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Paroles d'Actu
21 juin 2020

« Les peintres naissent poètes », par Silvère Jarrosson

Quelques jours après nous avoir offert un texte intitulé L’artiste endormiSilvère Jarrosson a accepté cette fois de nous livrer une réflexion « colorée » sur la frontière parfois ténue, et la navigation dangereuse pour un artiste, entre poésie et folie. Merci à lui ! Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Les peintres naissent poètes »

par Silvère Jarrosson, juin 2020

Dans son clip Money Man, le rappeur américain Asap Rocky met en scène une jeunesse fictive, désœuvrée et aux prises avec une drogue hallucinogène issue d’un mélange d’ailes de papillons et de peinture acrylique. Durant ce court-métrage, le portrait social de ces jeunes à l’abandon est progressivement remplacé par l’étrange univers coloré dans lequel ils évoluent (celui des ailes de papillons, de la peinture et des hallucinations qui en découlent).

Avaler des ailes de papillons pour se sentir voler : parfois le rap oublie la vulgarité pour se réfugier dans la poésie.

Les ailes de papillon sont complémentaires de la peinture acrylique comme moyen d’échapper à la réalité — les jeunes d’Asap Rocky l’ont bien compris, qui en font une mixture. L’un comme l’autre manifestent, à leur façon, l’irrationnel et le poétique, par le jaillissement d’innombrables motifs colorés. Aristote appelait justement la couleur une drogue (« pharmakon »). Dans le cas des ailes de papillons, c’est le monde naturel même qui est source de ce jaillissement. La nature est en plein délire. Les papillons ont investi la poésie comme une niche écologique parmi d’autres. Leur génome a évolué vers une réalité qui semble folle, des fards et des poudres de couleurs irréalistes. L’irréalité s’est faite réalité, la folie est devenue la raison.

Chez les papillons, l’évolution vers ce monde coloré et poétique remplit une fonction biologique au service de leur survie et de leur existence. Comme on aimerait que la poésie soit, pour nous aussi, un indispensable de l’existence.

Il me semble que la poésie ne se distingue de la folie que par son degré de persistance. Chez le fou, l’abandon de toute rationalité au profit d’une réalité concurrente est durable, l’esprit ne parvient plus à s’en échapper. Chez le poète, cet état d’éloignement n’est que passager (bien que l’on ignore tout du chemin retour du délire à la réalité).

Les jeunes de Money Man ignorent eux aussi le chemin qui ramène au réel, et finissent perdus dans la folie. Durablement égarés dans leur monde coloré, sans échappatoire, ils ne sont plus poètes temporaires mais fous permanents. Comme les papillons, naviguer en plein délire est devenu, pour eux, la seule façon d’exister. Un indispensable de l’existence. À la fin du clip, à force de laisser leur regard plonger dans celui, factice, des ailes de papillons, ils deviennent tous aveugles.

Beethoven a fini sourd. Les peintres, eux, finissent aveugles. La peinture acrylique agit sur eux comme des ailes de papillon. Elle devient pour eux un indispensable de l’existence, elle les emporte, et un jour ils ne savent plus en revenir. Les peintres naissent poètes et meurent fous.

 

Papillon

 

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14 juin 2020

Frédéric Quinonero: « N'oublions jamais l'homme derrière la statue, l'icône Johnny... »

Demain, 15 juin, les nombreux fans de Johnny Hallyday auront une pensée particulière pour leur idole, qui aurait fêté ce jour ses 77 ans - et au passage, le même jour, Paroles d’Actu aura 9 ans ! Pour l’occasion (Johnny, pas le site !), j’ai la joie de recevoir, une nouvelle fois dans ces colonnes, Frédéric Quinonero, fin connaisseur de la carrière et de la vie du chanteur. Il y a quelques semaines, son dernier ouvrage en date, Johnny Hallyday, femmes et influences, a été publié aux éditions Mareuil : une enquête rigoureuse et riche qui, retraçant et analysant les failles originelles, puis les rencontres de Jean-Philippe Smet, s’attache à établir l’influence qu’elles ont eue sur le parcours et la vie de l’homme derrière la star (et donc forcément sur sa carrière). Merci à Frédéric Quinonero pour les réponses apportées, le 14 juin, à mes questions. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « N’oublions jamais

l’homme derrière la statue, l’icône Johnny... »

JH Femmes et influence

 

Frédéric Quinonero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu, à l’occasion de la sortie de ton nouvel ouvrage. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais te demander : comment as-tu vécu et ressenti la période que nous venons de vivre (Covid-19 et confinement), et comment ton travail d’écrivain, et pour ce que tu en sais, les activités de ton éditeur ont-ils été impactés ?

l’édition dans le « monde d’après »

Je ne peux parler à la place de mes éditeurs. Je crois savoir toutefois que l’édition ne se porte pas si mal depuis le déconfinement, elle a bien repris. Pour ce qui me concerne, cette situation inédite n’a pas changé grand-chose à mon quotidien étant donné que je suis assez confiné par mon activité toute l’année. Mais je me rends compte tout de même que cela a joué sur le mental… La solitude n’est bénéfique que quand elle est choisie. La vie risque d’être compliquée désormais pour beaucoup de gens… On a rêvé un moment que cette crise sanitaire allait ouvrir des perspectives nouvelles, une autre façon de vivre et d’envisager l’avenir, mais malheureusement ce n’était qu’un rêve… Cependant, Covid-19 ou pas, le problème des auteurs demeure le même et tend à s’aggraver. Je suis de ceux qui réclament un statut, qui pourrait être apparenté à celui des intermittents du spectacle. Sans auteur, il n’y a pas de livre. Donc pas d’éditeur et pas de libraire. Ne l’oublions pas.

 

L’ouvrage qui nous réunit aujourd’hui, c’est Johnny Hallyday : Femmes et influence (Mareuil Éditions). Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire sur cette thématique précise, à la manière d’une enquête, toi qui connais si bien Johnny ? Ces questions, tu te les posais depuis longtemps ? J’imagine que l’affaire de l’héritage les a éclairées d’un jour nouveau ?

pourquoi ce livre ?

Tout commence avec un article pour le HuffPost. Comme je le raconte en avant-propos dans le livre, on m’a beaucoup sollicité pour donner mon avis dans l’affaire de l’héritage et j’ai tout refusé en bloc, arguant que je n’avais aucune légitimité pour intervenir. Puis, j’ai écrit cet article au moment où la polémique portait sur le fait que Johnny soit enterré à Saint-Barth. L’idée d’approfondir le sujet a fait son chemin. D’autant qu’on n’a jamais abordé à ma connaissance, du moins pas de façon sérieuse, cette thématique des femmes et de leur apport dans la vie et la carrière de Johnny. J’ai dit un jour que je n’avais pas fini d’écrire sur Johnny. Je le dis encore. Le personnage est complexe, on croit tout connaître de lui, puis on s’aperçoit qu’on découvre d’autres aspects de lui qu’on ignorait selon l’angle à travers lequel on l’observe. Ce travail a été passionnant. Il m’a permis de m’échapper un peu de la forme stricte de la biographie, ce qui a modifié un peu – je crois – mon style d’écriture. J’ai eu la sensation d’être plus libre. Il a occupé tout ce temps du confinement. Une fois encore, Johnny m’a sauvé du désespoir (rires).

 

La tante paternelle du petit Jean-Philippe Smet, Hélène Mar, a semble-t-il tenu le rôle moteur, décisif, dans l’éducation et la formation artistique de celui-ci. Clairement, si le passage sur cette Terre d’un artiste nommé Johnny Hallyday doit tenir à une personne, une impulsion, ce serait elle non ? N’a-t-elle pas, en revanche, pour tout ce qu’elle lui a apporté de positif, contribué à une espèce d’instabilité dans la tête de son neveu, en entretenant un peu abusivement le récit de l’abandon par sa mère ?

Hélène Mar, sa tante

Oui, sans Hélène Mar il n’y aurait sans doute pas de Johnny Hallyday. En l’enlevant (le terme n’est pas exagéré) à sa mère dès son plus jeune âge pour lui faire faire le tour d’Europe avec ses filles danseuses, elle l’a élevé comme un enfant de la balle, si bien qu’il ne connaissait de la vie que les coulisses des théâtres et des cabarets, puis la scène et les bravos du public. Lorsque sa mère a voulu le récupérer, il fut facile à Hélène de lui faire entendre qu’elle risquait en le gardant avec elle de priver l’enfant de la belle carrière pour laquelle il était destiné. Huguette, la maman, a fini par renoncer. Alors, on a fait croire à Johnny qu’elle l’avait abandonné. Il a passé une grande partie de sa vie à le croire. On imagine les conséquences psychologiques que cela peut avoir dans la vie d’un homme.

 

Dans quelle mesure la figure du père, son père, qui lui l’a bel et bien abandonné, a-t-elle impacté sa construction en tant qu’homme, et plus tard en tant que père ?

la marque de son père

L’abandon du père est à la base de l’histoire de Johnny Hallyday. La phobie de l’abandon l’a poursuivi toute sa vie et a impacté forcément sa vie amoureuse, ses relations avec les femmes et, bien sûr, avec ses propres enfants. Sans la reconnaissance du père, on n’est rien, on doit s’affirmer seul, se construire, s’inventer une identité. Jean-Philippe Smet est devenu Johnny Hallyday. C’est sous ce nom-là que sa vie a pris un sens. Jusqu’à nier le nom du père ? Jusqu’à renier son propre sang ? Qui sait ?

 

Johnny s’est-il cherché des pères, là où ses compagnons masculins souvent, c’étaient des potes, voire parfois des grands frères (je pense à Lee Halliday, mari de sa cousine Desta) ? Quels hommes Johnny a-t-il choisis comme des pères de substitution ? Charles Aznavour a-t-il tenu ce rôle ? Celui de Sylvie Vartan ? D’autres noms ?

pères de substitution

Bien sûr, Johnny s’est cherché des pères de substitution. Le premier a été Lee Ketcham, le mari de Desta. Il lui a pris son nom d’artiste pour le faire sien : Halliday, devenu Hallyday avec deux « y » à cause d’une coquille sur la pochette de son premier disque. Charles Aznavour s’était pris d’affection pour lui à ses débuts, il lui avait enseigné quelques rudiments du métier et l’avait hébergé quelque temps dans sa maison, comme un fils. Plus tard, il eut une relation assez forte avec Jean Pierre-Bloch, le père de son ami et secrétaire particulier Jean-Pierre Pierre-Bloch. Il admirait cet homme, qui fut résistant de la Seconde Guerre mondiale et militant contre le racisme et l’antisémitisme, comme un père idéal. Il y avait toujours selon l’âge des partenaires une dimension paternelle ou fraternelle dans les relations de Johnny avec les hommes. Et, naturellement, la quête d’une maman chez les femmes.

 

Cela est explicité dans ton ouvrage, et se confirme au fil des témoignages et de l’enquête menée : hors les pères des débuts, les hommes ayant croisé le parcours artistique et de vie de Johnny lui ont plutôt été « soumis », et l’ont servi dans ses projets. Ce sont les femmes qui, souvent, lui ont tenu tête, l’ont impressionné humainement parlant. Sylvie, Nathalie, et même Laeticia, elles ont été de celles-ci, à la fois amantes, épouses, et un peu mères ?

femmes fortes

Johnny aimait les femmes fortes, il faut croire que ça le rassurait. Il avait besoin d’admirer pour aimer. Si l’on regarde bien, toutes les femmes de sa vie ont été des femmes affirmées, intelligentes, investies dans quelque chose. Il ne voulait pas de femme soumise à ses côtés, une qui se serait contentée de vivre dans son ombre. En même temps, il fallait le suivre, ce qui n’était pas simple du tout. Accepter son rythme de vie, ses travers, ses phobies. C’était un grand enfant, Johnny.

 

Peux-tu me dire, à ton avis, ce qu’a apporté ou représenté pour Johnny chacune des femmes importantes de sa vie ?

les femmes de sa vie

Pour ne citer que les quatre compagnes majeures de sa vie, Sylvie Vartan a apporté une famille. Elle a essayé de combler ce manque affectif dans sa vie, mais il était sûrement trop jeune pour s’installer dans une vie bourgeoise, telle que la rêvait Sylvie. Tous les deux ont été un couple mythique pour toute une génération. Ils ont vécu leur jeunesse et leur amour aux yeux du public… Nathalie Baye a ouvert une voie nouvelle à Johnny, en lui apportant une crédibilité auprès des intellectuels. Elle l’a transformé physiquement, l’encourageant à mener une vie plus saine. Toutes deux, Sylvie et Nathalie, lui ont donné un enfant… Adeline Blondieau a ramené Johnny aux sources du rock et du blues, la musique qu’il aime. Jeune et rebelle, elle ne tenait pas à ce qu’on lui impose une ligne de conduite. Leur union a été explosive… Enfin, Laeticia est celle qui est restée jusqu’au bout et lui a fermé les yeux. Aimée des fans, parce qu’elle était comme eux, fan elle-même de son mari, elle est parvenue à l’accepter tel qu’il était et à construire autour de lui cette vie familiale qui lui a tant manqué. Il lui a donné le pouvoir à un moment où la mort a failli l’emporter une première fois…

 

QUESTION BONUS ANNIVERSAIRE (15 juin 2020)

C’est Adeline, qui a incité Johnny a reprendre le Diego, libre dans sa tête de Michel Berger, qui fut d’abord interprété par France Gall et compte désormais parmi les grands classiques du répertoire Hallyday ?

Diego, et Adeline

Elle aimait cette chanson, elle a suggéré à Johnny de la reprendre et d’y mettre toute la rage qu’il manquait dans la version originale par France Gall ou par Michel Berger. Elle l’a aussi incité à reprendre des chansons écrites pour le texte par son père, comme Joue pas de rock’n’roll pour moiVoyage au pays des vivants... Puis, c’est encore elle qui est à l’origine de l’album blues-rock en anglais Rough Town et la tentative de tournée européenne qui a suivi, même si leur histoire était finie au moment de leur réalisation.

 

 

Comme biographe connaissant très bien sa vie, et comme fan, pour laquelle de toutes éprouves-tu la plus grande tendresse finalement ?

une favorite ?

Ça n’a pas beaucoup d’importance. En tout cas, il était inconcevable d’aborder cette thématique avec un parti pris. Il ne fallait pas perdre de vue le principe que Johnny les avait toutes aimées, sans exception. De quel droit se permettrait-on de démolir cela ? Jamais je ne me suis placé en juge. L’intervention des témoins m’a beaucoup aidé à garder ma neutralité. Cependant, comme un romancier s’attache à ses héroïnes, j’ai éprouvé de l’empathie pour toutes, ce qui m’a tenu à l’écart de tout manichéisme. Et j’ai de l’affection pour deux ou trois, il suffit de lire entre les lignes…

 

La paix intérieure, il l’a trouvée avec Laeticia non ? J’ai le sentiment que ton regard sur elle a un peu évolué avec la concrétisation de ce travail, et notamment les témoignages que tu as recueillis, je me trompe ?

Laeticia, ou la paix retrouvée ?

Le temps aidant, Johnny a pu construire une famille et assumer une paternité comme il ne l’avait jamais fait précédemment. Ses démons se sont calmés, ses angoisses et ses phobies aussi. Il a réussi à réduire sa consommation d’alcool et de cigarette. Tout ça s’est fait au contact de Laeticia, qui a certainement eu beaucoup de patience et d’ambition, puisqu’elle est restée. Johnny rêvait même d’être un patriarche entouré d’enfants. Ceux qui les ont connus ensemble témoignent d’un couple qui s’aimait. Personne n’en a vraiment douté. Il n’en reste pas moins que leur histoire est à la fois une histoire d’amour et d’argent… Le regard qu’on porte sur Laeticia évolue dès lors qu’on s’interroge sur la part de responsabilité de Johnny, dès lors qu’on cesse de le considérer comme un être parfait, intouchable. Cela ne veut pas dire qu’on le dénigre ou qu’on l’aime moins. On le considère comme un être humain, pas comme une statue, une icône. Ce livre m’a rapproché davantage encore de Johnny, et tous les témoins rencontrés m’y ont aidé.

 

Comment le rapprochement avec Huguette, sa mère, s’est-il opéré, et à qui, à quoi est-il dû ? Cela a été quelque chose d’important pour Johnny dans sa quête de paix intérieure ?

la mère, ou la rédemption

C’est Nathalie Baye la première qui a réuni la mère et le fils. Huguette a pu ainsi assister aux premiers pas dans la vie de Laura. Johnny a d’ailleurs donné pour second prénom à Laura (puis plus tard à Joy) celui de sa maman. Peu à peu, il a renoué de vrais liens avec cette mère à la fois aimée et rejetée. Il a fini par comprendre qu’elle ne l’avait pas abandonné, et il en a voulu à sa cousine Desta de le lui avoir fait croire. Huguette était présente au mariage de son fils avec Adeline à Ramatuelle. On la retrouve encore au Parc des Princes pour les cinquante ans de Johnny. Plus tard, à la mort de son mari, elle s’est retrouvée seule dans sa maison de Viviers, en Ardèche. Laeticia, qui s’occupait déjà de son arrière-grand-mère, a permis à ce qu’Huguette vienne s’installer à Marnes-la-Coquette. C’était important psychologiquement pour Johnny non pas de pardonner à sa mère, mais de lui demander pardon. Ils ont fait la paix ensemble, comme il n’a jamais pu le faire avec son père. Ça a beaucoup contribué, à la fin de sa vie, à le libérer de ses démons.

 

Parmi les témoignages recueillis, celui de Jean Renard, puis celui de Sandrine Décembre, t’ont intrigué, parce qu’ils allaient à rebours peut-être d’idées que tu avais quant aux influences portées sur Johnny. Ils l’ont affirmé : personne ne manipulait Johnny, il savait exactement quel chemin il voulait suivre et dominait son monde. Finalement, quelle idée t’es-tu faite sur cette question ?

Johnny et les influences

Le premier témoignage que j’ai recueilli est celui de Jean Renard, qui m’a dérouté. Car il n’allait pas dans le sens de ma thématique, il bousculait mon propos et – comme je l’ai cru sur l’instant – s’en écartait. Je suppose qu’il avait quelques comptes à régler, mais sous le propos amer jaillissaient tout de même une vérité et beaucoup d’amour. Il y avait surtout une vraie analyse du personnage, pas simplement un avis tranché. C’est un discours qui, après réflexion, m’a emmené ailleurs. Et ce fut bénéfique. Sandrine Décembre a enfoncé le clou, si j’ose dire, car elle partageait entièrement l’avis de Jean Renard, qu’elle ne connaissait absolument pas - ce qui rendait le point de vue d’autant plus crédible. Ensuite, je n’ai pas cherché à savoir qui avait raison parmi tous les témoins que j’ai interrogés. J’estime qu’il y a une part de vrai dans tous ces regards portés sur lui. On ne cherche pas une seule vérité quand on part à la recherche d’un personnage… Chaque témoignage est une pièce de puzzle. Toutes ces pièces ne s’imbriquent pas toujours les unes dans les autres ; le puzzle n’est pas forcément complet. Je l’ai dit : je n’ai pas fini d’écrire sur Johnny.

 

Il y a cinq ans et demi, lors d’une interview, tu me confiais que Johnny, toujours vivant à l’époque, était le grand frère que tu n’avais jamais eu. Il est parti il y a deux ans et demi : comment vis-tu cette absence aujourd’hui, et comprends-tu avec le recul l’influence, l’impact qu’il a pu avoir sur toi ?

te manquer

Je ne m’habitue pas à cette absence, je la comble en évitant de penser qu’il n’est plus là. Je continue à l’écouter, à regarder des spectacles de lui. Et à écrire sur lui, à creuser l’histoire du personnage. J’ai l’impression qu’il me faudra du temps avant d’en avoir fait le tour, et c’est tant mieux. Car à mon âge je n’envisage pas une vie sans Johnny. Il m’a accompagné toute ma vie jusqu’ici, il continuera à le faire jusqu’au bout. Oui, il a été une sorte de grand frère, un modèle masculin, une certaine idée que je me faisais de la virilité (rires).

 

Tes projets pour la suite ?

Je viens de signer un contrat pour un nouveau livre avec L’Archipel, mais il est encore trop tôt pour en parler… J’espère pouvoir trouver encore des sujets à aborder, cela me paraît de plus en plus compliqué. Mais je dis ça depuis 15 ans que je suis publié… Il n’empêche que j’aimerais trouver une voie de repli, grâce à mes connaissances sur la chanson. L’appel est lancé.

 

Une émission, par exemple ?

Oui, par exemple. Ou autre chose. Je suis open.

 

Un dernier mot ?

Par les temps qui courent, je dirais : soyons solidaires et responsables !

 

Frédéric Quinonero p

  

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6 juin 2020

« L'artiste endormi », par Silvère Jarrosson

Le peintre Silvère Jarrosson, auteur en 2015 d’un autoportrait touchant et inspirant pour Paroles d’Actu, propose ici une tribune libre, un texte poétique dans lequel il livre un regard original sur la démarche de création : « L’artiste endormi ». Je l’en remercie et vous invite, que vous soyez amateurs d’art ou simples curieux, à venir découvrir son oeuvre. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« L’artiste endormi »

par Silvère Jarrosson, juin 2020

Dans les derniers chapitres du Roi des Aulnes, Michel Tournier décrit trois positions dans lesquelles dorment les enfants d’un internat : sur le dos, sur le ventre ou sur le côté. Les postures de ces enfants endormis sont décrites comme trois façons d’embrasser le sommeil. Elles apparaissent comme différentes conduites que l’on peut choisir d’adopter face à la vie. Les enfants s’endorment comme certains partent en voyage ou se mettent à peindre : comme une simple façon d’exister.

J’aime à penser que l’on peut être artiste comme un enfant endormi, dont les rêves mystérieux sont les œuvres. Beau dans l’existence, émerveillé et inconscient.

Première posture, latérale. En dormant sur le côté, l’enfant-artiste rejoint le foetus, se referme et rêve pour lui-même. Son art s’apparente alors à une recherche timide et personnelle. Il s’agit d’un art centripète, dont le nombril est le centre. Deuxième posture, sur le dos. Probablement plus confiant, l’enfant-artiste regarde le ciel, sans pudeur. Il rêve peut-être d’ascension. Un artiste mondain somme toute, et un art centrifuge, destiné aux autres. Troisième posture, sur le ventre. Dans cette position, l’enfant-artiste n’est ni vraiment en communion avec lui-même, ni tourné vers les autres. C’est à la terre qu’il se donne, vers elle qu’il se tourne. Face aux profondeurs, on devine que son œuvre pourrait en être le miroir. On a alors affaire à un artiste tellurique, tourné vers les entrailles du monde, avec lequel ses rêves résonnent.

Le ballet Les Sept danses grecques de Maurice Béjart s’ouvre d’ailleurs sur une séquence durant laquelle, avant de danser, les danseurs remercient eux aussi le sol qui les soutient, en l’effleurant. Dorment-ils également sur le ventre pour embrasser la terre ? Nul doute que la danse de Béjart est ancrée dans le sol, et tournée vers lui.

L’enfant-artiste et ses trois postures ensommeillées est une image qui m’intéresse, car elle peut nous permettre de comprendre et d’apprécier la peinture (et la danse). Elle m’a moi-même guidé dans mon cheminement artistique. Chacune de ces postures est une attitude que l'on peut adopter face au monde, et donc, par extension, face à une œuvre d’art. Elles m’ont appris à regarder mon travail, et à le juger. J’ai débuté mes premières années de peinture comme un enfant endormi sur le côté, pour moi-même et sans me soucier du regard extérieur. Replié en foetus et sûr de ma démarche picturale, je ne jugeais mes œuvres que d’un point de vue strictement personnel. « Cette œuvre est bonne car je la trouve bonne. » Point de vue auto-centré, toujours très tentant pour qui ne souhaite pas se soumettre aux aléas de la critique. Point de vue facile aussi, qui se cache derrière une certaine vision de la création artistique pour éviter d’avoir à se remettre en question.

Cette posture d’évitement m’est apparue insuffisante, et je me suis tourné vers le public, au gré de certaines expositions notamment. J’étais alors un enfant endormi sur le dos, tourné vers les gens et acceptant que mon travail soit jugé et accrédité par les autres. Reconnaissance sociale. « Cette œuvre est bonne car elle est considérée comme telle par les autres. » Posture plaisante puisqu’elle permet de se faire apprécier. Posture mercantile aussi, puisqu’elle revient à peindre ce que demande le public. Et donc posture insuffisante, puisque le public ne demandera jamais autre chose que ce qui existe déjà.

Il reste alors à adopter la troisième posture, celle de l’enfant dormant sur le ventre. Contact intime et réconfortant avec la réalité, stabilité apaisante de la joue plaquée contre le drap. Lorsqu’il dort sur le ventre, l’enfant-artiste prend appui sur la terre, comme un danseur au moment de s’élancer. L’œuvre n’a alors plus besoin de validation extérieure, car elle devient sa propre démonstration. Elle est juste dans ses fondements telluriques, donc elle est juste.

Le foetus cherche sa force en lui-même, le mondain croit la trouver chez les autres. L’enfant de la terre la puise dans le sol, comme un danseur de Béjart. Pour lui, peindre revient à prendre appui sur le monde, pour nouer avec lui une relation qui engendrera l’œuvre. Est-il encore besoin de valider son travail a posteriori ? L’enjeu artistique n’est plus là. On pensera ici à Vendredi se glissant entre les racines d’un arbre pour que la nature puisse enfanter de leur symbiose (dans Vendredi ou la vie sauvage, un autre texte de Tournier).

Je voudrais peindre comme un enfant endormi sur le ventre, être cet esprit guidé par ses rêves, dans un état second. La nature humaine parle à travers ces enfants artistes. Ils en sont la voix.

 

S

« Hommage à Antonin Artaud, performance de Silvère Jarrosson

à la Villa Medicis, juin 2019. Curateur : Cristiano Leone. »

 

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19 mai 2020

Mickaël Winum : « Être artiste, c'est avoir un monde à défendre... »

Il est utile, et souvent même salutaire, lorsque les temps sont chargés d’inquiétudes, de lâcher un peu prise et de laisser s’exprimer la part de nous qui aspire à l’évasion. Et quoi de mieux, pour s’évader en des univers nouveaux, en des terres inconnues, par la rêverie autant que par la réflexion sur les autres et sur soi, que la culture ? L’époque est à ces moments-là : difficile, porteuse de bien des interrogations anxiogènes, elle serait plus sombre encore sans ces petits phares indispensables que constituent, pour tant de gens, la lecture, la musique, le cinéma, et bien sûr le spectacle vivant. Autant de secteurs et de métiers de l’art qui, pourtant, se retrouvent aujourd’hui en grande difficulté, parce que stoppés net pour une bonne cause, le soin pris de limiter la propagation du virus. Une question tout de même se pose : dans quel état les retrouvera-t-on, quand la vie elle-même aura recouvré de sa normalité ?

À l’heure du confinement, expérience propre à l’introspection, j’ai choisi de mettre en avant, pour l’article qui suit, ce monde de la culture, et je suis heureux aujourd’hui de vous présenter le résultat. Durant quelques jours, à cheval entre la fin avril et le début de mai, j’ai interrogé un jeune comédien, peut-être devrais-je plutôt dire « artiste » d’ailleurs, tant la palette de son art est large (théâtre, télévision, peinture, composition, écriture et interprétation de chansons). Mickaël Winum, c’est son nom, tient depuis de nombreux mois (la suite était encore en suspens) le premier rôle de l’adaptation par Thomas Le Douarec du Portrait de Dorian Gray, grand classique signé Oscar Wilde. Cet échange, retranscrit très fidèlement ici, m’a fait découvrir un garçon réfléchi et attachant, et entrevoir un grand artiste.

Je remercie chaleureusement Mickaël Winum d’avoir accepté de se prêter au jeu de l’interview, et salue également le metteur-en-scène Thomas Le Douarec, qui a eu la gentillesse d’écrire, sur ma proposition, quelques mots à propos de son comédien - une surprise que ce dernier ne découvrira qu’en lisant cet article. Une première partie, inattendue mais finalement indispensable, et une seconde, la principale, celle pour laquelle tout le monde est venu, ici. Comme au spectacle. Je leur envoie à tous deux, ainsi qu’à leur équipe et, à travers eux, à toutes celles et tous ceux qui, de près ou de loin, font et font vivre notre culture, inquiets de ce que demain sera fait, mes pensées bienveillantes. Une exclusivité, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Place au théâtre...

 

p. 1 : M. Winum, vu par Thomas Le Douarec

« Il ne pourrait pas envisager la vie sans art, et en cela,

il est très proche de son personnage de Dorian Gray ! »

« Mickaël est un véritable artiste : peintre, comédien et maintenant auteur, compositeur, chanteur… Un artiste total, complet, qui ne pourrait pas envisager la vie sans art, et c’est en cela qu’il est très proche de son personnage de Dorian Gray ! Dorian, comme Oscar Wilde, s’est lancé à corps perdu dans la quête de la beauté absolue : une quête permanente, de tous les jours. Le roman Le Portrait de Dorian Gray est une véritable réflexion sur l’art, tous les arts : la peinture bien sûr mais aussi le théâtre, la musique, etc. Aussi Mickaël, dans ce spectacle, est dans son élément, son milieu naturel, son biotope !

Depuis que je le connais, il n’y a pas une journée où Mickael ne peint pas, ne dessine pas, ne chante pas, ne joue pas. Et je parle en connaissance de cause, car lorsque nous sommes en tournée en province avec ce spectacle, il nous arrive, avec les comédiens, de ne pas nous quitter pendant plusieurs jours.

C’est un contemplatif, un homme très doux qui observe toujours la vie autour de lui avec beaucoup de sagesse. Un  grand solitaire doublé d’un immense bavard ! J’ai beaucoup d’affection pour lui, il le sait et c’est une joie pour moi de pouvoir vous parler de lui. Et ce qui m’impressionne le plus chez lui, c’est sa capacité au bonheur, sa joie de vivre égale et quotidienne malgré un lourd passé et les coups et bosses de son existence ! LA VIE NE L’A PAS ÉPARGNÉ, MAIS LUI SOURIT À LA VIE ! »

le 18 mai 2020

Thomas Le Douarec

Thomas Le Douarec est comédien et metteur-en-scène.

 

p. 2 : l’interview

Mickaël Winum: « Être artiste, c’est

avoir un monde à défendre... »

Mickaël Winum

 

Mickaël Winum bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions en ces temps un peu particuliers. On va essayer de parler un peu culture, un peu de la suite... Déjà, comment vis-tu ce confinement ?

Bonjour Nicolas. J’ai la chance d’avoir d’autres passions à côté de mon métier de comédien, notamment la peinture et le piano, des mondes parallèles dans lesquels j’ai la possibilité de me ressourcer et de faire face à cette situation des plus exclusives et, effectivement, assez particulière...

 

Est-ce que, tout bien pesé, et en retranchant bien sûr à ta réflexion les aspects les plus sombres de cette crise, tu réussis à trouver quelques vertus à cette situation (introspection facilitée, etc...) ?

Je lis beaucoup d’ouvrages sur le pouvoir du moment présent, le calme, la sérénité, le bonheur... Effectivement, on se retrouve là dans une situation où l’on est un peu soi-même en face de son miroir, ce qui inquiète d’ailleurs beaucoup de personnes, qui souvent se réfugient alors dans une sorte de routine, courant après le temps, l’argent... puisque la routine permet finalement d’oublier l’essentiel, et c’est rassurant pour la plupart.

Ces lectures me font penser que c’est le moment parfait pour retrouver l’essentiel, c’est-à-dire le présent, la vie, et savoir qui l’on veut être, où l’on veut aller. J’espère que tout cela permettra au monde de repartir sur de meilleures bases...

 

As-tu suffisamment foi dans l’humanité pour croire que l’on apprendra, collectivement, de nos erreurs, et que par la suite nous irons ensemble vers du plus responsable, notamment pour la planète ?

Étant de nature très positive, je suis toujours optimiste et crois toujours que le meilleur, et le progrès restent à venir. Encore faudrait-il que beaucoup qui n’ont pas conscience de cela puissent se réveiller et réagir, mais c’est encore une autre histoire...

 

Revenons maintenant à toi, à ton parcours... Au théâtre... Depuis quand as-tu ce goût de jouer, de te travestir en endossant la peau d’un autre, et à quel moment as-tu eu ce déclic qui t’a fait comprendre que le théâtre allait être important dans ta vie ?  

Au début, c’était une manière de me calmer, comme un exutoire. J’avais quelques problèmes, dans ma vie, que je devais résoudre, et c’est à travers le théâtre que cela s’est fait. Un metteur en scène, Jaromir Knittel, qui dirigeait une troupe de théâtre, m’a dit un jour : « Viens nous voir, vois si tu as quelque chose à offrir, et reste parmi nous si ça te plaît ». C’est ce que j’ai fait, et c’est comme cela que le voyage a commencé.

J’étais déjà dans une sphère artistique qui m’aidait à m’exprimer, avec la peinture et le dessin quand j’étais gosse (la musique est venue bien après), mais c’est vraiment avec le théâtre que ça s’est concrétisé. Cette découverte m’a beaucoup apporté.

 

Qu’est-ce que le théâtre t’a apporté dans ta construction personnelle ? Dans quelle mesure t’a-t-il aidé à grandir, à te former en tant que personne ?

Pour moi, le théâtre, c’est un peu un prisme qui permet de voir le monde de manière plus large : on est amené à s’intéresser à la vie des autres, au comportement du personnage qu’on va incarner sur scène. On est souvent très observateur quand on est comédien. Régulièrement, je me pose sur une terrasse, et j’observe les passants, longuement, essayant de deviner où ils vont, quels sont leurs objectifs, leurs vies. Pour moi c’est vraiment cela le théâtre, et aussi un vecteur de textes, de poésie essentiels pour le monde.

 

Conseillerais-tu de le pratiquer à des gens timides, qui n’oseraient pas trop avancer en société ?

Bien sûr. Le théâtre, ça libère. On n’est jamais vraiment seul, sur un plateau. Même lors d’un monologue ou d’un seul-en-scène, il y a toujours le regard bienveillant d’un metteur-en-scène, et aussi les techniciens qui nous entourent... On n’est pas tout seul, et ça fait du bien : il y a un peu cette idée de famille d’emprunt, provisoire, le temps d’un spectacle, d’une tournée.

 

Justement, j’ai lu que tu étais originaire d’Alsace. J’imagine que tu es monté assez rapidement à Paris pour le théâtre. Est-ce que ça a été compliqué au début, Paris, en ne connaissant pas forcément grand monde au départ ? Et cet aspect « famille de substitution » a-t-il été important à ce moment-là ?

Je suis monté à Paris un peu plus tard que la moyenne : je suis arrivé à 22 ans. Mais j’étais, c’est vrai, complètement perdu : je n’avais pas de repère, pas de famille artistique. Personne d’ailleurs n’est issu du milieu artistique dans ma famille. Mais j’ai eu la chance d’être accompagné par des grands de ce métier, notamment Jean-Laurent Cochet, qui vient de nous quitter malheureusement - il a formé les plus grands, de Gérard Depardieu à Fabrice Luchini. C’est quelque chose qui ne s’oublie pas. Ils sont avec nous ces professeurs, chaque fois qu’on est en répétition, qu’on monte sur une scène... Cet accompagnement, ces mains tendues comptent beaucoup, et il en faut même si on a la volonté et la persévérance, qui sont essentielles.

 

Si tu me permets d’entrer dans une sphère plus personnelle : tu dis que personne de ta famille ne provient d’un milieu artistique, est-ce que cela a rendu plus difficile l’acceptation par tes proches, et notamment tes parents, de ton choix de parcours (des inquiétudes particulières pour un monde qu’ils ne connaissent pas...) ?

De manière générale, il m’ont bien soutenu. Il y a quand même eu des questionnements, des craintes et mises en garde, notamment lorsque je suis parti à Paris... Sentir en tout cas un soutien de sa famille, de son cercle d’origine est très important, et ils ont été formidables face à cette démarche.

 

Le portrait de Dorian Gray

 

J’aimerais maintenant t’interroger un peu plus précisément sur ton actualité, même si tout ce qui forme la culture est un peu mis entre parenthèses en ce moment... Ton actu c’est bien sûr ta composition dans Le Portrait de Dorian Gray, mis en scène par Thomas Le Douarec. La pièce est basée sur ce roman très particulier d’Oscar Wilde, fantastique et philosophique, et dont tu interprètes le rôle-titre, personnage torturé s’il en est. Comment t’es-tu glissé dans la peau de Dorian, et dans le fond est-ce que ce personnage t’a « travaillé » ?

J’ai toujours trouvé ce genre de personnage plus intéressant à travailler, parce que j’aime bien gratter derrière les apparences. On est dans un monde qui fonctionne beaucoup sur le premier regard, les premières impressions, on juge souvent très rapidement sans gratter derrière. Au théâtre, on peut se permettre, dans le travail d’un personnage, d’aller voir ce qui se cache derrière. Souvent, c’est tout un monde qui se cache derrière les personnages sombres, avec par conséquent, plus de choses à découvrir, on se confronte à beaucoup plus d’émotions, de richesse, de contrastes. Ces personnages-là sont encore plus excitants à jouer.

Je crois également que ce sont des personnages qui permettent de dépasser nos peurs, nos angoisses de la vie et nos fantômes du passé... On parlait en début d’entretien du pouvoir du moment présent, du calme et de la sérénité, moi bizarrement, c’est à travers ce type de personnage que j’arrive à les trouver. Par exemple, j’avais dit dans une interview que pour aller mieux, j’aimais beaucoup les films très sombres, les livres noirs, parce qu’ils me permettaient de dépasser mes sensations et en un sens de me dépasser moi-même...

Je dirais aussi que je n’ai jamais vraiment aimé ce qui est trop simple, simpliste. J’aime quand il y a plusieurs couches de complexité à explorer et à travailler dans un personnage. Quand j’ai joué Oreste par exemple, du début à la fin, ce qu’il traverse, ce qu’il vit, c’est comme Dorian, comme une spirale infernale. Et tellement de choses rencontrées : l’amour, les désirs, le rejet, la haine, le mépris... Il y a quelque chose d’assez enivrant dans ces spirales infernales.

Ces personnages sont également une leçon, à travers leur façon de réagir à des situations, leurs actes, leurs paroles... Tu parlais tout à l’heure de Dorian Gray comme d’un conte philosophique, c’est le cas. Ce sont toujours les pièces et les personnages qui suscitent le plus de questions qui font réagir, qui font grandir.

 

Y a-t-il justement, parmi les grands héros, les grandes victimes de la littérature, ou même parmi les personnages ayant existé (je pense par exemple à des gens comme les serial killers), des figures que tu rêverais d’incarner, comme un challenge pour aller encore plus loin dans l’exercice ?

Il y en a beaucoup. J’ai eu la chance notamment d’interpréter l’Aiglon d’Edmond Rostand, un de mes premiers grands rôles, sous la direction de Jaromir Knittel. On pourrait penser par exemple à une adaptation théâtrale de Norman Bates, ou bien au Prince de Hombourg de ‎Heinrich von Kleist. Ou encore Ruy Blas de Victor Hugo... Les grands héros de la période romantique...

 

Avis à qui nous lirait. Norman Bates, avec un bon script, je demande à voir ! Tu l’expliquais, tu aimes réfléchir en profondeur à la personnalité d’un personnage. Comme comédien certes. Mais as-tu aussi le goût d’écrire ou de mettre en scène ?

Pour le moment non, je n’ai pas vraiment d’envie de mise en scène. Pour l’écriture, pas mal d’envies, mais pour le moment je les concrétise davantage dans les textes de chansons que je suis en train d’écrire et de composer, ce qui d’ailleurs prend du temps.

 

Je rebondis sur ce point, et sur un sujet que tu as déjà abordé en interview, cette espèce de mal français qui veut qu’on essaie de faire rentrer tout le monde dans des cases bien délimitées... De ce point de vue-là ton parcours pourrait agacer pas mal de gens : comédien, peintre, musicien, chanteur... Pour toi artiste, ça suppose de toucher à un peu tous les domaines de l’art ?

C’est vrai que ce n’est pas une obligation, pour un artiste, de s’exprimer à travers différents médias artistiques, mais ça ne devrait pas être une privation non plus. C’est tellement dommage que beaucoup de personnes - notamment chez nous ! puisque ce problème se retrouve nettement moins aux États-Unis ou au Royaume-Uni - cherchent à ce point à caser dans une expression artistique. Beaucoup d’artistes combinent plusieurs cordes à leur arc, je pense par exemple à Patti Smith, à Yoko Ono, à David Lynch ou à tant d’autres... Je trouve ça beau : être artiste c’est construire son monde à travers différents moyens d’expression, et le défendre. Personne ne devrait contraindre cela. Mais je suis de nature optimiste donc j’espère qu’il y aura du changement et du progrès de ce point de vue-là.

 

Le théâtre passe, à tort ou à raison, pour être assez élitiste, et de fait, beaucoup de gens qui ne sont pas habitués au théâtre n’iront pas, ce que personnellement je trouve très dommage. Est-ce que tu trouves cela regrettable, vu que ta famille elle-même ne connaissait pas ce milieu à la base, et as-tu des idées d’initiatives qui pourraient inciter les gens à aller plus naturellement au théâtre ?

Question intéressante ! C’est très regrettable effectivement que le théâtre ait cette image élitiste. Comme tu le rappelles, ma famille ne venant pas du milieu, ce serait pour moi une grande victoire que de contribuer à élargir l’impact du théâtre. Je pense qu’il y a déjà un problème de prix, soyons honnêtes, beaucoup de programmations sont malheureusement trop onéreuses. Il y a également un problème de choix : je pense par exemple à un pays comme le Royaume-Uni, qui propose des spectacles qui brassent beaucoup plus de monde. Il y aurait peut-être une solution à voir de ce côté-là... je suis confiant et bien sûr, voir davantage de monde dans nos salles serait formidable.

Quand je parle d’élitisme, je pense par exemple à des programmations de théâtre fonctionnant beaucoup par abonnements, et dont les abonnés n’ont pas vraiment d’autre choix que de suivre la programmation qui a été validée par les théâtres en question. Il y a peut-être quelque chose à réviser aussi de ce point de vue-là. Nous autres, en tant qu’artistes, essayons le plus possible d’aller chercher les gens, de les faire venir... Le théâtre est une fête, c’est aussi un rassemblement d’échanges, d’interrogations, comme il était d’ailleurs à la base, notamment en Grèce : c’était un moyen pour le peuple de se réunir, de se questionner et de philosopher. Retrouver un peu de cet esprit-là, ce serait vraiment bon.

 

Dorian Gray

In Dorian Gray.

 

Belle idée ! Puisses-tu être entendu. Pour revenir, un instant, à la crise sanitaire qui nous frappe, et à celle, économique et financière, qui nous attend, tu n’est pas directement gestionnaire d’un théâtre, mais tu en fais partie et en connais bien les enjeux. Alors, es-tu inquiet pour la suite ?

Bien sûr. Mais je crois que c’est aussi le moment idéal pour rebondir. Je vois que beaucoup de pétitions sont lancées, notamment pour le soutien des intermittents, ou l’organisation et le financement du festival off notamment. Pas mal de choses se mettent en place et j’espère qu’elles vont aboutir. Je suis inquiet pour le moment, mais confiant pour l’avenir.

 

On a beaucoup parlé de théâtre jusqu’à présent, c’est normal. Parlons un peu cinéma : de quel ciné es-tu amateur, et quelles sont tes envies en la matière (de collaborations notamment) ? Profite, on nous lit !

J’aime beaucoup le cinéma indépendant, le cinéma d’auteur, notamment les films d’Audiard, de Desplechin, de François Ozon, de Philippe Lioret, de Mathieu Amalric... Pas mal de réalisateurs étrangers aussi que j’aime beaucoup, notamment Terrence Malick, David Fincher ou David Lynch... Il y a également Lars von Trier, qui est un de mes réalisateurs préférés. Pour le moment, je tourne beaucoup plus pour la télévision, mais j’espère bien que des rôles pour le cinéma vont arriver bien sûr... Je ne suis qu’en début de parcours, j’ai un peu de temps.

 

C’est tout le mal que je te souhaite. Tu parlais aussi de la partie musicale de ton parcours : as-tu une formation de musicien, de chanteur, et quelles sont tes influences ?

J’ai suivi des cours de chant à l’opéra de Strasbourg, parallèlement à mon parcours au conservatoire de la même ville. Actuellement, je prends des cours de chant et de coaching vocal à la Maison des sons.

Quant à mes influences, j’aime beaucoup les chansons à texte : Jacques Brel, Barbara, Édith Piaf, Leonard Cohen, Cat Power... Je me situe musicalement, un peu entre la folk pop et l’indie pop. Des chansons à texte sur ces mélodies envoûtantes, c’est ça mon truc.

 

Est-ce que tu écris des textes, et est-ce que tu composes des mélodies de chansons ?

Oui, les textes des chansons sont déjà écrits. J’écris mes propres textes. Et je prends des cours de piano depuis un an et demi. Je pars d’abord du texte, et ensuite je cherche les accords, les mélodies sur le piano.

 

Parlons un peu peinture... Qu’est-ce qui t’inspire, niveau peinture ? Et est-ce que cette forme d’art te procure des sensations autres ?

En peinture j’ai plus de liberté. Tu plantes ton décor, tu choisis tes couleurs, ton cadrage, tes personnages... tu n’es pas dépendant d’une production, d’un metteur en scène... C’est très calme, la peinture. Ça m’apaise, et j’en fais beaucoup, pendant plusieurs heures, avant de dormir. Très jouissif, vraiment.

Je dirais aussi que lorsque tu peins, tu es vraiment en communion avec toi-même, tu projettes sur la toile ce qui se passe en toi. Par exemple, je pars souvent du réel, des images que je vois, des scènes auxquelles j’assiste en journée, ou je prends des photos... et tout cela m’amène à un univers assez poétique, parfois surréaliste, et c’est très enrichissant.

 

Tableau M

Un des tableaux de M. Winum.

 

Au tout début de mon entretien, à propos du Covid-19 et du confinement, tu m’as dit quelque chose d’intéressant : quand on est confiné seul notamment, on se retrouve face à soi-même, comme face à un miroir, dans une espèce d’introspection. Point d’autant plus pertinent peut-être que toi, bien sûr, tu joues Dorian Gray, dont on sait le rapport qu’il a à sa propre image... Alors, sans aller trop loin dans l’indiscretion, as-tu découvert quelque chose de toi durant cette période ?

À titre personnel, pas tant que ça. J’avais déjà pas mal conscience de ce qui est essentiel. J’ai cette possibilité d’y revenir assez facilement, entre deux rôles et deux projets, et cela permet aussi de se remettre en question en tant qu’artiste. Je pense plutôt à d’autres qui avaient un autre rythme de vie, encore plus rapide, et qui eux ne pouvaient pas forcément se permettre de faire cette pause-là. Pour eux, je pense que le changement doit être encore plus grand.

 

Quels conseils donnerais-tu à un petit Mickaël, ou à une petite Mickaëla d’ailleurs, de douze, treize ans, qui viendrait de Strasbourg ou d’ailleurs d’un coin encore plus reculé de province, et qui après avoir assisté à une pièce de théâtre, aurait envie de suivre ce chemin, alors même que ses parents ne seraient pas du tout du milieu ? Ton histoire finalement...

C’est très intéressant comme question. Mon conseil : ne jamais renoncer, persévérer quand on croit. On a un monde à défendre. Je viens d’une école où nos professeurs disaient que chaque artiste a son monde à défendre, j’insiste là-dessus. On peut rencontrer des problèmes, mais ils peuvent être surmontés : questions financières / pas au bon endroit / pas bien entouré, etc... Tout cela est gérable, et on peut faire de belles choses, surtout dans notre pays... Mon conseil au fond, c’est de dire qu’il faut vivre ses rêves, et non pas rêver sa vie.

 

Belle réponse... Et est-ce que toi, du coup, tu dirais que tu vis tes rêves, et que tu es heureux dans ta vie ?

Tout à fait. Je pense que je suis exactement là où je voulais être : à Paris, comédien, et développant d’autres arts. Je connais des moments artistiques absolument géants qui remplissent ma vie de bonheur.

 

Quels sont les trois adjectifs qui seraient à ton avis les plus pertinents pour t’auto-présenter ?

Passionné, déterminé, perché.

 

Croquis M

Dorian Gray, vu par Mickaël Winum.

 

On a pas mal parlé de tes projets. Au-delà d’eux, quelles sont tes envies profondes pour la suite ?

Une envie... Je dirais, continuer mon chemin avec passion, et poursuivre mon exploration du monde quand ce sera de nouveau possible, je suis un vrai globe-trotter...

 

Tes petits coins de paradis ?

Partout où il y a de la nature et de la culture.

 

Un appel, un message à faire passer à l’occasion de cet interview ?

Un message à faire passer oui : ne laissons pas mourir la culture, elle est salutaire pour tous...

 

Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

Une vie bien remplie, passionnée et passionnante.

 

Un dernier mot ?

Vive la vie !

 

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3 décembre 2019

Le 8 décembre, et la Fête des Lumières, vus par Loïc Graber, adjoint à la Culture, Lyon

le 8 décembre, et la Fête des Lumières,

vus par Loïc Graber, adjoint à la Culture, Lyon

Loïc Graber

Je me souviens de mes premiers 8 décembre, au début des années 1980 : mon père nous emmenait avec mes frères en voiture pour voir les lumignons sur les fenêtres des immeubles lyonnais.

Dans les années 1990, bachelier puis étudiant, je me souviens des déambulations à pied dans les rues. Il valait mieux éviter Saint-Jean et ses chutes de farine et oeufs...

Et à la fin des années 1990, puis tout au long des vingt années suivantes, le 8 décembre est devenu Fête des Lumières sur plusieurs jours. Aux côtés des traditionnels lumignons, des installations lumières ont vu le jour sur les façades des monuments lyonnais. Avec les evolutions techniques et artistes, les éclairages sont devenus projections d’images puis mapping numeriques.

Le rendez vous est resté populaire et les familles sont nombreuses. Il est devenu touristique aussi, permettant le rayonnement, la notoriété et donc l’attractivité de notre ville. Et cet événement reste la fête des Lyonnais, puisque plus de 50 % des visiteurs viennent de Lyon ou de la métropole. Si les conditions de sécurité ont obligé à modifier son organisation, il demeure un rendez-vous généreux et attendu.

Cet événement est aussi professionnel. Aux côtés des concepteurs chevronnés, les étudiants ont leur place avec les expérimentations et des lieux dédiés à la jeune création. Ce seront les artistes de demain car la transmission est essentielle pour continuer cette fête.

Il faudra continuer à innover dans les formats proposés pour que la Fête des Lumières continue à rayonner sur notre ville.

Loïc Graber, le 3 décembre 2019.

@ lire également, le témoignage de Yann Cucherat

sur la #FêteDesLumières, une autre exclu #ParolesdActu...

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1 décembre 2019

« Ma Fête des Lumières... », par Yann Cucherat

Issu de et vivant dans la région lyonnaise, je n’ai finalement consacré que très peu des pages de ce site à l’ancienne capitale des Gaules, qui pourtant le mériterait à bien des égards. Je suis heureux de pouvoir réparer une partie de cette injustice avec la publication, ce soir, de cet article rendant compte d’un échange en deux temps avec Yann Cucherat. Ce Lyonnais d’origine, qui fut un grand champion de gymnastique, officie désormais en tant qu’adjoint auprès du Maire de Lyon pour les Sports, les Grands événements et le Tourisme. Je lui ai proposé d’évoquer par un texte de son cru la Fête des Lumières, célébration en sons et en couleurs construite autour de (mais pas en opposition à) la fête religieuse locale du 8 décembre (en vertu de laquelle, selon la tradition, les Lyonnais rendent grâce à la Vierge Marie d’avoir mis fin à une peste dévastatrice au milieu du 17è siècle). Au fil des ans, la Fête des Lumières est devenue de plus en plus populaire, attirant les foules bien au-delà de la ville, de sa région, ou même de nos frontières. Dans un second temps, j’ai interrogé M. Cucherat sur le bilan qu’il tire du mandat écoulé, sur les élections à venir et ses projets pour la suite. Je le remercie d’avoir joué le jeu dans les deux cas, et d’avoir accepté de se confier. Bonne lecture, et venez à Lyon... vous verrez, c’est bien ! ;-) Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

partie 1: le texte de Yann Cucherat

« Ma Fête des Lumières... »

La Fête des Lumières, ce fut pendant longtemps, pour moi, une seule et unique date : celle du 8 décembre… Lorsque j’étais enfant, seuls les lumignons scintillaient dans la constellation de notre belle ville, et sur les trottoirs gelés fleurissaient les sculptures de glace et les étals de marrons ou de vin chaud des commerçants… Les rebords des fenêtres s’illuminaient, quadrillant les chemins de la nuit noire et glacée, la féérie opérait, indéfectiblement, et poussaient tous les habitants au-dehors de chez eux, pour vibrer à plusieurs, ENSEMBLE, sous le ciel d’une chaleur fraternelle qui brillait jusque tard dans la nuit…

En venant faire mes gammes à la Convention gymnique de Lyon, j’ai connu par la suite l’excitation fébrile des premières sorties entre copains, après l’entraînement, dans une ville de plus en plus festive et enflammée, depuis l’indéfectible inscription embrasant la colline de Fourvière (‘Merci Marie’), en passant par l’enhardissement potache qui gagnaient certains d’entre nous, jetant des œufs ou de la farine sur les badauds s’entassant à Saint-Jean… Même l’Hôtel de ville, imposant édifice entouré de mille et un mystères, jouait le jeu lui aussi, orné de lueurs surplombant majestueusement une place des Terreaux résonnant de rires et de cris… Jusqu’à perdre ses amis pour de bon, à la moindre inattention, tant la foule se pressait au carrefour des festivités… Nostalgie d’une époque pourtant bien moins pratique : si vous égariez en route la moitié de l’équipe, impossible alors de se retrouver au simple détour d’un SMS… !

Jamais je n’aurais pu imaginer remplir les fonctions qui sont les miennes aujourd’hui, alors que l’esprit de la Fête se prolonge désormais sur plusieurs jours, drainant des flux de populations déferlant du monde entier, tandis que le savoir-faire lyonnais se propage lui aussi aux quatre coins du globe !

La Fête des Lumières est devenue une marque de fabrique, un rendez-vous immanquable, qui émerveille petits et grands, parfois pour toute une vie, aux confins de l’art et des technologies dédiées au service de la lumière, celle qui fait rayonner notre territoire sur la planisphère !

Et je suis on ne peut plus ému, et on ne peut plus fier, en tant qu’adjoint délégué aux ‘Grands événements’, de veiller à ce que l’esprit originel de cette célébration mythique, se fonde au mieux avec les attentes d’un futur qui se vit dès aujourd’hui, sous les yeux émerveillés des enfants qui reprendront le flambeau dès demain…

Yann Cucherat, le 26 novembre 2019.

 

Lumières 2018 1

Lumières 2018 2

Lumières 2018 3

Photos Fête des Lumières, le 9 décembre 2018, N. Roche.

L’édition 2019 se tiendra du jeudi 5 au dimanche 8 décembre.

 

partie 2: l’interview avec Y. Cucherat

Quel bilan politique et humain tirez-vous de votre expérience au sein de la majorité municipale de Gérard Collomb depuis 2014 ?

Je suis très fier de la politique sportive que je suis parvenu à mettre en place avec mes collègues. Parce qu’une ville qui bouge est une ville en bonne santé, je me suis moi-même mis en mouvement avec mes équipes pour proposer à tou(te)s les Lyonnais(es) une offre de qualité, tant au niveau de la pratique encadrée que de la pratique libre et informelle. Dans une période de contrainte budgétaire poussée à l’extrême, je suis également parvenu à maintenir le volume d’aides apportées, tant à nos associations sportives, qu’à nos athlètes de haut-niveau, voire même, à mettre sur pieds de nouveaux dispositifs financiers pour accroître ce soutien. Étant moi-même issu du tissu associatif local, j’ai pu prendre la mesure de l’engagement sans relâche de nos bénévoles, qui force mon admiration depuis toujours, encore plus aujourd’hui qu’auparavant. Et puis, quelle chance de travailler avec tous ces passionnés ou avec des acteurs tels que Jean-Michel Aulas, Olivier Ginon, Tony Parker, madame la ministre des Sports ou encore, Tony Estanguet, dans le cadre exaltant des J.O 2024 !!! Que de belles victoires à célébrer avec nos filles de l’OL, de l’ASVEL, ou avec une championne telle Melina Robert-Michon (vice-championne olympique de lancer de disque).

Quelle chance également d’avoir accueilli l’EURO 2016 ou encore la Coupe du monde féminine de football 2019….

En ce qui concerne la délégation ‘Grands événements’, j’ai également été verni de pouvoir mener une politique sur un territoire aussi riche de talents et de créativité que notre belle terre lyonnaise. Des événements nombreux, multiples, d’une qualité relevée, et des rencontres inoubliables avec des artistes de renom, qu’il s’agisse de James Ellroy, Brian de Palma, Francis Ford Copolla, ou encore Éric Cantona (car oui, Éric Cantona est un excellent acteur de théâtre)…

Et puis, et c’est la raison pour laquelle vous m’interrogez en premier lieu, la ‘Fête des Lumières’ ! En tant que Lyonnais pur souche, je ne pouvais pas rêver mieux que de me retrouver dans les coulisses de cet événement indétrônable dans le cœur de chaque Lyonnais, mondialement connu, indéboulonnable et unique au monde ! Quant à la délégation ‘tourisme’, qui m’a également été dévolue… Lyon a été désignée destination préférée en Europe sur les séjours courts, elle est classée 4ème au classement des destinations préférées des étrangers, capitale européenne du tourisme intelligent en 2019 avec Helsinki… Je suis comblé, et en plus nous y mangeons bien.

Donc oui, ce mandat politique a été d’une grande richesse au niveau professionnel.

Sur le plan humain, ce fut également riche en enseignement. Évoluer aux côtés d’une personne aussi brillante que le maire de Lyon Gérard Collomb m’a énormément appris. Après, c’est un milieu très difficile, dans lequel faire sa place n’est pas une mince affaire. Mais je viens du monde du sport de haut-niveau, et je connais les vertiges et les abysses du monde de la compétition.

Quel regard portez-vous sur les élections du printemps prochain à Lyon ? Avez-vous envie d’en être ?

Je soutiens Gérard Collomb, maire sortant, en tant que candidat à la Métropole et/ou à la Ville de Lyon, car je pars du principe qu’il est un candidat expérimenté, de grande qualité, ce qu’il a prouvé en transformant radicalement notre ville. J’ai envie de lui être fidèle tout comme lui n’a de cesse d’être fidèle à la Ville que j’aime ainsi qu’aux Lyonnais. Il est le seul à avoir une vision aussi pertinente des enjeux actuels et de la manière d’y répondre. Je ferai parti de ceux qui autour de lui proposeront un projet ambitieux pour notre ville.

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ?

J’en ai plein. En premier lieu, celui de poursuivre les politiques publiques que nous avons engagées en les adaptant aux enjeux de notre société en mouvement. Je souhaite également contribuer à la réussite des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 et tout particulièrement de la gymnastique, ma famille sportive. Mais avant tout, j’aimerais parvenir à voir grandir mes enfants… Car entre la gym (je suis sélectionneur des équipes de France masculines), mon engagement aux côtés de Roxana Maracineanu (la ministre des Sports, ndlr) sur la question épineuse des ‘Cadres sportifs d’État’, ou encore, mes missions en tant qu’élu, j’ai parfois été éloigné de ma famille. J’apprends donc à répondre à mes objectifs et aux attentes de chacun, sans oublier les miens. C’est ça, ma véritable envie et mon véritable projet pour la suite…

Vos arguments pour inciter nos lecteurs, notamment parisiens mais pas que, à venir découvrir Lyon le temps d’un week-end ? ;-)

Paris est une ville incroyable. Lyon est une ville incomparable… Délicieusement mystérieuse, malicieusement dynamique, au patrimoine incommensurable, et cité internationale de la gastronomie de surcroît… À vous de voir, amis d’ailleurs… et si vous en doutez, je vous invite à venir passer un 8 décembre chez nous…

Interview du 28 novembre 2019.

 

Yann Cucherat©Muriel Chaulet

Photo de Yann Cucherat, par Muriel Chaulet.

 

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30 octobre 2019

« Le regard de Charles », vu par Thomas Patey

Le 1er octobre 2018 disparaissait le plus bel ambassadeur de la langue française, Monsieur Charles Aznavour, à l’âge de 94 ans. L’enveloppe corporelle de l’homme expirait, vidée de sa flamme de vie. Son âme... Dieu seul le sait. Son oeuvre en tout cas, immense, demeure. Les chansons, les textes d’Aznavour, interprète superbe et auteur authentique, émerveilleront et inspireront, longtemps encore, les générations qui ont connu ce grand « petit bonhomme », et celles aussi qui ne l’auront pas connu. Il y a quelques mois, à l’occasion d’un échange autour d’un autre grand artiste, Marcel Amont (que je salue ici amicalement, ainsi que son épouse Marlène), j’ai fait la connaissance d’un tout jeune homme, Thomas Patey, un garçon attachant et totalement passionné par Aznavour et tant d’autres noms de la belle chanson française. Je lui ai proposé d’écrire un texte à l’occasion de la sortie du film Le regard de Charles (de Marc di Domenico sur des images tournées par Aznavour) qu’il a vu et aimé. Et lui ai proposé quelques questions pour qu’il se présente et nous raconte ses passions, et ses aspirations. Merci à toi, Thomas, et que cette publication contribue au beau parcours que je te devine... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Le regard de Charles

  

partie 1: le texte de Thomas Patey

« Le regard de Charles... »

Le 5 octobre 2018, la France rendait un hommage national aux Invalides à Charles Aznavour.

Nous nous souvenons tous de ce petit cercueil recouvert du drapeau tricolore, de la Garde nationale chantant Emmenez-moi, de l’éloge à la langue française prononcé par le président Macron, mais surtout nous nous souvenons des applaudissements, les derniers qui devaient mettre fin à la carrière de celui qui fut, peut-être, le plus grand auteur-compositeur-interprète que le monde ait connu. Ce jour marque sans doute la fin d’une époque, le glas ne sonnant pas seulement le départ du chanteur, mais aussi celui d’un temps où la poésie se réfugiait dans la chanson française, la bonne chanson française. Ce jour là, sous un froid soleil, le cœur lourd, nous avons dit au revoir à Charles Aznavour, seulement au revoir. Un an après en effet, le plus arménien de tous les Français revient nous enchanter et nous emmène « au bout de la terre » avec ce film-documentaire de Marc di Domenico, co-réalisé par l’artiste : Le regard de Charles.

Par un semi-hasard, c’est le 5 octobre 2019 que je me suis rendu dans un petit cinéma lillois, situé donc à plus de 80 kilomètres de chez moi, pour assister à la séance de 17h45. Cela dit, je vais tenter à présent de poser un regard, sur un regard. Car l’oeuvre de Marc di Domenico et d’Aznavour est bel et bien un regard mis en film, et c’est cette distinction qui fait que ce documentaire est unique et des plus émouvants. La tâche est loin d’être évidente. Faire la critique d’un film est envisageable, mais établir une critique sur un regard n’est pas chose aisée. Qu’y a t-il de plus subjectif, de plus personnel qu’un regard ? Le regard possède une espèce d’irreponsablité, on ne peut pas le juger.

Je pensais tout connaître de la vie de Charles Aznavour, et étais persuadé d’avoir saisi et compris le personnage qu’il incarnait. Cependant, en quittant la salle de cinéma, j’eus une pensée que jamais je n’avais eue au sujet de mon idole : lui aussi a eu mon âge. C’est la chose qui m’a le plus frappé à travers ces images, le fait d’avoir face à moi un Charles Aznavour tout jeune adulte, en maillot de bain sur une plage, entouré d’amis, lui qui, les fois où je l’ai rencontré, était un fringant nonagénaire. Il a donc su ce que sont les amours adolescentes, les interrogations constantes, il a connu les parties de rire entre jeunes gens d’un même âge. C’est un autre Charles Aznavour que l’on découvre grâce à ces images personnelles, filmées dans un cadre privé. Oui, s’il chantait si bien la jeunesse, c’est qu’il en avait connu une, qu’il a sans doute bu jusqu’à l’ivresse. À l’automne de sa vie, Aznavour s’amusait à dire qu’il n’était pas vieux, mais âgé. Je comprends aujourd’hui, et en partie de par ce film-documentaire, ce qu’il voulait dire. Il n’était pas vieux, être vieux est un tempérament, une façon de penser et de voir les choses. Non, il n’était pas vieux mais seulement âgé, car il avait connu tous les âges, et avait voyagé durant neuf décennies.

Le voyage, voilà un deuxième sujet qu’il faudrait traiter pour évoquer ce film. J’ose le dire, ou plûtot j’ose l’écrire : ce film est plus une ode au voyage qu’un film sur Charles Aznavour. Pendant plus d’une heure, tout en restant assis dans un fauteuil rouge d’une salle de cinéma, vous partez en voyage, et vous parcourez le monde. Charles vous emmène au pays des merveilles, vous propose de découvir les paysages et de rencontrer les habitants du monde entier. De Montmartre au désert du Maroc, en passant par le Tibet, les terres d’Arménie, New-York ou Macao, Aznavour est de tous les continents, et en tant que fils d’apatrides, il était un peu de tous les peuples. Charles Aznavour filme comme il écrit, il ne cherche pas à montrer ce qui est beau ; il porte sa caméra pour filmer une réalité et si possible pour dénoncer, pour s’indigner comme il l’a fait durant toute sa vie. Il cherche le vrai. Ainsi, ne soyez pas étonnés si, en pensant regarder un film sur un chanteur de variétés, vous voyez des enfants en train de travailler, des femmes au dos courbé, des hommes aux mains abîmées. Aznavour nous offre des témoignages, il nous offre un regard, le sien, celui d’un homme qui sans doute, voulait hurler devant la misère du monde. Faute d’avoir crié, il a chanté «  Il me semble que la misère, serait moins pénible au soleil  ». S’il dénonce une misère, Le regard de Charles m’a surtout, et avant tout, donné envie de préparer une valise et de parcourir les villes, les pays, les continents, les océans. Nous voyageons avec lui, et c’est extrêmement touchant de savoir que c’est Charles Aznavour qui nous porte dans sa caméra. Bien loin de filmer comme un grand cinéaste, les images tremblent selon que Charles se trouve dans une voiture, sur un bâteau, dans un avion. Rarement dans ma courte vie, j’ai vu un film aussi vivant que celui-là. «  Entre deux trains, entre deux portes, entre deux avions qui m’emportent. Entre New-York et Singapour, ma pensée fait comme un détour pour me ramener sur les traces d’un passé que j’aimais tant...  » (Entre nous, Ch. Aznavour – G. Garvarentz)

Enfin, je dirais que ce film est le témoignage d’une époque révolue. Un temps que les plus jeunes, ou alors les moins âgés, ne peuvent pas connaître. Un temps, qu’il ne faut peut-être pas idéaliser, mais à en voir les images cela fait rêver. Un temps où l’art prime sur le commerce, où l’élégance, même sans un sou en poche, est présente. Ils sont tous sur l’écran, Édith Piaf, Pierre Roche, Gilbert Bécaud, Marlène Dietrich, Anouk Aimée, Lino Ventura... et il y a ceux qui ne sont pas filmés, ni mentionnés, mais nous les savons présents : Georges Brassens, Patachou, Charles Trénet, Jean-Claude Brialy... je ne me trompe pas lorsque je dis qu’ils étaient tous assis dans la salle le jour de la projection. Tous ces personnages qui hier encore avaient vingt ans, alors que j’aurai les miens seulement demain, restent plus jeunes que moi, de par leur souvenir et leur talent.

En sortant du cinéma, après avoir séché quelques légères larmes d’émotion, j’ai immédiatement envoyé un message à Séda Aznavour, la fille aînée de Charles, que l’on voit à plusieurs reprises dans le film, et avec qui j’ai la chance et l’honneur d’être en relation. J’ai voulu la remercier, pensant que je ne pouvais plus remercier Charles de vive voix pour ce moment qu’il venait de nous offrir. Je m’étais trompé, car en continuant à lui parler, il vit à travers nous. Alors je le répète ici, une fois de plus merci Charles. Oui vous êtes parti, mais en nous laissant et votre voix, et votre regard, vous nous faites le plus beau des cadeaux, et vous restez avec nous, avec moi... et à travers ce film, vous nous prouvez que le poète détient certes le plus beau des phrasés, mais aussi le plus beau des regards.

À toujours Charles.

Thomas PATEY, le 29 octobre 2019.

 

Charles Aznavour Montmartre

Thomas Patey Montmartre

Crédit photo Charles Aznavour à Montmartre : Keystone-France.

Crédit photo Thomas Patey à Montmartre : sa soeur Chloé.

 

partie 2: l’interview avec Thomas Patey

Peux-tu nous parler un peu de toi, de ton parcours, en quelques mots?

Je m’appelle Thomas Patey, j’ai 19 ans et suis originaire du Pas-de-Calais. Je suis en deuxième année d’études de droit à Boulogne-sur-Mer, avant de tenter d’intégrer l’École du Louvre à Paris. À côté des études je fais des claquettes, de la généalogie, et suis passionné par la vraie et grande chanson française. J’aime les mots, la musique et ce qu’on peut appeler « l’Esprit français ».

Comment en es-tu arrivé à aimer, tout gamin, et jusqu’à présent, la belle chanson française, qui souvent n’est pas celle qu’écoutent les jeunes de ton âge?

Cela m’est tombé dessus, je devais avoir six années à peine au compteur. C’était un soir, je venais d’enfiler mon pyjama et étais prêt à retrouver mes rêves d’enfant. Pieds nus et marchant sur la moquette, je traverse la grande salle de jeux, et arrive dans cette petite pièce où se trouve l’unique poste de télévision de la maison, passage obligé pour atteindre mon lit et retrouver mes peluches. Je suis incapable de dire, moi qui ai pourtant la mémoire des dates, quel jour ou quel mois nous étions alors mais c’est durant cette soirée que le présentateur du journal télévisé a annoncé : « Bientôt en salles, le dernier film d’Olivier Dahan, qui nous propose un biopic sur une femme oui, mais pas n’importe laquelle, la tragédienne de la chanson, femme à la vie intense mais désespérée, Édith Piaf. » Ce ne sont pas les mots exacts prononcés par le journaliste, du moins je ne pense pas. Quoi qu’il en soit, c’est à ce moment précis que se produit la rencontre qui devait changer ma vie de bambin. Maman et moi regardons et écoutons religieusement le court reportage présentant le film. Télécommande à la main et à moitié allongée sur le divan, maman déclare « Ah ça je vais aller le voir » (le « ça » étant le film). Ma mère a très souvent utilisé, et utilise toujours d’ailleurs, cette expression qui consiste à aller faire quelque chose... mais dans la pratique elle ne va que rarement au bout de ses envies, de ses projets, de ses pensées. Elle n’ira pas dans les salles voir ce film, en revanche je compte moi m’y rendre. Cette petite « vieille » femme en robe noire vue à la télévision a produit en moi un drôle d’effet qui m’a valu de rétorquer à ma mère : « Moi aussi je vais aller le voir ! ». Je n’ai pas entendu la voix de la chanteuse, pas même une mélodie, je l’ai simplement vu, là sur une scène, en noir et blanc. Maman n’a pas eu le temps de répondre à mon exclamation que je suis vite allé me coucher. Mon grand-père dit toujours que nous rêvons toutes les nuits mais que nous oublions nos rêves, cette nuit là j’ai dû rêver, oui, car au petit matin, le nom de Piaf résonnait dans ma tête. Qui est cette femme ? Pourquoi tourner un film sur elle ? Pourquoi le simple fait de la voir m’a t-il fasciné ? Je devais mener mon enquête, et je l’ai menée. Dès le matin, sur le chemin de l’école, je questionnai ma mère dans la voiture. Édith Piaf était une chanteuse française, très connue, décédée il y a longtemps maintenant, elle s’habillait d’une robe noire... ces renseignements sortis tout droit de la bouche de maman ne me suffisaient pas, bien que très utiles. Je voulais et étais en droit de tout savoir sur madame Piaf, que je ne connaissais pas la veille à la même heure. Quelques jours après, mon père agacé de mes questions nous a fait écouter à ma petite sœur et moi un disque de Piaf. J’ai reçu la claque de ma vie, la première chanson était L’homme au piano... « Peut-être que ton cœur entendra, un peu tout ce fracas, et qu’alors tu comprendras que le piano joue pour toi ». Voilà et depuis ce moment-là jamais cette voix ne m’a quitté. J’ai vécu Piaf pendant des années, et Piaf m’a fait connaître tous les autres, Bécaud, Trénet, Dietrich, Montand, Moustaki et Aznavour bien entendu. Piaf est la première à m’avoir transporté, mais la première à m’avoir totalement bouleversé c’est Barbara avec Nantes, j’avais sept ans.

Au-delà de ceux-là et du grand Charles Aznavour donc, quels artistes aimerais-tu inviter nos lecteurs, et notamment ceux de ta génération, à découvrir? En quoi est-ce que, dans leur art, et dans les messages portés, ils peuvent leur « parler »?

La liste est longue ! Tout d’abord je veux rendre hommage à Patachou que j’aime appeler « ma petite protégée », elle est à mes yeux l’une des plus grandes interprètes. Nous lui devons énormément, notamment la carrière de Brassens. Dès que je vais à Montmartre, je me sens obligé de me receuillir devant ce qu’était son cabaret, aujourd’hui galerie d’art. Cette femme est un raffinement, et son répertoire s’étend de la chanson légère à la chanson à texte, écoutez Le tapin tranquille par exemple, c’est une merveille.

Tous ces chanteurs et chanteuses du caf’conc et du music-hall, ainsi que ceux des cabarets de Saint-Germain-des-Prés apportent leur marque. Ils forment un tout qui est une richesse et un trésor national, un berceau de culture, de talent et de poésie. Mais si ce sont des noms que vous voulez... regardez Yves Montand sur une scène, les performances physiques des Frères Jacques, écoutez les chansons réalistes et boulversantes de Damia et Berthe Sylva, chantez les textes de Trénet, de Mireille et Jean Nohain, laissez vous emporter par les voix de Juliette Gréco et Gilbert Bécaud, amusez-vous sur les chansons de Ray Ventura et Maurice Chevalier, dansez comme Joséphine Baker, lisez les textes de Brel, de Brassens, de Ferré... écoutez et vous verrez, vous gagnerez beaucoup ! Cependant, je pense que les textes qui vous « parleront » le plus seront peut-être ceux d’Aznavour, car il avait ce talent d’évoquer notre quotidien, certes avec brillance de texte et génie musical mais avec compréhension et acharnement. Tout a été évoqué par Charles, quelle que soit la situation, Charles aura la solution. Vous êtes fou amoureux ? Vous avez peur du temps qui passe ? Vous êtes désespéré par les effets de la ménopause sur votre charmante épouse ? Vous avez des envies charnelles ? Vous souhaitez vous évader ? Écoutez Charles Aznavour, et vous trouverez quelque part la solution, je vous le promets !

À tous ces noms, on peut ajouter Michel Legrand, Léo Marjane, Mistinguett, Frehel, Aristide Bruant, Marcel Amont, Cora Vaucaire, Francis Lemarque, Henri Salvador, Gainsbourg (mais pas Gainsbarre...), Jeanne Moreau évidemment, Nougaro, Reggiani, les chansons de Vincent Scotto, Tino Rossi, Mouloudji, Lina Margy, Mick Micheyl disparue cette année...

La chanson française vous sera une aide pour tout, dans tout et pour toujours. Vous avez des milliers de textes et de mélodies à portée de main, faites-en bon usage...

Quels sont tes projets, tes envies pour la suite? Que peut-on te souhaiter?

Pour l’avenir ? Tout le bonheur du monde, cela m’ira très bien. Une longue vie, remplie de chansons, d’élégance et de bonne humeur. Des projets j’en ai en masse, mais je pense que le plus pertinent à avouer aujourd’hui serait celui de faire connaître à un maximum de personnes les trésors de notre patrimoine musical français. Et comme en France tout commence, et tout se termine par des chansons... « Je tire ma révérence, et m’en vais au hasard, par les routes de France, de France et de Navarre. Mais dites-lui quand même, simplement que je l’aime, dîtes lui voulez-vous, bonjour pour moi et voilà tout »... chantait Jean Sablon.

Interview du 29 octobre 2019.

 

Thomas Patey

Après le décès de Charles, j’ai été photographié avec son mouchoir

pour le journal local. Par mon père, Benoît.

 

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28 juin 2019

Bruno Birolli : "Tout était compliqué à Shanghai dans les années 30..."

Deux ans après notre dernière interview, au cours de laquelle fut évoqué son premier roman Le music-hall des espions, livre un de sa série « La suite de Shanghai », je suis heureux d’accueillir à nouveau l’ex-grand reporter spécialiste de l’Asie Bruno Birolli dans les colonnes de Paroles d’Actu. Dans le second opus, Les terres du Mal, paru il y a peu chez TohuBohu, on retrouve quelques uns des mêmes acteurs, et le même cadre, le Shanghai oppressant de ce début des tragiques années 30, nid d’espions et champ de bataille entre nationalistes, communistes, et impérialistes japonais en embuscade. Quelque chose d’envoûtant aussi, très jazzy, très film noir, alors que l’intrigue de celui-ci se déroule en bonne partie autour du milieu local du cinéma. Les romans de Bruno Birolli, c’est d’abord une atmosphère, et une plongée dans des pans d’histoire trop peu connus ici car loin de nos contrées. Donnez sa chance à « La suite de Shanghai » ! En attendant, souhait perso, qu’on la retrouve adaptée en images ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Les terres du mal

Les terres du Mal, éd. TohuBohu, 2019.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Bruno Birolli: « Tout était compliqué

à Shanghai dans les années 30... »

 

Bruno Birolli bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu. Il y un peu plus de deux ans, je vous interrogeais sur votre premier roman, Le music-hall des espions (éd. TohuBohu), partie une de la série "La suite de Shanghai" - dont le deuxième opus, sujet de notre échange, vient de sortir. Quels retours aviez-vous eu suite à la parution du premier livre, et en quoi cette expérience a-t-elle influencé les choses pour le deuxième ?

Quelqu’un m’avait fait la remarque que Le music-hall des espions manquait de personnages féminins. L’intrigue le commandait. Avec Les terres du Mal, je me suis rattrapé. Les personnages chinois sont plus nombreux aussi.

 

Qu’est-ce que vous mettez de votre expérience, de vos réflexes de journaliste, ancien grand reporter en Asie, dans votre travail d’écriture de fiction ?

Il y a une certaine influence dans l’écriture sèche, la méfiance à l’égard des adjectifs et des adverbes, le souci des descriptions… Cependant le journalisme diffère du roman dans la mesure où le journaliste met l’accent sur les évènements, il est très rare qu’un article de presse s’intéresse aux individus, ils sont présentés en quelques mots alors que l’essence même d’un roman sont ses personnages et les situations qui les révèlent.

 

L’intrigue de ce deuxième roman, Les terres du Mal (éd. TohuBohu, 2019), suit de près celle du premier. On y retrouve quelques uns des personnages rencontrés précédemment, dans ce Shanghai "nid d’espions" du début des années trente : l’espion britannique Swindon, son quasi-homologue français Desfossés, avec sa compagne Yiyi... La ville, sans doute le personnage principal du livre comme relevé par un de vos interviewers, se trouve comme une bonne partie de la Chine de l’époque divisée en zones d’influence (gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek, concessions étrangères, militants communistes et appétits japonais en embuscade...). Qui contrôle quoi, à l’heure où vos personnages prennent vie ?

Shanghai, début des années 30

Il y avait un morcellement du pouvoir, une concurrence des pouvoirs, chacun cherchait à tirer la couverture à lui que cela soit les Britanniques dans le Settlement - la Concession internationale -, le gouvernement de Tchang Kai-shek, les communistes et les services secrets japonais. Les terres du Mal se déroulent entre mai 1934 et mars 1935. On ne sait pas encore à l’époque qui va l’emporter, ni quelle sera l’issue de ces rivalités qui prennent la tournure d’une lutte à mort.

 

Une grande partie de l’histoire se joue au cœur de ou autour de la problématique des concessions étrangères, en l’occurrence ici le Settlement international, et la Concession française de Shanghai. Quels étaient alors les intérêts défendus par ceux qui travaillaient à leur sauvegarde ? Dans quelle mesure ces réminiscences des vieux impérialismes européens ont-elle alimenté les colères des uns et des autres ? Et que reste-t-il de la structure et de l’esprit de ces concessions étrangères, aujourd’hui 

la Chine des concessions

Les concessions étaient un legs de l’histoire, une sorte d’aberration. On peut chercher l’origine de ce genre d’organisation dans les villes libres de la Hanse du Moyen-Âge. Les Européens avaient d’ailleurs imposé à l’Empire ottoman un système d’extraterritorialité judiciaire qui ressemble assez aux concessions en Chine à travers le système des capitulations. Leur origine en Chine était double : insérer de force la Chine alors fermée dans le commerce international, et mettre à l’abri les étrangers de la Justice impériale qui fonctionnait selon des principes contraires à la conception du droit occidental hérité des Lumières : recours à la torture, absence d’équilibre des pouvoirs, règles assez particulières (le plaignant et l’accusé étaient punis de façon égale car ils n’avaient su régler leurs différends et troublaient l’harmonie de la société en portant l’affaire devant un tribunal, etc...) L’extraterritorialité a été très abusée, par exemple lorsque le gouvernement de Tchang Kai-shek adopte des lois du travail limitant la durée quotidienne à 8 heures, interdisant le travail des enfants… les propriétaires étrangers des usines textiles de Shanghai ont prétendu que ces lois ne s’appliquaient à leurs usines car elles bénéficiaient de l’extraterritorialité. D’un autre côté, l’extraterritorialité a eu des effets bénéfiques : il suffisait de placer à la tête d’une revue ou d’un journal un étranger pour que ce titre échappe à la censure, d’où la floraison de publications, certaines remarquables pour leur qualités littéraires ou politiques, dont Shanghai a été le berceau.

Concrètement, il ne subsiste rien de l’époque des concessions. Par contre il reste un fonctionnement particulier de la justice en Chine : détentions arbitraires pouvant durer des mois sans être inculpé, constitution des dossiers toujours à charge, extorsion des aveux de culpabilité et pour les obtenir recours à la contrainte, aux pressions sur les familles, soumission des juges au pouvoir politique... D’où la contestation de masse à Hong Kong du projet de loi d’extradition que le gouvernement assujetti à Pékin veut introduire et dont on parle beaucoup ces jours-ci.

 

On retrouve, en toile de fond, et omniprésents en cette intrigue, les militants communistes en embuscade, et notamment le mystérieux Hannah. Infiltrés dans pas mal de milieux, et notamment celui, on y revient dans un instant, du cinéma, ils sont prêts à tout pour faire avancer leurs pions : leur univers est sans foi ni loi, ou plutôt pourrait-on dire que leur foi les dispense de toute loi. Quels sont leurs objectifs principaux : saper le régime de Tchang Kaï-chek ? lutter contre les influences étrangères ? Ils sont des militants qui croient en une idéologie ; sont-ils aussi des patriotes ?

nid de communistes

C’est bien résumé : leur foi les dispense de toute morale, la fin justifie les moyens, seule la victoire compte, qu’importe les moyens pour y parvenir. Le personnage de Chao Long m’a été inspiré par Kang Sheng qui contrôlait les services secrets du Parti communiste chinois. Il fut l’organisateur des multiples purges qu’a connues le PC, et l’un des cerveaux de la Révolution culturelle. Il avait les mains couvertes de sang. Il a été exclu du PC en 1980, après sa mort survenue en 1975. Chao Long était d’ailleurs une des fausses identités qu’il a utilisées dans sa jeunesse. Son influence a été considérable grâce à ses liens avec Jiang Qing - la fameuse Veuve Mao - qui fut sa maîtresse avant d’entrer dans le lit de Mao. Il semble d’ailleurs, et cela apparaît en filigrane dans Les terres du Mal, que Kang Sheng avait prise sur Jiang Qing parce qu’il savait qu’elle avait dénoncé à Shanghai des communistes pour sauver sa peau dans les années 1930. Bref, tous deux ne sont pas des personnalités sympathiques. Mais si on peut percevoir bien la psychologie de Lan Ping – pseudonyme qu’utilisait là encore Jiang Qing –, celle de Chao Long reste assez énigmatique. Kang Sheng était d’une intelligence criminelle supérieure mais dont il est difficile de percer le secret. Dénoncer à Tchang Kai-shek les gens qui gênaient à l’intérieur du parti pour qu’ils fussent liquidés était courant chez les communistes.

 

Lan Ping

Lan Ping, la future Veuve Mao. Source : Wikipedia.

 

Le monde du cinéma nous ouvre ses portes dans votre roman, riche de personnages à la fois colorés, et sombres. On y fait la connaissance d’une actrice ultra-populaire et touchante, d’une médiocre aux dents longues (on l’a évoquée...), et d’un scénariste aux obédiences floues a priori. Qu’est-ce qui caractérise le cinéma du Shanghai de ce temps-là ? Est-il vivace ? Quelles ont été vos documentations en la matière ?

hollywood en Chine ?

Je ne partage pas votre opinion sur Sun, le scénariste. Il a des obédiences très nettes comme beaucoup d’intellectuels de cette époque : il croit que le communisme libérera la Chine. C’est un homme intelligent, sincère, engagé, et comme beaucoup d’idéalistes, il paye très cher ses illusions. Il est beaucoup plus ancré dans la réalité que Desfossés qui lui, parce qu’étranger en Chine, flotte si on peut dire et ne sait pas dans quel camp se situer.

Le cinéma était en plein boom à Shanghai. Les années trente ont été dans ce domaine un âge d’or. Le cinéma avait d’abord une fonction de divertissement, le public se pressait dans les salles pour oublier son quotidien mais à mesure que la guerre avec le Japon se rapprochait, les films ont pris une coloration très politique. Le régime de Tchang Kai-shek avait mis en place un bureau de la censure qui veillait à ce que les films le servent, mais comme les studios étaient à gauche, il y avait constamment un jeu du chat et de la souris qui d’une certaine façon a stimulé la créativité. Notez que comme le régime de Tchang Kai-shek avait certaines affinités avec l’URSS, le cinéma soviétique a eu une influence sans doute aussi grande que Hollywood ou les films français. Le Isis Theater dans Chapei – zone administrée par la Chine - s’était spécialisé dans les œuvres soviétiques alors que ce genre de film était censuré dans les concessions. Comme on peut voir, tout était compliqué à Shanghai, ce qui faisait que cette ville bouillonnait d’idées nouvelles et audacieuses.

 

Loin de dévoiler ici les éléments clés de l’intrigue (je laisse à nos lecteurs le plaisir de découvrir le livre), je fais tout de même ce constat : si le tout est très vivant et animé de mille détails réjouissants, l’ambiance générale elle est sombre, presque désespérante. Quel que soit le blason, la cause à défendre passe quasiment toujours avant l’humain, et nombreux sont ceux qui y laisseront leur peau. Beaucoup de cynisme, et un monde de désabusement, même s’il y a de vrais morceaux de bravoure humaine. Votre travail d’écrivain pour dessiner un monde brutal d’espionnage et de guerre de clans, ou bien de manière plus profonde, une transcription de votre regard porté sur l’âme, les rapports humains ?

nuances de gris

A la différence disons du crime, l’espionnage n’est pas une lutte entre le bien et le mal mais une lutte pour des intérêts politiques, à telle enseigne que tous les pays criminalisent l’espionnage et un espion arrêté risque de longues années de prison, voire l’exécution, tout en le pratiquant à l’étranger. L’espionnage est une forme de guerre. Il est symptomatique que l’espionnage relève en France du militaire alors que le contre-espionnage lui est confié à la police. En Angleterre, le MI5 n’a théoriquement pas le droit de procéder à des enquêtes et ni à des arrestations, c’est du ressort de la Spécial Branch, le service politique de Scotland Yard. Aux États-Unis, le FBI a la charge du contre-espionnage, la CIA des opérations secrètes à l’étranger… C’est cette confusion qui rend le monde des services secrets si fascinant d’un point de vue littéraire. Dans Le music-hall des espions chaque personnage doit trouver sa voie dans le vide moral que représente les services secrets : le colonel Chu agit par nationalisme, la vertu cardinale du commandant Fiorini est la camaraderie, y compris envers l’ennemi… Les terres du Mal explore un autre aspect du monde des services secrets : le vrai et le faux s’entremêlent si intimement qu’il est parfois impossible de les distinguer, c’est pour cela que l’intrigue se déroule dans les studios de cinéma, domaine de la fiction, et qu’il y a une référence à la photographie - qui est une autre forme d'illusion - à travers le personnage d’Iva, la réfugiée juive…

  

Vous me l’aviez confié lors de notre interview pour le premier ouvrage : vos influences sont plus cinématographiques que littéraires, et vos récits, vous les envisagez pas mal en images. Ce serait un film noir à l’évidence, de ceux qui fleurirent dans les années 30 et 40. On imaginerait un personnage à la Humphrey Bogart dans Casablanca, façade impassible mais pas imperméable à la survenance d’une passion. Je vous propose de vous mettre, ici, dans la peau d’un chef de casting : quels acteurs, passés ou présents, pour chacun des personnages principaux de votre roman ?

Je n’ai pas vraiment d’idée. La seule association assumée est celle de Fiorini qui serait très bien joué par Lino Ventura, sinon les personnages sont les portraits composites de gens que j’ai croisés en Asie.

 

Comme la dernière fois : un focus sur l’un de vos personnages, que vous aimeriez ici présenter à nos lecteurs ?

J’attirerais l’attention sur les personnages secondaires chinois. Ils forment une sorte de galerie de portraits, que ce soit le policier Petit Tai, son collège plus âgé Tizzy, l’actrice Ling Yu, le père de Yiyi… Des personnalités très diverses. Une ville n’est pas seulement des immeubles, elle est d’abord des gens et c’est ce que j’ai essayé de restituer.

 

Ruan Lingyu, qui m a inspiré à Bruno Birolli le personnage de Ling Yu.

 

Et vous, dans ce Shanghai du début des années 30, dans quelle peau vous verriez-vous bien ?

Le personnage qui m’est le plus proche est Desfossés. Il est encore jeune et cherche à découvrir ce qui fera de lui un homme. Il en est encore aux questions, il tâtonne, essaye, il a environ 35 ans, le temps de la connaissance de soi et du désenchantement ne sont pas encore venus. Dans mes souvenirs j’étais comme ça à cet âge, je crois qu’alors, qu’importent l’endroit et l’époque, cette attitude fait partie du processus naturel de la vie.

 

Quelques films, parmi vos favoris, noirs ou pas, à nous conseiller ?

J’aime beaucoup Sydney Lumet, pas assez reconnu, pour sa façon de placer le mal à l’intérieur de l’institution sensé le combattre : la police. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres, y compris les films de Hong Kong, ou coréens. D’une façon générale, je suis sensible aux films noirs américains et à leur façon de fouiller l’âme humaine, pour montrer ce qu’elle a de plus dangereux, et leur sens du dialogue.

 

Quelle playlist à écouter pour accompagner la lecture de votre ouvrage ?

Je donne des titres de chansons de l’époque dans mes deux livres, c’est ma play-list.

 

À quand une adaptation ciné ou animée (type Corto Maltese) de vos romans ? C’est en cours d’examen ou pas du tout ? Prendre les choses en main, cet aspect-là, réa et technique, ça vous amuserait ?

Cela ne dépend pas de moi.

 

Quels sont vos envies, vos projets, Bruno Birolli, pour la suite ? Le roman, vous y avez vraiment pris goût ?

inventer un nouveau réel

Je suis en train de réfléchir à un roman qui se passerait dans une autre ville que Shanghai mais qui aurait une référence à l’entre-deux-guerres et qui lui aussi reposerait sur la confusion entre l’imaginaire et le réel. Je fais une pose parce que le roman historique demande un fastidieux effort de documentation. Par exemple au début, j’avais placé le bureau de Swindon dans le commissariat central de Shanghai (Central Station), or ce bâtiment n’a été inauguré qu’en mai 1935, alors que l’histoire se conclut en mars 1935. Tout est à l’avenant. Écrire une histoire qui ne fait appel qu’à l’imagination est une sorte de détente avant de poursuivre La suite de Shanghai.

 

Un dernier mot ?

au tour du lecteur !

Ce qu’a à dire un auteur n’a pas un grand intérêt, ce ne sont que des remarques après coup parce qu’un roman est le reflet du regard qu’on porte sur le monde et c’est instinctif, relève du subjectif et non de l'analyse objective. Or, le lecteur procède de même, il adapte une histoire selon son humeur, ses goûts, ses expériences, met tel ou tel point en avant alors qu’ils peuvent être mineurs pour l’écrivain. Le lecteur fait comme un cinéaste qui adapte en film un livre. Je ne crois pas qu’un livre appartienne à son auteur, mis à part les droits d'auteur - parce que tout travail mérite salaire. Mais, mis entre les mains d’un lecteur, le livre ne lui appartient plus. C’est au tour du lecteur de parler.

 

Bruno Birolli 2017

Bruno Birolli, ancien grand reporter et auteur de romans.

 

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4 juin 2019

« Le talent c'est la persévérance », par Faby

Il y a plus de six ans (déjà !), j’avais eu la joie, après l’avoir découverte par hasard sur internet, dinterviewer Fabienne Périer alias Faby, une artiste de grand talent, et une femme touchante. Elle m’avait raconté son parcours, ses émotions artistiques, les débuts difficiles dans la vie et dans "le métier", avec une envie comme une petite flamme à l’intensité fluctuante mais jamais éteinte. Et l’irruption, comme une bombe atomique, dans sa vie comme dans celle de tant d’autres, de cet immense salopard, cet ennemi intime qu’on appelle cancer. Elle en a tiré sa chanson signature, Ce matin-là, très bel hymne à la vie, évocation de lheure où celle-là même se trouvait violemment attaquée. Le départ d’un nouveau combat, mené par une battante. Depuis lors, son ennemi, odieux multirécidiviste, ne lui a laissé que peu de répit. Elle s’est battue, toujours, comme peu de gens l’ont fait, et comme bien trop de gens ont à le faire au quotidien. Il y a neuf mois sortait La Renverse, son nouvel EP. Des textes, et une voix qui touchent, forcément. Et moi dans mon coin, la suivant toujours, je lui ai proposé d’écrire quelque chose pour se raconter un peu, elle qui le fait tellement bien, régulièrement, sur son Facebook. Elle n’était pas tellement partante pour l’exercice, ayant déjà couché sa vie sur papier dans un manuscrit cherchant encore un éditeur. J’ai insisté, gentiment, mais en persévérant (moi aussi). Et ce 3 juin, son texte m’est parvenu. Autant dire qu’il est à la hauteur de ce que j’en espérais. À sa hauteur. Puisse-t-il vous inspirer, vous toucher. Et vous donner envie de découvrir, et de soutenir Faby. Que je salue ici et à qui je ne souhaite que le meilleur ! Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Faby

Faby. Crédit photo : Izabela Sawicka.

 

Le talent c’est la persévérance…

par Faby, le 3 juin 2019

Depuis plusieurs semaines, plusieurs mois même, Nicolas m’envoie des mails. Il voudrait que je me raconte, que je raconte mon parcours d’artiste, de femme, de combattante.

Depuis plusieurs semaines, je lui réponds négativement. Depuis plusieurs semaines, je réfléchis. Que raconter  ? Est-ce que ça ne vas pas faire un redit  ? Me raconter, je viens de le faire durant une année sur un manuscrit qui pour l’instant ne trouve pas son éditeur… Le monde de l’édition c’est comme le monde de la musique, c’est un milieu fermé  ! En tout cas, j’ai dû paumer les clefs, parce que j’ai beau cogner à la porte, personne ne me laisse entrer. Depuis des années, J’ai la sensation d’être celle qui écrit, celle qui pond des albums mais je ne fais qu’écrire … Je ne suis pas Van Gogh et ne le serait jamais. Pourtant je pense à lui. Il savait dessiner, il savait mettre de la couleur là où il faisait si noir  ! Je croise depuis si longtemps, des découpeurs d’oreilles et comme lui, j’essaye encore de mettre de la couleur même lorsqu’il fait si noir  !

 

« Comme Van Gogh, j’essaye encore de mettre

de la couleur, même lorsqu’il fait si noir... »

 

Alors que raconter  ? Raconter que peut être mon talent c’est la persévérance  ! Raconter que mon parcours d’artiste est une galère. Je ne suis pas différente, je fais comme des centaines d’autres. Je me suis constitué un petit public de fans qui m’aident et qui m’interpellent, tous les jours, chaque semaine. Avec eux, la vie est belle mais la galère, elle… elle me gouverne quand même  ! J’ai la feuille blanche qui se remplit de textes, de rêves mais mon assiette reste bien maigre. Malgré tout, avec ce public fidèle de fans, il m’arrive d’être quelqu’un, quelqu’un qui s’émerveille. Je sors de ma flemme. Ce public m’interpelle, ce public me réveille. Alors chaque semaine, je veux qu’il me trouve belle  ! Je sors de ma flemme, j’écris un «  beau  » texte… Pour lui plaire, je me fais belle … l’instant de quelques mots, de quelques lettres. Avec eux, j’aime croire que j’ai du talent. Parfois, il me le dit ce public qui m’aime  ! Mon talent c’est peut être juste de la persévérance …

Quand j’étais gosse, ma mère ne savait pas dire je t’aime… Elle ne saura jamais… Elle savait juste lever le bras en l’air et ce bras-là, il n’avait jamais la flemme. Il venait toujours briser mes ailes. Petite fille, pour me protéger d’elle, je me suis mise au piano, puis au violoncelle. Je les sentais vibrer ces instruments. Je les aimais bien plus que moi. Eux m’aimaient bien plus qu’elle. Alors je me suis mise à aimer  ! J’aimais pour de vrai. Je me suis mise à rêver  ! Je l’aimais ce rêve  ! J’y croyais  ! Un jour, je serais belle  ! Et puis… mon rêve s’est brisé. Le bras en l’air n’en finissait pas de venir s’écraser. J’ai fini par m’écraser… Je ne voulais plus me faire belle. J’ai capitulé  ! J’ai rendu les armes et puis les larmes n’ont jamais coulé. Ma persévérance s’est cachée… Mes ailes se sont fermées.

 

« Petite fille, pour me protéger de ma mère,

je me suis mise au piano, puis au violoncelle.

Je les sentais vibrer ces instruments. Je les aimais

bien plus que moi. Eux m’aimaient bien plus

qu’elle. Alors je me suis mise à aimer ! »

 

Le talent c’est la persévérance.

Au détour d’un piano bar, dans les yeux d’un inconnu, je me suis sentie redevenir belle. Je ne faisais rien, je chantais juste les mots des autres. La chanson était si belle  ! La toute première ce fut L’Aigle noir  ! Barbara. Elle était tellement belle  ! J’aurais tellement voulu la croiser, lui ressembler  ! Je me suis accrochée à elle, à mon rêve. J’ai appris à chanter. J’ai appris mon métier dans les pianos bars. J’ai appris à exister au milieu des habitués, des bruits de fourchettes et des gars bourrés. J’ai appris à aimer ce métier même lorsque le public lui ne t’entend pas où qu’il commence à t’aimer quand le dessert est mangé. Alors j’ai continué de chanter. Le talent c’est la persévérance. J’ai continué d’avoir ce talent  !

 

 

Il y a douze ans, l’intrus a débarqué  ! Le cancer, ce malotru, il a tout basculé, tout bouleversé  ! J’ai flippé comme jamais  ! Le malotru, une première fois a dégagé  ! J’ai enfin osé. J’ai commencé à écrire mon envie d’être à demain. J’ai commencé à chanter mes écrits et puis ma persévérance a fait le reste. Le talent  ? Non, ma persévérance  ! Je n’ai rien lâché, je me suis battue contre le cancer et je me suis battue pour écrire des chansons. La toute première fut Ce matin-là. Parce que depuis ce matin-là, chaque jour est un hymne à la vie. Chaque jour est un pas vers demain, une victoire, un combat  ! Depuis Ce matin-là, il y a eu un buzz avec cette chanson et depuis les fans sont de plus en plus nombreux à me suivre, à me trouver belle  ! Depuis ce matin-là, il y a eu cinq albums autoproduits, il y a eu trois récidives du cancer. Depuis, je continue de me battre pour rester belle dans les yeux de mon petit public fidèle  ! Il continue de me trouver belle malgré mon crâne rasé, ma tête de chimio, ma tête des mauvais jours, et puis mes sourires de façade  ! Mon public fidèle, il fait celui qui ne voit pas que je ne suis pas toujours belle. Lui, vous, ce public même s’il est tout petit ou pas aussi grand que dans mes rêves… il m’aide à avancer  ! Je m’accroche à mon rêve  ! Mon talent c’est la persévérance  ! Je donnerai tellement d’autres chansons pour qu’enfin Van Gogh arrête de me rappeler que les coupeurs d’oreilles ont leur couteaux aiguisés  ! Je voudrais les réveiller tous ces sourds d’oreilles  ! Je voudrais les ranimer  ! La vie est une merveille et putain ce que j’aime la chanter, ce que j’aime vous l’écrire  !

 

« Mon public, il continue de me trouver belle malgré

mon crâne rasé, ma tête de chimio, ma tête des mauvais

jours, et puis mes sourires de façade ! Mon public fidèle,

il fait celui qui ne voit pas que je ne suis pas toujours belle.

Lui, vous, ce public, même s’il est tout petit ou pas

aussi grand que dans mes rêves… il m’aide à avancer ! »

 

Mon talent, c’est la persévérance  ! Il y a un an, presque jour pour jour, je retourne en chimio et je retourne en studio  ! J’y crois à nouveau  ! Je fais un bel EP avec des musiciens talentueux, je suis fière de mon bébé. J’arrive même entre deux chimios, entre deux canapés à me faire quelques interviews et une ou deux télés. J’ai fait un concert, avec le souffle coupé, la scène me vient à manquer  ! J’attends, j’espère que le cancer va reculer encore  ! J’espère, je me bats pour remonter sur scène.

Mon talent, c’est la persévérance  ! J’envoie des bouteilles à la mer  ! Souvent, chaque semaine, j’envoie des messages. La semaine dernière, à un artiste que j’aime pour qu’il prenne le temps de lire mon manuscrit  ! J’envoie des bouteilles à le mer  ! J’envoie mon album à une productrice qui s’occupe d’artistes talentueux. J’aimerais qu’elle m’aide, qu’elle prenne le temps de m’écouter, de me guider. Mon talent c’est la persévérance  ! Mon talent, c’est de ne jamais arrêter d’essayer  ! Je n’ai jamais de réponse  ! Alors j’attends, j’espère, je me bats, je fais tout pour résister à ce cancer  ! Je résiste à l’absence, à l’attente, aux réponses qui ne viendront jamais  ! J’écris des textes, des chansons pour l’après  ! Mon talent c’est la persévérance  !

J’écris des textes pour quand les coupeurs d’oreilles auront rangé leur couteaux. J’écris la vie pour quand je pourrai à nouveau la chanter  ! Je chante, je chauffe ma voix, je l’entraîne pour quand mon talent cessera d’être juste de la persévérance  ! J’attends, j’espère, je me bats, je fais tout pour qu’on m’entende pour que je redevienne belle  ! Mon talent c’est la persévérance.

 

« J’écris des textes pour quand les coupeurs d’oreilles

auront rangé leur couteaux. J’écris la vie pour quand

je pourrai à nouveau la chanter ! »

 

Ce matin-là, chanson bouteille-à-la-mer (et inspirante !) de Faby. Son EP ici.

 

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23 mai 2019

Olivier Da Lage : « Je connais parfaitement la dimension tragique de beaucoup d'enquêtes journalistiques... »

Le journaliste de RFI Olivier Da Lage est un fidèle de Paroles d’Actu. Parmi ses contributions publiées sur le blog, des éclairages nombreux et précis sur la situation compliquée en péninsule arabique, sur l’Inde qu’il connaît très bien, ou encore sur l’essor inquiétant des nationalismes religieux un peu partout dans le monde. L’article d’aujourd’hui, basé sur une interview réalisée le 20 mai, est une évocation de son roman Le rickshaw de Mr Singh, paru il y a quelques semaines. L’intrigue se déroule à Bombay, de nos jours. Les personnages, et la ville elle-même (n’en est-elle pas un ?) sont bien dessinés, et tout concourt à nous plonger dans l’atmosphère de la mégalopole, et dans l’actualité de cette Inde tourmentée. J’ai apprécié cet ouvrage et vous le recommande : facile à lire et captivant, il ouvre les yeux de manière vivante sur ce qui est en train de se jouer dans cet immense pays aujourd’hui dirigé par les nationalistes hindous (et qui, à l’heure où je boucle cette intro, viennent tout juste de remporter un nouveau succès électoral)... Un clin d’oeil aussi, de la part de M. Da Lage, et de la mienne, pour rappeler (le faut-il encore) à quel point, aujourd’hui davantage peut-être que par le passé, une presse libre et indépendante est cruciale pour que soient assurés les nécessaires équilibres dans nos sociétés. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Olivier Da Lage a sélectionné, à ma demande, des photos de sa collection personnelle,

et quelques musiques indiennes, pour accompagner la lecture

de cet article et, je l’espère, de son roman !

 

Le rickshaw de Mr Singh

Le rickshaw de Mr Singh, 2019.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Olivier Da Lage : « Je connais parfaitement

la dimension tragique de beaucoup

denquêtes journalistiques... »

 

Olivier Da Lage bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu. L’objet de cet échange, c’est Le rickshaw de Mr Singh, votre premier roman paru il y a quelques semaines… Qu’est-ce qui vous a donné envie justement d’aller vers la fiction, le roman  ? Est-ce là, quelque part, une prolongation de votre travail de journaliste, une autre façon plus incarnée et entraînante de "montrer le réel"  ?

du journalisme à la fiction

Pour être exact, j’avais déjà publié trois autres romans de politique fiction il y a déjà pas mal de temps. De temps en temps, on peut ressentir l’envie de ne pas être contraint par l’exactitude qui s’attache au travail de journaliste ou d’essayiste. Et, avec la liberté du romancier, on se laisse aller et on découvre que ce que l’on fait passer est parfois plus juste que des descriptions factuelles de type journalistique. Donc, l’idée de passer de l’un à l’autre, au gré des envies et es opportunités, me plaît assez.

 

Racontez-nous un peu cette aventure de l’écriture (jusqu’à la publication) de fiction  ? Comment cela s’est-il passé  ? Quels écueils et quelles leçons apprises  ? Des moments de vrai découragement, d’autres de grande excitation  ?

histoire d’un roman

L’idée m’est venue en essayant un logiciel de retouche d’image. Pour m’entraîner, j’ai pris la première photo que j’ai trouvée sur mon ordinateur  : c’était celle d’une rue de Bombay avec des rickshaws, ces taxis scooters. J’ai trouvé que cela ferait une bonne couverture de livre. J’y ai donc mis un titre qui m’est venu après quelques essais ratés. «  Le rickshaw de Mr Singh  », ça sonnait bien. Il fallait trouver une histoire. J’ai donc acheté un cours en ligne sur la façon d’écrire un roman policier à suspense, composé de courtes vidéos correspondant chacune à un chapitre. Le présentateur soutenait que si chacun de ses élèves suivait ses indications chapitre par chapitre, cela ferait pourtant des livres très différents. Il donnait d’ailleurs des exemples de livres et de fils connus qui suivaient la même trame tout en racontant des histoires bien distinctes. J’étais sceptique, mais à mesure que j’avançais en prenant des notes, les personnages archétypaux et les développements prenaient un tour local et s’enracinaient dans le paysage de Bombay tandis qu’une intrigue se dessinait.

 

Rickshaw

 

En fait, aucune difficulté particulière n’est apparue. J’ai fait lire mes chapitres à des amis au fur et à mesure de l’écriture et j’ai intégré leurs remarques et critiques. L’intrigue fonctionnait. Il fallait juste s’assurer qu’il n’y ait pas de contresens dans la chronologie. L’utilisation d’une frise technologique découpée heure par heure, jour après jour, m’a permis de m’en assurer. Donc aucun découragement et quelques moments d’excitation, oui.

 

Quelques mots à propos de l’intrigue  : le directeur du département d’archéologie d’une université prestigieuse de Bombay vient d’être  assassiné  ; un jeune inspecteur de police et ses deux coéquipiers, sur l’affaire, vont tenter de démasquer les coupables et surtout de découvrir leur mobile, assistés plus ou moins volontairement dans leurs investigations d’une journaliste passionnée et ambitieuse… Qu’est-ce qui vous a inspiré pour composer cette histoire  ?

Le cadre urbain de Bombay d’une part, et un article de journal de l’autre pour ce qui concerne le nœud de l’intrigue.

 

Bombay

 

La jeune journaliste de l’histoire, Sangita Sharma, ne tremble pas devant le danger, et dans les faits elle va clairement s’y trouver exposée. Avez-vous eu connaissance, au cours de votre carrière, en France comme à l’étranger, de nombreux cas d’enquêtes par des journalistes qui auraient pu très mal tourner  ? Vous êtes-vous exposé vous-même à de graves périls  ?

journaliste, les risques du métier

Des difficultés, oui, des périls à proprement parler, non, pas en ce qui me concerne. Mais j’ai plusieurs collègues et amis proches, tant dans ma rédaction qu’en dehors, qui ont été assassinés en raison de leurs activités journalistiques. C’est pourquoi je connais parfaitement la dimension tragique de beaucoup d’enquêtes journalistiques, même quand cela se termine bien. Et c’est à raison que l’on défend la liberté de la presse et des journalistes qui courent souvent de grands risques à faire leur travail pour informer les autres. Je sais que ma profession n’a pas bonne réputation ces temps-ci mais je persiste à penser que le devoir d’informer est impérieux et que donner au public des nouvelles que parfois il n’a pas envie d’entendre est l’une des plus belles missions qui soit.

 

Sans spoiler le livre, j’indiquerai simplement que le nationalisme religieux (en l’occurrence ici, hindou), thème qui vous est cher, et d’une actualité brûlante en Inde, pèse d’un poids important, dans votre intrigue.  Ça vous préoccupe tout particulièrement, ce qui se passe en Inde, en ce moment  ?

Oui, il y a de quoi. L’Inde n’a jamais été un pays calme et pacifique. Mais le degré d’intolérance qui s’est développé ces dernières années est réellement inquiétant.

 

Une découverte archéologique contredisant les fondements de la doctrine de cette faction nationaliste hindoue, qui est donc au pouvoir actuellement, met le feu aux poudres (et je précise ici que cette histoire de remise en cause des origines de l’homme indien par l’ADN, et donc du caractère autochtone de l’hindouisme, a également eu lieu dans la réalité). Quelles réactions ces conclusions scientifiques ont-elles provoqué auprès des nationalistes, et comment est-ce que tout cela a été reçu auprès de la population  ?

science et intolérance

Soyons clairs  : la grande majorité de la population n’en a jamais entendu parler et, pour cette raison même, ces découvertes n’ont pas provoqué d’importantes réactions de la part des milieux nationalistes en question. Mais les chercheurs qui ont fait ces découvertes ont été traités par le mépris, on leur a opposé d’autres travaux antérieurs aboutissant à des conclusions opposées et, pour tout dire, dans le climat actuel, certains des chercheurs indiens qui ont participé à ces travaux ont préféré ne pas signer les articles en rendant compte ou ont posé des conditions très strictes quant au vocabulaire employé afin de ne pas compromettre leur carrière.

 

J’en reviens à la presse, tant décriée dans nos sociétés, mais tellement indispensable vous le rappeliez. Dans votre intrigue, son intervention sera déterminante pour faire éclater au grand jour des faits qu’on aurait voulu cacher. Mais la presse d’aujourd’hui est-elle digne de la noblesse de sa vocation s’agissant des  investigations, parfois périlleuses, à mener, notamment lorsqu’un ordre établi et puissant est en cause  ? Quelles grandes menaces, extérieures ou pas d’ailleurs, pèsent sur la presse en général  ?

la presse en Inde, état des lieux

La presse et les journalistes sont critiquables à bien des égards, mais leur rôle d’information du public est irremplaçable. Les réseaux sociaux, à eux seuls, ne peuvent s’y substituer. Et pour faire connaître la vérité, de très nombreux journalistes prennent des risques personnels parfois très élevés. Cela va de la mise au placard à l’assassinat en passant par le licenciement. En Inde, de nombreux journaux ont été rachetés par des hommes d’affaires proches du pouvoir, les rédacteurs en chef précédents ont été licenciés et une autocensure considérable s’est mise en place. C’est pourquoi de nombreux médias alternatifs, comme The Wire ou Scroll.in sont apparus, animés par des journalistes d’expérience qui ne pouvaient plus faire leur travail dans les médias classiques. Un certain nombre de journalistes ont également été assassinés lorsqu’ils s’intéressaient de trop près aux intérêts économiques miniers qui organisent l’expulsion des aborigènes de leur habitat naturel ou à des organisations religieuses extrémistes. C’est le cas de la journaliste Gauri Lankesh, assassinée devant chez elle par des extrémistes hindous, tout comme le Mahatma Gandhi l’avait été en 1948 car ils ne supportent pas que des voix écoutées les critiquent.

 

On retourne à du plus léger, à votre roman, dont j’ai beaucoup apprécié la lecture. Je vous invite ici à faire un "focus" sur un de vos personnages. À nous le présenter, et à nous raconter, un peu, comment vous l’avez "dessiné"  ?

focus sur un personnage

J’ai bizarrement un certain attachement pour le commissaire de quartier, le commissaire Shinde, supérieur de l’inspecteur qui est le héros de l’histoire. Ce commissaire est l’archétype du cadre supérieur lâche et carriériste, qui engueule son subordonné parce qu’il ne va pas assez vite et qui fait un virage à 180 degrés lorsqu’il prend conscience que les résultats de l’enquête ne vont pas dans le sens souhaité «  en haut lieu  ». Ce supérieur est un personnage humain, terriblement banal. Il est de santé fragile (il souffre d’asthme). On devine que sa vie de famille n’est pas exaltante et cela fait longtemps qu’il n’a pas mené une enquête lui-même. Il a besoin d’exister et pour ce faire, il empêche les autres de faire correctement leur travail. Nous connaissons tous des commissaires Shinde.

 

Un des personnages principaux de votre ouvrage, et en fait sans doute le principal, c’est évidemment la ville de Bombay - ou Mumbai, d’ailleurs quelle dénomination utilisez-vous  ? Quelle a été votre histoire personnelle, avec cette ville  ? Comment l’avez-vous vu évoluer, et quel attachement lui portez-vous  ?

Bombay au cœur

Personnellement, j’utilise «  Bombay  », quoique, à l’occasion, je dise aussi «  Mumbai  ». J’ai consacré un livre à cette ville que je décris quartier par quartier (Bombay, d’un quartier à l’autre, Bibliomonde, 2017) où je rappelle en passant que la ville de Mumbai n’existait pas avant Bombay. Ce sont les Portugais, puis les Anglais qui en ont fait une ville, même si dans les langues locales, on disait «  Bambai  » ou «  Mumbai  ». La municipalité nationaliste qui est arrivée aux affaires en 1995 a voulu mettre fin à une appellation étrangère et «  redonner  » son authenticité à la ville, sauf qu’encore une fois, il n’y avait pas de ville s’appelant Mumbai avant.

Je commence à bien connaître cette ville ou je séjourne environ un mois par an (mon épouse en est originaire). C’est une ville trépidante, bruyante, pas spécialement belle, mais très attachante.

 

OdL train

 

Le livre est sorti au mois d’avril. Quels premiers retours vous sont parvenus depuis  ? Ont-ils été encourageants, et de nature à vous donner envie d’écrire d’autres romans  ? D’ailleurs une suite est-elle prévue  ?

Il démarre doucement. Ce n’est pas (pas encore  ?) un best-seller  ! Mais cette fois-ci, j’ai voulu l’autoéditer et donc en maîtriser toute la fabrication (maquette et couverture comprise). Pour le faire connaître, j’ai recours au bouche-à-oreille des amis et aux réseaux sociaux. Les premiers retours sont positifs. J’attends que le cercle s’élargisse. Il y aura très probablement d’autres livres de fiction, peut-être une suite à celui-là. Mais chaque chose en son temps…

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite  ?

Je travaille à la version anglaise du livre. Mr Singh’s rickshaw devrait voir le jour dans les tout prochains mois. J’aimerais bien atteindre le marché indien, pour tout dire.

 

OdL foule

 

 

Quelques musiques, pour un fond sonore...

 

Kuch Kuch Hota Hai Lyric - Title Track | Shah Rukh Khan | Kajol |Rani Mukherjee

 

"Khaali Hai Tere Bina" Paheli Ft. Rani Mukherjee, Shahrukh Khan

 

Pyar Kiya To Darna Kya | Madhubala | Dilip Kumar | Mughal-E-Azam |Bollywood Classic Songs| Lata HIts

  

Dil Ki Nazar - Raj Kapoor - Nutan - Anari - Lata Mangeshkar - Evergreen Hindi Songs

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage, journaliste à RFI et auteur de fictions.

 

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