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Paroles d'Actu

5 juin 2017

Olivier Da Lage : « C'est un quasi-blocus qui frappe le Qatar... »

Olivier Da Lage, journaliste à Radio France internationale, est spécialiste des questions géopolitiques touchant au sous-continent indien (voir sa publication récente, L’Inde : désir de puissance, chez Armand Colin, 2017) et à la péninsule arabique (il est auteur notamment des ouvrages Qatar, les nouveaux maîtres du jeu, Démopolis, 2013, et Géopolitique de l’Arabie saoudite, éd. Complexe, 2006). Alors que nous apprenions, ce matin, la décision collective et unilatérale de rupture par l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et Bahreïn de leurs relations diplomatiques avec le Qatar (information lourde de sens s’il en est), j’ai souhaité poser quelques questions à M. Da Lage. Je le remercie vivement d’avoir accepté de se prêter à l’exercice, d’autant plus que le timing ne lui était pas favorable ; c’est sa quatrième participation à Paroles d’Actu (après une interview sur l’Inde en mars 2017, une tribune sur le terrorisme islamiste en juillet 2016 et un échange sur... l’Arabie et le Qatar, en janvier 2016). Des réponses pour décrypter, un article pour éclairer une situation obscure et complexe, toujours... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Olivier Da Lage: « C’est un

quasi-blocus qui frappe le Qatar... »

Entretien réalisé le 5 juin 2017.

 

Qatar

Illustration : drapeau du Qatar. Source : aawsat.com...

 

Paroles d’Actu : Olivier Da Lage bonjour. L’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et Bahreïn viennent d’annoncer, et l’information a tout du séisme, la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de « soutien au terrorisme », y compris al-Qaïda, le groupe État islamique, le Hamas et les Frères musulmans. Comment réagissez-vous, à chaud, vous qui connaissez bien la région ? Est-ce une vraie surprise ?

la rupture, une surprise ?

Olivier Da Lage : Oui et non. Non, car la tension entre le Qatar et ses voisins dure maintenant depuis longtemps. Pratiquement depuis 1995, en fait. En 2014, plusieurs monarchies du Golfe avaient même retiré leurs ambassadeurs pendant neuf mois pour se plaindre du soutien du Qatar aux Frères musulmans et au Hamas, jusqu’à ce que Doha cède, du moins en apparence. Mais depuis plusieurs mois, on voyait bien que la ligne du Qatar, qui refuse de rompre avec l’Iran et qui continue de témoigner une certaine bienveillance, pour ne pas dire un soutien à la mouvance frériste, irritait au plus haut point l’Égypte, l’Arabie saoudite, et les Émirats arabes unis. Quant à Bahreïn, dont le pouvoir est (discrètement) proche des Frères musulmans, il est violemment hostile à tout rapprochement avec l’Iran, considéré comme l’organisateur de l’opposition chiite à la dynastie sunnite des al-Khalifa au pouvoir à Bahreïn.

« Rompre les relations diplomatiques est une

décision grave, belliqueuse ; il n’y a qu’une

étape suivante, c’est la guerre... »

Mais oui, car rompre les relations diplomatique est infiniment plus grave que de retirer ses ambassadeurs. C’est une décision belliqueuse que l’on réserve en principe à un ennemi. Il n’y a qu’une une étape suivante et c’est la guerre. Or, le Qatar est membre fondateur, avec les autres monarchies de la Péninsule arabique, du Conseil de coopération du Golfe (CCG) créé en 1981 et il fait partie de l’alliance militaire dirigée par l’Arabie saoudite qui intervient au Yémen contre les rebelles houthis.

Enfin, la décision prise va même au-delà de la simple rupture des relations diplomatiques et s’apparente à un quasi-blocus puisque les voisins du Qatar bloquent ses frontières terrestres (il n’y en a qu’une : avec l’Arabie), maritimes, et aériennes ce qui revient pratiquement à empêcher Qatar Airways de fonctionner.

 

PdA : La tiédeur de Doha dans la lutte sans merci qu’entend livrer l’Arabie saoudite, championne autoproclamée des sunnites dans la région, à l’influence grandissante de l’Iran chiite, semble avoir pesé lourd dans la décision de ce jour. Peut-on expliquer le non-alignement du Qatar sur les positions de Riyad, tout simplement par une volonté de ne pas se laisser enfermer dans des luttes d’influence destructrices, par une volonté de continuer à parler et à échanger avec tout le monde, ou bien y a-t-il, derrière, des manoeuvres, des calculs moins honorables de la part du Qatar ?

le Qatar, pays non-aligné, ou des eaux plus troubles ?

O.D.L. : Il y a les deux. Mais même si l’on n’est pas obligé de croire sur parole toutes les explications données à Doha, et si le comportement du Qatar vis-à-vis de certains groupes jihadistes en Syrie et en Irak est discutable (mais il ne se différencie pas sur ce sujet de celui de l’Arabie ou de Bahreïn), tout le monde peut comprendre deux facteurs expliquant la politique de Doha :

• Le Qatar partage avec l’Iran l’exploitation d’une gigantesque poche de gaz naturelle se trouvant sous les eaux du Golfe et ne peut donc se permettre d’avoir des relations d’hostilité avec l’Iran ;

« Le Qatar refuse d’être réduit au rôle

de satellite de l’Arabie saoudite »

• Il ne veut pas être réduit au rôle de satellite de l’Arabie saoudite et à tenté depuis vingt ans de s’en différencier en recourant au soft power que ses ressources lui permettent de déployer, dans un premier temps avec talent et efficacité, et, depuis les Printemps arabes de 2011, plus maladroitement et avec des résultats beaucoup plus discutables.

 

PdA : L’accusation de « soutien au terrorisme » portée contre le Qatar dans les termes utilisés par les communiqués en question vous paraît-elle outrancière ou justifiée ? Et si elle est justifiée, la France doit-elle en tirer des conséquences franches quant aux rapports qu’elle entretient avec Doha ? La question vaut aussi pour la Coupe du monde de football 2022, organisée comme chacun sait au Qatar...

le Qatar, sponsor du terrorisme ?

« De ce point de vue, l’Arabie saoudite peut

difficilement se poser en donneuse de leçons »

O.D.L. : Elle est très discutable, malgré les ambiguïtés déjà mentionnées. Et, de ce point de vue, l’Arabie Saoudite peut difficilement se poser en donneuse de leçons. Mais il est vrai que la pression actuelle est pratiquement insupportable pour le Qatar, en partie de son propre fait, mais pas seulement. Dans ces conditions, il n’est pas certain que la Coupe du monde pourra bien avoir lieu comme prévu en 2022 car en ce domaine, Doha doit également affronter les critiques des syndicats et des ONG de défense des droits de l’Homme.

 

PdA : Est-on en train d’assister à votre avis à un rebattement profond des cartes du jeu diplomatique dans la région moyen-orientale ? Pour parler clair : le Qatar va-t-il, de facto, intégrer une zone d’influence iranienne qui n’était pas nécessairement la sienne jusqu’à présent, et quelles conséquences prévisibles cela aurait-il ?

région : vers un bouleversement ?

O.D.L. : Impossible de prévoir les conséquences de ce qui vient de se passer, mais elles sont potentiellement très graves. C’est un avertissement pour tous les pays musulmans qui, comme Oman, le Pakistan, l’Indonésie ou la Malaisie, refusent de s’aligner sur la politique agressive suivie par Riyad depuis deux ans. Mais de là à imaginer un alignement du Qatar sur l’Iran, non, je ne le crois pas du tout.

« Il est très possible que l’Arabie et les Émirats

s’activent pour fomenter un coup d’État

familial au Qatar, des signes vont dans ce sens... »

Il est très possible, en revanche, que l’Arabie et les Émirats s’activent pour fomenter un coup d’État familial au Qatar où tout le monde n’est pas nécessairement favorable à la politique d’indépendance de l’émir. Il’y a des signes qui vont dans ce sens.

 

Olivier Da Lage

Olivier Da Lage est journaliste à Radio France internationale, spécialiste

du sous-continent indien et de la péninsule arabique. 

 

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29 mai 2017

Frédéric Salat-Baroux : « Les habits de la Vème République semblent convenir parfaitement à Emmanuel Macron »

Frédéric Salat-Baroux fut, entre 2005 et 2007, de par sa position de secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de Jacques Chirac, un des personnages les plus puissants de l’État. Il a depuis lors fait bifurquer son parcours vers le privé, vu et appris de nouvelles choses, étoffé sa "pensée" du monde, du monde et de notre pays. Le 20 juillet dernier, à l’occasion de la parution de son ouvrage La France EST la solution (Plon, 2016), riche tour d’horizon des maux de la France d’aujourd’hui et programme clé en main pour y remédier, M. Salat-Baroux avait longuement répondu à mes questions pour Paroles d’Actu. Le contact a été maintenu, et c’est tout naturellement que j’ai eu envie dinterroger ce proche d’Alain Juppé sur la dernière élection présidentielle, sur le sens qu’il lui donne et sur le regard qu’il porte sur le nouveau Président. Merci à lui d’avoir accepté une nouvelle fois de se prêter à l’exercice, et pour ses réponses... Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Frédéric Salat-Baroux: « Les habits

de la Vème République

semblent convenir parfaitement

à Emmanuel Macron »

Q. : 15/05/17 ; R. : 21/05/17.

 

Emmanuel Macron

Emmanuel Macron lors de son investiture en tant que président de la République,

le 14 mai dernier. Source de l’illustration : médias.

 

Paroles d’Actu : Frédéric Salat-Baroux bonjour, je suis ravi de vous retrouver dans les colonnes de Paroles d’Actu. Le 7 mai, Emmanuel Macron a donc remporté l’élection présidentielle face à Marine Le Pen au terme d’une campagne inédite voire folle à bien des égards. Quelle lecture faites-vous de l’événement, et de manière peut-être plus personnelle, quel est votre ressenti ?

la présidentielle de 2017

Frédéric Salat-Baroux : Contrairement à ce qui a pu être dit, la campagne présidentielle a été terriblement forte de sens.

Les Français ont exprimé des messages particulièrement clairs et radicaux :

- la volonté de tourner la page d’une classe politique en situation d’échec ;

- une interrogation profonde face à une Europe qu’ils vivent comme destructrice d’emplois et dure aux faibles ;

- comme lors de la campagne américaine avec les thématiques de Trump et Sanders, un rejet d’un système capitalisme qui tourne fou en concentrant la richesse sur une micro élite et qui appauvrit désormais les classes moyennes ;

- une identité blessée.

Ils auraient pu y ajouter l’ubérisation, géniale en terme de progrès, mais qui porte le danger d’un terrible retour au chacun pour soi social.

C’est logiquement que la campagne présidentielle a conduit à la cristallisation des électeurs sur des projets de type révolutionnaire : ceux des extrêmes mais aussi celui d’Emmanuel Macron, qui s’est différencié des autres par sa dimension constructive et non pas destructrice.

« Les Français ont fait une ultime fois

le choix de la raison... s’ils ne sont pas entendus,

la prochaine fois, ce sera le Front national... »

Les Français ont fait une ultime fois le choix de la raison. Mais le message adressé aux élites est très clair : si vous n’entendez pas notre souffrance, la prochaine fois ce sera la souffrance pour tous. Ce sera le Front national.

 

PdA : Dans une tribune que vous aviez écrite avant le second tour sur le site de l’Opinion, vous déclariez ceci : « L’intérêt de la France, notre honneur républicain, notre capacité à pouvoir nous rebâtir demain commandent de dire aujourd’hui haut et clair : aucune voix de droite ne doit manquer à Emmanuel Macron. » Le message était limpide, et en parfaite cohérence avec votre parcours et les valeurs que vous portez. Mais, vous savez mieux que nous tous à quel point la charge présidentielle est grande et lourde à porter dans la France de la Vème : est-ce que, pour ce que vous en savez, vous diriez d’Emmanuel Macron, qui vient donc d’être élu, qu’il a des qualités qui le qualifient pour la fonction ; qu’il en a les capacités ; qu’il en est digne ? Et est-ce qu’on ne gagnerait pas, à un moment donné, à essayer de réduire un peu ce costume taillé sur mesure pour un homme - de Gaulle - comme on n’en fait pas deux par siècle dans chaque pays ; costume de moins en moins habité alors que défilent les mandats ?

Macron, digne de la fonction ?

F.S.-B. : Il y a quinze mois, lors de la sortie de mon livre La France est la solution que j’avais failli intituler Pour un nouveau bonapartisme, j’avais dit lors d’une interview : « Macron, c’est Bonaparte ».

Les points communs sont nombreux :

- aptitude à faire la synthèse des idées de l’Ancien régime et de la révolution ;

- vista ;

- capacité d’apprentissage ultra rapide ;

- peur de rien.

Il vient de remporter sa première campagne d’Italie. Par-delà sa jeunesse, ce qui domine c’est son autorité, sa volonté de tout voir, de tout traiter, de tout décider.

« Bonaparte avait organisé l’État

comme une armée, Macron est bien parti

pour le faire comme une start-up »

Bonaparte avait organisé l’État comme une armée. Emmanuel Macron est parti pour le faire comme une start-up.

Les habits de la Vème République semblent donc parfaitement lui convenir.

Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, je ne crois pas que nos institutions soient dépassées en ce que les Français veulent avoir un monarque républicain.

En revanche, comme les entreprises ont su le faire, l’action publique doit s’ouvrir aux logiques coopératives. Les Français ont été des acteurs majeurs de la campagne présidentielle, ils doivent devenir des acteurs du travail gouvernemental et législatif.

Avec la simplification des échelons territoriaux, c’est, selon moi, la priorité pour une réforme des institutions.

 

PdA : Chiraquien et juppéiste, comment vous situez-vous par rapport au mouvement de recomposition politique que semble engager la nomination du gouvernement d’Édouard Philippe ?

action, recomposition

F.S.-B. : Je ne suis pas aujourd’hui dans la vie politique mais j’ai un regard de citoyen engagé.

Comme je l’ai dit, les Français ont exprimé un message d’une très grande gravité, au sens le plus noble du terme.

Depuis l’entre-deux-tours, j’ai en tête, presque de manière obsessionnelle, cette phrase de Pierre Cot arrivant à Londres en juin 1940 et disant au général de Gaulle qu’il était prêt à tout faire pour son pays et « s’il le faut balayer les escaliers ».

« Je pense qu’il faudra aller, après les législatives,

vers une coalition, non pas de dilution mais de

"percussion" pour agir au mieux pour les Français »

Sur le plan de l’action politique, je pense qu’il faut aller, après les législatives, vers la constitution d’une grande coalition. Pas une coalition de dilution mais de percussion, pour agir et répondre aux messages des Français.

Mais il ne faut pas tout attendre du Président. Chacun doit agir. Quand on est responsable, comme moi, d’une entité économique, on a le devoir de se poser des questions aussi simples qu’essentielles : puis-je prendre des jeunes stagiaires en plus ? Ai-je la possibilité d’embaucher une ou deux personnes de plus ?

Sans ce nouveau civisme collectif, les efforts qui seront engagés par les pouvoirs publics risquent d’être largement privés d’effets.

C’est l’enjeu des mois à venir. C’est ce que le général de Gaulle appelait le sursaut national, ou plus justement encore le sursaut collectif.

 

PdA : Au soir du second tour, on s’est donc retrouvé, plus ou moins comme attendu, avec une Marine Le Pen représentant presque 35% des exprimés, 10,6 millions d’électeurs, c’est à dire, quoi qu’on en dise, un score énorme, qui aura pulvérisé tous les records du Front national jusqu’à présent. Que vous inspire ce chiffre ? Dans votre tribune, vous louiez l’intransigeance de Jacques Chirac face à l’extrême droite, mais cette poussée continue depuis quarante ans du parti des Le Pen n’est-elle pas d’abord la preuve que ce qui a été fait ou dit par les gouvernants successifs n’a pas été efficace ? Et n’y a-t-il pas quelque chose de perturbant sur le plan de la démocratie - le sentiment pour le citoyen d’être représenté / la confrontation des idées et les votes à assumer au parlement - dans la quasi absence, à l’Assemblée nationale, d’un parti qui pèse autant dans l’opinion que le FN ? Est-ce que tout cela n’alimente pas les ressentiments des citoyens qui se sentent exclus de tout, et donc même de la politique, offrant par là même un effet boost à peu de frais et bien pratique (pas de prise de position collective à assumer dans une assemblée, une posture de victime) aux dirigeants du parti frontiste ? (...) Cette question du vote FN, c’est aussi et c’est surtout celle de la fracture, béante, au sein de la société : toutes ces cohortes de Français pour qui le grand large, les grandes perspectives, la place dans la caravelle de la conquête et de la réussite, ce sera toujours pour les autres et jamais pour eux...

répondre au vote Front national

F.S.-B. : Jamais peut-être la nécessité de distinguer entre les électeurs du Front national et ce parti n’a été aussi évidente, aussi forte.

Le message des électeurs du FN mais plus largement d’une grande majorité de Français est : regardez la réalité dans laquelle nous vivons. Dans tant d’endroits de France et notamment dans le grand arc du nord et de l’est du pays, le premier employeur est l’hôpital et le deuxième la maison de retraite ; les usines, fierté d’hier, sont devenues des friches, les boutiques des centre-villes sont souvent murées depuis des années ; la grande crainte des parents, ce n’est même plus le chômage à 50 ans mais de ne pas trouver un premier stage pour les enfants ; tant de familles finissent le mois à l’euro près.

C’est à cela qu’il faut répondre. Il faut faire des économies, créer un cadre favorable aux entrepreneurs, réformer l’État, mettre en place une administration numérique, non pas comme je l’ai longtemps pensé, pour baisser les impôts mais pour se donner de nouvelles marges de manoeuvre en matière d’éducation, de formation, de redistribution. L’État doit renouer avec son ambition méritocratique et égalitaire. Je mesure le caractère provocateur de la formule mais partout dans le monde occidental et singulièrement en Europe, il va nous falloir inventer une nouvelle forme de social-démocratie.

A défaut et si l’on revient, inquiétude d’un second tour Mélenchon-Le Pen passée, à un statu quo arrogant, la sanction populaire sera la victoire du Front national.

« Ce qui s’est vu de manière évidente lors du

débat d’entre-deux-tours, c’est l’incompétence

crasse du Front national »

L’immense mérite du débat d’entre-deux-tours a été de montrer le vrai visage de ce parti. Il est tout sauf le retour à un conservatisme (dé)passé, à une France apaisée pour mentionner l’incroyable anti-phrase du slogan du début de campagne. Au-delà de la violence et de la haine du tout et tous, ce qui s’est vu de manière crue, c’est aussi et peut être surtout l’incompétence crasse du parti d’extrême droite.

N’en doutons pas, l’élection d’Emmanuel Macron a été le dernier avertissement du peuple français à des dirigeants et à une élite qui ont été jusqu’ici aussi aveugles que défaillants.

 

PdA : Quel message adresseriez-vous à Emmanuel Macron, fort de votre haute connaissance des affaires de l’État (en tant qu’ex-secrétaire général de la présidence de la République en particulier) ?

un message pour Emmanuel Macron ?

F.S.-B.. : Je n’ai évidemment pas de conseils à donner à celui qui vient de démontrer son aptitude à assimiler, de manière ultra rapide, toutes les réalités et les complexités de nos institutions.

L’enjeu, ce n’est déjà plus le renouvellement. Nous savions que les partis, l’ordre politique en place n’étaient que des châteaux de sable face à l’océan. Il aura été l’accélérateur d’un effondrement annoncé.

« L’enjeu essentiel : faire que chaque jeune

prêt à travailler dur ait à nouveau sa chance... »

L’enjeu est évidemment dans l’action, c’est-à-dire dégager des marges de manoeuvre par la création de richesses en s’appuyant sur la libération des talents des entrepreneurs et sur les effets de la révolution numérique pour que chaque jeune, prêt à travailler dur, ait à nouveau sa chance.

C’est cet "en même temps", pour reprendre l’expression du nouveau Président, qu’il va falloir imposer à toute nos politiques publiques et dans l’indispensable réforme des traités européens.

Ce qui est intéressant à la relecture du programme d’Emmanuel Macron, qui pouvait apparaître pas assez radical sur le plan économique, est qu’il est, en fait, fondé sur cette double exigence.

Comme toujours mais plus que jamais... tout sera question d’exécution.

 

Frédéric Salat-Baroux

Frédéric Salat-Baroux, ex-secrétaire général de l’Élysée (2005-2007) sous la présidence

de Jacques Chirac, est l’auteur de La France EST la solution (Plon, 2016).

 

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25 mai 2017

Geoffroy Lejeune : « La présidentielle 2017, un scénario plus fou que ceux de House of Cards... »

Geoffroy Lejeune est, à 28 ans (!), le directeur de la rédaction de l’hebdo conservateur Valeurs actuelles ; en 2015, alors qu’il ne faisait « qu »’en diriger le service politique, il s’est amusé à imaginer un scénario dans lequel l’essayiste Éric Zemmour serait candidat à la présidentielle de 2017, et au finish élu. Ce récit, édité par les éditions Ring avec pour titre Une élection ordinaire, je l’ai lu très récemment. Il est bien écrit, bien pensé, et regorge de situations qui, prises individuellement ou dans leur ensemble, paraissent toutes crédibles - à une exception près dans mon esprit, la séquence de Marine Le Pen suivant les obsèques de son père... via la télévision. Cet ouvrage plaira je le crois à celles et ceux que la politique intéresse et qui sont séduits par l’exercice de politique-fiction. Au-delà de (tout) ce qui est romancé, Une élection ordinaire constitue une plongée très instructive dans l’univers finalement assez méconnu par le public de la droite conservatrice française. On y découvre ses coulisses, les acteurs et leurs interactions... À lire, donc, avec d’autant plus de gourmandise qu’on commence à avoir un peu de recul sur l’élection de 2017, la vraie. Sur tout cela et sur d’autres points, Geoffroy Lejeune a accepté de répondre à mes questions, écrites juste après la présidentielle. Je l’en remercie, et je remercie Laura Magné de Ring pour son intervention. À la fin de l’interview, l’auteur dit ceci : « Pour écrire à nouveau, j’attends d’avoir une nouvelle révélation ! ». Pari perso : le héros de son prochain roman de politique-fiction sera une héroïne, et si on la désigne par ses initiales, il y en aura quatre. Bonne lecture ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Geoffroy Lejeune: « La présidentielle

2017, un scénario plus fou

que ceux de House of Cards... »

Q. : 09/05/17 ; R. : 24/05/17.

 

Une élection ordinaire

Une élection ordinaire, par Geoffroy Lejeune, aux éd. Ring, 2015.

 

Paroles d’Actu : Geoffroy Lejeune bonjour, merci de m’accorder pour Paroles d’Actu cet entretien, axé sur votre roman de politique fiction Une élection ordinaire (éd. Ring, 2015), qui imaginait il y a deux ans une campagne présidentielle de 2017 aboutissant à la victoire surprise d’Éric Zemmour, mais aussi bien sûr sur la véritable élection qui vient donc de se tenir, et qui n’a pas été beaucoup moins mouvementée que celle que vous aviez écrite... Quels sentiments vous inspire-t-elle, précisément, cette campagne de 2017 ?

la présidentielle de 2017

Geoffroy Lejeune : Même avec les meilleures intentions, et avec la plus grande imagination, il était impossible d’imaginer une telle histoire ! Je crois que les scénaristes de House of Cards eux-même doivent se trouver bien prudents en comparaison avec ce que vient de vivre la France durant six mois… Au-delà de cette considération de forme, l’élection de 2017 m’inspire deux conclusions :

1. Un personnage inconnu de tous il y a trois ans s’est imposé, ce qui prouve qu’une candidature venue de nulle part avait sa place.

2. Macron s’est imposé alors qu’il incarne en tous points l’exact inverse de l’évolution de l’opinion des français, si l’en croit les récentes enquêtes du Cevipof (le Centre de recherches politiques de Sciences Po, ndlr). Alors, chapeau l’artiste…

 

PdA : Dans votre roman, l’écrivain et polémiste Éric Zemmour, qui fut poussé à se lancer par ses amis Patrick Buisson et Philippe de Villiers, et soutenu par Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino, Marion Maréchal et feu (!) Jean-Marie Le Pen, remporte donc l’élection présidentielle. Sur le fil, contre François Hollande au second tour ; sa candidature avait vocation à dépasser celle de Nicolas Sarkozy, jugé trop libéral et trop inconstant, et celle de Marine Le Pen, pas assez "de droite" (la fameuse "ligne Philippot"). Cette candidature Zemmour, dont la cohérence sur la ligne est limpide, c’est un fantasme d’écrivain ou, au-delà, celui d’un citoyen engagé ? Comment Zemmour a-t-il reçu le livre ? En avez-vous parlé avec lui depuis ?

Zemmour candidat ?

G.L. : C’est d’abord une intuition éditoriale. J’ai senti très tôt qu’Éric Zemmour incarnait une sensibilité que je crois majoritaire à droite. J’assume aussi le côté "fantasme" car, je ne m’en cache pas, j’ai une grande admiration pour Zemmour et je partage ce qu’il dit. Il a été très tolérant avec moi lorsque je l’ai prévenu de mon projet. Ce livre le gênait un peu, car je le mettais en scène en présidentiable, mais il m’a laissé très libre et m’a juste demandé de faire « quelque chose de bien ». Je lui ai dit une fois, depuis, lorsque je l’ai croisé au moment des affaires de François Fillon, qu’il y aurait eu la place pour lui. Et sa seule réponse a été d’exploser de rire !

 

PdA : On attendait Marine Le Pen autour de 40% des exprimés face à Emmanuel Macron ; au final elle n’atteint pas les 34%. On a évoqué sa (contre-)performance lors du débat, peut-être aussi les explications un peu commodes du "plafond de verre" ou encore de l’influence des médias... Est-ce que, pour vous, en tant qu’observateur, elle a été une bonne candidate ? Et la campagne qu’elle a menée, avec son équipe, a-t-elle été sur la forme et surtout sur le fond une bonne campagne ?

la campagne de Marine Le Pen

« Le soir du débat, Marine Le Pen a perdu

non seulement l’Elysée mais également

le leadership de l’opposition future »

G.L. : En tant qu’observateur, je suis d’accord avec l’analyse partagée par absolument tous, ce qui est très rare : elle n’a pas été une bonne candidate, sa ligne a été flottante, elle s’est échouée piteusement le soir du débat. Que dire de plus ? Je crois seulement que, le 3 mai, elle a perdu plus que la présidentielle. Marine Le Pen, non seulement, n’est pas devenue présidente de la République, mais en plus elle a perdu le leadership de l’opposition, qu’elle aurait pu incarner en se hissant au second tour, et enfin elle a semé le doute jusqu’au sein de ses troupes. Lourde addition pour une seule soirée de débat…

 

PdA : Cette question pose aussi celle, fondamentale, des qualités attendues pour être président de la République, et donc de ce qu’on met derrière la fonction. Faut-il un acteur de premier plan ou un arbitre résolument au-dessus de la mêlée ? Est-ce que, pour reprendre le mot du nouveau monarque républicain il y a deux ans, vous diriez qu’il « manque un roi à la France » ?

un roi pour la France ?

« Le paradoxe est que Macron, incarnation

de la modernité, figure de proue des progressistes,

soit celui qui réhabilite l’autorité présidentielle »

G.L. : Il manque depuis longtemps un roi à la France : la monarchie républicaine est d’ailleurs conçue pour ne pas priver les Français de figure tutélaire, mais il faut admettre que depuis des décennies, les présidents semblent habités par l’idée de ne plus incarner cette autorité, ou de l’incarner différemment. Le paradoxe est que Macron, incarnation de la modernité, figure de proue des progressistes, soit celui qui réhabilite cette autorité. Il ne prend personne en traître, il l’a théorisé, mais ses soutiens les plus libertaires doivent tousser en le voyant endosser les habits du monarque !

 

PdA : Le duel Macron-Le Pen, ça a été, pour le coup, un choc frontal entre deux conceptions diamétralement opposées de ce que doit être notre rapport à l’Europe, au monde et à la mondialisation, et plus généralement à l’"ouverture", peut-être au "progrès" et aux "valeurs". Est-ce qu’on tient là la ligne de fracture fondamentale pour les années, les décennies à venir ? Est-ce qu’on peut résumer cette opposition au clivage progressistes/conservateurs ? Et peut-on de manière réaliste anticiper une recomposition du paysage politique sur ces lignes-là (avec une droite conservatrice qui serait animée par des Marion Maréchal, des Laurent Wauquiez, maraboutée par Patrick Buisson... face aux progressistes centristes et socialistes du macro(n)-cosme) ?

quels clivages pour les années à venir ?

G.L. : Le clivage progressistes-conservateur existe, je le trouve opérant, mais je me méfie de ceux qui veulent résumer le combat politique en un seul clivage. Il existe aussi un clivage européens-souverainistes, droite-gauche, France périphérique-France d’en haut ; etc. Macron bouscule les règles du système, il est donc difficile de dire aujourd’hui quel clivage structurera demain la vie politique française. J’observe seulement qu’il existe une gauche radicale en France, forte, un mouvement modéré allant de la gauche au centre droit, autour de Macron, qui gouverne, un droite conservatrice qui a perdu l’élection de 2017 "par accident" mais qui entend reconstituer ses forces avant 2022, et le FN, qui continuera d’incarner un populisme anti Europe et anti immigration. De là à vous dire qui sera majoritaire en 2022…

 

PdA : À plus court terme, question mi-analyste, mi-pronostic : à quoi l’Assemblée ressemblera-t-elle à la fin juin à votre avis ? Emmanuel Macron aura-t-il une majorité présidentielle ?

quelle Assemblée à la fin juin ?

« Macron risque bien de réussir son pari ;

il obtiendra sans doute une majorité

avec son parti émergent. Merci de Gaulle ! »

G.L. : Il est sans doute en train de réussir un pari que je croyais impossible il y a encore quelques semaines  : obtenir une majorité à l’Assemblée avec un parti jeune et sans figure émergente. Si cela se produit, ce sera sans doute grâce à la traditionnelle poussée consécutive à la présidentielle en faveur du vainqueur. Ce qui est amusant, c’est de constater que les institutions de la Vème République sont si solides qu’elles ont résisté à la pratique du pouvoir de François Hollande et qu’elles vont permettre à Macron, malgré la faiblesse de son mouvement, de gouverner. Merci de Gaulle !

 

PdA : Vous prêtez dans Une élection ordinaire une stratégie redoutable à Jean-Christophe Cambadélis : faire monter Zemmour pour couper la droite en trois et donc, donner à Hollande une chance d’accéder au second tour et d’être réélu. Il y a un parallèle qui m’a frappé quand j’ai lu votre livre, ces jours - livre écrit je le rappelle en 2015 : OK, vous vous êtes planté sur 2017 en France, à votre décharge tout le monde s’est planté. Mais j’ai le sentiment que ce que vous avez décrit, peut-être anticipé sans le savoir, c’est Trump 2016 aux États-Unis. La victoire surprise, sur le fil, du candidat anti-système et anti-politiquement correct par excellence. On y retrouve jusqu’à cette histoire de stratégie tordue - et finalement fatale - du PS : on a beaucoup dit que les médias progressistes avaient sur-exposé Trump pour le favoriser lors des primaires, pensant qu’il serait ensuite une proie facile pour Hillary Clinton lors de l’élection générale... Dans un cas comme dans l’autre, la créature de Frankenstein, on croit la contrôler et finalement rien ne se passe comme prévu. Que pensez-vous de cette lecture ?

des stratégies tortueuses

G.L. : Sans doute y a-t-il quelques similitudes entre les deux situations, mais rassurez-vous, je n’ai rien inventé ! La stratégie prêtée à Cambadélis est tout simplement celle qu’applique la gauche depuis Mitterrand : faire monter le FN, un ennemi qui ne peut pas gagner, pour l’emporter sans péril au second tour des élections. C’est ce qui s’est passé pour Macron…

 

PdA : Votre ouvrage est bien pensé et bien écrit, agréable à lire et très documenté, on y apprend beaucoup de choses sur les coulisses de la politique, et notamment de la droite en France. C’est un milieu que vous connaissez bien. Est-ce que ça vous tente, d’en être de manière active et directe, de cette arène politique ?

faire de la politique ?

« Le journaliste, même s’il s’en défend,

fait de la politique ! »

G.L. : Mais je le suis déjà ! Nous sommes acteurs de ce monde et avons un pouvoir considérable. La question est : qu’en faisons-nous ? Voilà pourquoi je préfère ceux qui avancent à visage découvert, et pourquoi rien ne me fait plus peur que ceux qui prétendent à l’objectivité. Le journaliste, même s’il s’en défend, fait de la politique. La différence entre les journalistes est simple : il y a ceux qui l’assument et ceux qui s’en cachent.

 

PdA : Vous êtes aujourd’hui directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, ce qui n’est pas banal, à même pas 29 ans... Quelle est l’histoire de ce rapport passionné que vous avez avec la et le politique ?

la politique : histoire d’une passion

G.L. : Un rapport très simple : je viens d’une famille très peu politisée, j’ai peu – voire pas du tout – parlé de politique chez moi étant jeune, et découvert sur le tard, à 18 ans, ce monde. Je me suis passionné pour l’histoire de la cinquième République, à travers plusieurs récits journalistiques, et j’ai eu envie de reproduire ce modèle.

 

PdA : Quelles sont vos ambitions, vos envies pour la suite ? D’autres fictions sur le feu ?

bientôt une nouvelle fiction ?

« Pour écrire à nouveau, j’attends

d’avoir une nouvelle révélation ! »

G.L. : Malheureusement non ! Une élection ordinaire a été un coup de foudre. J’ai eu cette idée, en ai parlé au patron des éditions Ring, qui a été séduit. J’ai écrit vite, sans répit, les chapitres coulaient assez naturellement. Pour écrire à nouveau, j’attends d’avoir une nouvelle révélation !

 

Geoffroy Lejeune

Geoffroy Lejeune est directeur de la rédaction de Valeurs actuelles

et auteur de Une élection ordinaire, son premier roman (Ring, 2015).

 

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21 mai 2017

« Contre la "nouvelle servitude" (l'enjeu des élections de juin 2017) », par Jérôme Maucourant

Il y a deux semaines et demie, trois jours avant le second tour de la présidentielle, était publié sur Paroles d’Actu « La science-fiction, viatique pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) », texte inédit de Jérôme Maucourant, chercheur en sciences économiques, enseignant et auteur de Avez-vous lu Polanyi ? (Flammarion, 2011). Après le dénouement, après l’élection d’Emmanuel Macron, il a rapidement été question, sur le principe, d’une seconde contribution. Voici donc, pour résultat de cette nouvelle association, cette tribune, intitulée « Contre la "nouvelle servitude" (l’enjeu des élections de juin 2017) ». Celle, toujours, d’un citoyen éclairé et résolument engagé, et ce n’est jamais de trop... Merci à lui. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Francogallia

Francogallia de François Hotman, monarchomaque français. © S.H.P.F.

 

« Contre la "nouvelle servitude"

(l’enjeu des élections de juin 2017) »*

par Jérôme Maucourant, le 13 mai 2017

Le vote en faveur d’Emmanuel Macron pouvait se justifier de bien des façons, mais sûrement pas en raison d’un supposé danger fasciste. Un véritable abus de pouvoir est en train d’être réalisé par celui qui n’avait qu’un mandat : éviter à la France une expérience à la Trump ou à la Orban. La souveraineté populaire se dissout sous nos yeux au profit de celle de l’argent dans un monde de simulacres. Nous devons conjurer la menace du parti unique de la pensée unique et de son jeune roi. Que vienne le temps des monarchomaques !

Nombreux d’électeurs, piégés par un système électoral inique, ont voté pour Emmanuel Macron, au second tour des élections présidentielles. Néanmoins, il ne cesse de faire comme si ce vote constituait une adhésion à son programme. Les appétits s’aiguisent déjà… pour bien de ses partisans, ces 66% de votants constituent le socle d’une légitimité qui autoriserait la liquidation de notre modèle social. Mais, bien sûr, il y a là une évidente usurpation de la légitimité que donnent habituellement les suffrages populaires. Il y aura, comme en 2002, un abus de pouvoir si E. M. persistait dans cette voie. Souvenons-nous de Jacques Chirac instituant le peu regretté François Fillon en maître d’œuvre d’une certaine politique d’allongement de la durée de cotisation, ce qui signifiait, en bonne logique économique, instituer une baisse de la valeur du travail, en récompense d’un mandat donné pour sauver la démocratie. En réalité, la campagne présidentielle n’a pas eu lieu. Elle fut réduite à un déversement d’immondices : pensons au feuilleton des affaires Fillon qui a occupé une partie significative du temps électoral. L’autre partie fut consacrée à la promotion sans vergogne d’E. M. devenu subitement « patriote » et sauveur suprême de la République en danger**

* En hommage à Guy Bois auteur, notamment de Une nouvelle servitude - essai sur la mondialisation, Paris, François-Xavier de Guibert et La mutation de l’An Mil - Lournand, Village Mâconnais, De L’antiquité Au Féodalisme, préface de Georges Duby, dont on peut lire un extrait dans l’URL : http://www.fayard.fr/la-mutation-de-lan-mil-9782213024202.

** Sur ce point, voir Jérôme Maucourant, « Refuser l’Âge des simulacres », Le Vent se lève, 6 mai 2017.

« La lutte qui s’engage vise aussi

à réhabiliter la dignité de la politique

à un moment où tout est fait pour l’effacer »

Pour renouer les fils vitaux unissant légitimité et légalité, il eût fallu s’engager à constituer un gouvernement d’union nationale décidant de mesures constitutionnelles permettant d’en finir avec les perversités d’un système où le « vote utile » s’impose dès le premier tour. Après quoi, ce gouvernement aurait été dissous. Le sommet de l’art démocratique eût même impliqué que le président récemment élu renonce à son mandat pour revenir devant les électeurs (ou les Grands Électeurs d’un nouveau régime, qui sait ?). Certes, au vu des positions développées à la mi-mai, cette décision, la seule à concilier, en nos temps de décomposition, la morale et la politique, est devenue impensable. C’est pourquoi la lutte qui s’esquisse à ce jour n’est pas seulement une opposition à l’eurolibéralisme, au parti unique de la pensée unique qui rassemble tant de forces et d’intérêts depuis quelques temps, c’est aussi une lutte pour réhabiliter la dignité de la politique à un moment où tout est fait pour l’effacer. Beaucoup ont pris quelques malins bénéfices secondaires à jouir de cet affrontement « fascisme contre démocratie », en anticipant que perdure la neutralisation de toute opposition au calendrier néolibéral. Il est devenu évident que ces procédés très efficaces utilisés dernièrement seront recyclés ad nauseam.

Toutefois, la fête est finie, la farce a assez duré : maintenant que Marine le Pen est renvoyée à quelques études de savoir vivre en société dûment policée, la République doit reprendre ses droits. Si E. M. persiste à se croire investi d’un quelconque mandat pour appliquer son programme économique, à servir l’actuel ordre européen, à ne pas refuser le soutien que lui accorde l’islam politique*, à contrer une laïcité supposée « revancharde »**, toutes choses pour lesquelles il n’a pas été élu, alors se constitueront les ingrédients d’une double crise, l’une tenant au social, l’autre au régime.

* Ce fut sa ligne de conduite lors du débat de l’entre deux tours. L’UOIF ose, par ailleurs, affirmer que le vote pour Macron s’explique par la lutte de cette association contre le racisme et… l’antisémitisme ! Voir : lien BFMTV.

** Fatiha Boudjahlat, « Macron ou Le Pen, la laïcité est perdante », Parole d’Actu, 4 mai 2017 : « Emmanuel Macron évoque avec une joie toute évangélique "l’intensité" de la pratique religieuse. C’est un élément de langage derrière lequel les extrémistes s’abritent quand on les renvoie à leurs pratiques rétrogrades : il ne s’agirait en fait que d’orthodoxie. Interrogé par Ali Baddou sur son refus de serrer la main des femmes, le président-fondateur de l’ONG religieuse Baraka City s’était justifié en donnant l’exemple des juifs orthodoxes qui s’en abstenaient tout autant. Il se décrivait lui et sa pratique religieuse comme "orthodoxes". On rejettera une pratique religieuse radicale, rétrograde, obscurantiste, mais si elle n’est qu’orthodoxe, nous ne nous y opposerons plus, notamment parce qu’une telle pratique se présente comme conforme au dogme, et que la critiquer reviendrait à s’en prendre au dogme. »

« La question de la survie de notre

contrat social est actuellement posée »

La question de la survie de notre contrat social est posée à l’heure présente, comme en attestent les coups de butoir portés par l’Union européenne. Évidemment, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, ancien dirigeant d’un paradis fiscal, a encore expliqué que les dépenses publiques devaient être revues à la baisse*. Ce genre de personnage nous fait les poches le matin et la morale l’après-midi. C’est cela, l’Europe réellement existante, sans que les forces qui ont poussé E. M. au pouvoir ne trouvent rien à redire à cette transgression des règles élémentaires de la morale publique. Pourtant, réduire la dépense publique, c’est porter atteinte, avant toute chose, aux dépenses sociales qui sont souvent les revenus de ceux qui n’ont rien ou trop peu. Le conflit de classe ne peut aisément se dissimuler : l’Europe, c’est la guerre de classe à peine voilée, c’est aussi la guerre douce menée par les États du nord de l’Union contre ceux du sud via l’inefficace et inique monnaie unique**.

* La Tribune (avec AFP), « Juncker à Macron : "Les Français dépensent trop" », 08/05/2017.

** « Regardez l’Espagne ou la Grèce : ils étaient en excédent avant la crise ! Ce n’est pas leur déficit qui a causé la crise, c’est la crise qui a causé leur déficit » ; Joseph Stiglitz, « Il faudra peut-être abandonner l’euro pour sauver le projet européen », Les Echos, le 16/09/2016. Plus généralement, le regard critique envers le principe même de l’euro ou de son fonctionnement sous la férule allemande n’émane pas seulement des économistes adeptes d’un certain interventionnisme, il émane aussi de l’aile libérale avec des arguments bien partagés dans le monde des économistes professionnels, et d’un bon sens que ne possède pas encore le récent président français, cf. Milton Friedman, « The Euro: Monetary Unity To Political Disunity ? », Project Syndicate, 28/08/1997, écrivant de façon prophétique « I believe that adoption of the Euro would have the opposite effect. It would exacerbate political tensions by converting divergent shocks that could have been readily accommodated by exchange rate changes into divisive political issues. Political unity can pave the way for monetary unity. Monetary unity imposed under unfavorable conditions will prove a barrier to the achievement of political unity. »

« Le développement des communautarismes

n’est pas sans lien avec le relâchement

progressif des liens de solidarité nationale »

Cette destruction de l’État social et la tolérance - voire le soutien - au communautarisme sont en réalité étroitement liées : le relâchement des liens qui unissait la nation républicaine implique, pour éviter le chaos, de fabriquer un ordre social où communautés, ethnies et confessions sont capables de régler, à leur façon bien particulière, la reproduction d’une société*. Il n’y a pas lieu d’opposer ainsi la lutte pour l’État social et le combat pour la laïcité, comme le fait une certaine gauche. On ne peut promouvoir le communautarisme et s’étonner, alors, que la redistribution soit de plus en plus vécue comme illégitime : une telle délégitimation est d’ailleurs fort utile à E. M. et les libéraux qui l’entourent ! En réalité, les idéologues de la diversité victimaire, à la manœuvre dans cette gauche, ne font ainsi que promouvoir un système clientéliste achetant la paix sociale. Ceci n’a rien à voir avec l’idéal de la solidarité républicaine auquel a donné forme, par exemple, le Conseil national de la Résistance.

* Voir ma contribution, « Devenir ce qu’on est : découvrir la laïcité comme idéal », Le Journal de Paris, mai 2017.

Nous courrons le danger de vivre dans un régime présidentiel où les potentialités monarchiques vont s’exacerber. Ceci est voulu par le monde des affaires qui sait que l’État doit être autoritaire pour instituer un capitalisme libéré le plus possible des entraves qui l’humanisent. C’est ainsi que le capitalisme libéral s’est institué il y a deux siècles** ; à ce jour, il veut reprendre son souffle en faisant payer à la société tout entière le fardeau d’une dette qui résulte de la seule crise de la finance. Nous tendons vers la monarchie absolue : l’opposition gauche-droite est balayée, la lutte des places remplace la lutte des classes.

* Voir Karl Polanyi, La Grande Transformation, Paris, Gallimard, 1983.

« Il faut lutter contre le désir du roi... ou

admettre que la liberté ne guide pas nos pas »

Contre cette monarchie absolue et son parlement de soumission qui s’annonce, il faut s’opposer à l’abus de pouvoir. On a appelé « monarchomaques » ceux qui, au temps des Guerres de Religion, s’opposaient à l’absolutisme royal. Nous avons besoin, aujourd’hui, de millions de monarchomaques. Il faut lutter contre le désir de roi ou admettre que la liberté ne guide pas nos pas. Construit-on une démocratie sur l’abus de pouvoir érigé en principe ?

 

Jérôme Maucourant

Jérôme Maucourant est chercheur associé en sciences

économiques (délégation CNRS au lab. HiSoMA) et auteur notamment

de l’ouvrage Avez-vous lu Polanyi ? (Flammarion, 2011).

 

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18 mai 2017

Waleed Al-Husseini: « Ceux qui chérissent la laïcité doivent se souder autour de ses valeurs, et la défendre »

Waleed Al-Husseini, 27 ans, est un auteur palestinien réfugié en France après avoir été incarcéré et torturé en Cisjordanie pour avoir osé critiquer l’islam. Athée depuis qu’il a répudié la religion de ses pères - il est ce qu’on appelle un apostat -, il a fondé en juillet 2013 le Conseil des ex-musulmans de France. Que pense-t-il de la situation dans notre pays ? Il vient de signer un brûlot féroce et dont le titre seul annonce la couleur quant à la thèse qu’il y défend : Une trahison française, « Les collaborationnistes de l’islam radical dévoilés » (éd. Ring, 2017). Les autorités françaises, et à de multiples niveaux des autorités diverses auraient, par lâcheté, ou pire par calcul, été transigeantes avec l’islam radical et avec ceux qui le portent et le propagent. L’ouvrage fera du bruit, il en a déjà fait. Il ne manquera pas, et c’est sain, de provoquer encore et encore des réactions. Et des débats. C’est le propre d’une société démocratique.

Après lecture de cet ouvrage, j’ai souhaité poser quelques questions à Waleed Al-Husseini. Je le remercie d’avoir accepté de se prêter à l’exercice. Je remercie également Laura Magné, la directrice du service presse de Ring, dont l’intervention a été déterminante, et le traducteur de Waleed Al-Husseini, pour son travail remarquable et très rapide. Merci, également, à Fatiha Boudjahlat et à Jérôme Maucourant, pour leur concours et pour les articles qu’ils m’ont déjà apportés sur la laïcité. J’invite le lecteur intéressé à lire en complément, sur ce blog, l’interview que j’ai faite de Pascal Le Pautremat en août 2016, et les contributions récentes, également précieuses, des deux intervenants cités à l’instant. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Waleed Al-Husseini: « Ceux qui

chérissent la laïcité doivent se souder

autour de ses valeurs, et la défendre... »

Q. : 15/05/17 ; R. : 18/05/17.

 

Une trahison française

Une trahison française, par Waleed Al-Husseini, aux éd. Ring, 2017.

 

Paroles d’Actu : Waleed Al-Husseini bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Dans le monde catholique, il y a un clergé qui est hiérarchisé et organisé de façon pyramidale. Si à un niveau quelconque de la pyramide un membre du clergé professe une lecture du dogme ou exprime des opinions qui sont contraires aux vues de ses supérieurs, ceux-ci pourront le révoquer et dire, "Non, ça n’est pas la bonne lecture de la religion". Au sommet de la pyramide c’est le Pape qui dit sa conception de la religion ; elle s’applique en cascade et fait autorité partout.

Est-ce qu’il ne manque pas, au moins dans l’islam sunnite, un système d’autorités pyramidales, avec une autorité à sa tête qui clarifierait les choses ? En attendant, "religion de paix" ou "religion de combat", tout le monde dit et pense la sienne, et il y a autant de lectures de l’islam que de croyants et observateurs. Il n’y a certes pas de clergé dans l’islam sunnite, mais y’a-t-il des figures de savants, de sages qui feraient autorité au sein de la communauté sunnite mondiale, et quelle lecture ceux-là ont-ils de l’islam, de son rapport aux femmes et aux autres religions notamment ?

des hiérarchies en islam

Waleed Al-Husseini : L’islam se distingue en effet de la chrétienté notamment sur ce point. En islam, il n’y a pas de clergé organisé, encore moins de hiérarchie. Cette religion, particulièrement sa version sunnite, manque de centralité. De ce fait, il s’agit de l’un des principaux problèmes de l’islam dans l’affrontement de la vie moderne. Ces manquements mettent systématiquement en échec les tentatives de dégager une vision moderniste et réformiste et de conformer la religion aux valeurs universelles. Ils annihilent également les moindres tentatives de donner de l’islam une autre lecture qui dénote de la pensée la plus rétrograde répandue au sein de la communauté. À l’inverse de l’islam dans sa dimension religieuse et spirituelle, les organisations djihadistes et celles relevant de l’islam politique sont bien hiérarchisées. Il convient de noter aussi que, dans la confrontation que mènent actuellement l’islam politique et les groupes djihadistes, ces derniers fonctionnent davantage en réseaux nébuleux qu’en mouvements structurés.

« À travers l’histoire de l’islam, les réformistes

n’ont jamais trouvé un écho positif

dans les sociétés musulmanes »

Quant aux autres écoles de l’islam, elles tentent de présenter d’autres lectures du dogme. Mais il s’agit de tentatives individuelles. À travers l’histoire de l’islam, les réformistes n’ont jamais trouvé un écho positif dans les sociétés musulmanes, encore moins auprès des dirigeants temporels et spirituels. De ce fait, aucune réforme n’a pu aboutir depuis l’avènement de l’islam. Sa vision pour la femme et pour les non-musulmans n’a pas changé d’un iota depuis 1400, car elle est inspirée du Coran, considéré comme la Constitution de la Oumma. Or, le Coran fait de la Femme une mineure éternelle et la soumet à l’Homme, comme il divise le monde en deux catégories : les fidèles et les kouffars (impies). Ceux parmi les musulmans qui considèrent la Femme égale à l’Homme, et qui respectent les gens du Livre (les autres religions monothéistes) sont minoritaires et sont persécutés par les radicaux. Accusés de blasphèmes et qualifiés de renégats, ils sont tous simplement persécutés, exclus de l’islam et emprisonnés. En résumé, les mouvements terroristes et l’islam politique sont hiérarchisés par nécessité organisationnelle et appliquent le Coran à la lettre, alors que l’islam religieux manque de structuration.

 

PdA : Quelle perception avez-vous du monde musulman en France ? Est-ce que, pris comme un ensemble, les musulmans vivent leur foi différemment en France par rapport à d’autres pays ? Comment, par exemple, les musulmans que vous avez rencontrés dans notre pays perçoivent-ils votre statut d’apostat, la promotion que vous en faites, et la notion de liberté religieuse en général ?

les musulmans de France

W.al-H. : Les musulmans en France jouissent de beaucoup plus de liberté dans l’exercice de leur foi que dans les pays musulmans. À titre d’exemple, les chiites en Arabie saoudite et les sunnites en Iran n’ont pas le droit de vivre pleinement leur religion. Les premiers sont persécutés par les autorités wahhabites, et les seconds sont pourchassés par la mollarchie iranienne. Il en est de même pour les pays sunnites du Maghreb qui luttent jalousement contre la chiitisation… La France offre la liberté religieuse à tous. Mais malheureusement, la communauté musulmane en France n’est que la continuité des sociétés d’origine.

« Je ne comprends pas cette complai-

sance qu’on a, en France, avec ceux qui,

comme Hassan Iquioussen, répandent

les idées les plus radicales »

Dans leur diversité (la communauté est essentiellement composée de Turcs, d’Algériens, de Marocains, de Tunisiens et d’Afrique de l’ouest), les musulmans de France ont importé les valeurs et les coutumes de leur pays d’origine, dont certains les ont pourtant fuies. De ce fait, les musulmans vivent dans des ghettos et persécutent les « renégats » en singeant leur pays d’origine. Ils appellent à exécuter ceux qui quittent l’islam, comme Hassan Iquioussen qui incite les musulmans à « tuer les ex-musulmans par 12 balles ». Or, Iquioussen, qui est membre de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France, ndlr) et a ses liens avec la sphère politique, n’a jamais été inquiété pour incitation à la violence. Non seulement il n’a pas été arrêté ou interrogé, mais il continue de fréquenter les hommes politiques au nom de l’UOIF. Je ne comprends pas cette complaisance à son égard et à l’égard de ses semblables qui répandent les idées les plus radicales en France.

Concernant ma définition de la liberté religieuse, je pense qu’elle doit se limiter à l’exercice de la foi dans les lieux de culte, sans avoir une quelconque influence sur la sphère politique, l’espace public et l’éducation. La foi doit est un lien vertical entre chaque individu et son Dieu, quel qu’il soit. Mais l’islam dépasse cette dimension et les musulmans tentent de s’ingérer dans les affaires des autres pour répandre leur religion. Ceci passe par la prédication, le prosélytisme et les écoles islamiques qui prolifèrent dans le pays, souvent clandestinement.

 

PdA : Quel regard portez-vous sur les tentatives du pouvoir politique d’organiser l’islam en France, ces quinze dernières années ? L’édifice CFCM (le Conseil français du culte musulman, ndlr) est-il un début de solution aux problématiques rencontrées, ou bien a-t-il d’ores et déjà été noyauté par les intégristes ?

l’islam en France

« Les radicaux ne sont pas seulement ceux

qui portent les armes et commettent

des actes terroristes... »

W.al-H. : Les tentatives d’organiser l’islam en France sont vouées à l’échec, comme je l’ai expliqué dans mon livre. Car les radicaux ont infiltré et noyauté la communauté et toutes les associations et organisations qui en sont issues. Autrement dit, ces associations qui prétendent représenter l’islam sont radicales. Les radicaux ne sont pas seulement ceux qui portent les armes et qui commettent les actes terroristes, mais sont aussi radicaux tous ceux qui ne croient pas aux libertés, et qui veulent imposer les valeurs obscurantistes de l’islam moyenâgeux. Et c’est ce que les associations musulmanes font. À titre d’exemple, elles ont combattu Charlie Hebdo devant les tribunaux avant que des terroristes ne mettent à exécution la même pensée et ne déciment le journal. Donc, il n’y a aucune différence entre les deux branches. Ils combattent la liberté chacun à leur façon. Ils sont noyautés par les Frères musulmans dont l’objectif est d’accélérer l’islamisation par l’éducation, l’invasion culturelle et l’infiltration politique. Leurs moyens diffèrent mais leur objectif est le même.

 

PdA : Existe-t-il un islam des Lumières, et si oui quel est son poids auprès de ceux qui pensent l’islam, et de ceux qui le pratiquent ?

un islam des Lumières ?

« Tout débat sur l’islam est étouffé par

les institutions : lArabie et l’institut Al-Azhar... »

W.al-H. : Historiquement, l’islam est la première religion qui a connu sa révolution réformiste, avec les Mo’tazala. C’était sous l’empire abbasside. Depuis, aucun débat n’est parvenu à rivaliser avec celui proposé par les Mo’tazala. Faut-il rappeler que l’islam est radical par ses textes fondateurs et par le comportement de son fondateur et de ses compagnons ? Chaque initiative de réforme se heurte à cette réalité. Les rares musulmans éclairés qui ont eu le courage d’en débattre ont été marginalisés par les institutions (l’Arabie et l’institut Al-Azhar…).

 

PdA : Est-ce que vous décelez, en France comme ailleurs, dans nos sociétés post-industrielles, matérialistes et souvent égoïstes, un malaise, un terreau rendant irrépressibles une quête de sens, une "recherche de transcendance" faisant de la religion et des "communautés" des refuges naturels ?

l’islam, un refuge face au monde moderne ?

« L’islamisation est programmée

par ce qui est appelé "l’éveil islamique" »

W.al-H. : Je ne suis pas adepte de cette théorie concernant les musulmans de France et d’Europe. Elle peut s’appliquer sur les autres religions mais pas à l’islam. L’islamisation est programmée par ce qui est appelé « l’éveil islamique », lancé dans les années 1980. Quand on a interrogé le télécoraniste Al-Qaradaoui sur ce que l’éveil islamique a réalisé, il a répondu avec fierté : « Regardez le nombre des femmes voilées dans les rues ». Il est vrai que l’individualisme en Occident et la dislocation des valeurs sont un facteur aidant à l’expansion de l’islam, d’autant plus que les marginaux qui ont du mal à s’intégrer dans leur propre société rejoignent l’islam.

 

PdA : L’islam est-il oui ou non, d’après vous, compatible avec la République telle qu’on la conçoit en France ?

l’islam, compatible avec la République ?

« De nombreux prédicateurs placent

la Charia au-dessus de la Constitution »

W.al-H. : Certainement pas. L’islam n’est pas compatible avec la République et ses valeurs. Au contraire, il défend un retour aux valeurs du VIIème siècle avec leurs ségrégations religieuses, notamment contre les juifs, et sexistes à l’égard de la Femme. D’aucune façon le rejet de l’homosexualité, de la liberté sexuelle et de l’égalité ne peuvent se fondre dans celles de la République. D’autant plus que les musulmans revendiquent la primauté de leur appartenance à l’islam à leur nationalité. De nombreux prédicateurs, et pas des moindres, placent la Charia (loi divine) au-dessus de la Constitution (loi terrestre).

 

PdA : Diriez-vous de l’élection d’Emmanuel Macron, et de la nomination à Matignon d’Édouard Philippe, qu’elles vont plutôt dans le bon ou dans le mauvais sens sur les questions relatives à la pratique de l’islam, au religieux et aux communautarismes ? Je précise ma pensée, reprenant en cela des éléments que m’a apportés Jérôme Maucourant pour cette interview : pensez-vous que le président et que le premier ministre, au vu des rapports qu’il a entretenus avec l’islam politique au Havre, ont pris la pleine mesure du danger du communautarisme en France ?

Macron, Édouard Philippe, et les communautarismes

W.al-H. : Le président Macron s’est entouré de plusieurs conseillers de confession musulmane qui ne cachent pas leur attachement à leur pays d’origine. De plus, il a lancé sa campagne électorale depuis l’Algérie où il a été reçu comme un chef d’État et a visité le Musée du Martyr. Tout un symbole. Depuis, les Algériens revendiquent une part de sa victoire, et rappellent qu’il a été élu grâce au vote musulman, la communauté ayant voté contre Marine Le Pen. De ce fait, il pourrait leur être redevable d’une façon ou d’une autre.

« Je comprends que Macron veuille ratisser large...

je crains que cela ne se fasse au détriment

de la laïcité et des valeurs républicaines »

Quant au Premier ministre, Édouard Philippe, sa nomination pourrait constituer le point faible du pouvoir. Car il a des liens avérés avec les islamistes de sa région. Il a également des liens avec le Maroc (jumelage). Je comprends la manœuvre de Macron qui cherche à obtenir une majorité parlementaire, et qu’il ratisse large. Mais je crains que ceci ne se fasse au détriment de la laïcité et des valeurs républicaines, dans le prolongement de la politique du dernier quinquennat.

 

PdA : Cette question m’a été inspirée par Fatiha Boudjahlat, une enseignante très engagée sur les affaires de laïcité et de droits des femmes. Vous vous êtes battu en Palestine et ailleurs. Vous vous battez maintenant en France, pourquoi, sachant que beaucoup de Français s’accommodent fort bien de la situation actuelle ? Je complète : qu’est-ce qui vous anime, et quel est le sens de votre combat, mené parfois au péril de votre vie ?

le sens d’un combat

« Je combats pour faire cesser les tueries

commises au nom de l’islam »

W.al-H. : Je puise ma force des victimes de l’islam qui sont tombées et qui tombent tous les jours dans les pays musulmans et en Europe. Chaque victime me renforce dans ma détermination à lutter contre ce cancer, à expliquer ses dangers et à tenter d’y remédier. Je combats pour faire cesser les tueries commises au nom de l’islam. J’essaie de trouver une sortie de ce tunnel obscur. Je le fais au péril de ma vie, certes. Mais ma vie n’est pas plus chère que celle de tous ceux qui ont péri pour la même cause. Aussi, cesser le combat signifie la victoire des obscurantistes et je ne suis pas prêt à leur offrir cette victoire. Après tout, chaque jour que je vis est un bonus, car j’ai failli perdre la vie en 2010. Depuis, je consacre mon temps et ma vie à la Liberté et aux valeurs de la République.

 

PdA : Quel message souhaitez-vous adresser à nos lecteurs ?

W.al-H. : Mon appel est simple : il faut lutter contre ce fascisme islamiste, par tous les moyens. Il ne faut pas mettre la tête dans le sable pour ne pas voir le danger et dire que tout va bien, quand rien ne va. Au contraire, il ne faut pas avoir peur de mener ce combat y compris contre les collaborationnistes.

 

PdA : Un dernier mot ?

W.al-H. : Pour conclure, j’inviter les lecteurs à rester vigilants et s’armer de courage. Les adeptes de la laïcité, de quelques origines et confessions qu’ils soient, doivent se souder autour de ses valeurs et les défendre pour sauver ce qui peut encore l’être.

 

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11 mai 2017

Carole Burillon : « Les cellules souches pourraient révolutionner les perspectives de l'ophtalmologie »

Une fois n’est pas coutume, je vais parler un peu de moi pour débuter cette intro. Votre serviteur, 32 balais au compteur, au dernier décompte, était myope comme une taupe depuis l’âge de 5 ou 6 ans (du style à avoir de grosses lunettes et surtout de gros verres, un joli -7 à chaque oeil). L’idée d’une opération me titillait, des proches ayant déjà franchi le pas. Et tout les retours que j’avais eus étaient concluants voire - souvent - emballés. Fin 2015 début 2016 l’idée se précise. Ok, je pense que je vais le faire. L’ophtalmo m’a fait une ordonnance et suggéré deux noms. Mais pourquoi eux plutôt que d’autres ? D’ailleurs, où aller ? Pour quel coût ? Je m’aperçois vite que je ne sais rien, rien de rien. Je regarde un peu sur le web qui est réputé dans la région - Lyon. Un nom, l’un des premiers, Carole Burillon, doyen de la Faculté de médecine et maïeutique Lyon Sud, et surtout pour ce qui m’intéresse, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Édouard Herriot. Je trouve son mail. Je lui explique mon projet, lui dis à quel point je suis intéressé... mais perdu. Rapidement (dans l’heure je crois, je n’en reviens pas) elle me répond, point par point, et me rassure. Il suffisait de presque rien. C’est décidé, si je le fais, ce sera avec elle. Octobre 2016, le rendez-vous pré-opératoire. On valide. La date du passage sous le billard est fixée : ce sera le 22 novembre. Ce jour-là j’ai "retrouvé la vue", sans besoin d’avoir des verres comme intermédiaires entre moi et le monde, et ça va "clairement" me changer un peu la vie...

Ravi de ce bon contact avec Mme Burillon, y compris après l’opération - elle a été dispo pour répondre à chacune de mes questions et éventuelles inquiétudes - j’ai souhaité lui proposer une interview, qui aurait trois objectifs : 1/ permettre à une grande pro dans son domaine de parler un peu d’elle et de son métier ; 2/ l’inviter à évoquer sous divers angles un sujet de santé - les yeux - qui nous touche tous ; 3/ lui poser surtout, cash, les questions que moi je me suis posées au départ, espérant que peut-être ça puisse aider ceux qui, comme moi il y a un an, s’interrogeraient. Je suis ravi que cet échange ait pu se faire. On y apprend beaucoup de choses - que, par exemple, les écrans, ça "fatigue" les yeux mais que ça ne les "abîme" pas. Ces réponses viennent s’ajouter aux autres, précieuses, qu’elles m’a apportées hors article (par exemple, que je garde les traits physiques du myope, que l’opération c’est un peu "avoir triché", et que, N.B. pour moi un fond de l’oeil tous les deux ans s’impose comme pour tout myope "classique"). Cet article, c’est aussi une façon de mettre mon humble projecteur sur cette profession, sur une équipe qui m’a fait une impression aussi chaleureuse que pro. Merci à vous Mme Burillon, et à vous tous ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Carole Burillon: « Les cellules souches

pourraient révolutionner

les perspectives

de l'ophtalmologie »

Carole Burillon est doyen de la Faculté de médecine et maïeutique Lyon Sud,

et chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Édouard Herriot (Rhône).

Carole Burillon

Q. : 26/02/17 ; R. : 19/04/17.

 

Paroles d’Actu : Carole Burillon, bonjour, merci de m’accorder cet entretien. Vous êtes doyen de la Faculté de médecine et maïeutique Lyon Sud, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital Édouard Herriot, et je précise pour les lecteurs que vous m’avez opéré (chirurgie réfractive) et avez corrigé avec succès ma forte myopie en novembre dernier. Voulez-vous nous parler un peu de vous, de votre parcours ? Quand et pourquoi avez-vous décidé de vous spécialiser dans les maladies des yeux ?

Parcours personnel.

 

Carole Burillon : J’ai décidé de faire médecine à l’âge de 11 ans, après un passage à l’hopital Édouard Herriot pour une fracture de l’avant-bras. Aucun médecin dans ma famille. Le père de ma meilleure amie etait un ophtalmologiste de renom et nous faisions des exposés sur l’oeil en SVT, aidées par lui.

 

Une fois interne, j’ai choisi comme spécialité l’ophtalmologie, car c’est beaucoup plus complet qu’on ne l’imagine : il y a de la chirurgie, certes, mais également beaucoup d’affections médicales oculaires, avec des pathologies générales qui ont un retentissement sur l’oeil (endocrinologie, neurologie, médecine interne…). On apprend beaucoup, et c’est cela qui est passionnant. Puis mes patrons ont souhaité que je reste à l’hôpital et j’ai passé les différentes épreuves pour devenir professeur d’université-praticien hospitalier.

 

PdA : Quelques mots d’historique rapide de la chirurgie réfractive, terme barbare qui regroupe en fait les interventions visant à corriger les troubles de la vision (dans le langage courant on parle souvent, un peu abusivement du "laser") ? En quoi ces techniques ont-elles évolué et se sont-elles perfectionnées au fil des années ?

Historique de la chirurgie réfractive.

 

C.B. : Les premiers débuts de la chirurgie de la réfraction (c’est-à-dire : "correction nécessaire pour voir parfaitement") datent de 1980. Le russe Fyodorov inventa la kératotomie (kerato=cornée / tomie=couper) radiaire pour aplatir le centre de la cornée et corriger la myopie. Cela se faisait avec un couteau diamant et on réalisait des incisions radiaires sur la cornée en laissant intacte une zone de 3 à 4 mm au centre. J’ai été une des premières en France à démarrer cette technique avec quelques Parisiens qui sont devenus des amis.

En 1986, je pars à New York et à La Nouvelle-Orléans (USA) pour voir les résultats de cette technique sur de grandes séries, puis à Bochum (Allemagne) pour apprendre le kératomileusis (kerato=cornée / mileusis=taille), ancêtre du LASIK (ce système est tout-manuel, et dune précision limitée).

En 1993, j’ai le premier laser Excimer de toute la région Rhône-Alpes-Auvergne, en prêt à l’hôpital. Ce laser permet d’enlever du tissu cornéen par photoablation, et de corriger les myopies, au début, puis les petits astigmatismes et hypermétropies.

En 1997, naît le LASIK (LASer Intrastromal Keratomileusis) : cela consiste en la réalisation d’un capot cornéen (avec un microkératome manuel), suivie d’un traitement au laser Excimer en dessous. Cette technique permet de corriger des défauts plus importants ; surtout, elle est sans douleur. L’arrivée du laser femtoseconde en 2005 pour faire le capot cornéen permettra une plus grande sécurité et une précision presque parfaite. C’est le LASIK tout laser, tel que vous l’avez eu.

 

PdA : Qui peut bénéficier d’une telle intervention (âge minimum et âge limite, contre-indications...) ?

Quels patients ?

 

C.B. : Il faut avoir un défaut optique stable : donc pas avant la fin de la croissance. Il faut avoir au minimum 18 ans, et il n’y a pas d’âge maximum. Il faut un oeil sain, sans autre pathologie que le trouble réfractif, afin de ne rien compromettre pour le futur du jeune patient. Il ne faut pas être immunodéprimé ou infecté au moment de la chirurgie, ce afin éviter des complications.

 

PdA : Toutes les pathologies liées à la vision sont-elles concernées, potentiellement ?

Quelles pathologies ?

 

C.B. : Tout s’opère, mais il y a des limites en rapport avec l’epaisseur de la cornée que l’on taille pour corriger le défaut. Il faut bien en laisser car c’est le mur antérieur de l’oeil ! En général on ne peut pas corriger des myopies supérieures à 10 dioptries, des astigmatismes et myopies supérieures à 6 dioptries. La presbytie n’est encore pas très bien corrigée mais on peut obtenir des compromis intéressants avec certains patients.

 

PdA : Cette question, je me la suis beaucoup posée moi-même, au moment de prendre la décision de l’opération, donc j’espère qu’elle sera utile à d’autres : une fois qu’on a choisi d’au moins prendre un rendez-vous pour tester la faisabilité d’une telle intervention sur soi, comment bien choisir l’établissement, le médecin auxquels s’adresser ? Public/privé ? Quels sont, là-dessus, les bons réflexes à avoir ?

À qui s’adresser ?

 

C.B. : Cette chirurgie est principalement une chirurgie faite en privé, en secteur libéral. Certains hôpitaux ont proposé un tarif public, un peu inférieur au tarif privé, afin d’attirer de la clientèle et d’amortir les lasers qui sont chers. Cela n’a pas d’importance, il faut surtout choisir le bon chirurgien. Quelqu’un qui connait la cornée, qui est chirurgien, et qui vous explique correctement ce qu’il va se passer. Qui prend le temps de répondre à vos questions. Qui ose vous parler des complications. Qui sait les gérer. Celui-ci connaît son métier. Évidemment, le bouche-à-oreille est important aussi. En dernier, il faut se sentir en confiance. Si l’on doute, il faut fuir !

 

PdA : Une réflexion que beaucoup de gens se font par rapport à la chirurgie réfractive : c’est très coûteux, pas remboursé par la Sécurité sociale, et très peu par les forfaits classiques des mutuelles. Mais je pense qu’il est intéressant d’aller au-delà du constat, et donc de comprendre : pourquoi est-ce si coûteux ? Est-ce que le tarif est fonction du type de structure (hôpital public/structure privée) ? Du nombre d’opérations réalisées ? De la technique employée ? De l’importance de la correction à effectuer ?

La question du coût et du prix.

 

C.B. : C’est coûteux parce que chaque laser coute 500 000€, et qu’il faut up-grader sa machine tous les ans, tellement les evolutions technologiques sont importantes - et le contrat d’entretien est cher. Donc, il faut amortir ces coûts et gagner un peu d’argent évidemment. C’est coûteux aussi parce que sil y a un problème, cela se termine par un procès de nos jours ; la responsabilité du praticien est importante, opérer un oeil sain n’est pas simple, et la pression sur le chirurgien est très forte. Il n’y a pas beaucoup d’écart financier entre les prestations de types public/privé à l’hopital et privé en clinique : cela s’échelonne entre 1 200 et 1 600€ par oeil en moyenne dans notre région.

Je ne supporte pas que les structures privées fassent du low-cost de temps en temps pour attirer les patients : c’est une chirurgie, c’est de la médecine, ce n’est pas une voiture que l’on vend ! ou des habits en solde ! Nous ne sommes pas commerçants.

Les mutuelles ont la charge la plus importante des lunettes et des lentilles : elles devraient prendre en charge correctement cette chirurgie. Malheureusement, cela ne sera pas le cas si nous poursuivons la politique qui a eu cours lors des cinq dernières années. Les mutuelles sont riches, elles ont beaucoup de pouvoirs...

 

PdA : Justement... question liée, je vous la pose en tant que praticienne et en tant que citoyenne : est-ce que vous ne pensez pas qu’on aurait intérêt à prendre en charge en tant que collectivité une partie des dépenses liées à la chirurgie réfractive ? Après tout, quelqu’un qui se fait opérer n’a plus besoin de lunettes au moins pour un temps ; cela décharge d’autant les caisses Maladie de dépenses d’optique. Est-ce qu’en tout cas ce débat existe auprès de ceux qui déterminent ce qui devrait ou ne devrait pas être remboursé par la Sécurité sociale à l’avenir ?

Quels remboursements ?

 

C.B. : Je le redis : la charge financière des lunettes repose sur les mutuelles (la Sécurité sociale ne rembourse que 50€). Donc cela ne repose pas sur l’argent public, il n’y a donc aucune raison pour que cela change. Bien sûr que cela serait bien d’être mieux remboursé par les mutuelles. Mais c’est une chirurgie qui n’est pas obligatoire, qui touche des yeux parfaitement sains. Chacun doit décider tout seul, quand il le souhaite, de se faire opérer. Cette dépense empêche la vulgarisation de cette chirurgie qui, si le patient ne payait plus rien, entraînerait des abus et donc des complications graves. 

 

PdA : On est tous accro, pour le travail ou pour nos loisirs, à des activités sur écran (téléphone, ordinateur), souvent prolongées dans le temps et répétées à l’infini. Est-ce que tout cela fatigue les yeux, voire favorise des problèmes durables de vision, de manière avérée ? Est-ce que, par exemple, on constate de manière anormalement importante des phénomènes de dégradation de l’acuité visuelle de jeunes patients corrélée à un usage abusif d’écrans ? Et y a-t-il, en la matière, de bons conseils de réflexes sains à adopter pour préserver ses yeux de ce mal du siècle ?

Nos yeux face aux écrans.

 

C.B. : Les écrans fatiguent les yeux, comme un footing fait mal aux muscles des jambes…, etc. Oui, le maintien des yeux fixés sur l’ordinateur et immobiles, aggrave la sécheresse oculaire : il ne faut pas hésiter à se lubrifier les yeux au cours de la journée avec des unidoses de collyres hydratants. La position de l’ordinateur est importante, on doit baisser les yeux pour lire sur l’écran et ne pas les lever (écran placé assez bas). Par contre, ce travail intensif avec les yeux nous fait découvrir des petits défauts réfractifs que l’on n’aurait pas corrigés autrefois, ou des insuffisances de convergence qu’il faut rééduquer. Mais pas d’"usure" au vrai sens du mot !

 

PdA : Quelles sont, s’agissant de l’ophtalmologie au sens large, les perspectives d’amélioration des techniques et soins les plus innovantes parmi celles qu’on peut anticiper ? Je pense notamment au traitement des maladies qui peuvent entraîne la cécité : est-il imaginable qu’à terme on réussisse à enrayer et à corriger ces processus, voire guérir la cécité elle-même ?

Recherche : quelles perspectives ?

 

C.B. : La chirurgie de la cataracte, déjà très simplifiée, va bientôt être entièrement réalisée au laser également, avec plus de securité et de précision. C’est encore cher, donc la diffusion sera lente. Mais les plus grosses revolutions seront l’apport des cellules souches qui vont remplacer les cellules malades et effectivement éviter la cécité dans certaines affections héréditaires ou acquises. Je souhaite que nous puissions avancer sur ce domaine le plus rapidement possible. J’ai déja travaillé sur les cellules souches épithéliales en 2010, mais je suis bloquée par les autorités de sécurité sanitaire qui sont très frileuses quant à ce type de recherche.

 

PdA : Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ?

Des projets.

 

C.B. : Mes projets à l’hôpital sont de former mon successeur, en étant fière de lui (ou d’elle). Je suis en cours. Que mon service soit reconnu par mes pairs, mais cela, c’est plus difficile, en raison des jalousies humaines...

Mes projets à la faculté de médecine sont d’aider au mieux à faire grandir mes étudiants afin qu’ils deviennent de bons médecins, ayant confiance en eux, aimant ce qu’ils font et aimant leurs patients. Tout cela est indispensable pour bien faire ce métier, sans compter ses heures.

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter ?

Des souhaits.

 

C.B. : Me souhaiter que je garde la bonne santé qui me suit depuis toujours, et qui me permet d’avancer. Me souhaiter de toujours croire en ce que je fais et de le faire bien.

 

PdA : Un dernier mot ?

Le mot de la fin.

 

C.B. : Si c’était à refaire, je recommencerais médecine, et peut-être que j’essaierais une autre spécialité car tout est tellement enrichissant... J’aimerais tellement avoir plus d’heures dans une journée, je n’arrive pas a faire tout ce que je veux…

Merci de me donner l’occasion de partager toutes ces réflexions avec vous !

 

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5 mai 2017

« Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) », par François Durpaire

Voici deux ans qu’avec son acolyte Farid BoudjellalFrançois Durpaire se fait peur - peur communicative - à imaginer ce que serait la France d’après une hypothétique élection de Marine Le Pen à la présidence de la République. L’intrigue du premier tome de La Présidente (Les Arènes, 2015), le théâtre de lélément perturbateur qui déclenche tout, c’est donc cette élection de 2017, ce fameux scrutin qu’on est en train de vivre en direct, et en vrai.

Dans la réalité, il semblerait que la perspective d’une victoire de la présidente du Front national cette année s’éloigne, et sa (mauvaise) performance lors du débat d’entre deux tours n’a pas aidé à inverser cette tendance. C’est bien vers un succès du candidat dEn Marche, Emmanuel Macron, qu’on s’achemine désormais. Mais il sera le choix par défaut d’un grand nombre de ses électeurs de second tour et très vite, dès le 8 mai, la coalition fort hétérogène qui l’aura porté au pouvoir s’évaporera ; resteront dans la perspective des législatives du mois suivant de nombreuses inconnues, moult points à éclaircir et pierres d’achoppement et, s’agissant du président-élu, une charge écrasante, et une responsabilité singulière : écouter, entendre, comprendre.

J’ai souhaité interroger François Durpaire, que les téléspectateurs connaissent bien pour ses fréquentes interventions sur la politique américaine, sur quelques points essentiels dans la perspective de ce second tour. Nous nous sommes mis d’accord en ce sens au soir du 23 avril, première des grandes soirées électorales de cette année qui en comptera beaucoup. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté de répondre à ma sollicitation. Il y a eu une interview en décembre, une autre en avril ; celle-ci se retrouve chapeautée dun titre qui sonne comme une mise en garde de la part de cet homme dengagements : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) ». Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...

 

Macron Le Pen 

Source de l’illustration : ouest-france.fr

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« Pourquoi Macron ne peut plus perdre

(et pourquoi il ne faut pas le dire) »

par François Durpaire

Q. : 23/04/17 ; R. : 05/05/17.

 

Paroles d’Actu : Quels sentiments, quels enseignements les résultats de ce premier tour d’élection présidentielle vous inspirent-ils ?

François Durpaire : Je ne sais pas qui gagnera dimanche, mais je sais qui n’a pas perdu : ce scrutin a confirmé la poussée des idées du Front national. Avec 7 643 276 voix dès le premier tour, Marine Le Pen est arrivée en tête dans 18 mille communes, 48 départements, 213 circonscriptions, et dans l’Outre-mer. Ne l’oublions pas quand nous analyserons les résultats du vote. Il y a des tendances qui relèvent du temps long : en six ans, Marine Le Pen a assuré au parti une progression continue.

 

PdA : Emmanuel Macron, inconnu il y a encore trois ans, a viré en tête de la présidentielle sans parti établi mais avec, disons, une bienveillance assez marquée de la part des médias. Dans quelle mesure le parallèle avec le Barack Obama de 2008 est-il pertinent ?

« On ne peut pas tout à fait comparer

Emmanuel Macron à Obama »

F.D. : Il y a la jeunesse et l’émergence soudaine qui peuvent faire penser à un « Obama français ». Mais l’enthousiasme autour du candidat n’est pas de la même nature qu’en 2008. L’origine de Barack Obama en a fait une élection historique. Ne l’oublions pas : si Emmanuel Macron gagne dimanche, il devra sa victoire à fois à son positionnement politique, qui aura facilité un bon report de voix entre les deux tours face à une candidate d’extrême droite, et à des concours de circonstances : élimination de la droite du fait de l’affaire Fillon et de la division de la gauche. Cela n’enlève en rien ses qualités personnelles, mais cela ne peut pas être comparé à Obama.

 

PdA : La présidentielle est l’élection mère en France. D’elle procède quasiment systématiquement l’élection législative, tenue un mois après, et il n’y a pas de scrutins midterms nationaux...

F.D. : Je pense comme vous que l’ordre des deux élections présidentialise notre régime, et subalternise notre Parlement. Et je le regrette.

 

PdA : Est-ce qu’à titre personnel vous ne trouvez pas gênant ce système du winner takes all qui fait qu’une qualification pour le deuxième tour, forcément à deux, puisse se jouer à quelques dizaines de milliers de voix ? Macron avec 24%, Le Pen avec 21,3 au second tour... Fillon avec 20% et Mélenchon 19,6% rayés de la carte. Est-ce qu’un de nos problèmes de fond, je rebondis sur notre réflexion précédente, ça n’est pas précisément que ce soit cette présidentielle, et non les législatives, notre élection mère ?

« Un Macron élu devra être humble au regard

des résultats du premier tour... sinon il s’exposera

à une revanche politique des minorités du 23 avril »

F.D. : J’ai entendu Emmanuel Macron rappeler le fonctionnement institutionnel, et le fait de devoir choisir entre deux candidats après le premier tour. Il faut pourtant se garder de tout arrogance (je ne parle pas de personnalité mais bien de politique...). La vérité institutionnelle n’est pas la vérité démocratique qui prévoit également le respect des minorités, surtout quand votre majorité est faible (avec un vote utile dès le premier tour) et que la somme des minorités (filloniste, mélenchoniste, hamoniste etc.) est nettement supérieure à votre propre score. Si Macron ne comprend pas cela, on pourrait assister à une revanche politique des « minorités de premier tour » lors des élections législatives du 11 juin.

 

PdA : Tous les sondages d’après premier tour ont prédit une victoire d’Emmanuel Macron, sur des rapports d’à peu près 60-40. Dans votre série d’anticipation La Présidente, Marine Le Pen est élue à l’Élysée dès 2017. En quoi la réalité qui est en train de s’écrire sous nos yeux vous semble-t-elle différer de ce que vous aviez imaginé ?

F.D. : Il y a quelques heures, j’étais encore dans un état d’esprit similaire à celui qui m’a fait écrire la BD. J’ai même écrit en début de semaine une tribune pour le journal Libération intitulé « Pourquoi Marine Le Pen peut gagner (et pourquoi il faut le dire) ». Aujourd’hui, je dirai plus : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire...) ». Je m’explique... D’abord, entre temps, il y a eu la catastrophe industrielle du débat, que je qualifierai presque de faute professionnelle pour Marine Le Pen. Ensuite, je maintiens la parenthèse pour signifier que les citoyens doivent rester éveillés, vigilants et concernés par le vote. Si tout le monde se dit que tout est joué, nous pourrions avoir un taux d’abstention record qui pourrait réserver des surprises en termes d’écart entre les candidats. Ce sont les citoyens qui votent, pas les sondages !

 

La Présidente

Couverture de La Présidente, le tome 1. Éd. Les Arènes, 2015.

 

PdA : Ne pensez-vous pas que l’on néglige un peu la capacité qu’aura eu le Front national de dépeindre le candidat d’En Marche comme l’homme du "système" par excellence (le consensus "libre-échangiste", "européiste" et "mondialiste"), point qui rencontre de manière diffuse un écho certain auprès de franges nombreuses de la population qui ne se reconnaissent pas et se sentent perdues dans le monde tel qu’on l’a façonné ? Est-ce qu’il n’y a pas au fond, non sur le résultat final mais à la marge du score (qui pourrait être plus serré qu’on ne le dit comme vous le suggérez), un espèce d’"effet Trump" à imaginer à la faveur de Marine Le Pen ?

« L’erreur fatale de Marine Le Pen aura été

de refuser de s’ériger en candidate de la droite ;

elle aurait dû à certains égards être

une héritière de la campagne de Fillon »

F.D. : Attention à la comparaison. Car la spécificité française tient à cette idée de report de voix, que Marine Le Pen précisément n’a pas su maîtriser. Trump pouvait camper sur ses positions, en surmobilisant son électorat. Il a même pu gagner avec une minorité de voix ! Mais le système français impose aux deux candidats d’élargir leur électorat du premier au second tour. Et c’est l’erreur stratégique majeure de Marine Le Pen, de méconnaître les conséquences politiques de cette spécificité institutionnelle (du scrutin à deux tours). Au lieu de s’adresser à son électorat, élargi d’un électorat de gauche en colère, elle aurait dû essayer d’apparaître comme la candidate de la droite face à l’ancien ministre de François Hollande. Or, en dénonçant sans cesse le libéralisme de son adversaire, elle lui a presque offert l’électorat filloniste avide de réformes. Et je ne parle pas de cette incroyable erreur lorsqu’elle a fini par dire « Macron-Fillon, c’est pareil ! ». Elle n’aurait pu gagner – précisément – qu’en montrant qu’elle était sur un certain nombre de points une héritière de la campagne de Fillon, capable de porter les espoirs de son électorat.

 

PdA : On peut considérer que, sauf accident majeur, Emmanuel Macron accédera à l’Élysée à la mi-mai. Mais s’agissant des législatives, qui interviendront un mois après la présidentielle, pour le coup on est dans le flou total. Pensez-vous que l’on va s’acheminer vers l’émergence véritable d’une troisième force parlementaire, force centrale procédant de l’élection de Macron (les électeurs feraient le choix de la cohérence), ou bien vers une espèce de situation ubuesque pour la Cinquième version quinquennat, un divided government  à l’américaine parce que les partis traditionnels (et notamment LR) retrouveraient du poil de la bête, reprendraient leurs droits à l’Assemblée ?

F.D. : Je pense qu’il faut déjà avoir en tête, pour penser la politique, le propos de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

La grande question est l’ampleur de cette recomposition, de cette transformation. Qu’est-ce qui va véritablement disparaître ? Qu’est-ce qui va naître ? Qu’est-ce qui va renaître sous une autre forme ?

« "Républicains" contre "Démocrates", on pourrait

fort bien assister à une américanisation

de la vie politique française »

Je vous propose d’analyser la chose à partir d’un constat : quelle est force politique qui est sortie la plus affaiblie du premier tour ? Il s’agit du parti socialiste, avec un peu plus de 6% des voix. En considérant cela, on peut imaginer que se reconstituent quatre forces. Un « parti démocrate » qui serait la majorité présidentielle et qui se nourrirait de visages nouveaux et des ruines de l’ancien parti socialiste. Face à lui, les Républicains limiteraient selon moi les dégâts suite à l’élimination du premier tour. Dans la terminologie, on assisterait à une américanisation de la vie politique française – « démocrates » face à « républicains », américanisation entamée par l’importation des primaires.

À gauche du parti démocrate, une force constituée à partir des Insoumis et de l’aile gauche de l’ex-PS.

A droite du parti républicain, tout dépend du score de Marine Le Pen dimanche prochain. S’il apparaît comme amoindri du fait de l’erreur stratégique lors du débat télévisée, cela pourrait conduire sur un conflit entre les deux têtes de l’hydre anti-mondialiste. Le « nationalisme populiste » de Marine Le Pen et Florian Philippot – mixte d’extrême droite et d’extrême gauche – pourrait être concurrencé par le « nationalisme conservateur » de Marion Maréchal Le Pen – mixte d’extrême droite et de droite traditionnelle. Avec toutes les alliances possibles avec LR au niveau local notamment.

 

PdA : Le 7 mai, le choc sera frontal entre deux visions bien distinctes. Si Macron est élu, il incarnera et aura derrière lui peu ou prou l’ensemble des tenants du consensus évoqué plus haut. Une espèce de synthèse ultime entre progressisme et libéralisme - c’est en tout cas ce qui est affiché. Mais est-ce qu’il n’y a pas là, précisément, le risque qu’en cas d’échec, l’alternative, la seule alternative soit, le coup d’après, le Front national, version soft avec Marine Le Pen ou version hard avec Marion Maréchal ? Une alternative qui cette fois aurait des chances de passer parce qu’on aurait essayé tout le reste ?

F.D. : Je suis d’accord avec vous sur le fait que « faire barrage » ou construire des digues ne suffira bientôt plus. Il faut rendre plus performantes nos politiques publiques.

« La clé pour la suite, c’est d’abord

l’amélioration de la qualité de vie des citoyens »

Il ne faut pas avoir un raisonnement cynique. Le problème principal, ce sont les conditions de vie au quotidien des citoyens. Ce sont ces conditions qui amènent au danger démocratique d’avoir un parti d’extrême droite à la tête du pouvoir. N’oublions pas que parmi ceux qui gagnent seulement 1500 euros par mois, Marine Le Pen n’a pas fait 20% mais bien 30% des voix au premier tour ! Donc il faut souhaiter que la nouvelle majorité réussisse, non pas d’abord pour éviter l’élection de l’extrême droite la prochaine fois, mais pour que les citoyens aillent mieux.

 

PdA : Dans le troisième tome de La Présidente, chroniqué récemment sur Paroles d’Actu, Marion Maréchal est contrainte de céder son fauteuil présidentiel à Emmanuel Macron, allié à Christiane Taubira, tandem auquel vous prêtez des intentions de rénovation profonde du système institutionnel et démocratique. On a déjà abordé quelque peu le sujet plus haut, mais au-delà du débat sur le régime (semi-présidentiel contre présidentiel ou parlementaire) quelles sont à votre avis les réformes les plus nécessaires sur ce front des institutions et de la démocratie ? Que faire pour que soit abaissée la crise du politique et de la représentativité dans notre pays ?

« Face à la "frontière", mantra des

nationalistes, on pourrait mobiliser

autour de l’idée centrale de "formation" »

F.D. : J’ai été frappé par le fait qu’on peut résumer d’un mot la solution proposée par les nationalistes, de Trump à Le Pen : « Les frontières ! ». En revanche, face à eux, il y a une difficulté à comprendre le programme de leurs adversaires. Certes, parce que la voie de la complexité est toujours plus dure à emprunter. Mais je crois qu’ils gagneraient à mobiliser autour d’une idée également identifiable. Pour ma part, je pense à « la formation ». Pouvoir se former toute au long de sa vie est la seule solution pour que chacun trouve sa place au sein de toutes les sociétés dans lesquels il aura à vivre (dans le temps et dans l’espace).

 

PdA : Cette question-là, elle est pour le citoyen François Durpaire, plus que pour l’analyste. Quel message avez-vous envie d’adresser à ceux de nos lecteurs qui seraient, à l’heure où ils nous liraient, des électeurs indécis pour le second tour ?

F.D. : Comme le dirait Kant, « agis comme si ton action pouvait être universalisable ».

 

François Durpaire

Crédits photo : Seb Jawo.

 

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4 mai 2017

« Macron ou Le Pen, la laïcité est perdante », par Fatiha Boudjahlat

Fatiha Boudjahlat, enseignante, militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC) et auteure de Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement, essai à paraître aux éditions le Cerf, s’est imposée en quelques mois parmi les contributeurs les plus fidèles de Paroles d’Actu. Trois tribunes lui ont été accordées jusquà présent avec en toile de fond lélection présidentielle : « L'identité républicaine, la plus universelle des singularités » (janvier), « Le retour de la IIIe République » (mi-avril) et « Macron, le rêve américain et la simulation du partage » (écrite juste après le premier tour). Comme pour les trois mousquetaires, voici un quatrième texte, le dernier avant l’ultime round de l’élection - il date de quelques heures après le grand  pugi... débat à deux. Sur un des thèmes qui lui sont chers, très chers : la laïcité, valeur cardinale. Merci Fatiha ! Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Débat

Illustration : Europe 1

 

« Macron ou Le Pen,

la laïcité est perdante. »

par Fatiha Boudjahlat, le 4 mai 2017

On se souvient de la punchline que Clinton infligea à George Bush Père lors de sa première candidature : « It’s the economy stupid ». Cette campagne présidentielle montre au contraire que tout ne se réduit pas à l’économie. La laïcité, le rapport à la Nation, au communautarisme, la lutte contre l’islamisme, s’avèrent déterminants pour le vote du dimanche 7 Mai. Emmanuel Macron et Marine Le Pen, tous deux fans de Jeanne d’Arc, n’ont ni l’un ni l’autre un rapport sain à la laïcité.

« Sur la laïcité, le FN n’a entamé

son virage républicain qu’en apparence...

et dans une visée électoraliste »

Le FN a réalisé un rapt de la laïcité, qui n’est pas dû à la fille, mais au père. Lors d’un discours prononcé au Bourget en novembre 2006, Jean-Marie Le Pen déclarait : « Ils ont cassé l’égalité républicaine. Ils ont cassé l’égalité par l’abandon de la laïcité, seul principe capable de maintenir le "vivre ensemble", malgré nos diversités ancestrales ou récentes, par la frontière bien marquée entre la sphère publique et la sphère privée... Laïcité abandonnée par clientélisme communautaire, cette sordide soumission aux lobbies et autres minorités qui a récemment donné une loi liberticide de plus. Laïcité abandonnée par la mise en avant permanente et arrogante d’origines ethniques souvent mythifiées, au détriment des valeurs communes. Ces valeurs communes unificatrices qui faisaient de la France un pays de diversité et de fraternité où le Breton, comme l’Auvergnat, l’Antillais comme le Savoyard étaient à la fois fiers de leur région ou contrée d’origine. »* Le parti du culte à Jeanne d’Arc en tant que combattante de la foi et de la royauté française, défend à présent ce qu’il méprisait naguère : il a entamé son virage ‘républicain’, en apparence et dans une visée électoraliste. C’est un détournement massif. Le FN est dans une laïcité à géométrie variable, douce avec les chrétiens, dure avec les autres religions du Livre et en particulier, l’islam.

* Vie publique, les discours dans l’actualité.

« L’extrême-droite n’est pas laïque,

elle est anti-islam et lie cette religion

à une ethnie envahissante »

Dans une interview donnée au magazine hebdomadaire Famille Chrétienne*, Marine Le Pen offre un exemple de cette laïcité à géométrie variable : « Je souhaite une laïcité renforcée, parce que je suis une pragmatique : aujourd’hui, la France est confrontée à la montée du fondamentalisme islamiste. Celui-ci se sert de l’argument de la liberté pour en réalité diffuser son idéologie. (...) Pour bloquer ce fondamentalisme islamiste, cela nécessite quelques sacrifices pour les autres religions, notamment pour nos compatriotes de confession juive, en renonçant au port de la kippa dans l’espace public. » Marine Le Pen et l’extrême-droite ne trouvent rien à redire aux revendications des catholiques intégristes. Ses préconisations sont en infraction avec les lois et les jurisprudences européennes et internationales qui posent comme principe la liberté de manifester ses croyances religieuses. On peut être contre le voilement mais aussi, pour prendre la formule Macronienne, « en même temps » être contre son interdiction totale par la loi, qui ne pourra de toute façon jamais être obtenue. Ce ‘renforcement’ concernerait aussi la communauté juive appelée à faire des efforts… de discrétion. À la question, dont la formulation est contestable, du journaliste « Le christianisme et l’islam doivent-ils être traités de manière identique au nom de la laïcité ? Pourquoi faire payer au christianisme les difficultés posées par l’islam ? », Marine Le Pen répond : « Pourquoi se créer des inquiétudes, alors que l’intégralité de l’inquiétude devrait être concentrée sur la montée en puissance du fondamentalisme islamiste, dont, il faut bien le dire, les chrétiens et les juifs peuvent être en particulier des victimes directes. » L’extrême-droite n’est pas laïque, elle est anti-islam et lie cette religion à une ethnie envahissante. La sémantique du FN a changé au sein du Rassemblement Bleu Marine, auteur d’un rapt des mots et des symboles de la République, alors même que la députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen s’est dite appartenir à une génération « un peu saoulée par les valeurs de la République » et pour qui « la République ne prime pas sur la France »**. Cette conception de la laïcité portée par le FN n’a rien de républicain. La brutalité des promesses de Marine Le Pen ont peu à voir avec l’autorité dont ses électeurs l’investissent. Son interview valide les thèses indigénistes, qui seraient les grands gagnants de l’élection de Le Pen. Dans l’ouvrage Fatima moins bien notée que Marianne***, François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils affirment que « la laïcité est pour certains politiques devenue un instrument d’agression des minorités ». La laïcité est fustigée comme « conquérante », « extensive », c’est « une laïcité de conquête coloniale », et on repense au vocabulaire de safari employé par Macron : « chasse » et « traque »… La « neutralité laïque servant de paravent aux discriminations »****.

* Certains catholiques aiment se faire peur, article mis en ligne le 8 mars 2017.

** Article éponyme du Point, mis en ligne le 27 avril 2016.

*** Éditions de l’Aube, janvier 2016.

**** Pour une critique complète du livre : http://la-sociale.viabloga.com/news/fatima-moins-bien-notee-que-marianne-cette-nouvelle-sociologie-contre-la-science-et-contre-l-intelligence

« Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique,

presque jurisprudentiel, permettant toutes

les revendications communautaristes »

Emmanuel Macron n’est pas plus exemplaire. On se rappelle  son interview par Jean-François Kahn sur la laïcité* qui avait suscité un émoi légitime. Ce n’est pas une maladresse, mais l’expression tranquille de sa pensée empreinte de libéralisme politique. Rappelons cette série d’actes : l’hommage qu’il a rendu à Jeanne d’Arc, son pèlerinage au Puy du Fou aux côtés du désormais frontiste de Villiers, ses rencontres avec des représentants religieux. Il déclarait : « Quand certains réclament des menus dans les écoles sans aucun accommodement et veulent que tous les enfants mangent du porc, ils pratiquent une laïcité revancharde dangereuse ». La laïcité deviendrait dangereuse parce qu’elle serait ‘revancharde’ à l’encontre de l’islam et des Arabes. Avec une alternative qu’il ose poser sans nuance et sans honnêteté : dans les écoles de notre pays, il y aurait soit des menus confessionnels, soit le porc serait obligatoire. Le site de son mouvement « En Marche », à la rubrique laïcité, il y a quelques mois, affichait le même vocabulaire agressif, parlant de « chasse au foulard dans les universités », de « traque dans les sorties scolaires » de « celles et ceux qui peuvent avoir des signes religieux ». Interrogé sur l’islam en France par Jean-François Kahn, Emmanuel Macron répond : « Et qu’on demande à des gens d’être des musulmans modérés ! Demanderait-on à des catholiques d’être modérés ? Non ! On demande à des gens de faire ce qu’ils veulent avec la religion pour eux-mêmes et d’être dans un rapport de respect absolu avec les règles de la République. (…) Dans le champ public, je ne leur demande qu’une seule chose : qu’ils respectent absolument les règles. Le rapport religieux renvoie à la transcendance et, dans ce rapport-là, je ne demande pas aux gens d’être modérés, ce n’est pas mon affaire. Dans sa conscience profonde, je pense qu’un catholique pratiquant peut considérer que les lois de la religion dépassent les lois de la République  ». Avec comme final cette envolée lyrique : « La République est ce lieu magique qui permet à des gens de vivre dans l’intensité de leur religion ». S’il devient légitime que les pratiquants considèrent que les « lois de la religion dépassent les lois de la République », c’est que la loi qui devrait s’appliquer à tous peut être subordonnée aux préceptes religieux d’une communauté et de ses leaders. Même si E. Macron précise qu’il s’agit des convictions personnelles des croyants, ceux-ci ne manqueront pas de vouloir mettre leurs actes en conformité avec leurs convictions profondes, et un candidat à l’élection présidentielle leur en aura donné quitus en validant la primauté des normes religieuses particulières, donc communautaristes, sur le Droit qui s’applique sur l’ensemble du territoire. Emmanuel Macron évoque avec une joie toute évangélique « l’intensité » de la pratique religieuse. C’est un élément de langage derrière lequel les extrémistes s’abritent quand on les renvoie à leurs pratiques rétrogrades : il ne s’agirait en fait que d’orthodoxie. Interrogé par Ali Baddou sur son refus de serrer la main des femmes**, le président-fondateur de l’ONG religieuse Baraka City s’était justifié en donnant l’exemple des juifs orthodoxes qui s’en abstenaient tout autant. Il se décrivait lui et sa pratique religieuse comme « orthodoxes ». On rejettera une pratique religieuse radicale, rétrograde, obscurantiste, mais si elle n’est qu’orthodoxe, nous ne nous y opposerons plus, notamment parce qu’une telle pratique se présente comme conforme au dogme, et que la critiquer reviendrait à s’en prendre au dogme. Les extrémistes, dont nous avalisons la stratégie en adoptant leurs éléments de langage, pourront maintenant dire qu’ils ne font que vivre « dans l’intensité » de leur foi. Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique, presque jurisprudentiel, permettant toutes les revendications communautaristes. Il a même pris le contre-pied de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne*** qui a expliqué dans un renvoi préjudiciel qu’une entreprise était tout à fait dans son droit en interdisant dans son règlement intérieur le port du foulard dans certains cas, comme celui de la mise en contact avec les clients. Ce fut une grande victoire pour celles et ceux attachés à la laïcité et opposés à la banalisation du voilement comme pratique ordinaire de l’islam. Emmanuel Macron lui, a préféré évoquer ces femmes en foulard empêchées de travailler. Quant à l’UOIF, qu’il a encore prétendu ne pas connaître lors du débat face à Marine Le Pen, lui qui connaît tant de choses, on ne peut s’étonner de son refus de rejeter le soutien que cette organisation islamiste lui apporte, elle ne fait en effet que « vivre dans l’intensité de sa foi ». Cette formule se referme comme un piège et banalise toutes les radicalités.

* Mis en ligne le 1er octobre 2016.

** Ancienne émission dominicale de Canal +, en date du 24 Janvier 2016.

*** http://curia.europa.eu/…/applica…/pdf/2017-03/cp170030fr.pdf

« Aucun des deux candidats ne défend

une vision de la laïcité conforme à celle des

républicains dignes de ce nom »

Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont une vision de la laïcité opposée en apparence. Mais à la vision multiculturaliste et communautariste de Macron répond la vision identitaire de Marine Le Pen : c’est toujours une conception de la Nation atomisée en segments ethniques, loin de celle à laquelle sont attachés les républicains : un corps politique indivisible. Quel que soit le vainqueur, la laïcité sans adjectif est perdante, ceux qui y sont attachés n’avaient d’ailleurs  guère de représentant durant cette campagne. C’est une drôle de défaite...

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

Elle est auteure de l’essai à paraître (aux éd. du Cerf) :

"Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement".

 

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4 mai 2017

« La science-fiction, viatique pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) », par Jérôme Maucourant

Alors qu’au lendemain du débat qui a opposé les deux finalistes de l’élection présidentielle tout désormais nous donne à croire qu’Emmanuel Macron sera le prochain président de la République, je vous invite vivement à découvrir la contribution qui suit. Son auteur est Jérôme Maucourant, il est chercheur en sciences économiques et enseignant. Ce texte, né dune invitation que je lui ai soumise il y a une dizaine de jours, est exigeant mais riche et enrichissant. Ce regard porté sur le scrutin, sur les forces en présence, visibles et sous-jacentes, le tout utilement mis en perspective, est âpre et sans concession. À la fin, le message est clair, mais avec une infinité de nuance, parce que rien nest simple ou évident nen déplaise à ceux qui ont la leçon de morale - républicaine, forcément - facile : oui, il faut voter pour « Nicole Thibodeaux ». Mais pas un chèque en blanc. « Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. (...) Demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant [cette froide abstraction quon a tous pris lhabitude dappeler] "le système" ». Merci à vous, Jérôme Maucourant, et merci à la fidèle Fatiha Boudjahlat pour sa précieuse intermédiation. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

The Simulacra

Illustration : http://www.flickriver.com

 

« La science-fiction, viatique

pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) »*

par Jérôme Maucourant, le 3 mai 2017

Une prophétie américaine

Philip K. Dick fut rendu célèbre, juste avant sa mort, grâce à une remarquable adaptation cinématographique de l’un de ses romans : Blade Runner. Il est également l’auteur de Simulacres (The Simulacra, 1964), autre œuvre de science-fiction d’une redoutable pertinence pour penser notre monde contemporain. Pas simplement parce qu’on y voit le dernier psychanalyste en exercice : notre monde n’est-il pas celui où la quête de soi a cédé le pas à la recherche de simples techniques efficaces d’influence sur soi comme sur autrui ? Dans ce monde sans âme existe un Président : un androïde, en réalité. La first Lady, Nicole Thibodeaux, exerce la réalité du pouvoir et ne connaît pas l’usure du temps car elle est remplacée par des actrices lorsque le vieillissement fait son œuvre. Plus encore, les partis républicain et démocrate ne font plus qu’un, et la puissance des firmes est telle qu’elles en viennent à contrôler la politique et à s’immiscer de façon suffocante dans l’intériorité de chacun. Et l’odeur du nazisme imprègne ce monde de bien des façons…

« Philip K. Dick avait en son temps parfaitement

saisi le système de simulacres propre au capitalisme

post-totalitaire de la consommation de masse »

Plus de cinquante années après son achèvement, ce texte touffu - mais fort riche - se révèle une anticipation de notre brûlante actualité : Dick avait parfaitement saisi le système de simulacres, économiques comme politiques, propre au capitalisme post-totalitaire de la consommation de masse. Les vies politiques, en France ou aux États-Unis, s’inscrivent dans un paradigme dont nous voyons, jour après jour, l’actualisation de toutes les virtualités. La vérité était chose rare dans l’univers de Simulacres : Trump n’a fait que célébrer, de la façon la plus grotesque qui soit, cette vérité de l’absence de vérité et cette autre vérité que tout est permis. Comme Monsieur Jourdain, Trump fait donc du Nietzsche sans le savoir**. Il nous dévoile un monde de faux semblants, et c’est bien pour cela qu’il attise le ressentiment d’un certaine bourgeoisie intellectuelle-libérale, tellement à l’aise dans ce monde, avide du monopole de la critique et, bien sûr, libérée de tout souci de la vérité depuis bien longtemps***

* Je remercie Nicolas Roche de m’avoir donné l’idée de ce texte qui justifie le bien-fondé de cette pétition « Pas de chèque en blanc pour Emmanuel Macron ».

** « Non, ceux-ci sont loin d’être des esprits libres, car ils croient encore à la vérité... Lorsque les Croisés se heurtèrent en Orient sur cet invincible ordre des Assassins, sur cet ordre des esprits libres par excellence, dont les affiliés de grades inférieurs vivaient dans une obéissance telle que jamais ordre monastique n’en connut de pareille, ils obtinrent ,je ne sais par quelle voie, quelques indications sur le fameux symbole, sur ce principe essentiel dont la connaissance était réservée aux dignitaires supérieurs, seuls dépositaires de cet ultime secret : "Rien n’est vrai, tout est permis"... ». Voir Frédéric Nietzsche, La Généalogie de la Morale, 1887.

*** Son slogan pourrait être celui-ci  : tout n’est que relatif. Sauf cet énoncé…

Hermann Goering voyage dans le temps

L’affaire Mehdi Meklat – du nom de celui qui a envoyé des dizaines de milliers de tweets antisémites et homophobes – illustre parfaitement cette tendance d’une certaine bourgeoise à admirer le lumpenprolétariat. Celui-ci ose, en effet, ouvertement, s’asseoir sur toute forme de règles morales. Tout ce que le Haut-Paris compte de ces très intellectuels jouisseurs transgressifs connaissait parfaitement l’identité de l’auteur à la une de ses magazines ; et d’ailleurs, même après que cela fut connu, France-Culture se bornait à dire que tout cela était fort « complexe »*... Comment cette fraction de l’intelligentsia peut-elle décemment en appeler à la lutte contre le fascisme par un vote Macron le 7 mai 2017, alors qu’elle ne cesse de chérir ce qu’elle désigne par « fascisme » par ailleurs ? D’ailleurs, ces intérêts établis de la sphère culturelle ont assurément oublié que c’est probablement la complexité de Jean-Marie Le Pen qui permet de comprendre son négationnisme ! Mais, deux poids, deux mesures : le père Le Pen n’est pas un « indigène de la République » … Que le lecteur n’oublie pas aussi que, dans un admirable rituel d’inversion, c’est une supposée « fachosphère » qui serait coupable d’une cabale visant Meklat, jeune prodige supposé et déjà publié par le Seuil… Qui ne voit que ce reniement de la morale la plus élémentaire, cette négation de la common decency chère à Orwell, peut nourrir un désir réactif d’ordre qui conduit à bien des dérives ?

« Macron personnifie une politique

post-moderne qui fait bon marché

systématiquement de la vérité » 

Or, notre très probable président, Emmanuel Macron, incarne-t-il une parole de vérité et de courage qui irait à l’encontre de ces tendances néfastes de notre temps ? Il semble que non et qu’il personnifie au contraire une politique post-moderne qui fait bon marché systématiquement de la vérité. Il ne s’agit plus d’user de la ruse, chose naturelle en politique, mais de dire tout et son contraire. Comme vouloir combattre le multiculturalisme et nier simultanément l’existence d’une culture française. Anti- et pro-communautaristes peuvent ainsi se réjouir. Plus encore, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, Macron se découvre, en premier lieu, curieusement, « patriote », thème jamais abordé jusque là. Comme ce mot est un fétiche de Marine le Pen, il se l’approprie sans vergogne pour mieux la qualifier de « nationaliste ». Mais, comment être patriote et nier la culture d’un peuple ? Expliquez cela aux Algériens et Irlandais : ils ne comprendront pas. Personne, à dire vrai, ayant quelque bonne foi en cette affaire ne peut comprendre les mots vides de Macron.

* Xavier de La Porte, « Mehdi Meklat : Internet est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes », La Vie numérique, le 21.02.2017 : « Oui, peut-être… Il y a sans doute chez Mehdi Meklat une complexité qui nous échappe, et lui échappe aussi. Mais voilà, qui d’autre que lui peut le savoir, à condition que lui-même le sache ? Une seule chose est certaine dans cette histoire : avec sa capacité de mémorisation, avec les possibilités qu’il offre de jouer avec les identités, avec ce qu’il permet de cette parole mi-privée mi-publique, avec le sentiment d’impunité qu’offre cette parole, Internet est un lieu compliqué. Mais c’est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes ». URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/mehdi-meklat-internet-est-un-lieu-encore-plus-complique-pour-les-gens

Ne pas nommer l’ennemi ou la politique de la crainte

Il se découvre aussi, immédiatement après sa révélation patriotique, un grand penchant anti-terroriste. Fort bien. Mais c’est en 2012, avant que tant de grands crimes ne suivent, que Mohamed Merah a assassiné des enfants juifs parce juifs, premier crime de ce genre depuis 1945. Comment peut-on découvrir, ainsi, en une soirée électorale, un tel problème ? N’a-t-il pas déclaré ainsi : « Je ne vais pas inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit »* ? Pour un ancien ministre, candidat depuis quelque temps déjà, la découverte de cette réalité sociale et de l’échec de la politique conduite par le gouvernement auquel il a appartenu est, pour le moins, inquiétante.

Il est encore plus inquiétant de refuser de désigner l’ennemi, ses dispositifs mentaux et matériels, autant de devoirs essentiels du vrai politique. Or, épousant la lâcheté d’un certain libéralisme multiculturel, Macron refuse toute critique sérieuse de l’islamisme (ou islam politique) par peur de critiquer l’islam lui-même ; cette équivalence entre islam et islamisme est d’ailleurs l’inadmissible dogme fondateur de l’idéologie totalitaire des Frères Musulmans. Ne pas combattre ouvertement l’islamisme est une grave faute morale et politique, car l’existence même d’une telle matrice idéologique permet que s’installe chez certains esprits l’idée que le passage à l’acte terroriste est légitime. Alors que l’État social est une réalité en  France, que tant de migrants veulent la rejoindre, que nous sommes loin de la situation de l’Irak détruit par les Anglo-Britanniques ou d’Alep anéantie par les Russes, c’est la « société française » que Macron fustige ! L’Express a ainsi rapporté, rappelons-nous**, que, selon le possible président, « la société française doit assumer une "part de responsabilité" dans le "terreau" sur lequel le djihadisme a pu prospérer. Il a notamment évoqué une disparition de l’idéal républicain de mobilité sociale ». Les morts du Bataclan auraient-ils donc quelque part de responsabilité dans cet assassinat de masse qui les a frappés ?

« Qui ne voit les gages de politiquement correct

adressés par Macron aux ténors d’une bourgeoisie

communautaire émergente ? »

Qui ne voit les gages de politiquement correct adressés ici par Macron aux ténors d’une bourgeoisie communautaire émergente***, jalouse de son capital victimaire ? C’est pourquoi il est une d’indulgence étonnante comme en témoigne son attitude**** face aux comportements communautaristes présents dans son mouvement*****. Faut-il rappeler qu’il n’y a pas d’islamisme modéré ? La logique intellectuelle du CCIF – « frériste » - s’inspire de penseurs comme Sayyed Qotb dont on peut dire le dogme en quelques mots avec un célèbre penseur marxiste arabe : « L’islam, selon Qotb, et avec lui tous les fondamentalistes serait différent et spécifique parce qu’il ne sépare pas le domaine religieux (la croyance) de celui du social (l’organisation du pouvoir de la  famille, de la vie économique »******. Il n’existe pas quelque chose comme un totalitarisme « modéré » avec des expressions parfois « radicales ». Le totalitarisme religieux (islamisme à la Hassan al-Banna, Sayyed Qotb et Tariq Ramadan) ou racial (nazisme) est un totalitarisme. On ne peut transiger avec lui : on doit le combattre.

Sans doute, moins que les questions politiques, la question économique ne se prête pas à autant de manœuvres visant à divertir l’attention de l’électeur. Longtemps, on a reproché à Macron de ne pas avoir un programme : c’était là une injustice affreuse. Car, notre probable président a toujours fait de la soumission aux normes de l’Union européenne l’essentiel de ses préoccupations. Bien sûr, le mot de soumission - comme acceptation de l’hégémonie du capital allemand et imitation d’un modèle de domination pour les autres classes dominantes de l’Europe - n’est pas mis en avant. Il s’agit plutôt, comme on le fait depuis trente ans,  d’affirmer qu’il faut adapter les Français frileux et arriérés aux « grands vents » de la mondialisation et de « construire l’Europe » etc. Comme si les inégalités n’avaient pas explosé, comme si Trump et Poutine n’étaient pas aux commandes …

* Sur RTL, rapporté par France Télévisions, le 21/04/2017.

** Le 23 novembre 2015, selon L’Express, publié le 23/11/2015.

*** Dont une expression associative est le Collectif contre l'Islamophobie en France (CCIF).

**** A propos de la récente affaire Saou : « C’est un type bien. C’est un type très bien, Mohamed. Et c’est pour ça que je ne l’ai pas viré », dit-il selon l’échange diffusé sur le Facebook Live de la station de radio. Tout juste le candidat admet-il « un ou deux trucs un peu plus radicaux. C’est ça qui est compliqué. » Voir LeFigaro.fr, « Macron qualifie de "type bien" son ex-référent accusé d’accointances avec le CCIF », le 15/04/2017.

***** Ces dires rapportés par le Figaro sont fiables : il n’y a pas d’exagération relativement à la vidéo disponible. Quoi qu’on pense du Figaro par ailleurs... L’extrême-droite islamiste, incarnée par le CCIF et ses satellites, bénéficie encore ici de la « complexité » de la situation. Complexité alléguée dont ne bénéficie pas l’extrême droite traditionnelle ni ceux qui se refusent à signer un chèque en blanc à Macron  pour le second tour ne la présidentielle : ceux-là sont considérés comme moralement condamnables, comme Jean-Luc Mélenchon, et non pas comme politiquement discutables. Cette moralisation du débat public et ce « deux poids, deux mesures » systématique a quelque chose de proprement intolérable.

****** Samir Amin, La déconnexion – comment sortir du système mondial, Paris, La découverte, 1986.

L’arrivée de Thorstein Veblen

« La fonction de protection, propre

millénaire du pouvoir, doit-elle être

effacée de la discussion politique ? »

L’autre problème – étroitement lié aux précédents -, c’est-à-dire la « subordination de l’industrie à la finance », pour reprendre un mot du grand économiste et sociologue américain, Thorstein Veblen*, n’est jamais posé par Macron. Ses actes, lorsqu’il était ministre, laissent présager plutôt un dédain de l’économie matérielle**, alors qu’elle doit être la fin de la politique économique, la finance n’étant qu’un moyen. Tout se passe comme si il suffisait de faire en sorte que les marchés soient les plus souples possibles, qu’aucune entrave ne leur soit  opposée pour que chacun puisse goûter des dividendes de la liberté capitaliste. Pourtant, la crise de 2008 a eu lieu ! Doit-on également occulter les dégâts causés par une concurrence inique portant sur les règles (environnementales, fiscales, sociales), et non pas sur les seuls biens et services ? Comme si la fonction de protection*** – propre millénaire du pouvoir – devait être effacée de la discussion politique. Il est certes évident que les intérêts établis (de plus en plus héréditaires) de notre société ne veulent pas d’obstacle à leur démesure…

* Sur cet auteur : http://thorstein.veblen.free.fr.

** « Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite. » Voir Fatiha Boudjahlat, « Macron, le rêve américain et la simulation du partage », le 24 avril 2017.

*** Voir du regretté Philippe Cohen, Protéger ou disparaître. Les élites face à la montée des insécurités, Gallimard, 1999.

Peut-on raisonnablement voter pour Macron ?

Dans de telles conditions, voter en faveur de Macron serait pure déraison, si n’existait, en face de lui, une candidate effectivement redoutable, Marine Le Pen. Non que le Front national soit fasciste* : c’est plus un avatar de cet inquiétant mouvement de fond des sociétés occidentales qui a permis à des Trump, Orban etc. d’accéder au pouvoir. Parler de façon inconsidérée du fascisme, comme certains parlent de génocide à tout propos (souvent les mêmes), ne fait que démobiliser les consciences et banalise des événements comme la Shoah. En vidant les mots de leur sens, on produit le contraire de ce qui est attendu. Le problème est plutôt que Marine Le Pen ne soit pas républicaine au sens de la tradition française du républicanisme. Celle-ci se fonde sur la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, ce qui interdit de mépriser autant l’un que l’autre. Et c’est pourquoi les transferts de souveraineté faisant éclater l’identité toute française entre citoyenneté et nationalité** vont contre l’esprit de notre république, c’est pourquoi la doctrine de la « préférence nationale » mutile son âme. Il n’est point besoin d’agiter l’épouvantail du fascisme.

Il ne s’agit nullement donc de nier la légitimité de l’organisation politique d’un peuple singulier sous la forme de la nation et le droit de ce peuple à organiser la venue d’autres hommes sur son territoire. Mais, dès que des hommes vivent ou travaillent dans le territoire de la République, ils bénéficient d’une égale dignité (qui n’existe pas nécessairement dans leur pays d’origine, d’où leur arrivée). C’est notamment vrai dans le cadre du travail : comment penser de façon républicaine que les droits sociaux attachés aux travailleurs puissent varier selon l’origine de ceux-ci, sinon à nier leur égale dignité ? On mesure l’extraordinaire responsabilité de ceux qui, détruisant le cadre de la souveraineté nationale, favorisent le recours à un parti qui prétend la défendre… On objectera que bien des « républiques » (en Turquie, en Iran etc.) font des discriminations selon l’origine et qu’un même mouvement s’enclenche en Europe. Disons que, d’un point de vue français, ce sont des États, et non des républiques, et que dans certains cas, ces États ont un régime économique et un système politique qui les rapprochent, effectivement, du vieux fascisme européen. Raison de plus pour les combattre ouvertement, notamment sous le drapeau de la laïcité, ce que ne fait pas Macron.

« Ce n’est pas tant le racisme que le sentiment

d’une confiscation de la démocratie

qui alimente le vote FN »

Comment alors s’assurer que le Pen ne soit pas élue ? Il suffit d’entendre la rue, qui ne veut redonner un blanc-seing à un président élu comme le fut Jacques Chirac en 2002, et donc de s’engager à former un gouvernement d’union nationale qui autorise, sur certains points, la consultation du peuple par voie référendaire. Notamment pour faire évoluer le système de représentation afin que ne se reproduise plus jamais une situation où, avec 17 % des inscrits au premier tour, l’on puisse aisément gouverner la Nation toute entière en empêchant tout débat de fond. Le fait de refuser, par avance, toute discussion sur ce point au nom d’un supposé danger fasciste, c’est exciter les citoyens à manifester leur colère en votant Le Pen en raison de ce sentiment de dépossession monstrueux qui ne peut que justement les saisir. Ce n’est donc pas par racisme que, fondamentalement, tant de citoyens se sentent autorisés à un tel vote mais parce que la démocratie leur est confisquée.

Macron peut accéder au pouvoir, les cosouverains doivent même lui donner ce mandat ; mais, il ne doit pas abuser de ce pouvoir. Malheureusement, il ne donne aucun signe de renoncer par avance à cet abus que lui permet cette situation extraordinaire. Tous ceux qui estiment normal de ne pas exiger de Macron quelque engagement de la nature de ceux que nous évoquons, qui nous pressent de se fier à sa seule personne comme le réclame le vénérable maire de Lyon, ne font que favoriser un vote de protestation. Jamais le libéralisme n’a justifié autant de distance par rapport à l’exigence démocratique : persévérer ainsi, c’est construire les fondements d’une apocalypse en 2022.

* On ne peut à tort et à travers qualifier de néofascistes ces nouvelles formes politiques. Le fascisme doit être pensé avec des matériaux historiques rigoureux, qu’on peut trouver par exemple dans les Essais de Karl Polanyi (Seuil, 2008 ; inspiré par ces thèses, voir Jérôme Maucourant, « Le nazisme comme fascisme radical », Augustin Giovannoni, Jacques Guilhaumou, Histoire et subjectivation, Kimé, pp.197-218, 2008). Un des facteurs essentiels du fascisme est la non-reconnaissance des élections démocratiques (qu’elles soient politiques ou syndicales) et la dictature économique des propriétaires des moyens de productions. C’est pourquoi le nazisme a impliqué une privatisation de la politique économique du Troisième Reich (comme l’a suggéré Nobert Frei dans L’État hitlérien et la société allemande - 1933-1945, Le Seuil, 1994). La planification nazie était l’expression même d’un pouvoir de classe. L’entreprise, à l’image de la “communauté nationale”, est dirigée par un “Führer” qui n’est rien d’autre que l’ancien patron. Or, le capitalisme ne veut plus, pour l’essentiel, perpétuer sa domination par ce genre de procédés qui impliquait les camps et la terreur au quotidien. L’actuelle mondialisation est bien plus efficace, à cet égard, outre qu’elle est porteuse de profits bien plus amples et aisés à obtenir que par un recentrage de l’économie sur un cadre national ou même continental. Nul hasard donc à ce que la colère contre le système socio-économique se nourrisse du mépris du verdict des urnes… Orban et (Marine) Le Pen ne n’inscrivent pas dans le sillage de Hitler, dont Polanyi nous rapporte ces propos : « la démocratie en politique et le communisme en économie sont fondés sur des principes analogues ». Beaux paradoxes de notre temps ! Enfin, le fascisme comme le nazisme, qui était un fascisme radical, se proposait de créer un homme nouveau. Karl Polanyi précisait ce point en commentant la signification d’une institution fasciste : les corporations. Elles brouillaient la distinction entre l’économique et la politique au seul profit de l’économie de la façon suivante : «  [Les corporations] se transforment en dépositaires de presque tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires qui relevaient auparavant de l’État politique. L’organisation effective de la vie sociale repose sur un fondement professionnel. La représentation est accordée à la fonction économique : elle devient alors technique et impersonnelle. Ni les idées ni les valeurs ni le nombre des êtres humains concernés ne trouvent d’expression dans ce cadre. Un tel ordre ne peut exister sur la base de la conscience humaine telle que nous la connaissons. La période de transition vers un autre type de conscience est nécessairement longue. Hitler parle en termes de générations pour donner une idée de sa durée. » (Essais de Karl Polanyi, op. cit., p. 394).

** Voir Claude Nicolet, Histoire, Nation, République, Paris, Odile Jacob, 2000.

Déjouer le jeu des simulacres politiques en dépit d’un nécessaire vote Macron

L’antisémitisme, qui s’est développé sur fond d’une mondialisation libérale, s’est infiltré comme jamais à gauche, comme le montre l’affaire Meklat. Le communautarisme – lié fondamentalement à cet antisémitisme - ne semble pas constituer un problème pour Macron. Comme l’illustre la belle métaphore des voyages dans le temps d’Hermann Goering à la rencontre de Nicole Thibodeaux, la question nazie, cette maladie de la modernité, demeure irrésolue. Dick avait aussi bien anticipé cette constitution d’un parti unique de la pensée unique : Macron se veut ainsi le chef du parti du « progrès », d’une gauche et d’une droite réunifiées sous sa férule. Le parti du « progrès » - dans sa terminologie - s’oppose aux conservateurs de tous ordres : peu lui importe que, parmi ses conservateurs, nombreux sont ceux qui veulent conserver la nature, une certaine idée de la société, de l’école, et que, pour eux, à la différence de Macron, le but est tout et le mouvement n’est rien.

« Oui, il faut voter pour Nicole Thibodeaux...

mais pas sans garantie ! »

Faut-il voter pour Nicole Thibodeaux, allégorie d’un pouvoir politique se vidant de sa substance aux profits de puissants intérêts privés ? Oui. Mais, de grâce, cessons de faire la leçon de morale à ceux qui craignent légitimement la possibilité d’un terrible abus de pouvoir. Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. Bref, demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant le « système » ; selon ce terme si curieusement « populiste »* qu’il emploie, comme Marine Le Pen… En général, ceux qui ne posent pas cette question essentielle favorisent le contraire de ce qu’ils souhaitent. Mais certains, parmi eux, nous le savons, se réjouissent, en réalité, de cette aubaine qui permettra à l’Union européenne de continuer à défaire la République.

Il nous faut voter pour Nicole Thibodeaux : Dick, au secours !

* Selon l’AFP, 16/11/2016, « Emmanuel Macron a levé mercredi à Bobigny le faux suspense en annonçant sa candidature "irrévocable" à l’élection présidentielle, en opposition au "système", compliquant encore les projets de son parrain en politique, François Hollande ». URL : http://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-candidat-a-l-election-presidentielle-16-11-2016-2083431_20.php

 

Jérôme Maucourant

Jérôme Maucourant est chercheur associé

en sciences économiques (délégation CNRS au lab. HiSoMA).

 

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24 avril 2017

« Macron, le rêve américain et la simulation du partage », par Fatiha Boudjahlat

Emmanuel Macron, candidat porté par le mouvement En Marche !, totalement inconnu du public il y a trois ans, a réussi le tour de force de se positionner hier soir à la première place de l’élection présidentielle. Il sera opposé lors du second tour à la présidente du Front national Marine Le Pen, donc, de facto, au vu des forces en présence, de la « machine en marche », il sera le prochain président de la République - n’est-ce pas d’ailleurs un vainqueur sans partage qu’il nous a donné à observer aux dernières heures de ce dimanche ? Fatiha Boudjahlat, enseignante et militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC), a choisi de consacrer à M. Macron l’espace de tribune libre que je lui ai proposé au lendemain de ce premier tour. Il y a onze jours, dans ces mêmes colonnes, elle prédisait un « retour à la IIIème République »... Je la remercie pour cette fidélité, une fois de plus. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

E

Illustration : francetvinfo.fr

 

« Macron, le rêve américain

et la simulation du partage »

par Fatiha Boudjahlat, le 24 avril 2017

Une de mes élèves m’a expliqué que son père avait voté pour Macron parce que celui-ci avait présenté des mesures en faveur des ouvriers. Vraiment ? Cela m’avait échappé… Pourquoi ce vote en faveur de Macron  ? Outre les fans-de-l’idole, les européistes et les hyper angoissés du vote utile anti-FN du premier tour, Macron a aussi attiré le vote des couches populaires.

Cela me rappelle un documentaire dans lequel un journaliste interrogeait une femme noire d’un milieu très modeste qui avait voté pour Rudolph Giuliani, soit contre ses intérêts de classe. J’ai été très marquée par sa réponse : « Je voulais voter pour celui qui allait gagner ». Elle voulait être, elle la perdante de l’économie et de la société, du côté des vainqueurs, des puissants. Elle n’a pas voté pour un programme, mais pour l’homme en lui-même. Pas sa personnalité, non, le côté winner.

« Le vote Macron revient un peu à goûter

à sa réussite... par procuration »

N’est ce pas ce qui séduit aussi chez Macron ? Son côté chanceux, l’impression de baraka qu’il véhicule, sa ‘gagne’ ? Ceci ajouté au vide de sa personnalité et de son programme… permet à chacun d’y projeter ce qui l’arrange. Il est assez vide et assez magnifique pour que les perdants de la mondialisation lui accordent leurs suffrages, par lesquels ils goûteront un peu à cette réussite.

« Il n’a aucune colonne doctrinaire solide :

il est son propre programme »

Et tant pis s’il est entouré de félons ou de personnes mues par la rancune, comme l’ex-président de la Région Île-de-France, Huchon. Tant pis si ce dangereux rebelle n’a en fait accompli que la carrière des honneurs classiques: Sciences-Po, ENA… puis un petit tour dans la banque, qui est juste de la haute-fonction publique au service d’intérêts privés. Tant pis s’il ne cesse de se contredire, défendant ici la laïcité qu’il présente comme revancharde ailleurs, ou encore lorsqu’il évoque ces multitudes de cultures qui font la France tout en disant s’opposer au multiculturalisme et alors même qu’il n’y a pas de culture française. Tant pis si dans sa bouche la colonisation, présentée par lui comme bénéfique avant, devient un crime contre l’humanité après, pour rétrograder en « crime contre l’humain » dernièrement. On ne lui en tient pas rigueur. Il est magnifique, avec son fameux « en même temps », qui prouve qu’il n’a pas de colonne doctrinaire solide, il est son propre programme.

Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite.

« Macron est un candidat américain : il use

des codes et méthodes des campagnes

américaines... sans les maîtriser vraiment »

Il est un candidat américain, il incarne le rêve américain et c’est une première en France. D’où cette mise en récit stupéfiante sur sa réussite républicaine qui lui a permis de devenir ministre et de s’enrichir avant. Ses méthodes, sa campagne furent américaines. Il a tenté d’en adopter le code linguistique avec le public address, sans en avoir les capacités vocales ou en maîtriser vraiment la forme : « La culture américaine penche en politique vers le pouvoir amical mais ferme du public address, l’art de s’exprimer en public - un président américain est une machine à faire des discours - combiné avec une version de debate, à savoir conversation, qui n’a rien à voir avec ce que nous appelons la conversation, qui est une technique de simulation du partage. »* Ne serait-ce pas la clef du succès électoral de Macron ? Cette « simulation du partage » de sa réussite ? De sa chance ? De son destin de presque petit poucet ?

* P.J Salazar, Paroles Armées. Lemieux éditeur, 2015.

« Et pourtant il faudra voter pour lui...

un choix contraint, qui n’éblouit que les naïfs

et ne séduit que les cyniques... »

Et pourtant, il faudra voter pour lui. Parce que l’alternative est pire. Parce que l’alternative n’appartient pas au repère orthonormé de tout républicain intègre. Mais c’est un choix contraint. Qui n’éblouit que les naïfs et ne séduit que les cyniques.

 

Fatiha Boudjahlat

Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),

Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.

 

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