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Paroles d'Actu
23 février 2018

Frédéric Quinonero : « Goldman, c'est un fédérateur, un artiste et un homme de coeur... »

En décembre dernier, Jean-Jacques Goldman était élu personnalité préférée des Français dans le cadre du classement IFOP/JDD. Depuis juillet 2013, l’auteur-compositeur-interprète a dominé l’exercice, dont il est sorti lauréat à sept reprises, sur neuf consultations semestrielles. Frédéric Quinonero, biographe de nombreux artistes et interviewé régulier de Paroles d’Actu, lui a consacré dernièrement un portrait, bienveillant et fouillé : Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie (City éditions, 2017). L’ouvrage est riche de toutes les infos disponibles sur un artiste aussi important pour le paysage musical français qu’il est discret, et vaut davantage encore pour les témoignages inédits récoltés par l’auteur et qui mettent en lumière la personnalité de Goldman. La bio d’un artiste et d’un homme attachant, par un mec bien. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 08/02/18 ; R. : 21/02/18.

Frédéric Quinonero: « Goldman, c’est

un fédérateur, un artiste et un homme de cœur... »

 

JJ Goldman Vivre sa vie

Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie, City éditions, 2017.

 

Bonjour Frédéric, ravi de te retrouver pour ce nouvel échange, autour de ce livre sorti en novembre dernier, Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie (City éditions, 2017). Pourquoi avoir choisi d’écrire sur Goldman, et quelle orientation particulière as-tu voulu donner à ta démarche ? Est-ce que spontanément, tu t’inclurais, toi, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la «  génération Goldman  » ?

pourquoi Goldman ?

Pour la première fois je n’ai pas choisi. C’est mon nouvel éditeur qui est venu vers moi pour me souffler l’idée. J’y avais longtemps pensé, cela dit. Car les chansons de Goldman ont bercé ma jeunesse. Mais j’y voyais une difficulté que je n’avais pas envie de surmonter  : aborder le sujet sous un angle nouveau. On a tant écrit sur Goldman ! J’avais tort, on ne devrait pas douter de soi. Il faut avoir le courage d’écrire sur les artistes qu’on aime, quand bien même on n’aurait aucun scoop à révéler. On a au moins sa plume, son style, sa façon personnelle d’écrire, ce n’est pas rien ! Même si aujourd’hui on nous demande de faire le buzz  avec du sensationnel… Là, on me propose d’écrire sur Goldman, donc je ne peux refuser. Je me donne une semaine pour réfléchir à un angle d’attaque, puis je me lance.

 

« La "génération Goldman" ? Bien sûr que j’en fais partie ! »

 

La «  génération Goldman  », bien sûr que j’en fais partie. J’avais 18 ans à l’époque de son premier album solo. J’étais animateur dans une radio libre et j’avais jeté mon dévolu sur la chanson Pas l’indifférence que je programmais souvent. Puis, j’ai fêté mes 20 ans sur Quand la musique est bonne !

 

Didier Varrod, grand spécialiste de la chanson française et fin connaisseur de Goldman, a signé la préface de l’ouvrage et y livre quelques témoignages éclairants. Comment la rencontre s’est-elle faite ? Et après quelles démarches, quel signal de la part de Jean-Jacques Goldman as-tu pu, avec l’éditeur, intégrer la mention «  biographie autorisée  » au document ?

préface et autorisations

Avec Didier, nous avons Sheila et Goldman en commun. Il avait témoigné en 2012 dans mon livre Sheila, star française. Puis, naturellement, j’ai pensé à lui quand j’ai abordé  Goldman, puisqu’il est son premier biographe et le premier journaliste à avoir pressenti son importance auprès de la jeunesse. Outre ses connaissances sur l’artiste, Didier est un garçon vraiment adorable et j’ai eu plaisir à dialoguer avec lui. Sa préface est très belle…

 

« La réponse de Goldman, favorable et pleine d’humour,

m’est parvenue au bout de trois jours... Ça donne des ailes ! »

 

Comme je le fais systématiquement, pour chacune de mes biographies, j’ai adressé une lettre à Jean-Jacques Goldman afin de lui exposer mon projet et je suppose que ce que je lui ai écrit l’a touché. J’ai obtenu sa réponse, favorable et pleine d’humour, trois jours après. Ça donne des ailes.

 

Je m’attarde un peu, avant d’entrer dans le vif du sujet, sur l’aspect  «  conception  » du livre ; j’en ai déjà chroniqué pas mal de toi, et tu en as écrit bien davantage : comment t’y es-tu pris pour mettre en forme, rédiger ce nouvel opus ? Y a-t-il, après une phase qu’on imagine longue de documentation (lectures, écoute et visionnage d’interviews, rencontre de témoins...), décision d’intégrer ou de ne pas intégrer tel témoignage ou élément, décision de suivre tel ou tel plan ? Ça s’est fait comment, sur ce livre, et est-ce que tu dirais que, publication après publication, ta technique se peaufine et l’exercice devient plus aisé ?

coulisses d’un ouvrage

« Je considère que les témoignages apportent un éclairage

supplémentaire, une fois qu’on a raconté l’essentiel. »

Je trouve donc un angle d’attaque, d’abord : je me souviens que je suis cévenol et que dans ma région on n’a pas oublié la générosité de Jean-Jacques Goldman. Je raconte sa venue à La Grand-Combe, en 1999, pour sauver une colonie de vacances de la faillite, puis l’année suivante pour le spectacle des Fous chantants d’Alès. Touché par l’hommage qui lui est rendu, il décide d’écrire une chanson qui s’appellera Ensemble et qu’il vient enregistrer l’année suivante avec les choristes… C’est cette idée de «  vivre ensemble  » qui a guidé mon travail. J’ai écrit sans perdre de vue cette valeur qui fait partie du personnage Goldman : c’est un fédérateur, un artiste et un homme de cœur. Je ne me suis censuré sur rien. La phase de documentation n’a pas été très différente par rapport à mes livres précédents. Je lis beaucoup d’interviews et «  stabilobosse  » les extraits qui me paraissent importants, je visionne la plupart des spectacles et documents vidéo… Ensuite, je classe tout de façon chronologique afin d’avoir toutes les données sous la main, classées, ordonnées. C’est une phase qui me plaît beaucoup et que je ne bâcle pas. Ça aide beaucoup d’être très discipliné… Pour ce qui est des témoignages (il y en a une bonne dizaine dans ce livre), j’attends d’avoir écrit ma partie avant de les recueillir, puis je les intègre à mon texte. Je ne fais pas l’inverse, comme beaucoup de biographes. Je considère que les témoignages apportent un éclairage supplémentaire, une fois qu’on a raconté l’essentiel.

 

Une des images fortes qui ressortent de ce portrait, de Goldman, c’est celle d’un homme qui, malgré son talent, malgré son charisme, choisit de ne jamais se mettre seul en avant, privilégiant très souvent, en bien des points de sa carrière, le collectif, l’esprit de troupe. Ce sera vrai à ses débuts, avec la chorale de l’église de Montrouge. Un peu plus tard, les Tai Thong. Fredericks Goldman Jones évidemment, par la suite. Puis, bien sûr, Les Enfoirés. D’où lui viennent cette envie de partager l’affiche, ce goût de l’« Ensemble » ? C’est une vraie humilité ? Une sécurité ? Un peu des deux ?

esprit de troupe

Les deux, oui. Goldman s’est toujours comporté comme un homme «  normal  », tourné vers les autres, un artiste animé par le besoin de partager. Et le fait d’être entouré était aussi rassurant pour lui, surtout sur scène parce que ce n’était pas le lieu où il se sentait le plus à l’aise.

 

Jean-Jacques Goldman est issu d’une famille ballottée par les vents glaciaux de l’Histoire. Et engagée, forcément. Son père Alter, né en Pologne, fut résistant en France durant l’Occupation. Il était communiste. Son demi-frère Pierre, un militant radical d’extrême gauche, assassiné en 1979. On parle beaucoup politique et grandes causes, chez les Goldman. Jean-Jacques lui, se sent des valeurs de gauche, mais il s’emporte moins facilement pour les pulsions révolutionnaires. Dans une interview que tu cites, il admet que lors de repas familiaux, il était le seul à ne pas savoir où était Cuba... Jean-Jacques, on peut dire que c’est un indépendant, qui a à cœur de tracer sa propre route, sans carcan idéologique, de se composer sa propre brochette d’indignations ? Est-ce qu’il a souffert de cette différenciation parfois (il est suggéré, dans le livre, que certaines des critiques assassines dont il a eu sa part dans la presse de gauche étaient aussi liées au fait qu’il « n’était pas » Pierre) ?

engagements de famille

S’il en a souffert, il ne l’a pas dit. Il a très peu parlé de son frère aîné, sauf dans quelques chansons si on sait écouter… J’ai adoré écrire toute la partie concernant sa famille, le parcours de ces gens, leur engagement, leurs valeurs. L’album « Rouge » leur rend un vibrant hommage.

 

Quelles sont, dans sa jeunesse et par la suite, les coups de cœur musicaux et d’écriture qui lui ont donné envie d’aller vers ce parcours, et qui l’ont inspiré ? On note, à la lecture du livre, que c’est en découvrant Léo Ferré sur scène qu’il se dit que oui, on peut écrire de la musique en français...

inspirations musicales

« C’est Michel Berger qui, au milieu des années 1970, le débar-

rasse de tout complexe à l’égard du chant français : il trouve

en lui le compromis idéal entre la variété française

et un style musical inspiré de la pop anglo-saxonne. »

Avant Léo Ferré, il y a eu Jean Ferrat qu’écoutaient ses parents. Et aussi les Chœurs de l’Armée rouge qu’il est allé applaudir avec eux et qu’il ira chercher plus tard pour l’accompagner sur l’album « Rouge ». Mais pendant son adolescence, son influence musicale était surtout anglo-saxonne, il écoutait Jimi Hendrix, Bob Dylan, Aretha Franklin, les Doobie Brothers, Chicago ou encore Elton John. Puis, Michel Berger au milieu des années 1970 le débarrasse de tout complexe à l’égard du chant français. C’est lui qui ouvre la voie : il trouve en lui le compromis idéal entre la variété française et un style musical inspiré de la pop anglo-saxonne.

 

Qu’est-ce qui, pour toi, caractérise l’artiste Goldman en tant qu’auteur-compositeur-interprète ? En quoi dirais-tu de son œuvre qu’elle évolue (mûrit ?) de manière évidente entre le premier et le dernier album solo ? En quoi lui a-t-il évolué ?

regard sur une œuvre

« Sa pensée a toujours été en éveil, attentive

à l’air du temps et à la marche du monde. »

C’est un artiste qui a toujours su allier le fond et la forme, les «  chansons pour les pieds  » et celles pour le cœur et l’esprit, les tubes dansants pour les discothèques et les textes qu’on écoute les soirs où on veille tard, afin d’y trouver une réponse à ses doutes. Son langage simple et percutant a répondu aux attentes de la jeunesse, qui s’y est reconnue. Il ne s’est jamais départi de cette ligne artistique, même si son public ensuite a grandi, vieilli. Ses textes aussi. Sa pensée a toujours été en éveil, attentive à l’air du temps et à la marche du monde. Il s’autorisait de penser autrement, de naviguer entre gris clair et gris foncé, parce que rien d’humain n’est jamais noir ou blanc.

 

Les chansons que tu préfères de lui, et pourquoi ?

J’aime surtout ses chansons qui me transpercent le cœur et ont la faculté de «  changer la vie  », comme Puisque tu pars, Né en 17 en Leidenstadt ou Ensemble. La force du texte et de la mélodie, tout est réuni…

 

Goldman, très lucide, se rappelle dans une interview les années où tout le monde ou presque méprisait ce qu’il écrivait ou composait, parce qu’il n’était pas connu. Il dit en substance : maintenant, on s’extasierait devant une chanson bâclée que j’écrirais, parce qu’elle est de moi, et on mépriserait un jeune plein d’envie et de talent parce qu’il n’est pas connu. Ça t’inspire quoi, ce sujet, qui je le sais te parle aussi, personnellement... ?

la galère du débutant

C’est toujours vrai. Il faut un certain pouvoir pour convaincre. On ne vit pas dans un pays où on donne une chance aux débutants de réussir. On doit se battre, fort et longtemps.

 

Parmi les grands interprètes de Goldman, évidemment, la plus grande de tous, c’est Céline Dion, dont tu dis qu’avant lui, elle avait une image un peu ringarde. Il en a fait une reine sur la scène francophone. Est-ce que grâce à lui, elle a changé de dimension ?

Céline Dion

Quand il lui écrit l’album « D’eux  » (sur lequel figurent notamment Pour que tu m’aimes encore et J’irai où tu iras, ndlr), elle mène déjà une carrière internationale, mais ça ne marche pas tellement en France. Goldman lui écrit un répertoire solide, en exploitant toute la violence, toute la passion qu’elle peut exprimer dans ses sentiments. Et surtout, il lui indique comment moderniser son interprétation, en évitant de rouler les «  r  » et mouiller les «  m  », et en déchantant, c’est-à-dire en acceptant de ne pas être à tout moment dans la démonstration vocale et, de cette façon, en laissant passer les émotions. L’album triomphe dans le monde entier, y compris aux États-Unis où il est classé dans sa version originale, sous le titre «  The French Album  ». Grâce à Goldman, puis à la BO de Titanic, Céline devient une star planétaire.

 

Céline Dion JJ Goldman

Céline Dion et Jean-Jacques Goldman. DR.

 

Ce qui est le plus touchant, dans ton livre, ce sont ces anecdotes, ces témoignages que tu es allé grappiller de gens dont le parcours a un jour, de manière provoquée ou non, rencontré celui de Goldman. Ici il accepte généreusement de donner un coup de main pour une jolie cause, là il rappelle quelqu’un pour lui dire qu’il n’oublie pas les moments passés «  ensemble ». On découvre aussi des traits de sa personnalité, qui le rendent encore plus humain : un artiste assez peu à l’aise avec la célébrité finalement, et aimant volontiers des moments de solitude complète. C’est quoi finalement, en résumé, cette image que tu t’es forgée de l’homme JJG ?

perception publique

Oui, c’est toujours cette idée de «  vivre ensemble  » qui m’a guidé, y compris dans le choix des témoins que j’ai interviewés. Ce sont les valeurs humaines de Jean-Jacques Goldman qui m’attachent à lui, c’est cet aspect-là de sa personnalité que j’ai voulu mettre en avant. Si le public persiste à le plébisciter dans les sondages plus de quinze après son retrait de la scène, ce n’est pas un hasard.

 

Si tu avais une question à lui poser ?

Dis quand reviendras-tu ? Dis, au moins le sais-tu ?...

 

Crois-tu, justement, qu’on le reverra un jour sur scène pour défendre ses chansons voire, soyons fous, de nouvelles chansons ?

reviendra-t-il un jour... ?

« La vie qu’il mène actuellement est celle qu’il avait envisagée

au départ : être dans l’ombre et écrire pour les autres. »

Je pense qu’il serait déjà revenu. Il avait prévu de le faire pour ses 60 ans, puis le temps a passé… Je crains qu’il ne soit trop tard pour la scène. Un disque, peut-être, mais en a-t-il envie ? En fait, la vie qu’il mène est celle qu’il avait envisagée au départ : être dans l’ombre et écrire pour les autres. Aujourd’hui, il peut le faire confortablement.

 

Je ne peux pas, évidemment, ne pas évoquer Johnny ici... Parce que Goldman lui a écrit quelques unes de ses plus belles chansons (dont L’envie et Je te promets...) Est-ce qu’ils venaient vraiment d’univers musicaux différents, ces deux-là ? Comment qualifier leur entente ?

avec Johnny

« L’instinct et la fragilité sous le roc apparent

de Johnny ont inspiré Goldman. »

L’instinct et la fragilité sous le roc apparent de Johnny ont inspiré Goldman. Humainement, ils ne se sont pas trop fréquentés, mais la musique les a rapprochés. L’album « Gang » est l’un des grands albums de Johnny, il contient non seulement des tubes énormes mais aussi des chansons intemporelles, comme Je te promets.

 

JH et JJG

Johnny Hallyday et Jean-Jacques Goldman. Photo : SIPA.

 

Johnny, auxquels tu as consacré de nombreux livres, dont le dernier Johnny immortel, Johnny que tu qualifiais de « frère que tu n’avais pas eu », est parti il y a un peu plus de deux mois... C’est bête à demander, mais est-ce que tu t’y fais ?

la mort de Johnny

Non… D’autant que cette affaire d’héritage m’attriste encore plus…

 

Question musique, voix plutôt, sur Johnny : comment le jeune homme à la voix douce et charmante de L’idole des jeunes a-t-il pu interpréter, « gueulant » (au meilleur sens du terme) à vous coller les poils des titres comme Que je t’aime, Derrière l’amour, Diego ou Vivre pour le meilleur ? Est-ce que sa voix, sa technique ont mûri au fil des ans, ou bien aurait-il été capable de faire ça dès le départ, au début des années 60 ?

la voix de Johnny

Je ne crois pas qu’il ait beaucoup travaillé sa voix, mais sans doute a-t-il appris l’essentiel, à savoir respirer correctement et rééduquer son souffle. Puis, la maturité et l’exercice constant de son métier, de la scène ont fait le reste… Mais il chantait déjà très bien à ses débuts.

 

Johnny immortel

Johnny immortel, l’Archipel, 2017.

 

Quels sont, à ce stade, avec pas mal de livres à ton actif, les plus et les moins que tu attribuerais à cette expérience, à ton métier de biographe ?

le métier de biographe

Le plus : vivre de sa passion et s’intéresser à l’autre. Le moins : la mauvaise réputation des biographes auprès des artistes et la difficulté d’obtenir leur concours. On pourra développer une autre fois…

 

Tes projets et envies pour la suite ? Je sais qu’une nouvelle version de ta bio de Sardou va sortir bientôt... et sinon, de qui aurais-tu envie de tirer le portrait ?

Trouver un compromis pour aller vers des projets plus personnels…

 

Des coups de cœur musicaux récents que tu voudrais partager avec nous ?
 
Gauvain Sers, que je vais applaudir bientôt en tournée, et Juliette Armanet.

 

Frédéric Quinonero

Photo : Emmanuelle Grimaud.

Photos utilisées dans cet article : DR.

 

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8 janvier 2018

« Cette interview n'a jamais existé », autour de L'inavouable Histoire de France

L’inavouable Histoire de France (Ring, 2017), c’est un bouquin qui ne ressemble à aucun autre : ses auteurs, Norbert Hérisson et Stéphane Burne (les Jean-Michel-à-peu-près de qui-vous-devinez), avec Marsault à la photo, prennent un malin plaisir à dynamiter l’Histoire de France, après avoir drogué tous ses personnages les plus regrettés, et aussi les plus regrettables. Complètement barrés, les garçons, mais c’est jouissif à lire, pour qui connaît un peu le vrai de tout ça, et sait y déceler toutes les références qu’ils y ont truffé (et elles sont nombreuses !). Une lecture pour se marrer, en se disant souvent « Ah oui quand même ! », « Ah que... pardon à quand la suite ? » mais aussi, j’en suis persuadé, peut-être une porte d’entrée pour, disons lire aussi d’autres livres d’histoire. ;-) Bientôt recommandé par Jean-Michel Blanquer ? À vous en tout cas de vous faire votre idée. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 18/12/17 ; R. : 08/01/18.

« Cette interview n’a jamais existé. »

(pas) avec Norbert Hérisson et Stéphane Burne

Inavouable

L’inavouable Histoire de France, Ring, 2017.

 

Norbert Hérisson, Stéphane Burne, bonj... euh... bon, déjà là d’entrée, j’ai l’impression qu’on me manipule un peu... Il me semble, enfin je me trompe peut-être, que vos bios ne sont pas tout à fait celles qu’on présente chez Ring, peut-être même que vos noms... ? Enfin, bref, parlez-nous un peu de vous ? Qui êtes-vous messieurs ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que je fais là, moi ?

Nous sommes respectivement maître de conférences et pervers narcissique. Quant à vous, c’est fort simple : vous êtes un homme brillant et plein d’esprit. Vous êtes déjà venu à plusieurs de mes conférences, notamment celles organisées par la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris. Après une séance d’hypnose ayant mal tourné, vous avez oublié cet épisode de votre vie ainsi que le costume de la division Charlemagne prêté pour l’occasion. Merci de me le rendre au plus vite, j’en ai besoin pour le Nouvel An.

 

Hum... on enchaîne. C’est quoi votre rapport, l’un et l’autre, à l’histoire ? Est-ce qu’à la base vous êtes, pour avoir tout lu dessus, des nerds incollables sur la collection grandiose de strings du roi Dagobert, sur l’invasion de Troyes et de Sète par des Huns organisés en trois-huit,  sur la vie sexuelle misérable de Gérard IV Le Bien-Membré ? Ou bien, plus prosaïquement, avez-vous fait le gros de vos écoles sur, peut-être, les Astérix et les Total War, « Kaamelott », les Monty Python, Les Visiteurs et les films de Jean Yanne, « Silex » et « Albert Le Cinquième Mousquetaire », sans oublier on l’imagine (?) l’excellente chaîne AlterHis et peut-être Le Journal de Mickey ?

« Il faut se rendre à l’évidence : les jeunes

étaient moins cons, dans les années 60-70. »

J’ai effectivement appris l’histoire via la collection «  Mickey à travers les siècles  », une série parue dans Le Journal de Mickey dans les années 60-70 ; la souris remontait le temps, en costume d’époque, avec le souci constant de cultiver ses lecteurs et d’impressionner cette mijaurée de Minnie - c’était autre chose que la télé-réalité, hein ! Les jeunes n’étaient pas aussi cons que ceux d’aujourd’hui. Mes étudiants à la fac sont par exemple incapables de réciter des choses aussi basiques que les dates de couronnement des rois mérovingiens ou les noms des différentes maîtresses de Napoléon, toutes citées dans L’inavouable Histoire de France. Nous nous sommes emparés des fantasmes propagés par la culture autorisée pour les passer au détecteur de mensonges. Ne croyez pas les livres des chercheurs institutionnels et autres plumitifs bien-pensants. Achetez seulement notre livre.

 

Comment vous est venue cette ambition aussi folle que saugrenue de vous attaquer ainsi à une nouvelle histoire de notre pays, non pas une histoire officielle non, mais un récit qui démêle le faux de l’un peu moins faux, succédant ainsi avec votre Inavouable Histoire de France (chez Ring) au fameux ouvrage de référence précédent, L’Histoire d’la France comme on veut bien, nous, vous la raconter d’André Châteaudax et Alain Decquois (illustré celui-là grâce aux indications précieuses de Régine, qui a connu la plupart des protagonistes du livre) ?

« Louis XIV n’avait rien d’un soleil, de Gaule était

un américanophile décadent convaincu, Vercin-

gayrorix, un précurseur du mouvement LGBTQI+. »

Écœurés par les mensonges quotidiens entendus durant la Présidentielle, nous nous sommes sentis investis d’une mission éducative aujourd’hui délaissée au profit du capitalisme de la séduction : l’Histoire de France est riche de roi fainéants, de menteurs, de mythomanes, d’ambitieux de tous genres… et disons-le, de fils de putes ; leurs descendants continuant d’exercer les plus hautes fonctions, il semblait nécessaire de les présenter sous un nouveau jour. Louis XIV n’avait rien d’un soleil, de Gaule était un américanophile décadent convaincu, Vercingayrorix, un précurseur du mouvement LGBTQI+. Nous n'avons peur de rien, et même Pépin le Bref ou Charles le Chauve en prennent pour leur grade ! Seul Gilbert III le nyctalope (1025-1026) échappe à notre guillotine.

 

Ça s’est construit comment, cette aventure ? Comment avez-vous posé les thèmes que vous alliez aborder ; trouvé les idées ; décidé de qui allait écrire quoi ; de l’agencement de l’ensemble ? Combien de temps le tout vous a-t-il pris ? Et Marsault pour l’illustration, ça s’est fait comment ?

« L’absurde côtoie le trash et emprunte des chemins

qui pourraient nous mener vers les tribunaux

s’ils étaient partagés sur les réseaux sociaux. »

Il a fallu diviser l'Histoire de France en une soixantaine d’événements ou de personnages clés, généralement les plus controversés. Nous parcourons plusieurs millénaires, de l'Homo Soralis à l'homme de Cro-Macron. Le récit nous a pris six mois à être posé sur le papier : cinq mois à glander puis le dernier rédigé dans un état permanent de stress, entre panique totale et relances téléphoniques de l’éditeur. Marsault a tout de suite adoré le projet, comme il nous l’a indiqué le jour même de notre rencontre : « Bon les deux fragiles, c’est de la merde mais Papacito n’est pas disponible avant 2018. » Nous avons eu carte blanche et le ton général s’en ressent : l’absurde côtoie le trash et emprunte des chemins qui pourraient nous mener vers les tribunaux s’ils étaient partagés sur les réseaux sociaux.

 

Ce livre, c’est, comme on l’aura compris, une relecture complètement barrée, chapitre après chapitre, de l’Histoire de France, et c’est réjouissant : il y a une colonne vertébrale qui nous rappelle l’histoire qu’on connaît, et du très loufoque qui enrobe et fait zigzaguer le tout. C’est quoi vos références, une partie de celles citées dans ma question 2 j’imagine, quoi d’autre ?

Concilier érudition et dérision fut un plaisir de chaque instant. La Rubrique à Bracs de Gotlib est à ce titre une référence. Allen, Desproges, Jean Yanne pour le loufoque, « Groland » et « Les Carnets de Monsieur Manatane » pour l’odeur du terroir et l’amour de la culture.

 

Ce qui est intéressant, c’est qu’à côté du gros délire, on suit une trame chronologique qui nous raccroche à l’essentiel de ce qu’il s’est vraiment passé. Est-ce qu’il y a dans votre optique, derrière le côté «  gros délire  », un objectif d’«  apprentissage  » ? Et est-ce que vous diriez que cette manière-là d’instruire, enrobée d’humour, peut être plus efficace et plus marquante pour l’auditoire que les méthodes plus traditionnelles ?

Bien sûr. Un exemple : j’ai longtemps tenté d’enseigner ma vision du 11 Septembre 2001 aux collégiens de ma ville, mais aucun surveillant ne me laissait entrer. Les policiers non plus n’étaient guère compréhensifs. En revanche, lors de mon passage dans « Touche pas à Mon Poste », Hanouna et ses disciples m’ont attentivement écouté ; tout en me mettant des doigts dans le cul «  pour rigoler  » et un homard agrippé au téton gauche, certes, mais je sentais le public captivé.

Je fabrique actuellement un costume avec un museau de bouledogue et des oreilles de lapin pour expliquer la Shoah aux utilisateurs de Snapchat. J’espère avoir autant de retours positifs.

 

Ouch... next ! Quels regards portez-vous sur la manière dont l’histoire est enseignée aujourd’hui, sur le fond : l’est-elle de manière trop orientée, peut-être carrément dogmatique, à votre sens ?

« Dans certains collèges, il n'y a plus que deux

heures d'histoire par semaine ; l’enseignement

est thématique, des décennies entières

sont regroupées en un seul bloc pour

faciliter l’apprentissage... »

J’ai collaboré fut un temps à un magazine sur l’éducation (chroniques diverses, recension d'ouvrages à recommander pour les CDI, conseil sur l'éducation sexuelle dans les écoles primaires) et j'ai pu constater combien l'histoire était désormais mise de côté au détriment de cours à la mode comme l’apprentissage du vocodeur ou l’initiation au théâtre de rue. Dans certains collèges, il n'y a plus que deux heures d'histoire par semaine. Elle est devenue une matière anecdotique alors qu’elle permet de comprendre la société dans laquelle on vit. L’enseignement est thématique, des décennies entières sont regroupées en un seul bloc pour faciliter l’apprentissage. Tout cela me déprime. Depuis, je me faufile la nuit dans chaque établissement du pays pour discrètement ajouter L’inavouable Histoire de France dans les CDI.

 

Macron Marsault

Illustration tirée du livre. Par Marsault. DR.

 

On sent bien où est votre sensibilité, tout au long de l’ouvrage, lorsque vous calquez sur des événements de siècles passés, souvent lourds, des combats et revendications pas forcément toujours aussi lourds mais qui sont dans l’air du temps. Et à cet égard, quand on lit notamment le dernier chapitre, sur le «  mystérieux  » Cro-Macron, on a une idée de ce que vous pensez de la tendance actuelle... L’air du temps, la tendance actuelle... vous n’avez pas l’air de beaucoup les aimer. Est-ce que vous pensez qu’on n’est pas, nous, à la hauteur, de ce que furent nos ancêtres, et de notre histoire ?

« En gros, on préfère l’esprit anar’ et désinvolte,

celui d’un Depardieu, d’un Gustave de Kervern,

d’Action Discrète, à la pesanteur castratrice

d’une Océane-Rose-Marie. »

Nous ne sommes pas barrésiens, les deux pieds coincés dans un pot de terre, mais nous ne voulons pas brader notre terrine de campagne, nos bouteilles de Beaujolais nouveau et notre humour grivois contre des applications californiennes et une mentalité bien-pensante qui condamne l’humour et la réelle diversité au nom d’une liberté (très) contrôlée. En gros, nous préférons l’esprit anar’ et désinvolte, celui d’un Depardieu, d’un Gustave de Kervern, d’Action Discrète, à la pesanteur castratrice d’une Océane-Rose-Marie.

 

Deux «  affaires  » de ces derniers jours, qui font apparemment polémique parce qu’elles ont provoqué des toooollés notamment auprès des gentils Twittos : la blague (certes pas super délicate) de Tex, qui a eu les suites que l’on sait, et le blackface d’Antoine Griezmann. Je sais à peu près ce que vous pensez de tout ça... mais tout de même, est-ce que vous diriez qu’on a reculé de beaucoup, ces dernières années, sur la question de la liberté d’expression ? Et quelles devraient en être les limites ?

Quand tu sais qu’Ardisson, les Inconnus, Élie Semoun et même Norman ou Hanouna s’en plaignent, je crois que tout est dit. Une multitude de sketchs ne passeraient plus aujourd’hui, sans parler des émissions avec le professeur Choron ou Bukowski. Je pense que le pire est qu’il n’y aura pas de retour en arrière, tout le monde va se mettre au pas, sans même que le législateur ait besoin d’intervenir. Le monde des médias sait très bien se tenir à carreau pour ne pas s’attirer les foudres des twittos les plus virulents et conserver ainsi les budgets des annonceurs. Comme quoi ce sont bien les minorités actives qui écrivent l’histoire.

« Chaque jour, je me demande qui sera le prochain

fusillé : Cazarre ? Éboué ? Les derniers à oser un peu

de subversion ne vont pas tenir longtemps... »

Chaque jour, je me demande qui sera le prochain fusillé : Cazarre ? Éboué ? Les derniers à oser un peu de subversion ne vont pas tenir longtemps.

 

On revient à votre livre : De Gaulle en sa folle jeunesse de playboy accro à l’American Way of Life, Louis XIV comparé à Jeremstar en ses bains publics, Jésus qui n’est pas précisément celui qu’on croyait... et je ne parle même pas du sort que vous faites à «  La Pucelle  »... pauvre Jeanne. Pour vous, il ne doit pas y avoir de vache sacrée ? C’est jouissif, de leur faire subir ça ?

« L’humour ne doit avoir aucune limite, du moment

qu’il cherche à faire rire et non à délivrer

un message politique haineux. »

L’humour ne doit avoir aucune limite, du moment qu’il cherche à faire rire et non à délivrer un message politique haineux. Ces personnages sacrés ont des failles, souvent passées sous silence, ou du moins méconnues. C’est d’ailleurs tout le problème du roman national dans lequel on déifie des hommes au détriment de la complexité et de la vérité.

Il est évidemment plus intéressant pour un auteur d’être corrosif sur Jean Moulin que de dire du mal des Nazis. C’est un challenge d’aborder un personnage apparemment «  sage  » pour en faire un salaud ou de traiter une thématique innocente, comme l’implantation d’un kebab dans un village du Moyen Âge, et d’en faire le déclencheur des guerres de religions.

 

Est-ce qu’à tel ou tel moment vous vous êtes dit, «  Oh, ça quand même... vraiment ?  », des choses dont vous auriez quand même un peu honte ? Quelle est, l’un et l’autre, l’histoire qui vous fait le plus marrer ?

Nous avions seulement honte de proposer un prix aussi peu élevé pour un livre de cette qualité. Nos chapitres préférés sont « La croisade du kébab de Carcassonne » et « Hitler n'est pas mort à Berlin ». Jeanne d’Arc a également une place à part grâce à son style particulier.

 

JMLP Marsault

Illustration tirée du livre. Par Marsault. DR.

 

Hypothèse, j’aime bien la proposer sur mes interviews, alors vous, pensez-vous, vous n’allez pas y couper : un savant un peu fou vient de mettre en place une machine à remonter le temps. Où vous voulez, quand vous voulez, mais il faudra rentrer avant 24h de voyage, sinon vous y restez jusqu’à la fin de vos jours. Alors, l’un et l’autre, quel voyage choisissez-vous ? Où, quand, et pourquoi faire ?

Étant deux éternels insatisfaits, nous remonterions le temps trente minutes avant le début de cette interview pour réécrire chacune de nos réponses.

  

Imaginons, un peu dans le même esprit, que vous puissiez chacun rencontrer une personne historique, pour un échange d’une heure : qui ? à propos de quoi ? et quelles questions lui poseriez-vous ?

« Nous appellerions Jean-Marc Thibault et

Marthe Villalonga à la barre pour leur demander

de s’excuser d’avoir pris le créneau horaire

de Stade 2 durant tant d’années. »

Nous appellerions Jean-Marc Thibault et Marthe Villalonga à la barre pour leur demander de s’excuser d’avoir pris le créneau horaire de Stade 2 durant tant d’années. Les jeunes oublient souvent qu’à l’époque, les émirs n’étaient pas encore assez riches pour nous abreuver de football contre un billet de 10 chaque mois.

 

Que pensez-vous, côté immersion justement dans des époques passées, de ce que permettent les jeux vidéo aujourd’hui ? Vous avez des préférences en la matière ?

« Contrairement aux idées reçues,

l’histoire n’a rien de chiant... »

Nos petit-fils ont longtemps joué à Age of Empires et sa suite Age of Kings. Ces jeux de stratégie offrent la possibilité de revivre l’épopée de Jeanne d’Arc, les batailles des Huns ou encore la Reconquista à travers des campagnes narratives. Ils ont découvert la splendeur des civilisations babyloniennes, romaines ou mayas. Nous pouvions les laisser des heures devant l’ordinateur, nous savions qu’ils ne bougeraient pas ! Nous pouvions alors filer chez notre maîtresse commune en toute sérénité. Contrairement aux idées reçues, l’histoire n’a rien de chiant. Il faut simplement la regarder avec le bon œil, un œil malicieux et espiègle, celui de notre livre.

Aujourd’hui, les jeux vidéo sont bardés de technologie mais ils sont démunis de créativité, de magie, d’émerveillement… Tout ce qui faisait le sel des meilleures productions de l’époque.

 

Pas tout à fait d’accord là-dessus, mais on ne va pas se lancer dans un débat enflammé sur les JV... ;-) Ce livre, donc, vous en êtes fiers, y compris des retours que vous en avez eu ? Ce sera un one shot, ou il y en aura d’autres ?

Plusieurs suites sont à l’étude : L’inavouable Histoire du monde, Vol 747 pour L’inavouable Histoire de France, On a marché sur L’inavouable Histoire de France, L’inavouable Histoire de France Gall… Bref, tout dépendra des retours des lecteurs.

 

C’est quoi vos projets, vos envies pour la suite à tous les deux ? Une adaptation de votre livre sous forme de série d’animation type « Silex », c’est envisageable, c’est une envie que vous avez ?

« Si vous connaissez des acteurs qui seraient prêts

à risquer leur carrière pour tourner

dans une série conspirationniste... »

Faut-il encore trouver une chaîne qui accepterait de produire une série subversive, à l’humour noir et cynique, aux standards éloignés des productions actuelles. Le catalogue évolue doucement, des sujets moins conventionnels que le couple ou la famille sont abordés à l’étranger, mais la France demeure frileuse. Canal+ vient de sortir « Paris, etc. », de Zabou Breitman ; c’est une daube sans nom, des destins croisés de Parisiens bobos vivant dans des appartements hors de prix et qui ne parlent qu’aux gens qui les produisent. L’histoire parle à tout le monde. Notre livre parle à tout le monde, même à ceux qui ne s’intéressent pas, de prime abord, à l’histoire de notre pays. Si vous connaissez des acteurs qui seraient prêts à risquer leur carrière pour tourner dans une série conspirationniste, faites-nous signe.

 

Vous venez en tout cas de trouver le bloggeur qui est prêt à fusiller sa crédibilité sur un bouquin révisionniste, mais qui l’a aimé, et qui assume. ;-) Un dernier mot (ou plutôt deux) ?

Cette interview n’a jamais existé.

 

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14 décembre 2017

Eric Chemouny : « Johnny est parti, mais il n'aurait pas aimé que nous soyons tristes »

« J’ai pas toujours trouvé les motsPour bercer tes rêves d’enfantsEnsemble, on est devenu grand...De bons points en double zéroParalysés par tant d’amourOn s’apprivoise au jour le jour... »

« Je n’ai jamais su trouver les gestesQui pouvaient soigner tes blessuresGuider tes pas vers le futurÀ tous les signaux de détresseDis, comment j’aurais pu faire facePris entre le feu et la glace... »

« Au-delà de nos différencesDes coups de gueule, des coups de sangÀ force d’échanger nos silencesMaintenant qu’on est face à faceOn se ressemble sang pour sang... »

Qui ne s’est pas trouvé ému, ou au moins touché en écoutant cette chanson, Sang pour sang, issue de l’album éponyme (1999), le 42è studio de Johnny Hallyday ? C’est la confrontation d’un père et d’un fils, qui mettent à plat les non-dits accumulés sur des décennies, et se rendent compte qu’ils sont faits du même bois. Quand on n’a plus son père... ce titre prend tout son sens, et devient plus douloureux parce que cette redécouverte mutuelle ne viendra plus. Et, s’agissant de Johnny, de sa vie, de ses rapports avec son père, et aussi avec ses enfants, quand on les connaît, on sait à quel point la chanson est importante et forte de signification, dans son répertoire. À la compo, comme pour tout l’album, son fils David... Et à l’écriture, un nom, trop peu connu : Éric Chemouny.

Après la triste et marquante disparition de Johnny il y a huit jours, j’ai souhaité contacter cet auteur, l’inviter à témoigner, à évoquer l’artiste. J’ai à cette occasion découvert qu’il était très impliqué dans une belle initiative éditoriale, le webmagazine « Je suis musique », qui a consacré dans l’urgent numéro à celui qu’on appelait jadis « l’idole des jeunes ». Dont un article signé par M. Chemouny et qui revient sur l’histoire de Sang pour sang, à découvrir, en complément du présent. J’ai posé des thèmes, illustrés par des titres de chansons du « Taulier », M. Chemouny a rempli les blancs et ouvert son cœur. Merci à vous Éric, et que personne n’en doute : les grands artistes ne meurent pas. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 12/12/17 ; R. : 13/12/17.

Éric Chemouny: « Johnny est parti, mais il

n’aurait pas aimé que nous soyons tristes »

Sang pour sang

L’album Sang pour sang (Universal, 1999). DR.

 

« Noir c’est noir » : Johnny est parti...

Johnny est parti, mais il n’aurait pas aimé que nous soyons tristes. Il n’a jamais été aussi présent ; les jeunes générations redécouvrent la carrière extraordinaire de notre rocker, entré dans la légende. Et ce n’est pas fini, il y aura sans doute d’autres émissions hommages, des biopics, des comédies musicales autour de son destin...

 

« De l’amour » : Une semaine d’hommages populaires

Au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer ! C’était très réconfortant de voir les Français se mobiliser, dans la communion autour d’un artiste que tout le monde aimait. Il a tellement donné de lui toute sa vie, et d’amour à son public, que c’était un juste retour des choses.

 

« Souvenirs, souvenirs » : Mon histoire avec Johnny

J’aimais beaucoup Johnny, comme mes parents, qui avaient pas mal de 45 tours : enfant, je me rappelle en particulier des pochettes si belles de San Francisco, et de J’ai un problème... Mais je n’imaginais pas le rencontrer un jour : il me paraissait si inaccessible... La vie a eu plus d’imagination que moi, et j’ai découvert un homme extrêmement timide, généreux, plein d’humour, et curieux des autres. Dans l’intimité, en studio notamment, il était au même niveau que les musiciens, juste soucieux de donner le meilleur de lui-même. Un immense artiste.

 

« J’ai un problème » : Sylvie, David, histoires d’amitié?

David et Sylvie sont avant tout des amis, avant d’être mes interprètes. La musique n’a fait que resserrer nos liens. On a les mêmes valeurs, si bien qu’on se comprend souvent sans se parler. Ce ne les empêche pas d’être exigeants avec moi en tant qu’auteur.

 

« Sang pour sang » : Genèse, coulisses et retombées d’un titre très intime devenu tube

J’ai raconté la genèse de Sang pour sang, dans Je suis musique, mais je suis très ému de constater aujourd’hui que cette chanson est restée comme une des préférées du public, pour le symbole universel qu’elle représente et la place particulière qu’elle a eu dans la discographie de Johnny. 18 ans après, je recois encore des messages de sympathie à ce sujet, de gens anonymes comme d’artistes reconnus. Jean-Michel Jarre et La Grande Sophie notamment, l’ont citée à sa disparition, comme leur titre préféré de Johnny. C’est très touchant.

 

Je suis musique

« Je suis musique », le numéro spécial Johnny.

 

« Je veux te graver dans ma vie » : Ce que j’ai appris et que je retiendrai de l’homme derrière le mythe Johnny

Me concernant, j’ai appris qu’il faut croire en ses rêves et que rien n’est impossible, si on travaille pour cela et qu’on se donne les moyens de les réaliser. Je crois que c’est aussi valable pour Johnny qui ne s’est jamais reposé sur ses lauriers, a toujours cherché de nouveaux talents, pour progresser et se renouveler ; le travail, toujours le travail... et cet instinct animal, cette intelligence qui le caractérisaient sont aussi à l’origine de son succès incroyable.

 

« Toute la musique que j’aime » : Johnny, mes chansons préférées...

J’aime beaucoup de chansons de Johnny bien sûr, mais j’ai une préférence pour le Johnny lyrique et mélancolique, ses grandes ballades : J’la croise tous les matins, Elle m’oublie, Le coeur en deux, Requiem pour un fou, Mirador, J’ai oublié de vivre, Derrière l’amour... La liste est trop longue... Et je suis le premier fan de son interprétation de Ceux qui parlent aux étoiles, que j’ai écrite pour lui, sur une musique de David, mais passée un peu inaperçue sur l’album « À la vie, à la mort », suite à l’écrasant triomphe (mérité) de Marie.

 

« Ça n’finira jamais » : Et maintenant, Johnny?

Je pense que l’hommage de la Madeleine n’est que le début de la mesure de son immense popularité : je suis certain que beaucoup de rues et d’écoles dans les villes de France vont porter son nom...

 

« L’envie », « Vivre pour le meilleur » : Projets, désirs et vœux

Vivre pour le meilleur, et au jour le jour est une belle philosophie... Profiter de chaque instant, en essayant de progresser dans son domaine, sans oublier de rendre aux autres un peu de ce bonheur que la vie nous apporte... C’est un peu le rôle de la musique.

 

Éric Chemouny est parolier et journaliste.

À découvrir, son webmagazine, « Je suis musique ».

 

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10 décembre 2017

Valéry Freland : « La francophilie est forte en Nouvelle-Angleterre »

Valéry Freland est depuis septembre 2015 Consul général de France à Boston, soit, le représentant des Français établis dans la région de Nouvelle-Angleterre (États-Unis), dont il doit à ce titre protéger et défendre les intérêts (et cette mission n’est pas vide de sens en ces temps de terrorisme globalisé et imprévisible). Il participe également un peu de ce qu’on appelle la « diplomatie d’influence » française, en ce qu’il est, à l’étranger, aux premières loges de causes aussi importantes pour le rayonnement national que la promotion de la langue et de la culture françaises. Il a accepté, un an et demi après mon interview de Gregor Trumel, ex-Consul général à La Nouvelle-Orléans (il est aujourd’hui rattaché à l’ambassade de France à Alger), de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Je l’en remercie et salue M. Trumel, sans qui le présent article n’aurait sans doute pas vu le jour, et pour la fidélité de nos échanges. Trois objectifs, pour ces articles : 1/ connaître les Français établis à l’étranger et sonder l’état de la francophonie dans le monde ; 2/ positionner la lumière sur de hauts fonctionnaires méconnus mais dont l’action est utile à la nation ;  3/ donner au lecteur, via d’appétissants conseils touristiques, le goût du voyage, ou comme dirait notre regretté Johnny, l« envie » d’évasion. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 03/10/17 ; R. : 04/12/17.

Valéry Freland: « La francophilie

est forte en Nouvelle-Angleterre »

Valéry Freland 13 novembre 2015

« Le 15 novembre 2015, cérémonie de recueillement à Boston après les attentats de Paris.

De g. à d. : le Gouverneur du Massachusetts Charlie Baker, la U.S. Sénatrice Elisabeth Warren,

le Consul général de France Valéry Freland, le Maire de Boston Marty Walsh, le Consul général

d’Allemagne Ralf Horlemann. Cette photo a été prise par le photographe Greg Cookland. » DR.

 

Paroles d’Actu : Valéry Freland bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Vous exercez depuis plus de deux ans la charge de Consul général de France à Boston (Massachusetts) et opérez à ce titre sur le territoire des États dits de la « Nouvelle-Angleterre ». Quels furent vos premiers contacts, vos premiers échanges avec les États-Unis, et en quoi l’image que vous en aviez alors a-t-elle évolué au fil du temps ?

Nouvelle-Angleterre, premiers contacts

Valéry Freland : Bonjour et merci de vous intéresser à l’action du Consulat général de France à Boston ! Ma circonscription comprend toute la Nouvelle-Angleterre, à l’exception du Connecticut, rattaché à notre Consulat général à New-York. Je suis donc en charge à la fois de la communauté française et de notre diplomatie d’influence dans cinq États : le Massachusetts, qui, avec Boston pour capitale, est le principal État de la région sur le plan démographique et économique, le Rhode Island, le New Hampshire, le Vermont et le Maine. C’est une région qui, compte tenu de son histoire et de ses paysages notamment, a une forte identité.

Je suis en poste à Boston depuis septembre 2015, mais je suis déjà venu dans cette ville en 1987 et 1990, alors que j’étais encore étudiant, notamment pour un séjour linguistique d’un mois à Tufts University, l’une des principales universités de la région. A l’époque, j’étais tombé amoureux de l’architecture élégante de Boston et des splendides plages de Cape Cod et de l’île de Martha’s Vineyard, qui me rappellent celles de mon enfance, en Charentes. Outre le fait que Boston est souvent présentée comme la «  nouvelle Athènes  », ce qui est très attirant et stimulant, c’est également la magie de ces paysages que j’ai souhaité retrouver en postulant pour ce poste.

« La force de la réaction américaine après

les attentats de novembre 2015 en France m’a ému

et nous rappelle à quel point nous sommes liés. »

Mes premiers contacts avec les États-Unis, lors de ma prise de poste, ont été marqués par les terribles attentats de Paris de novembre 2015 : j’ai été impressionné et ému par la force de l’amitié américaine exprimée à l’égard du peuple français à cette occasion. Au-delà de nos différences culturelles, des différends qui existent parfois entre nos deux nations qui ont l’une et l’autre une prétention à l’universel – j’ai longtemps traité de cette question lorsque je travaillais sur la notion d’exception culturelle dans le domaine du cinéma – ces évènements tragiques et la réaction américaine nous ont rappelé la force des liens qui nous unissent et notre communauté de valeurs.

 

PdA : Plusieurs « clichés », quand on considère la Nouvelle-Angleterre : un des cœurs historiques de l’Amérique (Boston) ; de jolis paysages de bord d’océan ; quelques-unes des plus grandes universités du monde ; une population globalement plus « progressiste » que la moyenne nationale (en ce sens, relativement proche des Européens), plus aisée aussi (il y a entre autres l’image des Kennedy)... Dans quelle mesure ces clichés sont-ils vrais ou faux, et que manque-t-il pour une bonne première vision d’ensemble ?

clichés et réalités de terrain

« 250 entreprises françaises contribuent

au dynamisme de l’économie du Massachusetts. »

V.F. : C’est vrai, la Nouvelle-Angleterre, c’est un peu tout cela. Mais c’est aussi une autre dimension que l’on n’a pas forcément en tête en France : Boston n’est pas seulement une ville d’art et d’histoire, c’est également une cité à la pointe de la modernité. Elle dispose aujourd’hui d’un écosystème parmi les plus dynamiques au monde. Sur quelques km², vous trouvez à Boston – et Cambridge, de l’autre côté de la Charles River - parmi les meilleurs et les plus importants au monde centres de recherche, universités, incubateurs, entreprises, financeurs… Le quotidien Le Monde a ainsi titré récemment que Boston était «  la capitale mondiale de la biotech  » ! La ville accueillera d’ailleurs du 4 au 7 juin prochain le grand rendez-vous de ce secteur, le BIO International Convention, et la France compte bien y être représentée en masse  ! Boston est également un centre important de la High-Tech et une cité financière de premier rang (capital-risque, assurances…). Le Massachusetts peut ainsi se flatter d’être aujourd’hui l’État dont l’économie est la plus dynamique des États-Unis ! Et il y a ici environ 250 entreprises françaises qui contribuent à cette croissance et à la force du lien avec notre pays.

 

PdA : Quel est, à supposer que l’on puisse en établir un, le profil type du Français établi en Nouvelle-Angleterre ? Et combien sont-ils, notamment, à fréquenter ces universités d’élite (Harvard, MIT, Yale...) dont les noms rayonnent dans le monde entier ?

les Français en Nouvelle-Angleterre

V.F. : Nous avons aujourd’hui, pour les cinq États, près de 9000 Français inscrits au registre consulaire, ce qui laisse à penser que le nombre de nos compatriotes tourne autour de 20 000, une grande majorité d’entre eux étant concentrée dans la région de Boston. Nos compatriotes sont ici pour plusieurs raisons : pour y poursuivre des études (à Harvard, au MIT, mais aussi à Boston University, Brown, Tufts, Northeastern… il y a 150 universités et collèges dans la région – Yale étant dans le Connecticut), pour y enseigner, pour travailler comme expatrié dans une grande entreprise française (comme Sanofi, Ipsen, Veolia, Dassault Systèmes, Saint-Gobain, Natixis, Schneider Electric, Keolis, etc.), ou encore y développer leur startup. Cette population est en croissance : plus 4% entre 2016 et 2017.

 

PdA : Comment se porte la francophonie sur ces terres, qui n’ont jamais été françaises ? Existe-t-il, dans le Massachusetts comme ailleurs, des communautés culturelles francophones vivaces qui réussissent à percer hors de leur cercle de base ? Des livres, des films, des chanteurs et artistes français ou francophones qui ont réussi, récemment, à se faire une place chez les Yankee ? Et de quel « jeu » la diplomatie culturelle française dispose-t-elle en la matière ?

empreintes et implantations « franco »

V.F. : En réalité, peut-être parce que cette terre se nomme la «  Nouvelle-Angleterre  », on n’imagine pas à quel point la mémoire «  française  », la francophilie ou la francophonie y sont présents. D’abord, n’oublions pas que le nord de la Nouvelle-Angleterre a été découvert par des Français, qui y ont fait souche : le premier établissement européen dans le Maine a eu lieu en 1604, sur l'île Sainte-Croix, par le saintongeais Pierre Dugua de Mons, et le nord du Maine a par la suite fait partie de la possession française de l'Acadie.

« 20 à 25% des populations du Vermont, du

New Hampshire ou du Maine ont des

origines "françaises". »

Ensuite, il existe dans la région une importante communauté de «  Franco  », c’est-à-dire de Québécois ou de Canadiens francophones, qui ont émigré dans toute la région de la fin du XIXème siècle aux années 1970, pour des raisons économiques : ils sont venus travailler dans les usines de textile notamment, important leur langue (le français) et leur culture (fortement marquée par le catholicisme). Et si la maîtrise de la langue française a progressivement décliné au sein de cette communauté, son attachement à ses racines reste très vif  : on peut le constater notamment dans la région de Lewiston-Auburn, dans le Maine, où existe un très actif «  Centre culturel franco-américain  ». On estime que 20 à 25% des populations du Vermont, du New Hampshire ou du Maine ont des origines «  françaises  », comme en témoignent de nombreux patronymes. Imaginez-vous que j’ai parlé français avec le Gouverneur du Maine, d’origine «  franco  »  !

Plus récemment, ont émigrés dans la région des populations francophones venues d’Haïti (100 000 Haïtiens à Boston), du Maghreb ou d’Afrique, notamment des Grands Lacs à Portland (Maine).

Il faut enfin ajouter à cela l’intérêt croissant des familles américaines pour l’enseignement bilingue, notamment français-anglais.

Par conséquent, il n’est pas rare d’entendre parler français dans les rues ou les taxis de Boston ! La vitalité de la francophonie en Nouvelle-Angleterre est le fruit de la profonde transformation, avec les mouvements migratoires contemporains notamment, de la géographie de l’espace francophone.

La francophonie est également un enjeu politique : chaque État la célèbre officiellement un jour de mars, en présence des plus hautes autorités locales et des représentants des communautés «  francophones  » ou «  franco  ».

Dans ce contexte, l’une des priorités de ce Consulat général est de faire vivre cette francophonie. Nous nous appuyons naturellement pour cela sur le patrimoine culturel français : à cet égard, les écrivains les plus connus dans la région demeurent les grands classiques de la littérature française, de Victor Hugo à Camus en passant par Proust. On observe également, compte tenu de la présence des universités, un intérêt pour certains penseurs français de la seconde moitié du XXème siècle (comme Foucault, Derrida ou Levi-Strauss…). Mais les écrivains français régulièrement invités au Boston Book Festival suscitent aussi l’intérêt, comme cette année Christine Angot, Christophe Boltanski et Édouard Louis.

En musique, si Aznavour et Piaf restent les références incontournables, certains jeunes artistes français se produisent avec succès à Boston, comme récemment Christine and the Queens, qui chante en français et en anglais. Et on attend Carla Bruni en février prochain !

Au-delà de la culture française, la francophonie vit aussi ici à travers la diversité des cultures du monde francophone.

 

PdA : Quelles perspectives entrevoyez-vous pour la francophonie aux États-Unis de manière générale ?

la francophonie aux États-Unis

« Nous manquons de professeurs pour enseigner

le français et en français. »

V.F. : Je constate un intérêt substantiel pour l’apprentissage de la langue française en Nouvelle-Angleterre, phénomène sans doute valable pour l’ensemble des États-Unis, en dépit de la forte concurrence d’autres langues, comme l’espagnol ou le mandarin. Cela se traduit notamment par le succès des écoles françaises – nous avons un lycée à Boston et une école dans le Maine et le Rhode Island – des cours en «  after school  » proposés par les alliances françaises notamment, ou des programmes bilingues des écoles publiques américaines. Le développement de cette offre d’enseignement français ou en français butte toutefois sur le manque de professeurs, enjeu majeur sur lequel nous travaillons.

 

PdA : Quelques-uns des épisodes les plus marquants de la Révolution américaine se sont déroulés dans la région - je pense notamment au fameux « Boston Tea Party  ». On sait quel a été le rôle tenu par la France, par La Fayette notamment, dans la lutte d’émancipation des colons d’Amérique face à la métropole britannique (ce qui au passage contribua à assécher les finances royales et à déclencher la Révolution française, mais c’est une autre histoire). Est-ce qu’on regarde toujours la France d’un œil particulier, par rapport à cela ?

la France et la révolution américaine

« La Fayette est certainement la personnalité

historique française la plus connue et

vénérée en Nouvelle-Angleterre. »

V.F. : Oui, et j’avoue que je ne m’y attendais pas. La Fayette est très certainement la personnalité historique française la plus connue et la plus vénérée en Nouvelle-Angleterre, plus qu’en France d’ailleurs ! Par exemple, chaque année en mai, nous célébrons sa mémoire au pied du monument qui lui est consacré dans le Boston Common, le grand parc du centre de Boston : quel symbole !

 

Timbre La Fayette

Timbre américain en l’honneur de La Fayette. Éd. in 1952.

 

Ceci m’a donné l’idée de confier à un jeune étudiant français le soin de reconstituer «  numériquement  » le grand voyage triomphal que La Fayette a fait aux États-Unis en 1824-1825 : vous pouvez retrouver ce trajet sur le site http://www.thelafayettetrail.com. L’objectif ici est double : promouvoir la mémoire de cette figure symbolique de l’amitié franco-américaine et contribuer à l’attractivité touristique de la Nouvelle-Angleterre. Ce projet, qui a vocation à se développer dans tous les États-Unis, a reçu un accueil enthousiaste de la part des autorités locales.

 

PdA : On reste sur l’Histoire. De qui se composerait votre panthéon des personnalités que vous admirez le plus, et pourquoi ?

références historiques

V.F. : Un personnage historique se distingue nettement pour mo : le général de Gaulle. C’est d’ailleurs sans doute parce que je me faisais, et me fais toujours, une certaine «  idée de la France  », de sa culture, de ses valeurs, de son rôle sur la scène internationale, que j’ai embrassé la carrière diplomatique. J’admire l’écrivain, l’homme d’Etat et le personnage historique. Je suis fasciné par l’intelligence de situation d’un homme qui, de formation très classique, a su faire entrer la France dans la modernité. Ses mémoires demeurent d’une étonnante actualité.

« Aurais-je été aussi brave que ces hommes ? »

Et puis, de manière générale, j’admire ceux qui par leur courage ont, au quotidien, pesé sur le cours de l’histoire. Je pense notamment à ces vétérans américains de la seconde Guerre mondiale à qui j’ai remis ces derniers mois les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur. À chaque fois, je me dis : aurais-je été aussi brave qu’eux ?

 

Valéry Freland Vétérans

« Remise de la Légion d’Honneur à trois vétérans de la deuxième Guerre mondiale

à Providence, Rhode Island, à l’occasion des fêtes du 14 juillet 2017. » DR.

 

PdA : On change de sujet, sans transition... un peu violent, mais la violence est tellement inhérente à ce sujet... C’est la question du terrorisme, malheureusement omniprésente dans les esprits aujourd’hui, au Moyen-Orient bien sûr, en Europe, et aux États-Unis notamment. Boston avait, elle, été touchée, on se rappelle les bombes lors du marathon de 2013 qui avaient fait trois morts. Est-ce que vous sentez que la peur du terrorisme tient aujourd’hui une place plus importante, lorsque vous échangez avec les Français dans le cadre de vos activités auprès du consulat, ou bien en général, dans les rues de Boston ou autre ? Et est-ce qu’en tant que diplomate, vous sentez sur vous le poids d’une responsabilité particulière en ces temps troublés ?

le consulat face au terrorisme global

V.F. : Un consulat général a toujours une responsabilité particulière vis-à-vis de la communauté française : celui de veiller à sa sécurité. C’est naturellement, dans le contexte actuel, une absolue priorité. Il ne s’agit pas d’entretenir un sentiment d’inquiétude, mais de redoubler de vigilance et de nous tenir prêts. C’est ainsi que nous mettons régulièrement à jour notre plan de sécurité, qui doit nous permettre de répondre aux risques naturels, industriels ou terroristes qui peuvent frapper une région comme la Nouvelle-Angleterre. Nous y travaillons avec les différents représentants de notre communauté et en lien étroit avec les autorités américaines.

 

PdA : Petit aparté : je lis dans votre bio que vous avez débuté votre carrière au CSA, il y a une vingtaine d’années. Est-ce qu’un outil comparable de régulation existe aux États-Unis, au niveau fédéral ou peut-être des différents États et, si non, diriez-vous que ce serait souhaitable ?

la régulation de l’audiovisuel

V.F. : J’ai effectivement commencé ma carrière comme juriste au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), de 1994 à 1997, et ai fait mon mémoire de DEA sur «  la notion de régulation audiovisuelle en droit public français  ». Mais tout cela me semble un peu lointain ! Il existe aux États-Unis une instance de régulation, la Federal Communications Commission, créée en 1934 et chargée de réguler les télécommunications ainsi que certains contenus. Son champ d’intervention couvre grosso modo celui du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel et de l’Autorité de Régulation des Télécommunications électroniques et des Postes (ARCEP). Au-delà, les modèles français et américains restent relativement différents : pour plus d’informations, je vous renvoie au site du CSA !

 

PdA : Retour à Boston, mais on va quitter un peu votre bureau... Pour cette question, j’aimerais comme je l’avais fait avec Grégor Trumel, qui était jusqu’à cet été consul général à La Nouvelle-Orléans, vous inviter à devenir l’espace d’un instant, pour Paroles d’Actu, un « guide de luxe ». Considérons quelqu’un, un Français, qui aurait envie de découvrir les États de la Nouvelle-Angleterre et se serait assigné une semaine pour ce faire : que devrait-il absolument voir et visiter ? Quelles bonnes adresses à ne pas manquer, à Boston et ailleurs ?

voyage en Nouvelle-Angleterre

V.F. : D’abord, une semaine c’est sans-doute trop court pour visiter toute la Nouvelle-Angleterre : n’oublions pas qu’il y a près de 600 kms entre Newport (Rhode Island), au sud de ma circonscription, et l’Acadia National Park, dans le nord du Maine, à la frontière canadienne. Et je pense que, lorsqu’on voyage, il faut prendre le temps de flâner, de rencontrer les gens, «  d’humer  le pays  ».

À Boston, mes lieux favoris sont les quartiers historiques – et élégants - de Beacon Hill et de Back Bay, le Museum of Fine Arts, qui dispose d’une remarquable collection, et le Isabella Stewart Gardner Museum, palais et cloître vénitiens d’un charme absolu. La Kennedy Library et l’Institute of Contemporary Art (ICA) sont également deux magnifiques bâtiments au bord de l’eau. Je vous engage aussi à faire du vélo le long de Charles River, afin d’admirer la silhouette de Boston et de découvrir Harvard et le MIT, mais aussi de suivre la piste cyclable «  Minute man  » qui vous conduira jusqu’à Concord, charmante ville historique à 20 milles de Boston. Je suggère également une étape au nord de Boston, du côté des villes historiques et charmantes de Salem – le Peabody Essex Museum et ses collections de porcelaine et sa traditionnelle maison chinoise - Marblehead et Rockport, et le long des plages de Cape Ann.

Depuis Boston, on peut se rendre en bateau à Provincetown, principale ville de Cape Cod : vous pourrez y louer des vélos et parcourir les pistes cyclables qui traversent les pinèdes et longent de magnifiques plages. Descendez vers le sud et rejoignez en bateau, depuis Woods Hole (Massachusetts), les îles de Martha’s Vineyard et Nantucket, ou visitez Providence, siège de Brown University, et Newport, et ses splendides mansions.

 

Marthas Vineyard Lighthouse

Phare de Martha’s Vineyard, DR.

 

Visitez également les Berkshire, dans l’ouest du Massachusetts : le Clark Museum, Williams College, le MassMOCA - pour les amoureux d’art contemporain - le Rockwell Museum - pour l’art POP américain - ou encore la demeure The Mount, pour les admirateurs d’Edith Wharton.

Dans le New Hampshire, arpentez le charmant village de Woodstock (pas celui du festival, ndlr) et les White Mountains et leurs lacs aux eaux limpides. Dans le Maine, visitez Portland et sa baie, puis longez vers le nord la côte déchiquetée, parsemée de villages de pécheurs, jusqu’au Acadia National Park. Là, visitez la maison de Marguerite Yourcenar à Mount Desert. Traversez le Vermont et ses paysages de collines jusqu’à Burlington, sur les bords du Lake Champlain, et arrêtez-vous au Shelburne Museum.

 

White Mountains

Les White Moutains, DR.

 

Enfin, n’hésitez pas à visiter les différents lieux de mémoire «  Franco  » (Woonsocket (RI), Lowell (MA) ou Lewiston (ME), pour découvrir la vie de cette communauté francophone de Nouvelle-Angleterre.

 

PdA : Quand vous regardez dans le rétro, vous êtes fier du parcours accompli jusqu’à présent ?

un bilan

V.F. : Je suis plus fier de ce que j’ai fait de concret, au cours de mes différents postes, que de mon parcours en tant que tel. Fier notamment de ce qu’avec mon équipe nous avons fait en Tunisie, où j’étais Conseiller de coopération et d’Action culturelle de 2010 à 2013, au lendemain de la Révolution, pour renforcer les liens entre les sociétés civiles tunisienne et française. Ici, encore, à Boston, nous avons organisé deux symposiums, l’un sur «  diversité et intégration  », avec des étudiants de la Harvard Kennedy School, l’autre sur «  l’éducation pour l’égalité femmes-hommes  », avec Wellesley College, afin d’apporter notre modeste contribution au dialogue franco-américain sur ces questions et au combat pour l’égalité.

 

PdA : Vos envies, vos projets pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

what’s next ?

V.F. : Je suis encore à Boston pour près de deux ans  : il y a encore beaucoup de choses concrètes à faire pour renforcer les liens économiques, universitaires et scientifiques entre nos deux pays, et promouvoir la francophonie dans la région. Souhaitez à mon équipe et moi-même plein succès dans nos projets !

 

Valéry Freland Ecole

« Lors de l’inauguration d’un nouveau bâtiment du Lycée International de Boston,

avec l’ambassadeur de France à Washington Gérard Araud, quelques élèves, des membres

du Conseil d’administration de l’école et des représentants de l’entreprise française

Dassault Systèmes, en octobre 2017. » DR.

 

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7 décembre 2017

« À toi Johnny », par Frédéric Quinonero

La mort de Jean-Philippe Smet, plus connu sous le nom de Johnny Hallyday, hier dans la nuit (pourquoi a-t-il fallu que cela survienne un jour de Saint-Nicolas ?), a provoqué une onde de choc émotionnel à la mesure du personnage. Johnny, c’était presque 60 ans de carrière, 110 millions de disques vendus, un univers perpétuellement renouvelé et, surtout, une pêche, un enthousiasme, et une voix qui emportaient tout. On pouvait râler parce qu’on le voyait trop, mais franchement, que celui qui n’a jamais aimé ne serait-ce qu’une de ses chansons, que celui qui a eu la moindre occasion dans sa vie de le trouver antipathique jette la première pierre sur son cortège mortuaire. Johnny était respecté parce qu’il était un showman hors du commun, et il était aimé parce qu’il était aimable. La France de plusieurs générations ressent aujourd’hui un deuil sincère, sans doute comparable à celui que l’on ressentira, outre-Manche, au départ d’Elizabeth. Il était quelque chose comme un lien, un pont entre des gens parfois très différents. En ce sens, si Jean-Philippe vient de s’éteindre, Johnny, lui, son oeuvre, son sourire, son exemple, tout cela restera. Johnny immortel, c’est précisément le titre de la version définitive de la bio qui lui a été consacrée par Frédéric Quinonero et dont il vient, à grand peine, de boucler les chapitres finaux. J’ai eu une grosse pensée pour lui quand j’ai su pour Johnny, pour lui qui le qualifiait, lors d’une interview pour Paroles d’Actu il y a trois ans, de « grand frère qu’il n’avait jamais eu ». Frédéric a accepté d’évoquer Johnny dans un nouveau texte, nostalgique et touchant, je l’en remercie bien amicalement... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Johnny immortel

Johnny Immortel, de Frédéric Quinonero (l’Archipel, décembre 2017).

 

« À toi, Johnny »

Par Frédéric Quinonero, le 7 décembre 2017.

 

Quelques fragments de vie avec toi, mon Johnny...

Ton apparition dans le poste en noir et blanc, dans Que je t’aime à la fin des années 60 et un petit garçon de six ans qui tombe sous le charme.

Le même petit garçon qui veut chanter ta chanson dans un radio-crochet sur la place d’Anduze, sa ville d’enfance, et l’organisateur qui ne sait comment lui expliquer d’en choisir une autre, que celle-là n’est pas pour son âge ; plus tard, mes parents qui m’expliquent avec un peu de gêne que «  quand tu ne te sens plus chatte et que tu deviens chienne  » ou «  mon corps sur ton corps lourd comme un cheval mort  », ce genre de phrases pose problème dans ma bouche et devant mon air hébété : «  Tu comprendras plus tard  »...

L’ «  album au bandeau  » au pied du sapin le matin de Noël et le verre de liqueur sur la table, bu par le Père Noël ; et moi surpris que le Père Noël te connaisse, toi, Johnny Hallyday.

Mon premier show de toi dans les arènes de Nîmes et moi hypnotisé, comme devant une apparition miraculeuse, tandis que des jeunes filles tombées dans les pommes sont évacuées sur des brancards ; puis, dans la voiture, l’air ahuri de mes parents quand je leur dis que je veux faire «  Johnny Hallyday  » comme métier.

Puis, mon dernier show des années plus tard, au même endroit, sans savoir quil serait le dernier.

Un communiant de onze ans entonnant dans son aube blanche ton dernier tube, Prends ma vie, à la fin du repas familial et les premières phrases : «  Je n’ai jamais mis les pieds dans une église, je ne sais pas prier  », entre autres, qui choquent l’assistance, en particulier une cousine très pieuse qui ne s’en est jamais remise.

L’affiche géante de la tournée Johnny Hallyday Story – toi vêtu de jean, posant allongé sur fond rouge - longtemps punaisée au mur de ma chambre d’adolescent, place Émile-Combes à Montpellier ; puis, longtemps après, celle du Stade de France 1998 au-dessus de mon bureau dans l’appartement de Saint-Maur.

Mon copain Bruno et moi sur ma Mobylette orange partant t’applaudir aux arènes de Palavas  et t’attendre le lendemain devant ton bungalow au Reganeous ; te voir sortir, boitillant – tu étais tombé dans la fosse la veille -, avec Sylvie préoccupée par l’état de ta jambe et ne se souciant pas de son petit chien venu vagabonder vers nous et devenu prétexte idéal pour vous approcher l’un et l’autre.

Mon premier spectacle parisien de toi, au Zénith, et tous les autres qui vont suivre...

Ton entrée chez Graziano où je travaille pour payer les cours de théâtre ; tous ces gens qui s’arrêtent de dîner, les couverts levés ; puis moi tremblant comme une feuille en servant le champagne à ta table et toi le remarquant qui m’adresses un sourire à faire fondre la banquise.

Ta voix dans le téléphone – «  Bonjour c’est Johnny  » - lorsque tu appelles pour réserver et moi, qui manque de tomber du tabouret où je m’étais assis.

Ta première interprétation de Diego en 1990 à Bercy et l’émotion qui nous a cueillis, mon amie Muxou et moi.

Tes messages à distance qui mettaient du baume au coeur au petit garçon devenu ton biographe.

Des souvenirs, souvenirs en pagaille…

Et maintenant, mon Jojo, à quoi ça va ressembler la vie sans toi  ?

 

Frédéric Quinonero JH

 

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5 décembre 2017

« Au revoir et merci », Jean d'Ormesson vu par François-Henri Désérable

Parmi les impondérables inévitables de la vie, il y a la mort. Il fallait bien que celle de Jean d’Ormesson, tout immortel qu’il fût, survienne un jour. Il vient tout juste de s’éclipser, sans doute avec flegme et mots tombés à pic, lui qui n’était que Lettres et élégance. Il aimait écrire et lire, les échanges et les débats, les femmes et la bonne chère ; bref, il aimait la vie. Il était une source d’inspiration, y compris pour des gens qui ne lisent pas, ou trop peu ; ses écrits resteront et lui aussi, parce qu’on n’oublie pas un Immortel quand il est charmant.

Lorsque j’ai appris, ce matin, la triste nouvelle, j’ai immédiatement proposé à François-Henri Désérable, jeune auteur de grand talent qui lui aussi signe chez Gallimard (ce qui, reconnaissez-le, n’est pas la plus honteuse des cartes de visite pour un écrivain), de coucher sur papier quelques mots au sujet de son illustre aîné, qu’il avait rencontré. Je suis heureux, et disons-le flatté qu’il ait accepté. Bel hommage qu’il lui rend ici. Quant à moi jai aussi, en cette heure, une pensée émue pour l’ami Maxime Scherrer, parti beaucoup trop tôt et qui, lui aussi, l’aimait... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Jean d'O FHD

 

« Au revoir et merci »

Par François-Henri Désérable, le 5 décembre 2017.

 

La première fois que j’ai rencontré Jean d’Ormesson, c’était à Lyon, fin 2011 ou début 2012. Il nous avait parlé tout au long du dîner – d’Aragon, de Pessoa, de Bonaparte, etc. –, avec mille digressions, «  à sauts et à gambades  », mais toujours en retombant sur ses pieds, et je me souviens m’être dit : «  le voilà, le fameux esprit français  ». J’étais avec une jeune fille qui deviendrait ma femme. L’ayant vue, il avait laissé, en guise de dédicace, sur mon exemplaire d’Histoire du Juif errant : «  Vous avez bien de la chance  ».

La dernière fois que j’ai vu Jean d’Ormesson, c’était il y a un peu plus d’un mois, un vendredi après-midi d’octobre, dans le hall des éditions Gallimard. Ce jour-là, il faisait beau. Il m’avait dit : «  À votre âge, j’avais un cabriolet décapotable. Le vendredi après-midi, s’il y avait du soleil, il m’arrivait de partir cheveux au vent avec une amie, et de rouler toute la nuit. Il y a quatorze heures de route entre Paris et Rome. Nous prenions le petit-déjeuner sur la Piazza Navona.  »

J’avais rétorqué : «  J’ai un scooter, Jean. Un 50 cm3. Il roule à 50 km/h, 53 si la route est en pente. Il me faudrait quatre jours pour rallier Rome.  »

À quoi il avait répondu : «  Partez maintenant, et mardi matin, caffè ristretto sur la Piazza Navona.  »

Une petite chose, enfin : il avait le génie du titre  – des vers, souvent, qu’il empruntait à des poètes : Odeur du temps, Et toi mon cœur pourquoi bats-tu, Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit… Nous pouvons le dire aujourd’hui : c’est une chose étrange à la fin que le monde sans Jean d’Ormesson.

 

Jean d'O

 

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21 juin 2017

« Autour de Françoise Hardy », Emma Solal et Frédéric Quinonero

Il y a deux mois sortait, chez l’Archipel, la nouvelle biographie signée Frédéric Quinonero, fidèle des interviews Paroles d’Actu. Ce dernier opus en date, sous-titré Un long chant d’amour, est consacré comme une évidence au vu du parcours de l’auteur, à Françoise Hardy, artiste élégante, délicate et touchante dont les problèmes de santé ont inquiété les nombreux amateurs, ces dernières années. Lorsqu’il a été convenu d’un nouvel échange autour de ce livre, Frédéric Quinonero a eu à coeur de m’orienter également vers une artiste que je ne connaissais pas, Emma Solal, interprète de reprises solaires et délicates, réappropriées par elle, de chansons plus ou moins connues qu’avait chantées Françoise Hardy. Le tout s’appelle « Messages personnels ». À découvrir, parallèlement bien sûr à la lecture du livre de Frédéric Quinonero, somme d’infos connues de toute une vie mais aussi fruit d’enquêtes inédites, le tout dans un style agréable, un must pour tout amateur de l’artiste... Merci à eux deux pour cet article, pour les réponses apportées à mes questions datées du 18 juin (Frédéric Quinonero le 18, Emma Solal le 19). J’espère que Françoise Hardy lira cet article, et surtout qu’elle aura loisir de découvrir leur travail. Puisse cette publication vous donner envie, aux uns et aux autres, de vous y plonger, en tout cas... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIENS EXCLUSIFS - PAROLES D’ACTU

« Autour de Françoise Hardy »

Françoise Hardy 

Crédits photo : Virgin Emi.

Emma Solal et Frédéric Quinonero

 

Paroles d’Actu : Parlez-nous de votre parcours, et de vous, Emma Solal ?

Parcours et premiers pas.

Emma Solal : Je suis une chanteuse (auteur et interprète) parisienne d’origine italienne. Je pianote au clavier sur scène et j’ai un très joli ukulélé chez moi que j’aimerais pouvoir utiliser bientôt sur scène également. J’ai des influences musicales variées dont le Jazz, la chanson française, la musique brésilienne, italienne, l’opéra, les musiques plus électroniques également, tout une palette d’inspirations donc ! Après avoir sorti un premier album de chansons jazzy, « Robes du soir » et deux EP digitaux, j’ai travaillé sur ce projet « Messages personnels », de reprises de chansons de Françoise Hardy.

 

PdA : Qu’avez-vous mis de vous, de votre univers, "votre" patte personnelle dans « Messages personnels », cet album de reprises de chansons de Françoise Hardy ?

« Patte personnelle ».

E.S. : Il s’agit d’un album que nous avons arrangé et enregistré avec Paul Abirached (guitares), Philippe Istria (percussions) et Pierre Faa (mixages et collaborations variées). C’est un album qui a été enregistré dans le prolongement du spectacle « Messages personnels », joué au théâtre Les Déchargeurs à Paris avec Paul et Philippe et mis en scène par Stéphane Ly-Cuong en janvier-février 2015 puis en novembre-décembre 2016. L’idée originale en revient à mes amis Éric Chemouny, qui est auteur et journaliste, et Pierre Faa, auteur-compositeur-interprète avec qui j’ai fait mes premiers albums.

« J’ai eu envie de redonner, à ma manière,

des couleurs aux chansons de Françoise Hardy »

L’univers de Françoise Hardy m’a toujours beaucoup touchée, notamment au travers de l’exploration du lien amoureux et de la complexité des sentiments, qu’elle décline depuis quelques années maintenant ! Je suis admirative de ses textes ciselés, de son parcours, de la richesse de ses collaborations musicales… J’ai eu envie de proposer ma vision de son univers, en premier lieu bien sûr car il me fait vibrer, mais également car ses chansons ont très peu vécu sur scène, Françoise Hardy ayant cessé de faire des concerts à partir de 1968. J’ai eu envie de leur redonner des couleurs, à ma manière ! Et nous avons tâché avec Paul, Pierre et Philippe, d’orner les treize chansons de l’album de couleurs musicales variées et différentes des titres originaux. Une relecture personnelle et un hommage, en somme.

 

Messages personnels

 

PdA : Pourquoi avoir choisi, Frédéric, de consacrer cette nouvelle bio à Françoise Hardy ? Est-ce qu’elle tient, dans ton esprit, une place particulière dans cette période chère à tes yeux et sur laquelle tu as beaucoup travaillé, les années 60 ?

Pourquoi ce livre sur F. Hardy ?

Frédéric Quinonero : Françoise Hardy a été avec Sylvie Vartan et Sheila l’incarnation d’un prototype de jeune fille moderne dans les années 60. Toutes les trois ont marqué les esprits, ce n’est pas un hasard. J’avais écrit sur Sylvie et Sheila, je rêvais depuis longtemps d’une biographie de Françoise Hardy, mais je voulais quelque chose d’abouti, de complet, pas du déjà vu.

 

PdA : Comment t’y es-tu pris pour composer cet ouvrage ? As-tu pu t’appuyer notamment sur des témoignages inédits, sur des recherches que tu aurais entreprises ? Et dirais-tu que tu as encore gagné en aisance dans l’exercice, alors que tu signes ton 16 ou 17è livre ?

Le livre, coulisses.

F.Q. : Je ne me suis pas contenté des archives que l’on trouve facilement sur les sites de fans. J’ai interrogé une dizaine de témoins, surtout des personnes qui n’ont jamais ou très peu été sollicitées. J’avais besoin d’informations exclusives et pertinentes pour illustrer mon propos. J’aurais pu, par exemple, contacter Jean-Marie Périer qui est quelqu’un d’absolument adorable et que j’avais interviewé pour ma biographie de Johnny. Mais il a déjà tout dit sur Françoise… En revanche, trouver des musiciens qui l’ont côtoyée dans les années 1960, à l’époque où elle chantait autour du monde, me semblait plus intéressant… On gagne en aisance à chaque livre, il me semble. Même si parfois on se demande si on va arriver au bout. C’est à chaque fois comme un petit miracle. Quant au style d’écriture, je pense que le temps le bonifie. Le temps, l’expérience, les lectures diverses.

 

Un long chant d'amour

Françoise Hardy, un long chant d’amour (l’Archipel, 2017)

 

PdA : Si vous deviez ne choisir pour les emporter que 5 chansons de Françoise Hardy, lesquelles, et pourquoi ?

5 chansons, pas une de plus...

 

E.S. : Françoise Hardy n’a pas forcément écrit et/ou composé les cinq chansons que je choisirais mais elles me touchent tout particulièrement :

« Message personnel » pour sa mélancolie et les superbes texte et musique de Michel Berger.

 

« Même sous la pluie » : elle met si bien en scène l’attente de l’être aimé, la douleur et parfois une certaine complaisance  à se retrouver dans cette posture.

 

« Soleil » : j’aime ses évocations de plage, de sable, qui parlent à l’italienne que je suis, tout en restant dans une couleur très mélancolique qui me parle aussi…

 

« Étonnez-moi Benoît » : son côté léger, enlevé, moqueur… Et j’adore Patrick Modiano, j’ai lu beaucoup de ses romans.

 

« Je suis moi » : là encore une collaboration avec Michel Berger et une chanson de libération de la femme, teintée de joie et d’une certaine sérénité, ce qui est un peu rare dans le répertoire de Françoise Hardy !

 

F.Q. : Sans réfléchir :

« Tant de belles choses », un chef-d’œuvre d’émotion pure : je ne peux l’entendre sans pleurer.

 

« Message personnel », parce que c’est un tube intemporel, mais surtout pour le passage parlé qui est de sa plume et qui fait selon moi la magie de la chanson.

 

« Ma jeunesse fout le camp » : elle est avec « Il n’y a pas d’amour heureux » de ces grandes chansons que Françoise a sublimées, car elle porte en elle la mélancolie qu’elles véhiculent.

 

« Soleil », car elle est la première chanson d’elle que j’ai entendue quand j’étais petit garçon. Je la trouvais d’une beauté et d’une douceur remarquables.

 

« L’amitié »  : une des plus belles chansons jamais écrites sur ce thème, je ne me lasse pas de l’entendre.

Et il y a beaucoup d’autres pépites dans son répertoire…

 

PdA : Michel Berger est très présent dans votre liste de cinq chansons, Emma. Nous commémorerons bientôt les 25 ans de sa disparition, bien trop prématurée. J’aimerais vous inviter à nous parler un peu de lui. Est-ce qu’il compte parmi les gens, les artistes qui vous inspirent vraiment ? Qui d’autre, à part lui, et Françoise Hardy ?

 

E.S. : En effet, Michel Berger compte parmi les artistes qui m’inspirent et que j’ai beaucoup écouté. J’apprécie beaucoup sa sensibilité, ses mélodies, sa délicatesse, son élégance aérienne et profonde à la fois…

 

Michel Berger

Illustration : RFI Musique.

  

J’ai aussi beaucoup écouté, dans le désordre, Brel, la Callas, Barbara, Ella Fitzgerald, Vinicius de Moraes, Tom Jobim, Mozart, beaucoup d’influences variées donc pour ne citer qu’eux parmi ceux qui ne sont plus tout jeunes ou plus de ce monde !

 

PdA : Une époque, une image à retenir de Françoise Hardy ?

« Une » Françoise Hardy ?

 

E.S. : Les années 1960, Courrèges, son allure sublime et élégante, une icône !

« Dans les années 60, elle triomphait

dans toute l’Europe et elle était une des rares

vedettes françaises à être aimée des Anglais...  »

F.Q. : Cette époque magique où elle était à la fois une pop star dans le monde entier et l’incarnation de la femme française, habillée par Courrèges. Contrairement aux idées reçues, elle a beaucoup chanté sur scène à cette période, elle était reçue comme un chef d’État en Afrique du Sud, au Brésil… Elle triomphait en Italie, en Espagne, dans toute l’Europe. Et elle était une des rares vedettes françaises à être aimée des Anglais – elle a chanté à quatre reprises au Savoy, ce qui est exceptionnel pour une artiste française.

 

PdA : Comment qualifierais-tu, Frédéric, sa relation devenue légendaire avec Jacques Dutronc ? Que t’inspire-t-elle ?

Hardy, Dutronc...

F.Q. : Elle a formé avec Dutronc un couple mythique, comme Johnny et Sylvie, et tellement atypique ! Je comprends qu’on puisse être séduit par un personnage comme Jacques Dutronc. Je trouve leur fin de parcours exceptionnelle, et Françoise admirable de s’être sacrifiée pour son bonheur à lui. C’est un bel acte d’amour que peu de gens sont capables d’accomplir.

 

Françoise Hardy et Jacques Dutronc

Crédits photo : Mano.

 

PdA : La question "regards croisés" : un mot, l’un(e) sur l’autre, sur son parcours et son travail ?

"Regards croisés"

 

E.S. : J’avoue ne pas avoir encore lu le livre de Frédéric mais il est déjà dans ma valise pour mes vacances en Sardaigne cet été ! Mais je connais d’autres biographies écrites par Frédéric, que j’avais lues avec plaisir ! Je souhaite à Frédéric un très beau succès avec sa biographie de Françoise Hardy.

 

F.Q. : Je connais peu le parcours d’Emma, que j’ai découverte avec son album de reprises de Françoise. Je vais pouvoir désormais m’y intéresser de plus près. J’ai beaucoup aimé son album « Messages personnels », justement parce qu’elle s’est approprié les chansons. Elle a choisi des titres souvent peu repris, comme « Rêver le nez en l’air », qui est une réussite. Il y a une belle pureté chez cette artiste. Elle a su aborder le répertoire de Françoise avec simplicité et élégance. Je lui souhaite une longue route.

 

PdA : « Tant de belles choses », tu la citais Frédéric, c’est une chanson très récente de Françoise Hardy, émouvante et adressée à son fils. "Tant de belles choses", l’expression est jolie et parlante. Qu’est-ce qu’elle vous inspire à tous les deux, quand vous pensez à la chanson, à ce qu’il y a derrière, à Françoise Hardy et à la vie... ?

« Tant de belles choses »

 

E.S. : « Tant de belles choses », en effet, c’est une chanson superbe et si émouvante, sur la transmission, l’amour entre les parents et les enfants. C’est également la teneur de ce que je souhaiterais dire à mon fils, sur le fait de profiter et d’être à la hauteur de cette vie qui nous est offerte…

« Son texte le plus beau, le plus spirituel... »

F.Q. : Elle fait partie de mes chansons préférées. Sur un thème délicat, celui d’une mort prochaine, elle livre son texte le plus beau, le plus spirituel. Elle exprime sa croyance en l’éternité de l’esprit et de l’âme, ce en quoi je crois également. C’est une chanson consolatrice pour exprimer la force des sentiments, qui nous survivent. Françoise l’a écrite après avoir appris qu’elle souffrait d’un lymphome. C’est un message d’amour à son fils.

 

PdA : Quel serait si vous en aviez un le "message personnel" que vous aimeriez adresser à Françoise Hardy, qui lira peut-être cet article, cette double interview ?

Message personnel à F. Hardy ?

 

F.Q. : Je le lui dirai en privé si elle fait la démarche de me contacter ‑ elle a mes coordonnées. Nous partageons nombre de points communs, si l’on exclut la politique (rires), nous pourrions bien nous entendre.

« Je serais ravie de pouvoir inviter Françoise Hardy

à chanter un duo ensemble ! »

E.S. : Je serais ravie de pouvoir inviter Françoise Hardy à chanter un duo ensemble !

 

PdA : Trois mots, adjectifs ou pas d’ailleurs, pour la qualifier ?

Françoise Hardy en 3 mots ?

 

F.Q. : L’élégance, la franchise, la mélancolie.

 

E.S. : Elégance, pop, intemporelle.

 

PdA : Lors d’une interview précédente Frédéric, tu me faisais part d’une certaine lassitude, par rapport au métier d’auteur, à la difficulté d’en vivre... et tu évoquais l’idée de chercher un autre job plus stable en parallèle. Où en es-tu par rapport à cela ? Es-tu plus "secure", plus optimiste par rapport à ce métier ?

Du métier d’auteur.

 

F.Q. : J’en suis au même point. À une différence près, qui n’est pas négligeable : j’ai le sentiment qu’on reconnaît davantage mes qualités d’auteur. Pas seulement dans le fond, mais aussi dans la forme. Et j’en suis content.

  

PdA : Tu as consacré plusieurs ouvrages à Johnny Hallyday, que tu avais qualifié lors de notre interview citée à l’instant de « frère » que tu n’avais pas eu. Il se bat aujourd’hui courageusement (comme, certes, bien des malades) contre cette saleté qu’on appelle cancer, et remonte même sur scène en ce moment. Comment l’observes-tu dans cette séquence de sa vie, toi qui la (et le !) connais si bien ?

Johnny face à la maladie...

« J’ai du mal à imaginer la vie sans Johnny... »

F.Q. : Je suis très inquiet, bien sûr. Je ne peux m’empêcher de penser à Piaf et aux derniers temps de sa vie, l’époque des tournées suicide. En même temps, la scène ne peut lui être que bénéfique. Alors, courage à lui ! J’ai du mal à imaginer la vie sans Johnny. Toute ma vie a été marquée par ses chansons. Je ne voudrais pas avoir à lui dire adieu.

 

Johnny, la vie en rock

Johnny, la vie en rock (l’Archipel, 2014)

 

PdA : Quels sont tes projets, tes envies pour la suite ? Frédéric, une nouvelle bio en perspective ou des désirs de bio ? Quid, peut-être, d’écrits de fiction ? Et vous Emma ? Que peut-on vous souhaiter ?

Des projets, des envies ?

 

F.Q. : Je suis ouvert à tous projets, à condition d’avoir la possibilité de les mener à bien. Aujourd’hui, concernant la biographie, je pense avoir franchi un cap (voir réponse à une question précédente) et j’aspire à un travail en complicité avec un artiste. J’ai envie d’aventures humaines. Nous y réfléchissons, mon éditeur et moi. En attendant, je travaille sur un nouveau livre (une biographie) destiné à un nouvel éditeur. J’espère que le résultat sera à la hauteur de mes attentes.

 

E.S. : Je travaille sur un nouvel album de compositions originales, qui aura une couleur plus pop justement.

Pour la suite, je serais heureuse de réussir à trouver un plus large écho auprès du public, aussi bien pour l’album « Messages personnels » que pour mes prochains albums… et je serais très heureuse d’échanger avec vous à l’occasion d’un prochain album depuis les coulisses de l’Olympia !

 

Un dernier mot ?

 

Frédéric Quinonero

À suivre…

 

Frédéric Quinonero p

 

Emma Solal

Merci beaucoup à vous Nicolas pour cette interview!

 

Emma Solal (2017)

 

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12 avril 2017

François Durpaire : « Nous assistons à la fin d'un type de démocratie »

François Durpaire est bien connu des téléspectateurs avides de décryptage info : il est depuis plusieurs années une des figures marquantes des plateaux et compte parmi les spécialistes les plus écoutés sur la politique, la société américaines. Les questions relatives à la diversité se trouvent souvent au cœur de ses analyses et de ses engagements. C’est dans cet esprit qu’il a entrepris, avec son complice le talentueux illustrateur Farid Boudjellal, de réaliser une série de BD d’anticipation ayant comme postulat le point suivant : Marie Le Pen est élue à la présidence de la République en 2017... Le premier tome de la trilogie (oeuvre militante assumée, mais travail à découvrir) est sorti il y a deux ans ; le dernier (La Vague) vient de paraître (éd. Les Arènes), à quelques semaines de l’élection, la vraie, plus incertaine que jamais.

Interview de François Durpaire, quatre mois après notre premier échange - merci à lui. À lire, les trois tomes de La Présidente. Et, autre lecture essentielle, qui nous rapproche du scrutin, Déjà demain : Lignes de Front, récit exclusif d’anticipation Paroles d’Actu, daté d’octobre dernier et signé de la plume de quelqu’un qui connaît bien, très bien le FN de l’intérieur. On est à onze jours de l’élection présidentielle... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

François Durpaire: « Nous assistons

à la fin d’un type de démocratie... »

Q. : 10/04/17 ; R. : 12/04/17.

La Vague

La Présidente : la vague (Les Arènes, 2017)

 

François Durpaire bonjour, merci de m’accorder ce nouvel entretien à l’occasion de la sortie de La Vague (éd. Les Arènes), dernier volume de votre trilogie de fiction graphique d’anticipation, La Présidente. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts s’agissant de la campagne, la vraie, depuis notre première interview. Folle saison électorale 2017...

Quand et dans quel état d’esprit avez-vous composé ce troisième livre ? Les turbulences de l’actu ont-elles entraîné des modifications substantielles par rapport à ce que vous aviez prévu de votre récit ?

« Nous voulions terminer sur une note positive »

L’idée était de terminer sur une note positive, l’horizon d’un avenir meilleur possible. Cela correspond à la fois à l’état d’esprit de Farid Boudjellal et à la demande de notre lectorat, après les deux premiers albums à la fois lucides et sombres.

Que vous inspire-t-elle, cette campagne pour la présidentielle 2017, incroyable à bien des égards (un sondage de ce week end donnait les quatre premiers candidats se tenant à quatre points seulement) ?

Nous avons sous nos yeux le spectacle de la fin d’un type de démocratie. Il apparaît aujourd’hui que le vote ne suffit plus à définir la citoyenneté, quand le citoyen a le choix entre le pire, le "moins pire", le "encore pire", ou ne pas se déplacer...

Sans aller trop loin dans le spoiling, pour résumer ce troisième tome : la présidence de Marion Maréchal Le Pen est dans une impasse, les résultats sont mauvais et la contestation de plus en plus criante ; Marine Le Pen, ex-présidente qui incarne une ligne plus modérée que sa nièce, est rappelée au pouvoir en tant que Premier ministre...

On a pu lire récemment dans la presse que Marion Maréchal Le Pen, lassée de l’influence trop grande exercée par Florian Philippot sur la ligne du parti fondé par son grand-père, envisagerait de se retirer de la vie politique si elle ne parvenait pas à infléchir sa ligne. Est-ce que vous croyez à cette hypothèse, qui de facto entraînerait un affaiblissement de la ligne "traditionnelle" au profit de la ligne "Philippot" ?

« Marion Maréchal Le Pen, une vraie stratège

qui ne manque pas d’atouts dans sa manche... »

Oui, je ne crois pas qu’elle partirait sans se battre, c’est le cœur de Totalitaire, l’album numéro 2. Marion Maréchal, on la décrit avec précision et on est très bien informé sur le sujet, est une vraie stratège et ne manque pas d’atouts dans sa manche.

Justement, vous croyez probable au contraire, une lutte acharnée - et plus ou moins "fraternelle" - pour la prise de contrôle du parti après les élections de ce printemps entre les tenants du complexe MLP-FPh. et les traditionnels menés par la jeune députée du Vaucluse ?

Oui, c’est tout à fait cela. On s’est amusés à inventer les conversations internes aux équipes, à en retranscrire certains qu’on nous a décrites.

Suite de l’histoire : Marine Le Pen au pouvoir oui, mais après toutes ces années et un bilan désastreux le "charme" n’agit décidément plus et la France semble s’acheminer pour le scrutin suivant vers une alternance ou rien. À la fin, le pays "reprend des couleurs"... Est-ce que vous ne craignez pas qu’à la lecture de vos dernières planches, on vous accuse de pécher par excès de manichéisme (passage de l’ombre à la lumière), d’angélisme ?

Tant mieux ! Nous assumons cette part d’idéalisme, de défense d’une utopie sereine et humaniste. C’est volontaire de notre part. Nous devions offrir à débattre sur une voie possible de sortie de crise. En particulier, nous nous sommes amusés à écrire un nouveau modèle démocratique, très concrètement à partir d’une VIe République !

Je précise ma pensée : il est vrai que le "ticket" (je laisse aux lecteurs le soin d’en découvrir la composition) qui s’oppose au Front national lors de l’élection est doué du sens de la rhétorique et n’est pas avare de belles proclamations, de grandes promesses... mais c’est précisément sur ces belles promesses déçues, sur ces grandes incantations vides de suivi que le Front national a prospéré depuis quarante ans...

« La révolution politique se joue au niveau

de l’intelligence de terrain... »

Le ticket, c’est pour dire qu’il n’y a pas d’homme ou de femme providentiel(le), et que la révolution politique se joue au niveau de l’intelligence de terrain, et cette intelligence est nécessairement collective. Quant à la place de la rhétorique, j’ai un désaccord de fond avec vous. Je pense que la situation se dégrade par absence de narration commune. Nos hommes et femmes politiques oublient que nous sommes faits aussi de littérature, c’est le texte qui tisse nos liens. Il faut raconter ce sur quoi on s’engage mais aussi ce que l’on fait et comment on agit. Le verbe est aussi mobilisateur d’action collective.

Il n’y a pas de désaccord de fond entre nous, et je suis bien d’accord avec vous: la rhétorique, ça a du sens, et "raconter quelque chose" c’est essentiel. Je suis de ceux que, par exemple, la maîtrise des mots et de l’art du verbe d’un Mélenchon (comme d’un Le Pen père en son temps) impressionnent. Ce que je veux dire simplement, c’est qu’on a eu l’expérience de la campagne de 2002 : Chirac exhortant chacun à "prendre ses responsabilités", à rejeter "l’intolérance et la haine" face au FN au second tour. Il fut réélu à 82% mais on a l’impression que toutes ces belles phrases sont vite tombées dans l’oubli, on a vite perdu l’esprit de cette élection si particulière, et pas grand chose n’a été fait durant ce quinquennat pour réparer les fractures qui ont causé le 21 avril...

On en revient au FN, aux causes justement. J’ai la faiblesse de croire que la xénophobie, et a fortiori le racisme, ne sont pas le ciment essentiel d’un électorat Front national quand celui-ci représente non plus les chiffres d’un groupuscule mais quasiment un quart de l’électorat...

« Le vote FN, un vote de contre-mondialisation...

avec une partie immergée à l’iceberg »

Vous avez raison. Le vote FN ne se limite pas à un vote xénophobe. C’est un vote de contre-mondialisation, après avoir été un vote anti-communiste jusqu’à la fin de la guerre froide. Il ne faut cependant pas nier la montée des discours de haine, que le FN entend utiliser politiquement dans une forme normalisée ou quasi normalisée. La sortie récente de Marine Le Pen sur le Vel d’Hiv montre qu’il y a une partie immergée à l’iceberg.

Si les politiques qui ont été élus et ont gouverné avaient été bons et efficaces, le FN n’aurait jamais progressé, ou en tout cas pas dans ces proportions. Un vote de désespérance peut-être au moins autant qu’un vote de rejet (du mondialisme, de l’Europe communautaire, de l’autre, etc...). Quel message auriez-vous envie d’adresser à, j’ai envie de dire, cet électeur FN de bonne foi, qui souffre et qui ne voit aucun espoir ailleurs ?

Que les solutions proposées aggraveront leur situation. Qu’ils seront malheureusement les premières victimes de leur choix. c’est ce que nous avons montré en nous entourant des meilleurs économistes. 

Il y a quelques semaines, j’ai découvert une interview improbable - et donc intéressante ! - que vous avez réalisée, récemment, avec Jean-Marie Le Pen. Quels sentiments vous a-t-il inspirés, à l’issue de cette rencontre ? Plus généralement, comment est-ce que vous les regardez à titre personnel, lui et sa fille ?

Au-delà de la dimension personnelle, ce sont leurs idées que nous dénonçons. Nous pensons qu’il y a une voie à inventer pour que le monde ne constitue pas une menace - pour nos emplois, nos cultures, notre sécurité - mais une opportunité pour nos vies. En proximité.

Sur les personnes tout de même... Quels sont pour ce que vous en savez et percevez, avec autant d’objectivité que possible et en laissant un peu de côté le fond de leur agenda, les vraies qualités et les défauts insurmontables (en vue notamment d’une échéance comme la présidentielle) de l’un et de l’autre ?

« Les gros points faibles du FN ? L’ama-

teurisme... et la persistance en son sein

de l’extrême droite traditionnelle... »

Nous avons insisté sur l’aspect "amateurisme" mais également sur l’entourage, qui est toujours conforme à l’extrême droite traditionnelle.

Question U.S., sur un point précis, mais fondamental : quelles conséquences sur, pour faire simple, les libertés publiques peut-on anticiper de la capacité qu’aura Donald Trump à nommer des juges de la Cour suprême durant les quatre années à venir ? Une Cour nettement conservatrice, quelles conséquences concrètes cela pourrait-il avoir au regard notamment des débats de société actuels ?

On peut certes envisager un déséquilibre entre conservateurs et progressistes, mais l’histoire de la Cour suprême indique que les choses sont bien plus complexes que cela. N’oublions pas que les juges sont nommés à vie, et donc indépendants, y compris par rapport au président qui les a nommés. La Cour juge en son âme et conscience.

Si vous pouviez poser une question, une seule, bien pensée et bien pesée à Donald Trump, quelle serait-elle ?

Comment pense-t-il pouvoir rapatrier les emplois industriels aux États-Unis, au-delà de la simple incantation ?

Vous connaissez bien, pour les étudier et observer depuis longtemps, le peuple américain comme vous connaissez le peuple français. Est-ce que vous diriez, si une réponse à cette question peut être apportée, que le curseur de l’un et de l’autre tend plutôt, en majorité, côté "conservatisme" ou côté "progressisme" ? Est-ce que les structures de population, les mouvements d’opinion sont comparables dans ce domaine ?

« Les sociétés américaine et française

sont deux fausses sœurs jumelles »

Je pense que c’est bien plus complexe que cela. Je dirais que ce sont deux sociétés sont des fausses sœurs jumelles. La même mère, c’est la philosophie des Lumières. Qui a donné naissance à "Liberté", la sœur américaine, et à "Égalité", la soeur française...

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ? Allez-vous retravailler avec Farid Boudjellal bientôt ?

Ça c’est top secret. Je peux juste vous dire mon envie de retravailler avec Farid, cette fois sur un travail qui met en avant la culture comme outil de libération.

Un dernier mot ?

« La confiance est le moteur de la vie...

c’est ça le message ! »

La confiance est le moteur de la vie, s’il y a un message, c’est celui-là ! Notre BD s’achève sur la mer et un enfant qui regarde l’horizon...

 

François Durpaire

Crédits photo : Seb Jawo.

 

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5 avril 2017

Marjorie Philibert: « J'ai voulu raconter l'aventure du couple, cette odyssée à la fois bouleversante et banale »

Marjorie Philibert est journaliste, parisienne, la trentaine. Fine observatrice de son époque, comme elle l’est de ses contemporains, elle nous livre un premier roman, Presque ensemble (éd. JC Lattès, 2017), écrit avec style et qui se lit avec aisance, un ouvrage d’une grande richesse narrative et sociologique. La vie de couple et les aventures, les plans de carrière confrontés à la réalité des parcours, les illusions et les déceptions, les espoirs et les désillusions, la quête de sens aussi... Un livre satisfaisant et prometteur, qui mérite réellement qu’on lui donne une chance : il interpelle, interroge, chamboule... bref il "parlera" à beaucoup de gens ... pas simplement aux trentenaires. Merci, Marjorie Philibert, pour cette interview, ces échanges. Merci également à Bruno Birolli, pour avoir initié cette rencontre, créé cette opportunité sans laquelle cet article n’aurait sans doute jamais existé... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Marjorie Philibert: « Jai voulu raconter

l’aventure du couple, cette odyssée

à la fois bouleversante et banale »

Q. : 26/02/17 ; R. : 28/03/17

Presque ensemble

Presque ensemble, éd. JC Lattès, 2017.

 

Marjorie Philibert bonjour. Quelques mots, pour débuter cet échange, pour nous parler un peu de vous, de votre parcours ?

J’ai été attirée très jeune par la littérature. J’ai toujours énormément lu et ai suivi des classes préparatoires littéraires, puis jai obtenu une maîtrise de lettres. Cependant je n’avais aucun attrait pour l’enseignement. C’est ce qui m’a conduit à choisir le journalisme et la presse écrite. Cependant l’envie d’écrire de manière plus personnelle et de raconter des histoires était toujours là et en 2015, j’ai commencé la rédaction de Presque ensemble.

Quelle est l’histoire de votre rapport à la littérature de fiction ? Vos émotions littéraires ? Vos références absolues ?

J’ai toujours lu beaucoup et surtout de tout : BD, récits d’aventure, polars, SF, et bien sûr, littérature classique. Je crois que l’essentiel est de suivre ses envies de lecteur, de ne pas suivre les modes qui voudraient qu’on ait absolument lu tel ou tel romancier contemporain. Aujourd’hui je continue à lire de tout, beaucoup de classiques, de récits de voyage, de théâtre, et assez peu de nouveautés.

« Les Choses de Perec sont pour moi

un chef d’œuvre »

Mes auteurs cultes ? En vrac : Montherlant, Céline, Simenon, Perec, Houellebecq. Ces deux derniers m’ont beaucoup inspirée pour Presque ensemble. Les Choses de Perec sont pour moi un chef d’œuvre, un récit très court, d’une sécheresse et d’une beauté radicale. Dans ce livre Perec tend vers l’abstraction la plus totale, ce qui pour moi est la qualité ultime, comme Flaubert qui voulait faire un livre « sur rien » . Les personnages des Choses sont à peine en chair et en os, ce sont quasiment des archétypes, et pourtant ils arrivent à nous émouvoir. Ce qui à mes yeux rapproche ce roman de la poésie pure.

On me parle également beaucoup de Houellebecq s’agissant de Presque ensemble, pour sa vision sombre de la société occidentale. Il est vrai que j’ai écrit un roman pessimiste, où les personnages subissent leur époque et son absence d’espoir, comme chez Houellebecq. Cependant Houellebecq ne parle pas tellement du couple, il parle plutôt des rapports entre hommes et femmes, ou plutôt de leur échec. J’ai voulu raconter l’aventure du couple, du début jusqu’à la fin, cette odyssée à la fois bouleversante et banale, cette bulle qui nous abrite pendant que les années défilent. En ce sens c’est un livre sur le temps qui passe.

Quand et comment l’idée de ce premier roman, Presque ensemble, vous est-elle venue ? J’aimerais que vous nous racontiez un peu tout ça, comme vous l’avez vécu en tant que primo-romancière : la confection de l’intrigue, la conception du squelette, l’écriture et ses codes à respecter, les moments éventuels d’euphorie, de découragement profond ? Les pensées type "Non quand même, je peux pas écrire ça... oh ?" Et puis cette idée de le publier ou non, les démarches, avec tout ce que ça suppose, de publier un roman...

Je me rappelle très bien du jour où je me suis dit : « Je veux écrire un roman ». C’était un jour d’octobre 2015 et je me suis mise à chercher une histoire. J’ai un tempérament qui fait que je peux mettre très longtemps avant de décider une chose, plusieurs années même, mais une fois que j’ai pris une décision, je suis sûre d’aller au bout. J’ai donc fait une première tentative avec une idée qui m’était venue mais je me suis arrêtée au bout de quelques chapitres car je n’entendais pas ma « voix » d’écrivain. Je trouvais que mon texte sonnait faux, ne me ressemblait pas. Je me suis alors demandée : qu’est-ce que tu veux écrire exactement ? L’idée de Presque ensemble m’est venue alors que j’étais en voyage de presse à Las Vegas. J’étais dans ma chambre d’hôtel au 26ème étage. Il y avait des grandes baies vitrées qui donnaient sur la ville. Le fait de regarder l’activité aussi folle d’une ville comme Las Vegas derrière une vitre, sans le son, m’a plongée dans une atmosphère étrange, comme si je regardais la réalité de façon distanciée. Freud dit que c’est d’ailleurs le propre du névrosé que de regarder la vie avec la sensation d’être derrière une vitre. Toujours est-il que cet état a été propice à l’inspiration puisque j’ai eu l’idée de la première scène le jour même. J’ai eu l’image de la rencontre entre Nicolas et Victoire dans un bar le soir de la finale de la Coupe du Monde de 1998, et j’ai écrit les premières pages là-bas.

De retour en France, j’ai continué à écrire, chapitre après chapitre. Je sentais que je tenais le fil de quelque chose qui était important pour moi, et que je ne voulais pas lâcher. La pire des choses pour un écrivain - et sa plus grande peur - c’est d’abandonner. Or je sentais qu’il y avait quelque chose en moi qui voulait que je termine cette histoire, même si elle n’était pas facile à écrire. J’avais en tête un modèle de construction précisément inspiré de Perec : l’histoire d’un jeune couple, de la fin du 20eme siècle jusqu’au début du 21ème siècle.

J’ai mis un an à terminer ce roman car en parallèle j’écrivais un autre livre, de journaliste cette fois, en collaboration avec l’historien Fabrice d’Almeida qui est paru en octobre 2016, Sur les traces des serial killers (éd. de La Martinière). Je travaillais sur ce livre la journée et sur mon roman les soirs et les week-ends.

« Au bout d’un an d’écriture en solitaire, j’ai traversé

une période de doute... j’ai eu besoin

d’un regard extérieur, celui d’un éditeur »

En octobre 2016 je n’étais pas entièrement satisfaite du résultat mais j’ai envoyé mon manuscrit à plusieurs éditeurs car au bout d’un an d’écriture solitaire je traversais une phase de doute. J’avais envie de reprendre le manuscrit mais j’avais besoin de mener ce travail sous le regard d’un éditeur. Après plusieurs refus je suis partie en décembre en Malaisie, assez démoralisée. J’étais à Penang, une ville charmante aux bâtiments coloniaux anglais décrépits, lorsque Laurent Laffont, le directeur des éditions Lattès, m’a appelée pour me dire qu’ils acceptaient de publier mon manuscrit. Bien sûr, ça a été une grande joie. Je suis rentrée à Paris en mars et mon éditrice Anne-Sophie Stefanini m’a proposé une publication en janvier 2017. Comme j’avais un peu de temps devant moi j’ai commencé à retravailler certains passages dont je n’étais pas très contente, puis au fur et à mesure je me suis replongée dans le texte et je l’ai énormément réecrit. J’ai aussi rajouté une centaine de pages, ce qui fait qu’à la fin je me suis demandée si l’éditeur accepterait toujours de le publier ! Heureusement ça été le cas. Je pense que j’ai beaucoup gagné en force entre la première et la deuxième version. La première était plus sèche, en ce sens plus influencée par Perec, et pouvait à ce titre être perçue comme un exercice de style, un « à la manière de ». Dans la deuxième version j’ai donné plus de place au lyrisme, à la poésie du quotidien, qui rendait l’histoire plus vibrante.

Presque ensemble nous propose de suivre, sur une grosse quinzaine d’années, le parcours d’amour et de vie de deux personnages, Nicolas et Victoire, qui se sont rencontrés vous le disiez dans un bar à Paris le 12 juillet 1998, jour fameux de ce 3-0 face au Brésil après lequel, dixit le regretté Thierry Roland, on pouvait « mourir tranquille ».

Je lis peu de romans, j’ai beaucoup aimé le vôtre : il est bourré d’humain pour le meilleur et pour le moins glorieux, de tous les questionnements qu’on peut se poser et que nos générations se posent. Quelques illusions, et souvent pas mal de désillusions, mais des désillusions qui n’étonnent pas tant que ça, parce qu’on n’est plus tout à fait dupes. On s’identifie à eux (parfois beaucoup), à leurs joies, à leurs galères du quotidien. On se voit à travers eux revivre ce qu’on a vécu, dans le privé ou dans l’actu. Aucun trentenaire, pour ne parler que d’eux, de nous, ne sera indifférent à cette lecture je pense. Qu’est-ce qu’il y a de vous dans ce livre, Marjorie Philibert ? Jusqu’à quel point n’est-il pas autobiographique ?

Je ne savais pas que Thierry Roland avait dit ça, si j’avais su je l’aurais mis en exergue du livre ! Plus sérieusement, de dire qu’après la victoire des Bleus on peut mourir tranquille, ça résume bien l’euphorie un peu irréelle qui régnait à ce moment-là. Comme un doux sentiment de victoire qui flottait, et que le pays n’avait plus de problèmes. Mais comme vous le dites, les désillusions des personnages n’étonnent pas tant que ça le lecteur parce qu’on vit dans une époque sans illusions. J’ai mis bien sûr beaucoup de choses de moi, précisément cette désillusion, qui est autant le propre de l’époque que celle de la jeunesse, du moment où on confronte ses rêves d’adolescent à la réalité de la vie d’adulte. Les désillusions sont même un passage obligé dans les romans d’apprentissage du 19ème siècle, de Balzac à Stendhal, et la leçon de ces grands romanciers réalistes est que pour pouvoir survivre dans une société qui voit la naissance de l’industrialisation et l’accélération du capitalisme, il faut faire le deuil de certains de ses idéaux. C’est ce qu’illustrent les personnages des Illusions perdues, Lucien de Rubempré qui s’aliène pour atteindre la reconnaissance sociale parisienne et son double David Séchart qui choisit de mener une vie dans l’ombre, loin du tumulte du monde mais paisible à Angoulême.

« La désillusion de Victoire et Nicolas est surtout

générationnelle : les interdits et les idéaux

de l’époque de leurs parents ont disparu »

La désillusion de Nicolas et Victoire est cependant autre. Il y a bien sûr le constat que le monde du travail n’est pas tel qu’on l’imaginait, que les études qu’on a menées n’ont pas grand rapport avec leur débouché final et que le travail qu’on peut trouver (car les opportunités ne sont pas si nombreuses) n’a pas grand sens. Il y a aussi la désillusion du couple, mais pas tant que ça : ils mènent une vie modeste dans leur deux-pièces rue de la Glacière, mais précisément pour cette raison, ils arrivent au début de leur histoire à se ménager des moments de bonheur à travers des choses simples comme partir en week-end ou prendre un chat. Mais il y a surtout une désillusion générationnelle que subissent beaucoup de trentenaires, qui si on peut dire est propre à un changement d’époque, à savoir que leurs parents les ont élevés en fonction d’idéaux largement influencés par 68, et que le temps que leurs enfants arrivent à l’âge adulte ces idéaux ont disparu. Les parents de Victoire l’ont ainsi élevée dans une grande permissivité sexuelle, en l’encourageant à l’adolescence à avoir des expériences qui l’épanouiraient, or pour la génération de Victoire la liberté sexuelle est un acquis, il n’y a plus rien à conquérir, on est plutôt passés à une ère où la relation humaine est menacée par la valorisation du consumérisme sexuel. Ce qui fait que lorsqu’elle vit ses premières expériences extra-conjugales, celles-ci n’ont pas le frisson de l’interdit, mais la renvoient plutôt face à un vide existentiel, du fait de la facilité et de la banalité de la chose.

« Notre génération n’a pas connu de guerre, mais

elle subit des changements extrêmement

rapides et perturbants... »

Ce livre n’est pas autobiographique au sens où je n’ai pas eu une si longue expérience du couple et de la cohabitation, j’ai plutôt voulu fuir ce modèle. Par contre j’ai vécu cette perte des idéaux, ce sentiment dont mes personnages ne sont pas forcément conscients, celui de faire partie d’un monde en train de disparaître, en raison de l’accélération de l’économie de marché, de la mondialisation à marche forcée qui se répercute directement sur nos vies. Ainsi entre le moment où j’ai commencé mes études de journalisme en 2004 et aujourd’hui, j’ai vu un nombre grandissant de plans sociaux, de licenciements, de journaux qui mettaient la clef sous la porte. J’ai le sentiment d’avoir appris un métier qui est en train de se terminer (ou comme certains journalistes disent pudiquement de « se transformer »). Nous sommes une génération qui certes n’a pas connu de guerre, qui a la chance de bénéficier des progrès de la technologie mais qui subit pourtant des changements extrêmement rapides et perturbants.

Quels sentiments vous inspirent Victoire, Nicolas, ces deux personnages que vous avez vraiment réussi, je trouve, à rendre touchants, attachants, bref vivants ? Imaginons que vous puissiez, à un moment du récit, n’importe lequel, vous changer en personnage du livre pour prévenir ou conseiller telle ou tel, changer le cours des choses, quel moment, et que feriez-vous ?

« On est beaucoup plus l’héritier de l’histoire

de ses parents qu’on ne l’imagine »

Quand j’ai commencé l’écriture du roman, Victoire et Nicolas étaient un peu la quintessence de tout ce que je détestais dans la vie (les pauvres). Ils étaient à mes yeux, lâches, passifs, ordinaires, sans panache, purs produits d’une époque d’où l’insolence comme moteur artistique et social a disparu. Puis au fur et à mesure, je me suis mise à m’attacher à eux. Le temps passé ensemble, je suppose. J’ai compris qu’ils n’avaient pas forcément eu le choix, et que qu’on le veuille ou non, on est beaucoup plus l’héritier de l’histoire de ses parents qu’on ne l’imagine. Et puis, l’attachement qu’ils éprouvent l’un pour l’autre les sauve en quelque sorte. À la fin Victoire fait le bilan de leur vie et se rend compte que la somme de toutes les banalités vécues ensemble a malgré tout constitué une vraie histoire d’amour, une histoire de quinze ans, qui aura été, à l’un et à l’autre, la plus importante de leur vie.

« Elle se rallongea sur son lit et repensa à sa vie avec lui, en une énigme obsédante. Il y avait eu leur rencontre. Il y avait eu le cinéma. Il y avait eu les milliers d’heures passées côté à côte à dormir, faire le ménage ou regarder la télévision, dont ils ne se souviendraient jamais. Il y avait eu tout ce temps à tourner en rond, toutes ces journées où ils auraient pu se dispenser de vivre. Il y avait eu Ptolémée. Il y avait eu l’appartement, les voisins, les sorties, les vacances. Il y avait eu les gens et les villes. Il y avait eu tout ce qu’il y avait partout. À présent, elle s’en rendait compte, leur histoire avait été la principale aventure de leur vie.  »

Dans ce roman, on voit notre monde tel qu’il est, pas forcément des plus réjouissants : la place croissante de l’individualisme, pour ne pas dire des égoïsmes, d’un matérialisme sans âme, avec très peu finalement de visées « plus grandes que soi » comme disent les Anglo-saxons. Est-ce qu’il est plus ou moins difficile de s’y épanouir qu’à d’autres époques, pour vous ? On parle beaucoup du manque de transcendance de nos jours, vous en pensez quoi ?

« On se moque volontiers des déclinistes... mais

n’oublions pas que Houellebecq reste

l’écrivain français le plus lu à l’étranger... »

Les Anglo-Saxons ont en effet une expression, « Bigger than life » que j’adore, et qui s’applique à tout, au fait de prendre l’Eurostar comme à celui de changer de couleur de cheveux. De fait les Anglais sont excellents pour pointer l’écart entre la mesquinerie du quotidien et nos rêves de grandeur, alors que nous Français avons parfois un peu de mal avec l’autodérision. Effectivement l’époque actuelle me donne le sentiment d’une absence de légèreté, d’insolence. Je suis consciente des limites du « C’était mieux avant » : nos parents ont connu effectivement les Trente Glorieuses qui furent une période exceptionnelle de croissance, mais la génération de nos grands-parents a vécu deux guerres mondiales, ce que personne ne voudrait revivre. Cependant je me sens assez proche du constat de Zweig qui datait le déclin de la société occidentale de 1914. L’Europe a connu une apogée - intellectuelle, artistique, politique - et un rayonnement sans précédent au début du siècle et en un sens la Première guerre mondiale a marqué le début du déclin. Nous ne faisons que poursuivre ce déclin. Aujourd’hui on se moque volontiers des déclinistes qui seraient des sortes de néo-réacs nostalgiques. Mais l’écrivain français le plus lu à l’étranger reste quand même Houellebecq, qui a construit son oeuvre autour de cette vision.

Partir à l’autre bout du monde pour fuir un quotidien qui oppresse et qui use, tout plaquer de ces habitudes et de cette routine sans but pour se sentir utile "ailleurs" (et, donc, de préférence "loin"), comme le fait Nicolas à la fin du récit, c’est quelque chose qui vous chatouille ?

« À défaut de grandeur, Nicolas trouve dans

l’humanitaire à l’étranger un dépassement de la

petitesse qui le guettait s’il était resté à Paris »

C’est quelque chose que j’ai commencé à mettre en place il y a quatre ans, quand j’étais à la fois insatisfaite de mon métier de journaliste et de ma vie à Paris. Tous les hivers, je pars quelques mois en Asie du Sud-Est, où j’emmène mon travail, puisqu’aujourd’hui je vis essentiellement de mes livres. Mais c’est un exil de confort, et non comme Nicolas pour trouver un sens à ma vie. D’ailleurs, Nicolas, (qui devient de plus en plus lucide au fil des années) perd rapidement ses illusions sur l’humanitaire en arrivant aux Philippines. Cependant je n’aimerais pas partir définitivement, car je suis attachée à Paris, à la France, à sa vie intellectuelle et culturelle et moi qui ai grandi à l’étranger en raison d’un père diplomate, je ressens le besoin d’avoir un « port d’attache ». Mais disons que la tentation du bout du monde peut être d’autant plus forte que la société est de plus en plus dure et offre de moins en moins, précisément, de sens. Ce que Nicolas découvre aux Philippines c’est l’éternel choc de l’Occidental arrivant en Asie : une sorte d’indifférence souriante aux tracas de l’individu, un prix négligeable accordé à la vie humaine, qui permet parfois de relativiser certaines choses. À défaut de grandeur, il y trouve du moins un dépassement de la petitesse qui le guettait s’il était resté à Paris. Victoire, elle, veut transcender sa condition en faisant un enfant seule, en enterrant le rêve du couple, ce qui est un choix fait par de plus en plus de jeunes femmes aujourd’hui.

Lors d’une interview que vous avez donnée au mag Twenty au mois de janvier, on vous a demandé ce que serait pour vous la liberté aujourd’hui. Moi j’ai envie que vous me disiez ce qu’est à ce stade de votre parcours votre conception du "bonheur". Est-ce que l’idée que vous vous en faites est très différente de la vôtre il y a dix ou quinze ans ?

« Ma conception du bonheur ? Préserver

cet équilibre entre voyage et écriture... »

Ma conception est évidemment très personnelle. Le bonheur serait de continuer la vie qui est la mienne, où j’ai trouvé une sorte d’équilibre entre voyager et écrire. Qui sont certainement les deux choses que je préfère dans la vie.

C’est quoi vos projets, vos rêves pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

Du bonheur, de l’amour et des ventes !

Un message pour quelqu’un, n’importe qui ?

J’ai dédié ce livre à ma grand-mère qui aura 97 ans en avril car c’est une femme exceptionnelle qui m’a appris à affronter la vie.

Un dernier mot ?

« Quand t'as vingt et un ans, la vie est nette comme une carte routière. C'est seulement quand t'arrives à vingt-cinq que tu commences à soupçonner que tu tenais la carte à l'envers... et à quarante que t'en as la certitude. Quand t'atteins les soixante, alors là, crois-moi, t'es définitivement largué. »

Stephen King

 

LA QUESTION EN + (Q. : 30/03- R. : 03/04)

Nabilla Benattia, starlette du néant qui voit se former autour d’elle, au salon du Livre, une cohue de badauds et de journalistes, attroupement que ne connaîtront jamais des centaines, des milliers d’auteurs ayant pourtant plus certainement contribué à la culture avec un grand "C"... en tant qu’auteur(e ?), en tant qu’observatrice de notre société, ça vous inspire quoi ? Et-ce que, véritablement, ça dit quelque chose de notre époque ?

« La célébrité ne contribue pas à la valorisation

de l’art mais à celle de l’argent »

D’abord je crois que pour un auteur il n’y a rien de pire que de se dire qu’on contribue à la culture avec un grand "C". Je déteste les majuscules, pour moi ça renverrait plutôt au "C" de connerie... Un auteur ne doit pas avant tout chercher à faire partie des institutions, pour citer un génie absolu qui était Roland Topor, un artiste c’est toujours celui qui marche à côté des plates-bandes, qui cherche les papiers gras sur la pelouse. Et un jour brusquement ou au contraire lentement, quelques personnes commencent à trouver que les papiers gras, c’est formidable. C’est alors qu’un attroupement de badauds et de journalistes comme vous dites se forme et qu’on commence à décréter que seuls les papiers gras ont de la valeur et que par exemple le type qui regarde les choses depuis un toit, par exemple, n’a pas d’importance. Jusqu’au jour où tout le monde veut monter sur un toit... etc etc.

Voilà pour résumer ce que je pense du rapport de l’auteur à la célébrité, à savoir qu’il faut être conscient qu’elle ne fait que contribuer non pas à la valorisation de l’art mais à celle de l’argent. Parfois les deux se croisent et c’est tant mieux, sauf que la célébrité des uns, même quand elle est méritée, vient toujours constituer un obstacle à celle de ceux qui arrivent après, parce qu’on attend d’eux qu’ils rentrent dans des cases, qu’ils délivrent non pas quelque chose de nouveau, mais quelque chose qui ressemble à ce qu’on connaît déjà parce que c’est rassurant. Quant à Nabilla, se comparer à elle n’a pas grand sens dans la mesure où elle attire évidemment au salon du Livre un autre public, qui ne lit pas forcément et que ses ventes ne retirent rien par exemple, à celles des auteurs des éditions de Minuit. Sans compter que certains littérateurs n’ont pas nécessairement beaucoup plus d’intellect qu’elle, sans avoir ses attributs physiques...

 

Marjorie Philibert

 

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8 février 2017

La cabine oubliée...

Au début du mois de décembre, j’ai eu envie de préparer, dans la perspective des fêtes de Noël, un article un peu atypique, basé sur une idée fantaisiste que j’ai proposée depuis plusieurs années à quelques intervenants du blog. Un article à plusieurs voix... encore fallait-il les convaincre. J’ai contacté pas mal de monde, des gens de tous horizons, beaucoup de mes interviewés, des personnes qui ne l’avaient jamais encore été... Souvent, très souvent même, une réponse en deux temps : « L’idée est bonne/originale... mais je n’ai absolument pas le temps de le faire ». On a dû me répondre ça à peu près une quinzaine de fois. Le contexte était défavorable, le moral déjà atteint... bref, j’ai failli laisser tomber le bel article (et peut-être un peu plus que le bel article). Mais tous ces gens intéressés malgré tout... allez, on essaierait quand même, ça en vaut la peine...

Ma proposition : « Un appareil permettant de voyager dans le temps et l’espace (la carrosserie : une vieille cabine de police, une antique DeLorean, que sais-je, ou tiens, une cabine téléphonique que tout le monde avait oubliée) vient d’être mis au point par un savant un peu barré, mais bon apparemment c’est fiable. Vous pouvez donc vous rendre n’importe où, à l’époque ou à la date de votre choix. Quelques règles néanmoins, elles sont importantes : un seul voyage par personne, il faut donc bien choisir ses paramètres. L’expérience d’immersion dure 24 heures, si vous loupez le vol retour (ou si vous choisissez de ne pas partir) vous y êtes pour le reste de votre vie. Où et quand décidez-vous de partir ? Pour un jour ou pour toujours ? Que chercherez-vous à faire dans ce nouvel univers (univers sur lequel vous aurez gardé toutes vos connaissances de 2016) : des activités particulières ? des interactions avec tel ou tel personnage historique ? une tentative pourquoi pas de modifier le cours de l’Histoire ? À vous ! ». Vidéo, audio ou texte.

Je remercie celles et ceux qui ont participé à l’exercice (huit personnes à la date de mise en ligne de cet article, le 8 février), et celles et ceux qui m’ont témoigné leur bienveillance lors des réponses qui m’ont été faites. L’article est riche, il est une invitation au voyage, à la fantaisie... c’est ouvert, à chacun de voir...

Moi ? Je ne participe jamais directement aux articles du blog. Ce que j’ai toujours fait : je m’efface devant l’invité, parce que je n’aime pas me mettre en avant, et parce que c’est lui qui a des choses intéressantes à dire... Une exception parce que ce concept que j’ai lancé m’intrigue. Où et surtout quand... changer quelque chose ? On va évacuer l’idée de changer des choses qui touchent au domaine perso, trop douloureux à considérer, on n’est pas du tout dans l’esprit...

Allez, considérons l’évidente : tuer Hitler. On éviterait la 2è GM et ses dizaines de millions de morts, on éviterait après la défaite allemande l’installation durable de la puissance soviétique dans toute l’Europe de l’est, la guerre froide et l’insolante domination américaine. Le tuer gamin ? Ce serait commettre l’odieux qu’il n’aura alors jamais l’occasion d’être. Pourquoi tuer un gosse qui n’a rien fait ? Non... les sources, rien que les sources. Supplier ceux qui mènent le bal des traités de paix d’après-1918 de ne pas trop enfoncer l’Allemagne, d’y aller molo sur la fracturation de l’Europe de l’est ? En 33 Versailles était loin, c’est la Grande Dépression qui à la fin a permis Hitler. Essayer d’éviter le krach de 29, les mesures d’austérité, les retraits de capitaux étrangers ? Ouch... trop compliqué, et illusoire, la finance et l’économie ça va ça vient, si ça n’avait pas pété là, ça aurait été deux ou trois ans plus tard. La deuxième Guerre et l’Allemagne nazie, oui c’est Hitler, lui seul, génie du mal. Donc oui, il est le facteur déclenchant. Alors ? Tenter d’expliquer à Paul von Hindenburg, au tout début de janvier 1933, à lui et aux pontes d’une république de Weimar pas encore appelée inexorablement à disparaître, que s’il nomme Hitler à la chancellerie, c’est lui qui les jouera et non l’inverse, et qu’il ouvre la boite de Pandorre, l’apocalypse pour l’Allemagne, pour l’Europe, pour leur monde ? Ou bien, c’est sans doute là que va ma préférence : aller voir les gens bien placés à l’académie des Beaux-Arts de Vienne. « Oui, ses aquarelles sont jolies, oui elles ne sont pas originales, je suis d’accord... mais croyez-moi, si vous le prenez, ce gars-là, vous ferez votre B.A. pour mille ans, un heureux... et ça changera le monde ». On ne refait pas l’Histoire. On peut essayer de le rêver. Mille mercis à toutes et à tous. D’autres contributions suivront peut-être, bientôt... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

La cabine oubliée...

Cabine

Source de l’illustration : wallfizz.com...

 

 

« Si je devais partir, je partirais à l’époque de Chopin, pour essayer de le rencontrer! (...) Le moyen de transport? La cabine en verre de ma chanson écrite par Françoise Mallet-Joris... ou dans les bras d’un ange! »

MPB

par Marie-Paule Belle, le 9 décembre 2016

 

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par Julien Peltier, le 15 décembre 2016

 

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par Guillaume Lasconjarias, le 26 décembre 2016

 

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Hésitation.

Grande hésitation.

C’est devant cette cabine téléphonique défraîchie supposée me ramener dans le temps et dans l’espace que je me tiens, hésitant, depuis maintenant plus d’une demi-heure.

Quelle est la raison qui me pousse à accorder ma confiance à ce vieil homme qui m’a livré cet objet encombrant ce matin ? Il était un peu louche en plus... Quel individu sain d’esprit irait déposer des truc gros comme ça devant la porte des gens de si bon matin ? Avant de partir en courant et en hurlant de toutes ses forces ?

Je n’ai rien demandé moi... En plus je crois qu’il était nu sous sa blouse... Vraiment bizarre...

Mais je dois avouer que tout ceci m’a intrigué.

Les instructions scotchées sur la porte de la cabine n’indiquaient pas grand chose, en gros elles disaient que j’étais l’élu, la réincarnation du christ temporel choisi pour changer le passé afin d’éviter un anéantissement de l’humanité dans le futur. Le reste de la feuille était rempli de formules mathématiques complexes et de pénis mal dessinés, la mission que ce vieillard fou m’avait confiée semblait très importante. Enfin... si cette machine marchait vraiment... et je doutais que la brancher sur une prise 220 volts comme indiqué dans les instructions allait me permettre de voyager dans le temps.

Il était écrit qu’il fallait que je me rende en 1956 dans une ville brésilienne, afin d’éviter qu’une certaine personne ne naisse et n’anéantisse l’humanité 80 ans plus tard.

Bah...

L’humanité attendra !

J’ai le droit de me faire plaisir en voyageant quand je veux ! Après tout c’est le week-end et je m’ennuie, pourquoi sauver l’humanité alors que je pourrais découvrir une autre époque qui m’intéresse ?

Il faut que je trouve une époque où je ne me ferai pas tuer en sortant de la cabine. Où je puisse passer relativement  inaperçu et ne pas trop attirer l’attention sur moi.

Et soudain, l’illumination...

Paris,

les années folles,

les artistes, le cinéma,

le Moulin rouge, le jazz, l’insouciance d’une génération voulant oublier les horreurs de la guerre.

En plus ils parlaient le français comme nous à l’époque non ? Enfin je crois.

Puis... ma grand-mère m’a assez répété que « c’était mieux avant, nous au moins à l’époque on savait s’amuser ! » J’aimerais vérifier ça par moi-même, direction le Paris des années 20 !

Je devrais trouver un vieux costume d’époque à ma taille dans les affaires de grand-père. Il me faut aussi mon portable et quelques batteries de secours pour prendre des photos, je ne partirai pas trop longtemps après tout, les instructions disent que la cabine revient dans le présent après 24 heures.

Il me faudrait de l’argent... Je sais ! Les vieux bijoux en or de ma belle-mère, je pourrais sûrement les vendre sur place, et de toute manière ils sont moches sur ma femme. À moins que ce soit ma femme qui les rende moche, qui sait ?

J’entre dans la cabine, avec tout mon attirail. Est-ce que ça va marcher ? Après tout, si une personne comme Nabilla a réussi à devenir célèbre, alors je suis disposé à croire aux voyages temporels.

Que pourrais-je bien faire une fois là-bas ?

Écumer les cabarets et les établissements de music-hall bien sûr.

Les Folies Bergère, le Moulin rouge...

Aller voir une operette à l’Olympia...

Visiter le parc de Paris et sa montagne russe...

Me balader dans les vieilles rues méconnaissables de la ville et reconnaître les lieux où je me rends tous les jours...

Aller voir un film muet.

Tenter de croiser le chemin de Picasso, Braque, Matisse, Heminghway et discuter avec eux de la pluie et du beau temps.

Écouter rêveusement les musiques de Maurice Chevalier à la radio.

Apprendre quelques pas de tango.

Dali ! Ernst ! le mouvement surréaliste, comment aurais-je pu l’oublier ? Je pourrais aller les visiter dans leurs ateliers ! Essayer de déterminer si l’idée qu’on se fait d’eux aujourd’hui correspond bien à la réalité.

Je pourrais même changer l’histoire...

Non.

Non ce serait idiot, l’histoire n’est pas faite pour être modifiée.

Un observateur, voila ce que je serai.

Quoique cela pourrait être amusant de jouer les prophètes, mais je ne compte de toute manière pas rester plus d’une journée, autant ne pas provoquer de panique générale.

Que...

Quoi ?

HEIN ?

Parle plus fort je t’entends pas ?

Non je suis pas allé chercher les enfants à l’école chérie, je vais dans les années 20 !

JE DIS JE VAIS DANS LES ANNÉES 20 !

JE PEUX PAS, VA LES CHERCHER TOI !

COMMENT ÇA J’AVAIS PROMIS ?

QUE...

C’EST BON ! J’AI COMPRIS, NE RENTRE PAS CHEZ TA MÈRE !

Bon...

Une autre fois peut-être, si mes gosses ne cassent pas la cabine...

par AlterHis, le 13 janvier 2017

(découvrez son excellente chaîne YouTube au passage...)

 

*     *     *     *     *

 

Si j’avais les moyens de voyager dans le temps, je pense que la méthode pour y aller importerait peu. Je souhaiterais, moi, aller dans le futur.

Donc, si je pouvais faire un bond dans le temps, je choisirais une date - disons, entre 4 et 500 ans après nous -, qui me permettrait de découvrir les évolutions de notre espèce. Pas tant au niveau matériel, car j’estime que vers 2500 nous serons depuis longtemps capables de nous déplacer assez facilement au sein du système solaire, voire plus loin, et que nous approcherons peut-être de l’immortalité ? Mais plus pour voir notre évolution sur le plan sociétal, philosophique, et «  corporel » (ou plutôt anthropomorphique).

Sociétal d’une part, car au vu des évolutions engendrées par internet et les nouvelles technologies sur nos sociétés et nos rapports aux communications, je serais intrigué de voir quel type de régime nous pourrions avoir dans 500 ans (sauf si une guerre nous a tous exterminés d’ici là, mais je reste optimiste...), ainsi que l’état des rapports entre les gens. Bon, je pense qu’en 500 ans nous n’aurons pas fait un bond « immense », mais cela m’intrigue néanmoins. Aurons-nous réussi à dépasser le stade des cycles de « paix, guerre, paix, guerre », vivant dans une société libérée de tout ce qui la détruit ? Ou bien une société sans crime n’est-elle au final pas autre chose qu’une société totalitaire ?

Du point de vue philosophique aussi, car personnellement, je m’informe assez régulièrement sur le mouvement « transhumaniste », et j’adorerais voir notre évolution à moyen et long terme au niveau philosophique et de notre rapport à la religion. Comme dit précédemment, j’ai un doute sur le fait que 500 ans suffisent à changer radicalement notre société par rapport à ce qu’elle est maintenant, et c’est pourquoi si j’avais eu le choix, je demanderais au savant fou de me faire un circuit en 24h, avec des passages à différentes époques (dans 500 ans, dans 10 000 ans, voir un million d’années)... 24h c’est court pour découvrir de nouvelles cultures, mais c’est mieux que rien, et je prendrais cela, volontiers. Ainsi, j’aimerais voir notre réaction à la possible découverte d’une forme de vie extraterrestre, et les folles réactions qu’elle engendrerait sur la civilisation humaine.

Enfin, sur le plan corporel, notre espèce évolue constamment. En 500 ans, il y a peu de risques qu’un troisième œil nous pousse sur le front (clin d’œil « futuramesque »), mais tout du moins je suis sûr que le clonage humain se sera démocratisé, à tort ou à raison ; peut-être un troisième genre humain aura-t-il été créé (voire peut-être une société qui se serait affranchie du genre ? Idée que j’ai pu voir dans un livre, où en réalité il y aurait une société où les individus ne naîtraient ni homme ni femme, mais pourrait choisir leur genre en fonction de leurs goûts, de leurs préférences, etc... Cela étant pour lutter contre tous les problèmes de discriminations, ici en l’occurrence sur le manque d’égalité homme/femme) ? Peut-être que les robots, à travers une intelligence artificielle hyper développée, se seront mis à cohabiter avec nous dans la paix, et l’égalité ?

Pour finir, comme une journée passe assez vite quand on s’amuse, je souhaiterais revenir à mon époque... Ou pas, en fait ça dépendra de ce que je trouverais en 2500. J’aimerais bien finir mon petit périple par un superbe coucher de soleil martien...

Aurélien Buisine

par Aurélien Buisine, le 5 février 2017

 

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Il est possible de remonter le temps, les livres sont faits pour ça ! Tintin et Le Lotus bleu par exemple. On l’ouvre et on revient au 18 septembre 1931. Il est 18 heures, encore temps d’arrêter la marche de l’histoire, il suffirait de rencontrer le lieutenant colonel Ishiwara Kanji alors qu’il attend qu’on lui annonce qu’une bombe a explosé sous une voie de chemin de fer à la sortie de Moukden, lui expliquer les conséquences dramatiques que ce sabotage va provoquer, que le Japon sera militairement vainqueur dans un premier temps, et que ces succès masqueront que le Japon s’engage dans une dérive suicidaire, d’abord en essayant d’envahir la Chine en 1937, puis en attaquant Pearl Harbor quatre ans plus tard. Tout se finira par la défaite totale du Japon, et les deux bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki. J’espérais le convaincre de prendre son téléphone et de rappeler le commando qui s’apprête à déposer la bombe sous la voie de chemin de fer. Mais on ne refait pas l’Histoire...

Bruno Birolli 2017

par Bruno Birolli, le 6 février 2017

 

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Je n’en revenais pas. Le Doc avait enfin réussi à venir à bout de son invention. Voilà bien au moins dix ans qu’il travaillait à achever la première machine à voyager dans le temps civile. Oui vous avez bien lu. C’était à peine croyable, ce vieux bougre avait finalement réussi. Enfin c’est ce qu’il me dit depuis maintenant 3 jours alors qu’il finalise encore quelques détails “esthétiques”.

Je suis chez lui depuis l’aube de la veille, j’avais annulé mes cours à la faculté d’Histoire de Bologne pour les jours qui allaient suivre puis avais pris la route pour Vérone après un coup de téléphone nocturne dont je n’avais pu tirer aucune information, à part que je devais rejoindre le Doc le plus vite possible. Cela fait maintenant cinq ans que je l’aide à travailler sur son extravagante invention, et je dois avouer que je n’y ai jamais totalement cru, abreuvé que j’étais des films de SF des années 2000, si souvent démentis par la science d’aujourd’hui. Mais voilà, il y est arrivé. En tant que plus proche collaborateur et sceptique de la première heure je me suis naturellement porté volontaire afin de tester cette machine infernale camouflée en … cabine téléphonique.

- Vous auriez pu faire un effort Doc… C’est vu et revu, le coup de la cabine.

- Penses-tu ! Qui irait s’inquiéter de l’utilité de cette vieille pièce usée ? Un doux dingue ? Un fan de Docteur Who ? Peuh ! pesta-t-il.

- Pas faux Doc, pas faux… Bon, elle fonctionne au moins ?

Il me regarda avec un air à la fois perdu et désespéré, comme si je venais de remettre en doute la théorie de l’héliocentrisme : « Bien sûr qu’elle fonctionne pardi ! Où veux-tu donc aller, au lieu de m’ennuyer avec des questions idiotes ? ». C’est le moment crucial. Nous y étions. J’avais furieusement envie de mettre le Doc à l’épreuve, tout en étant quand même curieux, voire même un peu inquiet des conséquences d’un voyage dans le temps. Je m’étais préparé mon coup et avais opté pour la prudence. Je m’étais replongé dans de vieux cours de l’époque où je passais ma thèse d’Histoire. Je n’avais pas mis beaucoup de temps à choisir, mon choix s’est tout de suite porté sur l’Italie. Quelle autre destination que l’Italie quant on est un spécialiste depuis 35 ans du pays de Dante ?

Pour l’époque de ma destination, cela avait été tout aussi rapide : la fin de l’ère contemporaine était toute désignée. Au cours de mes recherches préparatoires j’ai appris, suite à la lecture de plusieurs analyses archéologiques à propos de la composition de l’air de notre planète au fil du temps, que ce dernier a  beaucoup changé au cours de l’Histoire. Il a été par exemple établi que l’atmosphère du Moyen-Âge, ou celui de l’Antiquité, nous serait totalement irrespirable pour nous hommes du XXIIe siècle. De plus, cela m’arrange du point de vue de la langue : mon italien est résolument moderne et mon latin ne me sert qu’à la lecture de textes retrouvés dans les sols antiques. Aucune chance donc de me faire comprendre, et encore moins de comprendre, d’un habitant de Rome de l’an 0 ou bien d’un Florentin du Rinascimento. Seule solution : partir pour l’Italie du Nord, post-unification, donc après 1866. Je ne prenais ainsi qu’un minimum de risques en vue de ce voyage-test.

Pour ce qui est des consignes de voyage, cela avait l’avantage d’être clair : je ne pourrais rester plus de 24h - 22h maximum sur conseil express du Doc - sous peine de me voir enfermer pour toujours en 1900. Je devrais, bien évidemment, entretenir le moins de contact et de relations possible avec la population de ma destination afin de ne laisser aucune trace de mon passage. L’enjeu étant de ne pas altérer le temps et modifier le futur, c’est-à-dire notre présent. Les conséquences entraîneraient la création d’un cercle infernal quasi irrémédiable. Cependant, le début du XXe siècle présente l’avantage principal suivant : je ne risque pas de croiser un membre proche de ma famille ou même moi-même puisque personne n’était vivant à l’époque - on parle quand même d’un bond dans le passé de deux cents ans. De plus, je ne possède aucune famille en Italie. J’aurais ainsi l’esprit quelque peu dégagé sur place.

Les derniers préparatifs sont prêts. J’ai soigneusement choisi mes habits : je serai un étudiant en Histoire de la faculté de Paris, en voyage. Je fais bien plus jeune que mon âge - l’enfermement scientifique aurait dû avoir l’effet inverse sur ma peau mais je dois faire avec - surtout que les professeurs d’université sont plus rares à l’époque que de nos jours, on risque de me demander des explications si je me présente comme détenteur d’une chaire. Pour ce qui est de l’argent et de mes papiers d’identité, j’ai réussi à m’en faire fabriquer après m’être arrangé avec un collègue travaillant au Louvre, une vieille connaissance de fac, grâce à qui j’ai pu avoir accès aux imprimantes 3D très haute définition de l’établissement. Je n’oublie pas non plus de prendre ma vieille montre à gousset afin de pouvoir surveiller le temps qui file sans éveiller les soupçons : comme quoi un fétiche d’historien peut finalement servir. Ma destination : la Sérénissime Venise, plus de cinquante ans avant son premier touriste bedonnant et inculte, cent cinquante ans avec sa disparition dans les eaux de la lagune.

La phase de préparation de mon voyage prit un peu plus d’un mois, un mois durant lequel l’excitation de la possibilité inédite d’un saut dans le temps me fit bouillonner. Cela a progressivement occupé toutes mes pensées, toutes mes forces. J’allais explorer le temps, franchir les limites de la physique. Ce voyage dépasse tous les autres possibles. Cela allait être le début d’une nouvelle Odyssée. Quand le jour fatidique arriva, j’ai cru ne pas pouvoir contenir mon émotion et mon stress. Il était évident que des ratés pouvaient avoir lieu, ce que Doc ne cacha à aucun moment, au point d’en devenir rébarbatif, tout en restant sûr de lui et serein. J’avais confiance en fin de compte. De toute manière rien ne me retenait en ce monde, la prise de risque ne m’effrayait pas plus que cela, moins que l’arrivée au début du XXe siècle en tout cas.

Je prends enfin place dans la drôle de machine aux allures si communes de films d’espions ou de super héros, sauf que celle-ci était déterminée à m’envoyer faire un voyage des plus extraordinaires. Alors, bien sûr, le Doc n’avait pas inventé la machine à voyager dans le temps. Nous ne sommes pas dans Retour vers le Futur de Robert Zemeckis, non, le gouvernement dispose aujourd’hui de tels engins. Doc s’est contenté de hacker avec brio plusieurs sites de recherche gouvernementaux afin d’obtenir une liste de composants complète. Pour le reste je n’ai pas réussi à en savoir plus. Les questions du pourquoi et du comment ne se posent de toute manière plus. Je pars.

Le voyage en lui-même ne fut pas long, quelques secondes de lumière blanche tout au plus. En quelques secondes donc me voici plongé dans les prémices du XXe siècle, en plein cœur de la Vénétie désormais italienne, aux abords de la Sérénissime. Face à moi s’étend la lagune, calme. L’idée “d’arriver” sur le continent plutôt que dans Venise-même vient du Doc, qui trouvait cela plus prudent. Une fois tous mes sens opérationnels, je me mis en marche vers Mestre. Je ne garde comme unique séquelle de mon voyage qu’un léger mal de crâne et un sentiment de haut-le-cœur. Je m’attendais à bien pire je dois l’avouer. Avant de partir j’ai bien pris le temps d’étudier des cartes d’époque afin de perdre le moins de temps possible lors de mes déplacements. En deux heures maximum je doit être à la Piazzale de Roma, porte d’entrée de Venise. Après une heure de marche me voici sur l’embarcadère que me permet d’accéder à Venise par l’emprunt de navettes maritime, les célèbres vaporetti. La voie en bitume qui a longtemps relié Venise au continent - la Via della Liberta - ne sortira de mer que durant l’ère fasciste de Mussolini, au début des années 1930. Une fois embarqué je sens mon poul s’accélérer à mesure que mon embarcation fend les flots à destination de cette ville millénaire, ancienne et glorieuse république marchande qui a su, par le temps et le commerce, imposer sa loi aux quatre coins du bassin méditerranéen.

Enfin je pose le pied sur le sol de la Sérénissime. Tout bascule en moi, je n’en crois pas mes yeux. La ville semble avoir toujours eu le même visage, serein, figé et enchanté dans la lumière d’un astre solaire qui semble ne briller que pour elle. Un flot humain et aquatique s’agit autour de moi. C’est un ballet incessant de gondoles et de gens pressés qui s’enroule autour de moi à me faire perdre l’équilibre. Cela sonne, tinte, bruisse autour de moi. Les langues se mêlent à l’air ambiant me faisant oublier quelque peu que je suis un voyageur temporel. Le temps joue contre moi mais j’hésite à flâner sur les quais du Grand Canal. Je dois me mettre en route afin de voir le maximum de choses et de rendre quelques visites. En effet, le Doc m’a donné un peu de travail avant de partir. Je dois récolter des informations sur mon environnement et tenir un journal de bord sur ma condition physique, afin de s’assurer qu’un tel voyage ne soit pas dangereux pour l’organisme.

J’attrappe au vol un vaporetto qui accoste non loin de là en ronflant et en crachant un épais filet de fumée noire. Les bruits qui m’environnent sont sans commune mesure avec le bruit des villes du XXIIe siècle. Ici le bruit est omniprésent, accompagné d’une forte odeur de charbon en combustion, la pollution est partout : sur les murs des maisons, sur les coques des navires, dans l’eau et l’air. Je perçois une sorte de bruit de fond omniprésent, l’activité humaine emplit l’espace sonore. Partout, gondoliers, marchands au détail, en vrac, poissonniers, boulangers, cafetiers, badaux, maréchaux ferrants, drapiers, tout ce petit monde s’agite, pousse des cris, discute et hurle dans l’espoir de se faire entendre ou d’attirer la clientèle.

Sur le Grand Canal, mon rêve de toujours prend forme. La cité des Doges, aujourd’hui engloutie, est en pleine effervescence, là, sous mes yeux. Mes cours d’Histoire me reviennent en mémoire d’un seul coup. De part et d’autre du pont du vaporetto défilent, alignés tels des généraux vétérans bardés de décorations et au garde-à-vous, les héros longtemps insubmersibles de Venise : Ca’ de Mosto, Civran, Contarini da Zalfo, Labia, Michiel del Brusa’, etc. Autant de palais qui ne peuplent plus aujourd’hui que la mémoire de quelques admirateurs italophiles et le fond de la lagune. Cette vision me procura une émotion que je n’imaginais pas jusqu’à aujourd’hui. Mes mains tremblent, mes yeux pleurent... Cette ville, bâtie sur la fortune de quelques grands commerçants, rayonne devant moi comme si j’en étais le seul visiteur. Mon voyage dans le temps me fait me sentir unique dans ce monde éphémère. J’arrive au Rialto, c’est la fin de mon voyage sur le canal. Je m’attarde quelques secondes afin d’admirer le pont en arc de quarante-huit mètres qui enjambe fièrement l’artère vitale de Venise. Datant du XVIe siècle, il est l’un des quatre ponts qui enjambent le Grande Canal et était peuplé de petites boutiques s’accrochant à son dos. Je me lance ensuite dans les dédales de ruelles menant au coeur du quartier San Marco. Ma destination est le quartier du Castello bordant l’Arsenal, plus au nord.

Venise

L’immersion devient alors totale. Elle est toujours aussi difficile à réaliser. Je suis le premier civil du XXIIe siècle à pouvoir me promener tranquillement dans les rues d’une ville qui a disparu plus de deux cents ans avant ma naissance. Je réalise le fantasme de plusieurs générations d’historiens et de curieux. Quand je dis curieux je parle des vrais passionnés rêvant d’enfin arpenter un passé parfois trop fantasmé. Désormais, le temps n’a plus de limite et de nombreuses choses vont pouvoir être faites notamment du point de vue scientifique ou sur les origines de l’humanité. Je pense surtout au monde antique, je pense au développement de l’Afrique et des Amériques durant l’ère pré-colombienne, dont nous avons que de peu de traces. Les possibilités sont infinies. Seulement, le maniement d’un tel outil ne sera pas aisé. Entre les risques d’altération du temps et les utilisations à des fins malhonnêtes voire criminelles, ou même tout simplement révisionnistes, je suis bien incapable de prédire de quoi sera fait notre futur proche. Comment empêcher la dissolution du secret entourant cette vieille cabine ? Ce dilemme monumental attendra mon retour.

C’est alors que j’arrive aux abords de Contarini del Bovolo, alors que je passe non loin de la Fenice - le théâtre de la ville. Bovolo est le nom d’un petit palais du quartier de San Marco présentant deux caractéristiques particulières : d’abord son escalier extérieur en colimaçon en forme d’escargot, puis la vue panoramique de la ville qu’il offre sur les toits de Venise. Plusieurs fois lors des mes recherches préparatoires j’ai pu lire des notes sur ce petit bijou architectural pourtant boudé à l’heure du tourisme de masse du XXIe siècle. Devant les grilles donnant sur le petit jardin du palais, je ne peux retenir mon envie de pénétrer dans l’enceinte du bâtiment. Je devais accéder à cette vue rare sur la ville. Après avoir sonné à la porte d’entrée, je m’engage dans une discussion assurée afin d’obtenir le droit de passage jusqu’au panorama. L’occupant des lieux est un jeune aristocrate à l’accent guindé et dont la voix est teintée d’une légère surprise en me voyant, les yeux emplis d’espoir, sur le pas de sa porte. Il accède toutefois à me requête et propose de m’accompagner au sommet de la tour de son palais. Il me décrit la vue qui s’offre à moi. Je ne peux à nouveau contenir quelques larmes qui me montent aux yeux tant la vue se révèle être spectaculaire. Face à tant de réaction de ma part, mon hôte m’invite à entrer chez lui afin de me remettre. Nous prenons place à l’étage inférieur, dans un salon richement décoré et tourné vers les fenêtre donnant sur la ville. Cet intérieur brillait de luxe et de raffinement. Devant moi s’étalaient les richesses de Venise : du verre de Murano, du marbre de Carrare, de l’orfèvrerie raffinée, des tableaux de maîtres de la Renaissance et du début du XVIIIe, etc... Des pièces d’une valeur inestimable tapissaient comme entassées les murs et les meubles de la pièce où je me trouve actuellement.  

- Ce ne sont que des babioles Monsieur, n’y faites pas attention. Je ne suis pas tout a fait installé. Je dois vous confier que je ne m’attendais pas à une telle réaction de votre part ! Me confia mon hôte, une fois assis.

- Veuillez m’en excuser, je viens de très loin et je fondais beaucoup d’espoir sur ma première visite de Venise et je dois dire que je ne suis pas déçu.

- Je dois avouer être tout à fait insensible aux charmes de cette ville… Ce palais était une folie. Il me fallait cependant un pied à terre en centre-ville.

- Je… C’est pourtant une pièce rare si ce n’est unique ici. L’évidence est là, lui rétorque-je. Que dire des splendeurs qu’abrite cette cité des mers ?

- Il s’agit du passé mon bon monsieur… Vous les universitaires, vous êtes d’un conservatisme ! Cette ville m’est insupportable. Son humidité, son peuple bruyant, et je ne vous parle même pas de l’odeur ! Revenez-y en été et vous comprendrez. Un bourbier infâme ! Non vraiment, je ne pense pas qu’il y ait le moindre avenir ici. C’est uniquement afin de rapatrier quelques avoirs que je suis ici, le marché a chuté depuis l’annexion. Une fois cette menue question financière réglée je fuirai cette île maudite et grabataire.

Assommé par tant de critiques acerbes sur la ville de tous les fantasmes, je pris congé de mon hôte afin de reprendre ma route. Il me restait encore de nombreuses choses à faire, mais je venais de perdre beaucoup de mes repères. Cette entrevue avec ce jeune aristocrate était en fait la toute première rencontre concrète entre deux humains de deux époques différentes. Mes pires angoisses étaient en train de se réaliser : et si le passé n’avait rien de plus excitant qu’un présent ordinaire ?

Robin Norman Lewis 2017

par Robin Norman Lewis, le 6 février 2017

 

*     *     *     *     *

 

Enfin la possibilité de voyager dans le temps ! Rêve ancien et persistant, effort d’imagination constant, qui semblait ne pouvoir jamais être comblé. Une machine bancale, qui fait sensation mais peu de cobayes potentiels, prétend traverser le temps et l’espace. La tentation est forte et je décide de me lancer. À moi le passé : je veux voir. Le passé ? Le futur est tentant… Voir ce que l’on va louper, ce qui va sortir de notre présent, de quoi nous seront responsables… Tentant mais qu’en est-il de voir ce qu’on a loupé, ce qui a construit notre histoire, ce qui m’a construit moi, ce qu’on a appris, que l’on tient pour vrai, sans jamais le vérifier. Et puis, dans le futur, je ne saurais pas m’habiller pour passer inaperçue…

On m’a fait parvenir les instructions. Je n’ai droit qu’à un voyage, il ne faut pas se tromper. Quelle frustration ! Que voir, que faire ? Mais quelle excitation, aussi, de presque toucher du doigt l’inaccessible. Où aller et quand, donc ? La cour du Roi Soleil, tant décrite, apparemment si splendide, ou bien l’Égypte des Pharaons ? À moins que je ne décide d’aller faire la Révolution, de renverser la monarchie ? De m’exiler, pour voir l’Histoire d’ailleurs : le Palais d’Été en Chine, quand il était uniquement destiné à l’Empereur, sans touristes. Des pèlerins en Amérique qui ne savent pas encore que leur implantation serait un succès. Cette colonie européenne au Groenland, qui n’a pas survécu, pour savoir ce qui leur est arrivé et, peut-être les aider.

Un tas d’autres idées tourbillonnent et je ne peux en saisir qu’une. Comment choisir ? En un jour, je n’aiderai personne. En une vie, seule, sans technologie, non plus. Je préfère passer discrètement. Documenter, regarder. Comprendre au lieu de bouleverser : on m’a toujours dit que ça n’engendrait rien de bon. Si je tue Hitler, je ne nais pas, c’est certain. Regarder donc. Je sais ce que je veux voir. Tant d’épisodes historiques sont si bien décrits qu’on jurerait y être, bien qu’on ne puisse démêler le vrai du faux. Mais s’il ne faut voir qu’une chose, je veux voir ce qu’il est impossible de voir autrement. Ce qui a été passé sous silence de l’Histoire la plupart du temps, ce qui n’a pas fait trace. Je veux voir une vie quotidienne qui ne s’est pas écrite, une grande oubliée, la campagne. Campagne française, si l’on peut dire. N’importe où, peut-être mes montagnes, ou bien les côtes, près de la mer. N’importe quand ou presque : on a toujours l’impression que rien n’a changé en longtemps, que la campagne a été immuable. Difficile de choisir une période tant elles se ressemblent en terme de campagne, dans l’imaginaire commun. Le XVI° siècle, après les guerres d’Italie et avant celles de religion : je veux la paix. Difficile cependant de dire que ce sera représentatif.

Je pars. Direction les champs, la forêt… Presque sans empreintes humaines ? C’est ce que j’imagine. Difficile d’estimer le nombre de population : s’il y avait moins d’humains auparavant, la population de la campagne était probablement bien plus importante. J’arriverai dans la neige. Moins de gens, moins à voir sans doute, mais tellement beau. Là aussi le choix a été dur. Je ne sais pas du tout ce que je vais y voir, à mieux y réfléchir. J’essaierai en tout cas de ne pas finir sur un bûcher… Peut-être, au mieux, rejoindrais-je les fantômes racontés lors des soirs de veillées.

Un jour et je reviendrais. En espérant que d’autres soient tentés par la machine et rapportent de nombreux témoignages.

par Lola LS, le 8 février 2017

@ suivre...

 

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