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Paroles d'Actu

18 mai 2020

« Un certain regard sur le confinement », par Christine Taieb

Il y a quelques jours, dans le prolongement de mes articles sur la crise sanitaire du Covid-19, j’ai eu envie de donner la parole, pour une tribune libre autour du confinement, à Christine Taieb, une femme dynamique et inspirante. Rencontrée à l’occasion d’un reportage sur les cours de l’infatigable Véronique de Villèle, dont elle est une élève, j’ai eu la joie de publier une première fois un de ses textes, une déclaration d’amour faite au sport, pas celui qu’on pratique comme compétiteur, mais pour se faire du bien, et se faire plaisir. En ce contexte bien particulier, elle a accepté, à nouveau, de me livrer cet écrit dans lequel elle raconte son confinement. Inspirant, oui. Merci Christine ! Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

C

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Un certain regard sur le confinement »

par Christine Taieb, le 17 mai 2020

 

Aucun dîner en ville n’échappera à la question : « Ce confinement … c’était comment ? »

Pour me préparer à répondre avec lucidité, je me place sous l’angle de ma vie sportive. L’activité physique, depuis l’âge de 4 ans, est une composante indispensable de mon équilibre de vie. Elle est l’amie, fidèle et nécessaire, qui m’aide à conduire, avec plaisir et sagesse, d’autres centres d’intérêt.

Sur fond de pratique de la danse, et sa barre au sol (clin d’œil aux excellents cours de Véronique de Villèle !), base de la souplesse, l’équilibre et l’exigence de la régularité, je varie les activités pédestres, lentement mais sûrement… et pas seulement depuis le 17 mars 2020 !

Une bonne santé et celle de mes proches, un cadre de vie agréable au milieu de la chlorophylle et des chants d’oiseaux, un temps ensoleillé, une solide ligne internet pour échanger sans limite et pas de risque économique : ce décor planté, place est donnée pour ce rendez-vous imposé avec moi-même. Comment gérer mes envies et maintenir mon entraînement ?

Les mois précédant la crise sanitaire, j’ai fait un généreux plein de voyages, souvent sportifs : bénévole sur un raid au Vietnam, finisher du marathon de New-York puis du marathon-trail d’Angkor au Cambodge, et tout juste de retour d’un trek dans le désert algérien. Des images somptueuses, de belles sensations et rencontres en tête. Le programme de l’année s’annonçait tout aussi dense...

Je revisite, avec autant de surprises que de confortations, un premier bilan de mes 55 jours de confinement.

La première surprise : je relativise sans regret les annulations successives des événements sportifs pour lesquels je suis inscrite et entraînée. Pas de crève-cœur pour cette privation momentanée.

Je détourne la situation avec humour. Par exemple : je devais gravir 14.500 marches sur le Trail de la Muraille de Chine en mai. Pas de soucis : j’investis les 6 niveaux de mon immeuble en grimpant 852 étages sur 6 jours, soit 14.484 marches. Je ne vois pas la place Tien an Men. Mais la sueur et le goût du challenge et de la dérision restent au rendez-vous, consciente que pour de vrais pros, ce n’est pas une performance !

 

C

 

L’offre de coaching sportif en tout genre se déchaîne sur la toile. Aucune excuse de ne pas trouver des visios à sa convenance. Immense remerciement au passage à tous ceux/celles qui les ont animées avec talent et assiduité. La famille du sport est au rendez-vous. Je suis fière et amusée d’en faire partie.

Que restera-t-il des élans pour le yoga ou la méditation ? Tout comme le tennis après la victoire de Noah à Roland Garros en 83 ? Ou le foot au féminin après la victoire des Bleus en coupe du monde en 98 ? Peu importe : je retiens la généreuse motivation et l’heureuse contagion.

Le principe des courses virtuelles se multiplie : courir seule pour une cause solidaire est un bonheur qui valorise chaque enjambée. Les kilomètres parcourus, toujours dans le respect des règles de confinement bien sûr, prennent une saveur particulière, avec le sentiment de faire partie de la grande famille du cœur.

Bonne nouvelle : Je ne suis donc pas enfermée dans une addiction au sport. Je n’ai pas besoin d’un dossard ou d’un serre-file pour apprécier l’effort et ses bienfaits.

« Je vis ce confinement comme

une forme de retraite spirituelle... »

Mes pensées fourmillent d’autres constats :

  • Dès le 17 mars, un profond sentiment de liberté, d’agir à ma façon, à mon moment. Est-ce contradictoire avec les limitations à 1h et 1 km ? Non pas, lorsque l’on aborde cette possibilité comme un cadeau et non une contrainte. Cette liberté intérieure préexistait, le confinement la révèle. Les philosophes se sont savamment exprimés sur le thème de la liberté. Pour ma part, me satisfaire de ce que je possède, sans courir après des chimères et des performances, contribue à garder le sourire.
     
  • Ce temps libre et imprévu offre du recul sur mon parcours sportif dont je dresse un bilan amusé. Mon arbre à médailles reflète des temps forts d’émotions, de souffrance dans la froidure ou sous la canicule, de larmes de joie aux arrivées, de challenges improbables et de belles amitiés naissantes.
     
  • Je ne connais pas l’ennui. D’une envie à l’autre et d’une activité à l’autre, le regard rivé sur le ciel souvent bleu, chaque jour permet de solliciter mes muscles : running, vélo, yoga ou montée de marches… la palette est large, certes dans le respect des règles de confinement. Réduit à 1 heure, l’entraînement laisse la place à mille autres activités. Lecture, écriture, couture, cuisine, gammes au piano, perfectionnement de mon feng shui ou d’interminables conversations avec famille et amis prennent le relai.
     
  • Cette phase de confinement présente une similitude avec le passage à la retraite, que j’apprécie depuis près de dix ans. Ma morale de l’histoire est que l’on ne change pas. Flegmatique, curieux, craintif, engagé, solidaire ou solitaire avant ? On le reste après ! Dans ma catégorie « énergie », voire « grain de folie » pour les intimes, ce temps-cadeau, me permet de nourrir des échanges avec d’authentiques amis, et de partager sur de nouveaux projets sportifs.
     
  • L’élan de générosité pour aider ceux/celles qui maintiennent la vie possible m’émeut. Très modestement, préparer des gâteaux pour les hôpitaux, taper sur ma casserole à 20h pour inviter le voisinage à célébrer les soignants, sont des marqueurs de solidarité. Certains disent : actions dérisoires / inappropriées ? Je leur oppose ma joie devant ces manifestations fraternelles de cohésion, au sein d’une population qui s’ignorait auparavant. L’inventivité de l’homme est sans limite et c’est heureux. L’isolement n’est pas solitude. Pour preuve, toutes les courses virtuelles qui se sont développées pour soutenir de belles causes.
     
  • Au final, je vis ce confinement comme une forme de retraite spirituelle, à l’image des séjours réguliers que je m’accorde depuis plus de 20 ans dans le désert saharien, en réfléchissant à ma vie personnelle. Chaque retour rend plus riche et confiante, déterminée face à mes choix, sportifs ou non, pour ne pas m’engager par clonage, ni le solliciter.

 

Avec des si…

Si un éditeur me demande de rédiger le petit manuel d’une confinée heureuse, je l’intitulerais « 55 façons de vivre un confinement confiant de 55 jours ».
 
Si le méchant Covid 19 veut tester ma patience, il mesure ma sérénité, et s’il veut déclencher ma peur, il se heurte à ma confiance.

 
Si le sport est porteur des valeurs auxquelles j’adhère, dont la solidarité, le goût de l’effort et de l’engagement, le confinement est un révélateur de ces mêmes valeurs.

 
Si le goût pour les dossards en compétition s’estompe à l’approche de mes 70 ans, c’est en toute sérénité, pour en garder l’ADN du partage.

 
Et si, j’aborde le monde d’après, déterminée à maintenir le sport comme un outil accessible à tous et à tous âges pour préserver bien-être et santé, c’est pour le partager avec enthousiasme … même avec des gestes barrières. Croyez-moi : cumuler mon fidèle buff sur la tête, les lunettes de soleil et mon masque : c’est déjà du sport !

 

C

 

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13 mai 2020

Natalie Petiteau : « Une crise effrayante par ce qu'elle laisse voir de nos sociétés »

Natalie Petiteau est historienne. Elle est spécialiste notamment de la période napoléonienne et a beaucoup travaillé sur la trace laissée par Bonaparte, Premier Consul puis empereur des Français (dont on commémorera au passage, les 200 ans de la disparition en 2021). En 2015, elle avait répondu, une première fois, à mes questions sur ce thème passionnant.

Alors que l’actualité de ce premier semestre de l’année 2020 est largement dominée par la crise sanitaire du Covid-19, c’est à Mme Petiteau que j’ai donc, à nouveau, souhaité faire appel, lui invitant à poser sur cette situation à bien des égards inédite, son regard de citoyenne ayant le recul de l’historienne. Après avoir hésité à se prêter à l’exercice, elle a finalement accepté, ce dont je la remercie chaleureusement. Ses réponses, datées du 12 mai, nous donnent à réfléchir quant à la société dans laquelle on vit et, surtout, sur celle que l’on serait bien inspiré de bâtir pour « après ». Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Natalie Petiteau: « Une crise effrayante

par ce qu’elle laisse voir de nos sociétés... »

N

Natalie Petiteau, avec Ioldy.

 

Natalie Petiteau bonjour. J’aimerais vous demander, avant toute chose, comment vous vivez et ressentez à titre personnel cette crise du Covid-19, et tous ses à-côtés (je pense notamment au confinement) ?

Ce confinement s’est imposé à presque tous les gouvernements de la planète comme une évidence. La peur de la pandémie, la peur d’être accusé de la mort de leurs compatriotes a conduit nos dirigeants à accepter l’impensable il y a quelques mois : mettre toutes nos économies à l’arrêt. Sans jamais prendre en compte les effets induits à long terme, l’appauvrissement qui in fine aggravera encore les inégalités dans le monde. En France, le traumatisme de 2003 a accru la peur de notre gouvernement d’être tenu pour responsable de la pandémie. D’autant que sa responsabilité réside sans doute, avant tout, dans le retard à traiter la crise : on se préoccupait activement des municipales à l’heure où il eût été encore temps, peut-être, de fermer nos frontières aux touristes chinois ou italiens... Reste que, il semble qu’il y ait eu des premiers cas dès décembre, du fait justement de nos contacts de plus en plus nombreux avec la Chine.

 

« Cette pandémie est un indicateur du degré

de mondialisation de nos sociétés. »

 

Car cette pandémie est un indicateur du degré de mondialisation de nos sociétés. Chacun veut pouvoir partir en vacances à l’autre bout du monde, prendre un avion pour se donner le sérieux d’aller tenir une réunion professionnelle à l’autre extrémité de la planète en un voyage de 48H. Mais personne n’en accepte les conséquences. Aujourd’hui, dans nombre de carrières, plus de salut si le CV n’a pas une indéniable couleur internationale. Mais quand une pandémie internationale survient, on s’effraie, on panique, on ne sait pas quoi faire. Ou plutôt si : écouter les médecins, que l’on a tant boudés antérieurement en les priant de gérer les malades en silence et sans argent. Le problème est que les malades du COVID nécessitent pour certains des respirateurs artificiels, que l’on en manque et que donc si l’on veut soigner tout le monde, il faut agir envers l’hôpital de façon nouvelle. Si bien que, pour éviter de retomber dans le chaos de la canicule de 2003, on a laissé les médecins prendre le pouvoir et personne ne doit en faire le reproche puisque tout le monde semblait bien d’accord pour dire qu’il ne faut pas, dans nos sociétés modernes et mondialisées, que l’on meure d’un coronavirus. Tant pis si l’on meurt plus encore d’autres maladies, celle-ci se voit trop. Que des milliers d’enfants meurent de faim en Afrique, ce n’est pas grave, cela ne se voit pas, c’est si loin. Mais qu’il y ait un petit surcroît de mortalité dans nos sociétés, c’est politiquement inadmissible.

Puisque telle est désormais la mission de nos gouvernants, se faire démiurges et empêcher les gens de mourir, quelle autre solution que de tout dédier à la lutte immédiate contre la pandémie, en oubliant qu’en privant les enfants de cantines dans les banlieues les plus pauvres, on les condamnait à rencontrer la faim, en oubliant qu’en dédiant tous nos hôpitaux à la lutte contre le COVID, on allait laisser mourir les malades qui souffraient d’autres maux, en oubliant qu’isoler nos aînés dans les EHPAD, c’était les condamner pour certains à mourir de solitude, plus silencieusement que du COVID.

Et pour accomplir leur mission jusqu’au bout, nos gouvernants-démiurges se sont mis en boucle sur les masques et les respirateurs... nous serons autonomes en la matière bientôt... Mais gouverner c’est prévoir, et non pas courir après ce que l’on a raté... Sont-ils sûrs que le prochain gros pépin demandera masques et respirateurs... Ne faudra-t-il pas d’autres machines ? D’autres protections ? D’autres réserves ?

 

Quel regard l’historienne, la citoyenne avisée que vous êtes porte-t-elle sur cette crise ? Que dit la séquence « COVID-19 » de notre époque, et du monde dans lequel on vit ? Croyez-vous que cet épisode de vie collectif va nous changer, au moins un peu, dans la manière dont on aborde nos rapports à nos aînés, le temps à employer, notre environnement et le sens des priorités ?

J’ai longtemps refusé de vous répondre, Nicolas Roche, parce qu’il est bien facile, depuis notre bureau et derrière nos écrans d’ordinateur, de jouer les « yacafaucon »… Je n’ai aucune légitimité à donner des leçons. Je suis juste une citoyenne lambda qui observe avec ses yeux, certes, d’une historienne habituée aux mises en perspective. Et de ce fait, je vis tristement cette effroyable crise : à cause bien sûr du malheur qui frappe nombre de familles, mais tout autant de ce qu’elle laisse voir de nos sociétés.

Mais après tout peut-être faut-il se réjouir de vivre dans des sociétés qui n’acceptent plus la sur-mortalité ? Historiquement c’est un changement fondamental. Même face à la grippe de Hong-Kong en 1969, personne n’a songé à un confinement comme celui d’aujourd’hui... Le traumatisme de 2003 est décidément passé par là.

Pourtant ne doit-on pas se dire qu’une fois que le COVID-19 nous laissera un peu en paix, un autre ressurgira, parce que c’est la planète que nous avons détruite, et c’est le résultat de cette destruction qui s’exprime par ces pandémies. Les nouveaux virus semblent naître de ce que la déforestation conduit les espèces sauvages à se rapprocher sans cesse davantage de nos villes. La question aujourd’hui n’est donc pas même celle du déconfinement, mais de la vie avec les virus, celui-ci et les suivants, en apprenant à être discipliné, masqué, ganté, et en concentrant tous nos efforts pour que ce ne soit plus l’être humain qui tue la planète. Elle mourra un jour, certes, notre si jolie Terre, parce que le soleil s’éteindra, quoi que fasse l’homme. Mais si elle meurt par notre faute, elle sera impitoyable avec l’homme très, très vite. Il faut vivre avec les virus et avec la certitude que la seule conduite à avoir est de cesser de déforester, de cesser de gaspiller de l’énergie pour consommer des denrées venues du bout du monde quand on en a de bonnes à portée de main, de cesser d’élever trop d’animaux quand l’homme peut vivre très bien en ne mangeant de la viande qu’une fois par semaine, de renoncer à faire du tourisme au bout du monde quand on a tant de beautés naturelles à portée de main, de ne plus oser se prélasser sur des navires abjects dans les eaux de Venise, etc, etc… Tout ce que l’écologie tente de nous apprendre depuis des décennies doit enfin entrer dans le logiciel de nos technocrates.

 

« Nos technocrates ne redoutent aujourd’hui plus qu’une

chose : qu’on leur impute les morts du COVID. »

 

Mais nos technocrates ne redoutent aujourd’hui plus qu’une chose : qu’on leur impute les morts du COVID. Ils mènent un combat perdu d’avance pour ne pas engager le seul qui puisse avoir encore du sens. Et ils oublient qu’une pandémie a hélas un rôle régulateur : le COVID ne vient-il pas nous rappeler que nous sommes trop nombreux pour notre petite Terre ?... pardon de ce discours politiquement incorrect. Mais il faut sans doute que d’obscurs anonymes comme moi le tiennent…

Du reste, cette crise a mis au-devant de la scène le rôle des anonymes dans nos sociétés : je ne reviens pas sur celui des soignants, soudain redécouverts par tout un chacun et par nos gouvernants. Mais n’oublions pas non plus les enseignants : soudain, les parents ont compris qu’un prof sert à quelque chose ! Or, je ne sais pas si chacun a mesuré l’énorme effort qu’a demandé le suivi des enfants comme des lycéens et des étudiants par le seul lien électronique. Faire cours et suivre les « apprenants » depuis un écran est dévoreur d’au moins trois fois plus de temps qu’en « présentiel ». Mais cela s’est fait à bas bruit, il faut être enseignant pour le savoir. Qui s’en souviendra ? Je m’inquiète en entendant que l’on nous demande déjà à la rentrée de poursuivre une telle méthode à l’université. Nous allons vers une société déshumanisée. Triste résultat !

 

Le président de la République a-t-il à votre avis raison de parler de « guerre » s’agissant de la lutte contre le virus et de la mobilisation qu’elle suppose ? Le moment présent partage-t-il des traits remarquables avec des guerres passées ?

Toute comparaison avec la Seconde Guerre mondiale est d’une absurdité qui fait insulte à tous ceux qui ont combattu le nazisme. Les historiens n’ont employé le mot guerre que pour évoquer les conflits entre les hommes. Quand il s’agissait de parler des pandémies, on parlait de lutte. Quand on est en guerre, on affronte des humains mus par une idéologie. En 1940, les pilotes des avions ennemis qui bombardaient les colonnes de l’exode savaient ce qu’ils faisaient. Quant à comparer, comme je l’ai entendu sur une radio nationale, le déconfinement du 11 mai 2020 à la Libération du 8 mai 1945 ou de l’été 1944, c’est révéler une profonde méconnaissance de tout ce pourquoi certains Français avaient tellement raison de se réjouir en 1944 ou 1945 : car triompher du nazisme, c’était retrouver la vraie liberté, la vraie démocratie, c’était ne plus avoir peur de la Gestapo et de ses tortures atroces, c’était ne plus risquer de partir dans les camps par les wagons plombés, c’était ne plus voir nos villes et nos campagnes sous les bottes d’un ennemi dirigé par un dictateur fou et d’une cruauté inimaginable, c’était ne plus craindre les bombardements ou l’exécution des otages, c’était retrouver l’espoir de recouvrer la jouissance des richesses de notre pays et de ne plus voir nos récoltes et nos productions partir chez l’ennemi en laissant nos enfants mourir de faim.

 

« Le bon historien est celui qui se pose les bonnes

questions... Il en va de même pour les journalistes... »

 

Alors, oui, certes, il y a eu dans ce confinement des enfants bien malheureux. Mais il faut savoir raison garder... Et là encore, je suis triste de la façon dont une certaine presse se trompe dans ses analyses. Elle aurait mieux fait de se poser des questions élémentaires oubliées : je suis frappée, aujourd’hui encore, de constater que les médias ne nous disent pas le nombre de nouveaux malades chaque jour, et qui sont ces nouveaux malades ? On compte les morts, avec application, en ne nous donnant souvent que le chiffre global, en oubliant le chiffre du jour et surtout en ne le comparant jamais à celui de la veille... Je dis toujours à mes étudiants que le bon historien est celui qui se pose les bonnes questions... Il en va de même pour les journalistes...

 

Un message, un dernier mot ?

Je suis triste aussi d’avoir si longtemps entendu parler de « distanciation sociale » alors qu’il fallait dire simplement « distance physique » : l’intensité de la présence des confinés sur les réseaux sociaux suffit à dire qu’il y a moins que jamais de la distance sociale… En ne connaissant plus le sens des mots, nos dirigeants témoignent de l’extrême confusion dans laquelle ils sont. Alors comment pourraient-ils obtenir la confiance de leurs concitoyens ? Certes, ils ont fini par corriger, mais les journalistes, eux, continuent aujourd’hui encore, docilement, de parler de « distanciation sociale »... Quelle tristesse !

 

« Nous allons vivre dans des espaces publics déshumanisés,

où plus personne ne voit personne... »

 

Triste encore de ce monde déconfiné où l’on ne veut pas voir que ce contre quoi beaucoup se sont battus, jusqu’à la loi de 2010, s’impose maintenant à tous, hommes et femmes : car désormais, nous serons tous voilés, pardon ! masqués. Mais où est la différence ? Le voile des femmes musulmanes avait au moins une certaine grâce, parfois ! Nous allons vivre dans des espaces publics déshumanisés, où plus personne ne voit personne. L’autre jour, en sortant de ma voiture masquée, j’ai eu le déplaisir de constater que même mon voisin ne me reconnaissait pas ! C’est ce monde-là, maintenant, qui est le nôtre. Sans baisers à ses proches pour leur dire bonjour ou au revoir, sans sourire, sans plus aucune possibilité de lire sur les visages les réactions de ceux qui nous entourent. Et pourtant, nous avons tant maudit celles qui portaient le voile … Nous sommes bien pris à notre propre piège, aujourd’hui. Car qui, quand on luttait contre le voile, s’est souvenu que la plupart des préceptes religieux ont des origines hygiéniques ? Mais qui a osé dire que désormais nous ressemblerons tous à ces femmes voilées contre qui a été votée la loi de 2010 : de rares élus ont tenté d’invoquer celle-ci pour lutter contre les arrêtés municipaux imposant le port du masque. Mais les journalistes se sont bien gardés de mettre une telle info à la une…

Triste enfin d’observer que la culture est la grande oubliée des soutiens accordés sans compter par le gouvernement. Il faudra pourtant qu’après ces mois d’horreur le Ministère de la Culture n’oublie pas que nous avons besoin de la beauté des arts et de l’intelligence des auteurs, de l’intelligence des artistes et de la beauté de la littérature. Sans la culture, sans les livres, sans la musique, sans l’art, aurions-nous si bien tenu le confinement ? Jean Vilar estimait que la culture devait, au même titre que l’eau, le gaz ou l’électricité, être un service public. Car c’est grâce à elle, avec elle que l’être humain peut exprimer son supplément d’âme... Mais notre trop jeune président, qui s’est drapé dans les habits du passé en se montrant au Louvre le soir de son élection, semble avoir à son tour, comme ses prédécesseurs, oublié cela.

Bref, cette crise et sa gestion nous ont démontré que nous vivons avec des gouvernants qui connaissent bien mal leur passé et ne comprennent guère leur présent, si bien qu’ils sont incapables d’inventer notre avenir.

Du reste, il est apparu, ce 11 mai 2020, que pour beaucoup de nos concitoyens, le premier geste du déconfinement a été de faire du shopping… Moi qui croyais naïvement que ce qui restait dans nos porte-monnaie malmenés par la crise servirait à faire des dons pour les soignants. Certes il faut relancer le commerce... Donc le monde d’après est celui d’avant. Il n’y a plus d’après... C’est peut-être pour cela que nos dirigeants ne veulent pas inventer l’avenir…

Lorsque j’étais enfant, j’adorais la chanson de Michel Fugain qui disait « Bravo Monsieur le Monde » et qui rendait hommage aux beautés de notre Terre. Il était écologiste avant l’heure et je ne savais pas que je l’étais avec lui… Car je tentais aussi, en même temps, d’embaucher mon frère pour nettoyer de ses détritus humains tout l’espace vert du ruisseau de l’Eau Blanche qui donne son nom au lieu où nous habitons… Finalement, moi qui suis pleine de doutes devant ce que je fais et écris, il me reste la fierté d’avoir été cette enfant-là, dans le monde d’avant où certains savaient déjà, dans les années 1970, ce que devrait être le monde d’après.

 

Source : chaîne YouTube Lauren M.

 

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9 mai 2020

Hélène Trnavac-Bulle, directrice d'EHPAD : « Chaque geste réconfortant prend d'autant plus sens en cette période... »

Pour ce nouvel article tournant autour de cette actualité qui semble décidément devoir écraser toutes les autres, j’ai la joie, aujourd’hui, de donner la parole à quelqu’un qui aide à y voir plus « positif »,  Hélène Trnavac-Bulle, directrice d’un EHPAD, Le Séquoia, à Illzach dans le Haut-Rhin. Un focus, basé sur le regard d’un témoin en première ligne, sur un type d’établissement, l’EHPAD donc, qui est finalement assez méconnu. Merci à elle d’avoir accepté de me confier ses impressions, et quelques photos pour illustrer et nous faire découvrir un peu le quotidien dans ce qu’elle appelle joliment sa « maison de vie ». J’en profite pour saluer avec chaleur, ici, tous les soignants, mais aussi les personnels, et bien sûr les résidents des EHPAD. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Hélène Trnavac-Bulle: « Chaque geste réconfortant

prend d’autant plus sens en cette période... »

Hélène Bulle

Photo prise lorsque j’ai été interviewée par un journaliste de France 5 qui est resté

une semaine à l'EHPAD pour tourner un reportage pour Le Magazine de la Santé.


Hélène Trnavac-Bulle bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Quel a été votre parcours, et comment en êtes-vous arrivée à être, aujourd’hui, directrice d’un EHPAD, Le Séquoia, à Illzach dans le Haut-Rhin ?

Diplômée de l’IEP de Strasbourg et de Sciences Po Paris, j’ai passé le concours de Directeur d’Établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux. J’ai eu la chance de le réussir et de suivre deux années à l’École des Hautes Etudes en Santé publique (EHESP) à Rennes. Après deux années de théorie à l’EHESP et de pratique en stage, notamment à Paris et New-York, j’ai été affectée en 2012 en tant que Directrice d’un EHPAD à proximité de Colmar. J’avais 24 ans au moment de ma prise de poste. Après sept belles années au sein de cet EHPAD, j’ai demandé ma mutation à l’EHPAD Le Séquoia à Illzach, ville limitrophe à Mulhouse. J’y exerce mes fonctions depuis octobre 2018.

 

Pouvez-vous pour commencer nous rappeler un peu, dans les grandes lignes, en quoi ça consiste, un EHPAD ? Qui le gère, comment est-il financé, et quelles relations avec la puissance publique, les collectivités territoriales, et bien entendu le monde des soignants ?

Tout d’abord, rappelons la signification du mot EHPAD : un Établissement d’Hébergement pour Personnes âgées dépendantes. Savoir ce que ces lettres signifient évite l’écueil bien trop souvent rencontré (« un », pas « une » EPHAD).

L’EHPAD dont j’assure la direction est un EHPAD public autonome : rares sont dans notre département les EHPAD qui restent autonomes, ils sont souvent rattachés à des centres hospitaliers ou fusionnent avec d’autres EHPAD, en direction commune. Notre établissement est régi par la fonction publique hospitalière (quelques EHPAD publics sont rattachés à la fonction publique territoriale).

Les recettes d’un EHPAD proviennent de trois sources :

L’Agence régionale de Santé (ARS) verse une Dotation de Soins annuelle : cette dotation est destinée à financer le personnel soignant (médecins, infirmiers, kinés, et en partie les aides-soignants), le coût du matériel médical, et d’autres prestations médicales. C’est ce qu’on appelle plus communément le budget « Soins ».

Le Conseil départemental verse un Forfait Dépendance : il prend en charge les frais liés à la perte d’autonomie des résidents. Le résident est pris en charge financièrement au titre de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA). L’APA est versée directement par le Département à l’établissement, sous forme d’un forfait global. Ce forfait permet de financer une partie du personnel présent pour compenser cette perte d’autonomie (agents des services hospitaliers, psychologues) et une partie du matériel et des fournitures associés. C’est ce qu’on appelle plus communément le budget « Dépendance ».

Le résident doit s’acquitter chaque mois d’une petite partie du coût lié à sa dépendance, appelé ticket modérateur, et du coût des prestations hôtelières. Ce budget « Hébergement » prend en charge le personnel administratif et hôtelier, les repas, le coût de la blanchisserie, l’animation.

L’EHPAD est comparable à un petit village au sein duquel l’ensemble du personnel s’affaire autour des résidents, pour leur bien-être.

 

Jeu

Gym entre résidents.

 

Une question que pas mal de gens se posent, légitimement parce qu’elle est source de grandes difficultés pour les résidents et leur famille : pourquoi est-ce si coûteux, un séjour en EHPAD ?

Plusieurs facteurs jouent. Tout d’abord, le statut de l’EHPAD : un EHPAD public ou privé à but non lucratif sera moins onéreux qu’un EHPAD privé à but lucratif. L’argument souvent entendu pour justifier le prix est celui de la qualité des prestations, mais cet argument est largement discutable.

« Si à titre personnel j’ai tout à fait conscience

du caractère onéreux qu’un séjour peut représenter

pour un résident et sa famille, en tant que directrice

je considère que le coût n’est pas démesuré

par rapport aux moyens déployés au quotidien. »

Hormis le statut, aujourd’hui l’exigence des prestations de qualité est un mot d’ordre en tout point de vue : les animations doivent être nombreuses, les repas réalisés de qualité, avec de préférence des produits locaux et des textures enrichies en tenant compte de l’état nutritionnel des résidents, le personnel doit être rémunéré à la juste valeur du travail fourni, l’accompagnement du résident en EHPAD doit se réaliser de manière individualisée dans le cadre des Projets d’Accompagnement personnalisés : et tout cela a un coût. Les directeurs d’établissement doivent toujours jongler pour faire plus (de qualitatif) à moyens constants, et parfois avec moins. Si à titre personnel j’ai tout à fait conscience du caractère onéreux qu’un séjour peut représenter pour un résident et sa famille, en tant que directrice je considère que le coût n’est pas démesuré par rapport aux moyens déployés au quotidien.

À ce jour, notre établissement facture à un résident un peu moins de 2.000 € par mois. Toutefois, si les résidents n’ont pas les moyens de s’acquitter de cette somme, le dispositif d’aide sociale est enclenché.

 

L’EHPAD que vous gérez, bien que situé dans une région particulièrement touchée par le Covid-19 (le Grand-Est), a fort heureusement été moins sinistré humainement parlant que beaucoup d’établissements. Comment l’expliquez-vous ?

Dès l’apparition des premiers cas Covid, à la fin du mois de février dans le département, la question s’est posée de la fermeture de l’accès de l’établissement aux visiteurs, ce qui fut chose faite dès le 5 mars, soit une dizaine de jours avant que cela ne soit rendu obligatoire au niveau national. La plupart des familles ont compris notre démarche ; 20% d’entre elles l’ont mal accepté. Deux semaines plus tard, ces mêmes familles nous remerciaient. Quinze jours après la fermeture de l’accès à l’établissement, nous avions conscience que le plus grand danger pour les résidents, c’était nous, car aucun résident n’avait développé de symptôme à ce stade. Le rappel des gestes barrières est un impératif quotidien.

Le fait que notre établissement ait été jusqu’ici épargné tient également en partie au hasard : aucun de nos agents n’a participé au rassemblement évangélique à l’origine de la propagation du virus dans le département.

 

L’organisation de votre établissement a-t-elle été fortement modifiée face à cette crise ?

Depuis deux mois, l’organisation de l’établissement est en perpétuelle évolution.

Le 5 mars, au moment de la fermeture de l’établissement aux visiteurs, la question du renforcement des activités et de l’animation s’est posée. Les plannings ont été modifiés en ce sens, et le personnel soignant a été sollicité. Au vu de l’ampleur que prenait l’épidémie, il a fallu rapidement trouver un compromis entre le fonctionnement actuel (les résidents continuaient de prendre leur repas ensemble, de participer aux activités en commun) et les précautions qui devaient s’accentuer : le 18 mars, c’est un confinement par étages que l’établissement a mis en place. L’important était, à ce stade, de ne pas imposer un confinement en chambre aux résidents qui, pour le moment, n’étaient pas symptomatiques, ceci afin de leur préserver un minimum de liberté, tout en limitant la propagation du virus s’il devait surgir à tout instant. Ainsi, les repas ont été pris aux petits salons des trois étages, les résidents pouvaient continuer à se déplacer, mais uniquement à leurs étages respectifs. Cela a demandé une importante réorganisation, en particulier au niveau de la distribution des repas, qui originellement se réalisait uniquement au rez-de-chaussée.

« La communication gouvernementale

ne nous a pas aidés... mais nous avons réussi

à nous réorganiser, perpétuellement... »

Le 28 mars, un samedi soir, le Premier Ministre annonçait les « fortes recommandations » au sujet des EHPAD : le confinement en chambre des résidents, et la mise en quarantaine éventuelle du personnel. Grosse erreur de communication en plein milieu du week-end selon moi. Le lundi suivant, la plupart des directeurs connaissaient une mini révolution dans leur établissement : le personnel paniquait à l’idée qu’on leur impose de ne pas rentrer chez eux, certains menaçant de se mettre en arrêt si c’était le cas. S’agissant des résidents, certains de leurs enfants les avaient appelés durant le week-end en leur disant qu’ils allaient désormais être « enfermés en chambre ».

Là aussi, nous nous sommes adaptés afin de nous conformer aux instructions, tout en limitant au maximum l’impact psychologique de ce confinement pour les résidents : pour celles et ceux en capacité de le comprendre, nous expliquions que même s’ils devaient rester en chambre, la porte pouvait rester ouverte. Les animations, prévues jusqu’alors par étages sur le planning, ont été démultipliées pour qu’à chaque étage, chaque couloir bénéficie d’activités en journée. Nous avons inventé plusieurs concepts, dont celui d’ « animation sur le pas de la porte » (je vous invite à aller visiter notre page Facebook). Les repas ont été distribués en chambre : le personnel administratif, la direction et le personnel technique prêtent à tour de rôle main forte aux soignants et au personnel de restauration le soir, au moment de la distribution des repas.

L’étape suivante a été l’annonce par le Premier Ministre un… dimanche soir, de la réintroduction du droit de visite « dès demain ». Un travail conséquent de communication et de pédagogie réalisé auprès des familles sur la nécessité d’interrompre les visites s’est envolé en fumée en l’espace de quelques phrases prononcées lors d’un discours. Réorganisation, précautions sanitaires, dépenses pour l’aménagement des salons des familles en plexiglass, documents administratifs, charte et auto-questionnaire à éditer pour s’assurer du respect des règles de précautions sanitaires par chaque famille…

En somme, la réorganisation est perpétuelle depuis deux mois, de jour en jour, voire d’heure en heure.

 

Quelques éléments de coulisses, pour nous faire vivre un peu, de l’intérieur, cette crise sanitaire vue de l’EHPAD, par les différents personnels ? Leur charge de travail est-elle augmentée, leur fatigue et leur anxiété (peur de contaminer les anciens et d’être contaminés eux-mêmes) peut-être plus visibles ? Comment percevez-vous ces réactions humaines face à une situation à bien des égards exceptionnelle ?

La charge de travail n’est pas augmentée, mais réorganisée différemment, et il faut toujours un temps d’adaptation pour retrouver ses repères.

Les agents de l’établissement, avant d’être soignants, sont avant tout des êtres humains. Face à cette situation de crise sanitaire, quel être humain ne prendrait pas peur, ne serait pas inquiet ? L’être humain passe au stade de héros lorsque, malgré la peur, chaque matin, il continue de venir travailler. Continue de garder le sourire face aux résidents, continue de les rassurer. Chaque agent, quel que soit son service, a continué à prendre soin de nos résidents.

« Chaque jour, les décisions prises étaient le fruit

d’un compromis entre préservation des libertés

et maintien de conditions sanitaires optimales. »

Chaque jour, les décisions prises étaient le fruit d’un compromis entre préservation des libertés et maintien de conditions sanitaires optimales. Chaque décision faisait l’objet d’une réflexion éthique, collégiale. Un impératif : toujours placer et garder le résident au cœur de nos réflexions.

Notre établissement est le troisième EHPAD de France à avoir été labellisé Humanitude, depuis 2013. L’Humanitude, c’est un état d’esprit, une réinterrogation constante de ses pratiques, l’objectif étant de donner du sens à chaque geste, chaque parole, chaque acte de soins réalisé pour le résident.

Parmi les piliers sur lesquels se basent l’Humanitude figurent la verticalité (vivre et mourir debout), le regard, le toucher. Les résidents sont tellement habitués à ces pratiques que lorsque vous vous approchez d’eux, ils vous tendent la main naturellement. Comment réagiriez-vous en période de crise sanitaire lorsqu’on vous répète à l’envi que les gestes barrières sont essentiels, que vous avez en face de vous des résidents qui n’ont pas eu la visite de leurs proches depuis deux mois, et qui sont contraints de rester dans leurs chambres ? Eh bien, vous restez tout simplement humain, et vous leur tenez la main.

 

Jardiniers

Jardinage avec un résident.

 

Comment les résidents vivent-ils la situation, et notamment les très fortes restrictions sur les visites et les activités collectives ? Leur moral n’est-il pas trop impacté ? Comment vous y prenez-vous pour leur assurer malgré tout, un séjour actif et ludique en ces temps troublés ?

Les deux moments difficiles ont été l’interdiction des visites début mars, puis l’annonce du confinement en chambres. Si certains résidents avaient déjà pour habitude de rester en chambre, d’autres ont accueilli cette décision avec anxiété, et de nombreux questionnements.

Chaque résident vit le confinement à sa façon, et chaque jour est différent. Il est difficile de généraliser. Il arrive même dans certains cas que les familles vivent moins bien la séparation que leurs parents. Le moral n’est pas au beau fixe c’est un fait, mais parfois il suffit d’un détail pour ensoleiller la journée d’un résident. D’où le rôle clé joué par chaque agent de l’établissement. Chaque geste, chaque parole réconfortante prend d’autant plus sens et de l’importance en cette période.

Notre objectif a été de tout miser sur les animations aux étages, et de démultiplier les canaux de communication afin de maintenir le lien entre familles et résidents (Skype, page Facebook, échanges de petits mots ou photos imprimés entre la famille et les résidents).

Les agents de l’établissement, tous services confondus, ont participé aux animations, c’est ainsi que des clips vidéos mettant en scène les résidents ont été réalisés, que des séances de gym tonique ont eu lieu dans les couloirs, des danses, des séances de jeux de mots… Le maximum a été mis en œuvre pour que les résidents se sentent le moins seuls possible.

 

À titre personnel, de quelle manière aurez-vous vécu cette crise du Covid-19 ? Est-ce qu’à la limite, hors bien sûr tous les aspects les plus sombres de cette pandémie impitoyable, vous trouvez quelque vertu à cette situation, et peut-être des raisons d’espérer en un "monde d’après" peut-être plus responsable, plus raisonnable ?

Comme la plupart de mes collègues, en particulier en Alsace, cette période a dépassé tout ce que nous aurions pu imaginer. Cette période est traumatisante, n’ayons pas peur du mot. Nos valeurs, nos principes, notre éthique ont été réinterrogés.

« Cette crise a montré que la Solidarité

n’était pas un mot perdu... »

Face à cela, cette crise a montré que la Solidarité n’était pas un mot perdu et qu’elle pouvait se manifester sous diverses formes, qu’il s’agisse de matériel, de petits mots d’encouragement, de dessins, de douceurs salées et sucrées, de fleurs ! Cela fait du bien, beaucoup de bien.

Toute la question réside désormais sur les enseignements que cette crise laissera : plus responsable, plus raisonnable ? Je suis incapable à ce stade de répondre à cette question, mais j’espère que tout ce que nous avons vécu depuis deux mois ne l’aura pas été « pour rien ».

 

Résidents et soignants

Des soignantes dansent dans les couloirs avec un résident.

 

Cette question, je vous la pose en tant que directrice d’EHPAD et aussi comme bonne connaisseuse de la politique et des questions économiques : la dépendance de nos anciens est-elle suffisamment prise en charge par la société, et y a-t-il en la matière des perspectives qui vous paraîtraient intéressantes à explorer ?

La question du cinquième risque et de la prise en charge de la dépendance n’est pas nouvelle. Tout le monde s’accorde sur une réforme nécessaire du système. Tout le monde achoppe sur la même question : où trouver l’argent ?

Dans votre question, j’interprète « suffisamment prise en charge » non par la question sous-jacente du coût, mais par les moyens humains nécessaires pour prendre en charge la dépendance.

Comment donner envie de devenir soignants ? De travailler en EHPAD ? Je me plais à répéter que nous ne travaillons pas dans une maison de retraite, mais dans une « maison de vie ». Cette maison où ce n’est pas un chapitre de sa vie qui se clôt lorsqu’on y entre, mais bien au contraire un nouveau chapitre qui s’ouvre. Il est malheureusement rare que ce message soit relayé par les médias.

« Un obstacle qui handicape nos "maisons de vie" :

les écoles de formation se vident...  »

Il y a quelques années encore, les directeurs devaient se battre pour faire entendre à leurs tutelles qu’il n’y avait pas suffisamment de soignants ni de médecins en établissement pour faire face à la charge de travail. Aujourd’hui, un pas est franchi : tout le monde s’accorde sur la nécessité de recruter. Un nouvel obstacle se dresse : les écoles de formation se vident. 

 

Un message à adresser, un dernier mot ?

Je suis fière de mon métier. Je suis fière des équipes du Séquoia. Les sourires des résidents ensoleillent nos journées.

 

Équipe EHPAD

La photo a été prise pour remercier les élèves d'une classe de CM2 qui avaient cuisiné

avec leur maman des pâtisseries pour les résidents et le personnel.

 

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7 mai 2020

Julie Bottero : « L'espérance de vie des personnes vivant avec le VIH se rapproche désormais de celle des autres... »

Alors que le déconfinement se précise, et que la vie s’apprête à redevenir un peu plus normale pour les uns et les autres, suite de ces articles ayant vocation à mieux faire connaître le monde médical, en donnant la parole à des soignants. Mon invitée du jour s’appelle Julie Bottero : responsable d’unité aux Maladies Infectieuses et Tropicales de l’hôpital Jean Verdier (Seine-Saint-Denis), elle est notamment spécialisée dans les questions touchant au VIH, au SIDA. Merci à elle d’avoir accepté de répondre à mes questions, au tout début du mois de mai. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL SANTÉ - PAROLES D’ACTU

Julie Bottero: « L’espérance de vie des personnes vivant

avec le VIH se rapproche désormais de celle des autres... »

 

Julie Bottero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Comment vivez-vous, comme soignante, et comme chef de service à l’AP-HP, cette crise du COVID-19 ? Dans quelle mesure votre service est-il impacté par la pandémie, et sollicité pour lutter contre elle ? Quelles leçons tirez-vous de cette expérience de terrain ?

face au Covid-19

Bonjour. Tout d’abord, une précision, je ne suis pas chef de service, mais responsable d’unité aux Maladies Infectieuses et Tropicales de l’hôpital Jean Verdier (Seine-Saint-Denis), dont le chef de service multi-sites est le Professeur Olivier Bouchaud. Au début du confinement, cette unité, à activité ambulatoire exclusive, a dû, comme toutes les unités ambulatoires, fermer pour ne pas risquer d’exposer les patients au coronavirus. Ainsi l’hôpital Jean Verdier a pu, comme les autres hôpitaux, concentrer ses efforts sur la prise en charge des patients hospitalisés pour COVID.

De mon côté, j’ai donc réorganisé, conformément au souhait du Professeur Bouchaud, mon travail à distance autour d’activités de veille et synthèse bibliographique, et de production de projets de recherche.

À ce jour j’ai donc contribué à :

  • la diffusion d’informations médicales auprès de nombreux confrères, via notamment des groupes WhatsApp et un site internet mis en place par l’UNFM (Université Numérique Francophone Mondiale), dédié à la formation des soignants francophones

et à

  • l’écriture de plusieurs projets de recherche opérationnelle visant notamment à :

- Évaluer le retentissement médico-psycho-social à moyen terme d’une hospitalisation pour COVID ;

- Organiser la prise en charge des personnes sans-abri à Marseille ;

- Évaluer l’apport d’un Drive de dépistage du COVID en région parisienne.

 

Cette question dépasse un peu le cadre médical, mais croyez-vous que cette crise va nous changer, au moins un peu, dans la manière dont on aborde nos rapports à nos aînés, le temps à employer, notre environnement et le sens des priorités ?

après la crise

Même nous ne pouvons que l’espérer, je ne suis pas sûre que cette crise nous permettra effectivement de sortir du système individualiste dans lequel notre société est engagée depuis si longtemps…. Et des dérives extrémistes, notamment secondaires d’une part aux erreurs des politiques dans la gestion de cette crise, et d’autre part à une excessive défiance de la société envers ses « élites », sont même à craindre…

 

Vous êtes très engagée dans la prévention, et dans la lutte contre le Sida, pandémie (provoquée par le virus VIH) qui a tué et qui continue de tuer massivement partout dans le monde (plus de 30 millions de morts d’après l’OMS). Quels points de dissemblance et de ressemblance notables avec le COVID-19 ? La rapidité légitime des réactions et de la recherche pour lutter contre ce nouveau coronavirus, qui frappe et perturbe massivement les pays occidentaux, n’est-elle pas à comparer avec l’historique de la réponse faite au SIDA ?

Covid-19 et VIH

De nombreux parallèles peuvent effectivement être faits dans la gestion internationale, scientifique et médicale de ces deux pandémies… Même si je n’exerçais pas encore à ce moment-là, il semble que les choses vont plus vite actuellement que pour la pandémie du SIDA. Toutefois, il me semble que cela tient essentiellement aux immenses avancées, non seulement techniques (qui ont permis de caractériser ce coronavirus très rapidement), mais aussi numériques qui facilitent largement les transferts d'informations et de connaissances. En outre, ce virus de type respiratoire semble, pour le moment, moins complexe et variable que celui du VIH, ce qui devrait permettre la mise au point rapide d'un vaccin.

 

Constatez-vous, si vous avez des données en la matière, un nombre moindre de dépistages ou de traitements de maladies de type MST ou SIDA en cette période de Covid-19 ? Ce phénomène a l’air assez alarmant : beaucoup de gens ne font pas leurs examens ou ne vont pas à l’hôpital quand ils le devraient, par peur du Covid ou pire, de ne pas déranger ?

effets collatéraux

Il est certain que, du fait du confinement, du principe général de précaution, mais aussi afin de pouvoir prendre en charge au mieux l’ensemble des personnes hospitalisées pour COVID, nous avons dû différer de nombreuses consultations de suivi (certaines ayant toutefois été réalisées en téléconsultations), mais aussi limiter les amplitudes des consultations dédiées au dépistage. De ce fait, et comme d’autres spécialistes, nous sommes inquiets d’une possible (non documentée jusqu’alors) dégradation de l’état de santé générale de nos patients et nous nous préparons désormais activement à pouvoir reprendre au mieux le suivi nécessaire.

 

Où en est-on justement dans la recherche contre le SIDA ? Quelles avancées, et quels faits notables ces dernières années ? Y a-t-il un espoir tangible d’imaginer qu’à l’horizon 2030, il y ait un vaccin ?

SIDA : perspectives d’avenir

De nombreux progrès ont été faits ces dernières années, tant aux niveaux thérapeutique que préventif. Sur le plan thérapeutique, de nombreuses personnes infectées peuvent désormais bénéficier de traitements sous forme simplifiée (1 à 2 comprimé.s. par jour, parfois uniquement 4 jours/7), et quasiment dépourvus d’effets secondaires. Du fait de ces progrès, les patients infectés par le VIH vivent mieux avec le traitement et ont, de plus en plus, une espérance de vie proche de celle des personnes non-infectées.

Par ailleurs, des progrès ont également été réalisés sur le plan de la prévention, puisque l’on sait désormais qu’il n’y a pas de risque à avoir des rapports sexuels avec une personne porteuse du virus du VIH, sous réserve que celle-ci prenne scrupuleusement son traitement et que « sa » charge virale soit constamment indétectable (Concept du I= I ou Indétectable = Intransmissible). Il existe également, désormais, des tests de dépistage rapide simplifiés, y compris réalisables par les personnes elles-mêmes si elles le désirent (autotests vendus en pharmacie), et la possibilité, pour toutes les personnes prenant des risques importants d’exposition au virus (notamment pour celles n’arrivant pas à utiliser des préservatifs lors des rapports sexuels), de bénéficier de consultations et de traitement préventif appelés PREP.

Quant au vaccin, difficile malheureusement, compte-tenu des caractéristiques du virus et de ses mécanismes physiopathologiques, de penser que celui-ci sera disponible en 2030…

 

Un message à adresser aux uns et aux autres ?

Gardez la confiance en vos soignants et en l’Inserm (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale)… nous mobilisons toute notre énergie médicale et scientifique pour nous sortir de cette crise sanitaire le plus vite et le mieux possible, et notamment en ne cessant de chercher les meilleurs traitements.

 

Un dernier mot ?

Prenez-soin de vous, de vos proches, et de la société.

 

Julie Bottero

 

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1 mai 2020

Nans Florens, néphrologue : « Il faut désacraliser nos professions, inciter le public à s'emparer de nos débats »

En ce premier mai, dont je souhaite, pour toutes et tous, qu’il soit porteur d’éclaircies durables, ou en tout cas de moments de joie et de partage, pas négligeables en ces temps bien sombres, je vous propose un nouvel article (le cinquième) autour de l’épidémie de Covid-19, qui continue de ravager des familles et de faire porter par nos soignants, et par nos sociétés, une pression difficile à supporter. Nans Florens est néphrologue (c’est-à-dire, médecin spécialiste du rein), chercheur en physiologie (en gros, la science qui étudie les fonctions et les propriétés des organes et des tissus des êtres vivants, merci Google !) et fan de rock (pas incompatible ^^). Je le remercie vivement d’avoir accepté de répondre à mes questions (interview réalisée à la fin du mois d’avril) et vous engage, toutes et tous, à suivre sa chaîne de vulgarisation (au sens le plus noble du terme) YouTube, Doc’n’Roll. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Nans Florens: « Il faut désacraliser nos professions,

inciter le public à s’emparer de nos débats... »

 

Nans Florens bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Parlez-nous un peu de votre parcours : pourquoi la médecine, et en particulier, pourquoi la néphrologie et la recherche en physiologie ?

Bonjour, merci à vous de m’interroger ! Pourquoi la médecine ? Parce que j’ai toujours été passionné par la science et le corps humain, et aussi, beaucoup, car j’ai une tendance hypocondriaque, penchant paranoïaque ! Faire médecine, c’était aussi une façon de mieux appréhender cette partie-là de ma personnalité (enfin c’est ce que je croyais, rires).

La néphrologie, c’est une histoire marrante. C’est la seule matière pour laquelle je n’ai rien compris en lisant les cours pour la première fois à la fac. Je me suis alors dit : « Ouah ! Pas évident cette spécialité, va falloir un peu/beaucoup réfléchir ! ». En fait, au fur et à mesure, j’ai compris que cette discipline était surtout basée sur la physiologie et la physiopathologie et, une fois que l’on a bien appréhendé cela, on comprend tout ! À ce moment-là, ça a été une révélation pour moi. Cette spécialité est très vaste, elle se recoupe avec beaucoup d’autres comme la cardiologie, l’endocrinologie, l’urologie, l’immunologie et la médecine intensive (la réanimation). J’étais particulièrement séduit par ce dernier point : la relation néphrologie/médecine intensive (ce sont les néphrologues qui ont en partie inventé la réanimation moderne), j’ai donc suivi également l’enseignement du diplôme d’études spécialisées en réanimation, et j’effectue aujourd’hui encore des gardes en réa.

Parallèlement à mon choix de spécialité, j’ai toujours voulu enseigner et faire de la recherche. Je ne voulais pas seulement être un bon clinicien (c’est à dire faire ce qu’il faut pour soigner) mais aussi être acteur de la médecine et de la science de demain, participer à l’amélioration des connaissances et à la découverte de nouvelles perspectives. C’est pour cela que j’ai fait un deuxième doctorat de recherche en physiologie (domaine très vaste). J’ai surtout travailler sur les lipoprotéines dans l’insuffisance rénale chronique et leur lien avec le risque cardio-vasculaire. Je vais poursuivre mes recherches aux États-Unis à partir de la fin de l’année, pour deux ans, dans un laboratoire à la pointe de la biologie moléculaire cardio-vasculaire.

Côté enseignement, j’interviens dans les cours magistraux de néphrologie et de thérapeutique, mais je crois aussi beaucoup à la vulgarisation et c’est pour ça que j’ai lancé avec un ami infirmier une chaîne YouTube du nom de Doc’n’Roll (alliant aussi ma passion pour la musique) il y a peu !

 

Quel regard portez-vous sur ce nouveau coronavirus, le Covid-19, notamment en tant que chercheur ?

Ce virus est un véritable challenge pour la science et ce, à plusieurs égards.

Premièrement, car nous partons de zéro. Il faut construire la connaissance autour de ce virus, son origine, son mode de transmission, ses particularités virologiques, ses symptômes et ses traitements potentiels. Le monde scientifique est en ébullition et nous découvrons chaque jour dans tous les domaines de nouvelles choses. C’est assez rare dans ce milieu, autant de découvertes aussi importantes et en peu de temps ! La plupart du temps, la recherche avance doucement car les hypothèses testées sont de plus en plus complexes et il faut beaucoup de temps pour y répondre. Là, nous avons une feuille vierge pour écrire l’histoire et la science de ce virus.

 

« En matière de recherche, le combat doit être

un combat de preuves, et non de communication ! »

 

Deuxièmement, car la science ne doit pas être victime d’un emballement néfaste. Le domaine de la recherche est aussi un milieu très compétitif, avec des enjeux financiers et d’égo. Il est donc dangereux de voir apparaître tout et n’importe quoi sur le plan scientifique, et même à un haut niveau de publication (revues prestigieuses). Toute l’année, nous nous battons pour protéger les patients par une recherche clinique de qualité, avec une vraie évaluation du bénéfice/risque et une transparence absolue en matière d’efficacité. La façon de faire de certains collègues, quel que soit leur passé glorieux, est plus de l’ordre du populisme scientifique. Il est absolument dément de voir la médiatisation et la « peopolisation » du débat sur la chloroquine ! Le combat doit être un combat de preuves, et non de communication, ce que je déplore trop souvent actuellement. Plus que jamais dans une période aussi inédite, et vu l’énormité des enjeux (on parle quand même de traiter des millions, voire des milliards d’individus !), il ne faut pas se contenter de mauvaises études. La science, ce n’est pas selon l’interprétation de chacun, il y a des faits et une méthode. Si la méthode ne permet pas d’affirmer les faits, alors on ne peut pas les affirmer, point.

Enfin, je dirais que cela montre aussi la grande qualité de notre recherche scientifique mondiale, quand elle s’en donne les moyens. Dernièrement, nous avons généré plus de connaissances, en quelques mois, sur ce virus que sur le virus Ebola. On parle de vaccin d’ici l’année prochaine, là où une épidémie qui a fait 20.000 morts a dû attendre quatre années (Ebola : dernière épidémie 2013-2016, vaccin 2019).

 

Comment vivez-vous, dans le cadre de votre travail à l’hôpital, cette grave crise sanitaire ?

Nous avons dû repenser en profondeur notre façon de fonctionner. Toutes nos réunions de service ont été annulées ou réduites au staff minimal nécessaire. Nous avons déprogrammé toutes nos hospitalisations non urgentes et sommes passés à quasiment 100% de téléconsultation. C’est une véritable révolution ! Le déploiement de la téléconsultation est probablement un des points positifs de la crise Covid. Cela permettra d’accélérer les choses au niveau national. En fait, cette crise nous permet aussi de constater que, lorsque nous nous en donnons les moyens, nous pouvons faire bouger rapidement les lignes. On a qualifié l’hôpital de gros paquebot ingouvernable, mais là, les administratifs ont fait preuve d’initiative, main dans la main avec les soignants, et nous avons pu nous réinventer pour mieux absorber la crise. Résultat : pas de submersion de notre système à Lyon, bien qu’ayant connu une activité hors norme durant les dernières semaines.

En néphrologie, nous avons la dialyse, et ça, on ne peut pas le faire en téléconsultation. Nous avons donc repensé notre façon de fonctionner. De l’arrivée du patient par un circuit d’ascenseurs spécifique, de son accueil avec un questionnaire et une prise de température jusqu’à la programmation sur une série spéciale de patients dialysés Covid-19+...

À la fac, nous avons aussi déployé rapidement des plateformes de cours en ligne, et avons dû revoir nos contenus. C’est extrêmement enrichissant comme expérience !

Au laboratoire, malheureusement tout est à l’arrêt, c’est mon principal regret car je ne peux pas avancer sur ma recherche…

 

« J’ai vu que l’on était capable de faire beaucoup,

et j’espère que l’on pourra continuer avec

cette même énergie à la sortie de la crise. »

 

Pour résumer, à titre personnel, je vis la crise sous un angle plutôt positif. J’ai vu que l’on était capable de faire beaucoup, et j’espère que l’on pourra continuer avec cette même énergie à la sortie de la crise. J’ai aussi vu un grand soutien de la part de toute la société civile : les restaurateurs (qui vont être en grande difficulté), mon fournisseur d’énergie, les réparateurs de vélos, et j’en oublie ! Personnellement, je mettrai un point d’honneur à tous les remercier un par un à la sortie de tout ça.

 

Dans quelle mesure peut-on dire, sur le papier et de par l’expérience acquise ces dernières semaines, que les insuffisants rénaux sont une population particulièrement à risque face au Covid-19 ? Leur prise en charge hospitalière se fait-elle différemment en ce moment ?

Les patients insuffisants rénaux sont effectivement plus à risque. Très probablement car ils ont souvent plusieurs facteurs de risque de forme grave de Covid-19 (l’âge, les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’hypertension…). Notre expérience montre que, comme dans la population générale, les symptômes et la gravité de la maladie sont extrêmement variables. Sur la vingtaine de patients que nous avons dû hospitaliser, nous avons eu environ 20% de formes sévères, et 15% de décès. C’est donc effectivement largement au-dessus de la population générale...

Leur prise en charge ne diffère pour autant quasiment pas des autres. Les traitements de support sont les mêmes (oxygène, nursing). Par contre, du fait de leur insuffisance rénale, nous ne pouvons pas les faire participer à toutes les études en cours, et les médicaments comme l’hydroxychloroquine sont à manier avec encore plus de précaution chez ces patients. De fait, nous ne les utilisons quasiment pas.

Les patients dialysés sont pris en charge la nuit sur une série spéciale pour leurs séances de dialyse. Les transplantés rénaux voient leur traitement réadapté.

 

« L’activité de greffe rénale a été suspendue

sur le plan national depuis le début

de la crise de Covid-19. »

 

Pour la prise en charge des patients non-Covid, nous avions transformé le service de transplantation rénale en service de néphrologie général non-Covid, car l’activité de greffe rénale a été suspendue sur le plan national. Cela a été un grand choc pour tout le monde, mais cette décision était plus sage vu le contexte, et compte tenu du fait que nous pouvons faire patienter les gens en dialyse (ce n’est cependant pas le cas pour les greffes de foie en urgence, ou les greffes de cœur/poumons qui ne peuvent pas trop attendre parfois…)

Tout cela constitue un gros changement pour nos patients, notamment pour les personnes âgées qui dialysent. La nuit c’est très éprouvant et avec la maladie, souvent très difficile, ajoutez à ça le fait de ne pas recevoir de visites et de ne voir que des soignants habillés en cosmonaute… le cocktail parfait pour déprimer !

Les patients dialysés se savent à haut risque de forme grave et en même temps, ils sont obligés de venir à l’hôpital. Cela les met dans une situation anxiogène que nous essayons de gérer au mieux.

 

On entend ou lit beaucoup, ici ou là, qu’à cause du Covid-19, de la peur qu’il engendre ou de la crainte de « déranger » des personnels soignants déjà fortement sollicités, pas mal de gens auraient repoussé à plus tard des examens qu’ils devaient passer, voire des interventions médicales, parfois importantes. Clairement, faut-il craindre un grand nombre de victimes « collatérales » du Covid-19, et a-t-on déjà des données en la matière ?

C’est effectivement le cas. Un certain nombre de mes patients ne veulent pas sortir faire leurs examens biologiques. Cela est un véritable problème en néphrologie, car notre prise en charge est énormément basée sur les résultats des prises de sang ! Cela est d’autant plus ennuyeux quand les patients ont une insuffisance rénale sévère, et qu’il faut ajuster leur traitement très souvent. Lors des téléconsultations, je ne peux souvent pas évaluer leur pression artérielle non plus, car beaucoup ne la prennent pas... et c’est pourtant une donnée essentielle !

 

« Les cardiologues ont peur de voir arriver une vague

de malades ayant des formes dépassées de pathologies,

négligées à cause de la peur du Covid... »

 

Je n’arrive pas à dire si tout cela va être un gros problème, mais on a bien vu que la fréquentation des services d’urgence avait chuté, qu’il y avait moins de prise en charge d’infarctus du myocarde… Cela est un peu à double tranchant, d’un côté, on voit que les consultations non urgentes et les passages injustifiés aux urgences ont largement diminué, mais d’un autre côté on voit aussi des complications sévères et des formes graves de pathologies qui ont été négligées par peur de se rendre aux urgences. Pour les infarctus, il est impensable que leur nombre ait chuté comme par magie avec le confinement... Les cardiologues ont peur de voir arriver une vague de malades ayant des formes dépassées, et donc une insuffisance cardiaque séquellaire plus grave in fine. Ces effets ne seront palpables qu’avec plusieurs années de recul par contre !

Il n’y a pas vraiment de données établies mais on peut d’ores et déjà constater des prises en charge plus tardives que d’habitude pour certaines pathologies. Un message simple : il faut aller voir son médecin, ou en tout cas l’appeler en cas de problème. Il ne faut pas hésiter à appeler les secours pour une douleur thoracique ou un problème inhabituel ! Au début de la pandémie, le 15 était saturé d’appels et les « vraies urgences » pouvaient attendre plusieurs longues minutes avant d’être prises en charge. Aujourd’hui, la situation est plus calme donc il n’y a pas de raison de ne pas se soigner !

 

Êtes-vous de ceux qui croient en un « monde d’après », plus responsable et plus vertueux ? Quelles grandes leçons tirer de cette pandémie ?

J’avoue que je ne sais pas ce que je crois… En confinement, tout le monde a envie de changement, de repartir sur de nouvelles bases. Mais les conséquences dans la vie de tous les jours vont peut-être perturber tout cet élan. Le chômage, la crise économique…

Je suis un fervent partisan de plus d’écologie, on voit bien que l’air est plus respirable, que la nature revient avec l’arrêt de la suractivité humaine. J’espère que l’on pourra prendre cela en compte et surtout que l’on ne sabordera pas toutes les initiatives pour un monde plus durable au profit et à la justification d’une relance économique (qui sera essentielle par ailleurs j’en conviens !)

Les leçons à tirer sont, pour moi :

Le positif :

  • Sur le plan professionnel : l’énergie et les moyens que l’on peut déployer pour une cause précise. Il faut garder cela en tête pour la refondation à venir de l’hôpital. Le dialogue et la vraie collaboration administration-soignant fonctionnent ! Je suis content que l’on puisse remettre la problématique de l’hôpital au centre du débat, mais après les paroles y aura-t-il des actes ?

  • Sur le plan économique : on redécouvre que de nombreux métiers peu reconnus sont essentiels au fonctionnement de la société. Il serait temps que l’on revalorise ces filières-là aussi.

  • Sur le plan sociétal : on voit que le confinement a permis d’exacerber des élans de générosité et de bienveillance. J’aimerai que l’on garde cette belle énergie positive pour construire l’avenir et le vivre-ensemble.

 

« Il faut absolument sortir de cette crise

en repensant dès le plus jeune âge

l’apprentissage de l’esprit critique, du doute... »

 

Le négatif : le complotisme… la gouroutisation… Je me rends compte que nous avons échoué sur toute la ligne avec l’avènement des réseaux. Au lieu d’être une plateforme de partage, ils sont devenus le lieu d’un sectarisme numérique avec la circulation et la galvanisation de fausses informations, de détournement de la vérité… La responsabilité de chaque personne dans son domaine d’excellence est grande. Il faut absolument sortir de cette crise en repensant dès le plus jeune âge l’apprentissage de l’esprit critique, du doute (la zététique), permettre aux gens d’avoir à nouveau confiance dans les experts (ce que j’appelle les experts, ce sont ceux qui sont normalement légitimes pour parler d’un sujet, légitimes par leur cursus et leurs réalisations), mais aussi de pouvoir les remettre en question avec des arguments documentés. Sortir du sensationnalisme, du clic, du follower… Je ne vois que l’éducation et la pédagogie pour ça !

(L’annulation du Hellfest aussi est le gros point négatif de cette crise, mais ça c’est plus à titre personnel… :D)

 

Je l’ai bien compris, la pédagogie est quelque chose qui vous tient beaucoup à cœur. Pourquoi est-il essentiel que les patients, et plus généralement les citoyens, s’emparent davantage des questions de santé ?

Oui, comme je le disais à la question précédente, je suis assez convaincu qu’il faut proposer plus de contenu pédagogique pour le plus grand nombre. Sur le plan professionnel, je suis assez engagé dans la pédagogie à la faculté et je fais partie de l’APNET (Association pédagogique nationale des enseignants en thérapeutique).

 

« En médecine, nous sommes les champions du monde

de la jargonisation ! Pour le grand public, il faut vulgariser.

Et vulgariser, c’est donc surtout donner les clés

pour pouvoir mieux douter. »

 

Par ailleurs, sur un plan plus général, je pense qu’il faut désacraliser nos professions et la tour d’ivoire dans laquelle nous nous plaçons, avec nos dizaines d’années d’études ! C’est vrai qu’il est parfois difficile d’expliquer pourquoi telle ou telle étude est bonne ou mauvaise, car cela fait appel à de nombreux concepts à la fois de sciences fondamentales, de physiologie et de méthodologie. En médecine, nous sommes les champions du monde de la jargonisation ! Ma femme me le dit souvent quand elle se voit piégée dans une conversation avec mes amis médecins ! Le propre d’un bon pédagogue c’est de s’adapter à son auditoire. Pour le grand public, il faut vulgariser. Et vulgariser, c’est donc surtout donner les clés pour pouvoir mieux douter. L’idée ce n’est pas de devenir médecin ou statisticien, mais de se dire que la réalité cache des choses parfois plus complexes et qu’il faut beaucoup de mesure pour tirer des conclusions tranchées ! Si l’on peut par la même occasion faire passer des messages et des connaissances, alors tant mieux !

J’ai pris le parti, depuis le début de la crise, d’expliquer, en essayant au maximum de vulgariser les différents enjeux, par exemple ceux d’une étude bien ou mal faite ; de ce qu’est une prise en charge en réanimation ; de pourquoi il est faux de dire que l’hydroxychloroquine est un médicament bien toléré sans regarder son contexte de prescription… J’ai utilisé les réseaux et donc diffusé cela à mes proches. On se rend compte que pour beaucoup, il n’y avait pas de problème, mais il est difficile de convaincre les gens qui sont persuadés d’avoir raison et d’être au centre d’un complot…

Du coup, avec mon ami, Renaud Benier-Rollet, infirmier libéral, nous avons lancé notre chaîne YouTube Doc’n’Roll, l’objectif étant d’avoir un contenu de vulgarisation médicale que nous espérons accessible et sur un format ludique, la vidéo. Comme nous sommes tous les deux musiciens, cette page ne pouvait être sans rappeler notre passion commune ! Notre première vidéo sur les principes du dépistage du Covid-19 a été plutôt bien reçue ! Nous en préparons déjà plusieurs autres sur des sujets variés (médicaments, physiologie...). La prochaine va sortir très bientôt ! N’hésitez pas à nous suivre et à nous dire ce que vous en pensez ! Ce projet est dans nos têtes depuis longtemps, et c’est en voyant l’actualité que nous nous sommes décidés à le concrétiser.

 

 

« Pour moi, la place qu’on accorde aux

anti-vaccins est délirante ! »

 

Pour répondre à votre question donc, effectivement, je pense qu’il est fondamental que les gens se préoccupent plus de leur santé. Et pas seulement quand ils sont malades ! Pour cela, il faut qu’ils aient les clés pour pouvoir décrypter ce monde ! Il y a aussi un gros travail à faire au niveau des médias généralistes et du milieu du divertissement ! Des collectifs comme NoFakeMed ou NoFakeScience sont mobilisés et militent pour un traitement rigoureux de l’information scientifique. Je partage leur point de vue. Et ce n’est pas faire de l’élitisme que de dire cela. Il ne faut pas mettre au même niveau des informations sans commune mesure. Par exemple, la place donnée aux anti-vaccins est délirante ! Cette minorité de gens réussit à faire passer son message à grand coup de fake news, d’études bidons et de pseudo-experts médiatiques. Alors que les vraies études et les vrais experts n’ont que peu droit au chapitre ! Juste à titre d’exemple, la variole a été déclarée comme éradiquée complètement en 1980 grâce à la vaccination ! Les maladies infectieuses n’ayant pas de vaccination continuent de faire des millions de morts (paludisme, VIH…). Plus de 200 ans de recul sur les vaccins ! Enfin bref, vous aurez compris ce que je veux dire !

Je pense qu’en donnant accès à la connaissance, on pourra combattre l’obscurantisme scientifique ! Apprendre aux gens à douter et à creuser pour vérifier une info, pour moi cela devrait être au programme dès le CP !

 

Une question sur votre spécialité, la néphrologie. Les maladies des reins sont malheureusement très répandues, et dans les cas les plus aigus, elles nécessitent des traitements fort lourds : la dialyse à vie, ou bien la greffe d’organe. Quelles sont les perspectives d’améliorations que vous pouvez déjà entrevoir à ce stade ?

Oui aujourd’hui la maladie rénale touche près de 3 millions de personnes en France. Les patients en dialyse et en transplantation ne représentent qu’un peu moins de 100.000 personnes en France, mais la dépense de santé qu’ils génèrent est très importante (2% de la dépense globale, pour 0,1% de la population !)

Malgré l’amélioration des techniques de dialyse, cela reste effectivement un traitement lourd. Lourd sur le plan médical et lourd sur le plan personnel, car cela chamboule complètement le quotidien du patient. Il faut se rendre compte que dialyser trois fois par semaine pendant quatre heures, cela ne prend pas que douze heures du temps ! Il faut compter le temps pour s’y rendre et le temps pour en revenir, et le temps de récupérer de la séance. En somme, cela prend plutôt entre huit et dix heures, et donc entre vingt-quatre et trente heures par semaine !

La transplantation reste la meilleure option de remplacer les reins défaillants. Mais malgré les efforts déployés par la médecine moderne, ce traitement n’est pas accessible pour tous les insuffisants rénaux du fait de leur fragilité par rapport à leur dossier médical d’une part, et de la disponibilité limitée des greffons d’autre part.

Il y a plusieurs pistes pour améliorer notre prise en charge. La première c’est la prévention, l’intensification du dépistage précoce des facteurs de risque d’insuffisance rénale (comme l’hypertension par exemple). Les outils numériques de dépistage se perfectionnent et il sera peut être possible d’anticiper une partie de ces facteurs de risque, ce qui est encore le meilleur moyen de ne pas avoir d’insuffisance rénale, et donc de ne pas se poser la question des moyens de suppléance (dialyse, transplantation).

Concernant les techniques actuelles, la dialyse a beaucoup évolué depuis ses premiers essais, à la fin des années 40. Malgré l’augmentation de l’espérance de vie des patients en dialyse, cela reste un mode de traitement lourd et vécu comme pénible par les patients. Aujourd’hui, nous pouvons proposer un traitement plus personnalisé grâce à la dialyse incrémentale, qui consiste à adapter au plus près les besoins de dose de dialyse à ce dont a besoin le patient. Cela peut paraître une évidence mais, nous n’avons pas forcément eu les bons dosages et les bonnes techniques pour pouvoir identifier au mieux la dose nécessaire ! En France, plus de 90% des patients sont en hémodialyse, c’est à dire, l’épuration du sang par une machine. Il existe aussi la dialyse péritonéale, qui utilise la membrane naturelle de nos intestins, le péritoine, pour épurer le sang. Cette technique est mieux adaptée à la vie quotidienne, car elle se fait à la maison. Cependant, elle nécessite plus de logistique et une adhésion forte du patient, qui devra gérer seul son traitement la plupart du temps. La tendance est au développement de cette technique et plus généralement, des techniques de domicile. En effet, aujourd’hui, la miniaturisation a permis de mettre à disposition des patients des machines d’hémodialyse à domicile de taille raisonnable, et avec une interface ludique et simple. Cela permet de réaliser des séances plus courtes, et surtout à domicile ! On se rapproche un peu plus de la physiologie du rein !

Un gros effort de recherche est fait aussi pour une meilleure compréhension de l’épuration faite par le rein, et de celle faite par les dispositifs de dialyse, grâce à des nouvelles technologies comme la spectrométrie de masse et l’analyse en big data. Ces techniques permettent de savoir pour la première, de façon assez exhaustive, quels sont les composés présents dans un liquide ou un tissu là où il nous fallait auparavant un dosage spécifique pour chaque composé recherché ; pour la seconde, il s’agit d’outils bio-informatiques surpuissants permettant d’analyser des millions de données simultanément, afin de mieux comprendre leurs corrélations. Ces techniques ne sont pas encore disponibles, car encore très onéreuses, mais je l’espère, elles nous permettront de mieux appréhender la complexité du rein dans sa filtration et son fonctionnement.

Concernant les organes artificiels portatifs, un gros projet américain tente de développer un rein artificiel portatif implantable. Ils ont levé beaucoup d’argent pour ce projet mais pour l’instant, rien n’est encore opérationnel pour le grand public. Notre collègue Claudio Ronco, un célèbre néphrologue italien, a testé des combinaisons de dialyse portatives. Peu esthétiques, elles ont le mérite de fonctionner. Cependant, cela reste plus une prouesse technologique qu’un traitement applicable pour le grand nombre. Les nanotechnologies sont aussi une piste. Des puces biologiques avec des cellules rénales sont à l’essai, le problème est que le rein est un organe complexe avec une physiologie impliquant de nombreuses cellules, et le niveau de régulation est quantique... Le meilleur traitement reste encore la transplantation.

Pour cette dernière, les innovations sont surtout dans la prise en charge de l’immunosuppression, avec des nouvelles molécules, moins toxiques. La possibilité est accrue de faire des greffes avec des groupes sanguins différents, voire même avec des incompatibilités qui ne permettaient pas la greffe il y a vingt ans. Les innovations chirurgicales permettent de réaliser des greffes chez des patients très obèses grâce à des robots, et les machines de perfusion permettent une meilleure conservation des organes pendant leur transfert du donneur vers le receveur. Malheureusement, le nombre de greffons est limité et malgré l’élargissement des critères des donneurs et des receveurs, il y a une pénurie toujours très importante !

 

« S’agissant de vos reins, le meilleur traitement

reste, de loin, la prévention : faites-vous suivre ! »

 

J’en reviens au premier point, le meilleur traitement reste encore la prévention ! Faites-vous une prise de sang avec la fonction rénale au moins une fois (taux sanguin de créatinine), et faites-vous prendre la pression artérielle de temps en temps !

 

Un message pour nos lecteurs ?

J’espère qu’ils apprécieront cet article, qu’ils nous suivront sur les réseaux, et surtout qu’ils se portent bien ainsi que leurs proches.

S’ils applaudissent les soignants, je les en remercie beaucoup pour cette attention, et pour leur aide dans la lutte contre le virus, grâce au confinement.

Merci beaucoup à Paroles d’Actu de m’avoir donné la parole !

Prenez soin de vous.

 

Nans Florens

Nans Florens a l’air sérieux, sur cette photo. Mais allez le voir sur la chaîne

YouTube qu’il partage avec Renaud Benier-Rollet, c’est plus fun,

et même s’ils démarrent tout juste, on y apprend déjà plein de trucs !

https://www.youtube.com/channel/UC3MFyO53K3TiYnr2uFT5Y3A

 

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26 avril 2020

Mathieu Raad : « Nous autres soignants avons trop laissé le pouvoir aux gestionnaires de l'hôpital »

Alors que le bilan humain du nouveau coronavirus, dit Covid-19, s’établit désormais à plus de 200.000 morts au niveau global, dont plus de 22.000 en France, gardons toujours à l’esprit que, même si ces chiffres sont terribles, mis bout à bout et surtout pris un par un, fort heureusement, une vaste majorité des personnes infectées en sort guérie. Guérie parce que les signes de la maladie n’ont pour l’essentiel pas porté atteinte à des équilibres vitaux de l’individu, mais aussi dans certains graves, voire gravissimes, grâce à une prise en charge rapide et efficace par des pros, dévoués, par tous les soignants, jusqu’à la réa quand les choses deviennent critiques.

Deux semaines après avoir publié le témoignage de Rodolphe Lelaidier, j’ai la joie de vous proposer, aujourd’hui, ce nouvel article avec un autre interne en réanimation lyonnais, Mathieu Raad. Lui aussi nous raconte, à sa manière, son parcours et son quotidien en ces temps de crise, celui aussi de ses collègues. Il porte aussi son regard sur ce qui fonctionne, et sur ce qui fonctionne moins bien. Cet échange, franc, je l’en remercie, s’est tenu autour du 13 avril. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Mathieu Raad: « Nous autres soignants avons

trop laissé le pouvoir aux gestionnaires de l’hôpital... »

 

Pourquoi la réanimation ?

Lors de nos études de médecine, il y a plusieurs étapes  : le concours de fin de première année, qui est très sélectif mais qui permet d’intégrer les études médicales.  Ensuite, de la troisième à la sixième année de médecine, on est à mi-temps à l’hôpital, et à mi-temps à la faculté. Lors de ce mi-temps à l’hôpital, on enchaîne les stages dans les différents services hospitaliers. Cela nous permet de découvrir les différentes spécialités de l’intérieur, et de nous faire une idée de ce que l’on aimerait faire plus tard (ou à l’inverse, ne pas faire) comme spécialité.

C’est lors de mon premier stage de troisième année (à la Croix-Rousse, en 2014) que je suis tombé amoureux de la réanimation. Son coté très holistique. On est un peu le généraliste de l’extrême. Notre but est de pallier, via des machines ou/et des médicaments, la défaillance d’un organe vital (respirateur pour le poumon, dialyse pour le rein, noradrénaline pour le cœur, coma artificiel pour le cerveau, etc…).

En réanimation, il y a cette vision globale du patient, on n’est pas des spécialistes d’organe. En même temps il faut bien comprendre que la réanimation est quelque chose d’extrêmement violent et agressif. Cela justifie de ne l’infliger qu’aux patients qui ont une chance de survie. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, s’agissant par exemple du coronavirus, nous amenant à limiter l’admission de certains patients en réanimation.

 

« Recevoir des patients dans des situations

systématiquement critiques et réussir (dans 2/3

des cas environ) à leur sauver la vie,

c’est cela que j’ai voulu faire. »

 

Je pensais que ce «  coup de cœur  » de 3ème année serait passager, mais au fil des stages dans les autres spécialités, je me rendais compte que c’étais vraiment cela que je voulais faire. Recevoir des patients dans des situations systématiquement critiques et réussir (dans deux tiers des cas environ) à leur sauver la vie.

À la fin de la sixième année de médecine, on repasse un concours national, nous permettant selon notre classement de choisir notre ville et notre spécialité (généralistes, anesthésistes réanimateurs, chirurgiens, pneumologues, etc…). À partir de la septième année, on devient donc «  interne  » c’est-à-dire à 100% à l’hôpital.

 

Ce que cela implique au quotidien

La réanimation implique je pense une certaine dose d’humilité. Nos patients sont gravissimes et on ne «  gagne le combat  »  contre la mort que dans deux tiers des cas. Dans le tiers restant, notre mission consiste surtout à accompagner une fin de vie décente pour le patient, et à assurer un encadrement pour la famille. Cela nous renvoie à nos propres faiblesses. On peut facilement s’identifier à un patient plus jeune que soi.

 

« Nous n’avons pas la prétention de "sauver" tout le monde,

mais au moins de tous les soigner. »

 

Notre mission consiste à pallier des défaillances d’organes. Au final, on accompagne la nature dans son processus de rétablissement, le temps que le patient soit de nouveau autonome dans ses fonctions vitales. Nous n’avons pas la prétention de «  sauver  » tout le monde, mais au moins de tous les soigner (dans le sens «  prendre soin  »).

C’est particulièrement un travail d’équipe, car ces patients nécessitent énormément de soins infirmiers (un infirmier pour deux patients) et d’aide soignants. De plus, les médecins réanimateurs sont de formation d’origine extrêmement diverses  : environ 50% d’anesthésistes, mais aussi des pneumologues, neurologues, cardiologues… Composant ainsi de véritables «  teams  » où chacun apporte sa compétence spécifique.

Durant notre formation initiale (avant le choix de notre spécialité, en fin de sixième année), cette médecine de l’extrême est peu évoquée. Donc on a beaucoup à ré-apprendre durant l’internat. Cela implique donc un engagement estudiantin énorme, à un âge où tous nos petits camarades de promotion hors médecine sont déjà diplômés depuis longtemps, autonomes financièrement, fondent légitimement une famille, etc… 

Alors que les gouvernements se retranchent derrière des dispositions théoriques et administratives, la réalité c’est que les internes travaillent en moyenne soixante heures par semaine (Cf. Mise_en_demeure_UE : une mise en demeure adressée par l’Union européenne à la France). Cela entraîne des temps de travail consécutifs parfois supérieurs à vingt-quatre heures pour les internes et donc, fatalement, des erreurs médicales, de prescriptions ou de gestes. C’est cela qui est insupportable. De voir des administratifs se retrancher derrière des textes théoriques de répartition de temps de travail en «  demi-journées  » sachant que la réalité est inapplicable et inappliquée. Je vous invite à lire les pages 8 et 9 du document par exemple.

 

« On a des responsabilités personnelles

énormes, là où les administratifs n’ont jamais

à répondre personnellement de rien. »

 

On a des responsabilités personnelles énormes, là où les gestionnaires ne signent jamais un document sans que ce soit validé par une large commission, pour bien diluer la responsabilité et ne jamais répondre personnellement de rien. Un interne en septième année de médecine gagne 1300€/mois… (voir : la grille officielle des salaires d’internes). Et pour chaque décision que je prends face à un malade, mon nom est toujours attaché à la moindre de mes prescriptions, et je suis susceptible (légitimement) d’avoir à en répondre.

 

L’identification, face à la mort

La première personne que j’ai vu mourir je m’en souviens très bien. J’étais jeune étudiant, c’était une jeune femme en attente de greffe pulmonaire sur une mucoviscidose. Elle avait le même âge que moi. Un choc quand à 21 ans on vient de réussir à intégrer le cursus médical, on se sent tout puissant, successful...

 

« Voir la mort. Je pense que cela explique

pour beaucoup les excès constatés en soirées médecine.

Une envie de vie énorme... »

 

Je pense que cela explique pour beaucoup les excès constatés en soirées médecine. Voir la mort. Celle de personnes de son âge. Être confronté avant l’heure à la finitude de sa propre vie.

Il y a un besoin, une envie de vie énorme du coup !!! De fête, d’alcool, de sexe...

Il y a un an, ça me l’a refait. Alors que ça ne s’était pas reproduit depuis longtemps. Personnellement je suis physiquement typé arabe. Et là, on reçoit un mec qui vient de se prendre plusieurs balles. Trop grave, il décédera dans les minutes qui suivent. Mais physiquement il me ressemblait incroyablement. Eh bien, avoir l’impression de se voir soi-même... mort... les yeux ouverts, la bouche ouverte sans souffle... c’est une expérience qui vous plonge tout au fond de vous.

Le soir, comme un enfant, j’ai eu besoin d’appeler ma mère, pour lui en parler...

Dans cette crise du Covid-19, ce qui a été dur pour certaines infirmières, c’est de recevoir certaines de leur collègues d’autres établissements, parfois plus jeunes qu’elles ... et de se dire, la prochaine là, dans ce lit dans le coma... c’est peut être moi.

 

En réa

En réanimation...

M

 

La crise du Covid-19

À titre personnel, je suis affecté dans l’une des réanimations Coronavirus. Comme de très nombreux soignants, on a peur pour nous. Si le gouvernement assure à la télévision que les soignants sont protégés, la réalité du terrain est tout autre. Il faut vraiment ne connaitre aucun soignant pour pouvoir y croire.

La peur c’est pour soi, mais c’est aussi et surtout de ramener le Covid à sa famille, à son conjoint… À titre personnel comme beaucoup, je me suis coupé de tous depuis un mois et vis mon confinement seul.

 

« Certains reviennent, pour aider, à plus de 50 ans.

Ils ont parfois eux-mêmes ou des proches, des maladies

chroniques qui les rendent plus à risque que d’autres.

Et pourtant ils sont là,

soldats sans protections ni armures… »

 

J’ai énormément d’admiration pour tous les personnels qui reviennent, parfois même sur volontariat, alor>s qu’ils ont plus de 50 ans. Ils ont parfois eux-mêmes ou des proches, des maladies chroniques qui les rendent plus à risque que d’autres. Et pourtant ils sont là, soldats sans protections ni armures…

À titre professionnel cela a rapproché beaucoup d’équipes. Il n’y a pas/plus de catégories professionnelles. On est tous exposés aux mêmes risques, ensemble, à essayer de lutter pour les patients.

Beaucoup de paramédicaux ont été envoyés dans l’enfer de la réanimation sans y être suffisamment préparés, moralement ou techniquement. J’ai vu des infirmières craquer, en larmes, débordées, ne voyant plus comment s’en sortir… Et toujours une collègue pour venir l’épauler.

Et pendant ce temps-là, où sont ils les gestionnaires  ? À peine le confinement décrété qu’ils étaient tous en télétravail. Tous ceux qui nous commandent depuis leurs conseils et leurs comités, sans jamais être descendus dans une chambre d’hôpital ou avoir vu un malade en vrai  ? Pour certains, nous ne sommes que des techniciens bons à produire des gestes/des opérations/des consultations. Ils veulent nous diriger, mais à la première secousse venue, ils se sont tous envolés, nous laissant seuls et sans armes, en première ligne. Ce n’est pas moi seul qui le dis. Le 14 janvier, un millier de chefs de services démissionnaient pour dénoncer la mainmise des administratifs sur l’hôpital. Sur internet, vous verrez de nombreuses illustrations et articles étayant mes propos sur janvier 2020 et la démission en masse de chefs de services partout en France. Un exemple avec cette vidéo.

On en a reçu, des mails. Environ vingt-cinq par jour au début de la crise, nous rappelant de bien nous protéger alors que nous n’avions pas de quoi le faire. Complètement déconnectés du terrain, une fois de plus.

Donc cette crise, pour moi, a vraiment permis de mettre en valeur les capacités de résilience et de combat de nos hôpitaux, qui ont triplé leurs capacités de réanimation en dix jours pour absorber le flux de patients. Et tous les soignants, unis pour affronter ensemble cette maladie, malgré les risques pour eux-mêmes et leur entourage.

Tous les décideurs administratifs, directeurs qui eux, veulent commander, diriger depuis leurs ARS (agences régionales de santé, ndlr), nous envoyaient des «  directives  » et «  notes de service  » à longueur de journée… Ils commencent leurs mails par «  Chers professeurs, chers docteurs, chers internes… » pour nous dire au final, «  on n’a même plus de blouse en plastique, merci de vous mettre dans des sacs poubelle  ».

 

« À force d’être déconsidérés par des gestionnaires

qui n’ont pas la moitié de leurs études et pas le centième

de leurs responsabilités…

eh bien les médecins quittent l’hôpital public. »

 

Les médecins fuient l’hôpital public. C’est dramatique. L’immense majorité des médecins est animée de valeurs d’engagement, de dévotion et de sens du service altruiste incroyables. Ils sont pour moi, jeune en formation, mes modèles. Mais à force d’être déconsidérés par des gestionnaires qui n’ont pas la moitié de leurs études et pas le centième de leurs responsabilités… eh bien les médecins quittent l’hôpital public.

C’est pour cela qu’on a rendu l’internat obligatoire (obliger tous les médecins à être internes à l’hôpital). Et que maintenant on rend l’assistanat obligatoire (deux années obligatoires à l’hôpital après le diplôme), toujours pour  «  améliorer la formation  ».

Je cite Didier Sicard, qui a été président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 1999 à 2008 et chef de médecine interne à l’hôpital Cochin à Paris.  Il est également professeur émérite de médecine à l’université Paris-Descartes. Dans une interview du 22 avril, il a dit ceci : «  Le pouvoir administratif à l’hôpital est devenu tel qu’il en vient à angoisser les médecins. Lorsque j’étais chef de service à l’hôpital Cochin, je m’inquiétais déjà de dépenser trop d’argent pour tel ou tel malade, je me demandais si le but de l’hôpital était compatible avec celui de tel ou tel malade.  » 

Si c’est la réflexion que se fait un médecin professeur d’une telle envergure nationale, alors imaginez le poids de l’administration sur un jeune interne !

 

« Moi je rêve d’un hôpital au service du patient, où le bureau

du directeur général ne doit pas dépasser en luxe,

le lieu de soin d’un malade qui souffre. »

 

Un message d’ouverture, pour l’avenir  : j’espère que cette crise dramatique va être l’occasion d’une prise de conscience. Que l’on va sortir de ce système de gestion purement administrative. Réintégrer enfin les soignants dans les processus de décision et de direction de l’hôpital. Il y a dans certains services des chambres dans lesquelles on a honte d’installer un patient. Allez voir Quai des Celestins (à Lyon, ndlr) les locaux de la direction, en comparaison. Moi je rêve d’un hôpital au service du patient, où le bureau du directeur général ne doit pas dépasser en luxe, le lieu de soin d’un malade qui souffre.

Je ne nous dédouane pas, nous autres médecins, de nos responsabilités. Nous avons laissé les gestionnaires prendre le pouvoir à l’hôpital, et avons trop souvent courbé l’échine. On pensait pouvoir se dédier aux soins, notre métier, laissant naïvement la gestion à d’autres. Au final aujourd’hui, on paie une certaine forme de naïveté. J’espère que cette crise aura comme effet bénéfique de nous faire nous rendre compte des choses et ne plus nous laisser faire. Je trouve qu’en tant que soignants, nous avons cette responsabilité de défendre ce qui est le plus important pour nous  : les soins du patient.

 

Des éléments de coulisses de vos services ?

Beaucoup de solidarité, d’entraide. D’échanges de plannings, de camaraderie. Comme dans toutes les crises, quand on est dans la merde, on se soutient. C’était vraiment beau de voir tout le monde travailler ensemble et s’adapter, se mettre dans la zone rouge pour pouvoir toujours prendre un patient de plus… allez, encore un… Ne laisser tomber personne.

On voit des professeurs et chefs de services dévoués et proches de leurs équipes médicales. Dans toutes les spécialités, bien que se sachant plus à risques que leurs jeunes médecins, les chefs venaient quotidiennement nous voir pour s’assurer que tout allait bien, que nous n’étions pas en difficulté avec tel ou tel patient… Ils n’ont pas compté leur temps pour réorganiser, mettre les services en ordre de bataille, remotiver les troupes, reprendre des gardes, faire preuve de pragmatisme en tenant compte des réalités du terrain, et des moyens matériels disponibles.

 

« Vraiment, dans ces moments-là, il n’y a

plus ni spécialité, ni ancienneté. »

 

Voir les chirurgiens, sortir de leur zone d’expertise habituelle pour venir nous aider en réanimation, pour donner des nouvelles aux familles inquiètes et privées de visite à leurs proches... Vraiment, dans ces moments-là, il n’y a plus ni spécialité, ni ancienneté. Je n’ai vu qu’une armée d’hommes et de femmes dévoués qui, chacun à sa manière dans son travail, s’est engagé pleinement aux soins de ces malades critiques.

Entre soignants aussi, on a appris à se connaître plus et à prendre soin les uns des autres. S’appeler, prendre des nouvelles lorsque l’un ou l’autre tombait malade.

J’ai le souvenir ému et personnel d’une infirmière qui a pris sur elle toute une journée. Elle était forte, n’a rien laissé transparaître, jusqu’à la fin de son service. À peine le témoin passé à la suivante, elle a relâché toute la pression et fondu en larmes. Le confinement depuis un mois à l’écart de sa famille pour ne pas les exposer, la pression de vouloir bien faire avec des patients si fragiles et dans une pratique de la réanimation qui n’est pas la sienne habituellement…

 

Ce qui marche bien ou moins bien ? Ce qui fait chaud au cœur ou agace ?

Au sein d’une région, les Agence régionales de santé sont toutes puissantes. Par dogmatisme pur, certaines ont refusé de travailler avec les cliniques privées qui possèdent des lits de réanimation ! Certains patients dans le coma ont été transférés à l’autre bout de la France pour ne pas aller dans la clinique en face de l’hôpital. C’est un surcoût monstrueux, mais surtout un risque invraisemblable qu’on a fait courir aux malades  ! Heureusement sur Lyon comme sur Paris, le choix a été fait de joindre ces cliniques parfaitement équipées de réanimation, à l’effort local.

Je ne reviendrai pas non plus sur les laboratoires vétérinaires, équipés pour réaliser les tests. Mais par dogmatisme et par «  défaut d’accréditation  », on a interdit à ces laboratoires de faire les tests qui nous manquent si cruellement  ! (Cf. courrier_ars_laboratoire_agrivalys_4748632 : un courrier de l’ARS de Bourgogne ayant délivré une autorisation après trois semaines de confinement  ! Merde, imaginez le temps perdu en trois semaines  ! Et en attendant qu’ils veuillent bien délivrer leurs attestations, on continue d’envoyer les soignants dans l’ignorance de savoir qui est positif, et qui est négatif).

 

« Les réactions des familles de patients que j’ai pu avoir

ont toujours été admirables et encourageantes. »

 

Les réactions des familles de patients que j’ai pu avoir ont toujours été admirables et encourageantes. On leur demande l’impossible  : en un coup de fil je vous annonce  : «  Bonjour Mr/Mme X… votre père / mère / frère est en réanimation pour un coronavirus…. Non vous ne pouvez pas venir le voir, les visites sont interdites… Oui il risque de mourir et vous risquez de ne plus le revoir...  » Et pourtant, tant de messages d’encouragement de ces familles qui comprennent, et nous souhaitent bon courage  !

 

Des messages à faire passer aux uns et aux autres ?

Juste que je suis heureux et fier d’avoir travaillé avec chacun des soignants qui ont été mes collègues. J’y ai rencontré mes modèles et, beaucoup d’exemples. Ensemble, il faudra que nous reprenions la direction des soins de nos malades qui nous tiennent tant à cœur et pour lesquels on se bat.

 

Cette crise va-t-elle changer quelque chose ?

Je pense qu’il y avait déjà un début de prise de conscience, trop lent certes, mais que cette crise va foncièrement accélérer.

Cette crise, qui sera amené à durer plus longtemps probablement qu’aucun de nous ne l’imagine, va forcément changer notre manière de consommer, notre conception de la souveraineté, et ce bien commun à tous qu’est l’hôpital (qui peut se targuer aujourd’hui de n’avoir pas besoin de l’hôpital demain  ?)

Il y a les élections certes, mais pour moi, chaque euro dépensé est un bulletin de vote apporté à une manière de produire/de consommer… Il ne faut pas nous défier de nos responsabilités en pensant «  les politiques décideront… ce n’est pas moi, à mon niveau...  » Chacun de nous, par ses choix de mode de vie et de consommation, est responsable de décisions sociétales.

Je précise enfin qu’il n’y a aucune revendication personnelle dans tout ce que j’ai écrit. Ni contre une personne, ni contre une administration en particulier. Simplement la volonté sincère et farouche d’être toujours du coté du malade, d’en défendre les soins et la qualité de prise en charge. Quitte à refondre un système de gestion pour laisser une plus grande place aux soignants, premiers à se battre pour les patients.

 

Mathieu Raad

Mathieu Raad est engagé notamment auprès de la plateforme

en ligne de formations pour les soignants Zazakely.

https://www.facebook.com/ZazakelyMadagascar

  

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19 avril 2020

Pierrick Louviot, pharmacien : « Je suis fier d'être en première ligne face au coronavirus »

Parmi tous les soignants, dévoués et qui, toujours, contribuent au quotidien à la bonne santé de tous, parfois simplement en les rassurant, il en est qu’on oublie parfois de citer, ce sont les pharmaciens. Eux aussi sont en première ligne, et face à la pandémie de Covid-19, destructrice et angoissante, ils sont sur le pont. Je suis heureux de donner la parole à Pierrick Louviot, jeune pharmacien lyonnais (l’entretien date du 13 avril)  il nous raconte son métier, son quotidien et s’exprime sur quelques grands enjeux du moment, avec la bienveillance du soignant, un métier décidément pas comme les autres. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Pierrick Louviot: « Je suis fier d'être, comme pharmacien,

en première ligne face au coronavirus. »

Pharmacie

@AFP

  

Pierrick Louviot bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Vous êtes pharmacien dans la région lyonnaise. Déjà, pourquoi avoir choisi cette profession, finalement assez méconnue, qu’est-ce qu’elle implique, et quel a été votre parcours ?

Bonjour et merci de me recevoir. J’ai choisi la profession de pharmacien pour laquelle j’ai toujours eu, au cours de mon enfance, une attirance que je ne saurais expliquer - une attirance pour les métiers du soin sans doute. Au fil des années, cette vocation s’est concrétisée, et j’ai confirmé mon choix de devenir pharmacien d’officine. Le pharmacien est un professionnel de santé à part entière - il est d’ailleurs très souvent le premier auquel s’adressent les patients. J’aime beaucoup mon métier qui associe des connaissances médicales et scientifiques poussées, avec un contact humain très important. C’est un métier qui requiert de la bienveillance de la part de celui qui l’exerce. Il faut vraiment aimer aller vers l’autre, et savoir le faire.

 

« Notre complémentarité avec les médecins est essentielle. »

 

J’insiste sur le fait que nous mettons tout en œuvre pour assurer le meilleur respect possible du parcours de soin, et de l’expliquer au patient. Le diagnostic médical relève de l’exercice du médecin, spécialiste de la partie clinique. C’est en conséquence lui qui prescrit les traitements. Le pharmacien est quant à lui un spécialiste du médicament. Nous veillons scrupuleusement à la cohérence de la prescription, et il nous arrive souvent de communiquer avec nos confrères médecins. Nous apprenons beaucoup les uns des autres, les rôles de chacun sont bien définis et nos missions évidemment complémentaires. Notre objectif est le même : soigner les patients.

Ma profession exige de la rigueur, de l’empathie, de solides connaissances médicales. Il est fondamental, encore une fois, d’être tourné vers le bien-être du patient. Nous sommes là pour assurer ses soins. Nous sommes souvent amenés à poser des attelles ou des orthèses avec précision. Nous devons donc être régulièrement formés sur chaque technique nouvelle. Il faut aussi rappeler que la pharmacie d’officine est un commerce, réglementé, ce qui fait que nous devons maîtriser des compétences de gestion et de management. C’est un métier très polyvalent.

Pour ce qui est de mon parcours, il est assez classique. Je suis passé par la PACES (Première année commune aux études de santé, ndlr) à la faculté de médecine et de pharmacie de Lyon en 2012. À l’issue du concours, je me suis orienté vers la filière pharmacie, qui suppose six années d’études au total.

 

Comment vivez-vous, comme professionnel mais peut-être aussi à titre personnel, cette crise sanitaire majeure et à bien des égards inédite du Covid-19 ? Y a-t-il eu, dans votre officine et dans celles dont vous avez connaissance, des tensions particulièrement vives sur certains médicaments ou matériels ? L’angoisse des clients est-elle perceptible au quotidien ?

Absolument ! En tant que professionnels de santé, nous sommes en première ligne face au coronavirus. Nous avons dû anticiper la crise en tâchant d’avoir un stock suffisamment conséquent de matériels de protection pour notre équipe, ainsi que pour les soignants. Nous avons dû prendre des mesures de sécurité et d’hygiène très strictes, qui semblent porter leurs fruits car nous n’avons aucun cas déclaré au sein de notre équipe et je m’en réjouis.

Pour en venir à votre question sur les tensions d’approvisionnement, il s’agit là d’un énorme problème, mais qui a débuté bien en amont de la crise sanitaire que nous vivons. Depuis 2017, de nombreux médicaments, de toutes classes thérapeutiques, viennent à manquer, ce qui nous mène parfois à des impasses thérapeutiques pour les patients, ce qui peut être grave. Pour vous citer un exemple récent, l’année 2019 a été marquée par des tensions très fortes quant à l’approvisionnement de spécialités à base d’anti-inflammatoires de la famille des corticoïdes. Cette situation, l’une des plus marquantes, a duré de nombreux mois. De plus, les corticoïdes sont très largement prescrits en France, il a fallu mettre en place une bonne communication avec les médecins pour parvenir à trouver un compromis pour les patients. Évidemment, ces situations de ruptures de stock sont graves, et la tendance n’est malheureusement pas à leur diminution.

Pour en revenir à la crise Covid-19, la demande de matériels de protection, masques, gels désinfectants, gants, éthanol à 96°, a littéralement explosé. Il en va de même pour les thermomètres, ainsi que pour les spécialités à base de paracétamol.

 

« Nous avons affaire à une patientèle affolée et déboussolée

qui ne peut se procurer des masques... »

 

Nous sommes tous conscients aujourd’hui de la situation ô combien complexe des masques, où nous avons affaire à une patientèle affolée et déboussolée qui ne peut se procurer des masques. La réglementation évolue de jour en jour, mais à l’heure actuelle, la vente de masque est toujours formellement interdite au grand public. Le peu de masques que nous recevons sont des dotations qui sont destinées à être distribués exclusivement aux soignants. Il y a d’ailleurs des quotas à respecter et une traçabilité très stricte à ce sujet.

Autre problème, il devient difficile de pouvoir fournir le Plaquenil à nos patients atteints de lupus. Nous avons en effet plusieurs patients atteints de ces maladies auto immunes, pour lesquels l’hydroxychloroquine fait partie intégrante de l’arsenal thérapeutique. Nous parvenons à conserver un stock, mais les tensions sur ce médicament sont très fortes. Nous faisons notre possible pour le réserver à nos patients qui souffrent de ces pathologies. D’autre part, sachez que les modalités de prescription du Plaquenil ont été redéfinies dernièrement par Olivier Véran.

Nous sentons une certaine angoisse chez nos patients, c’est vrai, mais nous nous réjouissons de les voir appliquer les gestes barrières, essentiels. En tant que soignant, nous les traitons comme nous le faisons habituellement, c’est notre métier et il n’est pas question de procéder autrement. Nous sommes protégés et nous prenons des précautions maximales. Nous avons aussi un rôle à jouer en leur rappelant l’importance fondamentale des gestes barrières.

 

En tant que pharmacien, maîtrisant évidemment bien la question de l’administration de médicaments, celle du dosage, celle des associations possibles et des contre-indications, quel regard portez-vous sur la manière dont on gère les malades, graves comme moins graves, du Covid-19 aujourd’hui ? Un avis quant à l’hydroxychloroquine ?

Il s’agit là d’un sujet épineux. En tant que professionnel de santé, je tâcherai d’être le plus impartial possible.

Il faut tout d’abord rappeler que le Covid-19 est une maladie infectieuse des voies respiratoires, provoquées par un agent infectieux, le SARS-CoV2, vulgairement appelé « coronavirus » (rappelons qu’il existe d’autres espèces de coronavirus tout à fait bénignes). Le grand obstacle pour nous, soignants, c’est qu’il s’agit d’une pathologie nouvelle dont nous ne savons pas tout et dont nous apprenons tous les jours. Nous savons que la maladie est contagieuse, qu’elle se transmet par gouttelettes, (expirations, toux, éternuements) et qu’elle touche principalement les voies respiratoires basses. Notez que des symptômes de type neurologiques (comme la perte d’odorat), gastro-intestinaux, ou encore dermatologiques, ont été rapportés.

La triade de symptômes la plus fréquente se compose de la fièvre, d’une toux sèche, et d’une difficulté à respirer qui peut aller jusqu’à la détresse respiratoire.

La prise en charge des patients « non graves », sans facteurs de comorbidité, est relativement simple. On préconise un retour au domicile avec un isolement total. Nous traitons les symptômes par du paracetamol. J’en profite pour rappeler aux lecteurs que les anti-inflammatoires comme l’ibuprofène, le kétoprofène ou les corticoïdes sont fortement déconseillés à l’heure actuelle !

Bien heureusement, dans la grande majorité des cas, l’évolution de la maladie est favorable et le patient guérit spontanément au bout de quelques jours. Il est en revanche hautement contagieux, l’isolement social est donc capital.

Pour les cas graves, le parcours de soin se déroule à l’hôpital. Les traitements actuels sont des traitements symptomatiques qui répondent à l’insuffisance pulmonaire : oxygénation des patients, voire, une mise sous respirateur artificiel. Ces traitements symptomatiques sont d’une extrême importance pour pallier à la détresse respiratoire causée par le virus.

 

P

 

Venons-en aux traitements en cours d’élaboration. Les plus médiatiques d’entre eux, l’hydroxychloroquine et la chloroquine, sont vantés par le Pr Raoult, qui a conduit de son propre chef une étude, où des résultats de prime abord satisfaisants ont été obtenus. Le Pr Raoult a couplé dans les cas graves l’hydroxychloroquine avec 250 mg d’azithromycine - un antibiotique de la famille des macrolides - par jour pendant six jours.

Ses études semblent prometteuses, mais elles ont provoqué une farouche levée de bouclier du corps médical, qui remet en cause les manières et les méthodes avec lesquelles a été conduite l’étude. En effet, dans le monde médical, les médicaments doivent suivre des essais cliniques obéissant à des critères de qualité drastiques, pour démontrer une efficacité et une innocuité sur le patient. On parle de balance bénéfice-risque favorable.

Il est donc reproché au Pr Raoult d’avoir tiré des conclusions trop hâtives sûr l’efficacité de ces médicaments, et que ses études n’étaient pas statistiquement significatives pour conclure à un intérêt clinique pour faire face à la maladie Covid19. En revanche une grande partie des détracteurs de la chloroquine semblent avoir ignoré un ennemi de taille : le temps. En effet, la chloroquine et ses dérivés sont commercialisés depuis 1949. Nous connaissons donc ses contre-indications et ses effets indésirables depuis des décennies. Bien évidemment, je déconseille formellement toute automédication. Un patient doit toujours être suivi par un médecin compétent en infectiologie.

 

« La médecine moderne s’auto-censure par des normes

de sécurité qui sont certes, indispensables, mais qu’il faut

savoir reconsidérer en "temps de guerre". »

 

Je trouve cependant dommage, que la bride soit aussi serrée autour de la chloroquine. Voyez-vous, la médecine moderne s’auto-censure par des normes de sécurité qui sont certes, indispensables, mais qu’il faut savoir reconsidérer en "temps de guerre". Ainsi, nos protocoles d’essais cliniques, aussi fondamentaux soient-ils en temps normal, sont appliqués ici sûr une molécule connue depuis presque 70 ans. Nous connaissons ses effets indésirables. Je déplore ce que j’appellerais une perte de chances. Tout médecin a les compétences pour savoir si son patient peut bénéficier ou non d’un tel traitement, en écartant les contre-indications médicales. La chloroquine a été distribuée très massivement par le passé contre la malaria, sans que ses effets secondaires ne créent la polémique.

Je ne peux pas affirmer aujourd’hui si la chloroquine est efficace ou non. En revanche, je peux dire qu’il est regrettable en matière de perte de chances, de se priver d’un médicament qui semble donner de très bons résultats, avec une toxicité faible. Le haut conseil de la Santé publique est paralysé par ses propres mesures draconiennes pour approuver le traitements. Mesures que nous devrions pouvoir lever dans les cas exceptionnels tels que nous le vivons.

De nombreuses vies, auraient déjà sans doute pu être sauvées.

D’autres essais sont en cours : l’essai européen Discovery, qui teste du plasma de patient guéri, du Kaletra (médicament contre le VIH) ainsi qu’un antiviral utilisé dans le virus Ebola, mais il est trop tôt pour se prononcer quant à ces protocoles de traitement.

 

La question du rapatriement en France de la production des médicaments essentiels, éminemment stratégique, se pose de manière insistante en ce moment, et c’est bien compréhensible. Quel est votre avis sur la question : les inquiétudes quant à notre dépendance envers d’autres nations sont-elles justifiées, et une partie de notre sécurité sanitaire dépend-elle de notre capacité à assurer notre indépendance dans la confection des médicaments ?

 

« Produire des médicaments en France est

logistiquement complexe, mais c’est fondamental. »

 

Tout à fait ! Il s’agit là d’un fait que nous subissons de plein fouet à l’heure actuelle. Les tensions d’approvisionnement des médicaments se multiplient ces dernières années. Heureusement, nous avons bien entendu des sites de production dans l’Hexagone, mais il est vrai que nous sommes très fortement dépendants des médicaments ou du moins des matières premières venues principalement d’Asie. La crise que nous traversons illustre très bien les inquiétudes qui me semblent pleinement justifiées. La pandémie touche le monde entier. Le monde entier a besoin de médicaments, y compris ces mêmes pays qui les produisent, comme l’Inde par exemple. J’estime que nous avons une leçon à tirer de cette crise, et qu’il est important d’assurer au mieux notre indépendance quant aux médicaments essentiels. Produire en France est logistiquement complexe, mais c’est fondamental. La France a les moyens financiers et humains de le faire, avec de nombreux pharmaciens industriels. Relocaliser notre production de médicaments est pour moi une priorité évidente.

 

Votre officine travaille-t-elle habituellement avec les hôpitaux ? Est-ce que, sur ce point, les choses ont changé depuis le début de la crise, et êtes vous davantage sollicités par le milieu hospitalier pour vos stocks (je pense aux besoins en sédatifs en particulier) ?

Nous ne travaillons pas particulièrement avec les hôpitaux, si ce n’est pour leur fournir des produits de contraste pour l’imagerie médicale. En revanche, nous sommes extrêmement sollicités par le personnel hospitalier qui manque cruellement de moyens de protection et qui espère en trouver en pharmacie. Nous sommes sollicités pour les masques. Pour ce qui est des sédatifs d’anesthésie-réanimation, il s’agit là de médicaments particuliers qu’on appelle des médicaments de réserve hospitalière, et qui ne peuvent être détenus que dans les pharmacies internes des hôpitaux. Nous ne sommes donc pas concernés par ce point.

 

Êtes-vous de ceux qui réussissent, faisant abstraction de ce que la situation a de dramatique, à trouver des vertus à ce confinement forcé ? Cette question dépasse un peu le cadre médical, mais croyez-vous que cette crise va nous changer, au moins un peu, dans la manière dont on aborde nos rapports à nos aînés, le temps à employer, notre environnement et le sens des priorités ?

J’ai la chance de pouvoir travailler pendant le confinement et je suis d’ailleurs très fier d’être en première ligne et de participer à la lutte contre le coronavirus. Je pense que, pour chacun d’entre nous, c’est un moment pour se recentrer sur soi, pour méditer, ou bien pour faire des activités à la maison pour lesquelles le temps manquait. J’encourage les gens à lire et à se cultiver. C’est un moment privilégié pour le faire. Je ne suis pas un fan des chaînes d’information en continu, qui sapent le moral des Français.

Effectivement, je pense qu’un retour au « monde d’avant » n’est pas prêt d’arriver. Il est clair que nous tirerons des leçons. Nous avons appris des choses, adopté des réflexes qui nous seront utiles dans le futur, comme les gestes barrières par exemple. Je redoute l’après car bon nombre de choses changeront. L’emploi, le transport... et, en effet, la crainte de contaminer nos aînés.

Le point positif que nous pouvons en tirer est un nouveau rapport à notre environnement que l’on a été contraint d’adopter. Cependant, il est évident que ce qui constitue la base de la vie humaine, la relation sociale, pilier de la santé mentale, en sera altérée pour plusieurs mois. J’espère que nous trouverons rapidement des solutions à ce problème.

 

Les marques et gestes de remerciement pour les soignants, à 20h mais pas que, de la part de larges franges de la population, c’est quelque chose qui vous fait chaud au cœur ? Votre engagement à servir les autres par le soin est-il renforcé, en ces moments-là ?

Les gestes de remerciements nous font toujours plaisir, c’est un soutien précieux et nous remercions les Français. Mais on ne le répètera jamais assez, le meilleur moyen de nous remercier et de nous aider, c’est de respecter le confinement, afin qu’il soit efficace et le plus court possible. Bien évidemment, nous sommes toujours honorés de servir un patient qui nous remercie. Soigner les patients, c’est notre métier. Après, je n’ai pas l’impression d’être un héros. Je fais mon travail de la manière la plus professionnelle possible, avec ou sans coronavirus.

 

À l’heure où le tout-numérique et la dématérialisation gagnent du terrain, parfois à marche forcée, quelles perspectives, réjouissantes ou inquiétantes, selon votre point de vue, quant au futur de votre métier de pharmacien ?

Le numérique est à la fois une force et un danger. Ce sera à nous, pharmaciens de demain, de faire fructifier les bénéfices du numérique tout en évitant les dérives. La téléconsultation est une excellente avancée je trouve. Certaines applications aident des patients atteints de pathologies chroniques à gérer au mieux leur maladie.

 

« Nous sommes des professionnels de contact et de soin,

deux choses que le numérique ne pourra jamais remplacer. »

 

Cela dit, le numérique m’inquiète également. Je crains d’assister au démantèlement sauvage du métier de pharmacien. Nous sommes des professionnels de contact et de soin, deux choses que le numérique ne pourra jamais remplacer totalement.

 

Quelque chose à rajouter, pour nos lecteurs ?

Je vous remercie de m’avoir interrogé. Je souhaite à tous du courage pour terminer le confinement, et que chacun garde espoir car nous allons vaincre ce virus. Restez chez vous, pensez aux gestes barrières, et prenez soin de vous et de vos proches.

 

Pierrick Louviot

 

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14 avril 2020

Rodolphe Lelaidier, anesthésiste-réanimateur : « Notre job : faire varier de quelques degrés la trajectoire des événements »

J’ai la joie et le privilège, pour ce deuxième article en deux jours consacré à la crise du Covid-19, de donner la parole à Rodolphe Lelaidier, jeune anesthésiste-réanimateur exerçant à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon. Malgré ses emplois du temps des plus chargés, comme on l’imagine aisément en ce moment, il a accepté, le 12 avril, de répondre à mes questions. L’article qui suit constitue une immersion dans un milieu, celui de la réanimation, qui est peu connu - et c’est tant mieux, si vous n’avez jamais eu à le fréquenter de trop près. Un témoignage pétri d’humanité. Précieux. Qui nous fait découvrir les coulisses de ces services ; le travail de ces hommes et de ces femmes qui, au mépris parfois de leur propre santé, sont un peu les derniers remparts face aux accidents de la vie, ou aux catastrophes collectives. Sans eux, n’en doutons pas, le bilan déjà lourd du coronavirus le serait bien davantage encore. Je profite de cette publication pour saluer, avec humilité, et une reconnaissance toute personnelle, à travers lui, l’ensemble de ces équipes, et tous les soignants qui méritent au quotidien l’hommage que leur rend la nation. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Rodolphe Lelaidier: « Notre job : faire varier

de quelques degrés la trajectoire des événements. »

Médecins

Les derniers instants avant de rentrer dans l’univers contaminé d’une chambre

de patient « Covid » sont synonymes de préparation, de concentration et de confiance

dans nos capacités à faire face. Ces qualités sont essentielles dans le quotidien

d’un anesthésiste-réanimateur.

 

Pourquoi avoir choisi la réanimation ?

Aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours voulu «  faire médecine  », sans vraiment savoir pourquoi. Parce que j’ai appris à lire au milieu des feuillets de thèse de médecine de ma mère, probablement. Parce que j’ai très vite trouvé passionnante la physiologie, depuis l’infiniment petit jusqu’aux interactions entre les différentes parties du corps. Puis, plus tard, à l’âge où il faut «  choisir  », parce que j’ai eu le sentiment que cette voie permettrait d’étancher ma curiosité, tout en ayant un métier utile et moral.

Le choix de l’anesthésie-réanimation remonte à ma quatrième année d’études de médecine, lors d’un stage en réanimation médicale au CHU de Rouen, où j’ai passé la première partie de ma vie.

Il s’agit bien d’anesthésie-réanimation, et non de réanimation. En France, deux catégories de médecins sont autorisées à exercer dans des services de réanimation. D’une part, les réanimateurs dits «  médicaux  », qui ont souvent un cursus de spécialiste «  d’organe  » avant de faire le choix de se spécialiser en médecine intensive et réanimation. Cette organisation a récemment changé, mais ce n’est pas le sujet du jour. D’autre part, les anesthésistes-réanimateurs, qui ont une double compétence en anesthésie / médecine péri-opératoire et en réanimation. Ce double cursus, singulier à l’échelle mondiale, nous donne une polyvalence et une résilience qui prennent tout leur sens à l’occasion de cette crise. Nos collègues mettent souvent en avant notre pragmatisme, nos capacités d’adaptation et la culture médico-chirurgicale que nous acquérons en cours de formation. Nous ne serons jamais les plus grands spécialistes dans un domaine de niche, mais nous aurons toujours une solution à proposer à un grand nombre de problèmes. Nous sommes en quelque sorte les généralistes de la médecine aiguë. Cela impose également de manier avec précision les médicaments et techniques de l’urgence, de connaître la théorie de la plupart des chirurgies et des complications qui en découlent. Nous sommes en quelque sorte les artisans de la médecine, et nos outils s’appellent « respirateur artificiel », « circulation extra-corporelle », « vidéo- laryngoscope » ou « noradrénaline ».

Certains considèrent ce métier comme étant très technique, loin de l’humain, traitant les corps inertes de nos patients comme un assemblage de systèmes intégrés dans une enveloppe périssable. Ce n’est qu’une infime partie de la réalité de notre art.

« De parfaits inconnus remettent leur vie entre

nos mains. Un point commun que nous avons

avec les pilotes d’avion... »

L’anesthésie-réanimation est une des spécialités les plus humaines que je connaisse. Nous sommes présents à tous les moments importants de votre vie  : le début et la fin, les heureux événements, les petits accidents du quotidien et les tragédies qui brisent la trajectoire d’une vie, les insignifiantes opérations du bricoleur maladroit comme la chirurgie de la dernière chance. Je connais peu de jobs dans lesquels de parfaits inconnus remettent entre vos mains leur vie, leurs espoirs, l’avenir de leurs enfants, leur crédit immobilier, leurs rêves passés et à venir, leurs fantasmes de guérison ou d’une vie un peu meilleure. Nous ne sommes pas les seuls, loin de là. Les pilotes d’avion sont de cette trempe, par exemple. C’est probablement pour cette raison, parmi d’autres, que de nombreux parallèles existent entre les deux professions.

Enfin, dans une société où la mort est cachée, niée, confinée entre les murs épais de nos hôpitaux et établissements médico-sociaux, nous cohabitons avec elle au quotidien. Elle fait partie de la vie, et bien présomptueux est celui d’entre nous qui se vanterait de pouvoir la conjurer ou l’éviter. J’aime dire que nous n’avons que les moyens de faire varier de quelques degrés la trajectoire des événements. À espérer que ces quelques degrés suffisent à trouver un lieu où atterrir en sécurité. Et à accompagner humblement la retraite de la vie quand nos efforts auront été vains.

Je pourrai trouver encore mille autres raisons d’expliquer ce choix qui s’est vite imposé comme une évidence. Mais ce sont les principales, et les moins obscures pour un novice.

 

À quoi ressemble le quotidien d’un anesthésiste-réanimateur ?

À celui de n’importe quelle personne qui travaille  ! On se lève le matin, la tête dans le c**, l’eau de la douche met du temps à chauffer, le café renversé sur le t-shirt et dix minutes de vélo ou de métro plus tard, on est sur notre lieu de travail  !

Les heures s’enchaînent, alternant des réunions et tâches routinières qui balisent notre quotidien, et des moments de rush où il faut envoyer la sauce pour ne pas perdre pied  ! Beaucoup de métiers fonctionnent comme ça, et nous avons la très grande chance de toujours travailler en équipe, de pouvoir se reposer sur des professionnels qui apportent leur pierre à l’édifice avec passion, dévouement et excellence. La particularité de ce job est que notre matière première, ce sont des vies humaines, et que nous avons des moyens techniques et humains hors norme pour les sauvegarder. Le très haut niveau de soins et les moyens garantis par l’hôpital public nous sont enviés par de nombreux pays dans le monde, malgré les reproches qu’on peut adresser au système de soins français.

« La société nous paie pour contribuer à maintenir une

forme d’équilibre, et servir un idéal qu’elle s’est choisi :

apporter les meilleurs soins possibles, notamment

aux patients dans les situations les plus critiques... »

Il ne faut pas croire qu’on arrive au boulot en se disant «  Encore une belle journée pour sauver des vies  !  ». Notre rôle appelle à bien plus d’humilité, et de pragmatisme. La société nous paie pour contribuer à maintenir une forme d’équilibre, et servir un idéal qu’elle s’est choisi  : apporter les meilleurs soins possibles, au plus grand nombre, et en particulier aux patients dans les situations les plus critiques, menaçant leur vie à court terme.

Pour arriver à ce but, le quotidien est partagé entre l’examen clinique pluriquotidien de nos patients, les soins techniques et réglages des machines chargées d’assurer tout ou partie les fonctions vitales défaillantes, les entretiens avec les patients et leurs familles… Les tâches administratives sont également très consommatrices de temps. Nous jouons résolument collectif, et de nombreux rendez-vous entre professionnels ponctuent la journée. Ils sont destinés à partager les informations dont nous disposons, à exprimer nos doutes, à expliquer nos décisions à l’ensemble de l’équipe, à réfléchir ensemble à la meilleure trajectoire pour chaque patient, à enrichir nos observations de l’avis d’autres médecins, plus experts que nous sur telle ou telle question.

Beaucoup d’étudiants de mon service me demandent en quoi consiste mon métier. Je leur réponds que nous jouons les chefs d’orchestre afin de rassembler les meilleures ressources humaines et techniques et garantir à chaque patient une médecine sur mesure, à la pointe des connaissances actuelles.

 

Comment vivez-vous cette crise, professionnellement parlant ?

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je la considère comme une chance unique pour l’anesthésie-réanimation d’exprimer son savoir-faire à son plus haut niveau. Entendons nous bien, j’aurais évidemment préféré que rien de «  tout ça  » n’arrive. Mais puisque nous sommes au pied du mur, pour ne pas dire franchement dans le mur, j’ai choisi d’en garder le meilleur.

Le meilleur, c’est la formidable énergie collective qui a animé le service dans les quelques jours que nous avons eus pour nous préparer entre l’annonce de la situation épidémique et l’arrivée des premiers patients. À l’échelle de Lyon, nous étions le service de troisième recours. Nous avons bénéficié de l’expérience et de l’expertise de nos collègues réanimateurs médicaux pour nous préparer au mieux. Cette longueur d’avance, et ce que nous en avons fait, nous permet aujourd’hui d’affronter cette crise avec calme et sérénité. Pendant plusieurs jours, chacun d’entre nous a donné le meilleur de lui-même pour ré-inventer le fonctionnement de notre microcosme. Nous avons fait preuve d’une intelligence collective inédite, sublimant les bonnes volontés individuelles en un projet d’équipe cohérent et solide. Nous avons ré-organisé nos locaux, formé des centaines de professionnels venus d’autres services en un temps record. Un programme de simulation hautement immersive au sein même du service a par exemple vu le jour en quelques heures, et ce grâce à l’engagement bénévole de nombreux professionnels. Nous avons mis au point des stratégies et des protocoles pour chaque situation. Nous avons compilé les retours d’expériences de Chine et d’Italie pour nous prémunir des ornières dans lesquelles les médecins de ces pays étaient tombés. Nous avons mis de côté nos vies personnelles et familiales, nos loisirs et projets de vacances, pour nous concentrer tout entiers sur un seul objectif  : assurer la prise en charge des dizaines de patients à venir, sans renoncer au niveau d’exigence que nous nous imposons habituellement, et au plus haut niveau de sécurité pour tous les soignants.

Je crois pouvoir dire que nous y sommes arrivés, même si la route est encore longue.

Nous parvenons aujourd’hui à nous installer dans une forme de routine, qui reste éloignée de notre fonctionnement antérieur. Nous apprenons à nous déplacer masqués et déguisés, à intégrer de très nombreux professionnels moins expérimentés en réanimation que nos équipes habituelles, en gardant le même niveau de soins pour nos patients. C’est vraiment un des grands défis posés à notre système de soins  : faire face à un afflux extraordinaire, sans avoir à faire de choix impossibles concernant certains patients ou certaines techniques.

« Nos vrais champions ? Les cadres infirmiers, et les

infirmiers "techniques" des services de réanimation. »

Nous nous habituons à vivre dans une tension permanente de matériel de protection, de médicaments, de personnel soignant. L’encadrement et le personnel médico-technique sont d’une aide très précieuse pour gérer tous ces aspects de la crise. Leur engagement mériterait d’être d’avantage mis en avant au cours de cette crise. Les vrais champions sont les cadres infirmiers, qui ont dû doubler les effectifs du jour au lendemain et incorporer aux équipes hospitalières des soignants venus d’autres structures, ou encore les infirmiers «  techniques  » des services de réanimation, qui portent sur leurs épaules la gestion infernale des stocks de respirateurs, de machines de dialyse, de petit et de gros gadgets, indispensables à l’ouverture de services de réanimation, dans des endroits qui n’étaient encore hier que des zones de transit. Sans parler du casse-tête que représente la pénurie mondiale d’équipements de protection, de consommables ou de médicaments hypnotiques indispensables à la prise en charge de tous les patients, Covid-19 ou pas.

Je suis vraiment fier de notre équipe, de chacun de ses membres, quel que soit son niveau de qualification et le rôle qu’il y joue. Nous avons fait face avec pragmatisme, confiance en nos capacités et sang-froid, en apprivoisant les craintes et les interrogations que cette épidémie a soulevées pour nous, et pour nos proches.

 

Quelques photos pour illustrer. Précision : pas de port de gants

ni de masques FFP2 sur ces entraînements pour économiser le matériel,

alors que la crise n’avait pas commencé.

 

Assistance respiratoire

Lorsque nous plongeons un patient dans le coma artificiel, et sous assistance respiratoire,

chaque seconde compte. Pour optimiser les chances de survie et diminuer les séquelles,

d’abord. Et pour protéger chacun des professionnels de la contagion. Une parfaite 

coordination entre médecin et infirmier est indispensable.

 

Tablette 

Les formations de nos équipes par des programmes de formations par simulation

haute fidélité faisaient partie de l’ADN du service avec la crise. Un programme similaire

existe en effet pour améliorer les soins donnés aux accidentés de la vie ou de la route.

Ces formations nous ont permis d’aborder l’arrivée des premiers patients avec sérénité.

 

Photos : Alicia Dupré.

 

Et à titre personnel ?

Je me réjouissais de l’arrivée tant attendue de ma première semaine de vacances en six mois, quand le confinement a été ordonné. Un chouette tour de ski-alpinisme dans le massif du Mont-Blanc, entre France, Italie et Suisse. J’ai rapidement senti le vent tourner, avant de comprendre que les vacances allaient passer au second plan pour un certain temps…

En dehors des journées (et des nuits) de travail, je suis confiné, comme le reste de la population. Mon appart’ n’a jamais été aussi propre, et ma pile de bouquins à lire décroît régulièrement. Il a aussi fallu trouver un supplétif à la dizaine d’heures consacrées au sport chaque semaine, sans compter les week-ends passés en montagne. La saison avait bien commencé, et le mois d’avril en marquait le point d’orgue, avec des projets d’itinéraires classiques et très prometteurs, tant dans leur dimension technique qu’esthétique.

C’est comme ça que je me suis mis à «  écrire  ». Pour garder une trace tangible de ce qui est en train de se passer. Cette période est unique, et il me paraît capital d’en garder une mémoire écrite, au moins à titre personnel. J’écris à propos de la vie du service, à propos d’aventures passées ou à venir en montagne, en utilisant les mots pour s’évader un peu des quatre murs de mon appartement. Il m’arrive aussi de faire des billets plus «  pédagogiques  », pour faire un peu de ménage au milieu de la diarrhée d’informations, aux fondations plus ou moins solides, qui inonde les médias et les réseaux sociaux. J’ai bien conscience de participer de ce fait à la déferlante, mais j’essaie de le faire avec simplicité, humilité, et une pointe d’humour.

Cette petite discipline (quasi) quotidienne commence à représenter quelques dizaines de pages, que j’ai compilées sous forme de blog, illustré par des images rapportées de voyage. S’il vous reste un peu de temps de lecture à la fin de cet article, osez vous y rendre  ! (https://leconfiblog.jimdofree.com)

 

Rodolphe Lelaidier alpinisme

Dans le Vercors...

 

Le monde de la réanimation est mal connu du grand public. Que se passe-t-il derrière les murs de votre service ?

Vous l’avez peut-être compris au travers des lignes précédentes  : un très grand nombre de professions est mobilisé autour d’un nombre relativement restreint de patients, les plus graves et dans les situations les plus instables. Médecins et internes de tous bords, infirmiers (de réanimation, de bloc, anesthésistes), aide-soignants, agents de service et de ménage, secrétaires, assistants de recherche clinique, manipulateurs radios, pharmaciens, hygiénistes, techniciens de laboratoire et biologistes, ambulanciers, étudiants de toutes les filières, psychologues, kinésithérapeutes, diététiciens… J’en oublie forcément  !

Tous ces professionnels font en sorte que nos patients reçoivent les soins les plus qualitatifs possibles, quelle que soit l’heure du jour et de la nuit. Il faut bien comprendre qu’un patient hospitalisé en réanimation, en coma artificiel et sous ventilation mécanique, est entièrement dépendant pour l’ensemble de ses fonctions vitales, même les plus basiques. Cette dépendance exige des soins constants et attentifs, ce d’autant que ces patients étaient déjà souvent vulnérables avant d’arriver dans notre service, et qu’un événement aigu est venu tout chambouler  ! En ce moment, cet événement prend souvent la forme d’un virus, et de «  l’orage inflammatoire  » qu’il provoque…

Jour et nuit, toutes ces énergies sont là pour soutenir, et parfois remplacer temporairement les systèmes respiratoire, neurologique, circulatoire, rénal, hépatique ou encore digestif de ces patients en sursis. Les journées et les nuits sont rythmées par les soins de toilette, l’élimination des urines et des selles, le rythme veille / sommeil, la gestion de la soif, de la douleur, de la peur de la mort, l’alimentation artificielle sous différentes formes, l’administration de fluides et de médicaments précisément dosés et adaptés à chaque patient. Nos amis chirurgiens parlent en se moquant «  du sel et du poivre  », et ils n’ont pas complètement tort.

« Les règles visant à réduire le risque de contagion nous ont

imposé de fermer les portes du service. (...) C’est un

changement majeur pour notre structure... »

Nous devons aussi garder le lien avec les familles de nos patients. Les règles visant à réduire le risque de contagion nous ont imposé de fermer les portes du service. Nous mettons un point d’honneur à appeler les familles de patient matin et soir au minimum, afin de leur donner des nouvelles sur l’évolution de la santé de leurs proches. Nous avons conscience que l’hospitalisation d’un proche en réanimation, sans possibilité de visite ni de recevoir des explications «  en direct  » par les soignants, est très anxiogène. En cas d’événement important ou de décision marquante, c’est le médecin responsable des soins qui appelle lui-même la personne référente désignée par la famille.

C’est un changement majeur pour notre structure, qui était connue pour être très ouverte et accueillante envers les familles de nos patients. Nous accordons une importance particulière à rendre aussi bonne que possible la vie de nos patients et de leurs proches lors de leur passage dans le service. Cela passe par une attention constante aux différentes sources d’inconfort, une ouverture du service 24/7 et l’accueil des enfants en bas âge de nos patients les plus jeunes. Notre dernier projet, le plus novateur, porté par une de mes collègues (le Dr Amélie Mazaud) était de faire venir des chiens dans le service, pour faire bénéficier nos patients en cours de guérison de thérapie médiée par les animaux. Une première en France  ! Bien entendu, tout cela a été mis en suspens par le confinement…

La nuit règne une ambiance très particulière. Bien éloignée des clichés véhiculés par les séries hospitalières ou l’imaginaire collectif. On parle d’une atmosphère plus intimiste, empreinte de camaraderie entre ceux qui ont le privilège de vivre des moments forts pendant que les autres sont au fond de leur lit. En tout cas, c’est comme ça que je voyais les choses quand je découvrais, il y a une dizaine d’années, émerveillé, les coulisses de la vie nocturne en réanimation. Un sentiment rare d’être privilégié, aux premières loges, de se trouver exactement au bon endroit et au bon moment, au cœur de l’action et frappé de plein fouet par les situations les plus stimulantes.

Aujourd’hui, je commence à ressentir la pénibilité du travail de nuit, qui est réelle. Et, étant donné mon jeune âge, ce n’est pas près de s’arrêter… Le travail nocturne est un assassin silencieux, pour les soignants comme pour les autres. La privation de sommeil qu’il induit vient dérégler tout l’organisme. C’est comme ça qu’on se tartine des morceaux de pain rassis avec du pâté de thon offert par l’hôpital (…) à 4h du mat, ou qu’on se demande si on se sentira un jour enfin «  reposé  » après avoir aligné deux nuits blanches dans la semaine. J’essaie d’en rire, mais il est bien prouvé que le travail de nuit augmente la mortalité cardio-vasculaire, le risque de cancer, d’accident de la route, les risques psycho-sociaux, qu’il favorise l’obésité et le diabète et vient polluer nos vie familiales et personnelles.

« Nos infirmières touchent une prime de nuit

de quelques centimes par heure travaillée.

Ç’en est presque insultant. »

Ce n’est pas très brillant, mais c’est la réalité. Une réalité sur laquelle nos décideurs ferment les yeux, et qu’ils refusent de valoriser. Nos infirmières touchent une prime de nuit de quelques centimes par heure travaillée. Ç’en est presque insultant.

 

Quel rôle joue l’administration hospitalière ?

Dans cette crise, nous sommes tous dans la même galère. La résilience de nos administratifs est mise à rude épreuve, et j’ai le sentiment qu’ils font de leur mieux pour nous faciliter la tâche et s’assurer qu’on ne manque pas de personnel ni de matériel. Certaines restrictions budgétaires ont été levées, nous donnant accès à des examens ou à du matériel coûteux, afin de prodiguer des soins à la pointe pour nos patients. C’est le résultat de l’orientation donnée par le gouvernement, qui a fort à faire pour réparer la coque du navire hospitalier, mis à mal par des années d’austérité et de politique managériale «  dure  ». C’est également possible grâce à la générosité du public et de certains poids lourds du monde des affaires. Je préfère ne pas m’interroger sur les bénéfices secondaires qu’une minorité escompte possiblement, qu’ils soient fiscaux ou en termes d’image. L’argent est là, l’expertise et les moyens techniques de certains industriels également, ce n’est pas le moment de cracher dessus. Osons accepter cette solidarité, cette générosité. Valorisons ce que l’humain a de meilleur à offrir en ces temps maudits. Le moment de solder les comptes viendra après.

« Je regrette qu’on ne parle pas plus

de la vague de suicides qui touche le monde

des soignants depuis plusieurs années. »

Si l’effort de l’institution est réel, il ne parvient cependant pas à combler certaines insuffisances qui existaient avant l’épidémie. La qualité de vie au travail est à mes yeux une priorité pour les professionnels de l’hôpital, et je regrette qu’on ne parle pas plus de la vague de suicides qui touche le monde des soignants depuis plusieurs années. Nous avons par exemple dû doubler nos effectifs de nuit, afin de nous adapter à l’afflux massif de patients requérant des soins très denses et techniques. Mais nos locaux et notre organisation n’ont pas été prévus pour ça. La moitié des médecins de garde en réanimation doit dormir dans des bureaux, sur un matelas en plastique, sans accès à l’eau ni à des sanitaires. Nos infirmiers et aide-soignants de nuit ont à peine de quoi se reposer quelques instants pendant leurs 12h de travail. Tout ça nous paraît parfaitement normal. Car c’est comme ça que nous avons été « élevés  ».

Je pourrais aussi vous parler des repas fournis par la cuisine centrale, dont les portions n’ont fait que diminuer depuis quelques années. Estimons nous chanceux d’avoir des repas, c’est le privilège de bosser 24h d’affilée. Mes collègues paramédicaux n’ont pas cette chance, on ne leur jette en pâture qu’un paquet de chips et une barre chocolatée ultra-sucrée. Comme un clin d’œil à leur bonne santé cardio-vasculaire. Il n’y a pas de petites économies. Nous, les docteurs, les «  nantis  » du système, profitons ainsi de repas qui conviennent probablement à un patient confiné au lit, mais qui sont clairement insuffisants pour passer la nuit debout, entre situations d’urgence et transport de patients. Les exemples sont tellement nombreux, vous pourriez y consacrer un article entier. Mais tous reflètent la même réalité  : l’expertise, l’engagement, le dévouement des professionnels de santé qui sont sur le pont au quotidien, nuit et jour, ne doit pas attendre d’autre reconnaissance que la satisfaction du travail bien fait, et la chance d’exercer un métier «  à haute valeur morale ajoutée  ».

« Est-il normal de considérer, et de rétribuer ces métiers

à l’aune inverse de leur valeur sociale ? »

J’ai bien conscience que nos administrateurs font «  comme on leur dit  », tâchant de répartir au mieux une quantité limitée de deniers publics. Le dilemme est à un autre niveau  : quels membres de notre société sont vraiment indispensables à ce que les choses tournent rond  ? Est-il normal de considérer, et de rétribuer (car le salaire n’est qu’une partie du problème) ces métiers à l’aune inverse de leur valeur sociale  ?

Je laisserai ce genre de considérations à des gens dans le besoin et essentiels au fonctionnement de notre société, comme M. Yves Calvi, qui semblait avoir, il y a quelques jours, de grandes idées sur la «  pleurniche hospitalière  »…

 

Un message à faire passer ?

La concision n’étant pas la plus grande de mes qualités (vous l’aurez remarqué), j’en choisirai plusieurs.

Respectez les consignes transmises par les scientifiques et le gouvernement. Si elles changent d’une semaine sur l’autre, c’est aussi parce que nos connaissances sur la maladie évoluent sans cesse, de même que les moyens dont nous disposons. Cette crise est globale, et nous sommes en concurrence nauséabonde avec les autres puissances de ce monde pour l’accès aux équipements de protection, au matériel médical, aux ressources les plus rares. C’est malheureux, mais c’est la réalité, et nous n’avons pas d’emprise pour la changer dans l’urgence. Ce qu’on ne peut changer, il faut nous y adapter.

« La solidarité dont nous jouissons est d’autant

plus remarquable que tous ces particuliers et acteurs

de l’économie locale seront bientôt eux-mêmes

en très grande difficulté. »

Continuez à nous soutenir, à nous envoyer des tonnes de marques d’affection et d’encouragements, sous un grand nombre de formes. Je suis époustouflé par la solidarité des particuliers, des restaurateurs, des agriculteurs, des commerçants de notre quartier qui nous fournissent gratuitement des repas, du café, des friandises, des équipements de protection ou tout simplement de l’argent pour améliorer la qualité de vie des soignants et des patients au quotidien. C’est d’autant plus remarquable que tous ces particuliers et acteurs de l’économie locale seront bientôt eux-mêmes en très grande difficulté.

Entraînez votre mémoire, enfin, car nous allons en avoir besoin dans les mois à venir.

Pour tâcher de solder les comptes, et de comprendre quels impairs nous ont menés à cette situation historique. Car c’est bien une page singulière de l’histoire de l’Humanité que nous sommes en train d’écrire, collectivement.

Pour faire les choix de société qui s’imposeront au lendemain de cette catastrophe sanitaire. Les milliers de travailleurs qui permettent à ce pays de rester debout, soignants et non soignants, ne doivent pas tomber dans l’oubli. Les «  héros  » (terme tant galvaudé…) d’aujourd’hui risquent trop de ne récolter que quelques médailles en chocolat et remerciements en grandes pompes, avant de retourner à leurs conditions de travail en détérioration constante et à leurs salaires indignes. Il n’y a qu’à se référer à la sortie très remarquée du directeur de l’ARS Grand Est il y a quelques jours. On ne pourra pas feindre la surprise. 

Pour venir en aide à tous ceux qui vont être durement affectés par la crise économique qui suivra. Les acteurs de terrain, les indépendants et les travailleurs de la terre et des mains, qui auront besoin de notre soutien, et du discernement des consommateurs que nous sommes.

 

Rodolphe Lelaidier 

 

Quelques liens, pour aller plus loin :

Le blog de Rodolphe Lelaidier (je vous le recommande chaleureusement !)

L’espace grand public de la Société Française d'Anesthésie et de Réanimation

Espace RéAnimal de la Fondation HCL

 

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13 avril 2020

« La résilience, les armées et la Nation », par Guillaume Lasconjarias

En ces heures tellement particulières, porteuses d’angoisse pour soi et pour ses proches, et tandis que le bilan humain du désormais tristement célèbre Covid-19 a passé la barre des 120.000 morts, je vous présente cet article que j’ai sollicité auprès de Guillaume Lasconjarias, expert sur les questions stratégiques et militaires, et chercheur associé à l’IFRI. Il est question dans ce texte de résilience, ce concept qu’on associe souvent à Boris Cyrulnik. Un concept bien connu de nos armées, pour devoir souvent l’éprouver. Quels leçons à partager, quels ponts nouveaux à jeter entre institution militaire et société civile à l’occasion de cette crise ? M. Lasconjarias fait le point, je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Hôpital de campagne

Installation d’un hôpital de campagne à Mulhouse.  S. Bozon/AFP.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

« La résilience, les armées et la Nation »

par Guillaume Lasconjarias, le 9 avril 2020

Depuis le début de la crise du coronavirus, les débats se sont largement portés sur la gestion de la crise, la préparation ou l’impéritie du gouvernement, le bien-fondé de telle ou telle mesure. On a aussi vu de formidables gestes de solidarité, à l’échelle locale et nationale, l’ouverture d’une réserve civique où les volontaires souhaitent aider et apporter leurs compétences et leur appui à cette lutte d’un genre exceptionnel. On a aussi vu la façon dont les Armées se sont portées au-devant de cette pandémie, au travers le lancement d’une opération militaire, l’opération «  Résilience  ». En effet, derrière ce terme se cache le but de toutes ces actions, de toutes ces manifestations  : parvenir à rebondir après la crise, et reprendre une vie normale.

rebondir après la crise, et reprendre une vie normale...

J’ai été frappé par le choix, annoncé par le Président de la République, de donner à cette opération le nom de code «  Résilience  ». Le lancement par la plus haute autorité de l’État  ne m’a pas choqué, il s’inscrivait dans la lignée de propos et de positions prises depuis déjà quelque temps, utilisant à dessein une phraséologie guerrière, militaire. On peut s’interroger sur la pertinence de cette rhétorique, et j’ai personnellement quelque difficulté à concevoir qu’on soit en guerre contre un virus, lequel ne regarde pas la télé ni ne s’est enregistré sur les réseaux sociaux. Ce qu’il faut entendre derrière le terme de «  guerre  », c’est la mobilisation de tous, l’implication de chacun, la discipline collective et une victoire en objectif commun. L’analogie se poursuit si l’on considère les soignants en première ligne, les personnels autrefois invisibles (caissiers, éboueurs, facteurs...) devenus les maillons essentiels au maintien de la vie courante dans une chaîne logistique inédite, et les malheureux frappés et mourant du virus les victimes de cette guerre contre un acteur invisible.

Comment ne pas songer à La Fontaine et aux animaux malades de la peste  ? «  Tous ne mouraient pas, mais tous étaient frappés  ». Notre société tremble, nos repères habituels – temporels, spatiaux, familiaux – connaissent un bouleversement inouï, et il paraît impossible de se projeter dans le monde d’après, celui où les choses reviendront à la normale. Pas la paix, mais un retour à l’équilibre, et peut-être à la forme d’insouciance qui nous caractérisait.

 

« Initialement, la résilience définit les caractéristiques

physiques d’un matériau qui, soumis à une pression

extérieure, retrouve au bout d’un certain temps

sa forme, sa taille et sa structure... »

 

Ce souhait du retour à la normale après une crise, cette reprise d’un fonctionnement normal, voilà ce qu’on appelle aujourd’hui communément résilience. Mais je crois que le choix de ce terme mérite d’être éclairci. Il le mérite à la fois pour comprendre ce que ce concept signifie, et aussi pour savoir si les armées sont les seules à porter cette résilience. Le terme de résilience n’a rien d’original sauf à considérer le parcours qu’il a emprunté depuis son champ d’origine jusqu’à aujourd’hui. Initialement, la résilience définit les caractéristiques physiques d’un matériau qui, soumis à une pression extérieure, retrouve au bout d’un certain temps sa forme, sa taille et sa structure. De là, le terme est d’abord passé à l’écologie  pour souligner les capacités d’un biotope à surmonter les agressions extérieures, puis à la psychologie humaine. Les travaux d’Emmy Werner en 1982 forment la base de ces discussions, au travers la manière dont des individus sont parvenus à dépasser des traumatismes lourds et à reprendre une vie normale. En France, on salue généralement Boris Cyrulnik et ses ouvrages qui tournent peu ou prou autour de l’adaptation psychologique après un choc.

Cette aptitude à encaisser, à absorber puis à retrouver ses fonctions intéresse aussi, pour d’autres raisons, le domaine de la sécurité et de la défense. La résilience se trouve dans le Livre Blanc de la Sécurité et de la Défense nationale de 2008 pour souligner combien il importe de se doter des capacités individuelles et collectives pour surmonter une période de tension extrême, quelle qu’elle soit. L’intégration de ce concept s’explique par la nécessité, alors, de mieux comprendre le monde qui nous entoure, ses dangers et les nouvelles menaces  : terrorisme, conflits asymétriques, tensions ethniques et religieuses, instabilité régionale, compétition pour les ressources, etc... mais aussi évènements climatiques majeurs et pandémies  !

Et donc, dans ce contexte radicalement différent, il convient d’être préparé, de s’entraîner pour un mot qui est alors à la mode, la «  gestion de crise  ». Là encore, l’acceptation est très large, mais traduit bien que nous ne sommes plus dans des affrontements entre États mais dans des types de conflits, des scenarii qui mélangent tout, qui surimposent des crises et des tensions, ou qui voient les populations secouées par des formes de risques (technologiques ou naturels) de grande ampleur.

Or donc, dans ce nouvel environnement de sécurité et de menaces, il semble bien qu’un outil, une institution en l’occurrence, garde les capacités à encaisser, puis à rebondir. Il s‘agit des armées – même si on pourrait de façon large juger que les forces de sécurité dans leur ensemble, ceux qui vivent sous la tension de l’urgence (sapeurs-pompiers, hôpitaux, sécurité civile, etc...) conservent les mêmes savoir-faire. Dans l’ensemble, ces personnels, par leur sélection, leur entraînement, leur(s) expérience(s) savent à la fois agir et décider dans l’incertitude, changer de posture selon la situation, et toujours, partout, faire face. Dit autrement, de travailler, poursuivre leur mission et atteindre leur objectif même dans des conditions dégradées.

 

«  La camaraderie, la réactivité, l’excellence et

l’efficacité incarnées par l’armée contribuent

à mettre la résilience en actes. »

 

Si l’on revient désormais sur l’opération décidée par le pouvoir politique, qui voit l’implication des armées sur le sol national en appui des autorités civiles, on donne à voir un signal triplement intéressant  : les armées vont d’abord renforcer, consolider et appuyer les autres services publics. La mise en place d’un hôpital de campagne à Mulhouse, les vols sanitaires d’une région à l’autre, l’envoi outre-mer de porte-hélicoptères amphibies dont le plateau médical est une plus-value, en sont autant de symboles, comme le sont la présence de soldats déployés pour protéger les dépôts de masques. Ensuite, on rappelle les valeurs que portent les armées  : la mission à accomplir, mais sans nier la fraternité d’armes, la camaraderie au sens large. Enfin, la réactivité, l’excellence et l’efficacité incarnées qui mettent la résilience en actes. 

Pourtant, derrière cette posture, on ne doit pas oublier que si les armées sont résilientes, cela tient sans doute à plus d’une dizaine d’années de cure d’amaigrissement, de coupes budgétaires, de diminution drastiques des effectifs. On peut comprendre avec raison le passage d’une armée de conscription à une armée professionnelle, et la réduction du nombre d’unités et de soldats se défendait à l’heure où les engagements se faisaient à l’extérieur du territoire national, dans le cadre d’opérations extérieures (OPEX). Mais les arbitrages ont conduit à ajuster les moyens au plus près, à réduire à peau de chagrin les services et entités  : ainsi, le service de santé des armées représente ainsi 1% de la totalité de l’offre de santé en France et il ne demeure qu’un régiment médical. La composante logistique tient dans une brigade qui ne l’est pas tout à fait, et les exemples sont nombreux par ailleurs. Malgré tout, les armées ont poursuivi leurs missions, ont été toujours plus engagées  : après l’Afghanistan, le Mali, la République centrafricaine, les opérations Barkhane, Chammal…

La situation actuelle rebat les cartes au travers d'une opération dont le nom de code porte deux sens  : mettre en avant des armées qui sont un symbole de resilience, et souligner leur rôle dans la construction de cette même capacité, au profit de la population. Mais ce dernier point pose problème  : d’abord, parce que la résilience ne se décrète pas. Ensuite, parce qu’elle est une prise de conscience collective – c’est-à-dire celle de la nation dans son ensemble – pour surmonter la crise. Aujourd’hui, notre résilience passe par la mise en œuvre d’une stratégie et d’un processus  : une stratégie qui identifie les objectifs et les moyens de les atteindre, et un processus qui affecte les ressources idoines pour maintenir le système en état de fonctionnement et qui garantit à la population la satisfaction de ses besoins élémentaires. Viendra ensuite, pour le temps d’après, une nécessaire réflexion sur les faillites d’hier, mais tel n’est pas le propos. Il faudra surtout se préoccuper non plus d’encaisser la prochaine crise mais d’être suffisamment préparé pour ne pas la subir.

La résilience que nous devons appeler de nos vœux n’est donc pas simplement une façon technocratique et institutionnelle ou fondée sur des infrastructures, ou des réseaux. Elle est un effort commun. Là encore, nous devons retrouver ce qui nous unit, ce qui fait Nation. Cela porte un nom  : l’esprit de défense. Mais qu’est-il devenu  ? Il existe, inscrit dans les programmes scolaires, un enseignement de défense auquel et le ministère de l’Éducation nationale et les Armées contribuent, au travers d’actions pédagogiques, d’accompagnement et de découverte. Ce partenariat, formalisé depuis trente ans par un protocole interministériel, valorise les relations entre l’École et l’Armée, les deux piliers de la République. Cet enseignement favorise une meilleure connaissance de ce que font les armées, souligne les valeurs d’engagement, d’abnégation et de service de valeurs communes, mais aussi au service des autres.

 

« Retrouver la résilience, c’est redonner à lesprit

de défense, sa place et son importance. La résilience est

une soudure, qui garantit que l’ensemble des atomes

qui constituent un matériau ne se désagrège pas. »

 

Mais l’esprit doit souffler au-delà, dans l’ensemble de la société, qu’il doit irriguer. Retrouver la résilience, c’est redonner à cet esprit de défense sa place et son importance. La résilience est une soudure, qui garantit que l’ensemble des atomes qui constituent un matériau ne se désagrège pas. Et pour cela, les leçons que nous donnent les armées – comme l’ensemble des services publics mobilisés – ne devront pas être oubliées.

 

Guillaume Lasconjarias 2020

Guillaume Lasconjarias est chercheur associé à l’IFRI.

 

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17 mars 2020

Nicole Bacharan : « Si Trump est réélu, peut-être devra-t-on parler de la démocratie américaine au passé... »

Alors que la France se confine tant bien que mal et que le monde s’inquiète de plus en plus à propos du Covid-19, focus sur un autre sujet d’actualité : la présidentielle américaine. À quelques heures de la tenue de primaires démocrates dans des États majeurs, et tandis que l’ex-vice président Joe Biden semble avoir pris une avance considérable sur son concurrent Bernie Sanders, lui marqué plus à gauche, j’ai la joie de pouvoir vous présenter cette interview réalisée il y a quelques jours avec la politologue et historienne spécialiste des États-Unis Nicole Bacharan, auteure l’an dernier de Le monde selon Trump (Tallandier), et en 2016 de Du sexe en Amérique: Une autre histoire des États-Unis (Robert Laffont), ouvrage qui, avec l’affaire Griveaux, a inspiré ma première question. Merci à Nicole Bacharan pour sa fidélité et ses réponses éclairantes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

PRÉSIDENTIELLE ÉTATS-UNIS, 2020

Nicole Bacharan Trump

Le monde selon Trump : Tweets, mensonges, provocations,

stratagèmespourquoi ça marche ? (Tallandier, 2019)

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU (MARS 2020)

Nicole Bacharan: « Si Trump est réélu, peut-être

devra-t-on parler de la démocratie américaine au passé... »

 

1. Est-on entré dans une ère où l’intime ne l’est plus vraiment, et faut-il s’inquiéter pour le fonctionnement de nos démocraties ?

La vie privée, et particulièrement la vie sexuelle, utilisée comme une arme politique, c’est aussi vieux que la démocratie américaine. Les «  Pères fondateurs  » Alexandre Hamilton et Thomas Jefferson en furent déjà les cibles, déchiquetés dans la presse par leurs adversaires politiques au nom de l’hypocrite principe «  qui ment à sa femme ou ment sur sa vie familiale, mentira aussi à ses électeurs, on ne peut pas lui faire confiance  ».

Depuis ce lointain passé, les humains n’ont pas changé, non plus que leur voyeurisme et leur goût du ragot, mais les outils de l’inquisition publique et de la mise au pilori se sont transformés, et avec les réseaux sociaux, sont devenus planétaires et instantanés. Qu’il s’agisse de la surveillance par l’État et la police au nom de la sécurité (suivant la redoutable affirmation «  il n’y a pas de problème pour ceux qui n’ont rien à se reprocher  »), qu’il s’agisse d’un dévoilement imprudent – même volontaire – de sa vie personnelle sur les réseaux sociaux (qui n’oublient jamais rien), qu’il s’agisse de la propension des mêmes réseaux sociaux à s’emparer de la vie privée de tel ou tel pour la disséquer, la juger, la condamner, oui, la transparence totale est à la fois illusoire et destructrice.

« En cas de changement de régime, tout ce qui,

d’intime, a été rendu public, pourrait bien

tomber aux mains de l’État... »

Sans possibilité de conserver bien à soi son «  petit tas de secrets  », sans espace pour vivre sa vie privée comme elle le devrait, c’est à dire de manière… privée, il n’y a plus de sphère intime, tout appartient au public, et en cas de changement de régime tout pourrait appartenir à l’État, et verser dans le totalitarisme.

Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, il est urgent de repenser la protection de la vie privée et des libertés individuelles à l’ère des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle.

 

2. Dans quelle mesure les succès de l’économie américaine sont-ils imputables à la politique de Donald Trump ?

Contrairement à ce qu’il a affirmé le jour de son investiture, le 20 janvier 2017, Donald Trump n’a pas hérité d’une économie livrée au «  carnage  », mais d’une situation de croissance assez bien assainie depuis la crise de 2008. Le chômage, à son niveau le plus haut en 2011, n’avait cessé depuis de se réduire. Cependant, il est évident que les baisses d’impôt massives décidées par Donald Trump ont réellement «  dopé  » l’économie. Même si elles ont touché principalement les entreprises et les plus hauts revenus, la classe moyenne en a bénéficié, au moins un peu. La réduction du chômage à son niveau plancher, la hausse modeste mais réelle des salaires sont aussi imputables en partie à ces choix fiscaux.

Néanmoins, l’économie favorisée par Donald Trump est une économie «  fossile  », tournée vers le passé, le charbon, le pétrole, le gaz, la dérégulation et la suppression des normes environnementales. Les États-Unis prennent ainsi du retard dans le développement des énergies renouvelables et sont complètement marginalisés dans la lutte contre le réchauffement climatique.

« La position dominante du dollar pourra-t-elle toujours

éviter aux États-Unis de subir les conséquences de leur

dette massive ? Rien n’est moins sûr... »

Enfin, les réductions fiscales, tout comme les investissements massifs dans l’armée et l’équipement militaire contribuent à creuser une dette publique abyssale. La position dominante du dollar pourra-t-elle toujours éviter aux États-Unis d’en subir les conséquences ? Rien n’est moins sûr.

 

3. Donald Trump a-t-il répondu aux attentes de son électorat, ces «  hommes blancs en colère  » que vous évoquiez il y a quatre ans ?

Oui, Donald Trump a tenu la plupart des promesses  que son électorat juge essentielles : nommer des juges ultra conservateurs opposés à l’avortement, à la Cour suprême et dans les tribunaux fédéraux  ; baisser les impôts  ; sortir de l’accord de Paris sur le climat et de l’accord sur le nucléaire iranien  ; construire un mur à la frontière avec le Mexique (le mur n’a pas beaucoup progressé, mais Trump a enfin obtenu de la Cour suprême le droit de détourner à cet effet une partie des fonds attribué au Pentagone)  ; revenir sur les règlementations environnementales datant de l’ère Obama. Trump ne manque jamais non plus d’affirmer son opposition au contrôle des armes à feu.

« La base électorale de Trump – env. 42% des électeurs -

est très soudée derrière lui et lui pardonne tout. »

Sa base électorale – environ 42% - est très soudée derrière lui et lui pardonne tout. Même si elle est composée pour l’essentiel de ces «  hommes blancs en colère  », d’âge mûr, peu éduqués, attachés à la libre circulation des armes et hostiles aux immigrés, on y trouve aussi des femmes, mais presque exclusivement blanches, des représentants des milieux d’affaires, des fermiers conservateurs, et des évangéliques qui ont tendance à voir en Donald Trump comme un nouveau messie.

 

4. Sur quels thèmes va se jouer la campagne ? Sera-ce un referendum pour ou contre Trump ?

Trump va rester fidèle à ce qui lui a réussi  : attiser la peur et la colère. Peur de l’étranger, peur de l’immigré, ressentiment contre «  les élites  », les alliés et les traités multilatéraux. Il a souvent prédit que s’il n’était pas réélu, le chaos suivrait  : une crise économique et financière sans précédent, une véritable invasion d’immigrés, des violences incontrôlables…

Si Joe Biden est bien le candidat démocrate, l’élection deviendra certainement un referendum pour ou contre Trump, elle se jouera entre les électeurs qui adhèrent à ses méthodes, et ceux qui voudraient revenir au calme et à la normale.

« La crise sanitaire du coronavirus ouvre

une période de grande incertitude... »

Comme dans toute élection, la situation et les perspectives économiques au moment de l’élection seront aussi déterminantes. À cet égard, la crise sanitaire du coronavirus ouvre une période de grande incertitude.

 

5. Votre regard sur la présidence Trump, confrontée au temps long de l’Histoire des États-Unis ?

Si Trump n’est pas réélu, sa présidence restera comme le moment où tous les noirs secrets de l’Amérique – violence, racisme, paranoïa – présents depuis l’arrivée des colons, seront revenus sur le devant de la scène et auront «  pris le pouvoir  », mais où la démocratie américaine aura tout de même prouvé sa capacité de résistance.

Mais si Trump est réélu, il en conclura que toutes ses outrances et ses abus de pouvoir ont été validés, et que désormais, «  tout est permis  ». Et peut-être devrons-nous parler de la démocratie américaine au passé, elle risquerait de n’en garder que les formes, comme une coquille vide.

 

Nicole Bacharan 2020

Nicole Bacharan est historienne et politologue.

 

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