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Paroles d'Actu

22 juillet 2018

« Quel bilan tirer de la Coupe du monde en Russie ? », par Carole Gomez

Il y a une dizaine de jours, peu avant la finale de la Coupe du monde de football qui allait voir la France (bravo les Bleus !!!) remporter sa deuxième étoile face à la Croatie (score : 4 à 2), j’ai proposé à Carole Gomez, chercheure à l’IRIS spécialiste des questions liées à l’impact du sport sur les relations internationales, une tribune carte blanche à propos de ce Mondial. Il y a deux ans, en période de Jeux olympiques d’été à Rio, elle avait déjà composé « Les compétitions sportives internationales, lieux d'expression du nationalisme », pour Paroles d’Actu. Je la remercie pour ce nouveau texte, qui nous éclaire sur la manière dont la Russie a voulu concevoir, et a géré cet événement. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

CDM Russie

 

« Quel bilan tirer de la 21ème Coupe du monde masculine

de football, qui vient de s’achever en Russie ? »

par Carole Gomez, le 19 juillet 2018

Si le grand public et les commentateurs sportifs retiendront, à juste titre, la victoire française en finale contre la Croatie apportant une 2ème étoile à l’équipe de France, force est de constater que ce mondial organisé en Russie a été pour le moins riche en enseignements.

Tout d’abord, intéressons-nous à l’hôte de ce méga-événement sportif. Désignée en décembre 2010, à la suite d’une élection qui a fait couler beaucoup d’encre, la Russie accueillait donc entre le 14 juin et le 15 juillet, 32 équipes. S’inscrivant dans la droite lignée de la diplomatie sportive mise en œuvre depuis le début des années 2000 par Vladimir Poutine, le Kremlin voulait faire de cette Coupe du monde le point d’orgue du retour de la Russie sur le devant de la scène sportive et in fine internationale. Les objectifs de l’organisation de ce Mondial sont de plusieurs ordres, relevant à la fois de politique intérieure mais évidemment aussi de politique étrangère.

En matière de politique intérieure tout d’abord, Vladimir Poutine souhaitait «  offrir  » cette Coupe du monde aux Russes, ayant pour ambition de les rendre fiers, par l’accueil d’une compétition à la internationale prestigieuse, mais également pour le parcours de la Sbornaya, l’équipe nationale, qui a plus que dépassé les attentes des supporters et du Kremlin, en étant éliminée aux tirs au but aux portes des demies-finales contre la Croatie. Cette édition a également permis de rappeler à la communauté internationale l’intéressante histoire russe et soviétique du football, qui tend à être souvent oubliée, voire minimisée.

Cet évènement représentait aussi un enjeu économique sur le plan intérieur d’un point de vue touristique. En effet, alors que la Russie n’accueillait qu’environ 30 millions de touristes en 2016 – à titre de comparaison, la France en accueillait 89 millions en 2017), Moscou entend utiliser cet évènement planétaire, retransmis dans la quasi-majorité des pays, comme un outil d’attractivité permettant de découvrir le pays autrement et ainsi susciter un intérêt. Si la question des retombées économiques d’un tel évènement sportif est toujours épineuse et variable en fonction de nombreux facteurs, les prochaines années témoigneront de la réussite ou non de ce pari.

Toujours sur le plan de la politique intérieure, il est également intéressant de s’attarder sur la carte de cette Coupe du monde et sur le choix des villes hôtes qui est loin de relever du hasard. Alors que le coût de cette Coupe du monde s’alourdissait au fil des mois, la FIFA en mai 2016 avait, à plusieurs reprises, alerté le pouvoir russe concernant les retards dans la construction ou rénovation de plusieurs enceintes. Devenu un sujet prioritaire pour l’ancien ministre des Sports, Vitaly Mutko, ainsi que pour le président Vladimir Poutine, l’avancement des infrastructures a été particulièrement suivi à la fois pour honorer les promesses faites à la FIFA, mais surtout pour chercher à démontrer la diversité des villes et provinces russes ainsi que l’unité de son territoire. En ce sens, l’organisation de matchs au sein de l’enclave de Kaliningrad, mais également à Sotchi, ou encore à Saransk, au sein de la République de Mordovie sont emblématiques. Par ailleurs, il est également à noter que l’ouverture de la Coupe a eu lieu quelques semaines après l’élection pour un quatrième mandat de Vladimir Poutine et qu’il entend encore accroitre par cet évènement sa popularité. Popularité toutefois mise à mal par l’annonce surprise du recul de l’âge de la retraite (de 55 à 63 ans pour les femmes ; de 60 à 65 ans pour les hommes).

 

« Le sport fait aujourd’hui clairement partie

de l’arsenal de la Russie en tant qu’outil de soft power. »

 

En matière de politique étrangère, avec l’accueil de la Coupe du monde, la Russie souhaitait faire un pas supplémentaire dans la mise en œuvre de sa diplomatie sportive initiée au début des années 2000, après avoir notamment obtenu les Jeux olympiques et paralympiques à Sotchi (2014) ainsi que l’organisation de grands compétitions internationales (escrime, natation, athlétisme, Universiades). Par sa capacité à organiser un méga évènement sportif, par la qualité de sa prestation, par le rappel de son histoire sportive, loin des scandales de dopages, la Russie utilise donc le sport comme un outil de soft power, permettant de la mettre, au moins le temps de la compétition, au cœur de l’attention. Cette présence incontournable sur la scène sportive est indissociable de la scène politique, Vladimir Poutine recevant nombre de chefs d’État et de gouvernement et ouvrant donc la voie à des discussions informelles. S’il est trop tôt pour tirer un bilan diplomatique de ce qui s’est passé dans les couloirs des stades, il sera intéressant de suivre dans les prochains mois les éventuelles avancées sur le plan diplomatique pour la Russie.

En outre, par un jeu de miroir l’associant à un évènement international populaire, festif et positif, Moscou souhaite donc renvoyer une image lissée de son pays, tourné vers l’extérieur, prête à accueillir le monde et permettant ainsi de venir faire oublier les fortes critiques à son égard depuis notamment l’annexion de la Crimée, les scandales de dopage révélés par plusieurs documentaires ou encore l’affaire Skripal. Sur ce dernier point, alors qu’un boycott sportif avait rapidement été évoqué par l’ancien ministre des Affaires étrangères britannique, Boris Johnson, avant de rapidement revenir sur cette proposition, le spectre d’un boycott diplomatique de grande envergure a plané sur la compétition. Hypothèse émise dès la désignation du pays, ce type de sanction s’est soldé par un échec, le Royaume-Uni se trouvant incapable de fédérer largement au-delà de ses frontières, trouvant un écho pour le moins faible, pour ne pas dire existant, au sein de l’Union européenne. Un premier effet du Brexit, ou la conséquence d’une volonté de boycott que l’on sait inefficace et vain ?

D’autre part, et cela trouve une résonnance particulière avec le sport, elle cherche également à montrer sa puissance sur la scène sportive, dans une perpétuelle compétition avec les autres nations, et notamment l’Occident. Le parcours de la Sbornaya, qui n’a pas trébuché avant les tirs au but en quart de finale, permettra d’entretenir cet argumentaire.

Que retenir de cette Coupe du monde ?

Alors que la question sécuritaire était, logiquement, mise en avant, avec notamment le risque terroriste mais également la crainte de voir des violences dans et en dehors des stades, il semblerait, selon les informations disponibles pour l’instant, que Moscou ait réussi à garder le contrôle de la situation. En matière notamment de lutte contre l’hooliganisme, plusieurs médias ont révélé quelques semaines avant le début de la Coupe du monde que le FSB avait été chargé de tenir à l’écart les hooligans susceptibles d’intervenir au cours de la compétition, et qu’il était parvenu à atteindre ce but. Au regard de l’importance de l’évènement, cela n’est cependant guère étonnant, compte tenu de la volonté de Vladimir Poutine de voir ce Mondial réussi, sans être entaché de quelque incident de ce genre. Seule l’irruption sur le terrain de membres des Pussy Riot, le soir de la finale, le 15 juillet, fait, sans doute, office d’ombre au tableau pour Vladimir Poutine.

Par ailleurs, si l’on s’éloigne du terrain sportif pour se concentrer sur l’aspect économique de cette compétition, il est intéressant de noter la forte représentativité d’entreprises chinoises parmi les partenaires et sponsors officiels de la compétition (Wanda, Hisense, Vivo, Mengniu et Yadea), confirmant la montée en puissance et la désormais indiscutable présence de l’Empire du milieu dans le football.

 

« Les Chinois étaient massivement présents en Russie ;

cela semble lié aux efforts déployés par Xi Jinping avec

son programme général de développement du football chinois. »

 

Cette présence va également de pair avec la forte présence de supporters chinois en Russie : Ctrip, opérateur chinois, a annoncé que la vente de billets d’avion vers la Russie pour la période juin-juillet 2018 avait augmenté de 40%, alors même que l’équipe nationale n’était pas qualifiée. Cette popularité du football peut être analysée à la lueur des importants efforts déployés par Xi Jinping depuis mars 2015 avec son programme général de développement et de réforme du football chinois, qui entend octroyer à la Chine au niveau du sport un statut conforme à sa position politique et économique.

Une fois de plus, le sport, et le football dans ce cas, dépasse très largement son seul pré carré et comporte d’importants volets politiques, diplomatiques et économiques. La prochaine Coupe du monde de football qui aura lieu en France (la féminine, ndlr), à partir de juin 2019, et la suivante qui aura lieu au Qatar à l’hiver 2022, seront donc à suivre avec une très attention. Ce qui n’est pas pour nous déplaire...

 

Carole Gomez

 

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19 juillet 2018

Charles Éloi-Vial : « La fascination pour les cours anciennes répond à une méconnaissance du passé... »

Charles Éloi-Vial est un passionné qui, à 31 ans, compte parmi les plus prometteurs de nos historiens, et c’est une joie pour moi que de le recevoir aujourd’hui. Actuellement en poste à la Bibliothèque nationale de France en tant que conservateur au service des manuscrits, il a récemment composé un portrait inédit de Marie-Louise, seconde épouse de Napoléon Ier et impératrice des Français (1810-14), publié aux éditions Perrin. C’est à propos de son ouvrage précédent, Les derniers feux de la monarchie : La cour au siècle des révolutions (également publié par Perrin, en 2016), que j’ai souhaité l’interroger : cette thématique de la sociologie et de l’influence de l’entourage du souverain en l’ère troublée des temps révolutionnaires m’intéresse beaucoup, et la manière dont elle est traitée par l’auteur est passionnante et hautement instructive. Je vous invite, après lecture de cette interview, à vous emparer de ce livre, et à suivre les travaux de M. Charles Éloi-Vial (dont bientôt une bio de Duroc ?), que je remercie à nouveau ici. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 25/04/18 ; R. : 21/06/18.

Charles Éloi-Vial: « La fascination pour les cours anciennes

répond à une méconnaissance du passé... »

Les derniers feux de la monarchie

Les derniers feux de la monarchie, Éditions Perrin, 2016.

 

Charles-Éloi Vial bonjour, merci d’avoir accepté de répondre à mes questions, autour de votre livre Les Derniers Feux de la monarchie, paru en 2016 aux éditions Perrin. Avant d’entrer dans le vif du sujet, parlez-nous un peu de vous et de votre parcours ? D’où vient cet intérêt marqué que vous portez aux questions patrimoniales en général, et à celles touchant aux têtes couronnées en particulier ?

pourquoi ce livre ?

Bonjour et merci de m’avoir proposé cette interview. Pour repartir du début, j’ai fait l’École nationale des chartes puis un doctorat qui portait sur le service du grand veneur sous l’Empire et la Restauration, ce qui m’a amené à m’intéresser au rôle diplomatique et politique de la chasse en plein XIXe siècle alors qu’il s’agit d’une activité plutôt accolée aux souverains de l’Ancien Régime. Ma thèse soutenue, j’ai eu envie de continuer en étudiant le phénomène de cour de façon plus globale, en mettant en avant la continuité par-delà la période révolutionnaire plutôt que la rupture. Mon travail de conservateur à la Bibliothèque nationale de France m’avait permis de repérer des sources inédites ou peu connues, qu’il s’agisse de papiers administratifs, de correspondances ou de textes autobiographiques, sans lesquels il aurait été impossible d’entreprendre un tel travail. Le but aussi était de produire le livre le plus sérieux et le plus scientifique possible, en évitant les poncifs et les clichés sur les robes et les bijoux, mais sans pour autant ennuyer le lecteur.

 

La cour qui entoure Louis XVI à Versailles, à la veille de la Révolution, ressemble-t-elle sociologiquement parlant à celle au milieu de laquelle vécut Louis XIV un siècle plus tôt ? La mobilité entre classes (bourgeoisie/noblesse) était-elle plus ou moins évidente en l’une ou l’autre époque ?

la cour, sociologie et mobilités

Traditionnellement, on a toujours considéré que la cour de Louis XVI était, tout comme celle de Louis XV à la fin du règne d’ailleurs, une cour sur le déclin. Les reproches, par ailleurs justifiés, sur le coût exorbitant de la cour ont été déjà maintes fois étudiés et sont toujours présentés comme une des origines de la Révolution française. On évoque un peu moins le rôle social de la cour, qui avait fonctionné sous Louis XIV comme un instrument d’agrégation des nouvelles élites au pouvoir royal avec l’arrivée dans le système curial de la noblesse de robe, peu à peu fusionnée et alliée à la noblesse d’épée : Norbert Elias en avait notamment parlé dans la conclusion de son maître-livre La Société de cour, en expliquant surtout que cette capacité de l’institution curiale à susciter de nouveaux soutiens à la monarchie par son faste et son prestige était en panne à la fin du XVIIIe siècle. Le système avait échoué à intégrer la bourgeoisie, la frange la plus puissante du Tiers état, dont les moyens financiers égalaient ou dépassaient ceux de la noblesse. Autre élément de faiblesse, la cour avait perdu de son attractivité, tant en raison de la personnalité des souverains qu’à cause du rayonnement intellectuel et social de Paris. Par conséquent, les courtisans, au lieu de vivre à l’année dans la «  cage dorée  » versaillaise, n’y faisaient plus que de rares apparitions, pour remplir les devoirs de leurs charges quelques jours ou quelques semaines par an, ou encore pour profiter de certaines fêtes ou grandes cérémonies. La cour en partie désertée, il devenait de plus en plus difficile de justifier son coût. L’idée de Louis XIV de s’attacher les nobles afin de museler les oppositions perdait aussi une partie de sa valeur. Même s’il n’était plus question de prendre les armes contre le roi comme à l’époque de la Fronde, la résistance pouvait prendre d’autres formes, comme l’avaient montré les protestations des frères du roi et de leurs partisans lors de l’assemblée des notables de 1787. Cette opposition, qui venait de ceux qui auraient théoriquement dû former le cœur même de la cour, rejoignait en outre la lame de fond plus puissante de la résistance au pouvoir central que l’on constate sur tout le royaume, que l’on qualifie de «  réaction nobiliaire  », qui se traduisait par un regain d’intérêt pour des privilèges et les droits féodaux.

 

« À la fin du XVIIIe siècle, le système curial avait échoué

à intégrer la bourgeoisie, dont les moyens financiers

égalaient ou dépassaient alors ceux de la noblesse. »

 

Les courtisans les plus influents sous Louis XVI sont-ils des absolutistes ? Des partisans d’un système féodal plus classique ? Des gens peut-être plus libéraux ? Quels sont ceux qui choisissent de rester auprès de la famille royale là où d’autres, dont les frères du roi, ont choisi l’exil ?

les courtisans de Louis XVI face à la Révolution

Il n’y a pas d’unanimité parmi les courtisans. Il y a, comme toujours, des coteries et des groupes qui tentent d’influencer le roi ou d’obtenir le renvoi ou la nomination de tel ou tel ministre. Certains aspirent au changement et à la réforme, en soutenant la remise en question de la société des privilèges et la remise à plat du système fiscal, tandis que d’autres sont clairement opposés au changement. Pour certains, la vision d’une France centralisée et absolutiste doit être abandonnée au profit d’un retour à un ordre plus féodal, donnant davantage de poids aux provinces, aux parlements ou aux particularismes locaux. Il n’est pas aisé de dégager un discours cohérent, les courtisans se piquant tous plus ou moins de politique à cette époque, s’amusant à élaborer des plans de réforme tous plus fantaisistes les uns que les autres, même si certains d’entre eux, sous des dehors libéraux, cachent en réalité des intentions clairement conservatrices. Sans brûler les étapes, on constate tout de même que quelques lignes commencent à s’esquisser, avec des aspirations davantage «  jacobines  » d’un côté «  girondines  » de l’autre, voire «  monarchiennes  » ou «  ultra  ». Ce sont encore des aspirations floues, d’autant plus que les intérêts personnels viennent très vite brouiller les cartes, chaque acteur obéissant à la fois à ses idéaux, mais aussi à ceux de sa famille. Dès 1789, avec l’abolition des privilèges, le mouvement révolutionnaire étant lancé et difficile à arrêter, le monde de la cour va quelque peu oublier ses dissensions des années précédentes pour s’arc-bouter sur des symboles qui vont peu à peu transcender les idées politiques. De nombreux courtisans vont ainsi continuer à servir Louis XVI malgré le déclin de son autorité et la déliquescence du monde curial entamée avec la réinstallation forcée de la cour à Paris en octobre 1789, que ce soit par attachement personnel ou par exaltation d’un idéal chevaleresque de fidélité au suzerain. Pour la plupart de ces partisans du roi, 1789 est acceptable : on songe à Lafayette, au duc d’Aiguillon, au vicomte de Noailles... De l’autre côté, le monde de l’émigration va canaliser les mécontents, les opposants au nouvel ordre des choses, ceux pour qui 1789 est une abomination : en exaltant la foi catholique ou les valeurs militaires, les émigrés puisent leur courage dans les idéaux chevaleresques, préférant recourir aux discours et aux symboles plutôt que de s’appuyer sur les idées, leurs dissensions politiques affleurant  facilement, que ce soit entre les deux frères de Louis XVI, Provence et Artois, ou entre les anciens ministres exilés comme Calonne ou Breteuil.

 

Dans quelle mesure peut-on dire que des décisions majeures, décisives du roi en cette époque troublée ont été influencées directement par des courtisans, à domicile ou en exil ?

Louis XVI et les grandes décisions

Louis XVI n’est pas seul aux Tuileries, malgré le départ de nombreux courtisans, mais ceux-ci se sentent de plus en plus exclus des décisions, mais le pouvoir royal se réduit comme peau de chagrin devant les réformes de l’Assemblée nationale. En outre, le roi et la reine prennent les principales décisions engageant leur avenir seuls, comme par exemple pour la fameuse épopée de Varennes. Les choses en arrivent au point que les courtisans se sentent quelque peu trahis, le roi les privant d’un de leurs principaux attributs qui est de conseiller le monarque. Au contraire, ce dernier ira davantage chercher des avis auprès de certains députés comme Mirabeau. L’autre grande fonction à laquelle les courtisans se rattachent est celle de protéger le roi et sa famille, et de ce côté, la noblesse répond présent : quelques centaines de gardes du corps viendront se battre aux Tuileries le 10 août 1792 et certains tenteront de suivre le roi jusqu’au Temple, comme le premier valet de chambre Chamilly, la marquise de Tourzel ou la princesse de Lamballe.

 

Que sont devenus les grands courtisans ayant survécu à la Terreur, après la mort de Robespierre ? Y a-t-il des retours d’exil significatifs durant les années où l’on constate, à l’intérieur, un relatif retour au calme ?

après 1793, quels retours d’exil ?

Il n’est pas facile de répondre à cette question car entre la Terreur, les départs et les retours d’émigration, les guerres de Vendée et celles de l’armée des Princes, la vie des courtisans – et de manière plus générale des dizaines de milliers de nobles qui ne fréquentaient pas forcément Versailles mais qui ont choisi de quitter la France de la Révolution -, se subdivise en autant de destins individuels. Il y a des retours, souvent douloureux, les biens des émigrés ayant été confisqués. On pense par exemple au roman de Joseph Fiévée, La Dot de Suzette, sorte de roman social avant l’heure mettant en scène des aristocrates déclassés face aux nouveaux riches du Directoire. Toutefois, beaucoup arriveront à tirer leur épingle du jeu. D’autres choisiront l’exil, en entrant au service de nations étrangères comme le comte Roger de Damas, qui combat pour le roi de Naples. Certains tenteront de se faire oublier et vivront paisiblement à l’étranger, comme Chateaubriand, qui retrouva toute une société d’émigrés en Angleterre en 1793. Les plus rares seront ceux qui suivront les princes en exil jusqu’au bout, par exemple les proches de Louis XVIII qui formèrent autour de lui un fantôme de cour, comme le marquis de Dreux-Brézé. On le sait cependant, les retours en France s’accélèrent avec le Consulat, Bonaparte intervenant lui-même pour faire rayer certains noms des listes d’émigrés, que ce soit pour faire entrer certains talents à son service, ou pour complaire à Joséphine, qui joue volontiers le rôle d’intermédiaire entre l’ancienne aristocratie et le nouvel homme fort.

 

« Les retours en France se sont accélérés avec le Consulat,

Bonaparte lui-même étant intervenu pour faire rayer

certains noms des listes d’immigrés. »

 

Quels sont ceux qui tireront particulièrement bien leur épingle du jeu des changements de régime, passant sans trop de dégât des faveurs royales aux faveurs d’une monarchie restaurée, en passant par un standing honorable (ou mieux !) lors des périodes révolutionnaire et impériale ?

revers et retours de fortune

Le nom qui vient tout de suite à l’esprit est celui de Talleyrand, bien entendu, qui passe brillamment de la cour de Versailles à celle de Napoléon puis enfin à celle des Bourbons restaurés. Les «  girouettes  » de moindre envergure sont nombreuses, les ralliements à l’Empire s’accélérant particulièrement après le mariage de Napoléon et de Marie-Louise. L’armée, de même que le corps préfectoral ou le conseil d’Etat, forment des «  pépinières  » où sont placés les anciens nobles ralliés. Parmi ceux qui donnent très tôt des gages au nouvel empereur et en sont récompensés, on peut penser à quelques grandes familles comme les Montesquiou ou les Ségur. Il ne faut pas oublier non plus que quelques-uns changeront d’avis, comme la duchesse de Chevreuse, ralliée du bout des lèvres à l’Empire mais qui finira par être exilée à 50 lieues de Paris à cause de son antipathie trop prononcée envers Napoléon. Ces ralliements sont pourtant essentiels aux yeux de l’empereur, que ce soit pour donner de l’éclat à sa nouvelle cour impériale, en retrouvant le bon ton et l’esprit de Versailles, mais aussi pour assurer la stabilité de son régime, en favorisant la fusion entre les élites de l’Ancien Régime et celles issues de la Révolution..

 

Talleyrand

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, l’homme

qui a essayé tous les régimes...

 

Du point de vue de la cour, la Restauration est-elle triomphante, arrogante, ou bien plutôt humble et discrète ? Est-ce que de ce point de vue on note une différence nette entre les règnes de Louis XVIII le modéré et de son frère, Charles X l’ultra ?

la Restauration, triomphante ou humble ?

Le triomphalisme n’est pas unanimement partagé par les courtisans qui prennent leur place aux Tuileries en 1814. Certains étaient déjà là sous Napoléon et craignent que leur ralliement ne leur coûte cher. Les nouveaux nobles d’Empire, qui craignent également pour leurs titres et leurs revenus, se font discrets mais finissent par se plaindre de l’attitude froide de certains courtisans d’Ancien Régime. Enfin, certains ont rongé leur frein en émigration ou en province, parfois depuis 1789, et leur premier soin est de se refaire une santé financière en quémandant des pensions ou des charges de cour : la cour de la Restauration coûtera donc plus cher que celle de l’Empire, le roi pensionnant des milliers de ses anciens partisans. De ce point de vue-là, la vie de cour est en effet assez impitoyable et ressemble en 1814 à une foire d’empoigne. Après les Cent-Jours, la cour a en revanche tendance à se replier sur elle-même. Les Bourbons vivent entre eux, avec leurs proches, et les fêtes se font plutôt rares. Il y a cependant eu des concessions puisque la cour ne revient pas à son état d’avant 1789 : l’étiquette d’Ancien Régime n’est pas entièrement rétablie, le roi va par exemple ouvrir la session parlementaire comme le faisait Napoléon ; il ne dîne plus en public qu’une ou deux fois par an ; il évite les voyages de cour qui sont trop onéreux. Louis XVIII a à cœur d’imposer sa politique de pardon et accueille les nobles d’Empire, une réforme de 1820 étant notamment mise en œuvre par le duc de Richelieu pour ouvrir davantage la cour à ces nouveaux courtisans qui ne sont pas d’ancienne noblesse. En revanche, Charles X est un roi plus fastueux, ne serait-ce qu’à cause des festivités de son sacre en juin 1825. Il est aussi moins discret, notamment dans ses pratiques de dévotion, puisqu’il prend part avec la cour à des processions en plein Paris, ce qui contribue à miner sa popularité. Le rejet de la Révolution s’exprime de façon nettement plus forte sous son règne, les «  ultras  » étant arrivés au pouvoir, notamment avec le gouvernement du prince de Polignac. Le «  coup de majesté  » que Charles X essaie d’imposer en 1830 peut à ce titre être vu comme une tentative des courtisans les plus conservateurs d’appliquer leur programme politique, qui au fond est celui de la contre-révolution. La réaction populaire est telle que la cour et ses anciennes traditions sont balayées en même temps que l’ancienne dynastie.

 

« Le "coup de majesté" que Charles X essaie d’imposer en 1830

peut être vu comme une tentative des courtisans les plus

conservateurs d’appliquer leur programme politique, qui au fond

est celui de la contre-révolution. La réaction populaire

sera telle que la cour et les anciennes traditions seront balayées,

en même temps que l’ancienne dynastie. »

 

Après les Journées de Juillet (1830), Louis-Philippe Ier d’Orléans remplaça, sur le trône, ses cousins de la branche aînée des Bourbons. Il fut non pas «  roi de France  » mais «  roi des Français  », et on dit de lui qu’il était un «  roi bourgeois  ». La cour de ce roi fut-elle plus bourgeoise que les précédentes, et si oui cela a-t-il eu un impact sur la politique économique de la France (par exemple, s’agissant de son essor industriel) ?

sous Louis-Philippe, une cour bourgeoise ?

La cour de Louis-Philippe est peut-être la plus originale et la plus novatrice du XIXe siècle, bien loin de l’image poussiéreuse et figée qui colle encore à la peau du régime de Juillet. À son arrivée au pouvoir, sous la pression de la rue, le nouveau roi doit renoncer à l’organisation fastueuse de la cour de Charles X, supprimer l’étiquette et les grandes charges de cour héritées de l’Ancien Régime. Il affirme vouloir régner «  bourgeoisement  », en vivant en bon père de famille, ce qui n’est pas tout à fait pour lui déplaire, puisqu’il tient par exemple, jusqu’en 1831, à habiter le Palais-Royal, sa demeure ancestrale. Cependant, Louis-Philippe est rapidement rattrapé par l’exigence du faste et par le besoin de se créer un entourage de collaborateurs et d’hommes de confiance. Il comprend aussi que le protocole est indispensable pour se faire respecter. Une cour minimale réapparaît donc rapidement autour de lui, avant de prendre rapidement de l’ampleur avec l’installation du roi aux Tuileries. La vie de cour est jusqu’en 1848 rythmée par les grandes réceptions qui permettent de recevoir quasiment chaque semaine aux Tuileries plusieurs milliers de convives : les courtisans ne sont plus quelques dizaines ou centaines de nobles proches du roi et de sa famille, mais bien des bourgeois ralliés au régime ou en voie de se laisser rallier. Les fêtes, les bals, les concerts sont donc moins guindés, moins élégants – même si la mode féminine connaît sous Louis-Philippe un véritable âge d’or –, tandis que les listes d’invités laissent apparaître quantités de notaires, de rentiers, de commerçants, d’industriels, d’hommes politiques locaux, tous incroyablement flattés d’être conviés dans le palais du roi, de profiter d’un beau buffet et de trinquer avec la famille royale. Peu à peu, la cour gagne quand même en solennité, notamment lors des voyages de cour à Compiègne ou à Fontainebleau qui renvoient directement à la grande tradition royale. La cour reste malgré tout bourgeoise, une invitation aux Tuileries devenant même un signe de réussite pour des nouveaux riches en quête de reconnaissance sociale. Son rôle est donc davantage politique qu’économique, même si la société qui se bouscule aux Tuileries, celle des «  hommes en noir  », est bien représentative de la période de la monarchie parlementaire et de la révolution industrielle, en somme, de la France de Guizot.

 

« La cour de Louis-Philippe est essentiellement bourgeoise,

une invitation aux Tuileries devenant alors un signe de réussite

pour des nouveaux riches en quête de reconnaissance sociale. »

 

Les empereurs Napoléon Ier et Napoléon III ont tous deux assis leur règne en partie sur une conception de la citoyenneté directement héritée des acquis de la Révolution : l’égalité civile au sein d’une société sans classes. Mais dans les faits, a-t-on accordé, dans l’entourage de l’un et de l’autre, une place significativement plus importante aux personnalités méritantes, ou bien la rente et l’héritage étaient-ils, là aussi, à peu près aussi représentés que dans les cours d’Ancien Régime ou de Restauration ?

le mérite sous les cours d’empire

La question du mérite est véritablement centrale pour comprendre les enjeux de pouvoir autour des cours du XIXe siècle. Là où la cour de l’Ancien Régime avait échoué à intégrer cette composante et où Louis XVI, avant 1792, avait refusé de laisser les députés brissotins lui constituer un nouvel entourage de courtisans «  bourgeois  », Napoléon affirme au contraire l’importance du mérite. C’est en tout cas ce qu’il répète à ses proches et ce qu’il affirmera à Sainte-Hélène : pour lui, le caporal peut avoir son bâton de maréchal dans sa giberne, et le courtisan n’est pas forcément noble mais peut tout à fait être de basse extraction sociale, pourvu qu’il s’illustre au service de l’État ou qu’il fasse fortune par ses propres moyens. Il affirme constamment l’importance du mérite individuel et tente de le mettre en avant à la cour, mais il n’oublie pas non plus de favoriser les anciennes élites, qui restent puissantes et qui ne s’inscrivent pas du tout dans la même logique. Par conséquent, ce rêve d’une égalité parfaite est un peu mis à mal, d’autant plus que les courtisans de basse extraction ne cherchent qu’à pérenniser leur fortune en favorisant leurs enfants, de manière à créer leur propre lignée. La Restauration cherche elle aussi à ménager la chèvre et le chou en affirmant vouloir admettre des non-nobles méritants dans l’entourage du roi, mais dans les faits, les familles d’Ancien Régime reprennent largement leur place. Ce n’est qu’avec Louis-Philippe que la cour s’ouvre réellement, la notion même de «  courtisan  » étant entièrement redéfinie pour être corrélée avec l’idée de mérite individuel et de réussite économique et sociale. Napoléon III conserve cette idée d’ouverture, même s’il tient à donner du lustre à son régime en appelant auprès de lui des représentants de grandes familles. Finalement, l’histoire de la cour au XIXe siècle évoque une des grandes passions françaises, qui est justement cette lutte constante entre le mérite et l’esprit de caste, comme un prélude à cet «  ascenseur républicain  » à qui l’on reproche si souvent de nos jours d’être en panne…

 

« Ce n’est qu’avec Louis-Philippe que la cour s’ouvre

réellement, la notion même de "courtisan" étant entièrement

redéfinie pour être corrélée avec l’idée de mérite individuel

et de réussite économique et sociale. »

 

Diriez-vous de la cour qu’elle a été, à tel ou tel point de l’histoire de notre pays, authentiquement "scandaleuse" en ce que son entretien, peut-être immérité, aurait pesé d’un poids exorbitant sur les finances nationales ?

la cour au XIXe, un scandale ?

On peut considérer que la cour coûte cher, qu’elle est un lieu propice aux gaspillages et à la débauche. Il est aussi possible de la voir comme un moteur économique faisant vivre des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes, les employés des cuisines, des écuries ou des appartements par exemple, mais aussi les tailleurs et joailliers parisiens chez qui les invités du roi se fournissent. En cela, la cour a une utilité sociale. Elle participe aussi au devoir de représentation et à l’exigence de faste qui incombe à tout pouvoir, quel que soit le type de régime, et occupe une fonction non négligeable dans le rayonnement du pays. Enfin, elle joue au XIXe siècle un rôle artistique important, en encourageant ou en pensionnant les artistes et hommes de lettres, mais aussi en meublant et en restaurant les grands châteaux comme Versailles ou Fontainebleau qui auraient sans cela complètement disparu. On ne peut donc pas qualifier la cour de scandaleuse, même si les pensions accordées par certains souverains – on pense tout particulièrement aux Bourbons – ont parfois pu coûter cher et être imméritées. Si Louis XVI, Louis XVIII et Charles X abusent peut-être de ce système des pensions dont les dépenses augmentent au détriment de celles consacrées au faste, on ne doit pas non plus oublier que la cour est un espace novateur du point de vue social, où Napoléon met en place un système de caisse de retraite dès 1810, où les employés sont soignés gratuitement et ont accès à une bibliothèque, ce qui pour l’époque est exceptionnel. Enfin, sur le plan de la «  morale  », on peut se demander si la cour a été scandaleuse. Celle de Louis XVI a pu l’être par ses liens politiques avec la contre-révolution, celle de Napoléon était au contraire très rigide du point de vue des mœurs. Les Bourbons et les Orléans étaient eux aussi plutôt puritains, malgré la passion curieuse de Louis XVIII pour ses favoris successifs, le ministre Decazes et la comtesse du Cayla, qui eurent cependant à cœur de ne pas abuser de leur position. Les fils de Louis-Philippe ont eu quelques frasques de jeunesse, et la cour de la monarchie de Juillet s’est fait remarquer à la toute fin du règne par quelques fêtes trop fastueuses, qui ont choqué les Parisiens confrontés à une crise économique. Enfin, la cour de Napoléon III a peut-être plusieurs fois provoqué des scandales, l’empereur affichant de nombreuses maîtresses. On a sans doute envie de charger la cour du XIXe siècle de tous les maux, dans le prolongement de celle de Versailles (dont la réputation désastreuse pourrait sans doute aussi être revue à la baisse), mais en réalité, ces régimes n’étaient ni plus ni moins corrompus, scandaleux ou dépensiers qu’à notre époque.

 

« Somme toute, ces régimes n’étaient ni plus ni moins corrompus,

scandaleux ou dépensiers qu’à notre époque. »

 

Si on l’analyse règne après règne, époque après époque, pour la période qui nous concerne (l’après-1789), quand peut-on dire que la cour aura été majoritairement une force de fermeture et d’inertie, voire de réaction ? Quand aura-t-elle été, au contraire, une force d’ouverture à l’extérieur, de réforme de la société ?

une force de réaction ou de mouvement ?

La cour opère à ce niveau un véritable mouvement de balancier. Elle reste sous Louis XVI globalement très conservatrice et fermée à la Révolution ainsi qu’aux changements qu’elle apporte. En revanche, dès l’Empire, elle reflète les évolutions de la société : celle de Napoléon évoque sa volonté de fusion des anciennes et des nouvelles élites, celle de Louis XVIII «  renoue la chaîne des temps  » en actant le retour à la cour des grandes familles de Versailles, oscillant entre une volonté d’ouverture puis un fort conservatisme qui reflète celui du gouvernement de la fin du règne de Charles X. Elle est alors clairement une force de réaction. Sous Louis-Philippe et Napoléon III, en s’ouvrant à la bourgeoisie, elle devint au contraire une force d’ouverture et accompagnant les évolutions de la société, de l’essor de la grande bourgeoisie qui s’allie progressivement à l’aristocratie tout en adoptant ses codes et ses modes de vie. On peut voir les cours de chaque régime comme des reflets de leurs époques.

 

Quand on observe qu’une partie importante du public français goûte volontiers les histoires somme toute assez people qui entourent la vie de leur monarque républicain, ou encore qu’on s’extasie bien vite devant la naissance d’un Royal Baby (fût-il cinquième dans la ligne de succession à la couronne britannique), est-ce à dire que, quelque part, les Français ont une appétence inavouée pour les figures monarchiques ? Après tout, Emmanuel Macron lui-même, avait affirmé lorsqu’il était ministre de l’Économie qu’il manquait «  un roi à la France  »...

une appétence française pour la monarchie ?

La cour de l’Ancien Régime fait davantage rêver que celle de Napoléon III… La fascination pour les cours anciennes répond en réalité à une méconnaissance du passé : on rêve d’une cour idéalisée, réduite à quelques figures archétypales comme Louis XIV et Marie-Antoinette, on fantasme sur les grands appartements de Versailles et de Fontainebleau ou sur les charmes du Petit Trianon, mais sans réellement connaître la complexité de leur histoire. Même si la vie de cour nous a légué ces lieux splendides, elle ne se limite pas à un héritage artistique ou patrimonial. Et de fait, l’intérêt des visiteurs des grands châteaux royaux pour le rôle politique ou diplomatique de la cour, ou pour sa complexité comme lieu de vie et construction sociale semble complètement passer à la trappe. Finalement, la fascination que vous évoquez pour la royauté anglaise – c’est-à-dire une monarchie réduite à son rôle de représentation et d’incarnation du pouvoir par le faste – renvoie peut-être à la perception des cours anciennes, que l’on imagine avant tout comme le théâtre d’un art de vivre fantasmé, et non comme des lieux de vie et surtout des lieux de pouvoir. Cette appétence des Français pour les figures monarchiques provient peut-être davantage de la méconnaissance des réalités du fonctionnement des systèmes monarchiques anciens que du déficit de l’incarnation du pouvoir dans notre République. On en revient toujours à la nécessité de mieux étudier l’histoire. En visitant Versailles, on peut certes apprécier les ors de Louis XIV, mais il est dommage de méconnaître la complexité logistique et humaine de l’institution curiale.

 

« L’appétence des Français pour les figures monarchiques

provient peut-être davantage de la méconnaissance des réalités

du fonctionnement des systèmes monarchiques anciens

que du déficit de l’incarnation du pouvoir dans notre République. »

 

Si vous deviez, parmi tous les courtisans dont vous brossez le portrait dans votre livre, n’en choisir qu’un ? Qui, et pourquoi ?

s’il devait n’en rester qu’un...

Au risque de paraître banal, j’éprouve une grande sympathie pour le grand maréchal du palais de Napoléon, Duroc, un homme brillant, doué d’une immense force de travail. En lisant ses lettres je me suis rendu compte de son dévouement à l’empereur qui lui faisait entièrement confiance – il est un peu le modèle de ces «  hommes  » de Napoléon, qui formaient sa garde rapprochée et qu’il avait lui-même formé pour le servir. Il s’occupe de presque tout à la cour impériale, de la décoration, de l’entretien des palais, de la sécurité, du personnel et des cuisines, sa position de proche de l’empereur faisant de lui un interlocuteur privilégié pour tous les administrateurs de la Maison de l’empereur. Il apprend sur le tas son métier de courtisan, n’étant pas issu d’une famille de la cour de Versailles, et en remontre pourtant aux plus grands seigneurs de l’Ancien Régime comme Talleyrand qui avoue son admiration pour lui. À l’occasion, il fait preuve de talents de diplomate insoupçonnés, qui le font connaître dans toute l’Europe. Pourtant, il cache derrière son dévouement à l’empereur des ambitions militaires frustrées, car il rêvait d’être un grand général. Napoléon, qui a trop besoin de lui, l’empêche de partir au combat, mais il meurt pourtant d’un boulet de canon à la fin de l’Empire, ce qui est une terrible ironie du sort. C’est un personnage fascinant, bien plus complexe que l’on pensait, qui mériterait une biographie.

 

Duroc

Portrait du maréchal Duroc, duc de Frioul, par Antoine-Jean Gros.

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

la suite...

On ne s’arrête pas de travailler sur la cour si facilement. J’ai prolongé ma réflexion sur le Premier Empire et sur le rôle des femmes à la cour avec une biographie de Marie-Louise parue l’an dernier chez Perrin. J’ai voulu aussi revenir à ce que j’avais écrit sur la chute de la monarchie au 10 août 1792 et sur le rôle de la vie de cour dans les événements révolutionnaires. J’en ai tiré un livre sur la captivité de la famille royale au Temple, qui paraîtra le 16 août. Il y a d’autres livres prévus pour la suite, souhaitez-moi donc juste d’avoir le temps de tous les écrire…

 

Charles Éloi-Vial

Charles Éloi-Vial. Illustration : France Info.

 

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3 juillet 2018

Véronique de Villèle : « Il y a en moi, une forme de force, qui me pousse à ne jamais me laisser aller... »

À la mi-juin, moi, le presque Lyonnais qui ne fréquente (pour le moment ?) que très rarement la capitale, j’ai décidé de retourner voir Paris (Paris !), pour quelques jours. Je voulais revoir quelques uns des grands sites qui font la majesté de la Ville Lumière (photos ici si ça vous dit), m’immerger dans des atmosphères pittoresques de quartier qui en font le charme, et surtout rencontrer enfin des gens aux échanges agréables et venus de là-bas mais que je n’avais jusqu’à présent pas encore vus "en vrai". Parmi eux, Frédéric Trocellier, et Véronique de Villèle. J’ai connu Frédéric, un passionné de photo, il y a une quinzaine d’années, sur un forum que j’animais alors, et nous n’avions heureusement jamais perdu le contact depuis. Véronique compte parmi mes fidèles encouragements, pour Paroles d’Actu, et elle a répondu à plusieurs de mes sollicitations d’interview depuis 2002.

Le lundi 18 juin, nous avons avec Frédéric passé la matinée du côté de Montmartre et de son Sacré-Cœur (il a passé son enfance dans le 18e). Puis, autour de 13h, direction la rue du Cherche-Midi pour rejoindre les locaux des Cercles de la Forme, dans lesquels officie Véronique. Nous avons discuté un peu avec Véronique, puis assisté à son cours. Un cours complet, rythmé, et où le dynamisme est le maître-mot. Frédéric a pris des photos, nous avons tous deux observé, regardé Véronique se mouvoir de part et d’autre de la salle au rythme de la musique, et les élèves suivre ses instructions. Nous les remercions, tous, d’avoir joué le jeu et de leur accueil sympathique.

 

Photo VdV Fred et moi

Les arroseurs arrosés : de g. à d. : moi et Frédéric, "captés" par Véronique.

 

Nous sommes convenus, avec Véronique, de réaliser une nouvelle interview suite à cette rencontre. Pas tout de suite non, car après le cours, il fallait déjà qu’elle rejoigne son scooter à toute vitesse pour retrouver les locaux de Sud Radio. Nous ferions cela à distance. Au 1er juillet, c’était chose faite. L’article qui suit est ce que j’en ai tiré ; il comprend également trois surprises : deux pour Véronique (j’ai contacté plusieurs de ses élèves via Facebook pour les inviter à "raconter" leur expérience avec la coach, deux m’ont répondu et ont concrétisé la chose), une pour celles et ceux qui suivent ses cours, un message vidéo qu’elle a accepté d’enregistrer. Merci à Annabel et à Christine, pour votre gentillesse. Merci à toi, Frédéric, de m’avoir suivi dans cette petite aventure. ;-) Merci à vous, Véronique... et à bientôt ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 27/06/18 ; R. : 29/06/18 et 01/07/18.

Véronique de Villèle: « Il y a en moi, une forme de force,

qui me pousse à ne jamais me laisser aller... »

Photo FT VdV 1 

Photo : Frédéric Trocellier.   

 

Partie I: l’interview de Véronique

 

Véronique de Villèle bonsoir, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu. Je suis heureux d’avoir pu enfin vous voir en chair et en os pour de bon, c’était il y a quelques jours aux Cercles de la Forme à Paris...

Oui moi aussi, je suis heureuse d’avoir fait votre connaissance "en vrai". Maintenant vous avez vu l’ambiance dans mes cours aux CDLF ! Il ne vous reste plus qu’a venir prendre un cours avec moi, cher Nicolas !

 

Haha... j’en serais ravi... J’ai eu la chance, donc, d’assister au cours que vous avez donné rue du Cherche-Midi le 18 juin dernier à l’heure du déjeuner, avec mon camarade Frédéric à la photo - je le salue ici, ainsi que toutes vos élèves, et votre élève, qui ont joué le jeu avec la pêche, et le sourire. Vous avez dû filer très vite après, en scooter, pour votre émission de Sud Radio. Ça ressemble à quoi, une journée type de Véronique de Villèle ? C’est toujours autant la course, ou bien est-ce plus calme parfois ? ;-)

Je me lève tres tôt, vers 5h-5h30. Mon petit-déjeuner : café, yaourt, crackers. Ensuite, ordinateur : je prepare les rendez-vous de la journée, la playlist de mes cours, ma chronique sur Sud Radio. Puis je prends ma douche, et je pars donner mon premier cours. Ensuite, déjeuner light avec deux, trois amies des cours, et hop je saute sur mon scooter direction la radio... Puis, des RDV divers, ou bien je rentre à la maison... J’accepte peu de sorties le soir, mais j’ai quelquefois des dîners que je ne peux pas manquer ! Ou bien, je retrouve des amis à un concert, et ça j’adore !

 

Vous m’aviez parlé, lors de notre interview précédente, de votre ouvrage Gym Silver Tonic (Michel Lafon), mettant en avant la pratique d’une activité physique et de bons réflexes "forme" notamment pour les gens qui ont, comme le dit joliment la formule, "de l’argent dans les cheveux". Est-ce que, concrètement, vous avez à l’esprit des exemples de personnes qui, physiquement ou mentalement, n’allaient pas forcément très bien quand elles ont commencé à prendre vos cours, et dont vous avez senti que vraiment, ces exercices-là les faisaient aller mieux ?

Oui c’est une évidence, je fais tout pour que les gens aiment mes cours mais avant tout pour que cela leur soit bénefique, et j’en vois les resultats tous les jours !

 

Je connais votre sens de la fidélité, et de l’amitié Véronique. Les douze derniers mois n’ont pas été tendres avec vous : Mireille Darc est partie en août 2017, Johnny Hallyday en décembre dernier. Deux très proches... Et il y a, toujours, ces pensées que vous avez pour votre maman. Moi j’ai envie de vous demander, en marchant sur des œufs pour ne pas être indiscret et encore moins indélicat, ce qu’est votre recette pour contrer les gros coups de blues : est-ce que le sport par exemple, c’est une façon temporaire de penser à autre chose, ou mieux que ça, un vrai remède à plus long terme contre la déprime ?

Le sport est une aide évidente mais il y aussi une forme de force, que j’ai en moi, et qui pousse à ne jamais se laisser aller... Je pense à Davina qui a cette force inébranlable, et ça m’aide !

 

VdV avec Soleyman

V. de Villèle, avec son filleul Soleyman. Collection privée.

 

Est-ce que vous avez deux ou trois conseils à usage immédiat de mouvements et bons réflexes santé/moral pour des personnes a priori éloignées du milieu du sport ou même de l’exercice ? Typiquement, la personne âgée qui ne bougerait pas beaucoup...

En restant chez soi, on peut tout à fait faire de l’exercice (mon dernier livre Gym Silver Tonic est bourré d’exemples, et de photos d’illustration). Cela peut se faire assis sur son canapé, debout dans sa cuisine, avec une bouteille d’eau, une balle, etc... On peut étirer sa taille, travailler ses abdos, faire aussi des exercices de visualisation pour sa mémoire. Et puis bien sûr, monter des escaliers, bouger, ne pas rester inactif...

  

Vos cours se font en musique, et vous avez une sélection sympa, entraînante et aussi, je crois, que vous adaptez à vos élèves. C’est quoi votre tracklist bonne humeur à vous ? Ces quelques chansons qui vous donnent la pêche ou vous rendent le sourire à chaque fois que vous les entendez ?

Je fait mes playlists avec les derniers tubes, mais aussi et surtout avec les titres collector que tout le monde aime, des anciennes chansons bien rythmées... (playlists à retrouver aussi dans mon dernier livre !)

Par exemple :

Jailhouse Rock, Elvis Presley.

We cut the night, AaRON.

Thriller, Mickael Jackson.

The Best, Tina Turner.

A Man I know, Charles Pasi.

Dancer, Gino Soccio.

 

En quoi est-ce que vous diriez que vos cours ont évolué par rapport aux années Gym Tonic ?

Mes cours ne sont jamais les mêmes, je change... d’abord pour les femmes qui me suivent depuis tant d’années, et aussi pour moi. Je n’ai jamais de lassitude à donner mon cours, c’est à chaque fois un peu différent !

 

Le 7 juillet vous allez donner un cours exceptionnel en province, en l’occurrence à Bonnétable, en faveur des sinistrés inondés de la Sarthe. Qu’est-ce qui vous a convaincue de le faire ?

C’est Séverine, une amie qui habite la région de Bonnétable... sa maison a été inondée, eh bien le jour même avec ses filles, elles sont allées aider les autres, ceux qui étaient encore plus sinistrés qu’elle ! Bel exemple de génerosité.

 

VdV Sarthe

 

Est-ce envisageable de vous voir, à l’avenir, proposer des cours de manière un peu plus "décentralisée", dans telle ou telle ville de France de temps en temps, si bien sûr votre emploi du temps de ministre vous le permet ? ;-)

C’est vrai que quelques grandes villes de province me demandent parfois d’aller les voir... Malheureusement je ne peux pas être partout...

 

Quel message avez-vous envie d’envoyer à vos élèves, et en particulier à celles et ceux qui vous suivent depuis des années et des années, à l’occasion de cette interview ? Qu’est-ce qu’ils représentent pour vous ? Un petit message vidéo peut-être ? Ce serait sympa...

 

 

Quelle est l’image que vous auriez envie qu’ils aient de vous, tous ces élèves, et ces gens que vous croisez au quotidien ? Si vous aviez un avis à donner là-dessus : quel serait le compliment qui vous toucherait le plus ?

Professionnelle… j’aime la perfection ! Et on ne peut l’atteindre que si l’on est PRO !

 

Vous aviez déclaré dans une interview récente : Davina donnant des cours de yoga aux CDLF, pourquoi pas ? Alors, ça en est où, ce joli rêve ? ;-) Et comment va-t-elle, votre complice de toujours et surtout sœur de cœur ?

Davina est ma sœur de cœur. Nous nous parlons, nous nous voyons... elle est dans son monastère du Poitou, Chökhor Ling, où elle dirige des cours et des stages magnifiques…

 

Véronique avec Davina

V. de Villèle, avec Davina. Collection privée.

 

Comment se porte Max, votre filleul, jeune comédien dont la vie n’a, jusqu’à présent, pas tout à fait été un fleuve tranquille ?

Aujourd’hui Max passe son Bac. Il est également à l’affiche de son dernier film, Monsieur je-sais-tout, dont il a le rôle-titre (il y joue le rôle d’un autiste). C’est un acteur fabuleux !

 

Dans l’actu sport du moment, il y a bien sûr, qui l’aurait loupé... ^^ la Coupe du monde de foot, en Russie. Un commentaire sur la compétition jusqu’à présent ? Vous voyez qui en finale ? Quel prono pour le trophée ?

J’adore le foot ! Je ne loupe aucun match. Les Bleus sont forts. Si leur mental est bon, alors ils peuvent gagner cette Coupe du monde, comme en 1998. Ils ont été magnifiques contre l’Argentine... j’espère qu’ils feront encore mieux !

 

Vous êtes très impliquée, on le sait, pour la promotion de la pétanque en tant que sport de haut niveau, et notamment dans la perspective des Jeux olympiques de 2024. En quoi est-ce un sport "complet" ?

C’est convivial, ça ne coûte pas cher, il faut de l’adresse, de la concentration et, ce qui me plaît le plus, de la stratégie.

 

Actu, toujours, dans un autre domaine. On a pas mal parlé, ces jours-ci, de l’entrée au Panthéon de Simone Veil, accompagnée de son époux Antoine. Est-ce que cette femme, en bien des points remarquable il est vrai, fait partie des personnalités que vous admirez et qui vous inspirent le plus ? De qui est-il composé, votre Panthéon perso ?

Simone Veil fut une femme exemplaire, remarquable, que j’ai eu la chance de rencontrer... Je suis très admirative de sa personne. J’ai adoré cette magnifique cérémonie au Panthéon.

De Gaulle, Sœur Emmanuelle, l’Abbé Pierre, et les chercheurs pour les maladies comme le cancer des enfants ou Alzheimer... ils sont mon Panthéon perso. 

 

J’aborde ici une question qui est un serpent de mer de nos interviews depuis la première il y a six ans. Vous prenez beaucoup de plaisir à participer à l’émission de Liane Foly sur Sud Radio. Je suis persuadé, je vous l’ai déjà dit, et je le pense encore plus depuis que je vous ai vue animer ce cours, que vous pourriez diriger, vous, une émission bien-être et reportages/conseils du quotidien (à la Sophie Davant). Alors, quand est-ce qu’on la démarre, cette campagne pour vendre ça à un média ? ;-)

Eh bien OUI, j’ai énormément aimé cette saison à Sud Radio aux cotés de Liane Foly. Cette aventure vient de se terminer. J’étais auparavant sur Europe 1, et précédemment j’avais un rendez-vous sur les ondes de RMC. Maintenant il me tarde de retrouver un micro, j’adore cet exercice, la radio ! à bon entendeur...

 

Petit jeu de l’autoportrait : trois adjectifs pour vous auto-qualifier ?

Professionnelle, travailleuse, généreuse... drôle !

 

J’aime bien cette question, et, passé un temps, je la posais beaucoup, mais à vous, habituée parmi les habitués, jamais, alors : si vous pouviez voyager dans le temps, une seule fois, donc un seul choix, quelle époque auriez-vous envie de visiter ?

Le futur. Voler dans l’espace, et pourquoi pas y donner un cours ? J’adorerais rencontrer Thomas Pasquier.

 

Vous avez 25 projets par jour Véro, ça aussi je le sais. ;-) On ne peut pas tous les citer ici. J’ai envie de vous demander, simplement : c’est quoi vos grandes envies aujourd’hui, vos rêves encore à réaliser ?

Une belle émission de radio que je dirigerais avec une bande joyeuses de spécialistes, dans tous les domaines. Genre Frou-frou de Christine Bravo.

 

Tout le mal que je vous souhaite ! Allez on la lance cette campagne ! Bon, et pour ceux qui n’auraient pas encore compris, quelques arguments décisifs, pour inciter nos lecteurs à venir prendre vos cours, dans la Sarthe, à Paris, ou ailleurs ?  ;-)

Que c’est différent des autres, qu’ils me fassent confiance ! Plus de 30 ans d’enseignement ! Des milliers de cours dans mes baskets !

 

Photo FT VdV 2

Photo : Frédéric Trocellier.

 

Un dernier mot, pour conclure ?

Merci de ce joli moment avec vous Nicolas. À bientôt !

 

V. de Villèle est toujours très impliquée auprès de la Fondation pour la Recherche

sur Alzheimer, pour laquelle elle organise un grand concours de pétanque à Paris le 20 septembre.

Également ambassadrice de L’Envol, elle participera à un événement lors du

Longines Paris Eiffel Jumping le 5 juillet. Et, le 10 juillet, elle sera présente

lors d’un grand concert à Juan-Les-Pins donné pour Enfant Star & Match.

Les deux dernières associations œuvrent pour les enfants malades, la cause est belle ! ;-)

 

Partie II: les messages de deux élèves

 

Annabel de Boysson Weber, le 2 juillet.

 

 

Christine Taieb, le 2 juillet.

 

LIEN ICI pour voir la vidéo de C. Taieb

 

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24 juin 2018

Françoise Deville : « Personne n'a aimé Joséphine comme Bonaparte, de façon exclusive et unique »

Moi la Malmaison : l’amie intime de Joséphine (Éditions de la Bisquine, 2018) est le premier livre de Françoise Deville. Passionnée d’histoire napoléonienne - elle possède une belle collection d’objets ayant trait à cette époque - et titulaire d’une maîtrise en Histoire de l’Université de Genève, l’auteure, qui a déjà signé plusieurs articles dans la presse, a voulu s’attacher à dresser un portrait original de l’unique, de l’incomparable Joséphine, « sa » Joséphine. L’angle trouvé est original, il est servi par sa jolie plume, et par sa connaissance pointue de l’histoire de ce temps-là : ici, c’est la Malmaison, la demeure, le havre de paix (pas toujours !) du couple Bonaparte, qui observe, qui s’exprime et interpelle, et qui raconte... Mais qu’on ne s’y trompe pas, comme chez Pierre Branda, celle qui crève l’écran, c’est bien Joséphine, décidément une des figures les plus attachantes de notre histoire. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 12/06/18 ; R. : 17/06/18.

Françoise Deville: « Personne n’a aimé Joséphine

comme Bonaparte, de façon exclusive et unique. »

Moi la Malmaison

Moi la Malmaison : l’amie intime de Joséphine, Éditions de la Bisquine, 2018.

 

Qui êtes-vous Françoise Deville ?

Une passionnée de Joséphine et de Bonaparte. En 1979, j’ai découvert ces deux personnages grâce à la série Joséphine ou la comédie de l’ambition avec Danièle Lebrun et Daniel Mesguich dans les rôles titres. Ce jour-là, ma vie a été bouleversée et Joséphine ne m’a plus quittée. J’ai obtenu un Master en Histoire à l’Université de Genève. J’ai toujours voulu écrire un livre sur Joséphine, mais il fallait que le projet mûrisse car je voulais aller au plus près de l’âme de cette femme. Depuis 2013, je constitue une collection d’objets et de lettres ayant appartenus ou ayant été écrites par Joséphine et Napoléon principalement. Le fleuron de ma collection est la lettre d’amour écrite par Napoléon à Joséphine le 30 mars 1796.

 

Pourquoi la Malmaison, Joséphine et ses enfants ? Pourquoi Bonaparte ?

Malmaison est le lieu le plus aimé par Joséphine et Bonaparte. C’est un lieu privé, témoin de leur vie, de leur amour. Ce lieu a une âme, la présence de Joséphine y est palpable. C’est aussi l’histoire des enfants de Joséphine, Eugène et Hortense, qu’elle a tant aimés et qui tiennent une place majeure dans l’épopée napoléonienne.

 

Peut-on dire que Joséphine a fait grandir Bonaparte dans sa vie d’homme, et que lui a redonné foi en l’amour et au bonheur à sa Joséphine ?

Napoléon était un novice en amour. Joséphine lui a tout appris. Dans ses bras, il a découvert l’amour, la plénitude. Elle lui a donné confiance et l’a fait se sentir homme. Elle lui a offert un statut familial et social. Joséphine a beaucoup souffert, Alexandre de Beauharnais, son premier époux, a été odieux avec elle, il lui a fait subir les pires humiliations. Son cœur de femme était blessé. Personne ne l’a aimée comme Bonaparte de façon exclusive et unique. Joséphine a aussi eu peur de mourir lors de son emprisonnement aux Carmes en 1794. Sa vie en a été profondément marquée. Elle ne sera plus jamais la même, son insouciance a totalement disparu.

 

L’officier qu’il fut quand il rencontra la veuve Beauharnais serait-il devenu grand comme il l’a été sans elle  ?

Oui, car avec ou sans Joséphine, Napoléon était doué. Il avait le quelque chose en plus sur les autres généraux. Le côté intellectuel sans doute qui fera de lui le Consul que l’on connaît avec toutes les grandes œuvres accomplies, tel le Code civil par exemple. L’idée de la Campagne d’Italie germait en lui depuis deux ans. Il avait même proposé son plan à Talleyrand. Il était sûr que les Autrichiens seraient vaincus sur ce front moins protégé.

 

Quel regard portez-vous sur l’exécution du duc d’Enghien, qui parut troubler beaucoup Joséphine ?

Elle était nécessaire. Des complots royalistes visant à tuer Bonaparte étaient légions. Il devait frapper fort. Le Duc était peut-être ignorant du dernier en date, quoique ? Il était en attente du renversement de Bonaparte pour entrer avec ses troupes en France. Il était contre-révolutionnaire et portait les armes contre la France. Cependant, Bonaparte a outrepassé ses droits en l’enlevant hors des frontières françaises sur les terres du Grand-Duché de Bade. À l’époque, l’exécution du Duc n’a pas eu un grand retentissement, c’est la Restauration qui en fît un martyr. Joséphine si bienveillante était touchée par la mort de ce jeune homme et était choquée par le fait que l’on pourrait reprocher à son Bonaparte cette exécution. C’est la forme de cette exécution dans sa rapidité et non le fond qui cause problème ainsi que l’enlèvement en territoire étranger. Les royalistes n’auraient eu aucun scrupule à assassiner Bonaparte.

 

Diriez-vous que Bonaparte a perdu pied en instituant l’Empire ? Qu’au fond, Napoléon a perdu Bonaparte ?

L’Empire a brisé les digues révolutionnaires. Le souci est le côté monarchique de l’Empire. Un Consul n’a rien à prouver aux anciennes monarchies. A contrario, l’Empire doit tout prouver en adoptant les codes monarchiques. Le Consulat est un régime politique fondé sur sa propre légitimité qui ne doit rien aux monarchies. Bonaparte pensait qu’en adoptant un côté monarchique, il apaiserait la peur de la Révolution des autres souverains. Ce fut une erreur car, pour eux, Empire ou non, Bonaparte reste l’usurpateur révolutionnaire.

 

Bonaparte a-t-il perdu sa bonne étoile quand il a répudié Joséphine pour Marie-Louise ?

Oui et non. C’est l’année 1807 qui marque un tournant décisif avec la rencontre de Tilsit et « l’amitié » du Tsar Alexandre Ier. Napoléon se sent accepté en tant que souverain monarchique. De plus, il gagne toutes ses guerres, les limites s’estompent et le vertige du pouvoir n’a plus de limites. Joséphine le tempère, l’adoucit et lui rappelle le passé, l’Histoire française de la Révolution. Ils ont une identité non souveraine, Monsieur et Madame Bonaparte. Marie-Louise est une princesse, élevée pour épouser un souverain.

 

Comment caractériser les rapports entre Bonaparte et Joséphine après la répudiation ? C’était quoi entre eux, une estime mutuelle et une grande tendresse ?

Après leur séparation, Joséphine et Napoléon ne se verront plus que six fois mais une grande tendresse les unissait toujours, un grand respect l’un pour l’autre, et aussi de l’amour.

 

Napoléon a-t-il été accablé par la mort de Joséphine ? A-t-il souvent parlé d’elle après , et en quels termes ?

Napoléon a été anéanti par la mort de Joséphine. Lorsqu’il apprend sa mort à l’île d’Elbe, il s’enferme seul dans une pièce durant plusieurs heures. Lors de son retour en France en mars 1815, il passera une journée, en avril, à Malmaison avec Hortense. Il se rendra seul dans la chambre de Joséphine et en ressortira bouleversé. A Sainte-Hélène, il parle souvent d’elle, de leur amour vrai, unique que seule la mort peut rompre. Il affirme qu’elle l’aimait plus que tout et il avait raison.

 

Portrait Joséphine

Portrait méconnu de Joséphine, peint par Guérin, son miniaturiste de Malmaison.

Illustration sélectionnée par Françoise Deville.

 

Peut-on dire que les enfants de Joséphine, Eugène et Hortense, ont été plus constamment fidèles à leur beau-père que ne le fut, prise tout ensemble, la famille Bonaparte ? Sa famille de cœur, c’était les Beauharnais ?

Non, sans conteste plus dévoués, plus aimants mais pas plus fidèles. Seule Caroline trahit honteusement son frère en 1814, les autres essaient de sauver les meubles. En 1815, ils sont au rendez-vous pour certains, Joseph, Lucien, Madame Mère, Jérôme, Hortense… Les autres attendent ou sont empêchés. Pauline et Madame mère étaient à l’île d’Elbe. Eugène ne viendra pas, il est deveunu prince allemand dévoué à sa femme Auguste de Bavière. En 1813-1814, l’attitude dure et injuste de Napoléon face à Eugène qui attendait des ordres clairs de l’Empereur pour quitter l’Italie et rejoindre la France a perturbé les sentiments d’Eugène et d’Auguste. Certains ont parlé de trahison d’Eugène. Napoléon était confus et Eugène habitué à être téléguider par l’Empereur attendait l’ordre de ce dernier. Après, il fut trop tard et Eugène décida de défendre ses intérêts au Congrès de Vienne sous la protection du Tsar Alexandre Ier afin d’obtenir une principauté en Italie. Cependant dans sa dernière lettre du 8 avril 1814 à Joséphine écrite à Fontainebleau, Napoléon lui rappelle qu’Eugène est si digne d’elle et de lui. Il est vrai que les Beauharnais furent la famille de cœur et les Bonaparte le clan familial.

 

Quel est, dans toute cette histoire, le personnage qui vous fascine le plus ? Celui pour lequel vous avez le plus de tendresse ? J’aurais tendance à penser : Joséphine, je me trompe ?

Joséphine évidemment, mon héroïne.

 

Hypothèse farfelue, mais admettons : si vous pouviez, à un moment ou à un autre, vous projeter dans cette histoire pour un conseil, pour une mise en garde, qui choisiriez-vous, et que lui diriez-vous ?

Je choisirais Bonaparte et je lui dirais que suite à la mort de Napoléon-Charles le 5 mai 1807, fils aîné d’Hortense et de Louis et héritier présomptif du trône, il doit absolument adopter le second fils de son frère Louis, Napoléon-Louis. Il ne doit pas se séparer de Joséphine, tant aimée des Français et qui sait si bien le tempérer, l’adoucir, le raisonner. Ils ont cheminé ensemble vers la gloire, ils doivent rester unis. Elle est sa meilleure diplomate, sa meilleure représentante. «  Ne quitte pas Joséphine, ta bonne étoile !  »

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Le petit Trianon et l’assassinat à Genève de Sissi, deux projets.

 

Un dernier mot ?

Vive Joséphine !

 

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23 juin 2018

Gwendal Peizerat : « Mon nouveau challenge, c'est la musique ! »

Le 18 mai dernier était organisé, à Loire-sur-Rhône (Rhône), un joli concert (j’y étais !) de Michael Jones, le grand complice de Jean-Jacques Goldman, en faveur d’une belle cause, l’accompagnement des familles d’enfant porteur de handicap, à l’initiative de lassociation locale "Ma main dans la tienne". En première partie, du bon son et la pêche de Bastien Villon et Gwendal Peizerat, l’ancien champion olympique en danse sur glace. Son premier album vient tout juste de sortir, et il a accepté de répondre à quelques questions, ce dont je le remercie bien chaleureusement. Lisez... et surtout allez écouter ! ;-) Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 08/06/18 ; R. : 18/06/18.

Gwendal Peizerat: « Mon nouveau challenge,

c’est la musique ! »

Gwendal Peizerat album

"Quand elle me...", actuellement disponible.

 

Gwendal Peizerat bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Vous avez attaqué le piano à l’âge de huit ans, la guitare il y a une dizaine d’années. La musique a-t-elle toujours fait partie de votre vie ?

Oui toujours... Aussi bien sur la glace qu’en dehors.

 

J’ai eu la chance d’assister le 18 mai dernier au concert donné en faveur de l’association Ma main dans la tienne, à Loire sur Rhône (Rhône). Vous avez assuré le show, en première partie, avec votre camarade Bastien Villon et vos musicos, avant de céder la scène à Michael Jones et à sa team pour la seconde partie d’une soirée riche de bon son et de chaleur humaine. Comment avez-vous rencontré Michael Jones et Bastien Villon ? Comment vos univers respectifs se sont-ils "trouvés", et comment se sont-ils "accordés" ?

J’ai rencontré Michael Jones pour la première fois aux Sarmentelles (ouverture des fûts de Beaujolais). Bastien je l’ai rencontré grâce à Michael Jones, dont Bastien avait suivi une master class. Nos univers se sont mariés naturellement, grâce à la proximité de nos goûts musicaux et à notre amitié.

 

Quelles sont vos références ? Les artistes qui vous inspirent, et qui vous font chavirer ?

Monsieur Roux, Archive, Charlie.

 

Comment le définiriez-vous, d’ailleurs, cet univers musical et artistique, le vôtre, dont on parlait un peu plus haut ? Et quels sont-ils, les thèmes que vous avez à cœur d’exploiter en musique et en chanson ?

Mon univers est varié, libre et éclectique, à l’image de ma vie et des influences musicales diverses imposées par ma variété de patineur.

 

Votre premier album sortira le 20 juin. C’est quoi l’histoire de sa réalisation ? Que peut-on en attendre, et que va-t-on y entendre ?

Il a représenté deux ans de travail... une auto production en home studio avec un ami, Daniel Blouin, que j’appelle mon couteau suisse Québécois. On y entend mes chansons, dont j’ai signé les textes (à l’exception du titre éponyme de l’album "Quand elle me...") et la plupart des musiques.

 

Le grand public vous connaît d’abord, très principalement, pour le couple artistico-sportif que vous avez formé avec Marina Anissina et qui vous a valu, entre autres trophées remarquables, deux titres de champions d’Europe, un titre de champions du monde, et un sacre olympique, tout cela en danse sur glace. Est-ce qu’avec le recul vous diriez que ces moments-là ont été, sinon les plus beaux, en tout cas les plus intenses de votre vie ?

Le meilleur reste toujours à venir mais très certainement oui, les plus intenses, les plus épuisants aussi.

 

Est-ce que, quelque part, les sensations sont similaires entre le fait de se produire avec enjeu sur une patinoire, devant un jury, et le fait de se retrouver sur une scène, à devoir "performer" devant un public et lui soumettre ce qu’on a écrit et composé ?

Il peut effectivement y avoir des ressemblances mais la scène musicale a l’avantage de nous permettre un échange plus long ainsi que plus interactif et intime avec le public.

 

Vous participez actuellement à l’émission The Island : Célébrités diffusée sur M6. Est-ce que, parmi vos motivations, il y a ce besoin permanent d’un nouveau challenge ?

Oui évidemment mais pas seulement. C’est aussi le goût d’apprendre et la joie d’être au plus proche de la nature et de ma propre vraie nature.

 

J’ai envie de vous faire réagir à une phrase... qui m’a fait pas mal réagir, prononcée par Emmanuel Macron devant l’équipe de France de football avant la Coupe du monde : "Une compétition est réussie quand elle est gagnée". Est-ce que vous ne trouvez pas qu’elle est un peu, disons, maladroite cette phrase ? Sous-entendu : seule la victoire compte, et à la limite, la fin justifie les moyens. C’est vraiment ça, le message à envoyer aux sportifs, et notamment aux plus jeunes ?

C’est vrai que la phrase est maladroite pour parler à des Francais. Pour des Russes c’est une lapalissade. Pour moi je dirais qu’il y a beaucoup plus à apprendre d’une compétition que l’on a pas gagnée mais celle que l’on a gagnée engendre énormément plus de retours positifs dans nos avenirs.

 

Quels souvenirs gardez-vous, à titre perso, de cette soirée historique du 12 juillet 1998, au cours de laquelle l’équipe de France de foot devint, chez elle, championne du monde face au Brésil ? Vous avez des prono pour la compétition de cette année ?

Aucun pronostic. En juillet 98 j’étais en stage de préparation à Villard-de-Lans et dormais au camping. Je n’avais ni le temps (9h d’entraînement par jour) ni la TV pour suivre l’événement.

 

Vous avez été, de 2010 à 2015, vice-président aux Sports de la Région Rhône-Alpes, aux côtés de Jean-Jack Queyranne. Qu’avez-vous appris, durant cette expérience, sur les leviers dont disposent les collectivités territoriales pour la promotion du sport ? Et, plus généralement, sur les rouages du monde politique vu de l’intérieur ?

Cest très intéressant et passionnant à vivre. C’est aussi très prenant et parfois décevant. Cette question mérite un article entier pour proposer une réponse exhaustive et pertinente.

 

Un mot pour le gamin de douze, treize ans qui, rêvant devant ses héros footballeurs, tennismen, basketteurs ou danseurs, aurait envie, plus que tout, de se lancer à fond dans le sport qui le passionne, et de le placer au centre de sa vie, quitte à lui sacrifier beaucoup ?

On ne sacrifie rien, on reporte à plus tard certaines choses de moindre importance, ou moins urgentes. Le conseil : patience, pugnacité, engagement, respect.

 

Vous avez touché à beaucoup d’activités et de domaines différents. De quoi êtes-vous le plus fier aujourd’hui ? Et c’est quoi vos nouveaux challenges, ceux dont vous vous dites, aujourd’hui : "Ça va être chaud... mais ça vaut la peine d’essayer..." ?

Mon nouveau challenge, cest la musique, et je suis très fier de la diversité de mon parcours sportif et professionnel.

 

Un scoop, ou une info inédite sur vous, jamais révélée à personne ? ;-)

Si je ne l’ai jamais révélée à personne, c’est qu’il doit y avoir une bonne raison !

 

Vos projets, vos envies pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

Musique, tournee et... merde, merde.

 

Un dernier mot ?

Merci, à bientôt et bonne écoute. ("Quand elle me..." est dès à présent disponible sur toutes les plateformes de téléchargement.)

 

Gwendal Peizerat album 2

 

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12 juin 2018

« Me manquer », par Frédéric Quinonero (Hommage à Johnny Hallyday, 75è anniversaire)

Combien de personnes, même parmi celles qui ne retiennent pas forcément les dates, même parmi les "pas spécialement fan" du chanteur, se seraient surprises à répondre, parce qu’elles l’avaient dans un coin de la tête, comme ça, que Johnny était né un 15 juin ? Pas mal sans doute, et rien d’anormal à cela : devenu Johnny Hallyday, Jean-Philippe Smet est entré dans les  cœurs et dans les familles, et il n’a jamais quitté ni les uns ni les autres. Il était devenu familier. Mais voilà, cette année, pour la première fois, en cette date du 15 juin, il n’y aura plus ni cris de célébration ni pensées de bons vœux. À la place, une absence, pesante. Un silence... Jean-Philippe Smet est mort, lui qui a tant joué avec la vie. Mort. Il aurait eu 75 ans, âge canonique pour un rocker qui a eu sa vie. Si Johnny restera, pour longtemps encore, Jean-Philippe lui, est parti. Avant.

J’ai proposé à l’ami Frédéric Quinonero, talentueux biographe (Johnny Immortel, l’Archipel, décembre 2017) et surtout grand fan de Johnny, de réfléchir à un hommage, totalement libre dans la forme, à son idole. Il a accepté de se prêter à lexercice, ce qui comme on pourra l’imaginer n’a pas dû être neutre émotionnellement parlant. Je le remercie chaleureusement pour ce texte, bouleversant, déchirant même, et clairement empreint de l’amour qu’il lui porte. J’ai choisi de le publier dès ce jour de réception de l’article, soit trois jours avant ce 15 juin au cours duquel nous aurons, nombreux, des pensées pour Johnny. En musique, forcément. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Johnny immortel

Johnny Immortel, de Frédéric Quinonero (l’Archipel, décembre 2017).

 

« Me manquer »

Par Frédéric Quinonero, le 12 juin 2018.

 

J’ai rêvé la nuit dernière, Johnny, que t’étais pas parti.

Un instant étrange. Tu me regardes en silence. Des turquoises dans les yeux. Tu as l’apparence d’un ange. Une aile au paradis, l’autre dans la vie.

Dans la nuit, cette question qui serre le cœur: "C’est toi, c’est toi Johnny ?"

Et puis ce matin, ce réveil. Et toi qui n’es plus là. Parti à l’abri du monde. Loin de la rumeur qui court, des lumières et des discours. Cette chose impossible à croire que la mort t’a souri. J’ai oublié de me souvenir de l’oublier, et pourtant...

 

Pour ton anniversaire, j’ai mis une fleur sur l’étagère, à côté du sable blanc de ton paradis, là-bas. Et je bois à ta santé.

 

C’est comment l’envers du décor, dis ? Est-ce que les étoiles dans le ciel font des étincelles ? Est-ce qu’il y a du sable, et de l’herbe, et des fleurs ? De l’or dans les rivières ? Et des fleurs jaunes dans le creux des dunes ?

 

Tu étais là, mon Johnny, c’était toi. Ton sourire à transpercer l’acier. Tes yeux si purs, à te donner le bon dieu sans confession. C’était toi et moi. Les battements de nos cœurs sur la même longueur d’ondes. Tes cheveux si clairs que j’ai cru un instant rêver. Mais je rêvais, de fait. Et j’aurais voulu pouvoir retenir la nuit.

 

Oublier, t’oublier ? Toi qui me portes et me tiens debout ? Il me faudra plus de temps que m’en donnera ma vie.

Écoute mon cœur qui bat. Mon cœur fermé à double tour. Noyé dans l’ombre de toi. Écoute ma douleur, elle ne s’en va pas.

De vague en larmes je vogue en solitaire. Perdu dans le nombre d’un troupeau de misère. Comme un radeau qui flotte à la dérive. Une caisse qui se traîne à 80 de moyenne. Une tequila entre citron et sel… Évanouie, mon innocence. Johnny, si tu savais…

Non, je n’oublierai jamais. Tu es gravé dans ma vie.

Tu es parti mais tu es partout. Intraçable et muet. Ton absence et ton silence qui n’en finit pas. Comme une maladie, comme un grand froid. Chaque jour, je fais une croix. Quatre murs autour de moi et dessus, des photos de toi. Rien ici, non, rien n’a changé. Et le temps semble arrêté.

 

Me manquer, me manquer…

 

Frédéric Quinonero JH 75

Crédits photo : Yan Barry (Midi Libre).

 

Je serai là si tu veux pour écrire ton histoire, garder ta mémoire. Contre les croquemorts qui rodent. Contre les mots faciles et la haine des imbéciles. Tout ce cirque.

 

Continuer à vivre pendant que tu te reposes. Avec ton souvenir au plus fort de l’absence. Avec l’illusion d’attendre un signe. Des soirs comme un grand trou noir. Puis dans mes nuits, enfin, l’oubli. L’espoir que tu viennes encore me visiter. À certaines heures, quand le cœur de la ville s’est endormi. Ou dans le souffle d’un vent géant. Le vent qui hurle qui crie, et qui comprend. Un rêve qui ne fasse plus peur. Comme dans un tableau de Hopper… Et que la mort vaincue n’ait plus d’empire dans le pays des vivants.

 

Je t’en prie, Johnny, reviens ! 

Reprends ton cœur et ce vieux train, là, et dans le soleil, reviens vers moi. Reviens chanter les peines et les espoirs. Donner des raisons d’espérer. Palais des Sports, palais des foules. 15 heures ouverture des portes. Et les stands et la buvette… Chanter encore ce blues maudit pour qu’il éclaire ma vie. 

Mes valises sont toutes prêtes pour les voyages que je me raconte.

Pour aimer vivre encore.

 

Je n’ai jamais rien demandé, mais parfois j’ai envie de crier à la nuit: "Emmène-moi !" Et je m’accroche à mon rêve. Tôt ou tard, tu me reviendras. Tu verras. Comme l’aigle blessé revient vers les siens. Un monde sans toi ? Non. Remboursez-moi ! Je ne veux pas de ce monde-là ! Dans cette foutue boutique aux souvenirs, je vois s’en aller ma vie. Un souvenir de rocker sur les murs d’une ville triste… Non ! Je donnerai mes larmes au regard que tu avais, la flamme au souffle que tu portais. Je défierais les rois, les fous, les soldats, la mort et les lois… Mais qu’on reparte au bord des routes. Terminer la nuit sur les parkings et les tarmacs. Et reparler d’amour un jour. Pourquoi ne reviendrais-tu pas puisque je t’attends ? Je t’attends, tout le temps. Souviens-toi, la route est ta seule amie. On se reverra, dis ?

 

Quand la nuit crie au secours qui pourrait l’écouter ?

 

Je me sens si seul parfois, Johnny. Je voudrais tellement qu’on soit du même côté de la rivière. Être encore cet enfant qui croyait à l’éternité. Entendre ta voix de révolté. C’est une prière que je grave dans la pierre, pour toi, mon vieux frère. Je veux si fort refaire un jour l’histoire. Et fixer le soleil droit devant, comme un pari d’enfant. Trinquer à nos promesses au café de l’avenir. Refaire la route, dis. Rien ne peut séparer ceux qui s’aiment.

Reviens allumer le feu, mon Johnny, viens jouer ton rock’n’roll pour moi.

 

 

Johnny BDay

 Crédits photo : inconnus. D.R.

 

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Et vous, parlez-nous de "votre" Johnny...?

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22 mai 2018

Olivier Gracia : « Gardons-nous de juger le passé à la lumière de la morale d'aujourd'hui. »

Olivier Gracia, essayiste passionné d’histoire et de politique, a cosigné l’année dernière avec Dimitri Casali, qui a participé à plusieurs reprises à Paroles d’Actu, L’histoire se répète toujours deux fois (chez Larousse). Quatre mains et deux regards tendant à éclairer les obscures incertitudes du présent et de ses suites à l’aune de faits passés. Une lecture enrichissante, en ce qu’elle invite à considérer avec sérieux une évidence : si l’histoire ne se répète pas nécessairement, mécaniquement, on perdrait en revanche toujours à négliger d’en tirer les leçons pour comprendre et appréhender notre époque. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 16/01/18 ; R. : 14/05/18.

Olivier Gracia: « Gardons-nous de juger

le passé à la lumière de la morale d’aujourd’hui. »

L'histoire se répète toujours deux fois

L’histoire se répète toujours deux fois, Larousse, 2017

 

Olivier Gracia bonjour. (...) Comment en êtes-vous arrivés à publier, avec Dimitri Casali, cet ouvrage à quatre mains, L’histoire se répète toujours deux fois (Larousse, 2017) ? Et, dans le détail, comment vous y êtes-vous pris, pour la répartition des rôles et tâches ?

avec Dimitri Casali

J’ai rencontré Dimitri Casali lors du «  procès fictif  » de Napoléon Bonaparte organisé par la Fédération Francophone de Débat. Alors que je plaidais la défense de Napoléon avec une poignée d’avocats corses, Dimitri était membre du jury «  impérial  » aux côtés d’Emmanuel de Waresquiel. De cette première rencontre éloquente est née une véritable amitié intellectuelle et un premier ouvrage ! Nous sommes vus à plusieurs reprises depuis et avons manifesté ce souhait commun de confronter nos deux cultures afin d’écrire ce livre à mi-chemin entre la politique et l’histoire. Pour l’écrire, nous avons débattu de longues heures tout en échangeant nos différentes conclusions écrites.  

 

Tout l’objet de votre livre est de démontrer que l’histoire, bien loin de n’être que la science de ce qui a été, doit être un outil censé nous éclairer sur ce qui pourrait advenir. À notre charge alors, d’œuvrer à éviter de reproduire le mauvais, et à favoriser ce qui a marché, en tenant compte des réalités du temps présent. Mais cela suppose un regard éclairé, empreint de toutes ces expériences justement, de la part des élites qui gouvernent notre monde, mais aussi de la part des citoyens qui votent. Sincèrement, et sans langue de bois, diriez-vous que les premiers et les seconds l’ont globalement, ce regard éclairé ?

les Français, leurs gouvernants, et l’histoire

Les Français sont de véritables passionnés d’histoire, il suffit d’observer le succès des émissions d’histoire et ou même des livres spécialisés. L’histoire de France, dans sa grande complexité, est néanmoins toujours victime de nombreux débats qui trouvent leur reflet dans l’actualité où nos anciens sont jugés à l’aune des moeurs et valeurs d’aujourd’hui, sans aucune remise en contexte d’époques suffisamment différentes pour en apprécier la diversité et la singularité. L’histoire se répète toujours deux fois met surtout l’accent sur les grands bouleversement de l’histoire contemporaine avec des outils d’analyse qui permettent d’en apprécier la redondance.

 

Question liée : dans votre livre, vous fustigez nos élites, notamment politiques, qui sont aujourd’hui incapables d’« inspirer » les citoyens, du fait d’une pureté d’engagement, d’une érudition admirable, qui les feraient rayonner positivement, mais qu’ils n’ont plus tout à fait. Est-ce que ce point, qui sans doute nous différencie des temps passés, contribue à saper notre respect pour le politique, et par là même l’autorité du politique ? Et quelles sont aujourd’hui, à votre avis, les personnes qu’on respecte et qui « inspirent » ?

les politiques comme source d’inspiration ?

Alexis de Tocqueville analysait très finement la déliquescence de l’Ancien Régime et la fin de l’élitisme aristocrate en écrivant : «  Une aristocratie dans sa vigueur ne mène pas seulement les affaires ; elle dirige encore les opinions, donne le ton aux écrivains et l'autorité aux idées. Au dix-huitième siècle, la noblesse française avait entièrement perdu cette partie de son empire  ». Les mots d’Alexis de Tocqueville sont toujours d’actualité avec ce sentiment que la classe politique se contente de «  gérer les affaires  », sans vision, sans inspiration et sans références fortes au passé. L’homme politique moderne est abreuvé de fiscalité et de sociologie électorale, il n’imagine plus le monde de demain, il le régente comme une entreprise.

 

Le système politique de la Ve République tel que façonné par de Gaulle, qui octroie au Président de la République des pouvoirs et une importance déséquilibrés pour une démocratie (une tendance aggravée par le quinquennat et la concordance des scrutins présidentiel et législatif), ne nous enferme-t-il pas dans une quête permanente, et sans doute illusoire, d’homme providentiel en lieu et place d’une hypothétique prescience de l’intelligence collective (une sorte de « despotisme éclairé panaché de démocratie représentative ») ? Diriez-vous de la République version Ve qu’elle est, tout bien pesé, un point d’arrivée honorable et globalement satisfaisant eu égard aux multiples expériences de gouvernement tentées depuis la Révolution ?

la Vème République, compromis ultime ?

Emmanuel Macron a eu le courage et l’honnêteté de dire que «  la démocratie comporte une forme d’incomplétude  » et qu’il y a «  dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Cet absent est la figure du Roi  » tout en reconnaissant qu’on a essayé de réinvestir ce vide pour y «  placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste.  » En cela la Ve République cherche à réinvestir ce vide depuis la mort du Roi, en plaçant la fonction suprême un arbitre au dessus de la mêlée, d’essence quasi-royale mais avec une élection au suffrage universel afin de conférer un esprit presque providentiel à ce nouveau monarque. Les Français, du fait de leur histoire monarchique, sont exigeants et cherchent une personnalité forte. Par la formule politique d’une République mi-présidentielle, mi-parlementaire, le Général de Gaulle a élaboré un régime de synthèse à mi-chemin entre l’incarnation monarchique et la souveraineté populaire.

 

Autre point (lié ?). Depuis 1981, il y a eu neuf renouvellements de l’Assemblée nationale en France, mais la majorité sortante n’a été reconduite qu’une seule fois (la droite, en 2007). C’est beaucoup plus chaotique que dans, à peu près, toutes les démocraties normales. Est-ce là le signe d’un malaise réel, d’une inconstance, voire pourquoi pas d’une immaturité spécifique des Français vis à vis du politique et de « leurs » politiques ?

alternances et (in)stabilité

L’important nombre de transitions politiques est aussi le fruit d’un malaise idéologique où les électeurs se reconnaissaient simultanément dans les valeurs de gauche et de droite, avec une volonté constante de sanctionner l’échec d’une majorité par le vote d’une nouvelle. Le génie politique d’Emmanuel Macron est d’avoir fait converger toutes les aspirations républicaines, de gauche comme de droite au sein d’un même élan politique qui s’affranchit des ruptures idéologiques, qui selon lui, n’avaient plus lieu d’être, afin de créer un mouvement pragmatique, qui a pour mot d’ordre de mettre la France en marche vers plus de modernité, plus de croissance et plus d’optimisme. Le succès d’Emmanuel Macron est la suite assez logique d’alternances politiques, aussi incohérentes qu’infructueuses qui trouvent enfin un point de convergence. Le quinquennat d’Emmanuel Macron est en quelque sorte le dernier rempart contre une victoire possible des extrêmes.

 

(...) Les bémols de rigueur ayant été posés sur la personnalité et les inclinaisons du Président, est-ce que vous considérez qu’il incarne raisonnablement l’État, qu’il représente correctement la France et les Français ? Qu’il a su trouver, davantage peut-être que ses deux prédécesseurs, l’équilibre entre figure du monarque constitutionnel et premier gouvernant ?

le cas Macron

Contrairement à son prédécesseur François Hollande, Emmanuel Macron a un sens de l’histoire et une idée assez précise de ce doit être un Président ! Il en comprend l’essence monarchique et le prestige. En cela, Emmanuel Macron incarne raisonnablement l’État et représente assez bien les Français, qui perçoivent en lui les qualités d’un véritable chef d’État. Si le Président Macron réussit tout ce qu’il entreprend grâce à un double discours gauche-droite assez redoutable, il est fort à parier qu’il fera un second mandat.

 

Est-ce qu’on a besoin, nécessairement, d’un storytelling collectif puissant (le roman/récit national ?), sous peine d’en voir d’autres, plus segmentants et pas toujours bien intentionnés, prendre le pas chez certains esprits paumés (les embrigadés « chair à canon » qui se sentaient n’être "rien" mais à qui  Daech a vendu du rêve, par exemple) ? Si oui, n’est-ce pas (on y revient) un signe d’immaturité, en cette époque censée être éclairée ? Ou bien y a-t-il, de manière plus profonde, et diffuse, une espèce de perte de sens, de « crise de foi » que l’idéal républicain, à supposer qu’il existe toujours, ne parvient plus guère à combler ?

storytelling national

Jean-Michel Blanquer est le premier à dire qu’il faut réapprendre aux Français à aimer la France par l’enseignement d’une histoire équilibrée et non culpabilisante. L’idéal républicain d’aujourd’hui n’est plus aussi fort que celui que nous avons connu sous la IIIe République où l’enseignement rigide et minutieux des hussards noirs avaient su convaincre les citoyens d’une appartenance forte à une communauté nationale !

 

On ne va pas regretter, bien sûr, les heures sombres des mobilisations générales (1914, 1940), quand tout un pays se mobilisait comme un seul homme autour d’une cause, la défense de la patrie et de la nation. Mais on peut constater qu’aujourd’hui, l’individualisme est de plus en plus ancré : il n’est guère plus que les grands événements sportifs (finale de coupe du monde de foot), les grands drames (les attentats de 2015-16) ou les deuils nationaux (Johnny Hallyday) pour donner, un moment, cette impression de communion à l’échelle de la nation. Que recoupe aujourd’hui, dans la réalité des faits, le principe de « fraternité », fondement de notre devise ?

derrière le principe de fraternité ?

De la liberté, l’égalité et la fraternité, la liberté est de loin le principe le plus palpable, le plus réel ! C’est seulement en 1848 que le principe de fraternité est inscrit dans la constitution. Les jacobins préféraient la devise : «  liberté, égalité ou la mort  ». L’idée républicaine de fraternité est née lors de la révolution de 1848 qui avait une vocation redoutablement sociale ! Le principe de fraternité est néanmoins un principe vivant, qui a du sens pour tous les citoyens engagés dans des missions humanitaires, tant sur le sol français qu’à l’international. L’égalité est de loin le principe le plus utopique !

 

En 1789, la société d’Ancien Régime, de classes et de privilèges, laisse place, au moins sur le papier, à l’égalité civile entre tous les Hommes, devenus citoyens ; à une égalité de devoirs, de droits, et d’opportunités. L’égalité civile ne fait plus débat, mais pour le reste, au vu des inégalités inouïes de situations qui existent dans notre monde et au sein même de notre société, êtes-vous de ceux qui considèrent qu’il n’y a jamais eu autant « de boulot » qu’aujourd’hui ? Car, vous l’expliquez bien dans votre livre, l’ascenseur social (avec l’instruction publique)  fonctionnait mieux en d’autres temps…

l’égalité, vraiment ?

Si l’égalité civile est devenue une réalité, permise par les différentes grandes révolutions française, l’égalité sociale est une utopie difficilement conciliable avec l’idée d’un libéralisme économique. La IIIe République, par la force de son instruction élémentaire a permis l’émergence de grands talents issus de milieux modestes, Charles Péguy en est l’illustration la plus notable. Si l’école redouble toujours d’efforts pour permettre à chacun de s’épanouir dans la société, la mobilité sociale est aujourd’hui contrainte par une phénomène de reproduction des élites, tant dans l’administration que dans l’accès aux grandes écoles.

 

La France peut-elle encore tirer son épingle du jeu, faire entendre sa voix de manière déterminante dans un monde qui inquiète ? Vous êtes raisonnablement optimiste, vous qui vous faites on l’aura compris une « certaine idée de la France » ?

les chances de la France

Il faut être optimiste et ne pas sombrer dans une forme de déclinisme, réservée à quelques spécialistes ! La France a tous les atouts pour réussir, surtout dans un monde en constante ébullition. Si la France a perdu une grande partie de son empire économique, l’esprit français demeure et continue d’enchanter des générations entières au-delà de nos frontières naturelles. Il suffit d’observer l’indicible passion internationale pour des personnages comme Napoléon et Marie-Antoinette !

 

Où se trouvent aujourd’hui, au niveau global, les poudrières potentielles type « Sarajevo 1914 » qui pour vous, peuvent inquiéter ?

poudrières modernes

Elles sont nombreuses et constamment alimentées par les propos provocateurs et dangereux de Donald Trump, qui menace la sécurité internationale à longueur de tweet. L’Iran et la Syrie constituent des points de tensions où les conflits débordent déjà de leur contexte régional !

 

Si vous pouviez voyager à une époque de notre histoire, laquelle choisiriez-vous, et pourquoi ?

voyage ?

Excellente question ! Idéalement, la Révolution française, le Premier Empire ou même la Monarchie de Juillet ! Ce sont des périodes passionnantes de grands changements politiques et institutionnels.

 

Si vous pouviez vous entretenir avec un personnage du passé, quel serait-il ? Que lui demanderiez-vous ; que lui conseilleriez-vous, à la lumière de votre connaissance des faits à venir ?

intrusion dans l’histoire

Henri IV et Napoléon, le premier pour le prévenir de son assassinat imminent et le second pour lui révéler le désastre de la campagne de Russie. Henri IV est à mon sens le meilleur des Français et très certainement le plus grand Roi. Il avait un sens de l’État, une amitié toute particulière pour la paix et un contact chaleureux avec les Français. Il demeure toujours aujourd’hui le bon Roi Henri. Pour Napoléon, j’aime son audace et j’admire sa détermination ! Il est l’exemple le plus illustre de son fameux mot : «  Impossible n’est pas français !  »

 

Pour quels moments de faiblesse de notre histoire avez-vous, instinctivement, de l’indulgence ? Un regard de sévérité ? Et quels sont les épisodes de hardiesse qui vous inspirent la plus grande admiration ?

regards sur l’histoire

C’est toujours difficile d’avoir de l’indulgence pour les fautes ou les erreurs de nos ancêtres, surtout quand elles sont meurtrières et dévastatrices. Le rôle de l’historien n’est pas de juger l’histoire mais de l’interpréter à la lumière des pièces à conviction de l’époque. L’erreur est précisément d’aujourd’hui réinterpréter les comportements ou les décisions des hommes du passé à la lumière de la morale d’aujourd’hui. On a hélas l’impression que les hommes du passé sont jugés par un tribunal redoutablement contemporain qui jugent leurs crimes à la lumière de la législation d’aujourd’hui. C’est un exercice dangereux qui nous condamne à faire table rase du passé. L’exemple le plus frappant est celui de Colbert, qui est aujourd’hui traité de criminel ! Pour les épisodes les plus sombres, j’ai évidemment un regard critique sur la Terreur et les massacres à répétition, où des Français assassinent d’autres Français ! Pour les épisodes de hardiesse, je songe immédiatement au courage des résistants français qui ont pris les armes au mépris de leur vie pour défier et terrasser l’idéologie la plus effroyable de l’histoire de l’humanité.

 

Un mot, pour les gens, et notamment les jeunes, qui n’auraient pas encore pleinement conscience de l’intérêt (et aussi du côté agréable !) que peut avoir la connaissance des faits historique ?

pourquoi l’histoire ?

L’histoire permet d’en apprendre beaucoup sur soi et notamment pour savoir où l’on va. De façon assez paradoxal, connaître son passé, c’est mesurer son avenir ! Dans une période avec une forte perte de repères, l’histoire permet aussi d’apprendre le sens du courage, de la détermination et saisir le goût de la liberté !

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite, Olivier Gracia ? Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

projets et envies

J’aimerais me lancer dans d’autres projets littéraires dans l’idée de confronter toujours l’actualité et l’histoire afin d’en démontrer l’utilité ! L’histoire est un science vivante et mouvante.

 

Dimitri Casali et Olivier Gracia

 

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14 mai 2018

Fabrice Jaumont: « Je suis heureux de participer à la révolution bilingue »

En ces temps où, troubles extérieurs et crispations internes n’aidant pas, les réflexes de repli sur soi sont légion, j’ai eu envie de donner la parole à quelqu’un qui, depuis des années, se bat pour que, précisément, l’ouverture aux autres cultures soit reçue et inculquée comme une valeur, comme une richesse. Non pas comme un mantra vide de sens, mais sur la base de réalisations concrètes : M. Fabrice Jaumont, auteur et activiste enthousiaste, compte parmi les plus ardents défenseurs de ce que soit favorisée, partout, l’instauration de classes bilingues. Sur ce sujet et d’autres, comme l’attrait, la place de la francophonie aux États-Unis ou le poids des fondations privées dans le système éducatif, il a accepté de répondre à mes questions, et je l’en remercie. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 10/02/18 ; R. : 07/05/18.

Fabrice Jaumont: « Je suis heureux

de participer à la révolution bilingue ! »

Fabrice Jaumont

Fabrice Jaumont. Photo : Jonas Cuénin.

 

Fabrice Jaumont bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Comment vous présenteriez-vous, en peu de mots mais sans rien omettre de l’essentiel de votre parcours et de vos engagements ?

En quelques mots, je suis éducateur, chercheur et auteur avec un penchant pour les livres qui peuvent changer l’éducation, la culture et le développement humain.

 

Né en France, vous vous êtes installé aux États-Unis en 1997, soit, il y a un peu plus de vingt ans. Qu’est-ce qui, au premier abord, puis à l’usage au fil des années, vous a sauté aux yeux, s’agissant des différences, petites et grandes, entre les deux pays ?

Sans tomber dans les clichés, j’ai trouvé ici beaucoup de liberté à pouvoir faire les choses que j’avais envie de faire, ce qui m’a mis en confiance et m’a permis de m’épanouir, d’oser, de progresser. À commencer par mon doctorat que j’ai fait à la New York University, mes livres sur la philanthropie, l’éducation, le cinéma, mon activisme pour les communautés linguistiques et bien d’autres projets. Bien sûr, j’aurais sûrement réussi à trouver de belles choses à faire en France, d’ailleurs mes nouvelles affiliations avec la Fondation Maison des Sciences de l’Homme à Paris et NORRAG à Genève m’amènent à multiplier les initiatives en Europe.

 

Vous portez actuellement la « révolution bilingue » dans les écoles américaines : le français semble avoir le vent en poupe sur le territoire américain en encourageant les initiatives d’établissement de filières bilingues (cours en français et en anglais) dans les écoles. Quelles sont les vertus observées, avec le recul, de ces filières bilingues pour les élèves qui les suivent ? Quel bilan tirez-vous, à ce stade, de ces programmes, et quels retours en avez-vous ?

Aux États-Unis, on remarque un engouement réel pour l’éducation bilingue qui prend plusieurs formes : en immersion partielle ou totale, en programme double-langue ou dans l’école du samedi. En ce qui concerne notre langue, ce phénomène s’est concrétisé par l’ouverture de filières bilingues français-anglais dans plus de 200 écoles publiques et privées. La demande est forte, les élèves réussissent bien aux tests et aux évaluations nationales, les parents s’engagent pour soutenir ces filières ou en créer de nouvelles s’ils n’en trouvent pas près de chez eux. Bref, c’est très intéressant de participer à cette révolution bilingue.

 

Est-ce que la promotion du français à l’étranger s’apparente à une  «  diplomatie d’influence  » (le terme n’étant pas entendu comme péjoratif)  ? Quels en sont les meilleurs vecteurs : la littérature ? le cinéma ? la chanson ?

La promotion du français, comme  pour la promotion des films, des artistes, des auteurs, des échanges universitaires, entre autres, peut sûrement aider à influencer les esprits. J’y vois surtout une manière de mieux les ouvrir, par le dialogue, l’enrichissement de soi et la découverte de l’autre. Je le vois à mon niveau, dans les classes, et c’est très enthousiasmant. La langue sert de point d’entrée vers la culture d’un pays, ses traditions, son peuple.

 

Est-ce que vous diriez que le français se défend plutôt bien, ou plutôt moins bien que les autres langues étrangères, par rapport à la dynamique de leur diffusion sur le territoire américain ? Et d’ailleurs, que peut-on en dire, de la communauté francophone aux États-Unis ?

La langue française a su conserver sa place de deuxième langue enseignée après l’espagnol aux États-Unis. L’image du français est toujours très positive et véhicule un certain cachet même chez des individus qui ne connaissent rien de la France. La communauté francophone, quant à elle, est vibrante avec près d’1,3 million de locuteurs qu’on retrouve dans les grands centres urbains et dans les zones d’héritage francophone comme la Louisiane et la Nouvelle-Angleterre.

 

Sur la couverture de votre livre, The Bilingual Revolution: The Future of Education is in Two Languages (TBR Books, 2017) apparaît le mot « multiculture », comme un terme positif parce qu’il implique une ouverture à l’autre, à ce qu’il est. Mais vous n’êtes pas sans savoir que cette notion est vue globalement d’un œil moins favorable qu’en pays anglo-saxons,  en France, où l’on chérit le conformisme républicain tout en se méfiant des communautés, soupçonnées parfois de vouloir « pousser » leurs particularismes jusqu’à les faire déborder sur l’espace commun. Est-ce que vous comprenez ces crispations, qui plus généralement peuvent être apparentées à celles ressenties par toutes celles et tous ceux qui, de bonne foi, et sans pour autant avoir l’esprit étriqué, ressentent le  « multiculturel » comme une atteinte potentielle à des traditions, à leur identité ? A-t-on un problème spécifique avec le multiculturel en France, en Europe continentale ?

C’est une question complexe. Ce que je peux dire en réponse, c’est que je suis très heureux d’avoir trouvé à New York une société, des politiques, un système scolaire ouvert aux langues et aux cultures des autres, à commencer par ma propre culture et par ma langue. Je m’estime chanceux de voir mes filles suivre leur scolarité en deux langues dans une école publique américaine. Grâce au travail de parents et d’éducateurs bienveillants, elles pourront, comme des milliers d’autres à New York, devenir complètement bilingue, bi-lettrée et biculturelle. C’est une opportunité et elle est proposée à de plus en plus de familles de la ville peu importe leur origine ethnique ou leur statut socio-économique. D’ailleurs, la ville vient d’annoncer la création de 48 écoles bilingues supplémentaires avec des programmes en espagnol, chinois, arabe, français, italien, ourdou, bengalais, allemand, russe, polonais, coréen et, pour la première fois, albanais. J’en ai aidé plusieurs à se monter et j’invite toutes les communautés à suivre le mouvement, comme je l’explique dans mon livre. À mes yeux, cette approche offre un bel exemple de cohésion sociale ; elle favorise la compréhension mutuelle, le respect et la tolérance, tout en permettant le maintien des patrimoines culturel et linguistique de chaque groupe.

 

The Bilingual Revolution

The Bilingual Revolution: The Future of Education is in Two Languages (TBR Books, 2017)

 

Je rebondis sur la question précédente, pour citer une partie du propos de promotion de votre dernier livre, Partenaires inégaux. Fondations américaines et universités en Afrique (Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2018), questionnant sur l’importance de la philanthropie internationale « à une époque où l’enseignement supérieur est à nouveau reconnu comme un moteur de développement économique, que les sociétés du savoir exigent de nouvelles compétences, rendant obsolètes les économies basées sur l’industrie manufacturière... » : est-ce que de fait, ce paradigme tel que posé ne crée pas un « gap » aigu entre anciennes et nouvelles générations, entre jeunes « éduqués » et personnes moins intégrées à l’« économie de demain » ? Comment intégrer pleinement, en évitant de nourrir les frustrations qu’on peut imaginer,  toute la masse des gens qui ne sont pas des élites (et le terme n’est pas vu comme péjoratif) au monde de demain tel que celles-ci nous le préparent ?

En ce qui concerne l’exemple des filières bilingues de New York, c’est bien parce que la solution permet de servir, à terme, tous les enfants, avec des parents et des éducateurs travaillant ensemble, que le modèle est remarquable et qu’on parle d’une révolution bilingue. Certes, il y a de nombreux défis à surmonter, comme celui de trouver des enseignants qualifiés et multilingues en nombres, mais je crois qu’on a ici l’opportunité de construire quelque chose d’important, surtout si les institutions, les communautés, voire les nations, collaborent entre elles, comme dans le cas d’échanges d’enseignants par exemple. Pour les fondations américaines impliquées dans le développement des universités en Afrique, c’est là-aussi une question de collaboration, de coordination et de mise en place de stratégies partagées, entre donateurs et récipiendaires, dialoguant de façon équitable pour œuvrer à des solutions de grande envergure certes, mais voulues par tous dans le but de changer un secteur pour mieux servir les jeunes générations.

 

Partenaires inégaux

Partenaires inégaux. Fondations américaines et universités en Afrique

(Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2018)

 

L’ouvrage traite comme son nom l’indique de la place des fondations américaines dans le financement du système d’éducation supérieure africain : quelles masses cela représente-t-il, et dans quelle mesure cela vient-il pallier les manquements des financements publics ? Surtout, qualitativement parlant, on peut imaginer que ces structures privées, qui sont philanthropiques mais ne versent pas strictement dans l’humanitaire, ont aussi des intérêts identifiables, qu’elles ciblent les formations financées et cherchent à influencer le fond de ce qui est enseigné, par exemple pour former les élites africaines de demain aux vertus de l’économie de marché et en faire des ambassadeurs futurs des manières américaines de faire du commerce. Est-ce que ces fondations sont des fondations qui, clairement, visent aussi à  « influencer » ?

C’est une évidence, les fondations cherchent à influencer, que ce soit les universités, les gouvernements, les organisations internationales, voire les autres fondations, l’argent leur permet d’orienter les choses vers leurs idéaux et elles ont développé des stratégies pour y parvenir. Dans le cas du secteur universitaire, le volume des fonds qu’elles investissent n’est proportionnellement pas si important que cela. Mon livre couvre une période de dix ans pendant laquelle une centaine de fondations américaines ont versé 500 millions de dollars dans le secteur universitaire africain. C’est une goutte d’eau comparé au budget total des gouvernements pour l’enseignement supérieur du continent pendant la même période. Malgré tout, ces fondations ont permis de redonner de l’importance à un secteur jusqu’alors délaissé tout en repositionnant les universités africaines comme des moteurs au cœur du développement économique africain.

 

Le système de fondations philanthropiques privées apportant des financements, portant des causes et « poussant » des formations est infiniment moins développé en France que, par exemple, aux États-Unis, comment l’expliquez-vous ? Est-ce, pour le coup, une question culturelle ? Et est-ce qu’à choisir vous diriez qu’il est toujours, forcément meilleur, que ce soit la collectivité qui finance les formations supérieures quand c’est possible ?

Aux États-Unis, on dénombre plus de 100 000 fondations qui, chaque jour, soutiennent telle ou telle cause, ou des institutions qui œuvrent pour le bien commun. On retrouve les méga-fondations comme celle de Bill Gates et d’autres milliardaires comme Rockefeller, Ford, Carnegie, MacArthur, Mellon, Soros, Hewlett, etc. Cependant, ces dernières ne sont pas les plus représentatives, la majorité des fondations privées sont des organisations familiales, de petite taille, ou des organisations communautaires, servant une région ou une ville en particulier. Ce qui est le plus frappant, c’est que ces fondations ne représentent qu’une petite partie de la philanthropie américaine, majoritairement dominée par des dons d’individus qui soutiennent leur église, leur école ou leur musée, entre autres. Les États-Unis sont une société du don, tradition qui prend sa source avec l’arrivée des premiers colons venus d’Europe, donc très liée à l’individualisme protestant, au capitalisme, et encouragée fiscalement qui plus est. Pour ce qui est du développement des universités aux États-Unis, il se fait principalement par l’apport de la philanthropie, les noms de mécènes sont souvent donnés à un bâtiment, une bibliothèque, un laboratoire. Mais ces dons n’empêchent pas des frais de scolarité élevés qui provoquent l’endettement des étudiants, parfois sur des dizaines d’années, un vrai problème qui, pour moi, montre les limites de ce système.

 

Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?

Je travaille actuellement sur de nouveaux projets de livre. Je viens tout juste de ressortir un essai sur les Odyssées de Stanley Kubrick, en hommage au 50ème anniversaire de la sortie de 2001 : l’Odyssée de l’espace. Je vais sortir un livre sur les linogravures de Raymond Verdaguer, artiste français résidant à New York et qui a, pendant 40 ans, produit des illustrations publiées dans les plus grands journaux comme le New York Times, le Los Angeles TimesHarper’s Magazine et bien d’autres. Enfin, je travaille à l’écriture d’un livre sur l’histoire de la langue française aux États-Unis et j’aide plusieurs auteurs à sortir leur livre aux États-Unis.

 

Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous, de la trace que vous aurez laissée, après vous, Fabrice Jaumont ?

Je préfère attendre un peu avant de me prononcer, ou laisser passer quelques années. J’ai encore beaucoup de projets à accomplir, d’étapes à franchir pour parler de trace.

 

Un message pour nos lecteurs ?

Qu’ils me contactent s’ils ont envie de publier un livre aux États-Unis.

 

Un dernier mot ?

Bravo Nicolas pour votre blog que j’apprécie depuis plusieurs années.

 

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12 mai 2018

« Macron, simple exécutant ? », par Henri Temple

Emmanuel Macron est aux affaires depuis un an. Quel bilan tirer de cette première année ? Qu’en penser, d’après telle ou telle grille de lecture ? Après Philippe Tarillon, ex-maire PS de Florange, j’ai demandé à Henri Temple, avocat et juriste spécialiste du droit économique, universitaire et citoyen engagé (il fut jusqu’à très récemment un haut cadre du mouvement Debout la France) d’évoquer pour Paroles d’Actu cette actualité, et de nous dire en quoi sa philosophie politique se distingue de celle portée par le Président. Il y a deux ans, M. Temple s’était déjà prêté, sur ma proposition, au jeu d’un article pour notre blog, à propos de questions constitutionnelles. Tout un programme... là encore, toujours amplement d’actualité... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Macron FR EU

E. Macron, président de la République. Source de la photographie : RFI.

 

« Macron, simple exécutant ? »

Par Henri Temple, universitaire et avocat.

Texte daté du 8 mai 2018.

 

Un an après son élection-surprise que reste-t-il d’Emmanuel Macron ?

Rien qu’on ne sache déjà depuis la mise en place du monde multilatéral et pyramidal post Maastricht/Marrakech. Il ne s’agit pas, ici, de dresser un simple catalogue et une appréciation de ce qui a été fait depuis un an, mais plutôt de se demander ce qui n’a pas été - et ne sera pas - fait pour sauver la France d’un profond déclin, voire de sa déchéance.

Emmanuel Macron est, à plus d’un titre, une personnalité étrange mais sans nul doute un habile calculateur. Pas si habile que cela toutefois, aidé qu’il fut par des adversaires lamentables qui lui ont offert une opportunité unique de s’imposer. On le créditera aussi - pour l’instant - d’un réel facteur chance et d’un talent rare de communiquant.

Il reste qu’il demeure, par nature, par carrière et par sa dépendance à ses soutiens, un exécutant qui ne voudra - ni d’ailleurs ne saurait - adopter les puissantes mesures de fond que les Français attendent, confusément, mais dans une immense frustration annonciatrice de colères sans frein.

 

Réforme démocratique. Alors que près de 60% des Français, écœurés, ne sont plus inscrits sur les listes électorales, ne vont plus voter, ou votent blanc ou nul, la grande urgence est de rétablir la République. Que leur dit le prochain projet de loi de réforme de la Constitution ? Des broutilles : interdiction aux ministres de cumuler leur poste avec des fonctions exécutives dans des collectivités territoriales. Ils seront donc plus disponibles et moins indépendants. Les anciens présidents de la République ne pourront plus siéger au Conseil constitutionnel... Modification du travail parlementaire. Un verrouillage en réalité : à l’avenir, seuls les projets et les propositions "justifiant un débat solennel" (sic) seront examinés. Les lois de finance seront votées plus vite... La Constitution va aussi fixer les principes fondamentaux de la loi en y inscrivant dorénavant la "lutte contre les changements climatiques". Réduction du nombre de parlementaires, limitation des mandats dans le temps et "dose de proportionnelle" (combien ?) aux législatives. Suppression de la
Cour de Justice de la République pour juger les ministres, avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations au parquet...Inscription de la Corse dans la Constitution...

 

« Il y a en France une caste de politiciens qui est hostile

à la vraie proportionnelle et au vrai référendum.

Et donc à la vraie démocratie... »

 

Or la seule vraie réforme que veulent vraiment les Français est celle de la voie référendaire. Leur actuelle anomie date de 2008 lorsque droite et gauche amalgamées au Congrès de Versailles avaient abrogé la Nation française en adoptant la réforme fédéraliste des institutions européennes que les Français avaient rejetée trois ans auparavant. Pour mieux abuser l’opinion publique on introduisit alors, dans la Constitution (article 11), un "référendum d’initiative partagée" avec des conditions de quorum telles (un dixième des parlementaires et... un dixième du corps électoral !) que depuis 10 ans ce mécanisme n’a jamais été obtenu, ni même tenté. Et ne le sera jamais. Or il y a en France une caste de politiciens qui est hostile à la vraie proportionnelle et au vrai référendum. Et donc à la vraie démocratie. Redoutant que cette vraie démocratie mette fin à leurs petites mais juteuses combines. Ainsi, ce qui est permis aux Suisses (1 à 2 référendum par an) et à d’autres nations est honni en France. La Suisse serait "petite" et la France trop grande pour cet exercice. Trop grande ? Ou trop abaissée...

La seule réforme constitutionnelle qui vaudrait serait de faire adopter (par référendum) l’abaissement de 1/10e à 1/20e le nombre des pétitionnaires pour inscrire dans le marbre le référendum d’initiative partagée.

 

Économie. La seule réforme que Macron ne fera jamais est la seule qui redonnerait sa substance industrielle et agricole à la France : un protectionnisme mesuré et de bon sens. Au lieu de se couvrir de ridicule (et nous couvrir de honte; voir les photos officielles de la Maison blanche) aux États-Unis, Emmanuel Macron a gâché la chance française et européenne de suivre le sillage du brise glace Trump. Les médias français (qui les possède financièrement ?) désinforment sans cesse nos concitoyens sur des sujets majeurs comme l’affaire de l’Ukraine et sur la politique économique américaine.

On en vient à infuser l’impression que Donald Trump serait une sot et/ou un fou qui dirige seul les États-Unis à coups de tweets... Or cette politique économique a un seul maître mot : la défense de l’intérêt américain. On aimerait que Emmanuel Macron s’en inspire. Comme on aurait aussi aimé que Chirac, Sarkozy, Hollande le fassent. Hélas. J’ai patiemment étudié la remarquable politique économique et fiscale du gouvernement Trump et me contenterai de renvoyer le lecteur à mes études de droit économique à ce sujet : Trump va-t-il détruire la mondialisation ? ; À Davos, Trump met fin au multilatéralisme absolu ; Le libre-échange, c’est la guerre commerciale ; Guerre commerciale : quand le monde s’éveillera, la Chine tremblera (Causeur).

 

Social. Toute notre société dépend de notre capacité à produire les richesses à partager; et donc à notre capacité de maintenir cette capacité. Quels que soient les moyens employés, la légitime défense est légitime, pourvu qu’elle reste proportionnée au péril.

Aussi toutes les questions d’équilibre budgétaire, de dette, d’impôts ou de CSG, de retraites, de santé, de salaires, d’école, d’armée, de moyens de la police et de la justice ne sont que des conséquences de cette cause première qui est l’affaiblissement continu de notre économie, causé par la sujétion à une Europe elle même auto-soumise à la mondialisation multilatérale.

 

Migrations. Terrorisme. Le débat public est, sur ce sujet, inhibé par la marge étroite que certains juges croient devoir lui laisser. Si le terme "immigration de masse" demeure encore impuni, ceux de "invasion migratoire" sont poursuivis. Et sont pénalement condamnés les propos affirmant que la France vit "depuis trente ans une invasion" et que "dans les innombrables banlieues françaises où de nombreuses jeunes filles sont voilées" se jouait une "lutte pour islamiser un territoire", "un djihad". Une cour d’appel vient d’estimer que ces deux passages "visaient les musulmans dans leur globalité et constituaient une exhortation implicite à la discrimination". En revanche, curieusement la cour n’a pas retenu trois autres passages d’une émission, pour lesquels un polémiste avait été condamné en première instance, pour avoir soutenu que "tous les musulmans, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas" considèrent les jihadistes comme de "bons musulmans".  La cour d’appel a estimé que ces passages ne comportaient "pas d’exhortation, même implicite, à la provocation à la haine, telle que la nouvelle jurisprudence" l’impose. Car la Cour de cassation décide, depuis juin 2017, qu’une "incitation manifeste" ne suffit pas à caractériser le délit et qu’il faut désormais "pour entrer en voie de condamnation" que les propos relèvent d’un "appel" ou d’une "exhortation". Sur ces sujets voir nos recensions de deux livres essentiels : Une exploration clinique de l’islamComprendre l’islamisme (pour mieux le combattre) avec Taguieff (Causeur). Ces livres savants ne disent-ils pas des choses "interdites" ?

En pratique, en dépit de quelques gestes administratifs, d’ailleurs ambigus, Emmanuel Macron ne se démarque pas des politiques permissives de ses prédécesseurs.

 

Politique internationale. Au demeurant même s’il l’avait voulu s’en démarquer, Emmanuel Macron accepte de demeurer assujetti aux politiques européennes sur les migrations et, plus généralement, à la misérable politique étrangère de la Commission bruxelloise ; en tous cas nuisible aux intérêts de la France. S’il en a une, Emmanuel Macron n’exprime jamais sa vue d’ensemble géopolitique pour proposer des idées neuves. On dit d’Emmanuel Macron  qu’il mène une politique étrangère "dans la continuité", ce qui est censé rassurer, faire sérieux. Hélas, c’est-à-dire comme depuis 40 ans : ni lucidité ni anticipation, ni indépendance, ni leadership, ni habileté, ni saisie des opportunités.

Le Brexit aurait été, par exemple, une belle occasion pour repenser la construction européenne, y maintenir ainsi le Royaume-Uni, respecter les demandes des nations pré-dissidentes (les quatre du groupe de Višegrad : Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie ; et désormais les Pays-Bas, l’Autriche, l’Italie) pour redonner confiance en l’Europe aux opinions publiques.

En Afrique en lutte pour la paix, la sécurité, le développement, Emmanuel Macron, pas plus que ses prédécesseurs, n’a su entendre, au-delà des faits djihadistes, les appels des populations du nord Mali (une zone plus grande que France) à un respect culturel, économique, social et démocratique. La France avait pourtant toutes les cartes en main après sa victoire militaire. On maintient donc, depuis lors, tout l’Azawad dans les frustrations qui alimentent les rebellions.

 

« Pourquoi ne consacre-t-on jamais de moyens, dans le cadre

de la coopération et du développement, au co-développement

des PME industrielles ou agricoles, là où se créent les emplois

qui stabilisent les générations migrantes ? »

 

Le 8 février 2018, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a rendu publiques ses préconisations pour le développement économique de l’Afrique dont tout le monde proclame qu’il est indispensable à l’équilibre de notre partie du monde. Ce relevé de conclusions, c’est l’ancien monde calcifié : les priorités affirmées ce sont surtout, outre l’éducation, l’accord de Paris et l’égalité femmes/hommes. Les cadres politiques choisis pour ces actions sont Bruxelles, les structures multilatérales, les fondations. Un travail sans créativité. Beaucoup d’argent dépensé mais rien sur le co-dévelopement des PME industrielles ou agricoles, là où se créent les emplois qui stabilisent les générations migrantes. Parmi les pays bénéficiaires de nos impôts, il y a l’Éthiopie, la Gambie et le Liberia (du nouveau président-footeux George Weah), anglophones ; mais pas le Cameroun francophone, de la ligne de front contre Boko Haram.

En Europe et au Moyen-Orient, des mouvances politiques nouvelles se constituent : Russie-Turquie-Iran (accords d’Astana), face aux USA-Arabie-Israël. Des face-à-face militaires inédits (turco-américain, notamment) produisent chaque jour des renversements inopinés d’alliances ou d’hostilités.

La France est bien incapable de faire des choix audacieux. Souvenons-nous que François Mitterrand et Jacques Chirac avaient été incapables de prendre, en ex-Yougoslavie, des positions conformes à l’intérêt national. La France pourrait pourtant, en infléchissant la "stratégie" bruxelloise vis-à-vis de l’Ukraine, retourner la Russie et négocier avec les États-Unis pour proposer des solutions politiques innovantes et durables, en Ukraine et en Syrie. Neutralité, fédéralisation, démocratisation et paix en Ukraine. En Syrie/Irak, en finir avec les accords Sykes-Picot et créer enfin les conditions d’une paix ethnico-religieuse au Moyen-Orient.

Mais pour cela il eût fallu une philosophie politique d’une autre hauteur de vues et qui sache tenir compte des réalités et des aspirations humaines, des volontés de vivre (ou de ne pas) vivre ensemble que seules savent incarner les nations démocratiques. Pour un développement de ces analyses : La France n’a aucune stratégie géopolitique (Causeur).

 

Henri Temple

M. Temple interviendra lors d’une conférence-débat à l’Assemblée nationale le 24 mai prochain,

sur le thème : "Demain: quelle monnaie pour quel monde ?". Infos ici.

 

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9 mai 2018

Antoine Capet : « Churchill avait les défauts de ses qualités. Nobody's perfect... et c'est tant mieux ! »

Alors qu’était célébrée hier, à l’occasion de son soixante-treizième anniversaire, la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, comment ne pas penser, encore et toujours, à celles et à ceux qui l’ont subie, et qui l’ont faite ? J’ai choisi de consacrer un nouvel article « grand format » à Winston Churchill, sans doute l’homme qui, seul, pesa dès mai 1940 du poids le plus déterminant pour la suite des événements, en des heures sombres où à peu près tout paraissait perdu face au funeste rouleau compresseur nazi. J’ai l’honneur de recevoir, pour cette interview, M. Antoine Capet, qui comme son nom ne l’indique pas (!) est un historien grand spécialiste du Royaume-Uni. En janvier de cette année était publié son ouvrage qui, je le crois fera date, de ce côté-ci et bientôt sans doute de l’autre côté de la Manche : Churchill, Le Dictionnaire (Perrin). Tout Churchill y est : c’est riche, très riche, hautement lisible car bien pensé et bien rangé, et épuré de tous les fantasmes (vraies-fausses petites phrases, etc.) que l’on peut voir passer ici ou là, souvent, à propos du « Vieux Lion » britannique. Je remercie M. Capet d’avoir accepté de répondre, avec enthousiasme et précision, à mes questions. Je remercie amicalement Isabelle Bournier, directrice culturelle et pédagogique du Mémorial de Caen, pour avoir facilité cette prise de contact, et pour sa fidélité en général. Et je vous invite enfin, lecteurs, à lire cet article, long mais qui en dit beaucoup sur Churchill. Et à lire ou relire également, à côté, mon interview de François Delpla - que je salue ici - sur Churchill, les deux se complètent bien. Un document exclusif Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 29/04/18 ; R. : 04/05/18.

Antoine Capet: « Churchill avait les défauts de ses qualités.

Nobody’s perfect... et c’est tant mieux ! »

Churchill Le Dictionnaire

Churchill, Le Dictionnaire, Perrin, 2018.

 

Antoine Capet bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Voulez-vous, avant d’entrer dans le vif du sujet, nous parler un peu de votre parcours ? Et de ce goût pour l’histoire du Royaume-Uni : d’où vous vient-il ?

pourquoi le Royaume-Uni ?

C’est en fait mon enfance au Havre qui a déterminé la suite. Tous les Havrais connaissent le Quai de Southampton, à l’entrée du port, d’où partaient depuis le XIXe siècle les «  bateaux d’Angleterre  ». J’avais hâte d’entrer en 6e pour commencer l’anglais. Dès l’âge de dix-sept ans, j’avais obtenu une bourse offerte par les Anciens Élèves du Lycée du Havre et j’ai pris le Normannia pour faire un petit voyage d’étude sur le Wessex en auto-stop pendant les vacances d’été, logeant en auberge de jeunesse. Depuis, je ne compte plus les fois où j’y suis retourné en bateau, en voiture, en train ou en avion. Certains anglicistes sont attirés par la littérature ou la linguistique – dans mon cas, cela a toujours été ce que les universitaires appellent dans leur jargon «  la civilisation britannique  » : cela va au-delà de l’histoire pour englober les arts, les pratiques religieuses, les idées et institutions politiques, les questions sociales et les syndicats, le système d’enseignement, le service de santé, etc. Ces choix, dictés par les goûts et les aptitudes de chacun, sont impossibles à expliquer rationnellement.

 

Pourquoi avoir choisi de consacrer à Winston Churchill cet ouvrage massif, Churchill, Le Dictionnaire, publié chez Perrin en janvier dernier ? Manquait-on d’ouvrages de référence sur le Vieux Lion britannique, de ce côté-ci de la Manche ? Et comment avez-vous procédé pour rassembler, classer et restituer de manière digeste tous ces morceaux éparpillées d’une vie aussi riche ?

pourquoi Churchill ?

Ma thèse d’État – soutenue il y a bien longtemps – portait sur «  Les classes dirigeantes britanniques et la réforme sociale, 1931-1951  », et Churchill figurait bien sûr au premier rang de ces dirigeants à partir de 1940. Mais la thèse ne traitait que de cet aspect du personnage, alors dans une phase de son existence où, quand il ne la chassait pas de ses préoccupations, il freinait des quatre fers face à la «  Reconstruction  » d’une société britannique sur de nouvelles bases après la guerre. Ce n’est que peu à peu que je me suis véritablement penché sur les autres – et fort multiples – aspects de sa vie et de son action, avant puis après la guerre.

Je me suis alors aperçu qu’il existait une véritable «  industrie Churchill  ». Souvent avec une dimension méprisable  : on mettait son nom à toutes les sauces dans les titres pour faire vendre (on dit que les deux noms figurant sur le titre qui font le mieux vendre les livres en Grande-Bretagne sont ceux de Churchill et d’Hitler). D’où les multiples intitulés du genre «  L’armée de Churchill », «  Les armes secrètes de Churchill  », etc, où en fait il n’apparaît guère ou pas du tout. On publiait aussi de lucratifs «  recueils de bons mots de Churchill  » qui n’étaient nullement attestés et que l’on répétait d’édition en édition sans jamais en vérifier l’authenticité. À côté de cela, cependant, au Royaume-Uni, et encore davantage aux États-Unis, il existait tout une catégorie d’admirateurs et d’amateurs éclairés qui s’efforçaient au contraire de cerner la vérité de leur «  idole  » au plus près. Ils ont fondé des associations qui ont finalement et récemment fusionné sous le nom de International Churchill Society, publiant depuis maintenant quelque cinquante ans un trimestriel consacré à l’étude du grand homme sous tous ses aspects – du plus anecdotique (ses cigares ou ses chats) jusqu’aux plus austères (ses complexes relations avec la religion). Les plus distingués des historiens et biographes churchilliens anglophones n’ont jamais refusé d’y apporter leur contribution. Cumulativement, tous ces numéros de Finest Hour – The Journal of Winston Churchill and his Times, comme il s’appelle actuellement (simplement Finest Hour à ses modestes débuts) m’ont fourni une matière abondante et précieuse sur tous les débats qui subsistent autour de son action, de ce qu’il a dit ou n’a pas dit, de ce qu’il a fait ou n’a pas fait – le pourquoi alimentant des interprétations qui ne cesseront vraisemblablement jamais, et qui personnellement me passionnent.

 

« Je voulais livrer au public francophone un ouvrage

qui dissipe tous les malentendus et toutes les rumeurs

à caractère non fondé qui circulent sur Churchill. »

 

Un collègue britannique de l’université de Nottingham, Chris Wrigley, avait fait paraître aux États-Unis en 2002 Churchill : A Biographical Companion, désormais épuisé. C’est là bien sûr l’«  industrie Churchill  » dans ce qu’elle a de meilleur. Je le trouvais très commode pour trouver très vite une précision de date ou de lieu, mais en même temps je me disais bien souvent que je n’y trouvais pas ce que je cherchais, malgré l’excellent index. C’est à mon sens parce qu’un ouvrage de cette nature doit être tout ou rien. Soit vous dites tout – soit vous ne dites rien : vous vous abstenez alors de l’écrire. Mais «  tout dire  » sur Churchill représente évidemment une tâche considérable. Tâche irréalisable, d’ailleurs – mais on peut tenter de s’approcher au mieux de cet idéal. D’où les 862 pages du Dictionnaire. On ne peut décemment faire moins sans tromper l’acheteur, sans l’induire en erreur, faute de place, par des silences (qui valent cependant mieux que des notices à demi fausses), des approximations hâtives qui équivalent à des contre-vérités, ou des simplifications de problèmes qui exigent un examen nuancé, donc approfondi. Je voulais livrer au public francophone, qui n’en disposait pas sous cette forme, un ouvrage qui dissipe tous les malentendus et toutes les rumeurs à caractère non fondé qui circulent à la fois dans certains opuscules ficelés à la va-vite et surtout sur Internet, où l’on le replace les sempiternelles «  citations  » apocryphes et répète les mêmes âneries sur Churchill sans se poser de question.

J’ai donc dressé une liste des notices qu’il me semblait indispensable d’inclure – elle faisait dix pages – et je suis parti du noyau de fiches cartonnées que j’ai toujours conservées depuis les premiers pas dans la rédaction de ma thèse, il y a quelque quarante ans  : cela me donnait un bon point de départ sur la pensée philosophique, politique et sociale de Churchill. J’ai étoffé ensuite chaque notice, sur le principe de la boule de neige, à partir des innombrables sources sérieuses que l’on a sur Churchill – au premier chef l’admirable série de Churchill Documents en cours de publication depuis 1966, initialement intitulés Churchill Companions. On en est au volume 20, qui nous mène à décembre 1944, et les éditeurs en prévoient encore trois pour parvenir à 1965, année de la mort de Churchill. Chaque volume compte désormais quelque 2 500 pages de correspondance publique et privée, de procès-verbaux gouvernementaux alors ultra-secrets, de brouillons de discours, de lettres aux journaux, de factures : Churchill ne jetait jamais rien, ce qui nous facilite la tâche. Par ailleurs, je me suis constitué au fil des ans une copieuse bibliothèque où figurent les volumineux écrits, notamment autobiographiques, de Churchill lui-même, ainsi qu’une bonne partie (je crois qu’aucun particulier n’en possèdera jamais l’ensemble) des biographies et commentaires qui le concernent – notamment sous la plume de ceux qui l’ont côtoyé, leurs témoignages étant bien sûr à vérifier par recoupement.

C’est l’informatique qui aujourd’hui permet de mettre progressivement et impeccablement la chair sur le squelette (les dix pages initiales de liste de notices à prévoir), en autorisant tous les ajouts à chaque notice à mesure que l’on rencontre un élément intéressant à y inclure.

 

Deux biopics ont récemment été consacrés à Winston Churchill, au cinéma : Churchill de Jonathan Teplitzky en 2017, avec Brian Cox dans le rôle-titre, et Les Heures sombres de Joe Wright (2017 également), film qui valut à Gary Oldman l’Oscar du Meilleur Acteur, cette année. Deux films évoquant deux périodes critiques de la Seconde Guerre mondiale : l’avant-Débarquement en Normandie pour le premier, les bouleversements de mai-juin 1940 pour le second. Avez-vous vu ces deux films, et si oui, qu’en avez-vous pensé en tant qu’historien et en tant que spectateur ? Quid des deux acteurs ?

les deux films sur Churchill ?

J’ai parlé plus haut de l’International Churchill Society et de Finest Hour : évidemment les plus fins limiers churchilliens se sont attelés à débusquer toutes les erreurs factuelles ou psychologiques, petites ou grosses, de ces deux films (auxquels, puisque l’on parle de 2017, on pourrait ajouter – ce que je ne ferai pas ici – la série The Crown, où Churchill joue un grand rôle dans les premiers épisodes). Commençons donc, chronologiquement selon le mois de sortie (et non de la vie de Churchill) par le Churchill de Jonathan Teplitzky. Tout le monde a à la fois salué le beau travail d’acteur de Brian Cox et démoli – le mot est encore trop faible – le travail de la scénariste, dont il vaut mieux passer le nom sous silence par charité. J’en étais gêné pour elle en voyant le film pour la première et unique fois : je n’avais pas encore lu les réactions de mes collègues churchilliens d’Outre-Manche et d’Outre-Atlantique, mais je l’appréhendais en pensant à ce qui l’attendait. Ils se sont déchaînés à juste titre sur le tissu d’invraisemblances que constitue le film, avec des acteurs qui ne ressemblent en rien aux personnages qu’ils incarnent (en ne prononcent aucunement leurs paroles réelles) : le roi, Eisenhower, Montgomery, dont tous les spectateurs d’un certain âge connaissent les traits et parfois la voix. Cependant il y a toujours une exception pour confirmer la règle : le maréchal sud-africain Smuts, proche ami et conseiller écouté de Churchill, est plus vrai que nature – mais il est peu connu, voire inconnu, du grand public visé par les producteurs…

 

Churchill 

Affiche du film Churchill de J. Teplitzky.

 

« Imagine-t-on les services de sécurité laisser le Premier ministre

échapper à leur vigilance, au risque de l’exposer à un attentat

perpétré par des nazis infiltrés dans la foule londonienne ? »

 

Pour les invraisemblances de Darkest Hour, antonyme bien évidemment de «  Finest Hour  », qui parle au premier degré à un Britannique cultivé qui connaît les discours et les ouvrages de Churchill, alors que «  Les Heures sombres  » n’ont pas ce sous-texte pour un francophone, Joe Wright est venu s’expliquer en personne dans un colloque devant les spécialistes de l’International Churchill Society qui – ce n’est pas un mince compliment – lui ont donné quitus. Je passe sur les nombreuses invraisemblances mineures, pour aborder d’emblée les trois plus criantes. Les War Rooms souterraines n’étaient pas encore utilisées par le Conseil restreint à l’époque du film (fin mai 1940) : elles ne le seront qu’à partir du mois d’août. La jeune dactylo n’était pas encore au service de Churchill – elle ne le sera qu’en 1941. Enfin, invention – inventivité diront les défenseurs de la licence poétique et de l’écriture cinématographique – exceptionnelle, il y a la scène du métro, qui naturellement n’aurait jamais pu avoir lieu : imagine-t-on les services de sécurité laisser le Premier ministre échapper à leur vigilance au risque de l’exposer à un attentat perpétré par des nazis infiltrés dans la foule londonienne ?

 

Darkest Hour

 Visuel du DVD Les Heures sombres, de J. Wright.

 

Sur ces trois points, Joe Wright avance qu’il s’est borné à concentrer des faits réels soit en les avançant en date, soit en les transposant dans un lieu que la chronologie lui imposait. Nous avons vu que les War Rooms en sous-sol ont bien été utilisées ensuite et que la dactylo a bien été recrutée un an plus tard. Pour le métro, le réalisateur a un autre argument. Il a voulu symboliser le soutien bien réel dont Churchill a bénéficié lors des bombardements de l’automne 1940 : il est avéré de source absolument sûre qu’il était acclamé par les sinistrés quand il se rendait au milieu des décombres le lendemain pour constater les dégâts de la nuit – ce n’étaient pas des figurants rémunérés. Or, son film se déroule fin mai : l’invraisemblance aurait été mille fois supérieure, et en fait intolérable, s’il avait montré Churchill parcourant des quartiers bombardés.

(...) À mon avis, Gary Oldman a reçu l’Oscar du Meilleur Acteur pour les mauvaises raisons, à savoir qu’on a salué le fait qu’il avait un physique a priori très éloigné de celui de Churchill et que grâce aux miracles du maquilleur-prothésiste japonais il a fini par lui ressembler. On récompense là le tour de force de l’équipe technique, pas le talent de l’acteur. Reste qu’il est excellent – mais pour moi ce n’est pas le meilleur «  Churchill  »  : c’est Albert Finney, immense acteur britannique qui, lui, ressemble à Churchill, dans The Gathering Storm (2002, disponible en DVD et à voir naturellement en V.O.), avec à côté de lui la grande Vanessa Redgrave, elle aussi très ressemblante à Clementine, contrairement à Dame Kristin Ann Scott. Les costumes et les décors de Darkest Hour sont quant à eux splendides de véracité, qu’il s’agisse de la reconstitution des War Rooms, de la Chambre des communes ou du grand salon de Buckingham Palace où le roi reçoit Churchill pour le nommer Premier ministre.

 

The Gathering Storm

DVD du film The Gathering Storm, de Richard Loncraine.

 

Vous venez d’évoquer un peu ce point... Dans le film Les Heures sombres, il est déterminé à refuser tout compromis avec Hitler. Et pourtant, on l’y pousse fortement, y compris des voix fort influentes (Halifax, Chamberlain) au sein de son propre parti. À un moment donné, on le voit sortir dans Londres et, dans une scène marquante, prendre le métro. Une fois la glace brisée, il y échange avec des Londoniens. S’ensuit un moment de communion patriotique au cours duquel toute la rame crie, à l’unisson, que never ils ne céderont, et qu’ils sont prêts à se battre pour défendre leur terre. Est-ce qu’il y a du vrai là-dedans : a-t-il rencontré des citoyens en ces heures critiques ? A-t-il utilisé, comme il est suggéré dans le film, un soutien populaire pour emporter l’adhésion du Parlement à ses vues ?

Churchill... dans le métro ?

Fin mai 1940, Churchill n’a aucun témoignage concret d’un quelconque soutien populaire. Ce qui fait de lui ce qu’il est : un homme politique d’une clairvoyance parfois exceptionnelle, c’est que lui, haut personnage totalement éloigné du petit peuple par sa naissance, son éducation, son mode de vie et sa carrière, a l’intime conviction qu’il sait – contrairement à ses collègues défaitistes – que les petites gens veulent qu’on poursuive la lutte quoi qu’il en coûte. Toutefois, ce ne sont pas eux qui emportent la décision, mais les ministres de second rang qui ne font pas partie du Conseil restreint et assurent unanimement Churchill de leur soutien contre les partisans de la négociation. Chacun jugera s’il trouve les explications de Joe Wright convaincantes. Je dois dire que lors du premier visionnement, j’avais été indigné par la scène du métro – mais à écouter ces arguments, je me laisse désormais un peu fléchir.

 

Dans quelle mesure peut-on considérer que l’histoire passée de Winston (67 ans au compteur lorsqu’il devient Premier ministre du Royaume-Uni) détermine ce que sera Churchill à partir des heures critiques de 1940 ?

Churchill ’40 était-il prévisible ?

C’est là une question éminemment controversée. Si l’on en croit l’intéressé lui-même qui, parlant de sa nomination dans ses mémoires écrits en 1948, indique : «  J’avais l’impression d’accompagner le Destin, comme si toute ma vie antérieure n’avait été qu’une préparation pour cette heure d’épreuve », la réponse va de soi. Mais évidemment tous les commentateurs s’accordent pour dire que ses mémoires sont en grande partie un plaidoyer pro domo. Certes, dès sa prime jeunesse, il proclame urbi et orbi que son ambition est simple : devenir un jour Premier ministre. Certes, il se juge supérieur à tous les Premiers ministres (à l’exception peut-être de Lloyd George) qu’il a connus dans sa carrière jusqu’à 1940 – en particulier Chamberlain à partir de mai 1937. Certes, il pense que ce dernier «  ne fait pas le poids  » face à Hitler après la déclaration de guerre. Mais rien de tout cela ne prouve objectivement qu’il sera pleinement l’homme de la situation après la décisive percée allemande en France de mai 1940.

 

« Par un extraordinaire retournement de l’histoire, ses

pires défauts, dénoncés en se gaussant par ses adversaires

au fil des années 1930, vont précisément devenir les qualités

nécessaires pour résister au choc que provoqua

l’effondrement des armées alliées en mai 1940. »

 

Par un extraordinaire retournement de l’histoire, ses pires défauts, dénoncés en se gaussant par ses adversaires au fil des années 1930, vont précisément devenir les qualités nécessaires pour résister au choc psychologique, politique et diplomatique de l’effondrement des armées alliées en mai 1940. Ces défauts d’avant-guerre sont au premier chef son obstination (démontrée par son rejet viscéral de l’indépendance indienne, qu’il maintient au prix de son exclusion des postes de pouvoir après 1930), son «  anti-hitlérisme primaire  » (alors dénoncé comme irrationnel) et surtout son bellicisme : être le plus vocifère des va-t-en-guerre, comme ses adversaires le décrivaient de 1933 à 1939, fait de lui le dirigeant le plus apte à mobiliser le pays pour la guerre totale qui s’annonce. Par ailleurs, sa formation d’officier et sa passion pour les affaires étrangères sont une parfaite préparation aux décisions lourdes de conséquences qu’il aura à prendre à Downing Street. Le proche entourage politique, militaire et diplomatique de Churchill ne cachera pas après la guerre qu’il a commis un certain nombre d’erreurs extrêmement graves (un seul exemple : le catastrophique raid de Dieppe, qu’il a laissé lancer en août 1942) – mais tous s’accordent sur un point : qui d’autre aurait su faire, non pas mieux, mais aussi bien avec le peu d’atouts qui restaient à la Grande-Bretagne en mai-juin 1940 ?

 

La lutte à mort dans laquelle Churchill se résout à entraîner tout l’empire britannique contre l’Allemagne hitlérienne s’appuie-t-elle véritablement sur de hauts principes moraux, ou bien les arguments décisifs sont-ils plus terre-à-terre (mais certes pas moins légitimes) : perception lucide des ambitions de Hitler, du risque d’asservissement du Royaume-Uni et de l’effondrement du système d’équilibre sur le continent ?

du réalisme et des valeurs

Comme toujours, il y a vraisemblablement un peu de tout cela. Nous ne saurons jamais ce qui traversait l’esprit de Churchill quand il prenait telle ou telle décision, et ses mémoires ne sont pas d’un grand secours car nous n’avons que sa parole – or, c’était un grand manipulateur, au sens où c’était un grand séducteur d’hommes, toujours prompt à avancer l’argument décisif au bon moment. Donc, son argumentaire varie en fonction de son interlocuteur, de ce qu’il perçoit comme l’aspect le plus apte à le séduire. Quand son interlocuteur est l’électorat britannique (qui se contente d’écouter sans pouvoir répondre, mais dont le soutien tacite est capital), il joue sur la corde sensible du patriotisme, de la fierté de ne pas avoir «  vu un bivouac ennemi  » sur le sol britannique depuis 1066, avec un brin de flatterie du petit peuple renfrogné, râleur, difficile à convaincre – mais impossible à faire reculer quand il a pris une décision, ici celle de se battre. Les Britanniques n’aiment pas les grands discours moralisateurs, surtout dans la bouche de leurs hommes politiques, d’autant qu’on «  leur a déjà fait le coup  » en 14-18 du combat du bien contre le mal – et Churchill a la présence d’esprit de personnaliser le conflit en en faisant une querelle personnelle entre chaque citoyen et Hitler, incarnation non pas seulement du mal absolu dans l’abstrait, mais de tous ces importuns de par le monde qui empêchent le bon peuple britannique de vivre sa vie comme il l’entend, en toute tranquillité.

Devant ses chefs militaires ou son ministre des Affaires étrangères, il tient certes le même discours : tant qu’Hitler sera là, la Grande-Bretagne ne pourra espérer voir un monde vivable. Mais ce maître de ce que l’on appellera plus tard la géo-politique fait des calculs pour l’après-guerre dès l’effondrement de la France. Le premier de ces calculs, c’est que toute perspective de victoire ne peut être envisagée qu’avec l’entrée en guerre des États-Unis. L’alliance étant acquise en décembre 1941, il va s’agir de l’entretenir, de faire en sorte qu’une fois la victoire acquise les États-Unis ne repartent pas sur-le-champ Outre-Atlantique, en laissant la Grande-Bretagne seule face au géant soviétique dont elle a certes souhaité le triomphe sur l’Allemagne, mais dont il craint au plus haut point les volontés expansionnistes.

 

« Churchill est parfaitement sincère lorsqu’il répète, dès 1940,

qu’il veut revoir une France forte jouant un rôle de premier plan

en Europe, par francophilie mais aussi comme élément

pour assurer la sécurité britannique et l’équilibre continental. »

 

Quand il répète dès 1940 qu’il veut revoir une France forte jouant un rôle de premier plan en Europe, voire dans le monde (en Indochine, par exemple) après la victoire, il est parfaitement sincère. En partie, peut-être, pour sa francophilie indéniable, mais par-dessus tout parce qu’il a besoin d’un État-tampon entre son île et l’Allemagne, et éventuellement l’URSS.

Qui plus est, comme il l’a indiqué dans un discours resté célèbre, il «  n’a pas été nommé premier des ministres du roi pour procéder à la liquidation de l’empire britannique  » : or, les Américains, que cela soit sincère ou non, se proclament, eux qui sont si fiers d’avoir été les premiers à se libérer du joug d’un colonisateur européen, les ennemis de tous les empires coloniaux et les champions du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Objectivement, les intérêts de l’empire britannique et de l’empire français sont identiques face aux remontrances américaines, qu’il lui faut cependant faire semblant d’écouter. Et les intérêts des trois convergent devant la menace de l’expansion communiste, en Europe comme en Asie.

Churchill passera par conséquent la guerre à jongler entre les discours lénifiants destinés à flatter son auditoire, les arguments moraux, les hymnes à la liberté et les nécessités inavouables en public de la Realpolitik. Cela n’en fait pas un hypocrite, mais simplement un membre éminent des «  grands de ce monde  », qui ne peuvent sans péril pour leur pays se soustraire à ces contraintes.

 

Comment qualifier ses relations avec de Gaulle, chef des Français basés à Londres : il lui donne bien des moyens pour préserver et réorganiser de la résistance en France, parce qu’il veut coûte-que-coûte qu’un maximum de forces puissent se tenir de son côté, mais a-t-il à titre personnel estime, peut-être affection pour le Général ? Comment leurs rapports vont-ils évoluer au fil du temps ? Après Mers el-Kébir ? Après l’entrée en guerre et la montée en puissance des géants russe et américain, Staline et Roosevelt ? Qu’est-ce qui a caractérisé leurs rapports après-Guerre ?

Churchill et De Gaulle

Si peu d’ouvrages ont été exclusivement consacrés aux relations entre Churchill et de Gaulle, en revanche le nombre de «  témoignages  » plus ou moins orientés, de commentaires destinés à mettre l’un en valeur au détriment de l’autre et d’articles dictés davantage par des préoccupations nationalistes que par un souci de vérité, est considérable. Que retenir de tout cela ? Que la nature profonde de leurs rapports est inévitablement difficile, voire impossible, à cerner – et ce pour plusieurs raisons. Dans ses mémoires, de Gaulle avance que les nations ne peuvent pas avoir d’amies – leur politique doit être dictée par leurs seuls intérêts égoïstes. Churchill, moins franc ou moins provocateur, ne le dit pas : mais tout porte à croire qu’il partage cette opinion.

Ainsi, chacun des deux se voulant le meilleur porte-parole des intérêts égoïstes de son pays, tout va bien quand ces intérêts convergent – ce qui sera fondamentalement le cas la plupart du temps entre 1940 et 1945. On verra alors de Gaulle veiller tard dans la nuit, un verre de vieux cognac dans une main, sa fidèle cigarette dans l’autre, lors des interminables soirées où le Premier ministre invite à tour de rôle des hôtes étrangers de marque dans la résidence officielle de week-end des Chequers.

 

« De Gaulle faisait une fixation sur le Proche-Orient, notamment

le Liban, où il croyait voir partout et la plupart du temps

à tort des complots britanniques pour en éliminer la France. »

 

Mais les meilleurs commentateurs actuels estiment désormais que de Gaulle faisait une fixation sur le Proche-Orient, notamment le Liban, où il voyait partout et la plupart du temps à tort des complots britanniques inspirés par Churchill pour en éliminer la France. Quand les questions du Levant se posaient, c’était alors le conflit – non pas vraiment entre les deux hommes, mais bien plutôt entre les intérêts de leur pays perçus par chacun. Ce n’était pas véritablement à Churchill en tant qu’homme que de Gaulle s’opposait, mais à la volonté de l’empire britannique de «  pousser ses pions  » à travers lui au détriment de l’empire français, dont de Gaulle se considérait alors comme l’unique protecteur de poids. En renversant les rôles, on explique alors facilement la scène houleuse du 4 juin 1944, où un Churchill en rage lance à de Gaulle qu’il choisira toujours Roosevelt contre lui : les intérêts supérieurs de la Grande-Bretagne sont alors de ne rien faire qui puisse introduire la moindre fausse note dans l’harmonie anglo-américaine indispensable à la réussite du Débarquement. En se proclamant chacun les champions uniques d’une cause qui de par l’importance de leur pays à l’échelle mondiale les dépassait largement, ils semaient de facto les graines d’un conflit entre eux en tant qu’hommes alors qu’il s’agissait bien davantage d’un conflit entre les deux empires.

Autant qu’on puisse en juger, car là encore on ne peut pénétrer dans l’âme d’autrui, l’estime qu’ils avaient l’un pour l’autre était considérable, même si pour des raisons d’État telles qu’ils les percevaient, elle était occasionnellement éclipsée par des querelles fracassantes auxquelles la presse et la TSF donnaient un retentissement encore plus grand. Churchill a dû comprendre qu’il avait fait le bon choix en pariant en juin 1940 sur de Gaulle quand quelques semaines plus tard, au moment de la tragédie de Mers el-Kébir, le général prit publiquement la parole avec une grande dignité pour à la fois faire part de son émotion devant ce gâchis et surtout ces victimes innocentes qu’étaient les équipages et indiquer qu’il était conscient que les autorités de Vichy n’avaient laissé d’autre issue à Churchill.

Leur bonne entente culminera au cours de la guerre lors de la grande cérémonie du 11 novembre 1944 dans le Paris récemment libéré, où Churchill est l’invité d’honneur – de Gaulle pour sa part jouissant de son statut tout juste reconnu par les Anglo-Américains (à l’initiative de Churchill, qui avait fini par emporter le consentement d’un Roosevelt fort réticent) de chef du gouvernement provisoire de la République Française. Quand à Yalta Churchill obtiendra pour la France, face à un Roosevelt indifférent et un Staline sceptique, à la fois un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et une zone d’occupation en Allemagne prélevée sur la portion britannique, on pourra estimer comme de Gaulle que Churchill n’a fait là que servir les intérêts bien compris de la Grande-Bretagne à long terme. La gratitude n’existant pas selon de Gaulle entre les nations, il n’en montrera alors pas la moindre vis-à-vis de Churchill.

Viendra pour les deux une «  traversée du désert  », de six ans pour Churchill, de douze pour de Gaulle. Les retrouvailles, avec la remise en novembre 1958 de la croix de la Libération à un Churchill qui n’est plus aux affaires, seront plus que chaleureuses. Après deux autres rencontres, à Londres et à Nice au début des années 1960, ce sera le lent déclin, puis la disparition de Churchill en janvier 1965. Venu pour les funérailles nationales de Churchill dans sa tenue de général, le président de la République Française adressera à la reine d’Angleterre le message protocolaire de rigueur, avec une formule admirative d’une magistrale concision, qui résume tout : « Dans ce grand drame, il fut le plus grand ».

 

De Gaulle et Churchill

C. de Gaulle remettant la croix de la Libération à W. Churchill, en 1958.

Photo © Keystone Pictures USA

 

Est-ce que, comme il est suggéré dans le film Churchill, le désastre de la bataille de Gallipoli durant la Première Guerre mondiale a rendu Churchill très frileux par rapport à la perspective d’un débarquement allié en Normandie ?

Churchill et le projet de débarquement

Les Dardanelles, c’est comme les rapports avec son père : la bouteille à l’encre, une bénédiction pour quiconque se pique de psychologie – freudienne dans le deuxième cas – et s’embarque dans la rédaction d’un livre ou le tournage d’un film sur Churchill où cela explique tout. Inutile de dire que les choses sont infiniment plus compliquées. Un seul fait est certain : Churchill a toute sa vie entretenu le douloureux souvenir du désastre des Dardanelles (1915) – non pas tant l’hécatombe militaire, ce que lui reprocheront toujours les Australiens et Néo-Zélandais, dont les troupes ont proportionnellement subi les pires pertes, que l’injustice perçue de l’accusation de légéreté dirigée contre lui. On discute encore parmi les experts d’histoire militaire pour savoir où se situent les responsabilités de l’échec, et quelle part attribuer à Churchill. Là en fait n’est pas la question : Churchill estimera toujours qu’en le traitant comme un malpropre, ses adversaires ont commis une inexcusable injustice à son égard devant l’histoire. Dans le film Churchill de Jonathan Teplitzky, cela tourne à l’obsession : c’est évidemment une grossière exagération, comme l’est sa panique de dernière minute à la veille du Débarquement.

 

« Churchill craignait des pertes considérables les premiers jours

du Débarquement, et il fut agréablement surpris au soir

du 6 juin 1944 d’apprendre que les pertes humaines

avaient été inférieures aux prévisions. »

 

Reste que Churchill avait insisté auprès de Roosevelt pour qu’on ne lance pas une offensive mal préparée, où les assaillants se feraient décimer sur les plages. Mais d’une part, il y avait le massacre de Dieppe de 1942 tout frais dans sa mémoire (les Américains n’y avaient pas participé) et d’autre part il s’était rendu à la raison à l’automne 1943 et n’avait jamais depuis tenté de remettre en question la décision de procéder au Débarquement en mai ou en juin 1944. Tout est donc faux dans l’extrapolation que fait le film à partir du souvenir de Gallipoli. Reste un point parfaitement avéré : Churchill craignait des pertes considérables les premiers jours, et il est agréablement surpris au soir du 6 juin 1944 d’apprendre que non seulement les alliés ont fermement pris pied sur le sol français, mais de surcroît avec des pertes humaines inférieures aux prévisions.

 

Est-il vrai, comme suggéré également par le même film, qu’il avait songé sérieusement à prendre part au Débarquement, aux côtés des marins et militaires britanniques, aux côtés du roi George VI ? Et qu’il a renoncé, après avoir été raisonné par le souverain ("Si nous mourons tous les deux, ce serait une catastrophe pour la cause que nous défendons") ?

Churchill, dans le Débarquement ?

L’épisode – que l’on retrouve dans plusieurs (télé)films – du petit jeu entre Churchill, le roi, et leurs conseillers est parfaitement véridique. De fait, le 16 mai, Churchill demande à l’amiral responsable des opérations navales de lui réserver une place dans un croiseur pour qu’il puisse lui aussi y assister. L’entourage de Churchill, mis en alerte, organise aussitôt un complot avec la complicité du roi – le seul à pouvoir le faire renoncer. S’ensuit tout un scénario d’intrigues bien intentionnées entre les protagonistes, à l’insu de Churchill, évidemment. Une première lettre du roi, rédigée le 31 mai, contient en substance les propos que vous citez, mais elle ne réussit qu’à le faire changer d’avis sur un point  : il embarquera seul, sans le roi. La lettre décisive du roi, datée du 2 juin, rédigée par ses conseillers, est un petit bijou d’appel au « fair play » du Premier ministre : puisque le souverain n’a pas été autorisé à partir par les chefs militaires, ce ne serait pas juste que le Premier ministre soit de la fête sans lui. Churchill s’incline à regret, mais il s’incline.

 

Churchill and the Royals

W. Churchill en compagnie du roi George VI et de la reine, en 1940.

 

Churchill a-t-il eu des problèmes d’addiction à l’alcool, et si oui, a-t-on connaissance de conséquences que cela aurait pu avoir sur sa vie, publique comme privée ?

Churchill et l’alcool

La question de Churchill et l’alcool constitue une autre bouteille à l’encre, sans mauvais jeu de mots. Non seulement des quantités de demi-vérités ont toujours été colportées sur le sujet, mais Churchill lui-même est souvent intervenu dans le débat – soit par des «  bons mots  », soit par de vraies ou fausses confidences, soit par des mises en scène délibérées destinées à entretenir sa légende. Dans la première catégorie on trouve : «  Quand j’étais jeune, j’avais pour règle de ne jamais boire avant le déjeuner – maintenant, ma règle c’est de ne jamais boire avant le petit-déjeuner  ». Dans la deuxième (à son médecin) : «  J’essaie de réduire l’alcool. J’ai arrêté le cognac [silence et sourire] – et je prends du Cointreau à la place  ». Enfin, ses domestiques ont révélé plus tard que l’éternel verre de whisky qui trônait sur sa table de nuit – même à l’hôpital – contenait infiniment plus d’eau que de whisky, et qu’il le sirotait à toutes petites gorgées pour le faire durer. Bien sûr les visiteurs ne manquaient pas de remarquer ce qui était en fait un manège pour leur faire croire qu’il ingurgitait des quantités considérables d’alcool à longueur de journée. Ils s’étonnaient alors de ne voir chez lui aucun signe d’ébriété.

 

« Churchill buvait certes énormément, notamment pendant

les repas, mais sa résistance à l’ivresse était hors du commun.

On ne l’a jamais vu rouler sous la table. »

 

C’est exact qu’il buvait énormément à table, principalement du champagne (midi et soir) et passait ensuite de longues soirées arrosées de vieux cognac. Mais sa résistance à l’ivresse était hors du commun et on ne l’a jamais vu rouler sous la table. Il était certes alcoolique dans le sens où il était alcoolo-dépendant – mais sa dépendance ne le conduisait pas à la dépression : il soutenait au contraire que l’alcool avait un effet roboratif, tonifiant et stimulant pour lui. «  J’ai tiré plus de l’alcool que l’alcool n’a tiré de moi  », aimait-il à proclamer : lui seul aurait pu dire si c’était une bravade provocatrice ou la conclusion qui s’imposait à lui à la suite d’une longue vie bien arrosée. Un fait est certain : il n’est pas mort de cirrhose du foie mais de thrombose et artériosclérose cérébrales conjuguées à une congestion pulmonaire.

 

A-t-il connu des instants véritables d’abattement ? A-t-il songé au suicide ?

la tentation du suicide ?

Deux passages à vide sont absolument indiscutables : mai 1915, lorsqu’il est limogé de l’Amirauté à la suite de l’enlisement aux Dardanelles ; et juillet 1945, lorsqu’il prend connaissance du désastre électoral qui l’élimine du pouvoir. Dans les deux cas, outre l’humiliation, il y a la crainte de l’inactivité, que Churchill, «  hyperactif  » comme on dit de nos jours, ne supportait pas. Son entourage redoutait le jour où il serait contraint par l’âge de quitter les affaires – ce qui se fit en 1955. Le remède infaillible, même s’il prend du temps, c’est le soleil de la Méditerranée, en septembre 1945 comme en avril 1955.

 

« Il avouait ne jamais attendre un train trop près du quai

au cas où une subite impulsion morbide l’aurait poussé à

se jeter sous les roues de la locomotive qui approchait. »

 

Il avait peur de la tentation du suicide, et il avouait ne jamais attendre un train trop près du quai au cas où une subite impulsion morbide l’aurait poussé à se jeter sous les roues de la locomotive qui approchait. À l’inverse, au cours des multiples combats auxquels il a participé dans sa jeunesse, et jusqu’à la quarantaine dans les tranchées, en y frôlant la mort à plusieurs reprises, il se révèle comme un risque-tout, un trompe-la-mort qui ignore la peur de se faire tuer : le «  feu de l’action  » ne lui laisse aucun répit qui pourrait conduire à des réflexions existentielles. Ce «  feu de l’action  », au sens propre comme au sens figuré, est de toute évidence pour lui nécessaire à son équilibre psychologique.

 

Est-ce qu’à Yalta, Churchill a été clairvoyant quant aux intentions de Staline ? A-t-il, par réalisme, « trahi » la Pologne avec Franklin Roosevelt ?

Churchill, Staline, et la Pologne

Les accords de Yalta continuent d’alimenter commentaires savants et polémiques orientées, et il est inévitable que Churchill, l’un des «  Trois Grands  » de la conférence, soit lui aussi au cœur des controverses qui se poursuivent. Il expliquera lui-même dans ses mémoires – et tout porte à le croire – qu’il n’avait d’autre choix que de faire le pari que Staline tiendrait parole quand il promettait le retour à des élections libres dans la Pologne libérée et restaurée dans de nouvelles frontières. Toute l’histoire de l’humanité, fait-il valoir, démontre que la possession militaire du sol vaut possession politique. Là où l’armée Rouge était indélogeable, tout reposerait sur la bonne volonté des Russes (Churchill ne disait jamais «  Soviétiques  » en dehors des contraintes diplomatiques et protocolaires). Que veut dire «  trahir la Pologne  », comme l’en accusaient les «  Polonais de Londres  » comme les Soviétiques les appelaient désormais, par opposition aux Polonais prosoviétiques mis en place par l’armée Rouge à mesure qu’elle «  libérait  » le pays ?

 

« Au printemps 1945, Churchill fit étudier la possibilité d’un

retournement d’alliances pour une croisade antibolchévique,

mais, inconcevable militairement comme politiquement,

l’initiative, évidemment ultra-secrète, fit long feu. »

 

Churchill était parfaitement conscient que jamais les Soviétiques n’accepteraient volontairement la présence d’un gouvernement anticommuniste et anti-russe sur leur frontière – or, accepter des élections libres, c’était assurer une majorité conservatrice et donc hostile. On apprit plus tard qu’en fait Churchill n’était pas resté inactif au printemps de 1945 : il avait fait étudier la possibilité d’un retournement d’alliances, les Anglo-Américains libérant dans cette hypothèse tous leurs prisonniers allemands pour qu’ils se joignent à eux dans une croisade antibolchévique. Baptisée «  Operation Unthinkable  » (Opération Impensable), cette initiative évidemment ultra-secrète fit long feu. D’une part les responsables militaires faisaient valoir l’écrasante supériorité de l’armée Rouge en hommes et en chars, de l’autre ses conseillers politiques objectaient que l’opinion publique ne suivrait pas, vu l’immense prestige dont jouissait l’héroïque peuple russe en 1945 à la suite de tous ses sacrifices. Churchill n’avait donc plus comme issue que de s’en remettre au bon vouloir de Staline : nulle fourbe trahison là, mais perception réaliste du rapport de forces en Europe au sortir de la guerre, qui prendra plus de quarante ans à s’inverser.

 

 

Yalta

Churchill, Roosevelt et Staline à Yalta, 1945.

 

En 1945, sa majorité est renversée lors d’élections qui propulsent le travailliste Clement Attlee au 10 Downing Street. Peut-on dire qu’à ce moment-là, il n’a pas su sentir ce qu’étaient les aspirations profondes du peuple britannique tout juste sorti d’une guerre épuisante ? Qu’il était sur les questions intérieures un conservateur manquant de souplesse ? Qu’il a été meilleur chef de guerre que chef de temps de paix ?

Churchill comme dirigeant de pays en paix ?

Alors qu’on discute encore des actions militaires et diplomatiques de Churchill pendant la guerre, la cause est depuis longtemps entendue sur son action en matière de politique intérieure entre 1940 et 1945 – action qui conduira à son éviction. On est très vite tenté de dire «  qui conduira logiquement à son éviction  ». Tout indiquait en fait que Churchill était hostile à ce qu’il voyait comme une «  utopie  » ou un «  Eldorado  » proposé par des idéalistes qui «  brassaient de l’air  » dès les premiers éléments concrets de plans de «  Reconstruction  » (au sens propore comme au sens figuré), publiés en décembre 1942, où l’on envisageait la création à la fois d’un État-Providence et d’un Service national de santé accessible à tous, ainsi que la mise en œuvre des idées de Keynes pour éliminer le chômage, notamment «  l’économie dirigée  » et «  l’économie mixte  » accompagnées d’une acceptation provisoire du déficit budgétaire qui selon lui serait comblé lors du retour à la croissance soutenue.et donc au plein emploi. Logiquement, donc, les classes populaires avaient tout intérêt aux législatives de juin 1945 à voter pour le Parti travailliste, qui promettait de traduire ces projets de «  Reconstruction  » en institutions bien réelles, et non pour le Parti conservateur emmené par un Churchill, certes au faîte de sa gloire, mais bien décidé à prolonger l’austérité au nom du refus du désarmement face aux Soviets et de la défense des possessions impériales menacées par des courants nationalistes qu’il exécrait.

 

« Après sa défaite électorale de 1945, Churchill laissera à des

conservateurs plus jeunes et plus souples le soin d’adapter

la doctrine du parti aux nouvelles problématiques sociales

pour éviter qu’il ne soit exclu perpétuellement des affaires. »

 

L’erreur de tous les observateurs de l’époque – y compris les experts électoraux travaillistes – avait été de surestimer le prestige de Churchill chef de guerre qui, pensait-on, bouleverserait cette logique et lui ferait gagner les élections malgré son lourd handicap sur les questions sociales. Aussitôt les résultats connus, tout le monde s’est aperçu de son erreur – Churchill au premier chef, qui retiendra l’amère leçon et laissera les conservateurs plus jeunes et plus souples que lui adapter la doctrine pour que leur parti ne soit pas à jamais condamné à la défaite. De sa défaite cuisante de juillet 1945 à sa démission volontaire d’avril 1955, il leur laissera dans les faits carte blanche pour «  acheter la paix sociale  », au prix de toutes les dérives budgétaires, comme le dénoncent aujourd’hui a posteriori ses adversaires «  thatchériens  ».

 

Churchill a-t-il été un combattant d’arrière-garde sur l’affaire, gigantesque pour le Royaume-Uni d’après-guerre, de la décolonisation ? Quel fut son sentiment quant à la perspective d’une indépendance de l’Inde et du Pakistan ?

Churchill et l’impérialisme

Churchill lui-même se proclamait fièrement «  victorien  » – après tout, il avait 25 ans quand la souveraine est morte : ses schémas mentaux étaient évidemment déjà en place. Si l’on y ajoute que son premier poste de militaire de carrière l’a conduit aux confins des Indes face aux redoutables «  insoumis  » de la frontière afghane, qu’il a obtenu d’en être détaché pour pouvoir aller combattre les musulmans soudanais en révolte au sud de l’Égypte, puis qu’il a été fait prisonnier par les Boers lors d’une sanglante embuscade en Afrique du Sud avant de quitter l’uniforme – le tout dans les dernières années de règne de Victoria (1837-1901), on comprend que l’empire britannique à son heure de gloire de la fin du XIXe siècle n’était pas pour lui une abstraction livresque, mais un ensemble de territoires bien réels qu’il fallait en permanence défendre pied à pied : il parle souvent du «  tribut du sang  » que payaient les Britanniques pour asseoir leur domination.

 

« Cette tutelle, Churchill en avait l’intime conviction,

n’était pas égoïste : elle était dans l’intérêt de ces

"peuplades barbares" elles-mêmesIl soutiendra jusqu’à

sa mort que la colonisation concilie les intérêts bien compris

du colonisateur britannique et du colonisé "indigène". »

 

Cependant, à ses yeux, cette tutelle n’est pas égoïste : au contraire, elle est dans l’intérêt de ces «  peuplades barbares  » elles-mêmes. Churchill avait lu Gibbon, Adam Smith, Malthus et Darwin entre deux confrontations avec les «  rebelles  » quand il était posté aux Indes. Il est presque contemporain de Kipling (1865-1936), qui lance la formule du «  fardeau de l’homme blanc  » en 1899 – concept auquel Churchill souscrit totalement. Il ne va pas jusqu’à dire que la colonisation est désintéressée : il soutiendra en revanche jusqu’à sa mort qu’elle concilie les intérêts bien compris du colonisateur britannique et du colonisé «  indigène  ». Chez Gibbon et Darwin, il puise l’idée que les civilisations sont périssables (Gibbon) et que seules celles qui sont les plus aptes à suivre le progrès des techniques et des lumières pourront survivre (Darwin) : il est clair en 1900 que la Grande-Bretagne répond aux critères «  darwiniens  » tels que les impérialistes victoriens les ont façonnés (on sait qu’en fait Darwin ne parlait pas des civilisations, mais seulement des espèces animales), alors qu’avec leur démographie galopante, les «  populations arriérées  » sont vouées à l’extinction par famine si rien n’est fait pour les préserver de leurs errements (Malthus). Par ailleurs, il suit Adam Smith à la fois dans son idée que le progrès passe par la libération de l’initiative potentielle qui sommeille en chaque individu – les règles tribales ancestrales maintenant le primitif dans un carcan obscurantiste d’où il ne pourra jamais sortir – et dans celle selon laquelle l’intérêt général n’est que la somme des intérêts individuels quand on leur donne libre cours.

Pour Churchill, les Britanniques – qui sont pourtant selon lui les premiers au monde à y être parvenus – ont mis des siècles traversés de sanglantes luttes internes pour trouver tant bien que mal les règles de gouvernement qui garantissent à peu près paix civile, liberté politique et prospérité relative à tous les habitants du pays. Comment espérer que des territoires qui pour certains vivent encore à l’âge de pierre ou presque puissent du jour au lendemain se voir confier une indépendance fondée sur les canons du «  Westminster Model  », un homme-une voix ?

Certes, les Britanniques apportent chaque jour scolarisation et adoucissement des mœurs auprès de ces miséreux – mais vu leur nombre et l’ampleur de la tâche, on ne peut envisager ni autonomie ni a fortiori indépendance dans un avenir prévisible : ce serait livrer ces populations à la loi du plus fort, du plus cruel, du moins scrupuleux, les soumettre à un nouvel esclavage dont beaucoup ont été tirés en ce XXe siècle naissant.

Viennent s’y greffer les rivalités ancestrales, ethniques et religieuses, auxquelles la Pax Britannica avait imposé une trêve, l’exemple le plus frappant étant les Indes (qui englobaient Ceylan et la Birmanie) avec leurs multitudes de groupes toujours prêts à s’entretuer. Churchill se gardera bien de tenir des propos triomphants quand éclateront les massacres liés à l’indépendance et à la partition des Indes en 1947, et il avait fini par céder, résigné, à la pression des dirigeants plus jeunes qui l’entouraient pour annoncer in extremis que le Parti conservateur allait entériner la législation travailliste qui conférait l’indépendance à l’ancien Raj. La mort lui épargnera de voir entre autres les crimes d’Amin Dada en Ouganda (colonie à laquelle il promettait un avenir radieux dans l’empire quand il l’a visitée en 1907) ou la perpétuation des massacres de Tamouls à Ceylan. On peut supposer qu’il avancerait que ses refus constants jusqu’à 1947 d’accepter l’accession à l’indépendance de peuples non encore formés à établir des institutions durables autres que fondées sur la violence permanente n’étaient en aucune façon un combat d’arrière-garde, mais un combat humanitaire pour protéger le faible contre le fort.

 

Quels sentiments, au fond, vous inspire Churchill ? Quelle est l’image que vous vous êtes forgée de lui ?

Churchill, d’après vous ?

Vaste question ! La première idée qui me vient, c’est le jugement du maréchal Alanbrooke, chef suprême des armées britanniques, qui côtoyait Churchill tous les jours pendant la guerre, et qui écrit dans ses Carnets publiés dix ans après : «  c’est de loin l’homme le plus difficile avec qui j’aie été amené à travailler, mais pour rien au monde je n’aurais raté la chance de travailler auprès de lui  ». Je me permettrai de le paraphraser en disant que Churchill a constitué de loin le sujet le plus difficile sur lequel j’aie été amené à travailler mais que pour rien au monde je n’aurais raté la chance de travailler sur lui.

 

« Ce qui, au-delà de tout "présentisme", exaspère, c’est la vaniteuse

confiance en lui dont il a fait preuve à de multiples reprises,

se comportant en goujat. Mais le plus souvent il regrettait de s’être

laissé emporter par la passion, et faisait amende honorable. »

 

Dans ces mêmes Carnets, il a aussi écrit : «  Jamais je n’ai simultanément admiré et méprisé un homme à un tel point. Jamais de tels extrêmes contraires n’ont coexisté chez le même être humain  ». De fait, Churchill exerce une sorte de fascination sur quiconque passe du temps à étudier les multiples facettes de sa personnalité, de son action et de ses écrits ; mais en même temps on peut éprouver une certaine répulsion face aux défauts criants de la cuirasse. Je ne parle pas des accusations faciles pour les adeptes du «  présentisme  », le travers qui consiste à juger les hommes du passé à l’aune de nos critères actuels : raciste, nationaliste, ultra-patriote, militariste, belliciste, anti-féministe, anticommuniste primaire, sybarite, dépensier avec l’argent des autres, écornifleur, expert dans l’art de l’évasion fiscale, buveur invétéré, gros fumeur même en présence de non-fumeurs, élitiste, ouvertement méprisant vis-à-vis des pas-doués et des incultes – bref un sale réactionnaire à l’égotisme démesuré. Non, ce qui exaspère au-delà de tout «  présentisme  », c’est la vaniteuse confiance en lui : «  nous sommes tous des vers, mais moi je suis un ver luisant  », déclara-t-il tout de go à sa voisine de table au cours de sa jeunesse. On a mille témoignages de situations où il s’est comporté comme un goujat – et ce aussi bien face à des gens du peuple qu’à de hauts personnages. Mais le plus souvent il regrettait de s’être laissé emporter par la passion et son tempérament impétueux et il faisait amende honorable en envoyant un télégramme d’excuses ou un bouquet de fleurs peu après en espérant se faire pardonner – ce qui était le plus souvent le cas.

Nous ferons comme les personnes offensées qui passaient sur ses écarts d’humeur : nous jugerons qu’il avait les défauts de ses qualités et qu’à côté de ses dons et qualités hors du commun les défauts apparaissaient certes irritants, mais comme la rançon à payer pour qu’il reste humain. «  Nobody’s perfect  » – et c’est tant mieux.

 

Quels sont vos envies, vos projets pour la suite, Antoine Capet ?

Je ne veux surtout pas les divulguer – j’ai trop peur qu’on me vole mes bonnes idées d’ouvrages à venir sur Churchill ! Une exception, cependant : je suis très désireux de proposer une édition du Dictionnaire adaptée pour un lectorat anglophone. J’y suis encouragé par mes collègues et amis churchilliens d’Outre-Manche et d’Outre-Atlantique qui l’ont lu ou parcouru – selon leur degré de compréhension du français. Des pourparlers sont en cours avec un éditeur prestigieux, qui a soumis le projet à son comité de lecture pour avis. J’attends le verdict : nous verrons bien.

 

Antoine Capet

Antoine Capet.

Un événement à noter, le 26 mai au Salon du Livre de Caen.

 

Un dernier mot ?

Oui – ce sera pour mettre en garde tous vos lecteurs contre toutes les choses fausses qui circulent sur Churchill. Ce n’est pas la peine d’inventer des «  bons mots  » de toute pièce ou de lui attribuer ceux qu’il a empruntés à d’autres : les authentiques traits d’esprit churchilliens sont assez nombreux et savoureux comme cela. Ce n’est pas la peine non plus d’inventer des péripéties amusantes ou émouvantes autour de sa personne : sa longue existence en est suffisamment riche pour remplir des ouvrages aussi épais que le Dictionnaire. Il faut donc toujours tout vérifier avant d’avancer quoi que ce soit sur Churchill – et ce n’est pas une mince affaire vu l’ampleur de la «  désinformation  » hagiographique, malveillante, ou simplement ignorante, qui entoure le personnage.

 

Churchill V

Cheers, Mr Capet ! À la vôtre !

 

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