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Paroles d'Actu

19 juillet 2020

Eric Teyssier : « La thèse de l'esprit de jouissance coupable ne tient plus à propos de la défaite de 1940 »

Il y a 80 ans, en juillet 1940, les pleins pouvoirs venaient d’être confiés au Maréchal Pétain tandis que s’ouvrait à Vichy, siège du nouvel « État français », une des pages les perturbantes de notre histoire nationale. On parle beaucoup, en connaissant plus ou moins lépoque, de ce gouvernement de collaboration avec - et en partie contraint par - l’occupant nazi, mais tellement peu finalement de la bataille de France qui a précédé ces développements. Parce que oui, même si au bout ce fut la défaite, et même une défaite traumatisante, on s’est battu, et même plutôt bien battu, avec honneur et parfois héroïsme, côté français, en mai et en juin 1940. S’il y a des responsabilités à rechercher du côté des militaires, et clairement il y en a, il semble falloir regarder du côté du commandement, ou plutôt du haut-commandement.

Je suis heureux de vous proposer aujourd’hui, sur ce thème, une interview avec l’historien Éric Teyssier, qui a publié en début d’année L’an 40 : La bataille de France (Michalon), un roman passionnant qui nous raconte, dans toute sa complexité, ce que représenta, côté français, pour les militaires de terrain, pour les civils des régions du nord, et pour les dirigeants politiques et militaires, cette tragédie des mois de mai et juin 1940, qui n’était décidément pas écrite par avance. Je vous recommande chaleureusement cette lecture et remercie M. Teyssier pour sa collaboration. Je dédie cet article à la mémoire de mon ami Bob Sloan, disparu il y a un mois tout juste : il était passionné d’Histoire et notamment de cette histoire-là, bien qu’Américain, et surtout, un homme délicieux. Nicolas Roche

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - 80 ANS 1940

Éric Teyssier: « La thèse de l’"esprit de jouissance"

coupable ne tient plus à propos de la défaite de 1940... »

L'an 40

Des reconstituteurs de l’armée française de l’association France 40.

 

Éric Teyssier bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu, qui porteront sur votre roman L’an 40 : La bataille de France (Michalon, 2020). On vous connaît principalement pour vos écrits et vos activités (reconstitutions historiques notamment) sur les époques Révolution, Premier Empire, et surtout Rome antique. Pourquoi avoir choisi, ici, d’écrire sur ces mois de mai-juin 1940, parmi les plus tragiques de notre histoire ?

pourquoi l’an 40 ?

En fait deux films anglo-saxons récents sont à l’origine de ce roman, Les heures sombres et Dunkerque. Dans les deux cas, il est question de la bataille de France mais sous un angle exclusivement britannique. Les Français y sont présents mais comme des silhouettes dans l’arrière-plan d’un drame où seuls les Anglais semblent vouloir se battre. Bien sûr, beaucoup de Français, parmi ceux qui connaissent encore leur Histoire, ont été choqués et l’ont dit. Pour ma part, j’ai apprécié ces deux films et je me suis dit qu’il ne fallait pas faire le reproche aux Anglais de raconter leur Histoire de leur point de vue mais qu’il incombait aux Français de faire valoir le leur. C’est pour cela que j’ai pris ma plume. 

 

Cet ouvrage, dont on sent bien qu’il vous tient à cœur, vous le dédiez, je reprends vos mots, « aux 58 829 soldats français morts au combat, et aux 21 000 civils français tués pendant les 45 jours de la bataille de France, pour ne pas oublier leur courage et leur sacrifice ». L’idée centrale de ce roman, c’était de raconter ces heures sombres, mais aussi vous l’indiquiez à l’instant d’expliquer, par l’exemple, que oui, elles ont aussi été héroïques de la part de Français, là où on ne conçoit, trop souvent, que le rouleau compresseur allemand écrasant la France sans résistance ? N’a-t-on pas même oublié qu’on s’est battu, en 40 ?

la France combattante

Oui, on a très vite oublié le sacrifice de ces héros et il y a depuis un « french bashing » entretenu sur ce point dans le monde anglo-saxon et, il faut bien le dire, par certains Français qui éprouvent un plaisir masochiste à dénigrer systématiquement leur propre histoire. Il faut dire que l’exemple vient de loin avec Céline qui décrivait la drôle de guerre et la Bataille de France par une formule à l’emporte-pièce : « Neuf mois de belote, six semaines de course à pieds ». S’il a en partie raison pour la belote, l’ancien combattant de 14 se trompe pour la course à pied. En effet, les fils des poilus de 14 se sont bien battus. Il se sont parfois sacrifiés avec un courage d’autant plus étonnant qu’ils luttaient au milieu de l’effondrement moral des élites et de la population qui s’enfuyaient sur les routes de l’Exode.

 

GP Teyssier

Mon grand-père Adrien Teyssier devant son char Renault FT17.

 

Quelle est votre part personnelle, familiale, j’ai envie de dire « intime », dans cette histoire de la campagne de France, de l’Exode, de l’effondrement de l’État, et de l’Occupation ? Quels souvenirs forts vous ont été transmis par vos aïeux, vos proches, et dans quelle mesure avez-vous été habité par cette mémoire-là ?

histoire familiale

Je suis né dix-sept ans après la fin de la guerre, mais j’ai eu l’impression de la vivre par procuration. Mon père avait dix ans en 1944, et j’ai eu la chance de grandir en étant entouré de mes quatre grands parents qui avaient connu et parfois fait la seconde guerre mondiale, et même la première pour mon grand-père paternel. Le sujet revenait souvent sur le tapis et comme je suis tombé tout petit dans le chaudron de l’Histoire, je n’arrêtais pas de les questionner. Il y a beaucoup de leurs récits dans ce roman et cela m’a donné l’envie d’en rechercher d’autres, car rien ne vaut la réalité qui dépasse toujours, et de loin, la fiction.

 

Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir, dans le détail de leur être, chacun de vos personnages. On suit le déroulé du récit, entre mai et juillet 40, à travers les destins de l’équipage (aux origines sociales et géographiques très variées) d’un char d’assaut français, de la famille d’un de ses équipiers vivant à Dunkerque, et du haut-commandement politique et militaire de la France et du Royaume-Uni. Comment s’est opéré votre travail de documentation, que l’on devine très conséquent ? Où est le vrai, où est le romancé chez tous ces personnages, dans tous ces moments de vie ?

écrire un roman historique

L’historien précède toujours le romancier chez moi. Je suis donc parti de mes connaissances sur la période car je l’enseigne à l’université de Nîmes. J’ai ensuite approfondi en relisant les mémoires des décideurs que j’avais dans ma bibliothèque. Cependant, ces derniers ont à cœur de justifier leurs actions passées et ont souvent un point de vue « personnel » sur les évènements. Je suis donc allé chercher à l’échelon juste au-dessous, chez les chefs de cabinets. Ces derniers ne sont pas des politiques, mais plutôt des serviteurs de l’État. Ils ont souvent pris des notes au jour le jour et ont publié leurs mémoires plus tard, parfois même après leur mort. Je pense notamment à Roland de Margerie, le conseiller diplomatique de Paul Reynaud qui est une source de renseignements et d’anecdotes étonnantes.

Pour l’aspect militaire, je suis allé du côté des journaux de marche des bataillons de chars. Pratiquement toutes les actions vécues par mon équipage de B1 bis correspondent à des fait d’armes réellement vécus par des équipages français. Ces exploits montrent à quel point ces soldats se sont battus avec courage. Pour les civils, il y a aussi de nombreux témoignages, mais j’ai également eu recours à la presse qui donne à voir la façon de présenter les choses au jour le jour à une population déboussolée, et souvent terrifiée par l’idée que des centaines d’espions étaient parmi eux pour préparer l’invasion, la fameuse « cinquième colonne ». Parmi les sources, l’hebdomadaire Match est très intéressant car il était très lu à l’époque. Bref, au total c’est un roman très historique, où tout ce qui n’est pas strictement authentique est parfaitement vraisemblable.

 

B1 Bis

Le char B1 Bis L’Eure, dont l’histoire a en partie inspiré mon roman.

 

On est surpris effectivement, quand on vous lit, par la combativité de l’équipage du Stonne (éléments vous le disiez inspirés de faits réels), et par la puissance de leur char français, un B1 bis qui semblait n’avoir pas grand chose à envier aux panzer allemands. On est effaré, surtout, quand on découvre, suivant les routes de la débâcle, des chars et des avions flambant neufs dans des dépôts.

Nous parlerons choix politiques dans un instant mais pour vous, s’agissant des opérations de terrain, la faillite, c’est d’abord celle du commandement militaire, de la doctrine défensive statique, de Gamelin ? Est-ce qu’avec un De Gaulle (qui portait depuis longtemps l’idée d’unités mécaniques cohérentes), un Huntziger, ou même un Weygand comme généralissime dès septembre 39, les choses auraient été bien différentes ?

les choix de Gamelin

De Gaulle n’est qu’un simple colonel jusqu’à la fin mai 1940. Personne ne l’imagine à la tête de l’armée en 1940, pas même lui. Huntziger n’aurait pas fait mieux que Gamelin, il commandait les troupes stationnées dans la région de Sedan le 10 mai 1940… avec le succès que l’on sait. Weygand, malgré ses 73 ans aurait eu plus de mordant que Gamelin qui était un général de salon, qui doit surtout sa place à ses accointances avec le ministre Daladier. Malgré tout, il est difficile de dire s’il aurait changé le cours de l’Histoire.

En tout cas, il est probable que Weygand aurait conservé une masse de manœuvre en réserve derrière la ligne de front. Cette réserve stratégique existait. En l’occurrence, il s’agissait de l’excellente VIIe armée du général Giraud. Placée en réserve à Reims, elle aurait pu barrer la route à la percée de Guderian. Mais au lieu de ça, en avril Gamelin l’a envoyé dans la région de Lille pour aller soutenir… la Hollande. C’est ce qu’elle tentera de faire, en vain. Cette décision aberrante aurait dû valoir le peloton à Gamelin, le pire généralissime que la France aura connu dans sa longue histoire militaire.

 

Quel regard portez-vous, comme historien connaissant bien les batailles, la vie et la mort des empires, sur les causes profondes des succès foudroyants de l’Allemagne nazie au printemps 1940 ? Faut-il pointer une politique diplomatique et militaire des démocraties ayant manqué d’audace dans la seconde moitié des années 30, parce que trop empreinte de pacifisme ? Un esprit de jouissance l’ayant emporté sur l’esprit de sacrifice, d’après le mot de Pétain ? Ou bien tout simplement, et avant tout, comme le défend François Delpla, l’excellence du coup allemand ?

les raisons de la défaite

Pas plus que pour la chute de l’empire romain, il n’y a une cause unique pour la défaite de la France en 1940.

Pour comprendre les choses, il faut surtout garder en mémoire l’effroyable saignée causée par la guerre de 14-18. Huit millions de mobilisés pour quarante millions d’habitants et 1,4 millions de morts sur les huit millions de mobilisés… Le « plus jamais ça » n’était pas dû à la couardise des Français ou à « l’esprit de jouissance » mais à la conscience du fait que le pays ne pouvait pas se permettre une autre hécatombe de ce genre. De là vient « l’esprit Maginot ». De l’autre côté du Rhin les choses étaient différentes. Le désir de revanche, une natalité forte, une armée remise à neuf et Hitler, tout cela portait un peuple de 80 millions d’individus vers la guerre. Pour autant l’historiographie a liquidé l’idée de « l’esprit de jouissance ». La France se réarme dès 1937 et consacre la même part de son budget à l’armement que le IIIe Reich, mais l’Allemagne est plus riche et plus peuplée.

Cependant, une autre cause est moins souvent évoquée : la méfiance de l’Angleterre vis-à-vis de la France victorieuse. Londres qui se méfie d’une France redevenue la première puissance militaire mondiale en 1918. Très vite le naturel antifrançais revient au galop. Deux exemples parmi d’autres illustrent cet état d’esprit chez nos voisins d’outre-Manche. En 1935, les Britanniques autorisent unilatéralement l’Allemagne à reconstruire une flotte de guerre égale à un tiers de la Royal Navy. Cette trahison donne pleine satisfaction à Hitler qui peut ainsi considérer que le traité de Versailles est mort et enterré. Le second exemple se passe en 1938 à propos de la Tchécoslovaquie. Les Tchèques ont une excellente armée et des lignes de défenses solides. Face aux appétits d’Hitler, Daladier serait prêt à la guerre pour défendre notre alliée d’Europe centrale, mais il ne peut y aller seul sans l’appui britannique. Hélas, Chamberlain fait confiance au Führer et refuse de soutenir les Français et les Tchèques. Préférant « l’apaisement » à la guerre, il signe les accords de Munich en septembre 1938. C’est Churchill qui voit clair dans cette affaire avec sa formule : « Vous avez préféré le déshonneur à la guerre, vous aurez le déshonneur et la guerre ». On connaît la suite, un an plus tard, l’Histoire lui donne raison.

Enfin, il faut aussi tenir compte de l’extraordinaire culot de Guderian qui va bien au-delà du plan allemand en fonçant devant lui en profitant de la situation. Plus que l’état-major allemand, c’est lui qui emporte la décision, grâce à un coup d’œil et une audace d’une efficacité rare dans les annales de l’histoire militaire.

 

Reynaud et Pétain

Le général Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et le maréchal Pétain, mai 1940.

Photo : © Getty / Keystone-France.

 

Deux éléments de détail, mais cruciaux, que j’aimerais développer avec vous...

Premier point : Comment expliquez-vous l’ordre donné par Hitler à Guderian de stopper net sa course triomphale vers Dunkerque, rendant par la même le ré-embarquement quasi-miraculeux de plus de 330 000 soldats britanniques et français ? Crainte réelle de s’exposer dangereusement ? Volonté par le Führer d’affirmer son statut de chef suprême ne goûtant que modérément les initiatives personnelles ? Voire gage de bonne volonté envers Londres pour faire flancher le cabinet britannique ? 

Dunkerque

Le gage de bonne volonté est un mythe forgé par Hitler lui-même après coup. Sa volonté de s’imposer face à ces junkers prussiens que le « caporal de Bohème » déteste pourrait être une explication, sauf que dans ce cas précis, Hitler se rallie à la prudence que prêche les généraux de son état-major. Je pense en fait, qu’Hitler a eu peur de son propre succès dont l’ampleur n’a été prévu par personne. Il a aussi peur d’une réaction des alliés. En cela les réactions des Français à Stonne et à Montcornet ou des Anglais à Arras, ont joué leur rôle. Même si elles n’ont pas été suffisantes pour freiner l’invasion, elles ont semé le doute dans l’esprit d’Hitler. L’ancien combattant de la première guerre connait la valeur de ses adversaires et il redoute un nouveau miracle de la Marne. Aussi joue-t-il la prudence en permettant, malgré lui, le miracle de Dunkerque. Ce dernier est aussi dû à l’échec de Goering qui lui avait assuré que la Luftwaffe pourrait noyer l’armée anglaise dans une mer de sang. Il est également dû à la résistance héroïque des Français qui retiennent les Allemands pendant une semaine autour de Dunkerque. Une résistance qui a fait dire aux Allemands qu’ils avaient devant eux les dignes héritiers des défenseurs de Verdun.

 

Deuxième point : Dans votre récit, la comtesse Hélène de Portes, maîtresse du président du Conseil Paul Reynaud, est omniprésente et fait lourdement pression, jusqu’au harcèlement, sur son amant à bout de nerfs, pour lui faire accepter une demande d’armistice. A-t-elle été pour vous, un acteur décisif de ces temps des plus troublés ?

le cas Hélène de Portes

Difficile de dire si elle a été décisive, mais sa petite musique a toujours joué en faveur de l’armistice à tout prix auprès du faible Reynaud. Ce dernier a passé ces semaines tragiques entre volonté de combattre et désir d’abandon. Et la musique lancinante de sa maîtresse a scié les nerfs du versatile chef du gouvernement français. De toute évidence, Reynaud n’était pas l’homme de la situation. En tout cas, la comtesse est si omniprésente que tous les témoins, Churchill, de Gaulle, Weygand, de Margerie, Villelume… parlent d’elles dans des termes souvent cinglants. Tous, sauf un, Reynaud, qui ne cite même pas son nom dans l’épais volume de ses mémoires. Un silence qui ressemble à un aveu…

 

Weygand devenu généralissime a beaucoup reproché aux Britanniques d’avoir économisé leurs forces, et surtout leurs avions, là où des contre-attaques efficaces pouvaient encore, selon lui, être engagées. Ont-ils pensé trop tôt à l’étape d’après, la défense de leurs îles, ou bien leur décision fut-elle clairement la bonne au vu de la situation déjà très compromise sur le territoire français ?

la part des Anglais

Cette histoire constitue une tragédie grecque où tout le monde à raison. Weygand a raison de reprocher aux Anglais de se replier vers Dunkerque alors qu’il espère encore contre-attaquer. Il a raison d’exiger une aide massive de la R.A.F. au moment où l’aviation française, malgré le courage de ses pilotes, est submergée. Mais Weygand arrive trop tard à la tête des armées alliées. Le 16 mai, l’impression donnée par Gamelin, encore généralissime, est désastreuse. Il n’a pas de plan de contre-attaque, pas de réserve et surtout aucune volonté de combattre. C’est un spectateur passif de l’effondrement et le pouvoir politique hésite encore à le chasser. À partir de là, pour Churchill, la messe est dite. Il faut sauver ce qu’il peut de ses trop rares soldats et sauvegarder la R.A.F. pour tenter de défendre son île. La suite lui a donné raison, mais l’impression d’abandon ressentie par les Français a fait le lit de la demande d’armistice, et donc de Pétain.

 

J’aimerais votre sentiment sur cette question : imaginons un instant que Paul Reynaud soit resté à la barre, après le 16 juin, que le gouvernement ait choisi de continuer la lutte, de partir pour l’Afrique, voire d’aller effectivement vers l’union franco-britannique. Est-ce que ça aurait pu marcher ? Qu’est-ce que ça aurait changé ?

no surrender !

C’est une question qui me tracasse depuis longtemps et mon opinion à varié suivant les époques et mes lectures. Dans mon livre, c’est une question qui est au cœur des débats entre les responsables civils et militaires. C’est pour moi l’occasion de donner les arguments des uns et des autres sans pour autant trancher ce débat. Un débat qui ne le sera jamais car on ne peut pas refaire l’histoire. 80 ans après, mon avis personnel est qu’au moment de l’armistice, les faits donnent raison aux partisans de l’arrêt des combats. Rien ne peut laisser supposer que Churchill va continuer la guerre. L’URSS est alliée avec Hitler, les USA détournent le regard et l’Angleterre n’a plus d’armée. Pourtant, la volonté de fer et le jusqu’auboutisme du Premier ministre britannique demeurent inébranlables. Il faut être visionnaire comme de Gaulle pour le percevoir. Si Reynaud avait eu le même courage, je pense qu’une décision de continuer la lutte en Afrique aurait tout changé. Hitler aurait alors concentré ses efforts contre l’Angleterre et aurait subi le même échec. L’Italie aurait été chassé d’Afrique du nord dès la fin de 1940 et on n’aurait jamais entendu parlé de l’Afrika Korps de Rommel. Il est possible que la guerre aurait été raccourcie d’un an et Reynaud, donc la France, aurait été sur la photo de Yalta. Mais tout cela n’est que le reflet de mon opinion, car on ne refait pas l’Histoire… hélas.

 

Antichar

Des soldats français autour d’une pièce antichar.

 

Y a-t-il encore, 80 ans après, un traumatisme vivace quant à l’effondrement national de mai-juin 1940 ? Des séquelles, jamais complètement guéries (et je ne parle même pas de l’après, de Vichy) ?

les séquelles

Oui, je pense que ce traumatisme est fondateur, d’une forme de manque de confiance dans la France et son avenir. Cette période a vu l’effondrement des élites qui se sont souvent enfuies avant de capituler alors qu’il fallait encore se battre. Elle a vu aussi la défaite d’une nation qui passait pour l’une des toutes premières au monde. Vichy a accentué ce phénomène en martelant que c’était « l’esprit de jouissance » des Français qui était la cause du mal. Pourtant, le personnel politique de Vichy, à commencer par Laval, faisait bien partie de ces élites qui ont mené la France à la catastrophe. Il ne faut pas oublier que c’est le parlement de 1936, à 80 exceptions près, qui donne légalement les pleins pouvoir au maréchal Pétain dès le mois de juillet 1940. L’occupation allemande et l’humiliation qu’elle entraîne pendant quatre ans constitue également un traumatisme profond que de Gaulle n’a que partiellement apaisé. S’il n’avait pas été là pour sauver l’honneur, les séquelles en seraient encore plus graves.

 

Quelles leçons tirez-vous de mai-juin 40 ? Les recherches effectuées pour ce livre, et son écriture, ont-elles affermi certaines de vos convictions en la matière ?

résonances actuelles

Paradoxalement, j’en tire un regain de confiance dans l’avenir de la France. Ce vieux pays a connu des catastrophes incroyables mais c’est toujours relevé grâce au courage de son peuple. J’en retire également la conviction que des élites déconnectées des réalités du pays qu’elles dirigent sont dangereuses. Leur fonctionnement en circuit fermé dans une sorte d’entre-soi confortable peut révéler au grand jour une incapacité de réaction face à une crise sans précédent. Je trouve sur ce point de vue, que la « gestion » de la crise du Covid a eu de grandes similitudes avec mai-juin 1940. Le fameux « les masques ne servent à rien » m’a fait penser au non moins redoutable « les divisions blindées ne servent à rien ». On a également assisté à la même auto-satisfaction malgré une impréparation totale. On a vu une communication désordonnée, une incapacité de tenir un cap, les mêmes disputes entre les « experts » devant des décideurs qui ne décident plus grand-chose, les mêmes rumeurs qui agitent l’opinion… Tout cela avait un parfum de Troisième République finissante. Mais on a vu aussi « ceux qui ne sont rien » et autres « sans dents » qui étaient sur le « front ». Ils ont fait tourner le pays de la même façon que les héros de mon roman se battent avec courage face à la catastrophe. C’est cela qui doit être retenu.

 

Pomier

Le lieutenant Pomier qui a abattu l’as allemand Molders. Je consacre un chapitre

à ce duel pour ne pas oublier non plus ceux qui se sont battus dans les airs.

 

Je le rappelais tout à l’heure, vous êtes un grand spécialiste des reconstitutions historiques, qui ré-insufflent de la vie à l’Antiquité ou à l’épopée napoléonienne. On imagine assez peu, en revanche, des reconstitutions sur la Première Guerre mondiale ou, a fortiori, sur le front occidental de la Seconde (je me trompe peut-être). Parce que trop proches, trop sujettes à passions, trop « sombres » aussi ?

histoire vivante

Pas du tout, il existe des associations très vivantes de reconstitutions sur les deux guerres mondiales, pour n’en citer qu’une sur 1940, je parlerais de l’association « France 40 » qui s’attache notamment et restaurer et à faire revivre les véhicules de l’armée française de cette époque. Cette association et beaucoup d’autres font un énorme travail de conservation du patrimoine et de transmission de la mémoire. Elles participent pleinement aux commémorations qui malheureusement pour mai-juin 1940 ont été zappées à cause du Covid. De plus, ces associations d’histoire vivante attirent de plus en plus de jeunes venus de milieux très différents, ce qui est une très bonne chose.

 

Que vous inspirent ces temps, pas mal troublés aussi dans leur genre, où l’on abat les statues assez facilement, et sans guère s’encombrer de complexité historique ?

les nouveaux iconoclastes

Rien ne peut justifier d’abattre une statue qui témoigne d’une époque passée. Au-delà de l’acte barbare, il s’agit d’un crime contre la mémoire d’une nation et donc d’un véritable acte de « populicide ». Le pire dans tout ça, demeure l’inaction voire la complicité des politiques, mais aussi le silence assourdissant des historiens universitaires qui vont parfois jusqu’à cautionner ces actions hallucinantes. Écrire « raciste » sur la statue de Churchill relève en effet de la maladie mentale, lorsque l’on sait que cet homme a été le principal acteur de la défaite du nazisme en Europe… Où seraient ces nouveaux vandales si Hitler avait vaincu ? Mais la bêtise n’a pas de limite puisque même le roi d’Écosse Robert Bruce (mort en 1329) a eu droit lui aussi à son « raciste » sur sa statue… alors même qu’il n’a sans doute jamais croisé un homme noir de sa vie… Je constate en fait que l’histoire est prostituée à des intérêts politiques et « racialistes » (comme on dit) très inquiétants, en voulant opposer les gens les uns contre les autres. Chaque fois que l’on a fait tomber des statues dans l’Histoire, on ne tarde jamais à faire tomber des têtes.

 

Votre deuxième tome de L’An 40 est-il en bonne voie ? Vos autres projets et envie pour la suite ?
 
Il est bien avancé en effet, c’est l’objectif de l’été. J’ai aussi des projets de documentaire sur la Seconde Guerre mondiale et sur Rome. D’autres projets de livres et de spectacles également. Je ne manque jamais de projets.

 

Un dernier mot ?

Oublier, jamais…

 

E

  

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21 juin 2020

« Les peintres naissent poètes », par Silvère Jarrosson

Quelques jours après nous avoir offert un texte intitulé L’artiste endormiSilvère Jarrosson a accepté cette fois de nous livrer une réflexion « colorée » sur la frontière parfois ténue, et la navigation dangereuse pour un artiste, entre poésie et folie. Merci à lui ! Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Les peintres naissent poètes »

par Silvère Jarrosson, juin 2020

Dans son clip Money Man, le rappeur américain Asap Rocky met en scène une jeunesse fictive, désœuvrée et aux prises avec une drogue hallucinogène issue d’un mélange d’ailes de papillons et de peinture acrylique. Durant ce court-métrage, le portrait social de ces jeunes à l’abandon est progressivement remplacé par l’étrange univers coloré dans lequel ils évoluent (celui des ailes de papillons, de la peinture et des hallucinations qui en découlent).

Avaler des ailes de papillons pour se sentir voler : parfois le rap oublie la vulgarité pour se réfugier dans la poésie.

Les ailes de papillon sont complémentaires de la peinture acrylique comme moyen d’échapper à la réalité — les jeunes d’Asap Rocky l’ont bien compris, qui en font une mixture. L’un comme l’autre manifestent, à leur façon, l’irrationnel et le poétique, par le jaillissement d’innombrables motifs colorés. Aristote appelait justement la couleur une drogue (« pharmakon »). Dans le cas des ailes de papillons, c’est le monde naturel même qui est source de ce jaillissement. La nature est en plein délire. Les papillons ont investi la poésie comme une niche écologique parmi d’autres. Leur génome a évolué vers une réalité qui semble folle, des fards et des poudres de couleurs irréalistes. L’irréalité s’est faite réalité, la folie est devenue la raison.

Chez les papillons, l’évolution vers ce monde coloré et poétique remplit une fonction biologique au service de leur survie et de leur existence. Comme on aimerait que la poésie soit, pour nous aussi, un indispensable de l’existence.

Il me semble que la poésie ne se distingue de la folie que par son degré de persistance. Chez le fou, l’abandon de toute rationalité au profit d’une réalité concurrente est durable, l’esprit ne parvient plus à s’en échapper. Chez le poète, cet état d’éloignement n’est que passager (bien que l’on ignore tout du chemin retour du délire à la réalité).

Les jeunes de Money Man ignorent eux aussi le chemin qui ramène au réel, et finissent perdus dans la folie. Durablement égarés dans leur monde coloré, sans échappatoire, ils ne sont plus poètes temporaires mais fous permanents. Comme les papillons, naviguer en plein délire est devenu, pour eux, la seule façon d’exister. Un indispensable de l’existence. À la fin du clip, à force de laisser leur regard plonger dans celui, factice, des ailes de papillons, ils deviennent tous aveugles.

Beethoven a fini sourd. Les peintres, eux, finissent aveugles. La peinture acrylique agit sur eux comme des ailes de papillon. Elle devient pour eux un indispensable de l’existence, elle les emporte, et un jour ils ne savent plus en revenir. Les peintres naissent poètes et meurent fous.

 

Papillon

 

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16 juin 2020

François Delpla: « Refuser tout armistice à Hitler en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle »

Il y a 80 ans jour pour jour se jouait, sous les yeux incrédules du monde, un des plus grands drames de l’histoire de France. Le 16 juin 1940, le président du conseil Paul Reynaud acceptait le principe d’une incroyable fusion franco-britannique, porté par Jean Monnet et soutenu par Churchill et De Gaulle, qui eût conduit à une continuation conjointe et résolue du combat contre l’Allemagne nazie. Le soir même, alors que De Gaulle, confiant, quittait l’Angleterre pour Bordeaux (siège du gouvernement en déroute), il apprenait que Reynaud, vaincu en cabinet, avait démissionné, cédant presque naturellement sa place au maréchal Pétain, et aux partisans de l’armistice, dont la demande fut transmise à l’ennemi dès le lendemain. De Gaulle, désormais condamné par le pouvoir, prit ses dispositions pour regagner Londres et y organiser une résistance tandis que Pétain s’apprêtait, bientôt, à installer le pays dans la voie de la collaboration, et son gouvernement à Vichy.

J’ai proposé, pour l’occasion, à l’historien François Delpla, que les lecteurs de Paroles d’Actu connaissent bien (il est notamment l’auteur de Hitler et Pétain, paru chez Nouveau Monde en 2018), une interview portant sur ces journées décisives et à bien des égards tragiques. Je suis heureux qu’il ait accepté de se prêter au jeu, et salue dautant plus son travail de fouille et de recherche qu’il a été injustement banni par un grand réseau social il y a quelques semaines. Je profite également de l’occasion que me procure cet article pour saluer tout particulièrement quelqu’un que j’ai la joie d’appeler mon ami, l’Américain francophile et passionné d’Histoire Bob SloanUne exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU - 80 ANS JUIN 1940

François Delpla: « Refuser tout armistice à Hitler

en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle. »

Reynaud et Pétain

Le général Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et le maréchal Pétain, mai 1940.

Photo : © Getty / Keystone-France.

 

Se figure-t-on encore aujourd’hui l’ampleur du traumatisme que constitua, pour les Français d’alors, la défaite lourde de conséquences - et peut-être inéluctable au vu de l’excellence du coup allemand - de mai-juin 1940 ? La plus grave catastrophe de notre histoire ?

débâcle historique

Oui et non. Sans Churchill - ou n’importe quel Anglais décidé… mais il n’y avait guère que lui -, Hitler mourait dans son lit 40 ans plus tard dans un empire allemand qui aurait eu le temps de faire de « nous » ce qu’était la Grèce par rapport à Rome. Fin de la France. Mais, Hitler ayant finalement été vaincu, elle existe, conserve un poids en Europe et dans le monde, n’est pas si inférieure que ça à l’Allemagne et à l’Angleterre, mais évidemment, l’énorme contribution des « deux grands » à la bataille a fait régresser, relativement, toute l’Europe.

 

Considérant les forces en présence et les moyens matériels dont disposaient les belligérants, peut-on établir que la défaite était davantage affaire de choix stratégique (mobilité mécanique en attaque contre murs statiques en défense) que d’infériorité numérique ? Si, hypothèse, De Gaulle, avec ses conceptions novatrices de l’armée, avait été aux manettes à la place de Gamelin dès la déclaration de guerre de septembre 1939, la France aurait-elle eu une chance de connaître alors un autre destin ?

rapport de forces

Oui.

L’Allemagne est faible, par rapport à ses ambitions. Elle ne peut gagner qu’en prenant de grands risques, en cachant constamment son jeu, en divisant les gens qu’elle veut léser pour les battre séparément. Sa victoire de mai-juin 40 est due à des facteurs politiques beaucoup plus que militaires. On s’attendait à tout sauf à ce qu’elle joue toute sa mise ainsi parce que jusque là elle ne s’était attaquée qu’à des proies nettement plus faibles. Le 10 mai, tout le monde pense qu’elle ne vise que l’occupation du Benelux. Il y a avant tout une faillite intellectuelle, dans le refus de voir Hitler en face, la propension à le prendre pour un bouffon, l’idée que Staline serait plus dangereux, la croyance en une Allemagne divisée et au bord de l’implosion…

 

Qu’aurait-il fallu pour que la position de Paul Reynaud à la tête du gouvernement demeure tenable au-delà du 16 juin 1940 (voire soyons fous la nomination d’un Georges Mandel) ? Une solution autre qu’une demande d’armistice à l’ennemi (l’exil du gouvernement à Londres ou en Afrique, voire la fusion franco-britannique) eût-elle été sérieusement envisageable au regard de l’immense capacité de nuisance et de destruction aux mains des Allemands sur la France occupée ?

pertinence d’un armistice

Parce que l’armistice ne leur donnerait aucun moyen de nuire ni de détruire ?

Si nous convenons que Hitler n’a conclu un pacte avec Staline que pour écraser la France, provoquer par là une résignation anglaise à sa domination du continent et se payer ensuite sur la bête soviétique (mais pas forcément en 1941 et pas forcément en une seule fois), le seul fait de lui refuser tout armistice en 1940 le plongeait dans une impasse mortelle. C’est d’ailleurs bien dans cette impasse que Churchill l’a englué en l’obligeant à tout miser une fois de plus sur une seule case, une Blitzkrieg vers l’est à finir impérativement dans les trois mois.

Avec une France restée en guerre, il n’aurait même plus eu cette échappatoire.

 

François Delpla 2019

  

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14 juin 2020

Frédéric Quinonero: « N'oublions jamais l'homme derrière la statue, l'icône Johnny... »

Demain, 15 juin, les nombreux fans de Johnny Hallyday auront une pensée particulière pour leur idole, qui aurait fêté ce jour ses 77 ans - et au passage, le même jour, Paroles d’Actu aura 9 ans ! Pour l’occasion (Johnny, pas le site !), j’ai la joie de recevoir, une nouvelle fois dans ces colonnes, Frédéric Quinonero, fin connaisseur de la carrière et de la vie du chanteur. Il y a quelques semaines, son dernier ouvrage en date, Johnny Hallyday, femmes et influences, a été publié aux éditions Mareuil : une enquête rigoureuse et riche qui, retraçant et analysant les failles originelles, puis les rencontres de Jean-Philippe Smet, s’attache à établir l’influence qu’elles ont eue sur le parcours et la vie de l’homme derrière la star (et donc forcément sur sa carrière). Merci à Frédéric Quinonero pour les réponses apportées, le 14 juin, à mes questions. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « N’oublions jamais

l’homme derrière la statue, l’icône Johnny... »

JH Femmes et influence

 

Frédéric Quinonero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu, à l’occasion de la sortie de ton nouvel ouvrage. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais te demander : comment as-tu vécu et ressenti la période que nous venons de vivre (Covid-19 et confinement), et comment ton travail d’écrivain, et pour ce que tu en sais, les activités de ton éditeur ont-ils été impactés ?

l’édition dans le « monde d’après »

Je ne peux parler à la place de mes éditeurs. Je crois savoir toutefois que l’édition ne se porte pas si mal depuis le déconfinement, elle a bien repris. Pour ce qui me concerne, cette situation inédite n’a pas changé grand-chose à mon quotidien étant donné que je suis assez confiné par mon activité toute l’année. Mais je me rends compte tout de même que cela a joué sur le mental… La solitude n’est bénéfique que quand elle est choisie. La vie risque d’être compliquée désormais pour beaucoup de gens… On a rêvé un moment que cette crise sanitaire allait ouvrir des perspectives nouvelles, une autre façon de vivre et d’envisager l’avenir, mais malheureusement ce n’était qu’un rêve… Cependant, Covid-19 ou pas, le problème des auteurs demeure le même et tend à s’aggraver. Je suis de ceux qui réclament un statut, qui pourrait être apparenté à celui des intermittents du spectacle. Sans auteur, il n’y a pas de livre. Donc pas d’éditeur et pas de libraire. Ne l’oublions pas.

 

L’ouvrage qui nous réunit aujourd’hui, c’est Johnny Hallyday : Femmes et influence (Mareuil Éditions). Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire sur cette thématique précise, à la manière d’une enquête, toi qui connais si bien Johnny ? Ces questions, tu te les posais depuis longtemps ? J’imagine que l’affaire de l’héritage les a éclairées d’un jour nouveau ?

pourquoi ce livre ?

Tout commence avec un article pour le HuffPost. Comme je le raconte en avant-propos dans le livre, on m’a beaucoup sollicité pour donner mon avis dans l’affaire de l’héritage et j’ai tout refusé en bloc, arguant que je n’avais aucune légitimité pour intervenir. Puis, j’ai écrit cet article au moment où la polémique portait sur le fait que Johnny soit enterré à Saint-Barth. L’idée d’approfondir le sujet a fait son chemin. D’autant qu’on n’a jamais abordé à ma connaissance, du moins pas de façon sérieuse, cette thématique des femmes et de leur apport dans la vie et la carrière de Johnny. J’ai dit un jour que je n’avais pas fini d’écrire sur Johnny. Je le dis encore. Le personnage est complexe, on croit tout connaître de lui, puis on s’aperçoit qu’on découvre d’autres aspects de lui qu’on ignorait selon l’angle à travers lequel on l’observe. Ce travail a été passionnant. Il m’a permis de m’échapper un peu de la forme stricte de la biographie, ce qui a modifié un peu – je crois – mon style d’écriture. J’ai eu la sensation d’être plus libre. Il a occupé tout ce temps du confinement. Une fois encore, Johnny m’a sauvé du désespoir (rires).

 

La tante paternelle du petit Jean-Philippe Smet, Hélène Mar, a semble-t-il tenu le rôle moteur, décisif, dans l’éducation et la formation artistique de celui-ci. Clairement, si le passage sur cette Terre d’un artiste nommé Johnny Hallyday doit tenir à une personne, une impulsion, ce serait elle non ? N’a-t-elle pas, en revanche, pour tout ce qu’elle lui a apporté de positif, contribué à une espèce d’instabilité dans la tête de son neveu, en entretenant un peu abusivement le récit de l’abandon par sa mère ?

Hélène Mar, sa tante

Oui, sans Hélène Mar il n’y aurait sans doute pas de Johnny Hallyday. En l’enlevant (le terme n’est pas exagéré) à sa mère dès son plus jeune âge pour lui faire faire le tour d’Europe avec ses filles danseuses, elle l’a élevé comme un enfant de la balle, si bien qu’il ne connaissait de la vie que les coulisses des théâtres et des cabarets, puis la scène et les bravos du public. Lorsque sa mère a voulu le récupérer, il fut facile à Hélène de lui faire entendre qu’elle risquait en le gardant avec elle de priver l’enfant de la belle carrière pour laquelle il était destiné. Huguette, la maman, a fini par renoncer. Alors, on a fait croire à Johnny qu’elle l’avait abandonné. Il a passé une grande partie de sa vie à le croire. On imagine les conséquences psychologiques que cela peut avoir dans la vie d’un homme.

 

Dans quelle mesure la figure du père, son père, qui lui l’a bel et bien abandonné, a-t-elle impacté sa construction en tant qu’homme, et plus tard en tant que père ?

la marque de son père

L’abandon du père est à la base de l’histoire de Johnny Hallyday. La phobie de l’abandon l’a poursuivi toute sa vie et a impacté forcément sa vie amoureuse, ses relations avec les femmes et, bien sûr, avec ses propres enfants. Sans la reconnaissance du père, on n’est rien, on doit s’affirmer seul, se construire, s’inventer une identité. Jean-Philippe Smet est devenu Johnny Hallyday. C’est sous ce nom-là que sa vie a pris un sens. Jusqu’à nier le nom du père ? Jusqu’à renier son propre sang ? Qui sait ?

 

Johnny s’est-il cherché des pères, là où ses compagnons masculins souvent, c’étaient des potes, voire parfois des grands frères (je pense à Lee Halliday, mari de sa cousine Desta) ? Quels hommes Johnny a-t-il choisis comme des pères de substitution ? Charles Aznavour a-t-il tenu ce rôle ? Celui de Sylvie Vartan ? D’autres noms ?

pères de substitution

Bien sûr, Johnny s’est cherché des pères de substitution. Le premier a été Lee Ketcham, le mari de Desta. Il lui a pris son nom d’artiste pour le faire sien : Halliday, devenu Hallyday avec deux « y » à cause d’une coquille sur la pochette de son premier disque. Charles Aznavour s’était pris d’affection pour lui à ses débuts, il lui avait enseigné quelques rudiments du métier et l’avait hébergé quelque temps dans sa maison, comme un fils. Plus tard, il eut une relation assez forte avec Jean Pierre-Bloch, le père de son ami et secrétaire particulier Jean-Pierre Pierre-Bloch. Il admirait cet homme, qui fut résistant de la Seconde Guerre mondiale et militant contre le racisme et l’antisémitisme, comme un père idéal. Il y avait toujours selon l’âge des partenaires une dimension paternelle ou fraternelle dans les relations de Johnny avec les hommes. Et, naturellement, la quête d’une maman chez les femmes.

 

Cela est explicité dans ton ouvrage, et se confirme au fil des témoignages et de l’enquête menée : hors les pères des débuts, les hommes ayant croisé le parcours artistique et de vie de Johnny lui ont plutôt été « soumis », et l’ont servi dans ses projets. Ce sont les femmes qui, souvent, lui ont tenu tête, l’ont impressionné humainement parlant. Sylvie, Nathalie, et même Laeticia, elles ont été de celles-ci, à la fois amantes, épouses, et un peu mères ?

femmes fortes

Johnny aimait les femmes fortes, il faut croire que ça le rassurait. Il avait besoin d’admirer pour aimer. Si l’on regarde bien, toutes les femmes de sa vie ont été des femmes affirmées, intelligentes, investies dans quelque chose. Il ne voulait pas de femme soumise à ses côtés, une qui se serait contentée de vivre dans son ombre. En même temps, il fallait le suivre, ce qui n’était pas simple du tout. Accepter son rythme de vie, ses travers, ses phobies. C’était un grand enfant, Johnny.

 

Peux-tu me dire, à ton avis, ce qu’a apporté ou représenté pour Johnny chacune des femmes importantes de sa vie ?

les femmes de sa vie

Pour ne citer que les quatre compagnes majeures de sa vie, Sylvie Vartan a apporté une famille. Elle a essayé de combler ce manque affectif dans sa vie, mais il était sûrement trop jeune pour s’installer dans une vie bourgeoise, telle que la rêvait Sylvie. Tous les deux ont été un couple mythique pour toute une génération. Ils ont vécu leur jeunesse et leur amour aux yeux du public… Nathalie Baye a ouvert une voie nouvelle à Johnny, en lui apportant une crédibilité auprès des intellectuels. Elle l’a transformé physiquement, l’encourageant à mener une vie plus saine. Toutes deux, Sylvie et Nathalie, lui ont donné un enfant… Adeline Blondieau a ramené Johnny aux sources du rock et du blues, la musique qu’il aime. Jeune et rebelle, elle ne tenait pas à ce qu’on lui impose une ligne de conduite. Leur union a été explosive… Enfin, Laeticia est celle qui est restée jusqu’au bout et lui a fermé les yeux. Aimée des fans, parce qu’elle était comme eux, fan elle-même de son mari, elle est parvenue à l’accepter tel qu’il était et à construire autour de lui cette vie familiale qui lui a tant manqué. Il lui a donné le pouvoir à un moment où la mort a failli l’emporter une première fois…

 

QUESTION BONUS ANNIVERSAIRE (15 juin 2020)

C’est Adeline, qui a incité Johnny a reprendre le Diego, libre dans sa tête de Michel Berger, qui fut d’abord interprété par France Gall et compte désormais parmi les grands classiques du répertoire Hallyday ?

Diego, et Adeline

Elle aimait cette chanson, elle a suggéré à Johnny de la reprendre et d’y mettre toute la rage qu’il manquait dans la version originale par France Gall ou par Michel Berger. Elle l’a aussi incité à reprendre des chansons écrites pour le texte par son père, comme Joue pas de rock’n’roll pour moiVoyage au pays des vivants... Puis, c’est encore elle qui est à l’origine de l’album blues-rock en anglais Rough Town et la tentative de tournée européenne qui a suivi, même si leur histoire était finie au moment de leur réalisation.

 

 

Comme biographe connaissant très bien sa vie, et comme fan, pour laquelle de toutes éprouves-tu la plus grande tendresse finalement ?

une favorite ?

Ça n’a pas beaucoup d’importance. En tout cas, il était inconcevable d’aborder cette thématique avec un parti pris. Il ne fallait pas perdre de vue le principe que Johnny les avait toutes aimées, sans exception. De quel droit se permettrait-on de démolir cela ? Jamais je ne me suis placé en juge. L’intervention des témoins m’a beaucoup aidé à garder ma neutralité. Cependant, comme un romancier s’attache à ses héroïnes, j’ai éprouvé de l’empathie pour toutes, ce qui m’a tenu à l’écart de tout manichéisme. Et j’ai de l’affection pour deux ou trois, il suffit de lire entre les lignes…

 

La paix intérieure, il l’a trouvée avec Laeticia non ? J’ai le sentiment que ton regard sur elle a un peu évolué avec la concrétisation de ce travail, et notamment les témoignages que tu as recueillis, je me trompe ?

Laeticia, ou la paix retrouvée ?

Le temps aidant, Johnny a pu construire une famille et assumer une paternité comme il ne l’avait jamais fait précédemment. Ses démons se sont calmés, ses angoisses et ses phobies aussi. Il a réussi à réduire sa consommation d’alcool et de cigarette. Tout ça s’est fait au contact de Laeticia, qui a certainement eu beaucoup de patience et d’ambition, puisqu’elle est restée. Johnny rêvait même d’être un patriarche entouré d’enfants. Ceux qui les ont connus ensemble témoignent d’un couple qui s’aimait. Personne n’en a vraiment douté. Il n’en reste pas moins que leur histoire est à la fois une histoire d’amour et d’argent… Le regard qu’on porte sur Laeticia évolue dès lors qu’on s’interroge sur la part de responsabilité de Johnny, dès lors qu’on cesse de le considérer comme un être parfait, intouchable. Cela ne veut pas dire qu’on le dénigre ou qu’on l’aime moins. On le considère comme un être humain, pas comme une statue, une icône. Ce livre m’a rapproché davantage encore de Johnny, et tous les témoins rencontrés m’y ont aidé.

 

Comment le rapprochement avec Huguette, sa mère, s’est-il opéré, et à qui, à quoi est-il dû ? Cela a été quelque chose d’important pour Johnny dans sa quête de paix intérieure ?

la mère, ou la rédemption

C’est Nathalie Baye la première qui a réuni la mère et le fils. Huguette a pu ainsi assister aux premiers pas dans la vie de Laura. Johnny a d’ailleurs donné pour second prénom à Laura (puis plus tard à Joy) celui de sa maman. Peu à peu, il a renoué de vrais liens avec cette mère à la fois aimée et rejetée. Il a fini par comprendre qu’elle ne l’avait pas abandonné, et il en a voulu à sa cousine Desta de le lui avoir fait croire. Huguette était présente au mariage de son fils avec Adeline à Ramatuelle. On la retrouve encore au Parc des Princes pour les cinquante ans de Johnny. Plus tard, à la mort de son mari, elle s’est retrouvée seule dans sa maison de Viviers, en Ardèche. Laeticia, qui s’occupait déjà de son arrière-grand-mère, a permis à ce qu’Huguette vienne s’installer à Marnes-la-Coquette. C’était important psychologiquement pour Johnny non pas de pardonner à sa mère, mais de lui demander pardon. Ils ont fait la paix ensemble, comme il n’a jamais pu le faire avec son père. Ça a beaucoup contribué, à la fin de sa vie, à le libérer de ses démons.

 

Parmi les témoignages recueillis, celui de Jean Renard, puis celui de Sandrine Décembre, t’ont intrigué, parce qu’ils allaient à rebours peut-être d’idées que tu avais quant aux influences portées sur Johnny. Ils l’ont affirmé : personne ne manipulait Johnny, il savait exactement quel chemin il voulait suivre et dominait son monde. Finalement, quelle idée t’es-tu faite sur cette question ?

Johnny et les influences

Le premier témoignage que j’ai recueilli est celui de Jean Renard, qui m’a dérouté. Car il n’allait pas dans le sens de ma thématique, il bousculait mon propos et – comme je l’ai cru sur l’instant – s’en écartait. Je suppose qu’il avait quelques comptes à régler, mais sous le propos amer jaillissaient tout de même une vérité et beaucoup d’amour. Il y avait surtout une vraie analyse du personnage, pas simplement un avis tranché. C’est un discours qui, après réflexion, m’a emmené ailleurs. Et ce fut bénéfique. Sandrine Décembre a enfoncé le clou, si j’ose dire, car elle partageait entièrement l’avis de Jean Renard, qu’elle ne connaissait absolument pas - ce qui rendait le point de vue d’autant plus crédible. Ensuite, je n’ai pas cherché à savoir qui avait raison parmi tous les témoins que j’ai interrogés. J’estime qu’il y a une part de vrai dans tous ces regards portés sur lui. On ne cherche pas une seule vérité quand on part à la recherche d’un personnage… Chaque témoignage est une pièce de puzzle. Toutes ces pièces ne s’imbriquent pas toujours les unes dans les autres ; le puzzle n’est pas forcément complet. Je l’ai dit : je n’ai pas fini d’écrire sur Johnny.

 

Il y a cinq ans et demi, lors d’une interview, tu me confiais que Johnny, toujours vivant à l’époque, était le grand frère que tu n’avais jamais eu. Il est parti il y a deux ans et demi : comment vis-tu cette absence aujourd’hui, et comprends-tu avec le recul l’influence, l’impact qu’il a pu avoir sur toi ?

te manquer

Je ne m’habitue pas à cette absence, je la comble en évitant de penser qu’il n’est plus là. Je continue à l’écouter, à regarder des spectacles de lui. Et à écrire sur lui, à creuser l’histoire du personnage. J’ai l’impression qu’il me faudra du temps avant d’en avoir fait le tour, et c’est tant mieux. Car à mon âge je n’envisage pas une vie sans Johnny. Il m’a accompagné toute ma vie jusqu’ici, il continuera à le faire jusqu’au bout. Oui, il a été une sorte de grand frère, un modèle masculin, une certaine idée que je me faisais de la virilité (rires).

 

Tes projets pour la suite ?

Je viens de signer un contrat pour un nouveau livre avec L’Archipel, mais il est encore trop tôt pour en parler… J’espère pouvoir trouver encore des sujets à aborder, cela me paraît de plus en plus compliqué. Mais je dis ça depuis 15 ans que je suis publié… Il n’empêche que j’aimerais trouver une voie de repli, grâce à mes connaissances sur la chanson. L’appel est lancé.

 

Une émission, par exemple ?

Oui, par exemple. Ou autre chose. Je suis open.

 

Un dernier mot ?

Par les temps qui courent, je dirais : soyons solidaires et responsables !

 

Frédéric Quinonero p

  

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6 juin 2020

« L'artiste endormi », par Silvère Jarrosson

Le peintre Silvère Jarrosson, auteur en 2015 d’un autoportrait touchant et inspirant pour Paroles d’Actu, propose ici une tribune libre, un texte poétique dans lequel il livre un regard original sur la démarche de création : « L’artiste endormi ». Je l’en remercie et vous invite, que vous soyez amateurs d’art ou simples curieux, à venir découvrir son oeuvre. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« L’artiste endormi »

par Silvère Jarrosson, juin 2020

Dans les derniers chapitres du Roi des Aulnes, Michel Tournier décrit trois positions dans lesquelles dorment les enfants d’un internat : sur le dos, sur le ventre ou sur le côté. Les postures de ces enfants endormis sont décrites comme trois façons d’embrasser le sommeil. Elles apparaissent comme différentes conduites que l’on peut choisir d’adopter face à la vie. Les enfants s’endorment comme certains partent en voyage ou se mettent à peindre : comme une simple façon d’exister.

J’aime à penser que l’on peut être artiste comme un enfant endormi, dont les rêves mystérieux sont les œuvres. Beau dans l’existence, émerveillé et inconscient.

Première posture, latérale. En dormant sur le côté, l’enfant-artiste rejoint le foetus, se referme et rêve pour lui-même. Son art s’apparente alors à une recherche timide et personnelle. Il s’agit d’un art centripète, dont le nombril est le centre. Deuxième posture, sur le dos. Probablement plus confiant, l’enfant-artiste regarde le ciel, sans pudeur. Il rêve peut-être d’ascension. Un artiste mondain somme toute, et un art centrifuge, destiné aux autres. Troisième posture, sur le ventre. Dans cette position, l’enfant-artiste n’est ni vraiment en communion avec lui-même, ni tourné vers les autres. C’est à la terre qu’il se donne, vers elle qu’il se tourne. Face aux profondeurs, on devine que son œuvre pourrait en être le miroir. On a alors affaire à un artiste tellurique, tourné vers les entrailles du monde, avec lequel ses rêves résonnent.

Le ballet Les Sept danses grecques de Maurice Béjart s’ouvre d’ailleurs sur une séquence durant laquelle, avant de danser, les danseurs remercient eux aussi le sol qui les soutient, en l’effleurant. Dorment-ils également sur le ventre pour embrasser la terre ? Nul doute que la danse de Béjart est ancrée dans le sol, et tournée vers lui.

L’enfant-artiste et ses trois postures ensommeillées est une image qui m’intéresse, car elle peut nous permettre de comprendre et d’apprécier la peinture (et la danse). Elle m’a moi-même guidé dans mon cheminement artistique. Chacune de ces postures est une attitude que l'on peut adopter face au monde, et donc, par extension, face à une œuvre d’art. Elles m’ont appris à regarder mon travail, et à le juger. J’ai débuté mes premières années de peinture comme un enfant endormi sur le côté, pour moi-même et sans me soucier du regard extérieur. Replié en foetus et sûr de ma démarche picturale, je ne jugeais mes œuvres que d’un point de vue strictement personnel. « Cette œuvre est bonne car je la trouve bonne. » Point de vue auto-centré, toujours très tentant pour qui ne souhaite pas se soumettre aux aléas de la critique. Point de vue facile aussi, qui se cache derrière une certaine vision de la création artistique pour éviter d’avoir à se remettre en question.

Cette posture d’évitement m’est apparue insuffisante, et je me suis tourné vers le public, au gré de certaines expositions notamment. J’étais alors un enfant endormi sur le dos, tourné vers les gens et acceptant que mon travail soit jugé et accrédité par les autres. Reconnaissance sociale. « Cette œuvre est bonne car elle est considérée comme telle par les autres. » Posture plaisante puisqu’elle permet de se faire apprécier. Posture mercantile aussi, puisqu’elle revient à peindre ce que demande le public. Et donc posture insuffisante, puisque le public ne demandera jamais autre chose que ce qui existe déjà.

Il reste alors à adopter la troisième posture, celle de l’enfant dormant sur le ventre. Contact intime et réconfortant avec la réalité, stabilité apaisante de la joue plaquée contre le drap. Lorsqu’il dort sur le ventre, l’enfant-artiste prend appui sur la terre, comme un danseur au moment de s’élancer. L’œuvre n’a alors plus besoin de validation extérieure, car elle devient sa propre démonstration. Elle est juste dans ses fondements telluriques, donc elle est juste.

Le foetus cherche sa force en lui-même, le mondain croit la trouver chez les autres. L’enfant de la terre la puise dans le sol, comme un danseur de Béjart. Pour lui, peindre revient à prendre appui sur le monde, pour nouer avec lui une relation qui engendrera l’œuvre. Est-il encore besoin de valider son travail a posteriori ? L’enjeu artistique n’est plus là. On pensera ici à Vendredi se glissant entre les racines d’un arbre pour que la nature puisse enfanter de leur symbiose (dans Vendredi ou la vie sauvage, un autre texte de Tournier).

Je voudrais peindre comme un enfant endormi sur le ventre, être cet esprit guidé par ses rêves, dans un état second. La nature humaine parle à travers ces enfants artistes. Ils en sont la voix.

 

S

« Hommage à Antonin Artaud, performance de Silvère Jarrosson

à la Villa Medicis, juin 2019. Curateur : Cristiano Leone. »

 

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5 juin 2020

Isabelle Bournier : « 1944 : le D-Day, certes, mais n'oublions pas la bataille de Normandie ! »

Demain, 6 juin, sera commémoré, comme toutes les années depuis 1944, le débarquement des soldats alliés sur les plages de Normandie, épisode clé de la victoire contre l’Allemagne nazie sur le front occidental. 76 ans après, ce souvenir reste vif, comme la flamme qu’on maintient animée, et c’est heureux : le sacrifice de ces soldats, parfois venus de très loin pour secourir, et parfois inonder de leur sang une terre qu’ils ne connaissaient même pas, force le respect. Mais n’y a-t-il pas surreprésentation du « D-Day » dans la mémoire des batailles de la Seconde Guerre mondiale, telle que transmise par les médias, le cinéma, et même les officiels ? Qui songe, par exemple, à la bataille de Normandie, suite décisive du Débarquement, qui s’est tenue jusqu’à la fin août et a permis, enfin, daffermir les positions alliées en France ?

Invasion of Normandy

Petite expérience réalisée sur Google, quelques minutes avant d’avoir écrit cette intro. Le mot clé recherché : « Invasion of Normandy movies », l’idée étant de voir quels films de cinéma abordaient cet épisode de la guerre. Le constat saute aux yeux : le « D-Day » tire toute la couverture à lui (même si pas mal de ces oeuvres abordent aussi les jours ayant suivi le 6 juin). C’est en tout cas une des questions que j’ai abordées avec Isabelle Bournier, directrice culturelle et pédagogique au Mémorial de Caen, à quelques jours de commémorations qui se feront dans un contexte bien particulier, celui des restrictions liées à la crise sanitaire. Je la remercie chaleureusement pour ses réponses et sa bienveillance constante à mon égard, et m’associe sans réserve à l’hommage porté aux soldats porteurs de liberté retrouvée, et à tous les résistants de ces temps-là. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Isabelle Bournier: « 1944 : le D-Day, certes,

mais noublions pas la bataille de Normandie ! »

 

Isabelle Bournier bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Vous êtes directrice culturelle et pédagogique au Mémorial de Caen. Parlez-nous un peu de vous, de votre parcours ? L’Histoire, c’est une passion depuis longtemps, et comment cette passion est-elle née ?

l’Histoire et vous

Au risque de vous décevoir, non, l’Histoire n’est pas une passion qui remonterait à l’enfance, une passion qui m’aurait été transmise par un membre de ma famille. Je dirais que c’est l’immersion inconsciente et non-consentante dans une histoire familiale, durement marquée par la bataille de Normandie, ses drames mais aussi ses histoires cocasses, qui m’a menée à l’Histoire.

 

Vous vous tiendrez, avec les équipes du Mémorial de Caen, en première ligne pour commémorer, à partir du 6 juin, le débarquement, puis la bataille de Normandie, qui ont contribué de beaucoup à la libération de l’Europe en 1944... Comment les choses se sont-elles organisées, et comment vont-elles se dérouler cette année, en ce contexte exceptionnel de crise sanitaire ? J’imagine que cette fois, les vétérans, leurs familles, et les dignitaires attendus - notamment étrangers - ne pourront être au rendez-vous ?

une année particulière 

La Normandie a, sur son territoire, une trentaine de musée sur le Débarquement. Ils sont implantés sur les lieux mêmes où se sont déroulés les événements. Le Mémorial n’est pas un « Musée du Débarquement », c’est un musée qui ne se trouve pas sur la côte, mais à Caen. Son propos est différent. Même si le Débarquement et la bataille de Normandie y tiennent une place importante, son discours s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large, celui de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide.

Nous avons eu la chance – on peut se permettre de dire cela aujourd’hui – de pouvoir célébrer le 75e anniversaire du Débarquement l’année dernière et d’accueillir des vétérans et leurs familles. Cette année sera très différente et même si les commémorations doivent se tenir en comité restreint, elles auront lieu. Le Mémorial, pour sa part, diffusera sur les réseaux sociaux un concert donné sur un des pianos Steinway qui a débarqué. Pour les cérémonies officielles, il est annoncé une cérémonie internationale à Omaha Beach dans laquelle les pays seront représentés par leurs ambassadeurs. Effectivement, ce format réduit est une première depuis très longtemps !

 

Question un peu poil à gratter, mais allons-y et évacuons-la maintenant : il est beaucoup question, année après année, lorsque l’on évoque la Seconde Guerre mondiale, du débarquement en Normandie. Entendons-nous : l’événement a été énorme et décisif, mais n’est-il pas sur-représenté dans l’imaginaire de tous, comme s’il écrasait tout par rapport à des faits comme, justement, la bataille de Normandie qui a suivi, les débarquements en Afrique du nord et en Provence, pour ne rien dire du front de l’est ? Les Américains, y compris via la puissance de leur culture (je pense au cinéma), n’ont pas un peu trop tiré la couverture vers eux (même si, encore une fois les mérites des vétérans ne sont pas contestables) ?

le D-Day et les Américains

C’est tout à fait exact. Le 6 juin 1944 capte toute l’attention depuis 75 ans. La mémoire américaine de l’événement - on pense au cinéma, aux cimetières militaires et aux photos très largement diffusées – a contribué à faire du 6 juin un épisode héroïque de la Seconde Guerre mondiale. La recherche historique, le Mémorial de Caen et les instances du tourisme œuvrent depuis plusieurs années à faire connaître la bataille de Normandie qui a duré presque 100 jours et à expliquer son enjeu. Sans oublier les 20 000 morts civils qui ont payé cher cette victoire ! Mais le mythe du 6 juin comme clé de la Libération est une image tenace !

Le 6 juin 1944 décisif ? Oui et non. Oui, parce que réussir à faire débarquer 150 000 hommes sur des plages était un pari fou et non, parce que les jours décisifs sont ceux qui ont immédiatement suivis le 6 juin. La consolidation des têtes de pont et l’arrivée de renforts étaient indispensables au maintien des troupes alliées sur le sol normand. Une puissante contre-attaque allemande aurait pu tout compromettre.

 

Comment les Allemands, et je pense notamment aux jeunes générations, perçoivent-ils ces commémorations ? L’évolution au fil des décennies a-t-elle été notable sur ce point, et la mémoire des déchirements passés peut-elle contribuer à renforcer les liens présents et futurs ?

côté allemand

C’est une question intéressante. Au Mémorial, les visiteurs allemands représentent environ 5% des visiteurs étrangers. Ce chiffre est stable depuis des années. Le 6 juin 2004, pour la première fois depuis la fin de la guerre, un chancelier allemand a été officiellement invité aux commémorations. En fin de journée, le président Chirac et le chancelier Schroeder se sont retrouvés à Caen, sur l’esplanade du Mémorial. Le discours prononcé par Gerhard Schröder dans lequel il affirme que « les Allemands ne se déroberont pas à la leçon du passé » et l’accolade avec Jacques Chirac sont restés dans les mémoires comme un moment d’intense émotion à forte portée symbolique.

 

Quelle place cette mémoire si particulière occupe-t-elle auprès des habitants de la région de Caen, et notamment, une fois de plus, auprès des plus jeunes, des écoliers ?

les nouvelles générations

Au-delà du débarquement et de la bataille de Normandie qui a suivi, l’été 1944 peut aussi être raconté à hauteur d’hommes et de femmes. On peut dire qu’il n’est pas une famille qui n’ait subi les bombardements massifs des Alliés, les représailles de l’occupant, l’exode, la séparation, la peur, la souffrance, la mort… Chaque famille a une histoire à raconter. Au plus fort de la bataille, il y avait 2 millions de soldats alliés pour un million de Normands ! Autant dire que les récits ne manquent pas de rencontres pittoresques, de méfiance et de liens d’amitiés qui se sont créée entre les Normands et les GI. Mais la mémoire des Normands n’a, jusqu’à une période assez récente, pas pu s’exprimer complètement. Comment dire que les villes, les maisons, les familles ont été bombardées par les Alliés ? Là encore, il a fallu un anniversaire du 6 juin pour donner la parole aux civils et reconnaître le drame des villes détruites. Le temps qui passe éloigne la jeunesse de l’événement mais un récent sondage auprès de la population normande a révélé que, même si elle déclare ne pas vraiment s’intéresser au débarquement, il fait partie de leur histoire. On ne peut y échapper que ce soit sur la côte avec les restes (très visibles) du Mur de l’Atlantique ou dans les villes reconstruites. L’empreinte de la bataille de Normandie est particulièrement forte dans le paysage urbain.

 

Vous avez, dans le cadre de votre mission, eu le privilège de rencontrer bon nombre de vétérans, ces héros souvent humbles et taiseux qui ont contribué pour beaucoup à notre condition actuelle de citoyens libres. Combien sont-ils aujourd’hui, de ceux des opérations en Normandie, à être encore en vie ? Et si vous le pouvez, racontez-nous en quelques mots l’histoire d’un d’entre eux, disparu ou toujours là, et qui vous aurait particulièrement marquée ?

récits de vétérans

Effectivement, les vétérans ont toujours été présents aux commémorations du 6 juin mais ils sont, malheureusement, de moins en moins nombreux. La très grande majorité d’entre eux venaient des États-Unis, du Canada et de Grande-Bretagne. C’était un long voyage. Certains revenaient tous les ans, d’autres ont attendu d’être très âgés pour accomplir ce « pèlerinage ». Pendant la semaine qui précède les commémorations – qui commencent le 6 juin et se poursuivent au-delà – on les croise encore dans les musées, sur les sites, dans les communes qui ne manquent jamais d’honorer leur présence. De mon point de vue, c’est un moment irremplaçable. Si parmi eux, il y a quelques authentiques héros, la plupart étaient des soldats, des témoins. Venus d’abord en couple, puis accompagnés de leurs enfants et de leurs petits-enfants, ils sont là pour partager, pour transmettre, pour se recueillir et pour profiter de l’accueil chaleureux qui leur est accordé. Je pense à Bernard Dargols, un Français engagé dans l’armée américaine qui nous a raconté son parcours étonnant et ses retrouvailles émouvantes avec la terre de France, et n’a jamais cessé de revenir à Omaha Beach jusqu’à la fin de sa vie.

 

Bernard Dargols

M. Bernard Darcols (1920-2019).

 

Dans quelques années, malheureusement, il n’y aura plus de témoins directs de ces événements, et nous n’aurons plus pour nous en souvenir, et alimenter la conscience collective, que les témoignages et documents recueillis. Que fait le Mémorial de Caen sur ce front de la conservation de la mémoire ? Et que faudrait-il faire, tous ensemble, auprès de ces gens pendant qu’ils sont encore là ?

la mémoire des disparus

Le Mémorial a un service d’archives riche en documents, en photos et en témoignages. Après avoir récolté, dès son ouverture, des récits de vétérans et de résistants normands, le Mémorial a lancé des collectes de témoignages de civils dont la parole s’est libérée tardivement. Aujourd’hui, il nous reste à poursuivre l’enregistrement de ceux et celles qui étaient enfants et en âge de se souvenir. Plusieurs programmes de recherche montés avec l’université de Caen ont permis ce travail parmi lesquels EGO (Écrits de Guerre de d’Occupation), qui fait l’inventaire des écrits publiés.

 

Est-ce qu’on enseigne et transmet l’Histoire de manière satisfaisante aujourd’hui, à vos yeux ? Les programmes sélectionnés sont-ils tous pertinents, et les outils pédagogiques employés, efficaces ?

l’Histoire et la jeunesse

N’étant pas enseignante, je ne me prononcerai pas sur les programmes d’histoire. Pour ce qui est des activités pédagogiques proposées par les sites historiques et par les musées, il y a encore beaucoup à faire mais il est certain que travailler l’Histoire et les questions de mémoire dans le cadre d’un musée permet des approches originales. L’objet historique et l’archive apportent une dimension concrète à l’Histoire, et les élèves ne s’y trompent pas. Certains témoins ont aussi beaucoup transmis dans les classes. Ils ont apporté une multitude de détails sur leur quotidien, qui là encore captivent les élèves. La bande dessinée, le roman jeunesse ou le dessin animé, constituent eux de très bons supports d’apprentissage pour les enfants, à la seule condition qu’ils soient rigoureux historiquement, qu’ils ne confondent pas Histoire et mémoire et soient suffisamment nuancés pour ne pas transmettre une image caricaturale de la période et de ses acteurs.

 

Un dernier mot ?

Je pense avoir été trop bavarde ! Je vais m’arrêter là mais je suis curieuse de savoir comment la mémoire du Débarquement évoluera dans les décennies à venir. Que racontera-t-on du D-Day dans cinquante ans ?

 

Isabelle Bournier 2020

Isabelle Bournier est directrice culturelle et pédagogique au Mémorial de Caen.

  

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2 juin 2020

« La parole publique au défi du Covid », par Pierre-Yves Le Borgn'

Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger (entre 2012 et 2017), est bien connu des lecteurs réguliers de Paroles d’Actu. Il a été, depuis notre première interview de 2013, la personnalité politique que j’ai le plus souvent interrogée, toujours avec plaisir, pour ce site. Il y a quelques semaines, dans un contexte de fin de confinement, j’ai souhaité lui accorder, une fois de plus, une tribune libre pour évoquer, via l’angle de son choix, l’exceptionnelle expérience vécue collectivement. Son texte, dont je le remercie, est un focus pertinent sur l’importance et l’impact de la parole publique en ces temps troublés, et un message, un appel directement adressés à nos dirigeants. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« La parole publique au défi du Covid »

par Pierre-Yves Le Borgn, le 1er juin 2020

En ces premiers jours du mois de juin, la France sort pas à pas du confinement imposé durant près de deux mois en réponse à la pire pandémie qu’elle ait connu en un siècle. Les nouvelles communiquées par le Premier ministre Édouard Philippe il y a quelques jours sont encourageantes. Rien n’est certes encore gagné, mais la pandémie recule. Il n’en reste pas moins qu’une redoutable crise économique et sociale nous attend, dont la portée et l’ampleur seront malheureusement inédites. À la fin de cette année maudite, ce seront sans doute plus d’un million de Français supplémentaires qui auront rejoint les chiffres des demandeurs d’emploi. Pareille perspective est une bombe à retardement, une catastrophe pour la société française, déjà minée par nombre de fractures sociales, territoriales et générationnelles révélées par la crise des gilets jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites et le drame sanitaire du printemps.

« On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale

qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide. »

Derrière cela, il y a un pessimisme, un marasme, une défiance, une crise morale qui viennent de loin. Deux livres, chacun à leur manière, le présentaient remarquablement il y 4 ou 5 ans : Comprendre le malheur français, de Marcel Gauchet, et Plus rien à faire, plus rien à foutre, de Brice Teinturier. Leur lucidité d’analyse m’avait impressionné. Ainsi, le diagnostic avait quelque part déjà été fait. En a-t-on seulement tenu compte ? Là est la question, à laquelle il faut lucidement reconnaître qu’une réponse insuffisante a été apportée. La peur du déclassement travaille pourtant la société française depuis longtemps et elle progresse de jour en jour. Notre société est l’une des plus pessimistes, si ce n’est la plus pessimiste d’Europe. Des moments difficiles, beaucoup de pays en ont traversé. Ils ont su pourtant se redresser, chacun à leur manière. Et nous ? On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide.

Dans ce contexte, la parole publique est essentielle. Elle doit avoir du crédit, de la force. Malheureusement, la polémique sur les masques l’a mise à mal. La défiance se nourrit de petits arrangements coupables et ravageurs avec la vérité. Il n’y avait pas suffisamment de masques. Pourquoi le gouvernement ne l’a-t-il pas dit, plutôt que de laisser entendre que les masques ne servaient à rien avant, poussé par la réalité, de devoir se raviser ? Autre erreur : annoncer un samedi soir la mise à l’arrêt de toute l’économie française et le confinement de 66 millions de personnes tout en leur demandant d’aller voter le lendemain pour les élections municipales. L’incohérence était flagrante. Les Français ont eu le sentiment d’être infantilisés, méprisés, qu’on leur mentait ou qu’on leur cachait quelque chose. Le complotisme y a trouvé matière à prospérer. Et derrière la perte de sens de la parole publique, c’est toute l’efficacité de l’action publique qui est affectée.

Il faut trouver le mot et le ton justes. Il faut pouvoir écouter, expliquer et justifier. De ce point de vue, ce quinquennat, comme les précédents, n’a pas à ce jour répondu aux attentes. À deux ans de son terme, le pourra-t-il ? L’optimisme farouche d’Emmanuel Macron, sa détermination à faire bouger les lignes et mettre en mouvement l’économie et la société ont été desservi par une pratique excessivement verticale, distante et centralisée du pouvoir. Le Président est en surplomb des Français, là où il devrait être avec eux et parmi eux. Jamais le sens des réformes n’a été suffisamment présenté, comme si cela n’avait pas été jugé nécessaire. C’est une erreur profonde. Aucune réforme n’est efficace ni durable sans appropriation par tout ou partie des Français. La parole publique souffre d’être tour à tour rude, vague, lointaine ou lyrique. La question n’est pas de parler fort, trop ou trop peu, elle est de parler juste et de parler vrai.

« Il faut trouver une expression et un ton

qui fédèrent derrière l’immensité des efforts

à accomplir et la direction à prendre. »

La France est un pays que l’on doit sentir. Je suis convaincu que les Français peuvent entendre la réalité, même si elle est dure, pour peu que l’on mêle à l’exercice de la parole publique la sobriété, le souci didactique, la simplicité de l’échange et la volonté de rassurer par l’exercice de la vérité. C’est ce que le Premier ministre Édouard Philippe est parvenu à faire ces dernières semaines et cet engagement doit inspirer. C’est ce qui fait en Allemagne depuis des années la force de la Chancelière Angela Merkel. On ne sortira pas notre pays de la crise sans l’adhésion d’une majorité de Français. Il faut pour cela trouver une expression et un ton qui fédèrent derrière l’immensité des efforts à accomplir et la direction à prendre. Le défi, c’est la capacité de la France de se réinventer, de reprendre une marche en avant émancipatrice pour chacun, solidaire et créatrice de sens pour tous. Beaucoup se joue maintenant et pour longtemps. Plus que jamais, l’unité de la parole publique doit y contribuer.

 

PYLB

Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député des Français de l’étranger (2012-2017).

 

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30 mai 2020

Renaud Benier-Rollet : « En matière de sciences, la croyance n'a pas sa place. Seul le savoir importe. »

Un mois après l’interview avec Nans Florens, son acolyte de la chaîne de vulgarisation médicale Doc’n’roll (que je vous invite à aller voir !), je vous propose aujourd’hui la retranscription de mon échange avec Renaud Benier-Rollet, infirmier libéral. De par sa profession, dont il est finalement rarement question dans l’actu médicale, il est en première ligne lorsqu’il s’agit de rassurer, voire de prendre en charge ses patients, souvent âgés et donc à risque. De la séquence Covid-19, il retient une note d’optimisme par rapport au sursaut que la situation ne manquera pas de susciter ; surtout, il s’attache, comme Nans Florens, à appeler chacun à remettre toujours en question, via l’esprit critique, les infos reçues, et ses certitudes en général. Merci à lui pour ses réponses et sa bienveillance. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Renaud Benier-Rollet: « En matière de sciences,

la croyance n’a pas sa place. Seul le savoir importe. »

Renaud Benier-Rollet

 

Renaud Benier-Rollet bonjour, et merci d’avoir accepté mon invitation à vous exprimer sur Paroles d’Actu. On parle beaucoup (et toujours pas assez) des infirmier-ère-s en hôpital en ce moment, très peu des libéraux, dont vous êtes. Comment représenter la place qui est la vôtre dans le dispositif général de soins, et pourquoi avoir choisi, d’infirmier hospitalier, la voie du libéral ?

Bonjour et merci de votre invitation.

Les infirmier(e)s libéraux sont un maillon très important de la chaîne de continuité des soins en France. Nous jouons un rôle central dans le maillage sanitaire et social du territoire. Outre les soins infirmiers à proprement parler, nous contribuons très fortement à la coordination des soins et au suivi des patients. Nous faisons quotidiennement le lien entre les médecins traitants, les services hospitaliers, les autres professionnels paramédicaux, et nos patients et leurs familles. 

Bien que nous représentions entre 15% et 20% des infirmiers, il est tout à fait vrai qu’on ne parle que très peu de notre profession, certainement parce qu’elle est mal connue et moins emblématique que celle des soignants hospitaliers. On peut dire que nous sommes invisibles à quiconque n’ayant jamais eu besoin de nos services pour lui ou pour un de ses proches. 

J’ai rejoint cette voie un peu par hasard à vrai dire, après plusieurs années à travailler au service d’accueil des Urgences du CHU de Besançon, et j’en suis très satisfait. Il s’agit d’un métier différent, passionnant à plusieurs égards et j’y ai surtout trouvé la reconnaissance des patients, qui manquait cruellement à l’époque de l’hôpital - je ressentais très peu de reconnaissance de leur part et de celle des familles, comme de la part de la direction de l’hôpital d’ailleurs... À domicile, j’ai pour habitude de dire qu’on m’a plus dit « Merci » lors de ma première journée de remplacement qu’en cinq années aux Urgences...

 

Finalement, par les temps qui courent, vous êtes en première ligne, y compris pour voir, à domicile, les angles morts qui ne rentreront pas dans les stats. Comment vivez-vous, dans votre métier, et notamment auprès de vos patients, cette crise du Covid-19 depuis son commencement ?

Je la vis plutôt bien. Au début de l’année, j’avoue avoir été trop optimiste (mea culpa), comme beaucoup de gens, n’imaginant pas l’ampleur que cette crise sanitaire prendrait. Au fur et à mesure des événements, nous nous sommes organisés pour répondre de manière efficace aux modalités de prise en charge spécifiques qu’imposait la présence du Sars-CoV2 sur le terrain.

Nos patients sont en majorité des personnes âgées, donc plus à risque que la population générale. Notre rôle a surtout été de les informer et de leur expliquer l’importance du confinement et des nouvelles précautions qu’ils devaient prendre.

 

« Ma plus grande crainte a été d’être moi-même vecteur

du virus, et de contaminer mes propres patients. »

 

Au final, tout se passe plutôt bien, les consignes sont plutôt bien acceptées et respectées. La plus grande crainte que j’avais était donc d’être moi-même vecteur du virus et de contaminer mes propres patients, vu que je les côtoie de très près tous les jours.

 

On parle beaucoup à l’heure actuelle de la rémunération des infirmier-ère-s (en hôpital et en libéral, vous connaissez bien les deux casquettes on l’a rappelé), pas à la hauteur par rapport au travail fourni et à l’utilité sociale. Votre sentiment sur la question ?

La question de la rémunération est tout à fait justifiée. Je comprends tout à fait les revendications de mes collègues, principalement hospitaliers.

Personnellement, je suis satisfait de mon salaire mais il est vrai qu’on nous demande d’effectuer de plus en plus de tâches et de travail administratif, sans pour autant les rémunérer. Après, je pense que on ne fait pas le métier de soignant pour le salaire à la fin du mois, c’est avant tout une vocation. Ça peut paraître un peu « bateau » dit comme ça, mais c’est une réalité d’après moi.

 

Quel regard posez-vous, comme professionnel de santé, et aussi comme citoyen éclairé, sur la manière dont le déconfinement est en train de s’opérer ? Est-ce que, du côté des pouvoirs publics (les décisions prises et leur calendrier), et s’agissant descomportements de nos concitoyens, globalement vous vous sentez plutôt optimiste ou pessimiste quant à la suite des événements ?

À vrai dire, il est difficile, depuis le départ, de prévoir comment va se dérouler cette crise sanitaire. Je pense que toutes les personnes qui disent savoir ce qu’il aurait fallu ou ce qu’il faudrait faire sont beaucoup trop confiantes. Dans les faits, l’évolution est totalement inconnue de tous. Les décisions ne doivent donc pas être faciles à prendre. Beaucoup de facteurs entrent en jeu, et pas seulement sanitaires. Je ne suis pas spécialiste en gestion de pandémie donc je me garderais bien d’émettre un jugement définitif.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, les comportements de nos concitoyens sont de manière générale plutôt responsables, je m’en remets donc à ma nature optimiste : on en sortira un jour, même si je pense que cela va changer durablement notre façon d’interagir les uns avec les autres.

D’après moi, il ne faut pas voir cette crise comme une parenthèse dans nos vies mais plutôt comme une nouvelle phase, avec ses nouvelles règles. On ne reviendra pas à la vie d’avant, en tout cas pas dans les prochains mois voire, les prochaines années.

 

Êtes-vous de ceux qui, à titre perso et à titre collectif, ont vu dans le confinement des vertus ? Croyez-vous qu’il y aura véritablement un monde d’après, plus soucieux des autres (notamment nos aînés) et de la nature, plus responsable et plus vertueux ?

Personnellement, je n’ai pas vraiment eu l’impression de vivre un confinement. J’ai continué à travailler au même rythme et donc à sortir de chez moi, et à avoir des relations sociales avec mes patients au quotidien. Il m’est du coup difficile d’imaginer à quoi peut ressembler un isolement total pendant plusieurs semaines.

Concernant « le monde d’après », j’aimerais bien sûr voir plus d’entraide et de solidarité entre les gens, et plus de conscience écologique chez chacun, mais les habitudes de consommation de notre société ont la dent dure. C’est à chacun d’y réfléchir, mais j’imagine que beaucoup de monde s’est rendu compte qu’on pouvait moins prendre sa voiture, regrouper ses sorties, éviter les centres commerciaux le week-end et moins consommer d’une manière générale.

 

Vous participez, avec Nans Florens que j’ai eu le plaisir d’interroger ici il y a quelques jours, à la nouvelle chaîne YouTube de vulgarisation médicale Doc’n’Roll. La place que tiennent les débats tronqués et la désinformation, sur les réseaux sociaux notamment, vous inquiète-t-elle aujourd’hui ?

C’est en effet un gros sujet d’inquiétude pour moi. La présence de fausses informations et de contenus complotistes ou conspirationnistes sur les réseaux sociaux n’a fait qu’empirer durant cette crise. Je trouve ça catastrophique.

Il est vrai qu’il est désormais très difficile de savoir à qui se fier, et du coup, on assiste à une grosse crise de confiance du public vis-à-vis de l’information en général. C’est tout à fait compréhensible d’ailleurs.

Je me passionne depuis quelques années pour l’esprit critique et la zététique (l’art du doute, ndlr), et cela m’a aidé à prendre conscience de tous les biais auxquels j’étais soumis, notamment le biais de confirmation (un biais cognitif consistant à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues, ndlr), qui est un véritable fléau. Je me suis beaucoup remis en question, j’ai changé d’avis sur de nombreux sujets et j’appréhende désormais très différemment les informations que je reçois.

 

« L’information, ce n’est pas un travail qui doit être fait

au rythme des réseaux sociaux, c’est un travail de fond. »

 

À titre personnel, j’ai arrêté toute source d’information en continu. L’information, ce n’est pas un travail qui doit être fait au rythme des réseaux sociaux, c’est un travail de fond. Ensuite, j’essaie de vérifier toutes les informations que je lis, je m’intéresse aux sources, je recoupe les témoignages, je lis différents médias sur le même sujet. Cela prend énormément de temps, mais c’est pour moi la seule façon de faire qui soit.

Avec Nans, l’idée d’une chaîne YouTube de vulgarisation nous trottait dans la tête depuis longtemps et cette crise du CoViD-19 a été le déclic. Le but est d’apporter des informations précises et sourcées au gens sur des sujets qui peuvent les questionner ou les intéresser.

 

Dans ce contexte, que vous inspire la discussion, passionnée bien au-delà du rationnel, sur l’hydroxychloroquine ?

Cela révèle, d’après moi, que le niveau scientifique général est plutôt bas en France, et qu’à défaut de savoir comment appréhender une information scientifique, beaucoup de personnes vont se fier à leur impression et à leur ressenti pour choisir ce qu’elles vont croire. Mais l’erreur est qu’en matière de sciences, la croyance n’a pas sa place. C’est le savoir qui importe.

Ce débat est donc un immense constat d’échec. On a d’un côté un professeur qui profite du manque de connaissance scientifique du public pour se faire mousser, et de l’autre des scientifiques qui s’offusquent mais qui sont inaudibles, car très peu pédagogues. D’où l’importance de la vulgarisation.

D’ailleurs, et c’est un scoop, une vidéo sur ce sujet sortira bientôt sur Doc’n’roll ! ;)

 

Quelque chose à ajouter ?

Quelques recommandations peut-être, pour les personnes qui s’intéresseraient à ce sujet passionnant qu’est l’esprit critique : la chaîne Hygiène Mentale sur YouTube est parfaite pour commencer à réfléchir sur la manière dont on pense, tout comme la chaîne de Mr. SamEt rejoignez-nous sur Doc’n’roll évidemment... :)

Et merci encore de votre invitation.

  

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27 mai 2020

Romain Mouchel : « Cette crise du Covid-19 aura été pour tous une belle leçon d'humilité »

Les jours se suivent, et la pandémie de Covid-19 semble, heureusement, être contenue dans de vastes territoires. Ce nouvel article, pour lequel j’ai choisi de donner à nouveau la parole à un soignant (pris au sens le plus large du terme, lire l’interview), me met en joie car il permet à la fois d’évoquer cette situation, sur un ton moins pessimiste que les premiers temps, et également de faire un « clin d’oeil » au premier médecin que j’ai interrogé pour ce blog, le Pr. Carole Burillon (mai 2017). Comme elle, mon invité du jour a fait de l’oeil sa spécialité, et comme elle, il est basé à Lyon. Je salue Romain Mouchel, chef de clinique spécialiste de la greffe de cornée, et le remercie pour ses réponses, intéressantes et inspirantes : notons que, comme d’autres médecins avant lui, il n’oublie pas de rendre hommage à tous ceux qui forment, dans le domaine du soin, les maillons indispensables d’une chaîne. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Romain Mouchel: « Cette crise du Covid-19

aura été pour tous une belle leçon d'humilité. »

 

Romain Mouchel bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Parlez-nous un peu de votre parcours : pourquoi la médecine ? et pourquoi l’ophtalmologie ?

Bonjour, tout d’abord merci de m’avoir proposé cet interview. J’ai choisi médecine par passion, par envie. Vers l’âge de 10 ans, après avoir rêvé de devenir boulanger, j’ai rapidement été fasciné par le métier de chirurgien, et c’est en ce sens que j’ai débuté mes études supérieures par le concours PCEM1 (PACES aujourd’hui) en 2006/2007. Dès mon premier cours à la faculté - anatomie de l’os coxal -, j’ai su que j’avais choisi la bonne voie. Ensuite ma passion pour l’ophtalmologie, je ne sais pas exactement comment elle est venue. Famille de myopes du côté de ma mère, je vais tous les ans chez l’ophtalmologiste depuis l’âge de 6 ans. Alors quand on m’a demandé, plus jeune, « Chirurgien oui, mais de quoi ? », je répondais « Des yeux ! » sans vraiment savoir à quoi ça correspondait. En 2012, j’ai effectué mon stage de 5ième année dans le service d’ophtalmologie du Pr Muraine, à Rouen, et j’ai vraiment été fasciné par cette spécialité. Sans le savoir, j’allais prendre quelques années plus tard la même surspécialisation que le Pr Muraine, la cornée !

 

Dans quelle mesure votre activité première - le soin ophtalmologique donc - a-t-elle été, à Lyon, impactée, pour ne pas dire perturbée, par la crise du COVID-19 ? Tous les patients à traiter ont-ils pu être pris en charge, et ne craignez-vous pas que, par peur du virus ou par crainte même de déranger, certains soins ou examens importants aient pu être remis à plus tard par les patients ?

Du jour au lendemain, nous avons dû annuler tous nos blocs opératoires programmés (c’est-à-dire « non urgents à court terme »), et annuler toutes nos consultations, sauf urgence. La définition de l’urgence est très subjective et personnelle, il a donc été difficile pour certains patients de comprendre qu’ils ne relevaient pas de l’« urgence ». En deux semaines, c’est plus de 2500 consultations, et entre 100 et 150 chirurgies qui ont du être annulées dans notre service. Cependant, nous, nous étions là et par chance, peu touchés par le virus. Les urgences ophtalmologiques ont connu une baisse historique de leur fréquentation, et cela nous a permis de répondre présents pour les principales urgences ophtalmologiques.

« Un patient sur deux ayant une pathologie chronique

ne venait pas à son rendez-vous en ophtalmologie

durant la période de confinement... »

Il faut reconnaître que les Hospices Civils de Lyon ont mis rapidement en place une réorganisation de l’hôpital qui, associé au confinement et aux mesures barrières, a permis d’éviter le pire dans notre ville. Je pense donc que oui, nous avons pu prendre en charge les urgences même pendant cette période, mais que malheureusement certains patients n’ont pas consulté par peur du virus, et de la psychose générale générée par la médiatisation du virus. Il a fallu plus de trois semaines avant que le gouvernement annonce que les patients présentant une pathologie chronique devaient continuer leur suivi, cela même pendant le confinement, mais malgré tout, environ 50% des patients ne venaient pas à leur rendez-vous.

 

Vous m’avez confié, pour préparer cet entretien, avoir été bénévole à la régulation du SAMU durant quelques semaines critiques alors que la peur s’installait chez nos concitoyens, aussi sûrement que la pandémie. Que retiendrez-vous de cette expérience ?

Une expérience assez unique, que j’aurais bien sur préféré ne jamais connaître, mais qui aura un impact sur ma vie professionnelle. En effet, j’ai pris place dès la première semaine de confinement dans la cellule "COVID" du SAMU 69. Il s’agit d’une cellule de crise où nous (médecins, chirurgiens de toutes spécialités) avons géré les patients appelant le SAMU pour une suspicion de COVID-19 et ne présentant pas de signe de gravité immédiate (détresse respiratoire aigüe).

Le plus souvent, il s’agissait surtout de rassurer, et d’orienter les patients. En médecine de ville, des maisons médicales se sont spécialisées COVID-19 pour recevoir des patients suspects dans les conditions sanitaires nécessaires afin d’assurer la sécurité des patients, et des soignants. Pour la majorité des patients atteints, le COVID se manifeste par une grippe, assez sévère, qui se résout spontanément en 7 à 14 jours. Certains patients ont eu des symptômes atypiques (comme l’agnosie, les troubles digestifs ou des atteintes cutanées) et enfin d’autres ont eu des symptômes pendant plusieurs jours (15, parfois 20 jours de fièvre intermittente).

« Une expérience enrichissante, mettant en lumière le travail

de l’ombre de l’ensemble du personnel du SAMU... »

Le plus difficile était surtout de juger d’une « difficulté respiratoire » au téléphone, celle qui signe l’atteinte pulmonaire sévère pouvant nécessiter une prise en charge hospitalière (jusqu’au syndrome de détresse respiratoire aigu, nécessitant un passage en réanimation). Nous avions différentes stratégies, et surtout un médecin régulateur du SAMU, entraîné, toujours disponible pour nous aider. Enfin, il a fallu sortir, pour ma part, de l’ophtalmologie et revenir à une médecine plus générale pour maîtriser les différents symptômes et traiter, à distance, les patients. J’en retiens une expérience enrichissante, mettant en lumière le travail de l’ombre de l’ensemble du personnel du SAMU qui gère, par téléphone, toute l’année, des appels de personnes malades et inquiètes. La proximité avec la détresse de certains patients très isolés, ou stressés était également un paramètre difficile à appréhender et avec lequel il a fallu se familiariser.

 

R

 

Quel regard portez-vous justement sur cette séquence « COVID-19 », malheureusement pas achevée, qui aura mobilisé comme rarement nos soignants et structures de santé, et sans doute, marqué pour longtemps bon nombre de gens ? Quelles leçons en tirez-vous, comme soignant, et comme citoyen ?

« Nous avons vu certains de nos jeunes collègues

soutenir leur thèse de docteur en médecine, moment

unique et solennel, derrière leur ordinateur. »

Tout d’abord, une belle leçon d’humilité. Lorsqu’on vit dans un pays industrialisé, riche et développé, notre confort de vie nous rend exigeants, et dépendants. Nous sommes dépendants de pouvoir demander, et avoir tout ce que l’on désire dans un délai court. Du jour au lendemain, notre routine a été stoppée brutalement. Vous vous réveillez un matin, et vous ne pouvez plus sortir de chez vous sans remplir une feuille préalablement imprimée ou recopiée, avec votre carte d’identité et une petite crainte de devoir vous justifier d’être en dehors de votre domicile. Il a fallu redécouvrir les plaisirs simples de la vie, pour passer le temps : cuisiner, lire, écrire, jouer de la musique. Il a fallu apprendre à travailler à domicile, télécharger des nouvelles applications (Zoom, Webex et autres) pour pouvoir communiquer avec ses collègues, ses amis ou sa famille. En médecine par exemple, nous avons vu certains de nos jeunes collègues soutenir leur thèse de docteur en médecine, un moment unique et solennel dans la vie d’un médecin, derrière leur ordinateur avec un petit carré pour le jury, un autre pour la famille, très loin des grands amphithéâtres de la faculté.

En temps que soignant, je retiendrai de cette expérience que nous avons vocation à soigner, et qu’il sera toujours de notre devoir de répondre présents, pour aider nos patients et ne pas hésiter à changer son quotidien pour s’adapter aux besoins. C’est le fameux plan blanc, qui est mis en place depuis le début de la pandémie.

En temps que citoyen, j’en retiendrai que, quelles que soient nos convictions politiques, nos convictions personnelles, nous vivons dans un pays démocratique, avec des valeurs républicaines, des droits et des devoirs, et que nous devons les respecter. Certes nous pouvons être en désaccord avec le gouvernement, ou juger qu’il y a eu des insuffisances, mais en tant que citoyens notre devoir, à court terme, est de respecter la loi. Alors c’est naturellement qu’en dehors de mes sorties pour me rendre à l’hôpital, j’ai respecté comme tout le monde le confinement et j’ai passé de longues heures dans mon appartement à regarder le beau temps, et mon vélo, sans pouvoir associer les deux le temps d’une balade.

 

Diriez-vous, collectivement, et peut-être sur un plan plus personnel, que ce confinement subi a eu quelque chose de vertueux ? Et êtes-vous de ceux qui croient en un « monde d’après » plus solidaire et plus responsable (je pense notamment au respect de notre planète) ?

Bien sur que ce confinement a quelque chose de vertueux. Déjà de par sa rareté, pourrons-nous un jour revivre une telle période dans notre vie ? Je ne l’espère pas, mais vu l’impact qu’aura eu cette période sur l’économie française, européenne et mondiale, il est peu probable que les grandes nations du monde puissent prendre le risque de ne pas faire le nécessaire pour l’éviter. De multiples simulations vont être réalisées pour que les pays s’équipent et se préparent à une telle pandémie afin de pouvoir mieux l’affronter (protection individuelle, collective, réorganisation du système de soin).

Quel plaisir de revoir vivre notre planète : des animaux dans les villes, dans les parcs, les oiseaux qui chantent, le ciel qui se dégage et libère des paysages magnifiques. La planète n’a jamais autant respiré qu’au cours du mois d’avril 2020. J’espère, sincèrement, que la majorité de la population prendra conscience de l’importance de cette planète, des ressources limitées et de l’importance de la respecter.

« J’ai envie de croire à un monde d’après, mais

il sera progressif et passera aussi par un gouvernement

qui devra faire les bons choix et montrer l’exemple. »

Oui j’ai envie de croire à un monde d’après, mais il sera progressif et il passera aussi par un gouvernement qui devra faire les bons choix et montrer l’exemple : favoriser et valoriser le « made in France », réduire les usines polluantes, encourager la production en France et en Europe, et retrouver les valeurs d’autosuffisance. Nous ne devons plus dépendre d’un pays exportateur pour subvenir à nos besoins, car lorsque ce pays bloque ses exportations, la France se retrouve sans rien (voir : les masques et la Chine). À titre personnel, je me sensibilise depuis plusieurs années à l’écologie. J’essaie de diminuer drastiquement ma consommation plastique, je trie mes déchets et je cours français (Coureur du dimanche fabrique en France des vêtements de sport en recyclant des bouteilles en plastique).

 

Il est beaucoup question, en ce moment, du statut des soignants, et des insuffisances à la fois de la reconnaissance dont ils jouissent, et de leur rémunération, au regard de leur utilité sociale. Que vous inspire ce débat, où s’entrechoquent dignité du travailleur et rareté des fonds publics, et que faudrait-il faire à votre avis en la matière ?

Nous avons pu voir beaucoup de solidarité envers ceux qui ont continué à travailler : services publics, soignants, artisans, commerce de proximité, livreurs et tous les autres que j’oublie et qui ont fait tourner le pays pour apporter les besoins de premières nécessités aux français.

« Cessons d’opposer soignants et médecins : le corps

médical ne forme qu’un et chaque pièce

est indispensable à son fonctionnement. »

Je vais m’intéresser à ceux que je connais le mieux : les soignants. Je n’aime pas beaucoup ce terme, car je trouve qu’il divise la profession : on oppose souvent soignants et médecins. Et je trouve ça dommage, car le corps médical ne forme qu’un et chaque pièce est indispensable à son fonctionnement. Par exemple, dans mon service, chaque personne est indispensable à la consultation : le matin, tôt, les premiers agents mettent en ordre la consultation, les aides soignants préparent nos lentilles et cônes de consultation, allument nos lampes à fente, nos ordinateurs. Les agents d’accueil enregistrent administrativement nos patients, puis nos infirmières les préparent à la consultation à travers un premier interrogatoire. Elles sont aussi là pour poser une perfusion en cas de traitement, ou pour réaliser des soins dans une salle dédiée. Les étudiants, en médecine et en orthoptie, débutent l’examen des patients, complété ensuite par les internes et un médecin sénior. La cadre de santé veille à la bonne organisation de la consultation, à ce que le matériel soit en état de marche, à ce que l’effectif des équipes soit en nombre au vu de l’activité. Nos orthoptistes séniors jonglent entre la pré-consultation et la formation des étudiants, nos secrétaires organisent les agendas, programment les chirurgies et répondent au téléphone. Enfin notre chef de service encadre tout ce monde et nous représente auprès de la direction de l’hôpital. Au total, un patient qui passe 5 à 10 minutes en consultation avec un médecin sénior, a en fait vu au moins six soignants : un agent administratif, une infirmière, un étudiant, un interne, le médecin, puis la secrétaire du médecin pour son prochain rendez-vous.

Nous tirons le signal d’alarme depuis très, très longtemps. Déjà en 2014, j’avais pour la première fois de ma vie participé à un mouvement de grève, pour défendre et valoriser le travail des internes en médecine. Depuis un an, le corps médical est dans la rue ou dans les médias et demande à ce que plus de moyens soient donnés aux hôpitaux. La réduction drastique des effectifs et la fuite de nos médecins vers le secteur libéral (pour une meilleure rémunération et de meilleures conditions de travail) entraîne une fragilisation du système qui est au bord de la falaise. Le COVID-19 a révélé au grand jour les faiblesses de notre système, et des mesures sont indispensables pour sauver l’hôpital public. J’espère que cette médiatisation permettra de recentrer le débat lors des prochaines grandes réformes du sytème de santé en France.

Que faudrait-il faire ? Il n’y a pas de secret : donner plus de moyens aux hôpitaux, à la recherche, et mieux payer son personnel pour éviter la fuite vers le secteur libéral, ou vers d’autres pays.

 

Revenons, avant de conclure, à votre spécialité au sein de l’ophtalmologie : la greffe de cornée. Que représente cette technique (déjà ancienne !) aujourd’hui, et quelles en sont les perspectives d’avenir ?

Depuis la première greffe de cornée réussie chez l’homme en 1905 par le Dr Eduard Zirm (Autriche), la chirurgie a beaucoup évolué. À cette époque, la technique consistait à remplacer intégralement le tissu cornéen : on parle aujourd’hui de kératoplastie transfixiante. Cette technique, efficace et encore utilisée aujourd’hui, a progressivement laissé place à des techniques plus fines : les kératoplasties lamellaires. En effet, la cornée est composée de 5 couches distinctes, et nous savons aujourd’hui greffer la couche spécifiquement atteinte : greffe lamellaire antérieure (greffe de la couche de Bowman dans le kératocône, greffe stromale dans les atteintes plus profondes) et greffe lamellaire postérieure (greffe endothélio-stromal, DSAEK ou endothelio-descemetique, DMEK). Aujourd’hui, la première cause de greffe est la décompensation endothéliale du pseudophake, suivie par les dystrophies endothéliales de Fuchs. Les pathologies endothéliales sont donc la première étiologie de greffe de cornée en France (plus de 50%), loin devant le kératocône (11%) qui a longtemps était en première position. Dans ma pratique quotidienne, je réalise 70% de greffes endothéliales (DMEK) et 30% des autres greffes (transfixiante ou lamellaire antérieure).

« La thérapie cellulaire est probablement

la principale évolution sur laquelle nous pouvons

miser pour les années à venir en matière

de pathologies cornéennes. »

Les perpectives : nous aimerions, un jour, être capable de cultiver les cellules endothéliales. En effet, à l’état naturel, ces cellules ont perdu leur capacité de reproduction. Nous naissons avec un pool, et ce pool diminue tout au long de la vie. La moindre intervention dans l’oeil (inflammation, chirurgie) fragilise les cellules et fait donc diminuer le pool plus rapidement. Alors si nous arrivons à cultiver, en laboratoire, les cellules endothéliales, nous pouvons imaginer qu’un jour nous pourrions simplement injecter des cellules endothéliales dans l’oeil d’un patient, sans avoir besoin de lui apporter des cellules provenant d’un donneur. La thérapie cellulaire est probablement la principale évolution sur laquelle nous pouvons miser dans les années à venir et qui fera évoluer positivement la prise en charge de nos patients présentants des pathologies cornéennes. Une seule équipe, japonaise, a traité des patients (11) par la thérapie cellulaire avec des résultats spectaculaires. La recherche avance, et nous travaillons actuellement à Lyon sur cette thématique au sein de la banque de cornée et de tissus du Dr Céline Auxenfans.

 

R

 

Tenant compte des avancées scientifiques et médicales existantes, et de celles que l’on peut entrevoir, qu’est-ce qui s’oppose encore à ce que, demain, une personne aveugle puisse voir ?

Malheureusement, il existe encore de nombreux facteurs qui entravent le résultat de nos interventions. En effet, si l’on prend l’exemple de la greffe de cornée, à l’heure actuelle c’est un tissu humain, qui est greffé sur un autre humain. L’immunité propre à l’être humain, qui lui permet de survivre auprès des nombreux micro-organismes qui nous entourent (bactéries, virus, champignons et parasites), peut aussi se retourner contre lui. Parfois le corps fabrique des auto-anticorps, dirigés contre ses propres cellules : ce sont les maladies inflammatoires et auto immunes. Dans la greffe, on parle de rejet immunitaire. L’organisme d’un patient greffé se met à produire des cellules qui ont pour fonction d’attaquer l’hôte : le greffon. Le risque de rejet peut être en partie contrôlé par un traitement inhibant l’inflammation : la corticothérapie ou les immunosuppresseurs. Mais ces traitements ne sont pas sans risque, et il faut donc apprendre à jongler entre la suppression de l’immunité pour éviter le rejet et la prévention des complications liées au traitement. De plus, il existe encore beaucoup de pathologies ophtalmologiques qui n’ont pas de traitement pour « redonner » la vision : les dystrophies rétiniennes, certaines formes de DMLA, les stades avancés de glaucome pour ne citer que les plus fréquentes, et il existe donc encore de nombreux progrès à faire pour lutter contre la cécité.

 

Un dernier mot ?

Merci. Merci de m’avoir proposé de donner ma vision du confinement, de la pandémie COVID-19 et de mon vécu pendant ces longues semaines de restriction. Merci également de donner de la visibilité à notre profession.

J’aimerais partager aux lecteurs, pour conclure, une citation d’Albert Einstein sur l’humain : « Le véritable signe d’intelligence ce n’est pas la connaissance, mais l’imagination ».

Alors Nicolas, qu’imaginez vous pour demain ?

 

Je veux conserver la vision optimiste en tout, même quand les éléments vont dans l’autre sens, et croire dans le progrès. Merci à vous Romain. ;-)

  

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19 mai 2020

Mickaël Winum : « Être artiste, c'est avoir un monde à défendre... »

Il est utile, et souvent même salutaire, lorsque les temps sont chargés d’inquiétudes, de lâcher un peu prise et de laisser s’exprimer la part de nous qui aspire à l’évasion. Et quoi de mieux, pour s’évader en des univers nouveaux, en des terres inconnues, par la rêverie autant que par la réflexion sur les autres et sur soi, que la culture ? L’époque est à ces moments-là : difficile, porteuse de bien des interrogations anxiogènes, elle serait plus sombre encore sans ces petits phares indispensables que constituent, pour tant de gens, la lecture, la musique, le cinéma, et bien sûr le spectacle vivant. Autant de secteurs et de métiers de l’art qui, pourtant, se retrouvent aujourd’hui en grande difficulté, parce que stoppés net pour une bonne cause, le soin pris de limiter la propagation du virus. Une question tout de même se pose : dans quel état les retrouvera-t-on, quand la vie elle-même aura recouvré de sa normalité ?

À l’heure du confinement, expérience propre à l’introspection, j’ai choisi de mettre en avant, pour l’article qui suit, ce monde de la culture, et je suis heureux aujourd’hui de vous présenter le résultat. Durant quelques jours, à cheval entre la fin avril et le début de mai, j’ai interrogé un jeune comédien, peut-être devrais-je plutôt dire « artiste » d’ailleurs, tant la palette de son art est large (théâtre, télévision, peinture, composition, écriture et interprétation de chansons). Mickaël Winum, c’est son nom, tient depuis de nombreux mois (la suite était encore en suspens) le premier rôle de l’adaptation par Thomas Le Douarec du Portrait de Dorian Gray, grand classique signé Oscar Wilde. Cet échange, retranscrit très fidèlement ici, m’a fait découvrir un garçon réfléchi et attachant, et entrevoir un grand artiste.

Je remercie chaleureusement Mickaël Winum d’avoir accepté de se prêter au jeu de l’interview, et salue également le metteur-en-scène Thomas Le Douarec, qui a eu la gentillesse d’écrire, sur ma proposition, quelques mots à propos de son comédien - une surprise que ce dernier ne découvrira qu’en lisant cet article. Une première partie, inattendue mais finalement indispensable, et une seconde, la principale, celle pour laquelle tout le monde est venu, ici. Comme au spectacle. Je leur envoie à tous deux, ainsi qu’à leur équipe et, à travers eux, à toutes celles et tous ceux qui, de près ou de loin, font et font vivre notre culture, inquiets de ce que demain sera fait, mes pensées bienveillantes. Une exclusivité, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Place au théâtre...

 

p. 1 : M. Winum, vu par Thomas Le Douarec

« Il ne pourrait pas envisager la vie sans art, et en cela,

il est très proche de son personnage de Dorian Gray ! »

« Mickaël est un véritable artiste : peintre, comédien et maintenant auteur, compositeur, chanteur… Un artiste total, complet, qui ne pourrait pas envisager la vie sans art, et c’est en cela qu’il est très proche de son personnage de Dorian Gray ! Dorian, comme Oscar Wilde, s’est lancé à corps perdu dans la quête de la beauté absolue : une quête permanente, de tous les jours. Le roman Le Portrait de Dorian Gray est une véritable réflexion sur l’art, tous les arts : la peinture bien sûr mais aussi le théâtre, la musique, etc. Aussi Mickaël, dans ce spectacle, est dans son élément, son milieu naturel, son biotope !

Depuis que je le connais, il n’y a pas une journée où Mickael ne peint pas, ne dessine pas, ne chante pas, ne joue pas. Et je parle en connaissance de cause, car lorsque nous sommes en tournée en province avec ce spectacle, il nous arrive, avec les comédiens, de ne pas nous quitter pendant plusieurs jours.

C’est un contemplatif, un homme très doux qui observe toujours la vie autour de lui avec beaucoup de sagesse. Un  grand solitaire doublé d’un immense bavard ! J’ai beaucoup d’affection pour lui, il le sait et c’est une joie pour moi de pouvoir vous parler de lui. Et ce qui m’impressionne le plus chez lui, c’est sa capacité au bonheur, sa joie de vivre égale et quotidienne malgré un lourd passé et les coups et bosses de son existence ! LA VIE NE L’A PAS ÉPARGNÉ, MAIS LUI SOURIT À LA VIE ! »

le 18 mai 2020

Thomas Le Douarec

Thomas Le Douarec est comédien et metteur-en-scène.

 

p. 2 : l’interview

Mickaël Winum: « Être artiste, c’est

avoir un monde à défendre... »

Mickaël Winum

 

Mickaël Winum bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions en ces temps un peu particuliers. On va essayer de parler un peu culture, un peu de la suite... Déjà, comment vis-tu ce confinement ?

Bonjour Nicolas. J’ai la chance d’avoir d’autres passions à côté de mon métier de comédien, notamment la peinture et le piano, des mondes parallèles dans lesquels j’ai la possibilité de me ressourcer et de faire face à cette situation des plus exclusives et, effectivement, assez particulière...

 

Est-ce que, tout bien pesé, et en retranchant bien sûr à ta réflexion les aspects les plus sombres de cette crise, tu réussis à trouver quelques vertus à cette situation (introspection facilitée, etc...) ?

Je lis beaucoup d’ouvrages sur le pouvoir du moment présent, le calme, la sérénité, le bonheur... Effectivement, on se retrouve là dans une situation où l’on est un peu soi-même en face de son miroir, ce qui inquiète d’ailleurs beaucoup de personnes, qui souvent se réfugient alors dans une sorte de routine, courant après le temps, l’argent... puisque la routine permet finalement d’oublier l’essentiel, et c’est rassurant pour la plupart.

Ces lectures me font penser que c’est le moment parfait pour retrouver l’essentiel, c’est-à-dire le présent, la vie, et savoir qui l’on veut être, où l’on veut aller. J’espère que tout cela permettra au monde de repartir sur de meilleures bases...

 

As-tu suffisamment foi dans l’humanité pour croire que l’on apprendra, collectivement, de nos erreurs, et que par la suite nous irons ensemble vers du plus responsable, notamment pour la planète ?

Étant de nature très positive, je suis toujours optimiste et crois toujours que le meilleur, et le progrès restent à venir. Encore faudrait-il que beaucoup qui n’ont pas conscience de cela puissent se réveiller et réagir, mais c’est encore une autre histoire...

 

Revenons maintenant à toi, à ton parcours... Au théâtre... Depuis quand as-tu ce goût de jouer, de te travestir en endossant la peau d’un autre, et à quel moment as-tu eu ce déclic qui t’a fait comprendre que le théâtre allait être important dans ta vie ?  

Au début, c’était une manière de me calmer, comme un exutoire. J’avais quelques problèmes, dans ma vie, que je devais résoudre, et c’est à travers le théâtre que cela s’est fait. Un metteur en scène, Jaromir Knittel, qui dirigeait une troupe de théâtre, m’a dit un jour : « Viens nous voir, vois si tu as quelque chose à offrir, et reste parmi nous si ça te plaît ». C’est ce que j’ai fait, et c’est comme cela que le voyage a commencé.

J’étais déjà dans une sphère artistique qui m’aidait à m’exprimer, avec la peinture et le dessin quand j’étais gosse (la musique est venue bien après), mais c’est vraiment avec le théâtre que ça s’est concrétisé. Cette découverte m’a beaucoup apporté.

 

Qu’est-ce que le théâtre t’a apporté dans ta construction personnelle ? Dans quelle mesure t’a-t-il aidé à grandir, à te former en tant que personne ?

Pour moi, le théâtre, c’est un peu un prisme qui permet de voir le monde de manière plus large : on est amené à s’intéresser à la vie des autres, au comportement du personnage qu’on va incarner sur scène. On est souvent très observateur quand on est comédien. Régulièrement, je me pose sur une terrasse, et j’observe les passants, longuement, essayant de deviner où ils vont, quels sont leurs objectifs, leurs vies. Pour moi c’est vraiment cela le théâtre, et aussi un vecteur de textes, de poésie essentiels pour le monde.

 

Conseillerais-tu de le pratiquer à des gens timides, qui n’oseraient pas trop avancer en société ?

Bien sûr. Le théâtre, ça libère. On n’est jamais vraiment seul, sur un plateau. Même lors d’un monologue ou d’un seul-en-scène, il y a toujours le regard bienveillant d’un metteur-en-scène, et aussi les techniciens qui nous entourent... On n’est pas tout seul, et ça fait du bien : il y a un peu cette idée de famille d’emprunt, provisoire, le temps d’un spectacle, d’une tournée.

 

Justement, j’ai lu que tu étais originaire d’Alsace. J’imagine que tu es monté assez rapidement à Paris pour le théâtre. Est-ce que ça a été compliqué au début, Paris, en ne connaissant pas forcément grand monde au départ ? Et cet aspect « famille de substitution » a-t-il été important à ce moment-là ?

Je suis monté à Paris un peu plus tard que la moyenne : je suis arrivé à 22 ans. Mais j’étais, c’est vrai, complètement perdu : je n’avais pas de repère, pas de famille artistique. Personne d’ailleurs n’est issu du milieu artistique dans ma famille. Mais j’ai eu la chance d’être accompagné par des grands de ce métier, notamment Jean-Laurent Cochet, qui vient de nous quitter malheureusement - il a formé les plus grands, de Gérard Depardieu à Fabrice Luchini. C’est quelque chose qui ne s’oublie pas. Ils sont avec nous ces professeurs, chaque fois qu’on est en répétition, qu’on monte sur une scène... Cet accompagnement, ces mains tendues comptent beaucoup, et il en faut même si on a la volonté et la persévérance, qui sont essentielles.

 

Si tu me permets d’entrer dans une sphère plus personnelle : tu dis que personne de ta famille ne provient d’un milieu artistique, est-ce que cela a rendu plus difficile l’acceptation par tes proches, et notamment tes parents, de ton choix de parcours (des inquiétudes particulières pour un monde qu’ils ne connaissent pas...) ?

De manière générale, il m’ont bien soutenu. Il y a quand même eu des questionnements, des craintes et mises en garde, notamment lorsque je suis parti à Paris... Sentir en tout cas un soutien de sa famille, de son cercle d’origine est très important, et ils ont été formidables face à cette démarche.

 

Le portrait de Dorian Gray

 

J’aimerais maintenant t’interroger un peu plus précisément sur ton actualité, même si tout ce qui forme la culture est un peu mis entre parenthèses en ce moment... Ton actu c’est bien sûr ta composition dans Le Portrait de Dorian Gray, mis en scène par Thomas Le Douarec. La pièce est basée sur ce roman très particulier d’Oscar Wilde, fantastique et philosophique, et dont tu interprètes le rôle-titre, personnage torturé s’il en est. Comment t’es-tu glissé dans la peau de Dorian, et dans le fond est-ce que ce personnage t’a « travaillé » ?

J’ai toujours trouvé ce genre de personnage plus intéressant à travailler, parce que j’aime bien gratter derrière les apparences. On est dans un monde qui fonctionne beaucoup sur le premier regard, les premières impressions, on juge souvent très rapidement sans gratter derrière. Au théâtre, on peut se permettre, dans le travail d’un personnage, d’aller voir ce qui se cache derrière. Souvent, c’est tout un monde qui se cache derrière les personnages sombres, avec par conséquent, plus de choses à découvrir, on se confronte à beaucoup plus d’émotions, de richesse, de contrastes. Ces personnages-là sont encore plus excitants à jouer.

Je crois également que ce sont des personnages qui permettent de dépasser nos peurs, nos angoisses de la vie et nos fantômes du passé... On parlait en début d’entretien du pouvoir du moment présent, du calme et de la sérénité, moi bizarrement, c’est à travers ce type de personnage que j’arrive à les trouver. Par exemple, j’avais dit dans une interview que pour aller mieux, j’aimais beaucoup les films très sombres, les livres noirs, parce qu’ils me permettaient de dépasser mes sensations et en un sens de me dépasser moi-même...

Je dirais aussi que je n’ai jamais vraiment aimé ce qui est trop simple, simpliste. J’aime quand il y a plusieurs couches de complexité à explorer et à travailler dans un personnage. Quand j’ai joué Oreste par exemple, du début à la fin, ce qu’il traverse, ce qu’il vit, c’est comme Dorian, comme une spirale infernale. Et tellement de choses rencontrées : l’amour, les désirs, le rejet, la haine, le mépris... Il y a quelque chose d’assez enivrant dans ces spirales infernales.

Ces personnages sont également une leçon, à travers leur façon de réagir à des situations, leurs actes, leurs paroles... Tu parlais tout à l’heure de Dorian Gray comme d’un conte philosophique, c’est le cas. Ce sont toujours les pièces et les personnages qui suscitent le plus de questions qui font réagir, qui font grandir.

 

Y a-t-il justement, parmi les grands héros, les grandes victimes de la littérature, ou même parmi les personnages ayant existé (je pense par exemple à des gens comme les serial killers), des figures que tu rêverais d’incarner, comme un challenge pour aller encore plus loin dans l’exercice ?

Il y en a beaucoup. J’ai eu la chance notamment d’interpréter l’Aiglon d’Edmond Rostand, un de mes premiers grands rôles, sous la direction de Jaromir Knittel. On pourrait penser par exemple à une adaptation théâtrale de Norman Bates, ou bien au Prince de Hombourg de ‎Heinrich von Kleist. Ou encore Ruy Blas de Victor Hugo... Les grands héros de la période romantique...

 

Avis à qui nous lirait. Norman Bates, avec un bon script, je demande à voir ! Tu l’expliquais, tu aimes réfléchir en profondeur à la personnalité d’un personnage. Comme comédien certes. Mais as-tu aussi le goût d’écrire ou de mettre en scène ?

Pour le moment non, je n’ai pas vraiment d’envie de mise en scène. Pour l’écriture, pas mal d’envies, mais pour le moment je les concrétise davantage dans les textes de chansons que je suis en train d’écrire et de composer, ce qui d’ailleurs prend du temps.

 

Je rebondis sur ce point, et sur un sujet que tu as déjà abordé en interview, cette espèce de mal français qui veut qu’on essaie de faire rentrer tout le monde dans des cases bien délimitées... De ce point de vue-là ton parcours pourrait agacer pas mal de gens : comédien, peintre, musicien, chanteur... Pour toi artiste, ça suppose de toucher à un peu tous les domaines de l’art ?

C’est vrai que ce n’est pas une obligation, pour un artiste, de s’exprimer à travers différents médias artistiques, mais ça ne devrait pas être une privation non plus. C’est tellement dommage que beaucoup de personnes - notamment chez nous ! puisque ce problème se retrouve nettement moins aux États-Unis ou au Royaume-Uni - cherchent à ce point à caser dans une expression artistique. Beaucoup d’artistes combinent plusieurs cordes à leur arc, je pense par exemple à Patti Smith, à Yoko Ono, à David Lynch ou à tant d’autres... Je trouve ça beau : être artiste c’est construire son monde à travers différents moyens d’expression, et le défendre. Personne ne devrait contraindre cela. Mais je suis de nature optimiste donc j’espère qu’il y aura du changement et du progrès de ce point de vue-là.

 

Le théâtre passe, à tort ou à raison, pour être assez élitiste, et de fait, beaucoup de gens qui ne sont pas habitués au théâtre n’iront pas, ce que personnellement je trouve très dommage. Est-ce que tu trouves cela regrettable, vu que ta famille elle-même ne connaissait pas ce milieu à la base, et as-tu des idées d’initiatives qui pourraient inciter les gens à aller plus naturellement au théâtre ?

Question intéressante ! C’est très regrettable effectivement que le théâtre ait cette image élitiste. Comme tu le rappelles, ma famille ne venant pas du milieu, ce serait pour moi une grande victoire que de contribuer à élargir l’impact du théâtre. Je pense qu’il y a déjà un problème de prix, soyons honnêtes, beaucoup de programmations sont malheureusement trop onéreuses. Il y a également un problème de choix : je pense par exemple à un pays comme le Royaume-Uni, qui propose des spectacles qui brassent beaucoup plus de monde. Il y aurait peut-être une solution à voir de ce côté-là... je suis confiant et bien sûr, voir davantage de monde dans nos salles serait formidable.

Quand je parle d’élitisme, je pense par exemple à des programmations de théâtre fonctionnant beaucoup par abonnements, et dont les abonnés n’ont pas vraiment d’autre choix que de suivre la programmation qui a été validée par les théâtres en question. Il y a peut-être quelque chose à réviser aussi de ce point de vue-là. Nous autres, en tant qu’artistes, essayons le plus possible d’aller chercher les gens, de les faire venir... Le théâtre est une fête, c’est aussi un rassemblement d’échanges, d’interrogations, comme il était d’ailleurs à la base, notamment en Grèce : c’était un moyen pour le peuple de se réunir, de se questionner et de philosopher. Retrouver un peu de cet esprit-là, ce serait vraiment bon.

 

Dorian Gray

In Dorian Gray.

 

Belle idée ! Puisses-tu être entendu. Pour revenir, un instant, à la crise sanitaire qui nous frappe, et à celle, économique et financière, qui nous attend, tu n’est pas directement gestionnaire d’un théâtre, mais tu en fais partie et en connais bien les enjeux. Alors, es-tu inquiet pour la suite ?

Bien sûr. Mais je crois que c’est aussi le moment idéal pour rebondir. Je vois que beaucoup de pétitions sont lancées, notamment pour le soutien des intermittents, ou l’organisation et le financement du festival off notamment. Pas mal de choses se mettent en place et j’espère qu’elles vont aboutir. Je suis inquiet pour le moment, mais confiant pour l’avenir.

 

On a beaucoup parlé de théâtre jusqu’à présent, c’est normal. Parlons un peu cinéma : de quel ciné es-tu amateur, et quelles sont tes envies en la matière (de collaborations notamment) ? Profite, on nous lit !

J’aime beaucoup le cinéma indépendant, le cinéma d’auteur, notamment les films d’Audiard, de Desplechin, de François Ozon, de Philippe Lioret, de Mathieu Amalric... Pas mal de réalisateurs étrangers aussi que j’aime beaucoup, notamment Terrence Malick, David Fincher ou David Lynch... Il y a également Lars von Trier, qui est un de mes réalisateurs préférés. Pour le moment, je tourne beaucoup plus pour la télévision, mais j’espère bien que des rôles pour le cinéma vont arriver bien sûr... Je ne suis qu’en début de parcours, j’ai un peu de temps.

 

C’est tout le mal que je te souhaite. Tu parlais aussi de la partie musicale de ton parcours : as-tu une formation de musicien, de chanteur, et quelles sont tes influences ?

J’ai suivi des cours de chant à l’opéra de Strasbourg, parallèlement à mon parcours au conservatoire de la même ville. Actuellement, je prends des cours de chant et de coaching vocal à la Maison des sons.

Quant à mes influences, j’aime beaucoup les chansons à texte : Jacques Brel, Barbara, Édith Piaf, Leonard Cohen, Cat Power... Je me situe musicalement, un peu entre la folk pop et l’indie pop. Des chansons à texte sur ces mélodies envoûtantes, c’est ça mon truc.

 

Est-ce que tu écris des textes, et est-ce que tu composes des mélodies de chansons ?

Oui, les textes des chansons sont déjà écrits. J’écris mes propres textes. Et je prends des cours de piano depuis un an et demi. Je pars d’abord du texte, et ensuite je cherche les accords, les mélodies sur le piano.

 

Parlons un peu peinture... Qu’est-ce qui t’inspire, niveau peinture ? Et est-ce que cette forme d’art te procure des sensations autres ?

En peinture j’ai plus de liberté. Tu plantes ton décor, tu choisis tes couleurs, ton cadrage, tes personnages... tu n’es pas dépendant d’une production, d’un metteur en scène... C’est très calme, la peinture. Ça m’apaise, et j’en fais beaucoup, pendant plusieurs heures, avant de dormir. Très jouissif, vraiment.

Je dirais aussi que lorsque tu peins, tu es vraiment en communion avec toi-même, tu projettes sur la toile ce qui se passe en toi. Par exemple, je pars souvent du réel, des images que je vois, des scènes auxquelles j’assiste en journée, ou je prends des photos... et tout cela m’amène à un univers assez poétique, parfois surréaliste, et c’est très enrichissant.

 

Tableau M

Un des tableaux de M. Winum.

 

Au tout début de mon entretien, à propos du Covid-19 et du confinement, tu m’as dit quelque chose d’intéressant : quand on est confiné seul notamment, on se retrouve face à soi-même, comme face à un miroir, dans une espèce d’introspection. Point d’autant plus pertinent peut-être que toi, bien sûr, tu joues Dorian Gray, dont on sait le rapport qu’il a à sa propre image... Alors, sans aller trop loin dans l’indiscretion, as-tu découvert quelque chose de toi durant cette période ?

À titre personnel, pas tant que ça. J’avais déjà pas mal conscience de ce qui est essentiel. J’ai cette possibilité d’y revenir assez facilement, entre deux rôles et deux projets, et cela permet aussi de se remettre en question en tant qu’artiste. Je pense plutôt à d’autres qui avaient un autre rythme de vie, encore plus rapide, et qui eux ne pouvaient pas forcément se permettre de faire cette pause-là. Pour eux, je pense que le changement doit être encore plus grand.

 

Quels conseils donnerais-tu à un petit Mickaël, ou à une petite Mickaëla d’ailleurs, de douze, treize ans, qui viendrait de Strasbourg ou d’ailleurs d’un coin encore plus reculé de province, et qui après avoir assisté à une pièce de théâtre, aurait envie de suivre ce chemin, alors même que ses parents ne seraient pas du tout du milieu ? Ton histoire finalement...

C’est très intéressant comme question. Mon conseil : ne jamais renoncer, persévérer quand on croit. On a un monde à défendre. Je viens d’une école où nos professeurs disaient que chaque artiste a son monde à défendre, j’insiste là-dessus. On peut rencontrer des problèmes, mais ils peuvent être surmontés : questions financières / pas au bon endroit / pas bien entouré, etc... Tout cela est gérable, et on peut faire de belles choses, surtout dans notre pays... Mon conseil au fond, c’est de dire qu’il faut vivre ses rêves, et non pas rêver sa vie.

 

Belle réponse... Et est-ce que toi, du coup, tu dirais que tu vis tes rêves, et que tu es heureux dans ta vie ?

Tout à fait. Je pense que je suis exactement là où je voulais être : à Paris, comédien, et développant d’autres arts. Je connais des moments artistiques absolument géants qui remplissent ma vie de bonheur.

 

Quels sont les trois adjectifs qui seraient à ton avis les plus pertinents pour t’auto-présenter ?

Passionné, déterminé, perché.

 

Croquis M

Dorian Gray, vu par Mickaël Winum.

 

On a pas mal parlé de tes projets. Au-delà d’eux, quelles sont tes envies profondes pour la suite ?

Une envie... Je dirais, continuer mon chemin avec passion, et poursuivre mon exploration du monde quand ce sera de nouveau possible, je suis un vrai globe-trotter...

 

Tes petits coins de paradis ?

Partout où il y a de la nature et de la culture.

 

Un appel, un message à faire passer à l’occasion de cet interview ?

Un message à faire passer oui : ne laissons pas mourir la culture, elle est salutaire pour tous...

 

Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

Une vie bien remplie, passionnée et passionnante.

 

Un dernier mot ?

Vive la vie !

 

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