour Canal+. J’ai fait des rencontres sur place, en plein coeur d’Hollywood, et au fur et à mesure du temps j’ai aussi rencontré des actrices qui avaient beaucoup de mal à se faire une place dans un milieu cinématographique très masculin. La femme a besoin de se positionner dans tout cela. Mais ça ne se passe pas toujours comme elles le veulent. Elles doivent se battre pour exister...

  

Vous êtes-vous inspirée d’exemples, de faits réels pour développer ces thèmes ?

D’exemples bien sûr, de femmes qui ont quitté leur carrière parce que trop de pression médiatique, c’est le cas Brigitte Bardot par exemple. Je pense à Grace Kelly, qui a décidé de devenir princesse de Monaco après la réception de son Oscar. À Audrey Hepburn, qui a rassemblé ses forces y compris pour l’aide humanitaire, là encore, après l’Oscar.

 

Juste pour le plaisir, un morceau de Breakfast at Tiffany’s, avec la grande Audrey Hepburn.

 

Je rends aussi un hommage dans ce livre, à toutes les actrices, aux records le plus souvent, avec toute la diversité qu’elles représentent et quelles que soient leurs origines. Une actrice quelle qu’elle soit mérite un Oscar, ne serait ce parce qu’elle ont toutes traversé à un moment donné dans leurs vies des moments ou des événements très difficiles...

 

Il est aussi question de la place centrale de la famille, des amis proches, a fortiori quand on s’enferme dans un isolement...

J’ai d’abord et surtout voulu rendre hommage à une communauté à travers mes personnages d’origine juive, et à un ami mort de la Covid, voici un an, des gens qui ont vécu l’antisémitisme. Les piliers et les valeurs de cette communauté restent la famille, la solidarité, et la bienveillance au-delà de la communauté elle-même. Les juifs sont des personnes incroyables et j’en connais quelques uns, et à chaque fois ce sont des moments de joie.

 

Cet exercice du roman vous a-t-il plu ? Vous donnera-t-il l’envie d’en écrire d’autres ?

Je ne dis rien pour le moment. Je vis l’instant présent. On verra bien. :)

Interview : 4 juillet 2021.

 

Cynthia Sardou

 

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26 mai 2021

Jean-Daniel Belfond (l'Archipel) : « Pour favoriser la lecture, étendons le pass culture à toutes les classes d'âge ! »

Alors que, crise Covid oblige, on a réévalué, classé même, les activités économiques selon leur utilité pour la société, les libraires, après s’être battus pour faire valoir la leur, ont à raison obtenu gain de cause : ils ont désormais le statut de commerces essentiels. J’ai la joie, pour commenter cette actu, et surtout, placer la lecture au coeur, de recevoir Jean-Daniel Belfond, fondateur et directeur des éditions l’Archipel, pour une interview inédite. Je l’en remercie et en profite pour saluer Christel Bonneau, qui a rendu cet échange possible, sa collègue Sarah qui m’a aiguillé vers elle, ainsi que Frédéric Quinonero, auteur régulièrement publié par l’Archipel et fidèle de Paroles d’Actu. Lisez, lisez encore, et vous verrez qu’à force, vous aimerez ça ! ;-) Exclu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Jean-Daniel Belfond: « Pour favoriser la lecture,

étendons le pass culture à toutes les classes d'âge ! »

Jean-Daniel Belfond

Jean-Daniel Belfond. Photo : Jenna de Rosnay.

 

Jean-Daniel Belfond bonjour. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a fait aimer les livres, et conduit à devenir éditeur ?

Fils d’éditeur, j’ai baigné dans le monde du livre depuis l’enfance, et croisé beaucoup d’écrivains.

J’ai travaillé trois ans aux éditions Belfond, à partir de 1988, pour apprendre les bases du métier, avant de créer en 1991 les éditions de l’Archipel, peu après que mes parents ont vendu leur entreprise au Groupe Masson. Belfond est du reste l’un des labels du Groupe Editis que nous avons rejoint en 2019.

 

L'Archipel

 

Quelle est l’histoire de l’Archipel, maison que vous avez fondée en 1991 ? Comment définiriez-vous son identité, quels traits communs au-delà d’une diversité revendiquée (« un archipel de collections, un archipel de livres »), et cette réponse sur l’identité serait-elle la même qu’il y a trente ans ?

Une maison d’édition c’est en effet à mes yeux un archipel de collections, une collection, un archipel de livres. Après le navire-amiral généraliste l’Archipel (fiction, essais, récits, biographies, guides…), j’ai donc créé au fil des années trois autres labels pour publier des livres visant des publics spécifiques : Écriture (1992) : romans et essais littéraires ; Presses du Châtelet (1995) : religion, spiritualité, bien-être ; Archipoche (2005) : ouvrages grand public au format poche, et Archidoc : ouvrages de référence au format poche. Une diversité en effet revendiquée avec un constant souci de qualité éditoriale, même pour les livre destinés à un large public. De nouveaux thèmes et collections sont apparus, mais l’esprit des débuts a perduré. Je m’interroge toujours avant la signature d’un contrat sur la conformité du livre aux thèmes intéressant l’Archipel, à notre capacité à lancer le livre et à le publier dans un contexte médiatique favorable.

 

Au départ, l’idée de cette interview m’est venue de la lecture de Promets-moi, papa, l’ouvrage touchant de Joe Biden. Le texte date de 2017 mais il est apparu en France, sous vos couleurs, cette année, après son investiture comme président des États-Unis. Joli coup : vous nous en racontez les coulisses ?

Un partie du travail de l’éditeur est de se propulser à neuf ou dix-huit mois de distance et de  se dire : lorsque nous publierons ce livre, serons-nous pertinents ? En l’occurrence, j’ai recherché les écrits du candidat démocrate parus en anglais ; nous avons acquis en juillet les droits de ce récit émouvant du challenger de Donald Trump, ainsi que ceux des mémoires de son épouse Jill Biden. C’était un pari, mais raisonnable : j’étais convaincu que Trump serait battu à la présidentielle.

 

Promets-moi papa

Promets-moi, papa, de Joe Biden (l’Archipel, mars 2021).

 

En quoi le métier d’éditeur, votre métier, a-t-il changé en trente ans ? Sur quels points son exercice est-il plus aisé, ou au contraire plus compliqué ?

Le métier n’a pas vraiment changé. Il y a d’un côté la nécessité d’avoir une entreprise bien gérée, en d’autres termes de publier des livres bien édités, bien soutenus par le distributeur et susceptibles d’intéresser un public assez large. De l’autre le désir d’accompagner des auteurs au fil des années et, si possible, d’élargir leur lectorat. Il y a toujours le plaisir de la découverte d’un texte qu’on voudra défendre, faire connaître. Ce qui a changé hélas c’est la baisse des mises en place et des ventes moyennes au titre, d’où la nécessité impérieuse de bien choisir les livres, bien les traduire, ou les peaufiner s’il s’agit d’ouvrages de commande d’auteurs français. Une chose est certaine : la qualité « paie ». Hier indépendant et aujourd’hui filiale d’Editis, le deuxième groupe français d’édition, nous n’hésitons pas à différer la parution d’un livre qui n’est pas au point sur le fond ou la forme ; voire à renoncer à publier (la chose est rare) si on n’arrive pas à un niveau de qualité qui nous satisfasse. J’ai toujours souhaité que le logo Archipel sur un livre soit garant pour l‘acheteur d’un bon niveau de qualité éditoriale.

 

« Une chose est certaine : en matière

d’édition, la qualité "paie". »

 

Comment avez-vous vécu, personnellement et sur le plan professionnel (je pense à vos éditions et au secteur du Livre en général), la crise Covid-19 et toutes ses retombées ? Quelles leçons en tirerez-vous ?

Une grande tristesse, en 2020, de voir souffrir le réseau des librairies, qui sont nos partenaires et sans qui nous n’existerions pas. Ensuite, on n’imaginait pas que l’entreprise continuerait à être aussi performante en télétravail, chose qu’on n’avait jamais expérimentée. C’est un métier qui se prête bien au travail à distance. Nous sommes dix personnes dans l’entreprise et bien sûr heureux de se retrouver en présentiel deux jours par semaine pour confronter nos points de vue sur les maquettes de couverture, les actions marketing... Mais sinon, nous sommes tous connectés, tous solidaires, disponibles pour échanger en visio. La crise aura changé, dans mon cas, à 180° mon sentiment sur le travail à distance.

 

Il y a un an, vous disiez pour Papier Culture l’importance, à votre sens, d’ « inciter les enfants à lire pour leur donner le goût de la chose imprimée ». Quelles idées, à l’ère du presque-tout-numérique, pour favoriser cela, au-delà de l’éducation, des initiatives individuelles ? Comment les maisons d’édition peuvent-elles, à leur échelle, y contribuer ?

Le covid de la lecture s’attrape dès 3 ou 4 ans, dès ce jour où on a le droit d’apporter à la maison un livre pris dans la bibliothèque de la classe. Ce covid-là n’a pas besoin de vaccin : il se diffuse dans le cerveau et génère des endorphines en la présence d’un livre, qu’il soit au format papier ou sur un écran. Tout ce qui peut être fait pour inculquer à l’enfant l’idée que lire est un plaisir doit l’être. Une idée : étendre le pass culture à toutes les classes d’âge, pas seulement aux ados de 18 ans. Il y a ce terrible no man’s land des 13-18 ans où les garçons, davantage que les filles, se détournent du livre, pour la facilité : l’absorption d’images sur les écrans. Pour promouvoir la propagation du covid de la lecture à cette tranche d’âge, une idée toute simple : encourager au collège la lecture d’un roman par mois, et la fourniture au professeur d’un résumé, dès la 6e. Attention : il faut proposer aux élèves des livres captivants. Ils resteront dans leur esprit toute leur vie, comme les pierres fondatrices d’un édifice. Un mal incurable et un formidable incitatif à en lire d’autres.

 

Êtes-vous vous-même un « gros » lecteur ? 100% papier, ou bien panachez-vous un peu avec du numérique ?

Durant l’année, je lis essentiellement « utile » : les manuscrits d’auteurs que l’on va publier, ou qu’on pourrait publier. Je lis sur écran les textes en anglais. Comme j’annote les textes en français, il est plus agréable et commode de disposer d’un manuscrit papier. En vacances, j’emporte les textes d’auteurs que j’aime pour leur talent de plume : Balzac, François Nourissier, Jérôme Garcin, Frédéric Beigbeder…

 

Quels sont les livres qui vous ont le plus marqué, ceux que vous aimeriez inciter à découvrir ou redécouvrir ?

En trente ans d’édition, on a publié quelques romans hors du commun : L’Orgue juif, de Ludwig Winder (1993), K-Pax, de Gene Brewer (1995), Histoire de la poupée, d’Emile Brami (2000), À deux pas de nulle part, de Michel Embareck (2002), La Corde, de Stefan aus dem Siepen (2014). Ces auteurs n’ont pas à ce jour rencontré le succès public ; ce sont peut-être leurs romans qui resteront, dans cinquante ans, parmi les quelque trois mille titres parus dans notre groupe.

 

L'orgue juif

L’Orgue juif, de Ludwig Winder (Écriture, 1993).

 

Vous avez ainsi publié, en tout, quelque 3000 ouvrages. Et l’écriture ? C’est quelque chose qui vous chatouille, qui vous tente, ou pas plus que ça ?

Les auteurs ont horreur, et c’est normal, des éditeurs qui publient des livres. On devient tout à coup des rivaux alors qu’on est là pour les accompagner. Je n’ai écrit qu’un récit sur la chanteuse Barbara, en 2000. Bien sûr, j’aime écrire, et j’écrirai sans doute plus tard, quand je ne serais plus éditeur.

 

Barbara JD Belfond

Barbara, l’ensorceleuse, de Jean-Daniel Belfond (Christian Pirot Éditions, 2000)

 

Interview : 24 mai 2021.

 

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16 avril 2021

Jean-Eric Perrin : « Angèle est, dans sa musique, une photographie exacte de la génération qu'elle représente »

Aux origines de cet article, il y eut un coup de coeur. Tardif, mais un gros coup de coeur. Je crois qu’il est venu de la découverte par un ami que je salue ici, de Ta reine, puis de ce clip :

 

C’est faux peut-être mais au plus je ris
Au plus j’te donne tort
De pas vouloir m’aimer

 

Bref, j’ai découvert Angèle. Talent d’interprétation (timbre et intonations très caractéristiques), à l’écriture (légère mais profonde) et à la compo (des années de piano derrière elle), charme énorme (pourquoi le nier) et une bonne dose d’humour (la touche belge ?). Autant le dire, il y aura peut-être un léger manque d’objectivité dans cet article, et un nombre de vidéos un peu élevé mais tant pis, j’assume (je voulais inclure chacune d’elles, et j’ai eu la flemme de choisir, et encore j’ai dû sacrifier La Thune et Je veux tes yeux).

Jean-Éric Perrin, écrivain et journaliste qui a écrit énormément de choses sur la musique (mais pas que) vient de signer une bio de Miss Van Laeken, aux éditions L’Archipel. Un ouvrage intéressant qui raconte le parcours de vie de la chanteuse, décortique son premier album Brol et explore les thèmes qui lui sont chers, et tous les à-côtés (l’image, le côté business) qu’elle partage avec les artistes de sa génération, amplement ancrés dans les réseaux et l’auto-production.

Merci à l’auteur d’avoir accepté de répondre à mes questions. Et à l’éditeur, une fois de plus. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Jean-Éric Perrin: « Angèle est,

dans sa langue et ses thèmes, une photographie

exacte de la génération quelle représente. »

Angèle

Angèle, Pop féminisme (LArchipel, avril 2021).

Entretien daté du 15 avril.

 

Jean-Éric Perrin bonjour. Comment avez-vous découvert Angèle, et pourquoi avoir choisi de lui consacrer un livre ?

Je l’ai découverte comme tout le monde, à travers ses premières chansons et ses clips malins. Son succès phénoménal et le fait qu’elle soit devenue « phénomène de société » justifiait de lui consacrer un livre, même si sa carrière est « jeune ».

 

 

En plus d’être jolie, drôle dans ses clips et douée dans ses interprétations, Angèle est loin d’être sotte et, on l’oublie souvent, elle est auteure de ses textes, et compositrice, avec pas mal d’années de piano derrière elle. Étudier Angèle, c’est aussi une histoire de « codes à casser » ?

Si ces « codes » subsistent encore, il serait temps de la pulvériser une fois pour toutes. Nous avons une génération brillante de jeunes artistes qui sont auteures, compositrices, interprètes, parfois productrices (comme Angèle) : avec Clara Luciani, Suzane, Pomme, et quantité d’autres. La pop est féminine en 2021.

 

Il est pas mal question d’autres artistes belges dans votre ouvrage, et notamment l’exemple brillant de Stromae. Est-ce qu’il y a une touche belge particulière, et comment la définir par rapport à la France ?

Peut-être en raison de leur proximité avec l’Angleterre, mais les Belges ont toujours été à la pointe du rock et de la pop. En tout cas depuis les années 80. Le pays est petit, mais riche, la preuve, avec Stromae et Angèle, nous avons les deux plus gros vendeurs francophones depuis des années.

 

 

Le sous-titre de votre livre, « Pop féminisme », fait écho aux messages portés par Angèle, féministe donc - et féminine -, notamment bien sûr dans Balance ton quoi. À l’heure des suites de #MeToo, elle compte parmi les figures médiatiques (Adèle Haenel côté ciné, Clara Luciani pour le rock, Pomme pour la folk) qui incarnent ces combats. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ? Cette génération-là va-t-elle pouvoir les faire bouger, les lignes ?

Les mouvements #MeToo, #TimesUp et autres ont eu un impact considérable, et fédéré à travers le monde un mouvement salvateur, légitime, et attendu depuis si longtemps... Angèle se défend d’en être une porte-drapeau, mais le message de ses chansons est de toute évidence important parce qu’elle le porte vers un public dont une bonne partie est très jeune, et donc en pleine élaboration de ses futurs choix et attitudes envers ces sujets. Elle ne fera pas bouger le lignes de façon frontale, mais le fera certainement de façon durable, la génération qui a grandi avec Balance ton quoi ou Ta Reine va forcément assimiler cette façon de voir et de se comporter, que l’on soit une fille, un garçon, ou tout autre définition.

 

 

Vous le rappelez bien dans votre livre, Angèle, c’est un role model, la grande sœur idéale pour les jeunes filles, les préados et les adolescentes. Ses thèmes sont plus larges, comme son public : histoires de cœur, d’acceptation de la différence, railleries sur la prééminence des réseaux sociaux, du poids de l’image dans nos sociétés... En quoi est-ce qu’elle vous « parle » à vous Jean-Éric Perrin ?

Il est vrai que ça peut paraître étrange de la part d’un sexagénaire de trouver un écho personnel dans les mots d’une chanteuse de 24 ans, mais d’abord je suis un sexagénaire qui n’a jamais dépassé les 17 ans. Ensuite en tant qu’analyste de la société à travers la musique populaire, je trouve dans sa langue et dans ses thèmes une photographie exacte de la génération qu’elle représente, et à ce titre je trouve son travail passionnant. Et puis j’adore ses chansons.

 

Vous pratiquez et côtoyez des artistes depuis pas mal d’années. Est-ce qu’à votre avis, ceux d’aujourd’hui, et notamment Angèle, très protégée dans un cocon et control freak assumée, calculent trop leur image, et verrouillent trop leur communication ?

Nous sommes à une époque où les artistes-marionnettes, ça a assez duré. Il y a eu des chefs d’oeuvre, certes, mais en 2021, pour exister, et pour durer, les artistes sont obligés d’en passer par ce contrôle total.

 

On connaît tous la pression
Tu t’sens comme la reine du monde
Mais c’est qu’une impression
Les gens t’aiment pas pour de vrai
Tout le monde te trouve génial alors que t’as rien fait
Tout est devenu flou
Un peu trop fou, pour moi
Tout est devenu flou
Et j’en ai peur, la suite on verra

 

Dans ses interviews, que vous reproduisez à bon escient, Angèle fait montre d’une humilité qui trahit, parfois, un manque de confiance en elle, et peut-être une vraie maturité. Elle est consciente de l’anormalité de ce qui lui arrive, d’une forme d’illégitimité par rapport à d’autres artistes qui n’auront jamais des publics larges comme les siens après une vie complète de scène. Est-ce qu’il y a chez elle, et peut-être chez les artistes de sa génération (lien avec la question précédente), un excès de sérieux, un manque de candeur ?

Angèle a vécu en deux ans ce que la plupart des artistes ne vivront jamais dans toute leur carrière. Ca peut perturber, interroger, susciter des questions, des doutes. Je pense qu’avec le temps, cette question d’illégitimité s’amenuisera. Le deuxième album sera crucial dans cette démarche.

 

 

Justement, pour avoir étudié et vu grandir pas mal de groupes et artistes, c’est quoi les écueils à éviter et les exigences à avoir pour un deuxième album réussi quand on est à ce point attendue au tournant ?

Il n’y a pas de règle. Après un tel succès, il est évident qu’un deuxième album se vend toujours moins. L’important est de garder une ligne en proposant de nouvelles choses, pas de reprendre les recettes du premier. Si l’album garde une vraie valeur artistique, les critiques seront bonnes, et la fan base rassurée.

 

Vous évoquez dans votre ouvrage le risque de voir disparaître, à terme, les maisons de disque traditionnelles, pointant la grande professionnalisation des jeunes artistes, et ces réseaux dont ils savent très bien se servir pour se lancer, s’auto-produire, communiquer et se vendre. Qu’est-ce que ça donnerait, demain, un monde sans majors ?

Cette disparition progressive des majors me semble inéluctable. Même si elle n’est pas pour demain. Mais une future réorganisation du système des maisons de disques va forcément se produire. Les gros artistes internationaux ont un pouvoir de les court-circuiter, ce qu’ont fait Drake ou Taylor Swift. L’indépendance d’Angèle, à cet égard, est un exemple à suivre.

 

 

Angèle, en trois adjectifs ?

Créative, maligne, puissante.

 

Si vous pouviez lui adresser un message, là ?

J’espère juste qu’elle aimera le livre que je lui consacre.

 

Quels sont vos gros coups de cœur musicaux du moment à partager avec nous, parmi les artistes déjà connus mais surtout, ceux qui ne le sont pas encore ?

Pas de grosses découvertes récentes, mais plutôt des confirmations. En rock, j’écoute en boucle les nouveaux albums de Western Machine et de Mustang. En pop, L’Impératrice et La Femme confirment leur talent. Comme la pop, le rap du moment est féminin, avec Lala & Ce et, encore une Belge, Lous & The Yakusas qui est géniale.

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Je ne les dévoile jamais à l’avance, mais j’ai un autre livre terminé, pour septembre, et des projets en route.

 

Un dernier mot ?

Le « Pop féminisme » est en marche, et c’est la meilleure nouvelle d’une période par ailleurs épuisante.

 

Jean-Eric Perrin

 

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Et une dernière pour la route.

Le spleen n'est plus à la mode, c'est pas compliqué d'être heureux...

13 avril 2021

Charles Eloi-Vial: « Les Cent-Jours, une catastrophe mais aussi une période charnière... »

Charles Éloi-Vial est conservateur au service des manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, il est aussi historien. Il a notamment consacré plusieurs ouvrages à la période napoléonienne, dont une biographie de l’impératrice Marie-Louise (Perrin, 2017), et très récemment une Histoire des Cent-Jours (Perrin, 2021), ce moment si important dans l’épopée de Bonaparte, de l’exil forcé sur l’île d’Elbe jusqu’à celui, définitif, sur Sainte-Hélène, en passant par le « vol de l’Aigle », la fuite des Bourbons et l’ultime défaite de Waterloo. Un livre passionnant, très documenté avec de nombreux témoignages d’époque qui contribuent à rendre le récit vivant (il le fait tirer, avec pertinence, jusqu’au Traité de Paris de novembre 1815), comme un document d’actu, d’une actu vieille de 206 ans (mais pas dénuée pour autant de résonances modernes). Je vous recommande la lecture de cet ouvrage et remercie l’auteur pour l’interview, la deuxième, qu’il m’a accordée. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - SPÉCIAL BICENTENAIRE NAPOLÉON

Charles Éloi-Vial: « Les Cent-Jours,

une catastrophe mais aussi une période charnière

pour la naissance de notre monde actuel... »

Histoire des Cent-Jours

Histoire des Cent-Jours, Éditions Perrin, 2021.

 

Son exil forcé sur l’île d’Elbe a-t-il conféré de la sagesse à Napoléon ? Revenu au pouvoir, entendait-il sincèrement, à votre avis, apporter calme et une plus grande liberté au pays, et si on le lui avait permis, appliquer une diplomatie pacifique à l’extérieur ?

les intentions de Napoléon

Napoléon a passé dix mois à Elbe, et il en est revenu reposé mais certainement pas assagi, comme le montre cette « évasion » spectaculaire et son débarquement le 1er mars à Golfe-Juan. Son retour au pouvoir est justifié par une rhétorique plutôt tortueuse, où il met en avant sa légitimité face à « l’usurpation » bourbonienne, pose en défenseur des intérêts de la France face aux rois de l’Europe et à l’Angleterre ennemie et affirme vouloir sauver la liberté et l’égalité héritées de 1789. Il doit marcher sur une ligne de crête, en promettant à la fois la paix aux Français encore excédés des dernières guerres de l’Empire et aux autres monarques, tout en galvanisant ses anciens soldats en leur rappelant les souvenirs de leurs glorieuses conquêtes.

Entre des sujets pacifiques à qui il promet une monarchie constitutionnelle et une armée rêvant de repartir au combat, dans un contexte diplomatique explosif, la question de ce que désire réellement Napoléon n’a en réalité aucune importance. Il a sans doute quitté l’île d’Elbe avec un discours justifiant son retour soigneusement préparé, un itinéraire planifié jusqu’à Grenoble, Lyon et enfin Paris, mais sans savoir ce qu’il ferait une fois revenu au pouvoir. Et de fait, il est emporté dans une spirale infernale qui le mène vers la guerre, qui le condamne à mentir en annonçant sans cesse la signature d’une paix imminente, et il applique finalement une politique qui ne contente personne et déçoit tout le monde, ses grognards comme les paysans, les grands et petits notables et les libéraux comme Benjamin Constant qui auraient été prêts à se rallier à lui si son projet avait été sincère et cohérent.

 

« La question n’est pas tant de savoir s’il comptait

réussir ou non, mais plutôt de déterminer s’il était

devenu inconscient, ou simplement suicidaire… »

 

Son idée première était sans doute de tenter de restaurer l’Empire tel qu’il avait existé jusqu’en 1814, rêve qui était en réalité parfaitement impossible tant les oppositions étaient fortes, mais qu’il continua à nourrir même après l’humiliation de Waterloo. Sa seconde intention, en revenant en France, était probablement de tenter un baroud d’honneur, de retrouver sa gloire militaire et de marquer la postérité par un coup d’éclat. La question n’est pas tant de savoir s’il comptait réussir ou non, mais plutôt de déterminer s’il était devenu inconscient, ou simplement suicidaire…

 

La guerre nouvelle provoquée par les quatre grands vainqueurs de 1814 pour anéantir l’empire restauré était-elle inéluctable ? Certaines puissances, de premier ou de second ordre, se seraient-elles accommodées du retour d’un Napoléon assagi ?

l’Europe en face

Du point de vue du Congrès de Vienne, l’entente avec Napoléon est impossible. Depuis la fin de 1813, le tsar Alexandre et le prince-régent en étaient convaincus, de même que les souverains allemands qui avaient secoué le joug français, ou encore le prince héritier de Suède, Bernadotte. L’Autriche avait un peu louvoyé avant de se résigner à la guerre à outrance à partir de mars 1814. Certes, la perspective de l’accord final esquissé à Vienne avait probablement déçu certains souverains, tels Murat ou le roi de Saxe, jugés trop proches du vaincu, ou encore le roi de Prusse qui nourrissait d’importants appétits territoriaux. Par ailleurs, Napoléon était peut-être regretté dans quelques-unes de ses anciennes conquêtes, en Italie du Nord notamment, ou même dans quelques secteurs de Belgique ou de la rive gauche du Rhin, mais personne n’envisageait plus de s’entendre avec lui, à l’exception du royaume de Naples où régnaient encore Caroline et Murat.

 

« Pour le dire franchement, depuis 1814,

plus personne ne veut entendre parler de Napoléon,

son nom est devenu synonyme de guerre... »

 

Pour le dire franchement, depuis 1814, plus personne ne veut entendre parler de lui, son nom est devenu synonyme de guerre, et c’est bien contre lui que les Alliés vont reprendre les armes, et non contre la France. Napoléon a fait une grande erreur de calcul en estimant qu’il parviendrait à émouvoir son beau-père l’empereur d’Autriche ou à ramener à la raison son «ami» Alexandre. Après son retour de l’île d’Elbe, il a très vite compris que la diplomatie ne mènerait à rien, tout en continuant à promettre la paix aux Français pendant plusieurs semaines, avant de leur présenter le conflit à venir comme une guerre-éclair purement défensive. La déception de ceux qui l’avaient accueillis à bras ouverts est parfaitement perceptible dans les archives, tandis que le refus de négocier de l’Europe peut s’étudier par les papiers officiels et surtout par les quelques documents concernant la diplomatie secrète menée par Talleyrand et Fouché.

 

Les Bourbons, au premier rang desquels Louis XVIII, et son frère le futur Charles X, ont-ils appris de l’échec de la première Restauration, et de l’élan conféré par leur propre impopularité à l’Aigle en vol ?

chez les Bourbons, l’électrochoc

Les Bourbons et leurs partisans, qu’il s’agisse des royalistes « constitutionnels » et modérés regroupés autour de Louis XVIII ou des « ultras » réactionnaires partisans du comte d’Artois, ont beaucoup appris des Cent-Jours. Ils ont pris conscience de leurs erreurs de 1814, de l’impopularité dans laquelle ils avaient rapidement sombré, ce qui les pousse à travailler ce que l’on appelait pas encore la « communication politique ». Ils ont aussi tiré les conséquences des quelques imperfections de la Charte, qui est légèrement retouchée à la fin de l’été 1815. Comme le montre aussi l’activité intense de la Chambre dite « introuvable » où siège une majorité ultra, les royalistes ont aussi reçu un cours accéléré de parlementarisme, et compris qu’il leur faudrait faire triompher leurs idées par les urnes, et imposer leurs projets par des lois. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de se dire que les Cent-Jours bénéficient en premier lieu au modéré Louis XVIII, mais aussi aux royalistes les plus virulents, qui ont pris conscience des évolutions advenues en France depuis 1789, et compris qu’ils ne pourraient arriver et se maintenir au pouvoir qu’en apprivoisant les formes de la Révolution.

 

Tout bien pesé (bilan des pertes, réduction de la France après le Traité de Paris, renforcement de la suprématie britannique et de la puissance d’une Prusse installée à nos portes, mais aussi modération de la politique des Bourbons et émergence d’un imaginaire glorieux qui marque encore aujourd’hui), l’épisode des Cent-Jours fut-il, pour vous, une catastrophe sans nuance, ou bien sur la balance, les choses sont-elles plus contrastées ?

les Cent-Jours, un bilan

En histoire, tout est affaire de nuances et de perspectives, de sources et de critique, bien plus que de jugements de valeur. La question de savoir si les Cent-Jours ont été bons ou mauvais est donc compliquée à démêler. À court et moyen terme, tous les contemporains s’accordent pour considérer les Cent-Jours comme une catastrophe. Le pays est déchiré et au bord de la guerre civile en juillet 1815, l’occupation étrangère est très violente, le territoire national rapetissé et les caisses de l’État ruinées par une monstrueuse indemnité de guerre. La France était déjà exsangue en 1814, elle sort des Cent-Jours à genoux, et complètement discréditée au plan international.

Dans une telle situation, Louis XVIII, qui a tout fait pour limiter les dégâts, a forcément bénéficié d’un élan de popularité qui profita à toute sa famille et qui donna aux Bourbons un peu plus de dix années de répit. Il faudra vraiment attendre 1826 ou 1827 pour que les erreurs de Charles X fassent oublier son frère, disparu en 1824, et les Français ne se sont soulevés contre leur roi qu’en 1830. Les Cent-Jours ont été un événement d’une telle violence que le pays a été mis au repos forcé pendant quinze années, ce qui a été forcément salutaire après plus de deux décennies de guerres révolutionnaires puis impériales.

Si l’on se place sur le plan politique, les Cent-Jours ont accéléré la formation des partis de droite comme de gauche, qui n’existaient encore qu’à l’état embryonnaire en 1814, permettant ainsi la mise en place de la vie politique au sens contemporain du terme, avec ses nuances et ses clivages.

 

« Les Cent-Jours ont contribué à faire naître

la légende napoléonienne, essentielle plus tard

à l’avènement de Napoléon III... »

 

En ce qui concerne les imaginaires enfin, les Cent-Jours, réinterprétés par le Mémorial de Sainte-Hélène comme un grand moment de défense des valeurs libérales face à l’ultracisme, permettant de faire naître la légende napoléonienne et facilitant plus tard sa récupération politique par Napoléon III. Les Cent-Jours sont une catastrophe économique, diplomatique, militaire et politique, effectivement, mais aussi une période charnière pour la naissance de notre monde actuel.

Interview : début avril 2021.

 

Charles Éloi-Vial

Charles Éloi-Vial. Illustration : France Info.

 

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29 mars 2021

Frédéric Quinonero : « Dutronc se cache plus qu'il ne se montre, même au cinéma... »

En ces temps où l’actu n’est pas très joyeuse, et même carrément déprimante, toute plage d’évasion est bonne à prendre. Et quand il y a du rire, ou même du sourire à la clé, bingo ! La lecture de la nouvelle bio signée Frédéric QuinoneroJacques Dutronc, l’insolent (L’Archipel, mars 2021) procure son lot de moments souriants, parce que Dutronc, grand artiste de la chanson et du cinéma et homme complexe, est aussi doué d’un humour parfois grinçant mais qui souvent fait mouche. Quand on lui demande pourquoi il tient à tourner avec le réalisateur Wim Wenders, il répond : « Parce que j’ai vu les films de Gérard Jugnot, c’est moins bien. » Cette bio, riche et rigoureuse, nous fait suivre les traces d’un faux dilettante, d’un vrai timide un peu rebelle, un peu anar ; une « vieille canaille » qu’on aime bien et dont on aime savoir qu’elle est encore parmi nous, quelque part en Corse. 😉 Entretien, et confidences touchantes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « Dutronc se cache plus

qu’il ne se montre, même au cinéma... »

Jacques Dutronc

Entretien daté du 26 mars ; première mise en ligne sur le blog le 27 mars.

 

Frédéric Quinonero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions faisant suite à la sortie de ton nouvel ouvrage,  Jacques Dutronc, l’insolent  (L’Archipel, mars 2021). Quelques années après ton livre sur Françoise Hardy, écrire une bio de Dutronc, ça sonnait pour toi comme une évidence ?

pourquoi Dutronc ?

Oui et non. Dutronc était une évidence, car il fait partie de mon panthéon personnel. Il est du pays de mon enfance. Je me suis souvenu en écrivant qu’il faisait la «  une  » du premier Salut les copains que mes parents m’avaient acheté au début des années 70. Il m’intimidait un peu, comme je l’explique en avant-propos. Il fallait que je me lance.

 

Le livre s’ouvre sur une préface sympathique écrite par Thomas Dutronc, et surtout est parsemé de témoignages riches et parfois très profonds de la part de Françoise Hardy. Le contact avec eux deux pour ce livre s’est-il établi facilement  ?

histoire de famille

Oui. Ce sont des gens simples, directs, généreux. Qualités rares dans ce milieu. Pour la petite anecdote, c’est à la faveur d’une chanson d’Antoine Élie, La Rose et l’Armure, que j’ai entamé une conversation à distance avec Françoise Hardy. Il y a un an et demi, cette chanson (et son CD tout entier) tournait en boucle chez moi et dans ma voiture. La première fois que je l’ai entendue, j’ai aussitôt pensé à Françoise. Je me suis dit que c’était exactement le style de chanson qu’elle devait adorer. Ne sachant pas comment l’aborder par courriel, ce fut le prétexte idéal. Le merveilleux, l’étrange, c’est que je ne savais pas que La Rose et l’Armure tournait aussi en boucle chez elle. Parmi les centaines voire les milliers de chansons qui sortent chaque année, j’avais pile choisi son coup de cœur du moment ! Nous en étions tous deux stupéfaits. Cette conversation commencée grâce à Antoine Élie a abouti à ce beau témoignage dans ma biographie de Jacques Dutronc. Dommage qu’on se soit bêtement loupés lorsque j’écrivais mon livre sur elle… La préface de Thomas est arrivée au dernier moment, comme la cerise sur la chantilly. Il a demandé à lire mon texte, je le lui ai fait imprimer et envoyer en Corse pendant le deuxième confinement. Il me faisait part de ses impressions tout au long de sa lecture. Ça lui a fait du bien, je crois, en ces temps troublés, de s’immerger dans la vie de ses parents et de ses grands-parents. Il m’a dit des choses très belles qui m’ont beaucoup touché.

 

Dutronc débute son parcours d’artiste comme guitariste. Chanteur, il le devient un peu par hasard. Il y en aura eu beaucoup, des hasards, ou quand même pas mal de volonté, de plans dans sa carrière ?

par hasard ?

Tout lui est arrivé par hasard, la chanson comme le cinéma. De même, il a eu la chance de trouver aussi, sans trop le chercher, l’amour de toute une vie. C’est un homme qui a eu beaucoup de chance. Mais la chance il faut savoir l’inspirer et l’utiliser, elle est souvent associée au talent. Planifier  ? Ce n’est pas trop son genre. Il a plutôt tendance à laisser venir. Quand il s’engage sur un projet, cependant, il le fait sérieusement.

 

De sa collaboration avec l’auteur Jacques Lanzmann est né l’essentiel de ses succès musicaux, principalement entre 1966 (Et moi, et moi, et moiLes CactusLes Play-boys) et 1972 (Le Petit Jardin), en passant par Il est cinq heures, Paris s’éveille et L’Opportuniste (1968). Qu’est-ce qui les a réunis, et qu’est-ce qui, en dépit des brouilles, les  unissait, ces deux-là ?

les deux Jacques

On ne sait jamais précisément pourquoi l’alchimie prend dans un duo artistique… Le fait est qu’elle a été parfaite entre les deux Jacques, présentés l’un à l’autre par l’entremise de Jean-Marie Périer et de son patron Daniel Filipacchi. À l’origine, un autre Jacques, Wolfsohn, directeur artistique chez Vogue, cherchait un chanteur capable de concurrencer Antoine, qui venait d’être lancé par un autre grand producteur de la maison Vogue, Christian Fechner, qu’il détestait cordialement. Il fallait aussi un auteur qui sache capter l’esprit de son temps. Et ce fut l’union sacrée. La voix et la musique de l’un, ajoutées à son allure et sa personnalité, ont fusionné à merveille avec les mots de l’autre. De quel côté penche la balance  ? Dans un duo, chacun veut souvent tirer la couverture à soi, d’où les fâcheries. Qu’importe. Leurs chansons, pour la plupart, ont fait mieux que s’inscrire avec succès dans une époque, elles ont traversé le temps. Et leurs noms demeurent historiquement associés.

 

Avec Gainsbourg, il y a eu de la création musicale mais surtout, ils étaient potes ?

Gainsbourg & moi

Ils se sont d’abord détestés. C’est Françoise Hardy qui les a rapprochés. Et ils sont devenus les meilleurs amis du monde. Enfin, ils étaient surtout potes de beuverie. Ils aimaient finir la nuit dans les postes de police, buvant des coups avec les flics. Deux grands gamins ensemble  ! Cependant, au niveau création musicale, même s’il y eut quelques fulgurances musicales, la mystérieuse alchimie qui fait le succès ne fonctionnait pas.

 
 
Tes titres préférés parmi toutes les chansons de Dutronc, particulièrement parmi les moins connues ?

playlist dutronienne

Paris s’éveille est pour moi l’une des plus grandes chansons du patrimoine français  ! J’ai beaucoup dansé sur La Fille du père Noël. Enfant, j’adorais L’Hôtesse de l’air et L’Arsène. De la période Gainsbourg, je retiens surtout L’Hymne à l’amour (moi l’nœud). J’ai un faible pour Entrez, m’sieur, dans l’Humanité. Dans les moins connues, j’invite à découvrir La Pianiste dans une boîte à Gand, à l’ambiance jazz. Parmi les curiosités, je recommande L’âne est au four et le bœuf est cuit, qui avait heurté en son temps quelques bons paroissiens.

 

Il est cinq heures, Paris s'éveille (Live au Casino de Paris 1992).

La préférée des deux contributeurs de cet article. Avec la flûte magique ! 😍

 

À partir d’un film fait avec l’ami Jean-Marie Périer, au début des années 1970, son parcours est de plus en plus axé ciné. A-t-il trouvé dans cet exercice-là (faire l’acteur) un nouveau type de challenge qui peut-être, l’implique davantage ? Peut-être, celui où il s’épanouit le plus ?

l’acteur

S’il mésestime la chanson («  un métier d’escroc  », dit-il), Jacques Dutronc considère le cinéma comme un art majeur, ce qui lui pose problème lorsque Jean-Marie Périer insiste pour lui faire franchir le pas. Par respect, il préfère être spectateur qu’acteur. Il a tort, et va le prouver. Car il a une vraie nature d’acteur. Un charisme de dingue, une aura particulière. Il lui suffit d’«  être  », de s’approprier un personnage, d’en restituer les émotions. Tout en sobriété. L’air de rien. Ce n’est pas si simple. Et ça demande plus de sérieux et d’engagement qu’on ne croit. S’y épanouit-il  ? Sûrement. Le métier d’acteur va bien aux timides, il leur permet de mieux se cacher derrière un personnage. Dutronc se cache plus qu’il ne se montre. Même au cinéma. Jouer la comédie a des vertus thérapeutiques. À condition d’être en confiance, de faire les bons choix. Si l’on prête attention à la filmographie de Jacques Dutronc, on remarque qu’il a tourné avec les plus grands cinéastes de son temps, de Zulawski à Pialat, en passant par Lelouch, Deville ou Sautet. Truffaut, Wenders et Spielberg ont rêvé de lui pour un film. Dutronc n’est pas si dilettante qu’on se le figure.

 

Quels films avec Dutronc mériteraient, à ton avis, d’être découverts ou redécouverts ?

filmo sélective

Son talent dramatique est révélé par Andrzej Zulawski dans L’important c’est d’aimer. Incontournable dans la carrière d’acteur de Dutronc, tout comme Van Gogh, qu’il incarne au sens strict du terme – César du meilleur acteur en 1992. Pour retrouver sa beauté renversante, il faut le revoir dans Le Bon et les Méchants de Lelouch, Violette et François de Rouffio ou Sale rêveur de son ami Jean-Marie Périer. Je le préfère sensible et émouvant dans C’est la vie, de Jean-Pierre Améris, où il forme avec Sandrine Bonnaire un irrésistible couple de cinéma. Parmi les films à (re)découvrir, Malevil est une curiosité dans le genre des films de science-fiction. Et si l’on revoit l’excellent Merci pour le chocolat, c’est surtout pour Isabelle Huppert, machiavélique à souhait, et le génie de Claude Chabrol, avec qui Jacques Dutronc avait lié amitié.

 

Comment décrire sa relation iconique et en même temps, très atypique, avec Françoise Hardy ? Au fond, ces deux-là ne sont-ils pas avant tout, bien qu’aussi différents qu’on peut l’être, les meilleurs amis du monde ?

Françoise et Jacques

Ils le sont devenus. Jacques Dutronc a eu la chance de tomber sur une épouse aimante et surtout patiente. D’autres seraient parties depuis longtemps. Françoise Hardy a fait de ses longues heures à attendre son amour toute son œuvre artistique. Elle avoue aujourd’hui que Dutronc est l’homme de sa vie et considère qu’elle aussi a eu beaucoup de chance de l’avoir rencontré. Ils ne se sont jamais autant parlés que depuis ces dernières années. Ils sont désormais des confidents et éprouvent une tendresse infinie l’un pour l’autre. «  Aimer l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit  », tel est l’amour absolu selon Françoise Hardy.

 

Bon et finalement, Dutronc, ce Corse d’adoption qui a si bien chanté la capitale, il aime plus Paris ?

On court partout ça l'ennuie ! 😉

 

Alors, finalement, après avoir mené cette enquête, c’est qui, Jacques Dutronc ? Agaçant parfois, souvent attachant, ok. «  Insolent  », soit, anticonformiste,  est-ce qu’il l’est vraiment ? Qu’est-ce qui, chez lui, est carapace à l’image de ses fameuses lunettes noires, et quelle est sa vérité ?

Je laisse le soin aux lecteurs de s’en faire une idée. De mon côté, je vais tout relire et je réponds après (rires).

 

 
 
Trois adjectifs, pour le qualifier ?

Insolent, caustique, attachant.

 

Entre 2014 et juillet 2017, Dutronc a formé un trio mythique avec deux potes, Johnny et Eddy, connus à l’époque bénie du Golf-Drouot. Ces trois-là, inutile de le rappeler ici, ont chacun réalisé un parcours superbe, chacun dans son style, et chacun à sa manière. Est-ce qu’ils partageaient tous trois une conception du show-biz propre à leur époque (On veut des légendes) et qui ferait défaut aux artistes d’aujourd’hui ?

Vieilles Canailles

Aujourd’hui, la communication et le marketing sont devenus des composantes plus importantes que les qualités artistiques  ! Pour toucher un artiste, il faut passer par une armée de managers et de conseillers en image. Le show-biz est représentatif de son époque. On ne mise plus désormais sur la durée, on ne considère que l’instant. Il faut que ça rapporte. Les chanteurs ont perdu la faculté de faire rêver. Le temps des idoles est révolu. Les gamins préfèrent les footballeurs. Johnny, Eddy et Jacques ont connu le temps béni où tout était à créer et à rêver. Les choses se faisaient encore de façon artisanale. Avec fraîcheur, spontanéité et insolence. L’avenir était permis.

 

De 2014 à 2017, on a eu trois légendes...

 

Parmi les témoignages les plus intéressants de ton livre, il y a, avec ceux de Françoise, toutes les confidences que t’a faites le photographe légendaire de  Salut les copains, Jean-Marie Périer. Lui aura été, comme un fil rouge dans ces parcours 60s que tu as suivis, depuis tes débuts de biographe : Johnny bien sûr, Sylvie, Sheila, Jane, Françoise et Jacques... N’est-il pas lui aussi, définitivement, un acteur essentiel de ces années-là ?

Périer, l’ami, l’âme des 60s à la française ?

Tout à fait. Il est à peu près du même âge que les chanteurs que tu cites et faisait partie de la «  bande  ». Pour officialiser l’union de Françoise et Jacques, c’est à lui qu’on fait appel. De même, il est le témoin du mariage de Sylvie et Johnny, qu’il accompagne en voyage de noces  !... Je ne pense pas qu’il ait photographié Jane, cependant. C’est plutôt Tony Frank qui était le photographe attitré du couple Birkin/Gainsbourg… Ayant beaucoup écrit sur les idoles de cette époque, j’ai souvent interviewé Jean-Marie Périer. Pour me parler de son ami Jacquot, il a voulu que je le rejoigne dans sa retraite aveyronnaise et m’a fait découvrir une auberge à la lisière du Lot où l’on déguste une cuisine du terroir absolument divine  !... Je n’ai rencontré que de belles personnes, au cours de l’écriture de ce livre.

 

Je crois savoir que tes projets à venir, consisteront, notamment, en une bio (attendue !) de Serge Lama, et en un nouvel ouvrage sur Julien Doré. D’autres envies, d’autres thèmes ou pourquoi pas, des envies d’ailleurs ?

projets

Je voudrais pouvoir écrire des choses plus personnelles. J’ai des bouts de textes qui traînent dans les tiroirs, des romans inachevés… Et, de façon moins impérieuse, une biographie de temps en temps. Sur un sujet choisi. Il me faudrait trouver une autre activité qui me le permette. J’aimerais qu’on fasse appel à moi pour certaines de mes compétences, pour mes connaissances sur la chanson française, par exemple… En attendant, j’espère que ma façon d’écrire et la bienveillance avec laquelle j’aborde les biographies vont finir par trouver un écho dans ce milieu. Les compliments de Thomas Dutronc me le laissent croire.

 

Un dernier mot ?

Une boutade dutronienne  ? «  « J’ai arrêté de croire au Père Noël le jour où, dans une galerie marchande, il m’a demandé un autographe. »

 

Frédéric Quinonero 2021

 

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25 janvier 2021

Eloge de la chanson populaire, avec Arsène (N'oubliez pas les paroles)

Peu de gens sans doute se souviendront de 2020, marquée d’une pierre noire par la pandémie de Covid-19, avec nostalgie : l’année passée, les articles Paroles d’Actu, comme ceux du monde entier, auront d’ailleurs été largement empreints de cette lourdeur. Dans ce contexte, j’ai souhaité donner la parole à quelqu’un qui lui, peut affirmer sans offenser quiconque qu’il a vécu une année 2020 formidable : Arsène, jeune Rouennais de 22 ans, a compté ces derniers mois parmi les grands Maestros de N’oubliez pas les paroles, le jeu musical que présente Nagui sur France 2. Vainqueur du tournoi des Masters de novembre après un parcours remarqué au printemps dernier, il a été une des révélations de l’année télé, côté candidats. L’échange qui suit a été réalisé entre le début du mois de décembre et la mi-janvier : c’est une rencontre, au meilleur sens du terme, avec un jeune homme ayant vécu, grâce à son travail, une aventure rare qui aura transformé son existence. Merci à toi, Arsène, pour la confiance que tu m’as accordée, et pour toutes ces confidences. Bon vent (normand évidemment) ! Une exclusivité Paroles d’Actu, plus légère donc. ;-) Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

Éloge de la chanson populaire,

avec

Arsène

(Noubliez pas les paroles)

 

Arsène NOPLP

 

Bonjour Arsène et merci d’avoir accepté cet interview pour Paroles d’Actu. On va parler dans un instant de l’émission qui t’a fait connaître, mais avant cela, qu’aurais-tu envie que nos lecteurs sachent de toi ?

Bonjour, je m’appelle Arsène, j’ai 22 ans et je suis Rouennais. Je fais des études d’histoire à l’université de Rouen, ville où j’ai toujours vécu. Je suis actuellement en Master 2.

 

 

Il y a deux semaines, tu remportais le tournoi des Masters de N’oubliez pas les paroles. Comment as-tu vécu cette victoire ?

Je suis extrêmement fier de ma victoire aux Masters. Je me permets de le dire parce que j’ai énormément travaillé pour y arriver. Bien sûr, j’ai aussi eu de la chance, et forcément il y a une part de chance, dont certains de mes concurrents ont pu manquer.

 

« J’ai beaucoup travaillé pour préparer les Masters,

je suis très content que ça ait payé,

au-delà même de mes espérances. »

 

Je n’ai pas du tout relâché mes efforts depuis mes passages télé d’avril. J’ai continué à me préparer pour les Masters tout l’été et toute la rentrée, plusieurs heures par jour. Et je suis très content que ça ait payé, au-delà même de mes espérances : j’avais l’espoir d’arriver en demi-finales et de gagner un peu d’argent, j’ai gagné les Masters et 112.000€ (le record de gains pour des Masters). Je ne pouvais pas rêver mieux.

 

Cette victoire a-t-elle une saveur particulière par rapport à ton parcours dans le jeu ?

J’étais forcément un peu déçu d’avoir perdu en avril. Je ne reviendrai pas sur les polémiques autour des conditions de ma défaite, ça n’a pas lieu d’être ici, mais je pense que tous les Maestros, quels que soient leurs gains, sont déçus de perdre, et les Masters peuvent être une occasion de montrer qu’on est encore là, dans le jeu, et c’est plutôt bien.

 

J’ai lu que tu avais pas mal écouté Nostalgie notamment, et évidemment révisé beaucoup de chansons, avec l’humilité de dire qu’en tant qu’étudiant, c’était plus facile pour toi de dégager du temps pour cela. Mais quand même, ça a supposé une vraie discipline non ? Quelle organisation, et combien d’heures passées à mémoriser des chansons ?

Oui, cela demande pas mal de méthode, d’organisation et de temps. Ma méthode d’apprentissage s’est affinée. J’ai gagné en méthode depuis que j’ai commencé à apprendre des chansons. En tout, ça m’a pris un peu plus d’un an et demi.

J’ai commencé à apprendre des chansons par coeur une par une juste après mon deuxième casting, en 2018 (je n’avais pas été retenu). Pas mal de titres très connus comme Double je de Christophe Willem, L’Aziza de Daniel Balavoine, ou Que je t’aime de Johnny... J’ai appris à peu près 150 tubes incontournables pour, le jour où je passerais à l’émission, être assuré de marquer quelques points.

Je me suis rendu compte au fur et à mesure que j’apprenais bien, que ça restait gravé dans ma mémoire. Et je redoutais un peu de faire un score très bas dans l’émission, quelques points puis repartir. Donc je me suis dit qu’il me fallait apprendre un maximum de chansons pour réduire ce risque. Je ne pensais même pas forcément à gagner de l’argent, à ce moment-là, encore moins à devenir Maestro.

Pendant un peu plus d’un an, j’ai continué à apprendre des chansons, et c’est devenu comme une gymnastique cérébrale que j’aimais bien.

J’avais une méthode assez précise. Je téléchargeais toutes les chansons qui tombaient dans le jeu et que je ne connaissais pas. C’était, un jour sur deux, apprentissage et révisions. Le jour "apprentissage", j’écoutais deux ou trois fois la chanson que je voulais apprendre, pas plus, ensuite j’écoutais d’autres chansons que je voulais apprendre. Le lendemain, je révisais aléatoirement quelques chansons de la playlist que j’étais censé connaître. Puis je réécoutais deux ou trois fois celles écoutées l’avant-veille. Je trouvais que c’était plus efficace que d’écouter trente fois une même chanson en une journée. De cette façon, la chanson fait son chemin dans notre cerveau et s’ancre dans notre mémoire de manière presque indolore. Je voyais la liste de mes chansons apprises grossir, c’était gratifiant et encourageant.

Lors de mes premiers tournages, je suis ainsi arrivé avec 900 chansons en tête. Ca a représenté beaucoup de travail. Un an avant mes tournages, j’y passais une demi-heure à trois quarts d’heure par jour, et dans les dernières semaines avant, je ne faisais quasiment que ça de mes journées. Aujourd’hui, je connais environ 1150 chansons.

 

 

Pas mal en effet ! Qu’est-ce qui est plus compliqué, devoir apprendre des dates historiques, ou bien des paroles de chansons ? Est-ce que le fait que celles-ci soient en rythme et en musique aide aussi à la mémorisation ?

Ce n’est pas vraiment la même chose. J’ai appris quelques dates historiques à l’école ou au collège, à l’époque où on nous demande d’apprendre des dates par coeur. Aujourd’hui, quand on est à l’université, ces choses sont ancrées et on ne nous demande plus vraiment d’apprendre par coeur, sauf pour les examens de fin d’année.

 

« Ce qui m’a aidé à apprendre des chansons,

c’est surtout que j’adore ça. »

 

Ce qui m’a aidé à apprendre des chansons, c’est surtout que j’adore ça. J’écoute beaucoup de chansons depuis très longtemps. Je suis un fan de variété française. J’écoute beaucoup de CD, la radio, et j’ai une platine vinyle. J’ai donc acquis une culture musicale de base, donc avant d’apprendre des chansons pour l’émission, sans vraiment chercher à l’acquérir. Donc je n’ai pas vécu cela comme l’apprentissage d’un cours d’histoire ou d’une poésie.

 

Quels conseils donnerais-tu à une personne, jeune ou moins jeune d’ailleurs, qui aurait envie de se frotter sérieusement à ce jeu, qui d’ailleurs est très populaire ?

Je peux renvoyer cette personne aux conseils que je viens de te donner. Une méthode plutôt indolore. Mais évidemment, ça dépendra du temps dont elle pourra disposer.

Ce qui aide, c’est simplement aimer ça. Pour moi, au bout d’un moment, ça devenait presque une drogue. Quand je me levais le matin, j’allais faire ma balade de deux heures dans la forêt ou sur les quais de Seine à Rouen, avec mes écouteurs dans les oreilles, et j’écoutais des chansons, beaucoup de chansons. Ces apprentissages sont liés pour moi à de bons moments.

Il faut aussi être conscient qu’il y a une grosse part de chance. Le fait d’apprendre des chansons ne fait que réduire la part de la chance et augmenter celle du mérite. On peut très bien avoir appris 1500 chansons et ne tomber que sur des titres qu’on ne connaît pas. Avec, aussi, le risque de perdre ses moyens sur une chanson, de bafouiller, ce qui était vraiment mon cauchemar, surtout sur une chanson que je connaissais. J’aurais travaillé des mois pour rien.

Pour diminuer ce risque de perdre ses moyens, je conseille aux candidats de multiplier les karaokés en public (quand c’est possible !) en évitant de regarder les paroles sur le prompteur, pour se tester. En tout cas il faut y consacrer beaucoup de temps et de travail.

 

Il y a trois ans tout juste, on apprenait la disparition de Johnny Hallyday (question posée le 5 décembre 2020, ndlr). Est-ce qu’il fait partie de ces artistes que tu aimes et qui t’inspirent ? Et quels sont-ils, ces artistes qui ont pour toi une place particulière ?

Johnny Hallyday j’aime bien, sans plus. C’est évidemment un monstre sacré de la variété et du rock en France, une légende du fait de sa puissance vocale, de son allure, de sa beauté physique, de son charisme, de sa longévité et de sa capacité à traverser les époques et les modes. On a tendance à l’oublier, mais il a aussi connu de petits creux notamment à la fin des années 70 et dans les années 2000.

J’aime beaucoup de chansons de lui mais je ne le classerais pas parmi mes chanteurs favoris. J’ai été marqué par plusieurs chanteurs, durant des périodes successives de ma vie.

À une époque, j’aimais beaucoup Joe Dassin. Il chantait des hymnes populaires qui étaient aussi des titres de qualité, des hymnes populaires, intelligents et émouvants.

J’aime beaucoup Claude François pour sa capacité à traverser, lui aussi, les modes et les époques. Ses derniers titres disco, Alexandrie, Alexandra et Magnolias for ever sont vraiment de qualité, même les spécialistes le disent. Les orchestrations sont très recherchées, bref ce sont de bonnes chansons.

Quand j’étais ado j’aimais aussi beaucoup Hervé Vilard et Sheila, des chanteurs populaires sans prétention qu’on dénigre un peu aujourd’hui mais que j’aime bien.

Mon chanteur favori, c’est Michel Sardou. Pour moi, le plus grand chanteur français derrière Johnny, et avant Jean-Jacques Goldman. Le trio de tête.

 

« Je rêverais d’avoir la voix de Michel Sardou. »

 

Les textes de Sardou sont intelligents, les mélodies composées pour lui sont toutes très belles, et il a une voix exceptionnelle que j’aimerais bien avoir, mais je peux toujours rêver (il est ténor et je ne suis pas ténor donc ce rêve-là je peux l’enterrer). Sardou c’est le chanteur “tout court”. Il n’est ni le chanteur “rock” comme Johnny, ni le chanteur “auteur-compositeur” à la Goldman, ni le chanteur à minettes comme Patrick Juvet, ni le chanteur jazz comme Michel Jonasz, etc... C’est ça que j’aime bien. Il ne cherche pas à être spécialement original. Il fait de la chanson.

Tous ces artistes que je viens de citer, qui ont eu leur heure de gloire dans les années 70-80, ont eu cette particularité de faire des chansons populaires, des tubes qui étaient des chansons de qualité. Aujourd’hui, je trouve que c’est un peu soit l’un soit l’autre. Les chanteurs de qualité ont une audience limitée, et les chanteurs qui sont dans les tops des ventes sont moins bons à mon avis.

 

C’est quoi tes quelques chansons préférées, celle que tu connais depuis longtemps sans avoir eu à les apprendre et que tu chantes, pour le coup, pour le plaisir ?

Je vais t’en citer cinq, dont une en anglais. Je pense que c’est un bon choix. Ce sont vraiment des chansons que j’aime spontanément, et que je n’ai pas eu besoin comme tu l’as dit de les “travailler” spécialement pour l’émission.

La première, une des chansons que j’ai le plus écoutées dans ma vie, et en tout cas dans mon adolescence, c’est Nous (1979) de Hervé Vilard. Elle a été un énorme tube quand elle est sortie, mais, comme beaucoup de chansons de cette époque-là (je pense à Reviens, à Rêveries de Hervé Vilard, ou à certains titres de Sheila), injustement oubliée ensuite parce que très peu diffusée en radio. Même sur Nostalgie !

 

« Ado, j’étais un peu groupie

du Hervé Vilard des années 70. »

 

J’aime beaucoup Hervé Vilard. Quand j’étais ado, j’étais un peu groupie du Hervé Vilard des années 70, je le trouvais beau, bien coiffé (je rêvais d’avoir sa coupe de cheveux). Si j’avais été chanteur, il était celui que j’aurais aimé être à l’époque. Nous, c’est un peu la chanson qui a lancé sa deuxième partie de carrière, parce qu’il était déjà connu dans les années 60 avec Capri c’est fini ou encore Mourir ou vivre. Nous, c’est un slow qui parle d’une rupture amoureuse, un très beau texte de Claude Lemesle (qui a écrit notamment pour Sardou, Reggiani, Joe Dassin...) sur une mélodie de Toto Cutugno. Pour moi ce texte est vraiment poétique. Certaines mauvaises langues diront que c’est de la poésie un peu facile, “grand public”, mais c’est de la belle poésie. “C’est un cri arraché au ciel, Un rayon qui manque au soleil”. Moi ça me parle, et ça fait un ensemble assez poignant.

La deuxième, ce serait Marie-Jeanne, de Michel Sardou, en 1990. Son dernier gros tube (il en connaîtra un autre dans les années 2000 avec La rivière de notre enfance, en duo avec Garou). Cette chanson aussi est un peu oubliée aujourd’hui, parce qu’il est rare qu’elle sorte quand on demande à quelqu’un de citer trois ou quatre chansons de Sardou. Elle contient un peu tout ce que j’aime dans la chanson française, et chez Sardou en particulier : d’abord ce rythme assez dansant (j’aime la variété rythmée) même si on ne danserait pas forcément sur cette chanson, cette alliance d’une mélodie planante (notamment sur le refrain) avec une orchestration très rythmée (guitares électriques, basses, synthé, boîte à rythmes...). J’aime aussi la belle voix puissante de Michel Sardou, et ce texte sur un ton désabusé, sur le temps qui passe : “Les Marie-Laure, Les Marie-Jeanne, Dans la fumée de ma gitane, Que sont nos amours devenues ?”. Il dresse un portrait un peu acide de toutes ces femmes qui ont eu des rêves d’enfance qui ne se sont pas réalisés. Ce ton désabusé correspond assez à mon caractère.

La troisième, Elle m’oublie de Johnny Hallyday (1978). Encore une fois, un tube de Johnny mais pas son plus gros tube, pas celui qu’on citerait en premier. C’est aussi un des premiers grands succès écrits par Didier Barbelivien qui a écrit énormément de succès dans les années 70 et surtout 80, dont On va s’aimer, Méditerranéenne, etc... Ce que j’aime dans ce texte, c’est que ce sont des paroles très simples, où le narrateur imagine ce que devient une fille qu’il a connue et aimée. Il imagine qu’elle l’oublie, avec, dans les couplets, une succession de détails du quotidien écrits très simplement et qui sont assez parlants : “Demain matin, bien sûr, elle arrive à Paris, Elle retrouve les rues, ses parents, ses amis, Je lui donne trois semaines pour tomber amoureuse, Et devant son miroir, elle est déjà heureuse, elle m’oublie”. On y pense forcément quand on est dans cette situation, celle d’une rupture, ou quand on songe à quelqu’un qui s’est détaché de soi.

 

 

La quatrième, Fais-moi une place de Julien Clerc (1990). C’est la moins mal lotie des quatre déjà citées, elle a bien traversé le temps et reste très connue. Julien Clerc a composé la mélodie, et le texte est signé Françoise Hardy. Comme beaucoup de chansons de Julien Clerc, elle est très mélodieuse, et le texte colle parfaitement à la voix de l’interprète, avec son fameux vibrato. La chanson s’inscrit dans un album (“Fais-moi une place”) que je trouve très bon (bien que je ne sois pas critique), avec beaucoup de belles chansons, des mélodies un peu planantes (je pense notamment à Le verrou, à Petit Joseph ou à Le chiendent).

La cinquième, c’est une chanson en anglais mais chantée par une chanteuse française, c’est Spacer de Sheila. Avant ma période Hervé Vilard, je me suis beaucoup intéressé à la carrière de Sheila, vers mes 11 à 13 ans. J’aimais ses chansons, j’ai emprunté son best of à la médiathèque et je soûlais mes parents avec elle en partant en vacances (rires). Ce qui m’a fasciné chez Sheila, c’est sa carrière, un peu comme un conte de fées. Elle a eu une carrière très longue, même si elle est un peu dénigrée aujourd’hui parce qu’elle fait partie de ces chanteuses, comme Mireille Mathieu, Nana Mouskouri ou Michèle Torr, qu’on considère comme étant un peu “gnangnan”. Moi j’aime bien. Ce sont des chansons populaires, qui pour certaines ont peut-être un peu mal vieilli, mais avec des refrains accrocheurs, qui restent en tête, et qui sont pour la plupart bien écrites.

 

« J’aime Sheila, qu’on considère comme étant un peu

"gnangnan" aujourd’hui. Ce qui me passionne dans

sa carrière, c’est qu’elle a épousé toutes les modes. »

 

Ce qui me passionne c’est que, dans sa carrière, Sheila a épousé toutes les modes. D’abord sa carrière yéyé, avec ses couettes, puis sa coiffure bouffante, son espèce de “casque” avec son kilt, ses petits chemisiers... Ensuite, les années 70 avec ses cheveux longs, la période avec Ringo, ses costumes moulants à paillettes, ses combinaisons pattes d’éléphant, et des chansons qui se rapprochaient de plus en plus de la vague disco. Vague qu’elle embrasse clairement avec cette chanson donc, Spacer. Un nouveau départ pour elle, parce qu’elle était un peu coincée dans son registre de chansons un peu mièvres pour mères de famille des années 70. Elle part aux États-Unis et y rencontre, je crois, le producteur du groupe Chic, qui va lui faire cette chanson qui aura été un tube là-bas. Elle ne passe plus beaucoup en radio mais elle a permis de découvrir un nouveau visage de Sheila, peut-être un peu plus dans le vent. J’aime sa mélodie qui paraît tellement évidente et “tubesque”, cette belle intro au piano... J’ai beaucoup écouté ce vinyle !

 

Que retiendras-tu de cette expérience télé, je pense au contact avec Nagui, les équipes du jeu et aux coulisses en général ? La télé, ça t’attire ?

Je vais essayer de répondre à deux questions que me posent assez souvent les gens qui me connaissent, ou même ceux que je croise dans la rue  : 1/ il est sympa Nagui  ? 2/ c’est pas un milieu de requins, la télé  ?

Est-ce que Nagui est sympa  ? J’aurais du mal à répondre, parce que je connais assez peu. Ce n’est pas du tout un reproche que je lui fais, la plupart des Maestros sont aussi dans mon cas. C’est un homme très occupé. La plupart de nos interactions avec lui se font sur le plateau, devant les caméras. Il vient nous saluer avant qu’on arrive sur le plateau, mais on enchaîne tout de suite après sur l’émission. Il cherche la spontanéité, à nous découvrir et est sincèrement curieux des gens sur le plateau. Mais ensuite, il passe vite à autre chose. Encore une fois ce n’est pas un reproche  : tout s’enchaîne très vite, il doit s’intéresser aux candidats suivants, qu’on soit Maestro ou pas d’ailleurs. Il ne reste pas en coulisses avec nous pour boire un verre ou manger avec nous, et forcément ne peut pas être très disponible.

 

 

J’ai toujours trouvé l’ambiance en coulisses très bonne, que ce soit avec les Maestros ou avec les candidats «  normaux  » (quand j’étais un candidat  «  normal  »). C’est vraiment très bon enfant. On est tous préparés, briefés, en petits groupes. La production, les équipes de casting, etc... font tout pour nous chouchouter. On nous explique comment ça va se passer, comment se placer sur le plateau, comment être avec Nagui, etc... On nous maquille, on nous coiffe, on choisit nos vêtements avec la costumière. Il y a de quoi manger et de quoi boire. Quand arrivent les tournages, on attend notre tour, juste derrière le plateau. On voit Nagui et le candidat de dos, on chante en même temps que lui, on apprend à se connaître avec les autres, on compare nos connaissances musicales... J’ai de très bons souvenirs de cette ambiance, qui aide à relâcher la pression avant de monter sur le plateau. Et tout cela centré autour de la chanson française, qui nous rassemble tous.

 

« Me verrais-je faire de la télé  ? Je ne suis pas sûr. »

 

De très bons souvenirs donc. Pour autant, est-ce que je ferais de la télé  ? Je ne suis pas sûr. Il y a des gens qui me trouvent décontracté sur le plateau, mais c’est normal, on est des candidats, mis en valeur par Nagui qui nous pose des question et cherche à faire ressortir le meilleur de nous-mêmes. S’il sent un embarras, il passe à autre chose, etc. Je ne sais pas si je serais à l’aise à travailler vraiment à la télé.

 

Est-ce que ce goût de la chanson et de la musique, que tu as démontré émission après émission, te donne envie (et peut-être est-ce déjà un projet) de te créer ton propre univers musical ? D’ailleurs, est-ce que tu écris un peu, et est-ce que tu joues de la musique ?

Je peux dire qu’un de mes rêves plus ou moins assumés et précis serait d’être chanteur, mais uniquement chanteur à succès (rires), je ne me vois pas galérer pendant 15 ans dans des petites salles. Comme dans Le chanteur de Balavoine, si je pouvais faire des tubes, gagner des thunes, ce serait bien  !

J’ai commencé à écrire des chansons pour la première fois quand j’avais 15 ans. J’en faisais une de temps en temps, c’était pas terrible, vraiment, mais j’essayais de m’inspirer de toutes les chansons que j’aimais bien. J’ai plus ou moins laissé tomber par la suite, puis j’ai acquis des livres de conseils pour écrire des chansons, dont L’art d’écrire une chanson de Claude Lemesle, auteur à succès que j’ai cité tout à l’heure. J’ai lu ce livre, regardé des vidéos de conseils sur internet, etc...

 

« Au niveau des textes que j’écris, il y a encore

du chemin à faire, mais je constate que

je m’améliore, que ça devient potable. »

 

En tout, j’ai dû écrire, depuis le début, une vingtaine de chansons. Sur ces vingt, quatre ou cinq doivent être correctes. Mais je remarque que, j’ai beau en écrire peu, c’est vraiment un exercice auquel on ne peut que progresser. Au départ, je faisais des trucs d’ado assez nazes, mais au fur et à mesure que j’en écrivais, j’évitais des lourdeurs, je tournais mieux mes phrases, et je constate que je ne fais que m’améliorer. Il y a encore du chemin, mais ça commence à devenir potable, si on imagine certains textes avec de vraies mélodies.

Ces projets se précisent un peu. Après mes diffusions d’avril, j’ai été contacté par un studio d’enregistrement dans l’est de la France tenu par une des Maestros, Johanna. Elle m’a contacté, avec son associé, pour me proposer de me faire un titre sur mesure (paroles, musique, éventuellement un clip) gratuitement, parce que ça leur fait de la publicité de faire une chanson pour un Maestro. À plus forte raison maintenant que j’ai gagné les Masters. J’ai accepté, mais je leur ai dit que j’avais envie d’écrire les paroles, parce qu’il y a certains textes dont je suis satisfait. À leur charge de trouver une mélodie et des arrangements. Je leur ai envoyé un texte, dont je tiens la teneur secrète pour le moment, mais je ferai un peu de pub au moment de sa sortie. Ils planchent actuellement sur l’accompagnement, sur la base de pistes que je leur ai données concernant le style que j’aimerais. J’ai écouté plusieurs de leurs chansons et je suis sûr que ce qu’ils me proposeront va donner quelque chose de bien.

Écrire une chanson, c’est vraiment un exercice difficile. C’est assez ingrat parce qu’on peut passer des heures pour pondre une ou deux lignes à peu près potables. Parfois on ne trouve rien du tout, que des trucs nuls, des rimes faciles, des choses mièvres ou au contraire beaucoup trop sophistiquées pour que ce soit bien. Et de temps en temps, presque sur un malentendu, on tombe sur une strophe bien, un couplet inspiré. Beaucoup d’auteurs le disent. Je ne prétends pas du tout être Georges Brassens pour l’instant, mais je sais qu’il passait des journées entières à rayer, à retoucher, à recommencer des textes... C’est un petit chemin de croix, mais quand on y arrive, on est content. Je ne relâche donc pas mes efforts  ! Et peut-être que ça donnera quelque chose de bien à l’avenir.

 

Quel regard portes-tu sur cette année si particulière pour tous qui s’achève ? Est-ce qu’elle t’aura changé, toi, cette année 2020 ? Peut-être renforcé dans ta confiance en toi, et affiné tes perspectives d’avenir ?

Cette année 2020 a évidemment été bonne et même très bonne pour moi.

Déjà, financièrement parlant, avec l’argent que j’ai gagné de mes émissions d’avril et des Masters... Partir dans la vie, à 22 ans, avec plus de 300.000€ sur le compte en banque, c’est une très belle chance. Je pense acheter de l’immobilier, des maisons ou des appartements (j’ai déjà commencé à faire des visites), à les louer et à toucher les loyers. Je pourrais presque déjà en vivre. Être rentier, moi ça ne me dérangerait pas, de passer ma vie à lire des livres, à regarder des films et à me promener en forêt tout en touchant quasiment un salaire. Mais ça ne sera sans doute pas le cas, il faut de l’ambition, ou en tout cas d’exigence pour soi-même. Vouloir se réaliser en quelque chose, et ne pas vivre uniquement sur les fruits d’un travail passé (quelle que soit la taille des fruits).

Il y a aussi l’aspect fierté personnelle. Je sais que ça ne se voit pas beaucoup quand je passe à l’émission, mais je n’ai pas une grande confiance en moi. Sans trop rentrer dans des détails psy (je n’ai pas été maltraité par la vie, mes parents gagnent bien leur vie et j’ai toujours été chouchouté et protégé), disons que j’avais envie d’accomplir une grande chose. J’avais essayé de rentrer à Sciences Po après mon bac, j’avais fait une prépa pendant un an et n’avais pas été pris, ça avait été un assez gros choc parce que jusqu’alors je réussissais tout ce que j’entreprenais. Quand on est jeune, on côtoie d’autres jeunes qui semblent meilleurs que soi, avec plus d’argent, maîtrisant plus d’activités, avec davantage de projets et d’enthousiasme, un plus grand succès dans leurs relations sentimentales... Et parfois j’ai pu souffrir de cette comparaison avec d’autres, ayant un regard très sévère sur moi-même.

 

« J’ai souvent manqué de confiance en moi.

Ca va mieux, depuis l’émission... »

 

C’est sûr que, depuis le 1er avril 2020, date de ma première émission, ça va mieux, et j’en suis très heureux, parce que je sais que j’aurais été malheureux si j’avais perdu à ce moment-là. Comme un coup en plus, l’échec supplémentaire. Là ça va bien, et même très bien. J’ai un regard beaucoup plus bienveillant sur moi-même, quasiment un sentiment de plénitude parce que ça, ce défi, j’ai le sentiment de l’avoir réussi et même bien réussi. Je souhaite à n’importe qui de prouver ce qu’il peut donner après plusieurs années d’efforts acharnés (bon, ok, ça fait un peu protestant capitaliste, le rêve américain, mais ça reste vrai). Être récompensé des fruits de son travail, c’est juste merveilleux.

 

 

Est-ce que tu ambitionnes, ce serait en tout cas une des suites logiques de ton M2 en Histoire, d’enseigner l’histoire-géo, ou bien te verrais-tu davantage faire de la recherche historique ?

Comme j’ai pu te le dire, je suis en M2 Recherche en Histoire et je fais un mémoire sur un parti politique français. Ces études n’ont pas de débouché, à part enchaîner sur un doctorat, passer l’agrégation ou le Capes, mais ce n’est pas ce que je prévois de faire. Je ferai sans doute un autre master, plus professionnalisant. Je ne sais pas encore trop dans quoi, mais peut-être plus dans les sciences politiques au sens large. Et à voir, si je démarre bien dans une carrière musicale, je pourrais peut-être me contenter de cette carrière musicale. On verra bien. J’aurai en tout cas les revenus de mes loyers qui compléteront très avantageusement mes revenus musicaux, sachant que les revenus d’artistes sont souvent précaires.

L’année prochaine, je prendrai peut-être une année une année sabbatique pour réfléchir à ce que je veux faire, voyager un peu et mettre sur les rails mes investissements immobiliers.

 

Cette question, je la posais pas mal il y a quelques années, un peu moins maintenant mais je ne peux pas ne pas la poser à un étudiant en Histoire. Un savant un peu fou qu’on appellera Doc’ vient de mettre au point une machine à voyager dans le temps et l’espace. Tu as droit à un seul voyage, de 24h ou perpétuel si affinités. Où et quand irais-tu te promener ?

J’aimerais bien être transporté, toujours en France, mais en ces temps où la France était puissante et glorieuse. Le problème, c’est que ces époques ne coïncident que rarement avec des moments où il faisait bon vivre. Au temps de Louis XIV, la France était première en Europe mais il y avait beaucoup de guerres, les gens avaient faim et froid... Napoléon Ier, idem, la France dominait l’Europe entière et avait repoussé ses frontières, mais c’était la guerre tout le temps, on avait donc pas mal de chances de mourir sur un champ de bataille. Disons que la puissance et la gloire ne sont pas de tout repos.

Il y a eu des périodes où les dirigeants donnaient aux Français le sentiment qu’on était une grande puissance, tout en ménageant la paix et la prospérité. Je pense notamment au Second Empire, qui me fascine. J’aime ces temps où il y a un règne assez long, avec un homme à poigne (c’est mon côté bonapartiste), un Napoléon Ier, un Napoléon III ou un De Gaulle. La France a été rayonnante pendant le Second Empire, sur les plans culturel et économique. La France a peut-être été la première puissance économique mondiale à cette époque. Et elle ne remportait pas alors particulièrement de victoires militaires, mais au moins, il y avait la prospérité, avec un empereur qui a régné longtemps et avait une fibre sociale très prononcée. Sans doute croyait-il sincèrement en la démocratie, même si bien sûr il ne l’a pas vraiment appliquée.

 

« Pourquoi choisir ? J’aime Hervé Vilard,

et j’aime la bombe atomique ! »

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« J’ai une nostalgie pour les années De Gaulle,

Pompidou, début Giscard... La dernière période

où la France fut grande... »

 

Je pense aussi aux années De Gaulle et Pompidou, et au début des années Giscard. La dernière période où la France fut grande. Avant le déclin. Là, je livre totalement et sans fard le réac qui est en moi, je ne cherche même plus à le cacher (rires). De Gaulle, ce sont des institutions politiques fortes, avec un président fort qui fait finalement la synthèse entre notre histoire monarchique et nos institutions républicaines. Je pense que c’est à ce moment-là que la France a trouvé son équilibre. C’est aussi la période de la bombe atomique, et de la France puissance motrice de l’Europe. Il ne s’agissait pas vraiment du couple franco-allemand, mais plutôt du jockey français et du cheval allemand, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. C’est aussi l’époque où on avait 5% de croissance par an, où on voyait les ouvriers passer leurs vacances sur la Côte-d’Azur, où Hervé Vilard sortait son premier 45 tours, tout comme Sheila. L’époque où on pouvait être prof de lycée et avoir une maison de vacances en Savoie, un bateau à la Rochelle et un appartement dans le XVIè, et c’était normal  !

Pompidou c’était pareil, il était sur la même lancée. J’ai une affection particulière pour lui.

 

Et avec tout ça, est-ce que tu te sens malgré tout bien dans tes baskets à notre époque ?

Je serais tenté de te dire que moi, mon époque fétiche, ce sont les années 70-80, en tout cas sur le plan musical. Je pense aussi à tout ce qui est vestimentaire, aux voitures, etc... Mais le problème c’est que, si je vivais à cette époque-là, je n’aimerais pas non plus mon époque, et je voudrais plutôt retourner dans les années 50. C’est sans fin, c’est mon dandysme inné qui fait que je me reconnais plutôt dans des temps qu’on considérerait aujourd’hui comme ringards. Me transporter dans une autre époque, ça ne suffirait pas. Donc finalement je ne suis pas si mal dans la mienne.

 

« Ce qui me gêne le plus aujourd’hui, c’est le poli-

tiquement correct, la bien-pensance ambiante... »

 

Ce qui me gêne le plus aujourd’hui, et là c’est encore un peu ma petite fibre de réac’ qui parle, c’est le politiquement correct, la bien-pensance ambiante qui fait qu’on ne peut plus dire grand chose, comme si la société n’était plus qu’une juxtaposition de communautés toutes plus fragiles, plus meurtries et plus nobles les unes que les autres, que ce soient les communautés ethniques, religieuses, sexuelles... Tout ce qui n’est pas mâle blanc, 40 ans, Français de souche, catho et hétéro... Comme si on était dans un univers de naphtaline, où tout le monde est ultra-susceptible, où tout le monde est en sucre en fait. C’est tout juste si on ose imiter Joe Dassin à la télé, parce que c’est méchant pour les gens qui louchent...

Bon, j’exagère peut-être un peu  : je dois avoir l’honnêteté de reconnaître que dans mon quotidien, on est quand même libres. Je me plains pas, on n’est quand même pas en Union soviétique, ou en pleine Révolution culturelle. Mais quand même, on sent comme une lame de fond qui vient des États-Unis qui est de plus en plus présente, dans les médias, dans les universités, et chez les gens en général. De plus en plus d’écriture inclusive, de précautions sémantiques pour ne pas choquer tel ou tel segment de la population... Voilà ce qui me chagrine le plus dans notre époque. Mais à part ça, ça va  !

 

Pour cette question, sans doute me diras-tu que tu prendras une troisième voie, qui sera la tienne, mais allez, pour le fun, à choisir, plutôt Arsène Lupin, ou Arsène Wenger ?

C’est rigolo parce que je pense vraiment que le prénom qu’on nous donne participe à nous forger une personnalité. Arsène, c’est un peu le nom du dandy gentleman et il paraît que ça me correspond assez bien. Comme par hasard, les deux autres Arsène que je connais, ceux que tu as cités, sont aussi des messieurs assez élégants. Je ne connais absolument rien au foot, mais Arsène Wenger est grand, élancé, fin et élégant, et on dit parfois que j’ai ces qualificatifs  ! Arsène Lupin, évidemment, c’est le dandy gentleman par excellence. C’est aussi une étiquette à laquelle les gens m’associent assez bien. Je ne ferai donc pas de choix entre les deux. ;-)

 

 

Quelques mots pour nous donner envie, après le confinement bien sûr, de visiter ta ville de Rouen à l’occasion ? Parce que bosser dans le tourisme, ça peut très bien être une de tes perspectives d’avenir. ;-)

Je pense que Rouen est la plus belle ville du monde. Et non, je ne suis pas du tout partial en disant cela. (Rires) Bon, évidemment j’exagère...

J’aime vraiment beaucoup ma ville, depuis toujours, et je m’en rends compte de plus en plus. Je prends de plus en plus conscience de la beauté de cette ville, de ses atouts, de son caractère agréable. C’est une ville moyenne, assez normale de la grande banlieue de Paris, un peu comme Orléans, Troyes, Reims, Amiens, Tours ou Le Mans. Je pense que de toutes ces villes, Rouen est peut-être la plus indépendante, la moins «  vassale  » de Paris. C’est une ville portuaire et presque maritime, avec ses marées, ses mouettes, son port céréalier, un des premiers d’Europe...

Rouen est une ville plutôt grande mais qui a tous les avantages d’une ville moyenne à taille humaine. Son centre est très réduit, on peut aller d’un point à un autre à pied sans problème. C’est une ville médiévale, avec des rues à pans de bois qui font la notoriété de la ville. Elle a été en partie détruite durant la Seconde Guerre mondiale. Une partie, notamment sur les quais de Seine, est constituée d’îlots d’immeubles de trois ou quatre étages reconstruits de manière assez harmonieuse.

 

« Pour moi, la cathédrale de Rouen

est la plus belle du monde. »

 

Le clou de la ville, ça reste sa cathédrale, que j’adore. Pour moi, c’est la plus belle du monde. C’est la plus grande de France (151 mètres, par sa flèche). Elle a même été, pendant quelques années, le plus haut monument du monde – fait injustement oublié  ! -, dépassée je crois dans les années 1880 par la cathédrale de Cologne. Elle est élancée, racée, élégante... un peu comme moi  ! (Rires)

Rouen vaut le détour, vraiment  !

 

Cathédrale de Rouen by Arsène

La cathédrale de Rouen, par Arsène himself !

 

Un dernier mot ?

Je te remercie, parce que c’est rare qu’un site d’articles assez sérieux (sujets d’actu, culturels et historiques) s’intéresse à un candidat d’émission de divertissement. C’est une belle initiative qui va un peu à l’encontre du snobisme culturel. Ça montre ton ouverture d’esprit, ta curiosité, et j’ai apprécié cet échange.

 

Arsène perso

 

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21 juin 2020

« Les peintres naissent poètes », par Silvère Jarrosson

Quelques jours après nous avoir offert un texte intitulé L’artiste endormiSilvère Jarrosson a accepté cette fois de nous livrer une réflexion « colorée » sur la frontière parfois ténue, et la navigation dangereuse pour un artiste, entre poésie et folie. Merci à lui ! Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Les peintres naissent poètes »

par Silvère Jarrosson, juin 2020

Dans son clip Money Man, le rappeur américain Asap Rocky met en scène une jeunesse fictive, désœuvrée et aux prises avec une drogue hallucinogène issue d’un mélange d’ailes de papillons et de peinture acrylique. Durant ce court-métrage, le portrait social de ces jeunes à l’abandon est progressivement remplacé par l’étrange univers coloré dans lequel ils évoluent (celui des ailes de papillons, de la peinture et des hallucinations qui en découlent).

Avaler des ailes de papillons pour se sentir voler : parfois le rap oublie la vulgarité pour se réfugier dans la poésie.

Les ailes de papillon sont complémentaires de la peinture acrylique comme moyen d’échapper à la réalité — les jeunes d’Asap Rocky l’ont bien compris, qui en font une mixture. L’un comme l’autre manifestent, à leur façon, l’irrationnel et le poétique, par le jaillissement d’innombrables motifs colorés. Aristote appelait justement la couleur une drogue (« pharmakon »). Dans le cas des ailes de papillons, c’est le monde naturel même qui est source de ce jaillissement. La nature est en plein délire. Les papillons ont investi la poésie comme une niche écologique parmi d’autres. Leur génome a évolué vers une réalité qui semble folle, des fards et des poudres de couleurs irréalistes. L’irréalité s’est faite réalité, la folie est devenue la raison.

Chez les papillons, l’évolution vers ce monde coloré et poétique remplit une fonction biologique au service de leur survie et de leur existence. Comme on aimerait que la poésie soit, pour nous aussi, un indispensable de l’existence.

Il me semble que la poésie ne se distingue de la folie que par son degré de persistance. Chez le fou, l’abandon de toute rationalité au profit d’une réalité concurrente est durable, l’esprit ne parvient plus à s’en échapper. Chez le poète, cet état d’éloignement n’est que passager (bien que l’on ignore tout du chemin retour du délire à la réalité).

Les jeunes de Money Man ignorent eux aussi le chemin qui ramène au réel, et finissent perdus dans la folie. Durablement égarés dans leur monde coloré, sans échappatoire, ils ne sont plus poètes temporaires mais fous permanents. Comme les papillons, naviguer en plein délire est devenu, pour eux, la seule façon d’exister. Un indispensable de l’existence. À la fin du clip, à force de laisser leur regard plonger dans celui, factice, des ailes de papillons, ils deviennent tous aveugles.

Beethoven a fini sourd. Les peintres, eux, finissent aveugles. La peinture acrylique agit sur eux comme des ailes de papillon. Elle devient pour eux un indispensable de l’existence, elle les emporte, et un jour ils ne savent plus en revenir. Les peintres naissent poètes et meurent fous.

 

Papillon

 

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14 juin 2020

Frédéric Quinonero: « N'oublions jamais l'homme derrière la statue, l'icône Johnny... »

Demain, 15 juin, les nombreux fans de Johnny Hallyday auront une pensée particulière pour leur idole, qui aurait fêté ce jour ses 77 ans - et au passage, le même jour, Paroles d’Actu aura 9 ans ! Pour l’occasion (Johnny, pas le site !), j’ai la joie de recevoir, une nouvelle fois dans ces colonnes, Frédéric Quinonero, fin connaisseur de la carrière et de la vie du chanteur. Il y a quelques semaines, son dernier ouvrage en date, Johnny Hallyday, femmes et influences, a été publié aux éditions Mareuil : une enquête rigoureuse et riche qui, retraçant et analysant les failles originelles, puis les rencontres de Jean-Philippe Smet, s’attache à établir l’influence qu’elles ont eue sur le parcours et la vie de l’homme derrière la star (et donc forcément sur sa carrière). Merci à Frédéric Quinonero pour les réponses apportées, le 14 juin, à mes questions. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « N’oublions jamais

l’homme derrière la statue, l’icône Johnny... »

JH Femmes et influence

 

Frédéric Quinonero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu, à l’occasion de la sortie de ton nouvel ouvrage. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais te demander : comment as-tu vécu et ressenti la période que nous venons de vivre (Covid-19 et confinement), et comment ton travail d’écrivain, et pour ce que tu en sais, les activités de ton éditeur ont-ils été impactés ?

l’édition dans le « monde d’après »

Je ne peux parler à la place de mes éditeurs. Je crois savoir toutefois que l’édition ne se porte pas si mal depuis le déconfinement, elle a bien repris. Pour ce qui me concerne, cette situation inédite n’a pas changé grand-chose à mon quotidien étant donné que je suis assez confiné par mon activité toute l’année. Mais je me rends compte tout de même que cela a joué sur le mental… La solitude n’est bénéfique que quand elle est choisie. La vie risque d’être compliquée désormais pour beaucoup de gens… On a rêvé un moment que cette crise sanitaire allait ouvrir des perspectives nouvelles, une autre façon de vivre et d’envisager l’avenir, mais malheureusement ce n’était qu’un rêve… Cependant, Covid-19 ou pas, le problème des auteurs demeure le même et tend à s’aggraver. Je suis de ceux qui réclament un statut, qui pourrait être apparenté à celui des intermittents du spectacle. Sans auteur, il n’y a pas de livre. Donc pas d’éditeur et pas de libraire. Ne l’oublions pas.

 

L’ouvrage qui nous réunit aujourd’hui, c’est Johnny Hallyday : Femmes et influence (Mareuil Éditions). Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire sur cette thématique précise, à la manière d’une enquête, toi qui connais si bien Johnny ? Ces questions, tu te les posais depuis longtemps ? J’imagine que l’affaire de l’héritage les a éclairées d’un jour nouveau ?

pourquoi ce livre ?

Tout commence avec un article pour le HuffPost. Comme je le raconte en avant-propos dans le livre, on m’a beaucoup sollicité pour donner mon avis dans l’affaire de l’héritage et j’ai tout refusé en bloc, arguant que je n’avais aucune légitimité pour intervenir. Puis, j’ai écrit cet article au moment où la polémique portait sur le fait que Johnny soit enterré à Saint-Barth. L’idée d’approfondir le sujet a fait son chemin. D’autant qu’on n’a jamais abordé à ma connaissance, du moins pas de façon sérieuse, cette thématique des femmes et de leur apport dans la vie et la carrière de Johnny. J’ai dit un jour que je n’avais pas fini d’écrire sur Johnny. Je le dis encore. Le personnage est complexe, on croit tout connaître de lui, puis on s’aperçoit qu’on découvre d’autres aspects de lui qu’on ignorait selon l’angle à travers lequel on l’observe. Ce travail a été passionnant. Il m’a permis de m’échapper un peu de la forme stricte de la biographie, ce qui a modifié un peu – je crois – mon style d’écriture. J’ai eu la sensation d’être plus libre. Il a occupé tout ce temps du confinement. Une fois encore, Johnny m’a sauvé du désespoir (rires).

 

La tante paternelle du petit Jean-Philippe Smet, Hélène Mar, a semble-t-il tenu le rôle moteur, décisif, dans l’éducation et la formation artistique de celui-ci. Clairement, si le passage sur cette Terre d’un artiste nommé Johnny Hallyday doit tenir à une personne, une impulsion, ce serait elle non ? N’a-t-elle pas, en revanche, pour tout ce qu’elle lui a apporté de positif, contribué à une espèce d’instabilité dans la tête de son neveu, en entretenant un peu abusivement le récit de l’abandon par sa mère ?

Hélène Mar, sa tante

Oui, sans Hélène Mar il n’y aurait sans doute pas de Johnny Hallyday. En l’enlevant (le terme n’est pas exagéré) à sa mère dès son plus jeune âge pour lui faire faire le tour d’Europe avec ses filles danseuses, elle l’a élevé comme un enfant de la balle, si bien qu’il ne connaissait de la vie que les coulisses des théâtres et des cabarets, puis la scène et les bravos du public. Lorsque sa mère a voulu le récupérer, il fut facile à Hélène de lui faire entendre qu’elle risquait en le gardant avec elle de priver l’enfant de la belle carrière pour laquelle il était destiné. Huguette, la maman, a fini par renoncer. Alors, on a fait croire à Johnny qu’elle l’avait abandonné. Il a passé une grande partie de sa vie à le croire. On imagine les conséquences psychologiques que cela peut avoir dans la vie d’un homme.

 

Dans quelle mesure la figure du père, son père, qui lui l’a bel et bien abandonné, a-t-elle impacté sa construction en tant qu’homme, et plus tard en tant que père ?

la marque de son père

L’abandon du père est à la base de l’histoire de Johnny Hallyday. La phobie de l’abandon l’a poursuivi toute sa vie et a impacté forcément sa vie amoureuse, ses relations avec les femmes et, bien sûr, avec ses propres enfants. Sans la reconnaissance du père, on n’est rien, on doit s’affirmer seul, se construire, s’inventer une identité. Jean-Philippe Smet est devenu Johnny Hallyday. C’est sous ce nom-là que sa vie a pris un sens. Jusqu’à nier le nom du père ? Jusqu’à renier son propre sang ? Qui sait ?

 

Johnny s’est-il cherché des pères, là où ses compagnons masculins souvent, c’étaient des potes, voire parfois des grands frères (je pense à Lee Halliday, mari de sa cousine Desta) ? Quels hommes Johnny a-t-il choisis comme des pères de substitution ? Charles Aznavour a-t-il tenu ce rôle ? Celui de Sylvie Vartan ? D’autres noms ?

pères de substitution

Bien sûr, Johnny s’est cherché des pères de substitution. Le premier a été Lee Ketcham, le mari de Desta. Il lui a pris son nom d’artiste pour le faire sien : Halliday, devenu Hallyday avec deux « y » à cause d’une coquille sur la pochette de son premier disque. Charles Aznavour s’était pris d’affection pour lui à ses débuts, il lui avait enseigné quelques rudiments du métier et l’avait hébergé quelque temps dans sa maison, comme un fils. Plus tard, il eut une relation assez forte avec Jean Pierre-Bloch, le père de son ami et secrétaire particulier Jean-Pierre Pierre-Bloch. Il admirait cet homme, qui fut résistant de la Seconde Guerre mondiale et militant contre le racisme et l’antisémitisme, comme un père idéal. Il y avait toujours selon l’âge des partenaires une dimension paternelle ou fraternelle dans les relations de Johnny avec les hommes. Et, naturellement, la quête d’une maman chez les femmes.

 

Cela est explicité dans ton ouvrage, et se confirme au fil des témoignages et de l’enquête menée : hors les pères des débuts, les hommes ayant croisé le parcours artistique et de vie de Johnny lui ont plutôt été « soumis », et l’ont servi dans ses projets. Ce sont les femmes qui, souvent, lui ont tenu tête, l’ont impressionné humainement parlant. Sylvie, Nathalie, et même Laeticia, elles ont été de celles-ci, à la fois amantes, épouses, et un peu mères ?

femmes fortes

Johnny aimait les femmes fortes, il faut croire que ça le rassurait. Il avait besoin d’admirer pour aimer. Si l’on regarde bien, toutes les femmes de sa vie ont été des femmes affirmées, intelligentes, investies dans quelque chose. Il ne voulait pas de femme soumise à ses côtés, une qui se serait contentée de vivre dans son ombre. En même temps, il fallait le suivre, ce qui n’était pas simple du tout. Accepter son rythme de vie, ses travers, ses phobies. C’était un grand enfant, Johnny.

 

Peux-tu me dire, à ton avis, ce qu’a apporté ou représenté pour Johnny chacune des femmes importantes de sa vie ?

les femmes de sa vie

Pour ne citer que les quatre compagnes majeures de sa vie, Sylvie Vartan a apporté une famille. Elle a essayé de combler ce manque affectif dans sa vie, mais il était sûrement trop jeune pour s’installer dans une vie bourgeoise, telle que la rêvait Sylvie. Tous les deux ont été un couple mythique pour toute une génération. Ils ont vécu leur jeunesse et leur amour aux yeux du public… Nathalie Baye a ouvert une voie nouvelle à Johnny, en lui apportant une crédibilité auprès des intellectuels. Elle l’a transformé physiquement, l’encourageant à mener une vie plus saine. Toutes deux, Sylvie et Nathalie, lui ont donné un enfant… Adeline Blondieau a ramené Johnny aux sources du rock et du blues, la musique qu’il aime. Jeune et rebelle, elle ne tenait pas à ce qu’on lui impose une ligne de conduite. Leur union a été explosive… Enfin, Laeticia est celle qui est restée jusqu’au bout et lui a fermé les yeux. Aimée des fans, parce qu’elle était comme eux, fan elle-même de son mari, elle est parvenue à l’accepter tel qu’il était et à construire autour de lui cette vie familiale qui lui a tant manqué. Il lui a donné le pouvoir à un moment où la mort a failli l’emporter une première fois…

 

QUESTION BONUS ANNIVERSAIRE (15 juin 2020)

C’est Adeline, qui a incité Johnny a reprendre le Diego, libre dans sa tête de Michel Berger, qui fut d’abord interprété par France Gall et compte désormais parmi les grands classiques du répertoire Hallyday ?

Diego, et Adeline

Elle aimait cette chanson, elle a suggéré à Johnny de la reprendre et d’y mettre toute la rage qu’il manquait dans la version originale par France Gall ou par Michel Berger. Elle l’a aussi incité à reprendre des chansons écrites pour le texte par son père, comme Joue pas de rock’n’roll pour moiVoyage au pays des vivants... Puis, c’est encore elle qui est à l’origine de l’album blues-rock en anglais Rough Town et la tentative de tournée européenne qui a suivi, même si leur histoire était finie au moment de leur réalisation.

 

 

Comme biographe connaissant très bien sa vie, et comme fan, pour laquelle de toutes éprouves-tu la plus grande tendresse finalement ?

une favorite ?

Ça n’a pas beaucoup d’importance. En tout cas, il était inconcevable d’aborder cette thématique avec un parti pris. Il ne fallait pas perdre de vue le principe que Johnny les avait toutes aimées, sans exception. De quel droit se permettrait-on de démolir cela ? Jamais je ne me suis placé en juge. L’intervention des témoins m’a beaucoup aidé à garder ma neutralité. Cependant, comme un romancier s’attache à ses héroïnes, j’ai éprouvé de l’empathie pour toutes, ce qui m’a tenu à l’écart de tout manichéisme. Et j’ai de l’affection pour deux ou trois, il suffit de lire entre les lignes…

 

La paix intérieure, il l’a trouvée avec Laeticia non ? J’ai le sentiment que ton regard sur elle a un peu évolué avec la concrétisation de ce travail, et notamment les témoignages que tu as recueillis, je me trompe ?

Laeticia, ou la paix retrouvée ?

Le temps aidant, Johnny a pu construire une famille et assumer une paternité comme il ne l’avait jamais fait précédemment. Ses démons se sont calmés, ses angoisses et ses phobies aussi. Il a réussi à réduire sa consommation d’alcool et de cigarette. Tout ça s’est fait au contact de Laeticia, qui a certainement eu beaucoup de patience et d’ambition, puisqu’elle est restée. Johnny rêvait même d’être un patriarche entouré d’enfants. Ceux qui les ont connus ensemble témoignent d’un couple qui s’aimait. Personne n’en a vraiment douté. Il n’en reste pas moins que leur histoire est à la fois une histoire d’amour et d’argent… Le regard qu’on porte sur Laeticia évolue dès lors qu’on s’interroge sur la part de responsabilité de Johnny, dès lors qu’on cesse de le considérer comme un être parfait, intouchable. Cela ne veut pas dire qu’on le dénigre ou qu’on l’aime moins. On le considère comme un être humain, pas comme une statue, une icône. Ce livre m’a rapproché davantage encore de Johnny, et tous les témoins rencontrés m’y ont aidé.

 

Comment le rapprochement avec Huguette, sa mère, s’est-il opéré, et à qui, à quoi est-il dû ? Cela a été quelque chose d’important pour Johnny dans sa quête de paix intérieure ?

la mère, ou la rédemption

C’est Nathalie Baye la première qui a réuni la mère et le fils. Huguette a pu ainsi assister aux premiers pas dans la vie de Laura. Johnny a d’ailleurs donné pour second prénom à Laura (puis plus tard à Joy) celui de sa maman. Peu à peu, il a renoué de vrais liens avec cette mère à la fois aimée et rejetée. Il a fini par comprendre qu’elle ne l’avait pas abandonné, et il en a voulu à sa cousine Desta de le lui avoir fait croire. Huguette était présente au mariage de son fils avec Adeline à Ramatuelle. On la retrouve encore au Parc des Princes pour les cinquante ans de Johnny. Plus tard, à la mort de son mari, elle s’est retrouvée seule dans sa maison de Viviers, en Ardèche. Laeticia, qui s’occupait déjà de son arrière-grand-mère, a permis à ce qu’Huguette vienne s’installer à Marnes-la-Coquette. C’était important psychologiquement pour Johnny non pas de pardonner à sa mère, mais de lui demander pardon. Ils ont fait la paix ensemble, comme il n’a jamais pu le faire avec son père. Ça a beaucoup contribué, à la fin de sa vie, à le libérer de ses démons.

 

Parmi les témoignages recueillis, celui de Jean Renard, puis celui de Sandrine Décembre, t’ont intrigué, parce qu’ils allaient à rebours peut-être d’idées que tu avais quant aux influences portées sur Johnny. Ils l’ont affirmé : personne ne manipulait Johnny, il savait exactement quel chemin il voulait suivre et dominait son monde. Finalement, quelle idée t’es-tu faite sur cette question ?

Johnny et les influences

Le premier témoignage que j’ai recueilli est celui de Jean Renard, qui m’a dérouté. Car il n’allait pas dans le sens de ma thématique, il bousculait mon propos et – comme je l’ai cru sur l’instant – s’en écartait. Je suppose qu’il avait quelques comptes à régler, mais sous le propos amer jaillissaient tout de même une vérité et beaucoup d’amour. Il y avait surtout une vraie analyse du personnage, pas simplement un avis tranché. C’est un discours qui, après réflexion, m’a emmené ailleurs. Et ce fut bénéfique. Sandrine Décembre a enfoncé le clou, si j’ose dire, car elle partageait entièrement l’avis de Jean Renard, qu’elle ne connaissait absolument pas - ce qui rendait le point de vue d’autant plus crédible. Ensuite, je n’ai pas cherché à savoir qui avait raison parmi tous les témoins que j’ai interrogés. J’estime qu’il y a une part de vrai dans tous ces regards portés sur lui. On ne cherche pas une seule vérité quand on part à la recherche d’un personnage… Chaque témoignage est une pièce de puzzle. Toutes ces pièces ne s’imbriquent pas toujours les unes dans les autres ; le puzzle n’est pas forcément complet. Je l’ai dit : je n’ai pas fini d’écrire sur Johnny.

 

Il y a cinq ans et demi, lors d’une interview, tu me confiais que Johnny, toujours vivant à l’époque, était le grand frère que tu n’avais jamais eu. Il est parti il y a deux ans et demi : comment vis-tu cette absence aujourd’hui, et comprends-tu avec le recul l’influence, l’impact qu’il a pu avoir sur toi ?

te manquer

Je ne m’habitue pas à cette absence, je la comble en évitant de penser qu’il n’est plus là. Je continue à l’écouter, à regarder des spectacles de lui. Et à écrire sur lui, à creuser l’histoire du personnage. J’ai l’impression qu’il me faudra du temps avant d’en avoir fait le tour, et c’est tant mieux. Car à mon âge je n’envisage pas une vie sans Johnny. Il m’a accompagné toute ma vie jusqu’ici, il continuera à le faire jusqu’au bout. Oui, il a été une sorte de grand frère, un modèle masculin, une certaine idée que je me faisais de la virilité (rires).

 

Tes projets pour la suite ?

Je viens de signer un contrat pour un nouveau livre avec L’Archipel, mais il est encore trop tôt pour en parler… J’espère pouvoir trouver encore des sujets à aborder, cela me paraît de plus en plus compliqué. Mais je dis ça depuis 15 ans que je suis publié… Il n’empêche que j’aimerais trouver une voie de repli, grâce à mes connaissances sur la chanson. L’appel est lancé.

 

Une émission, par exemple ?

Oui, par exemple. Ou autre chose. Je suis open.

 

Un dernier mot ?

Par les temps qui courent, je dirais : soyons solidaires et responsables !

 

Frédéric Quinonero p

  

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6 juin 2020

« L'artiste endormi », par Silvère Jarrosson

Le peintre Silvère Jarrosson, auteur en 2015 d’un autoportrait touchant et inspirant pour Paroles d’Actu, propose ici une tribune libre, un texte poétique dans lequel il livre un regard original sur la démarche de création : « L’artiste endormi ». Je l’en remercie et vous invite, que vous soyez amateurs d’art ou simples curieux, à venir découvrir son oeuvre. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« L’artiste endormi »

par Silvère Jarrosson, juin 2020

Dans les derniers chapitres du Roi des Aulnes, Michel Tournier décrit trois positions dans lesquelles dorment les enfants d’un internat : sur le dos, sur le ventre ou sur le côté. Les postures de ces enfants endormis sont décrites comme trois façons d’embrasser le sommeil. Elles apparaissent comme différentes conduites que l’on peut choisir d’adopter face à la vie. Les enfants s’endorment comme certains partent en voyage ou se mettent à peindre : comme une simple façon d’exister.

J’aime à penser que l’on peut être artiste comme un enfant endormi, dont les rêves mystérieux sont les œuvres. Beau dans l’existence, émerveillé et inconscient.

Première posture, latérale. En dormant sur le côté, l’enfant-artiste rejoint le foetus, se referme et rêve pour lui-même. Son art s’apparente alors à une recherche timide et personnelle. Il s’agit d’un art centripète, dont le nombril est le centre. Deuxième posture, sur le dos. Probablement plus confiant, l’enfant-artiste regarde le ciel, sans pudeur. Il rêve peut-être d’ascension. Un artiste mondain somme toute, et un art centrifuge, destiné aux autres. Troisième posture, sur le ventre. Dans cette position, l’enfant-artiste n’est ni vraiment en communion avec lui-même, ni tourné vers les autres. C’est à la terre qu’il se donne, vers elle qu’il se tourne. Face aux profondeurs, on devine que son œuvre pourrait en être le miroir. On a alors affaire à un artiste tellurique, tourné vers les entrailles du monde, avec lequel ses rêves résonnent.

Le ballet Les Sept danses grecques de Maurice Béjart s’ouvre d’ailleurs sur une séquence durant laquelle, avant de danser, les danseurs remercient eux aussi le sol qui les soutient, en l’effleurant. Dorment-ils également sur le ventre pour embrasser la terre ? Nul doute que la danse de Béjart est ancrée dans le sol, et tournée vers lui.

L’enfant-artiste et ses trois postures ensommeillées est une image qui m’intéresse, car elle peut nous permettre de comprendre et d’apprécier la peinture (et la danse). Elle m’a moi-même guidé dans mon cheminement artistique. Chacune de ces postures est une attitude que l'on peut adopter face au monde, et donc, par extension, face à une œuvre d’art. Elles m’ont appris à regarder mon travail, et à le juger. J’ai débuté mes premières années de peinture comme un enfant endormi sur le côté, pour moi-même et sans me soucier du regard extérieur. Replié en foetus et sûr de ma démarche picturale, je ne jugeais mes œuvres que d’un point de vue strictement personnel. « Cette œuvre est bonne car je la trouve bonne. » Point de vue auto-centré, toujours très tentant pour qui ne souhaite pas se soumettre aux aléas de la critique. Point de vue facile aussi, qui se cache derrière une certaine vision de la création artistique pour éviter d’avoir à se remettre en question.

Cette posture d’évitement m’est apparue insuffisante, et je me suis tourné vers le public, au gré de certaines expositions notamment. J’étais alors un enfant endormi sur le dos, tourné vers les gens et acceptant que mon travail soit jugé et accrédité par les autres. Reconnaissance sociale. « Cette œuvre est bonne car elle est considérée comme telle par les autres. » Posture plaisante puisqu’elle permet de se faire apprécier. Posture mercantile aussi, puisqu’elle revient à peindre ce que demande le public. Et donc posture insuffisante, puisque le public ne demandera jamais autre chose que ce qui existe déjà.

Il reste alors à adopter la troisième posture, celle de l’enfant dormant sur le ventre. Contact intime et réconfortant avec la réalité, stabilité apaisante de la joue plaquée contre le drap. Lorsqu’il dort sur le ventre, l’enfant-artiste prend appui sur la terre, comme un danseur au moment de s’élancer. L’œuvre n’a alors plus besoin de validation extérieure, car elle devient sa propre démonstration. Elle est juste dans ses fondements telluriques, donc elle est juste.

Le foetus cherche sa force en lui-même, le mondain croit la trouver chez les autres. L’enfant de la terre la puise dans le sol, comme un danseur de Béjart. Pour lui, peindre revient à prendre appui sur le monde, pour nouer avec lui une relation qui engendrera l’œuvre. Est-il encore besoin de valider son travail a posteriori ? L’enjeu artistique n’est plus là. On pensera ici à Vendredi se glissant entre les racines d’un arbre pour que la nature puisse enfanter de leur symbiose (dans Vendredi ou la vie sauvage, un autre texte de Tournier).

Je voudrais peindre comme un enfant endormi sur le ventre, être cet esprit guidé par ses rêves, dans un état second. La nature humaine parle à travers ces enfants artistes. Ils en sont la voix.

 

S

« Hommage à Antonin Artaud, performance de Silvère Jarrosson

à la Villa Medicis, juin 2019. Curateur : Cristiano Leone. »

 

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