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Paroles d'Actu

12 janvier 2022

Ian Hamel : « Comment Tapie, simple homme de paille, a-t-il pu ainsi briller ? »

La disparition de Bernard Tapie, survenue le 3 octobre dernier dans sa 79ème année, a sans surprise fait la une de l’actualité du jour. De nombreux hommages ont été rendus à ce personnage au charisme certain qui aura eu mille vies, ou pas loin : il fut chef d’entreprise, député, "Boss" de l’OM, ministre, patron de presse, et même chanteur. Les dernières années de son existence furent marquées par la maladie, et sa lutte courageuse (comme tous les malades) et médiatisée contre le cancer lui a attiré de puissants élans de sympathie populaires.

Mais qui était vraiment Bernard Tapie, au-delà de celui qui nous a été vendu, quarante années durant, par un des plus grands communicants de notre temps, à savoir lui-même ? Ian Hamel, journaliste au Point, répond à cette question dans C’était Bernard Tapie (L’Archipel, 2021), une bio fouillée et sans complaisance. Autant le dire cash : les fans de Tapie risquent de ne pas aimer ce qu’ils liront, peut-être aussi de ne pas reconnaître tout à fait celui qu’ils voyaient presque comme un familier. De son vivant, Bernard Tapie aimait contrôler ce qui le concernait : il n’est plus et appartient désormais, sinon aux historiens, en tout cas à ceux qui voudront bien écrire et enquêter sur lui. Il n’y a pas là de vérité définitive mais une pièce supplémentaire apportée au dossier Tapie, pour mieux cerner l’homme, fascinant autant qu’il fut controversé, les dérives de l’argent roi et d’un pouvoir ayant perdu sa boussole, et parfois son âmeExclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Ian Hamel : « Comment Tapie,

simple homme de paille,

a-t-il pu ainsi briller ? »

C'était Bernard Tapie

Cétait Bernard Tapie de Ian Hamel (L’Archipel, 2021)

 

Ian Hamel bonjour. Quelle a été votre réaction à l’annonce de la mort de Bernard Tapie, à propos duquel vous aurez noirci bien des pages dont cet ouvrage, C’était Bernard Tapie (L’Archipel, 2021) ?

À l’annonce de la mort de Bernard Tapie, j’ai eu presque la même réflexion que Tintin dans Le Lotus bleu, concernant la mort de Mitsuhirato : « Dieu ait son âme ! Mais c’était un rude coquin ! » On ne pouvait pas détester complètement Tapie, malgré le mal quil a fait tout au long de sa vie. 

Attaquons-nous d’entrée à un gros morceau : que faut-il retenir à propos des scandales des comptes de l’OM ? Peut-on parler d’une forêt cachée par l’arbre VA-OM ?

Le procès des comptes de l’OM a beaucoup moins passionné les Français que l’affaire VA-OM, qui est anecdotique. Pourtant, on y apprend que, dès son arrivée à l’OM, Tapie a mis tous les moyens possibles pour gagner, notamment en achetant les arbitres. Au total, plus de 100 millions de francs ont été détournés dans les comptes de l’OM.

Comment expliquer la bienveillance inouïe de la Mitterrandie - et d’un Crédit lyonnais aux ordres - à l’égard de Bernard Tapie ?

À partir de 1983, les socialistes se sont rendus compte qu’il couraient à la catastrophe. Si la France ne voulait pas devenir l’Albanie, il fallait retrouver le système capitaliste. Mais pour cela, ils l’ont habillé en tentant de faire croire que des hommes de gauche, comme Bernard Tapie, pouvaient être aussi de bons capitalistes. Mitterrand a donc mis le Crédit Lyonnais au service de Bernard Tapie. Grâce à cette banque, il a pu acheter Adidas qui représentait quinze fois son chiffre d’affaires d’alors. Tous les analystes financiers vous le confirmeront : dès le départ, on savait que Tapie ne pourrait pas rembourser l’achat d’Adidas.

Vous expliquez bien, à propos de la sempiternelle affaire Adidas, que l’arbitrage voulu par le pouvoir sarkozyen (2008), favorable à Tapie et défavorable à l’État, donc aux contribuables, se fit au mépris d’une justice ordinaire qui allait elle dans un sens contraire. Peut-on clairement parler ici d’un fait du Prince, pour des motifs qui restent flous ?

Comment expliquer que Tapie, qui n’a pas mis un franc dans Adidas, aurait pu être floué par le Crédit lyonnais ? Même si je reconnais que le Crédit lyonnais n’a pas non plus été très honnête dans la reprise d’Adidas... Toutefois, personne n’est capable de dire pourquoi Nicolas Sarkozy a voulu faire gagner 405 millions d’euros à Tapie ? En 2007, ce dernier n’avait pas les moyens de lui apporter des centaines de milliers de voix. Mais on sait que Tapie a bien racheté le quotidien La Provence à la demande de Sarkozy qui voulait être candidat en 2017.

Il est beaucoup question, dans votre livre, de Tapie en tant qu’homme de paille. De quelles forces aurait-il été l’homme de paille ? Dans quelle mesure aura-t-il été à votre avis, aux manettes, et dans quelle mesure aura-t-il été instrumentalisé par plus fort que lui ?

Tapie n’a jamais été un homme d’affaires. J’ai rencontré ses proches : il ne mettait pas les pieds dans ses entreprises (sauf pour des reportages). Il n’a jamais été capable de lire un bilan. En 1981, les socialistes, arrivant au pouvoir, ont cherché des hommes de paille pour reprendre des entreprises, les pomper et détourner de l’argent. Mais à la différence des hommes de paille habituels, sans envergure, Tapie est très intelligent. Il ne s’est pas contenté de ce rôle obscur. Il a voulu briller. 

Bernard Tapie fut une figure emblématique des années 80, de ces temps contradictoires où la France élut par deux fois François Mitterrand mais où, sensibles aux vents anglo-saxons, beaucoup s’extasiaient devant les réussites - ou les réussites apparentes - des grands capitaines d’industrie, et même des requins de la finance ("Greed is good"). Qu’est-ce que la starification de Tapie dans ces années-là nous dit des mutations opérées dans la décennie 80 ?

Dès les années 80, l’important n’est plus de « faire » mais de le « faire savoir ». Tapie a notamment déclaré que sa société de pesage Terraillon, en Haute-Savoie, allait faire 1 milliard de chiffre d’affaires et 150 millions de bénéfices, alors que son CA était autour de 2-300 millions et qu’elle accusait 35 millions de pertes. Les journalistes économiques n’ont fait que recopier les chiffres donnés par Tapie qui les invitait, tous frais payés, dans de grands hôtels.

De quelles dérives Bernard Tapie aura-t-il été un symptôme, un symbole durant les 50 dernières années ?

Tapie est le symbole du paraître. Les médias ne s’attachent pas à ce qui est, mais à ce qu’il dit. Et comme tout va très vite, pratiquement plus personne n’enquête. 

Vous l’écrivez vous-même : dans bien des milieux, Tapie aura toujours été vu comme un Robin des Bois plutôt que comme un Stavisky. Il jouissait de mouvements de sympathie véritables (je laisse de côté la dernière période, avec son cancer). Qu’est-ce que la popularité Tapie nous dit de nous, et de ce qui nous touche ?

Tapie invitait les journalistes les plus connus, notamment ceux travaillant à la TV, dans son jet privé, sur son yacht. Ces derniers dressaient de lui des portraits qui ne correspondaient absolument pas à la réalité : homme de gauche, près du peuple, alors qu’en privé, il détestait les gens, et défendait des idées d’extrême droite. J’ajoute que Tapie a toujours été très habile, se présentant comme enfant du peuple, victime des riches, des banques...

Qu’est-ce qui sur le fond différencie Tapie d’un Silvio Berlusconi, ou d’un Donald Trump, deux autres grands ambitieux très charismatiques ? Contrairement à eux, lui a-t-il réellement voulu le pouvoir, en-dehors de celui que confère l’argent ?

C’est difficile à dire : voulait-il réellement du pouvoir ? Ministre de la Ville, il n’a absolument rien fait. Député à Marseille, il n’est jamais allé voir ses électeurs. Certain d’être battu en 1993, il s’est ensuite présenté à Gardanne. Il n’a jamais voulu vraiment être maire de Marseille. Il aurait fallu travailler. Or, Tapie, il ne vivait qu’avec son téléphone. Il ne lisait jamais aucun dossier.  

Quelles parts d’ombre demeurent à propos de Bernard Tapie ? Quels mystères sont encore élucidables, et quels secrets a-t-il vraisemblablement emporté dans la tombe ?

On ne sait que peu de choses sur ses liens avec la mafia. Son ancien bras droit, Marc Fratani, avec lequel j’ai écrit Le Mystificateur (L’Archipel, 2019), n’a jamais voulu m’en dire beaucoup plus sur les liens, bien réels, entre Tapie et le Milieu. Je sais qu’il y a eu des contacts avec la mafia avant la coupe d’Europe gagnée par l’OM en 1993. Mais comme je n’ai pas eu les preuves promises, je n’ai pas pu écrire sur l’événement le plus important dans la vie de Bernard Tapie. 

Si vous aviez pu l’interroger, quelles questions lui auriez-vous posées, les yeux dans les yeux ?

J’ai parlé à plusieurs reprises avec Tapie, notamment en 1992 quand il était candidat pour être président de la région PACA. Et en 2008, quand il savait qu’il allait gagner 405 millions d’euros et cherchait une villa sur les bords du lac Léman à Genève. Je lui ai envoyé une demande d’interview en 2015 lors de la publication de mon livre Notre ami Bernard Tapie (L’Archipel). il m’a fait un procès, m’attaquant sur quinze points. Il a perdu en première instance et en appel sur tous les points.

S’il m’avait reçu, je l’aurai interrogé sur ses liens avec le crime organisé et avec les présidents Mitterrand, Sarkozy et Macron. En revanche, ni Chirac et Hollande n’ont voulu entretenir de relations avec lui.

Comment a-t-on reçu l’information de la mort de Tapie en Suisse, et en quels termes la presse et les milieux d’affaires parlent-ils de lui ?

Bernard Tapie est un personnage connu en Suisse, où il se rendait fréquemment. C’est notamment une société financière genevoise qui lui a prêté de l’argent pour son yacht Le Phocéa. C’est aussi sur les bords du lac Léman quil pensait, un temps, s’installer avec les 405 millions d’euros de l’arbitrage. Bernard Tapie a même pensé racheter Servette, le club de foot de Genève.

Le jour même de sa disparition, j’ai été interviewé par la TV suisse. C’est surtout la presse francophone qui a parlé de sa disparition. Je dirais qu’elle est traditionnellement plus réservée que la presse française. Elle n’a donc pas fait de gros titres sur la disparition de l’ancien patron de l’OM. Quand aux milieux d’affaires, ils n’ont jamais pris très au sérieux Bernard Tapie.

Qui était-il finalement, ce Bernard Tapie que vous pensez, désormais, bien cerner ?

Bernard Tapie reste un personnage fascinant. Comment un simple homme de paille a-t-il pu ainsi briller ? Cela montre à la fois la médiocrité et le manque d’honnêteté de la classe politique française, des médias. Pourquoi Madame Macron s’est-elle inclinée sur le cercueil d’un type qui devait depuis 2015 plus de 400 millions aux contribuables français, et qu’il ne remboursera jamais ? Un type qui a mis à la porte des dizaines de milliers de salariés... J’ai écrit il y a quelques années un livre avec François Rouge, un banquier suisse tombé pour blanchiment. Il raconte le rôle des voyous dans notre société. Les grands de ce monde, les politiques, les hommes d’affaires, utilisent les voyous pour leurs basses besognes : menacer, espionner un concurrent, etc. Ensuite les voyous les tiennent. Tapie tenait beaucoup de monde.

À la fin de votre livre, vous évoquez l’affaire Thomas Thévenoud, qui a fait beaucoup de bruit pour beaucoup moins que les affaires Tapie. Vous vous empressez d’ajouter ensuite que cela ne présage pas nécessairement d’une plus grande vertu en politique. Malgré tout, peut-on dire qu’avec les nouvelles règles entrées en vigueur ces dernières années, on s’éloigne au moins un peu de la corruption et de l’affairisme en politique ?

Je pense qu’il est effectivement un peu plus compliqué qu’autrefois pour magouiller. Cela n’éloigne pas pour autant les hommes politiques de la corruption. Ils doivent simplement se montrer plus malins. 

Vos projets pour la suite ?

J’ai un projet de livre depuis plusieurs années sur l’arnaque des retraites. Dans certains départements, on arrive jusqu’à 21 % d’erreurs, toujours au détriment des retraités. Mon agenda a été bousculé par d’autres projets, sur Tariq Ramadan, sur Xavier Bertrand, enfin, sur Bernard Tapie.

Un dernier mot ?

Les hommages rendus à Bernard Tapie m’ont sidéré. Je n’avais déjà pas beaucoup d’estime pour la classe politique et les journalistes. Savaient-ils que Bernard Tapie les méprisait ? À peine l’un de ceux rencontrés avait-il franchi sa porte que Tapie le traitait de « merde », de « connard », de « nul », de « pauvre type ». 

 

Ian Hamel

 

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6 janvier 2022

Emmanuel de Waresquiel : « La tige de la girouette Talleyrand est toujours restée droite »

Cet article sera donc le premier de 2022 : je saisis cette occasion pour vous souhaiter à toutes et tous, ainsi que pour vos proches, une année chaleureuse, douce et pétillante, dans la bonne humeur autant que possible et surtout, surtout, avec la santé.

Les origines de ce premier article de l’année remontent à la mi-octobre. Le 16 octobre, j’étais présent parmi le public qui s’était pressé à la Fête du Livre de Saint-Étienne (Loire). Toujours des occasions exaltantes, inspirantes aussi : on découvre des créateurs, des gens qui ont plaisir à faire découvrir leur univers, ou à partager le fruit de leurs recherches. J’ai échangé avec quelques auteurs, dont Hélène de Lauzun, avec laquelle une interview a été réalisée et publiée ici (en novembre, sur l’histoire de l’Autriche). À ses côtés se trouvait un de nos historiens les plus respectés et récompensés, M. Emmanuel de Waresquiel, spécialiste notamment de la Restauration, et de la Révolution. Avant d’oser l’aborder, j’ai pris cette photo sympathique :

Emmanuel de Waresquiel

Plusieurs de ses ouvrages étaient en présentation, dont son récent Sept jours: 17-23 juin 1789, la France entre en révolution (Tallandier, 2020). Je l’ai salué et lui ai parlé un peu de ma démarche. Il m’a répondu avec bienveillance et m’a fait part de son intérêt pour une interview. Mon choix s’est porté non pas sur louvrage cité plus haut, pas davantage sur celui consacré au procès de Marie-Antoinette (deux sujets pourtant passionnants), mais sur sa bio monumentale d’un des personnages les plus fascinants de notre histoire : le grand diplomate à la réputation sulfureuse Talleyrand, qui fut actif au premier plan du règne de Louis XVI jusqu’à celui de Louis-Philippe.

Quelques semaines plus tard, après une lecture captivée et attentive de Talleyrand, le prince immobile (Tallandier), j’ai recontacté l’auteur pour lui proposer des questions. L’interview a été finalisée lors du passage au nouvel an. Je remercie M. de Waresquiel, pour ses réponses très précises, et je ne peux que vous inciter, amis lecteurs, à vous saisir avec ce livre passionnant, d’une vie des plus romanesques, et d’une pensée qui garde aujourd’hui sa pertinenceExclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Emmanuel de Waresquiel: « La tige

de la "girouette" Talleyrand

est toujours restée droite »

 

Talleyrand E

Talleyrand, le prince immobile (Tallandier)

 

Emmanuel de Waresquiel, bonjour et merci d’avoir accepté de m’accorder cette interview. Peut-on dire de Talleyrand qu’il a été volage ou plutôt opportuniste quant aux serments prêtés et aux régimes soutenus, et en même temps, constamment fidèle à de grandes idées (au dedans : une liberté tempérée et des cadres sociaux conservés, une forme de représentation du peuple tout en respectant le principe de légitimité ; au-dehors, une certaine conception de l’équilibre entre puissances) ?

l’État comme colonne vertébrale

Il faut distinguer avec Talleyrand, les apparences et le style, de l’intelligence et des idées sinon de ses idéaux. Tout le monde connaît sa boutade  : «  Je porte malheur aux gouvernements qui me négligent.  » Et on a longtemps fait de lui la figure du traitre idéal  : au roi Louis XVI, à l’Église, à la république, à Napoléon, à la Restauration en 1830. En réalité, et pour reprendre l’image d’Edgar Faure, avec lui ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. La tige de la girouette est restée droite. Dès 1789 et jusqu’à la fin de sa vie, celui qui n’est encore qu’évêque d’Autun s’en tient à des principes qu’on pourrait résumer par la phrase suivante  :  un État n’est fort que lorsqu’il est capable de tenir compte du temps et des évolutions de l’opinion dans l’organisation de ses pouvoirs  ; un État n’est grand que lorsqu’il sait ne pas humilier son adversaire dans une négociation alors même qu’il est en position de force. Autrement dit, un gouvernement modéré et aussi libéral que possible, ouvert au principe d’une représentation nationale et qui pratique une diplomatie fondée sur les usages, le droit et le respect des équilibres européens. Le mot est lâché. L’État, sa grandeur, sa continuité, sont bien, aux yeux de l’homme aux treize serments, la seule chose qui résiste derrière les mots et les principes.

 

Comment décrire ses rapports avec Bonaparte, et surtout Napoléon ? Y avait-il là, un rapport complexe d’admiration et de crainte mutuelles ? Et est-ce qu’au final, ce n’est pas la Ruse qui l’a emporté sur la Force ?

des miroirs et des clous

Dès leur première rencontre en décembre 1797, les deux hommes se sont séduits. On se souvient de ce que Talleyrand dit de Bonaparte dans ses mémoires, alors que ce dernier chaussait encore ses «  bottes d’Italie  »  : «  Une figure charmante. Vingt batailles gagnées vont si bien à la jeunesse, à un beau regard, à de la pâleur et à une sorte d’épuisement.  » En réalité les deux hommes correspondaient déjà depuis plusieurs mois et étaient d’accord sur l’essentiel. En finir avec l’instabilité du Directoire, réorganiser le gouvernement autour d’un exécutif fort et rétablir la paix. De son côté Bonaparte qui n’était pas sans vanité est fasciné par le rejeton de la grande aristocratie de cour qu’est Talleyrand, par son style, ses manières et la réputation de très habile diplomate qui le précède déjà.

Pour le reste, ces deux grands séducteurs sont aussi deux grands prédateurs de la politique. Dès la fin du Consulat leurs intérêts et leurs visions divergent. Napoléon construit son système de domination de l’Europe à coup de royaumes de famille et de guerres sans cesse recommencées et Talleyrand finit par perdre toute influence sur lui. Il le dit d’ailleurs quelque part à l’un de ses amis. L’homme avec qui il est le plus difficile de négocier, c’est Napoléon lui-même. Et en 1812  : «  Que voulez-vous faire d’un homme qui pour toute conversation n’a que la conversation de M. Maret ?  » Maret, duc de Bassano était l’âme damnée de l’empereur, son homme lige et son très féal serviteur. C’était dire en substance à quel point le pouvoir l’avait enfermé dans la solitude. Dès lors leurs rapports politiques vont être à l’image de l’expression heureusement trouvée par l’essayiste italien Roberto Calasso  : «  des rapports hérissés de miroirs et de clous.  »

 

Bonaparte avec Talleyrand

 

J’aimerais ici votre sentiment personnel sur un point qui m’a beaucoup intéressé : si Napoléon triomphant avait écouté Talleyrand qui portait le projet d’une alliance généreuse et sincère avec l’Autriche (avec une Vénétie rendue à son indépendance), doublée d’une entente avec Londres, l’Empire aurait-il pu vivre ? N’a-t-il pas lui même sous-estimé les velléités dominatrices de l’Angleterre ?

l’Angleterre et la Méditerranée

L’Angleterre a été le principal adversaire de Talleyrand. Il est loin de l’avoir sous-estimée au point d’avoir cherché toute sa vie, comme ministre et hors du ministère, à battre en brèche l’écrasante prépondérance commerciale de l’Angleterre sur les mers. Il voit dans l’Acte de navigation de 1651, grâce auquel Londres s’est donné les moyens de dominer les océans, l’une des causes du déséquilibre européen qu’il situe donc bien avant le début de la Révolution française. Le rapprochement, voire l’alliance des deux pays, «  la tige de la balance du monde  », comme il le dira plus tard à Lamartine, n’est envisageable à ses yeux qu’à la condition d’un rééquilibrage de leurs puissances commerciales respectives. Son intérêt croissant pour le commerce des Indes, sa conviction née des évènements révolutionnaires (l’abolition de l’esclavage), confortée à l’occasion de son voyage en Amérique en 1794, que l’avenir commercial de son pays n’est plus dans les Caraïbes, mais en Méditerranée et en Amérique du Sud, en concurrence frontale avec l’Angleterre, en font un adversaire redoutable de cette oligarchie politique et commerciale anglaise qu’il a toujours jugée sans complaisance pour l’avoir bien connue. À la fin de sa vie, il parlera encore des «  quinze cent milles égoïstes  » qui habitent Londres.

Je vais prendre le seul exemple de la Méditerranée pour illustrer mon propos. Avant même d’entrer aux Affaires, Talleyrand pose, dans un remarquable discours prononcé à l’Institut le 3 juillet 1797, les bases de la future politique méditerranéenne de la France : créer en Egypte, sur les côtes de l’Afrique, des établissements «  plus naturels, plus durables et plus utiles  » que ceux de Saint-Domingue et des iles sucrières des Caraïbes. L’expédition d’Egypte qui à ses yeux présentait aussi l’avantage d’ouvrir la route des Indes au commerce français, a été trop profondément modifiée par Bonaparte dans ses principes et ses modalités pour que l’on puisse y voir une première étape de cette politique. La patte du ministre est par contre plus visible dans le traité de paix négocié le 25 juin 1802 avec la Porte (l’Empire ottoman, ndlr) qui accorde de nombreux avantages commerciaux à la République et lui ouvre la mer Noire, à la grande fureur des gouvernements anglais et russe. La prise d’Alger en juillet 1830 est une conséquence directe de cette politique. Talleyrand officiellement chargé de régler à Londres la question de l’insurrection des Belges saura conserver cette première conquête à la France, en dépit de l’hostilité anglaise. Les instructions qu’il rédige avec Louis-Philippe à l’occasion de cette dernière grande mission diplomatique, résument à elles seules, toute sa politique méditerranéenne  : «  La France a un intérêt pressent à diminuer la prépondérance de l’Angleterre dans une mer qui est la sienne et dont l’Angleterre n’est même pas riveraine. Elle doit chercher toutes les occasions de rendre l’occupation de Malte et des îles Ioniennes inoffensive. L’entreprise d’Alger doit avoir les conséquences les plus avantageuses pour notre avenir maritime…  »

 

Je rebondis sur vos propos et me fais l’avocat du Diable, fût-il boiteux : Talleyrand a cette image de traitre corrompu qui lui colle à la peau, mais peut-on dire, tout bien considéré, qu’in fine il a toujours agi dans ce qu’il croyait être l’intérêt de la France, y compris quand cela supposait de saper les chances d’un empire devenu trop gros ? Est-ce qu’objectivement, et considérant notamment son rôle lors du Congrès de Vienne, on peut dire que la France lui doit quelque chose pour la place qu’elle a tenue dans l’Europe du XIXème siècle ?

pour un "droit public" européen

Talleyrand a surtout été celui qui a tenté d’empêcher les grandes catastrophes. Il n’a pas véritablement créé une situation nouvelle à la France. C’est la Révolution qui s’en est chargée. L’esprit de conquête de 1792 n’était pas du tout dans ses intentions. Il l’écrit même à Danton, depuis Londres, en novembre 1792. La France, lui suggère-t-il, doit d’abord songer à perfectionner son propre système politique, administratif et financier avant de vouloir l’imposer à ses voisins. À ses yeux, les notions de «  primatie  », de «  rang  », de «  supériorité dans l’ordre des puissances  » sont à ranger au catalogue des vieilleries diplomatiques. La paix est à ce prix. Dans ce contexte, les velléités guerrières de la République s’inscrivent ni plus ni moins dans le sillage d’un processus de dérèglement des équilibres européens qui remonte à la période qui suit la paix de Westphalie et tend à imposer par la conquête, le droit du plus fort en lieu et place de l’ancien droit public européen.

Ce «  droit public  » que Talleyrand défendra toute sa vie et surtout au congrès de Vienne n’est pas immuable. Il évolue au gré des traités de paix et d’alliance entre les puissances, en fonction aussi de l’état de leur commerce et de leur industrie. Il n’a pas non plus grand-chose à voir avec notre moderne droit international, mais relève «  d’un ensemble de principes, de maximes et de lois  » sur lesquelles tout le monde s’accorde. Dans son esprit, l’incorporation de la Belgique qui se prépare déjà en 1792 n’est idéologique qu’en apparence. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une abstraction qui masque en réalité un processus de conquête des plus classiques, sur le modèle des envahissements russes, prussiens et autrichiens des années 1770-1780  : l’annexion de la Crimée, les guerres «  danubiennes  », les partages de la Pologne, etc. Pour lui, malgré Danton, Barras et surtout Bonaparte, la France doit d’abord songer à stabiliser ses institutions avant de vouloir s’agrandir et « rejeter sans détour tous ces projets de réunion, d’incorporation étrangère qui pourraient être proposés par un zèle de reconnaissance ou d’attachement plus ardent qu’éclairé …  » Il s’inscrit ici clairement dans la continuité des grands ministres d’Ancien régime qu’ont été Fleury sous Louis XV ou Vergennes sous Louis XVI.

 

Il y a quelques passages savoureux dans lesquels vous rétablissez quelques vérités quand aux rapports entre notre anti-héros et Chateaubriand, qui n’a pas toujours été mordant envers Talleyrand. Deux grands intellectuels, deux hommes d’action. À votre avis, lequel des deux a vu juste en son temps, lequel a le mieux anticipé l’avenir ?

moi et Chateaubriand

On connait le mot cruel de Talleyrand sur l’auteur des Mémoires d’Outre-tombe à la fin de sa vie  : «  Si Monsieur de Chateaubriand se croit sourd, c’est qu’il n’entend plus parler de lui.  » À la différence de ce dernier, c’est un pragmatique qui ne croit pas aux sentiments, ni aux causes morales en politique. Les principes valent dans l’exacte mesure de leur efficacité, à un moment donné d’une négociation. C’est pour cette raison qu’il l’écarte du gouvernement en juillet 1815, peu après Waterloo et le second retour de Louis XVIII sur le trône, puis qu’il s’oppose à l’intervention française en Espagne en 1823 initiée et conduite par Chateaubriand alors ministre des Affaires étrangères. Il savait que cette intervention ne pouvait que conduire au rétablissement absolutiste de Ferdinand VII et à la destruction des garanties constitutionnelles imposées par les Cortès en 1812. Talleyrand est un légitimiste de la raison, certainement pas un légitimiste du cœur, des rêves et des sentiments. C’est au nom des Lumières, de la paix européenne et de la raison qu’il contribue à faire monter Louis XVIII, le frère de Louis XVI sur le trône en avril 1814.

 

Chateaubriand

Chateaubriand.

 

Comment expliquer que Talleyrand ne soit pas devenu Richelieu ? Est-ce à mettre, plutôt sur le compte des personnalités des hommes qu’il a servis, des circonstances chaotiques de son temps et non de ses qualités propres ?

de la trempe d’un Richelieu ?

Il est de la trempe du cardinal de Richelieu et il avait certainement autant «  d’avenir dans l’esprit  » que ce dernier, pour reprendre une expression de Bonaparte à son sujet. Les deux hommes se ressemblent par bien des aspects  : opiniâtreté, cynisme des moyens, sens de la continuité et de la grandeur de l’État. Seulement le contexte n’est évidemment pas le même. Richelieu intervient en pleine construction de l’État monarchique d’Ancien régime, face au «  pré-carré  » Habsbourg. Talleyrand œuvre à la restauration d’un État que la Révolution renforce et fragilise tout à la fois. Ce nouvel État fondé sur les principes égalitaires de la Révolution fait peur à l’Europe des rois. Tout son mérite, après sept coalitions anti-françaises et deux défaites cuisantes (en 1814 et en 1815) est d’être parvenu à force de patience à rétablir la France dans ce qu’on appelait «  le concert européen  ». À Vienne d’abord, en 1815, à Londres ensuite, en 1830, en travaillant à la paix et à l’indépendance de la Belgique.

 

Talleyrand passait pour un homme en tout imperturbable. Il ne semble pas avoir été ébranlé par ce que pouvaient signifier ses va-et-vient en matière de serments religieux, pas davantage par la vue des corps sans vie des champs de bataille, ou par son rôle dans le meurtre du duc d’Enghien. Sa grande angoisse n’a-t-elle pas été, finalement, l’élévation de sa race ?

la gloire des Talleyrand-Périgord

… sa grande angoisse et peut-être sa seule illusion, lui qui en avait si peu. Il a cru établir, par-dessus la Révolution, son nom et sa Maison sur des bases solides, par son prestige et par la fortune qu’il est parvenu à faire à la faveur de ses négociations et de ce qu’on appelait pudiquement à l’époque «  les douceurs diplomatiques  ». La suite a prouvé que ce rêve-là n’était qu’un château de sable. Son neveu et successeur Louis (le fils d’Edmond de Talleyrand et de la duchesse de Dino dont il a fait le mariage en 1809) n’a jamais eu l’envergure de son oncle. Et génération après génération, il ne reste presque plus rien de la fortune considérable qu’il avait su construire  : son hôtel parisien de la rue Saint-Florentin, le château de Valençay, les 12 000 hectares de terres et de bois alentours. Tout cela est sorti de la famille. Des Talleyrand au fond, il ne reste que lui.


 
Quand je considère Talleyrand, il me fait penser à trois personnalités, une qui lui fut contemporaine (évidemment Metternich), et deux plus proches de nous : Jean Monnet et Henry Kissinger. Il y a du vrai dans ces rapprochements ?

de Metternich à Kissinger

Il n’avait pas la vanité de Metternich qui bien qu’habile diplomate se prenait pour le «  rocher de l’Europe  ». Et en cela, il lui est supérieur. Talleyrand est l’homme de la virgule placée au bon endroit dans un traité de paix, pas celui des grandes ambitions. L’Europe des États - plus que celle des nations- qu’il a cherché à construire n’a pas grand chose à voir avec celle de Jean Monnet dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. Quant à Kissinger, bien des choses les rapprochent en dépit des différences de contexte. Un croyance commune en l’équilibre des forces - à l’échelle de l’Europe pour Talleyrand, du monde pour Kissinger, une préférence pour les relations bilatérales et la prise en compte dans une négociation de l’interdépendance des États à tous les niveaux  : économique, commercial, financier, politique et militaire. Talleyrand est même l’un des tous premiers à l’avoir théorisé. Et pour l’anecdote, si ce dernier a été l’un des principaux acteurs du congrès de Vienne, Kissinger en a été l’historien et l’admirateur. Il en a même fait son sujet de thèse (Les chemins de la paix, publié en 1973).

 

Henry Kissinger

Henry Kissinger.

 

Si, hypothèse farfelue mais que j’aime bien, vous pouviez voyager à un moment de cette histoire (qui va de Mirabeau jusqu’à M. Thiers), et fort de vos connaissances de 2021, transmettre un conseil, un avertissement à Talleyrand, ou simplement lui poser une question, que choisiriez-vous ?

Racontez-moi votre vie M. de Talleyrand car j’ai eu beau passer près de vingt ans avec vous, j’ai le sentiment de mal vous connaitre. De ce point de vue, le mot que lui prête la comtesse de Kielmannsegge prend tout son sens  : «  Je veux que pendant des siècles, on continue à discuter de ce que j’ai été, de ce que j’ai pensé, de ce que j’ai voulu.  »

 

Quels sentiments Talleyrand, ce Charles-Maurice que vous nous avez si bien conté vous inspire-t-il finalement ?

Salut l’artiste  ! Une certaine admiration et au bout du compte de l’empathie même si avec un charmeur de son espèce on doit se garder de se laisser donner le baiser du diable  !

 

E

 

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29 décembre 2021

Eric Teyssier : « L'odyssée des chars de De Gaulle dans la jungle, une histoire incroyable ! »

Qui connaît encore, dans son détail et dans ses subtilités, l’histoire des combattants français durant la Seconde Guerre mondiale, tant pendant qu’après la première campagne de France du printemps 1940 ? Plus grand monde, en tout cas parmi le grand public. C’est en partant de ce constat que l’historien et romancier Éric Teyssier s’est attelé depuis deux ans à l’écriture d’une grande saga historique : après le tome 1 de L’An 40, ici chroniqué en juillet 2020, la deuxième partie du récit, sous-titrée "De Mers-el-Kébir à Damas" (et c’est tout un programme croyez-moi) vient de paraître chez Michalon. Le roman, très documenté, n’est pas complaisant avec grand monde : c’est la complexité de l’histoire qui y est une fois de plus démontrée. Puisse sa lecture, aussi agréable qu’instructive, inciter chacun à approfondir curiosité et esprit critique. Douces fêtes de fin d’année pour toutes et tous ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Éric Teyssier: « L’odyssée

des chars de De Gaulle dans la jungle,

une histoire incroyable ! »

L'An 40 tome 2

L’An 40, de Mers-el-Kébir à Damas, par Éric Teyssier (Michalon, novembre 2021)

 

Éric Teyssier bonjour. Il y a un peu moins d’un an et demi, nous échangions pour un article autour du premier tome de ta saga L’An 40, dont le deuxième volet, De Mers-el-Kébir à Damas, vient de paraître chez Michalon. Ce nouvel opus a-t-il été plus ou moins compliqué à composer que le précédent (documentation, aisance dans l’écriture, "sensibilité du matériel"...) ?

écrire un tome 2

Bonjour Nicolas. L’écriture est venue très vite après la publication du tome 1. La difficulté est venue ensuite d’une écriture en deux temps car j’ai dû m’interrompre. À cause du premier confinement d’abord, puis par les incertitudes de la situation de l’édition après celui-ci. J’ai donc dû intercaler l’écriture d’un autre roman sur l’époque romaine (La Prophétie des aigles, Alcide) avant de reprendre et d’achever le tome 2 de L’An 40. Au final, cette interruption a été plutôt bénéfique. L’écriture de La Prophétie... (ouvrage chroniqué ici en août, ndlr) m’a apporté encore plus d’aisance et j’ai pu maturer un peu plus cette histoire.

C’est toujours complique de faire un tome 2. Il ne faut pas décevoir. Pour la documentation, je n’en manquais pas. Il y a pas mal de choses sur la bataille de Dakar et sur la campagne de Syrie. Pour les témoignages, je me suis notamment plongé dans les souvenirs et les mémoires des premiers Français Libres, comme ceux très vivants de la 1ère compagnie de chars de combat que rejoint René Vermotte.


L’intrigue démarre dans le fracas, le sang et la colère, avec le drame de Mers-el-Kébir, évènement considérable que le grand public a me semble-t-il, largement oublié...

épisodes oubliés

Oui, c’est le but de cette série, faire connaître des épisodes oubliés de notre propre histoire. Mers-el-Kébir ou Montoire, évoquent vaguement quelque chose de douloureux mais le détail nous échappe. Plus encore, la bataille de Dakar, le ralliement de l’Afrique équatoriale, le retour des cendres de l’Aiglon ou la terrible campagne de Syrie sont totalement sortis de la mémoire collective et avec ces événements, c’est toute une année dramatique où Hitler semble avoir gagné la guerre qui est tombée dans l’oubli.... Comme si la guerre avait commencé avec Pearl Harbor à la fin de 1941...

 

 

Mers-el-Kébir a contribué à affermir la position de Churchill, parce que tout le monde a compris à ce moment-là qu’il était d’une détermination sans faille. Peut-on dire aussi que cet acte a entretenu pour longtemps une forme de haine anti-Anglais ancestrale, notamment mais pas seulement, chez Darlan et dans la marine ?

après Mers-el-Kébir, l’anglophobie

Oui, de ce point de vue, comme le disait Boulay de la Meurthe (et non pas Talleyrand) on pourrait dire que Churchill a commis plus qu’un crime, une faute. En effet, les ralliements à de Gaulle auraient été bien plus nombreux sans Mers-el-Kébir. De plus, la position de Vichy et singulièrement de Laval se trouvent renforcées par cette attaque inattendue. Elle conforte ceux qui pensent que la France ne doit rien attendre de l’Angleterre et qu’il vaut mieux se jeter dans les bras d’Hitler. Si Mers-el-Kébir réveille la haine contre la "perfide Albion", on ne peut pas évacuer dans cette affaire un vieux fond de francophobie chez les Anglais. L’accueil de cette nouvelle à la chambre des Communes où Churchill est chaleureusement applaudi pour ce succès en est la preuve. Mais on ne peut pas refaire l’Histoire.

 

Est-ce qu’il y a des regrets à avoir sur cette affaire ? Était-il envisageable que la flotte française, peuplée de patriotes légitimistes, se livre en des ports de l’Empire britannique ? À la place de Churchill, aurais-tu, sans doute comme l’aurait fait de Gaulle, ordonné la destruction des vaisseaux français pour préserver la Grande-Bretagne ?

rejouer le film

Oui, on peut avoir des regrets - déjà, le regret de voir cette belle flotte française, le deuxième d’Europe, condamnée à l’inaction avant de se replier sur Toulon où elle devra se saborder en 1942. De toute façon, en 1940, il était impossible pour la flotte de se livrer aux Anglais. Cette décision hautement politique dépasse complètement les pouvoirs de l’amiral Gensoul. S’il s’était incliné devant l’ultimatum britannique, les Allemands auraient aussitôt envahi la zone sud entrainant, peut être, l’invasion de l’Afrique du nord... Ce qui a terme aurait été dramatique pour les Anglais.

« Il aurait mieux valu que la Royal Navy attaque

la flotte italienne : cela aurait rétabli l’équilibre naval

en Méditerranée tout en démontrant aux Français

que l’empire britannique voulait continuer la lutte. »

En fait, l’attaque de la flotte française constitue une terrible erreur d’appréciation. Incontestablement, il aurait mieux valu que la Royal Navy attaque la flotte italienne, comme elle le fera avec un grand succès en novembre 1940 à Tarente. Cela aurait rétabli l’équilibre naval en Méditerranée tout en démontrant, aux yeux des Français, que l’empire britannique voulait continuer la lutte. Les ralliements aurait alors été nombreux. En fait, je pense que Churchill avait peur de la marine française mais au-delà de son improbable ralliement à l’Axe, je pense qu’il a surtout agi pour obtenir un succès facile face à une flotte désarmée. Quant à De Gaulle, il a justifié cette attaque à postériori. Il ne pouvait guère faire autrement, mais il a aussi une part de responsabilité car il a agité le risque d’une capture de la flotte française par les forces de l’Axe dans les jours qui ont précédé l’attaque. Personnellement, étant petit-fils d’un officier marinier de 1940, je me vois mal prendre cette décision de tirer sur des vaisseaux français.

 

GP Eric Teyssier

Le grand-père d’Éric Teyssier, qui fut officier marinier sur le croiseur Gloire.

 

Après Mers-el-Kébir, l’amiral en chef Darlan, furieux, a plaidé pour une déclaration de guerre de l’État français à l’Empire britannique, ce qu’à Vichy on s’est bien gardé de faire : "Une défaite suffit". Si, par pure hypothèse, il avait été suivi, qu’est-ce qu’à ton avis ça aurait changé dans le déroulé de la guerre, et jusque dans ses suites ?

la guerre à l’Angleterre ?

Si Darlan avait été entendu... les conséquences sont difficiles à évaluer. À court terme, on peut penser que l’entrée en guerre de la flotte française aurait pu déséquilibrer le rapport de force en Méditerranée. Au début, la situation des Anglais aurait été difficile mais sans porte-avions, la Marine nationale n’aurait pas pu changer profondément le cours de la guerre. En tout cas, Mussolini aurait vu d’un très mauvais œil cette intervention qui lui volerait la vedette sur le front méridional. Les Italiens n’auraient sans doute pas coordonné leurs efforts avec les Français et ils auraient subi le même échec en Libye.

Hitler aurait été gêné par ce retournement qui complique les choses sans changer la situation sur le front de la bataille d’Angleterre. Il aurait dû arbitrer entre le mécontentement du Duce et les exigences de Darlan. Au final Hitler aurait sûrement donné raison à son vieux complice sans rien lâcher au profit de la France qui se serait fourvoyée pour rien dans ce guêpier. Au final, la conclusion de la guerre aurait été la même mais la France se serait retrouvé dans la même situation que l’Italie d’après guerre, avec un statut de vaincu. Elle aurait de ce fait perdu son empire colonial, faisant ainsi l’économie de ses guerres de décolonisation... Mais comme toujours... on ne peut pas refaire l’Histoire.

 

On aborde ensuite un épisode encore plus méconnu, le drame de Dakar, rendez-vous manqué du ralliement de l’AOF aux forces gaullistes. Là encore, y a-t-il matière à avoir, après coup, des regrets quant au déroulé des évènements ? On a laissé passer des renforts vichystes, on a beaucoup tergiversé... Le souvenir tout frais de Mers-el-Kébir justement n’a-t-il compté pour beaucoup dans la combativité des défenseurs, et le plan gaulliste initial, celui d’une approche par la terre, par des Français, aurait-il pu fonctionner ?

Dakar

Dans cette affaire, les Anglais ont été très négligents. Ils ont laissé passer le détroit de Gibraltar à une importante force navale française. Partie de Toulon, ces navires ont renforcé Dakar. Pour l’anecdote, un de mes grands-pères était à bord d’un de ces croiseurs. Deux mois après Mers-el-Kébir, il fallait être bien naïf pour penser que les marins allaient se rallier à une escadre anglaise. Paradoxalement, cette bataille constitue la dernière victoire de la "Royale" face à la "Royal Navy" du fait de l’exploit du Béveziers. Pourtant, Dakar aurait pu être pris par la terre. Il s’en est fallu d’un obus tiré par un canon obsolète. Je raconte cette épisode qui a failli faire renoncer de Gaulle. L’enjeu été immense : Dakar, c’est toute l’Afrique de l’Ouest, le plus grand cuirassé du monde (le Richelieu), des troupes. C’est surtout des moyens financiers illimités avec l’essentiel des réserves d’or de la Banque de France, mais aussi celles de la Belgique et de la Pologne. Un pactole énorme qui aurait permis à la France Libre de se réarmer rapidement de manière totalement indépendante. À quoi tient l’Histoire...

 

Quand j’ai lu ton récit de Dakar je me suis dit : "Ici, la ligne Maginot a tenu". De fait, les Vichystes ont défendu la terre nationale pour ce qu’ils croyaient être une cause juste, bien loin de tractations diplomatiques qu’ils ne maîtrisaient pas. Est-ce là aussi, un hommage rendu au courage des combattants français, qu’ils se soient trouvés derrière l’emblème maréchaliste, ou évidemment derrière la croix de Lorraine ?

des Français contre des Français

Ces soldats qui tirent sur les bâtiments anglais qui viennent les attaquer ne sont "Vichystes" que pour les Gaullistes. Ils sont encore moins Pétainistes. Ce sont des notions qui n’existent pas en septembre 1940, à une époque où le mot de "collaboration" n’a pas encore été prononcé. En fait, à Dakar, ces soldats, ces aviateurs et ces marins se battent pour le gouvernement légal de la France. Un régime adoubé en juillet par la Chambre des Députés élue en 1936 (je le raconte) et reconnu par tous, y compris l’URSS et les USA. Quant aux Gaullistes, ils ont eu l’immense mérite d’avoir eu raison avant tout le monde, mais ils étaient si peu en 1940... Donc oui, c’est en quelque sorte un hommage à tous les combattants français qui en sont venus à s’entretuer pour le même drapeau, sous les yeux des Anglais. L’histoire est tragique, on ne le dira jamais assez. Le propre d’une tragédie, c’est lorsque tout le monde se bat, ou croit se battre pour de bonnes raisons.

 

Le titre du premier tome était La bataille de France. Celui-ci n’aurait-il pas pu s’appeler aussi, La bataille de/pour l’empire, tant celui-ci, de Dakar jusqu’à Damas en passant par l’Algérie, est essentiel dans cette histoire ?

le poids de l’empire

Oui, l’empire est au cœur de cette histoire, mais je parle aussi de ce qui se trame à Londres et au Caire. Je traite aussi de Vichy, de Montoire, de Paris occupé et de la vie des Français en zone non occupée. L’empire sera encore au centre de l’histoire dans le tome 3 avec le débarquement allié en Algérie en 1942.

 

Un élément m’a intrigué : la discussion de Hitler avec un conseiller, dans laquelle le Führer fait part de son désir d’abaisser la France pour qu’elle ne se relève plus, et de lui ôter un nombre considérable de provinces. Que sait-on finalement de ce qu’il voulait faire de la France une fois la paix retrouvée, et cette question était-elle vraiment fonction de la suite de la partie avec l’Angleterre ?

Hitler, ses plans pour la France

Oui, il avait bien une volonté d’Hitler d’amputer la France de toutes ses provinces du nord et de l’est, bien au delà de l’Alsace Lorraine qu’il a réannexé de fait. Il avait même le projet de coloniser ces régions françaises par des colons allemands. Il faut dire qu’il s’en cachait à peine. Vichy faisait semblant de ne pas voir ce qui se tramait en croyant naïvement que sa volonté de collaborer adoucirait les conditions imposées par le vainqueur au moment de la paix. Dans les faits, une paix blanche avec l’Angleterre ou une défaite de celle-ci aurait été terrible pour la France.

 

Notre époque ne s’encombre que peu des subtilités de pensée : souvent, on condamne sans réserve ce qu’on ne connaît pas, et on déboulonne des statues en omettant de visualiser le tout et son contexte. Je laisse de côté les purs salauds, ces collaborationnistes qui par idéologie et se fichant pas mal de la France, auraient vendu père et mère pour devenir pleinement des sujets dévoués à leurs maîtres nazis au sein d’une Europe allemande. J’aimerais t’inviter en revanche à qualifier par un ou plusieurs adjectifs, pour mieux comprendre les positions de chacun, ces hommes forts de Vichy : Pétain, Laval, Darlan, Baudoin, Weygand.

les hommes de Vichy

Pétain, un maréchal qui est une "star" mondialement connue en 1940. Très imbu de lui même, il est foncièrement pessimiste mais appartient déjà à un autre temps. Il est né sous Napoléon III...

Laval, un pacifiste de gauche devenu le pire des collabos par horreur de la guerre. Une personnalité complexe...

Darlan, "une pipe branchée sur le néant", (l’expression est de l’époque). Une baderne bouffie d’orgueil qui ne comprend rien à rien et va se vautrer aux pieds d’Hitler.

Baudoin, un technocrate ambitieux qui comprend assez vite l’impasse de Vichy.

Weygand, un général lucide. Il est le principal partisan de l’armistice de juin 40 car il est convaincu que l’Angleterre ne continuera pas la guerre plus de trois semaines. Trois mois plus tard il admet son erreur, ce qui est rare pour un homme de 73 ans. Fermement opposé à "ceux qui se roulent dans la défaite comme un chien dans sa merde" (comme Laval), il prépare activement le retour de la France dans la guerre en Afrique du Nord. Par certains côtés, c’est une sorte d’anti-Pétain a qui il restera pourtant toujours fidèle. L’époque est plus compliquée qu’on ne le croit...

 

Maxime Weygand

Maxime Weygand.

 

Parmi les situations inventées, j’ai été touché par la souffrance post-traumatique du lieutenant Dumas : ceux qui ont lu le premier tome savent ce qui le mine. A-t-on relevé, dans les archives, beaucoup de cas de graves blessures psychologiques ?

blessures psychologiques

Il y a eu énormément de cas de ce type après la Grande-Guerre. Les archives regorgent d’histoires de Poilus incapables de retrouver leur place dans la société et qui tombent dans l’alcool, la violence ou la délinquance, sans parler de ceux qui sont devenus complétement fous. Mon autre grand-père, qui a fini la guerre de 14 dans les chars, a connu ces difficultés après la victoire de 1918. Pour les anciens combattants de juin 1940 la guerre a été bien plus brève et ils portent en plus le poids de la défaite. Même s’il n’y a pas d’étude sur ce sujet, on peut imaginer qu’ils se sont repliés sur eux-mêmes en taisant leurs souffrances. Ces syndromes ont été vraiment étudiés plus tard, notamment après la guerre du Vietnam. Cette question du traumatisme de Dumas constitue l’un des éléments clef de la saga.

 

Avec Claudine, tu nous fais découvrir, et c’est dans l’air du temps, une femme bafouée, blessée mais forte, qui devient maîtresse de son destin et même actrice de l’Histoire. Est-ce qu’on ne sous-estime pas encore trop le rôle qu’ont pu avoir les femmes en ce temps-là ?

femmes à la une

Sans vouloir être "dans l’air du temps", il est évident que les femmes ont eu un rôle particulièrement important dans cette guerre. Il est clair également que leur rôle n’est pas assez souligné. Il faut dire que là aussi l’exemple familial m’a inspiré. Pour certaines, comme Claudine, la guerre est sources de traumatismes mais aussi une façon d’avoir un autre destin en sortant de leur condition de mère au foyer. Pour ces femmes-là, à la fois mères et combattantes, certains choix étaient particulièrement difficiles.

 

Sans dévoiler trop d’éléments de l’intrigue, je signale qu’à un moment du récit se retrouvent, face à face, deux frères d’armes : l’un du côté des Français Libres, l’autre du côté des fidèles de Vichy. Y a-t-il eu des exemples réels de pareille situation, au Levant ou ailleurs ?

des frères d’armes devenus adversaires 

Oui, on connaît notamment le cas de deux frères qui se sont retrouvés face à face en Syrie. L’un était avec de Gaulle et l’autre dans l’armée du général Dentz. Généralement, tout ce qui fait partie de la fiction dans mon roman s’appuie sur des cas attestés. En fait, je n’invente pas grand chose, la réalité dépasse toujours la fiction. Je me contente souvent de faire vivre à mes héros et héroïnes des aventures vécus par différents personnages réels.

 

Plusieurs aspects géopolitiques que je ne connaissais pas m’ont passionné : la peur panique des Anglais à l’idée que les Allemands utilisent Dakar comme base pour leurs sous-marins, puis que les Irakiens révoltés (et soutenus par Berlin) coupent leur approvisionnement en pétrole et leur fassent perdre le contrôle du canal de Suez. Finalement, les vraies sueurs froides du gouvernement britannique se sont-elles jouées loin de son centre, et s’agissant de son centre peut-on considérer que le Blitz sur ses villes a, si l’on peut dire, "sauvé" la Grande-Bretagne en mettant fin à la campagne d’Angleterre, ce qui a préservé la R.A.F. ?

les sueurs froides de Londres

Le Blitz a été un moment important de la guerre, mais Hitler ne pouvait pas envahir la Grande-Bretagne. D’ailleurs, l’État major d’Hitler n’avait rien préparé à ce sujet avant l’effondrement inattendu de la France. Si Hitler avait mis la main sur l’empire colonial français, s’il avait attaqué certains points stratégiques britanniques comme Malte, l’Égypte, Suez ou réellement soutenu la rébellion irakienne, la Grande-Bretagne, dépourvue d’alliés, aurait pu s’effondrer. Mais, heureusement, Hitler est né en Autriche, dans un pays dépourvu d’histoire maritime. Sa perspective stratégique est strictement continentale. Pour lui la guerre contre l’Angleterre est une perte de temps au regard de son principal objectif qui est la guerre contre l’URSS. Quant à la Méditerranée, le Führer n’en voit pas l’intérêt. C’est un front très secondaire qui est abandonné à l’allié italien. C’est pourtant sur ce front que la guerre aurait pu basculer en 1941.

 

« Heureusement, Hitler est né en Autriche,

dans un pays dépourvu d’histoire maritime. Sa perspective

stratégique est strictement continentale. »

 

On sait que Londres n’a pas toujours accordé sa pleine confiance à De Gaulle et à ses équipes. On sait aussi, tu le rappelles, que l’Angleterre souhaitait à terme chasser la France de certaines de ses possessions coloniales (je pense en particulier au Liban et à la Syrie). Y a-t-il eu, comme dans ton récit, des cas avérés de pratiques mafieuses pour s’assurer, par l’intimidation ou le chantage, de la concordance des vues des Français Libres avec celles de l’Empire britannique ?

les ambiguïtés de l’allié anglais

Il est certain que derrière la communauté de vue de De Gaulle et de Churchill vis à vis de leurs ennemis communs, la rivalité coloniale entre les deux puissances ne disparait pas. C’est particulièrement vrai en Syrie et au Liban. Lawrence d’Arabie et beaucoup d’Anglais n’ont pas digéré que la France soit présente dans cet Orient compliqué qu’ils considèrent comme leur zone d’influence... et Churchill était un ami personnel de Lawrence. Après une série de défaites souvent due a ses propres erreurs, Churchill trouve le moyen de rebondir en Syrie, tout en chassant les Français de la région. Une sorte de coup double qui entraînera une guerre fratricide entre Français.

 

Cette année a été commémoré, avec peu d’écho par rapport à l’immensité de la chose, le 80ème anniversaire du déclenchement de Barbarossa, qui clôture ton ouvrage. Est-ce qu’à cet instant, l’espoir change de camp ?

alors survint Barbarossa

Oui, l’invasion de l’URSS constitue le point d’orgue de la guerre. On n’en parle pas assez car notre vision est trop "américano-centrée". Avec le front de l’Est, la guerre change d’échelle à ce moment-là. Si l’empire britannique n’est plus seule, la victoire de l’Armée rouge est loin d’être assurée. Au contraire, les succès de l’armée allemande maintiennent encore le mythe de l’invincibilité de la Wehrmacht. Malgré tout, l’invasion de l’URSS donne un sursit à Churchill en détournant l’Allemagne de l’Angleterre. Churchill redouble alors d’efforts pour entraîner l’Amérique dans la guerre tout en soutenant Staline. Dans ce contexte, la position de De Gaulle devient de plus en plus fragile avec ses maigres forces... nous le découvrirons dans le tome 3.

 

Dans ce deuxième tome, les Français Libres équipés parfois de leur propre matériel (y compris des chars) prennent le Gabon, puis plus tard ils prennent Damas. Clairement : est-ce qu’on sous-estime encore, dans la conscience nationale, le poids des forces combattantes françaises dans les avancées des Alliés ?

héros oubliés

L’odyssée des chars de De Gaulle dans la jungle est en effet une histoire incroyable. Les forces gaullistes sont maigres mais elles constituent un appoint appréciable à un moment ou les forces britanniques n’ont jamais été aussi faibles. Ce qui compte surtout, et qui a été oublié dans la conscience nationale, c’est la force morale de ces hommes qui se sont battus dans un contexte où tout semblait s’effondrer. Ils constituent encore aujourd’hui une leçon de courage, d’énergie et de patriotisme, à une époque où l’on parle plus souvent des collabos que de cette cohorte de héros qui luttaient pour la libération de la France.

 

Tu me confiais l’an dernier avoir décidé d’écrire ces romans après avoir visionné deux films qui présentaient la bataille de France d’un point de vue largement anglo-saxon. Si tu devais prendre en main le casting pour une adaptation de L’An 40, à quels acteurs du moment pourrais-tu confier les rôles principaux ?

Ce qu’il faudrait surtout trouver c’est un producteur courageux qui accepterait de se lancer dans l’aventure d’un film d’histoire à une époque où, par nombrilisme et facilité, on préfère réaliser des films sur notre époque malgré son absence de relief. Du coup, je ne vois pas trop quels acteurs actuels pourraient incarner des rôles de combattants. Il faudrait aller chercher de jeunes talents... Je suis sûr qu’il en existe beaucoup qui pourraient se révéler dans cette saga. Netflix pourrait très bien produire ce genre d’histoire qui ne peut pas rentrer dans un seul long métrage. Aussi, je lance... un appel.

 

« Netflix pourrait très bien produire ce genre d’histoire

qui ne peut pas rentrer dans un seul long métrage.

Aussi, je lance... un appel. »

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

J’ai plein de projets. Je suis dans l’écriture et la mise en scène de deux nouveaux spectacles historiques prévus en 2022 dans les arènes de Nîmes. Je travaille aussi sur des documentaires courts avec l’université de Nîmes. Pour l’écriture, j’ai l’embarras du choix, entre le tome 2 de la Prophétie des aigles et le tome 3 de L’An 40. Je réfléchis aussi à plusieurs livres d’histoire comme une biographie de Marius, et d’autres choses encore.

 

Quelque chose à ajouter ?

J’espère que nous sortirons bientôt de ces heures sombres où dominent la peur et le contrôle permanent. L’exemple des combattants de l’An 40 doit nous servir d’exemple. Ils ont su affronter l’adversité et ne pas subir.

 

E

 

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27 décembre 2021

T. Lopez (Artus) : « Le marché physique du film permet d'investir dans la préservation du patrimoine »

Le 10 octobre dernier, je me trouvai presque par hasard au Salon du DVD (en marge du Festival Lumière, rue du Premier-Film, Lyon 8e). Moment agréable de rencontres, de découverte aussi du métier d’éditeur de disques ciné (DVD donc, Blu-ray ou plus sophistiqué). À l’heure où le nombre d’abonnements à des plateformes de streaming (ouvrant droit à un grand nombre de films et séries) explose, on pourrait se demander même où est la pertinence de tenir un tel salon. Pour avoir échangé avec certains exposants j’ai vite compris qu’on avait là des passionnés, et que les concurrences nouvelles les poussent à des exigences nouvelles, à une montée en gamme finalement profitable au consommateur cinéphile : oui le support physique a un avenir, il conservera une clientèle. Je vous propose, pour illustrer tout cela, cet interview finalisé en décembre avec Kévin Boissezon et Thierry Lopez, cofondateurs de la maison Artus FilmsExclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Thierry Lopez (Artus) : « Le marché physique

du film permet d'investir dans la préservation

et la restauration du patrimoine »

 

Le Vampire et le sang des vierges

 

Pourriez-vous tous les deux nous parler de vous, de vos parcours ?

Kévin Boissezon : Nous venons de Béziers et nous nous connaissons depuis la maternelle. J’ai pour ma part un bac A1 (Lettres / Maths), une maîtrise de Sociologie et un DEA de Philosophie que j’ai eus à la faculté Paul Valéry de Montpellier.

Thierry Lopez : Je me définis comme un cinéphile passionné par le fantastique. Après mes études de cinéma à Montpellier, j’ai réalisé quelques courts métrages, puis créé Artus.

 

D’où vous vient, l’un et l’autre, votre amour pour le cinéma, et quels ont été en la matière vos premiers coups de cœur  ?

K.B. : Je pense à La Dernière Séance d’Eddy Mitchell que je regardais avec ma grand-mère, puis à l’arrivée de Canal Plus et son Cinéma de quartier. Je me souviens d’une Dernière Séance où ils avaient diffusé L’étrange créature du lac noir en 3D. Tout le monde s’était rué au tabac pour acheter les lunettes.

Creature from the Black Lagoon

T.L. : Le fantastique m’a emmené au cinéma, à la suite de la littérature et de la bande-dessinée, surtout aux films de vampires. Un film fondateur de ma passion est Nosferatu, fantôme de la nuit, de Werner Herzog, vu lorsque j’avais 12 ans.  

 

Quelle est l’histoire de votre amitié, et comment est née l’aventure Artus Films?

K.B. : On se connaît depuis qu’on est à la maternelle. On est nés dans la même clinique à une semaine d’intervalle. Nous étions partis à Montpellier pour les études et un soir, autour d’une discussion sur le cinéma et les films que l’on ne pouvait malheureusement pas voir (Internet n’était pas aussi performant que maintenant), nous avons décidé de monter notre propre maison d’édition pour pouvoir accéder à ces films.

T.L. : Ma vidéothèque de VHS et DVD s’agrandissait, mais je désespérais de pouvoir trouver des vieux films qui me faisaient rêver. Une seule solution : les éditer soi-même.

 

Votre catalogue est très varié, du fantastique donc au cinéma d’épouvante en passant par les films historiques, avec pas mal de pays représentés. C’est quoi, au global, l’identité particulière de votre maison d’édition ?

K.B. : C’est surtout le cinéma Bis* et d’exploitation qui couvre énormément de genres différents. Mais c’est surtout de donner au public la chance de pouvoir voir chez nous des films inconnus et encore inédits.

* Sur la page Wikipedia qui lui est dédiée, le cinéma Bis est défini comme désignant "des films réalisés en reprenant des recettes déjà éprouvées, mais tournés avec des moyens réduits et destinés au public populaire".

T.L. : Nous explorons tout le Bis dans quasiment tous ses genres, avec une nette préférence pour le cinéma des années 60. Depuis quelques années, nous revenons régulièrement à nos premières amours : le légendaire européen, avec des films de notre patrimoine qui ne sont pas obligatoirement Bis.

 

Comment gère-t-on un éditeur de DVD et de Blu-ray ? À quoi ressemble votre quotidien ?

K.B. : Thierry s’occupe de la ligne éditoriale et de la confection du produit fini. Je prends le relais pour la commercialisation, le service après-vente, les envois des commandes, les relations avec la presse et autres partenaires, la paperasse…

T.L. : Choisir les films, trouver les ayants droit, chercher le matériel dans des labos – notamment les versions françaises originales lorsque le vendeur ne la possède pas -, produire les bonus vidéo et/ou écrits, gérer le sous-titrage, le graphisme, la technique…

 

Pouvez-vous, avec des exemples, nous raconter comment un film arrive dans votre catalogue ? De sa prospection jusqu’à la confection de la galette magique. Parfois il y a des droits à acquérir, parfois il est dans le domaine public ; parfois en très bon état, parfois tout ou presque est à reconstruire…

K.B. : C’est pour Thierry ça !

T.L. : Dans le meilleur des cas, un producteur nous contacte car il a réalisé une numérisation et une restauration d’un film susceptible de faire partie du catalogue Artus. Dans un autre cas, je tiens énormément à un film, et je dois trouver l’ayant droit, le matériel, etc… Pour certains films, je suis en recherche depuis le début d’Artus, soit plus de seize ans…

 

Le support disque est nettement moins couru depuis l’avènement des plateformes à abonnement, comme Netflix ou Disney+. C’est quelque chose qui vous inquiète, ou bien pouvez-vous aussi, pour les contenus dont vous possédez les droits, en bénéficier ?

K.B. : Nous vendons des films pour l’exploitation en SVOD (vidéo à la demande avec abonnement, ndlr) comme à FilmoTV, UniverCiné, Shadowz… mais l’essentiel des ventes reste le physique. Le film de patrimoine en galette se porte toujours très bien, contrairement aux films récents. Les clients veulent l’objet.

T.L. : Il est indéniable que les ventes ont largement chuté depuis sept-huit ans. À nous de proposer un film dans un bel écrin, un objet collector, qui ravira le collectionneur. Finalement, la cinéphilie y gagne en qualité.

 

Cet avènement des plateformes ne pousse-t-il pas aussi, justement, les éditeurs de disques à réfléchir à proposer un bel objet, visuellement impressionnant (du film remasterisé jusqu’à la jaquette redessinée), accompagné de bonus (documentaires et contenus additionnels, livret) pour survivre ? Là où peut-être, il y avait une forme de paresse chez certains (une pauvre bande-annonce comme seul bonus), quand cette concurrence n’existait pas ?

K.B. : Exactement et tout le monde se tire vers le haut.

T.L. : C’est ça.

 

On entend beaucoup dire que depuis la crise Covid, pas mal de gens ont changé leurs habitudes, qu’ils vont moins au cinéma privilégiant, par exemple, le home video. Qu’est-ce que ça inspire aux cinéphiles que vous êtes ?

K.B. : Je ne suis pas très optimiste pour les cinémas. Je pense que ça va être long avant que tout le monde y revienne. On s’est pas mal habitué à être livré, alors pour aller voir un film alors que tout arrive chez vous ! C’est sûr, rien ne vaut un film en salle ! Mais, bon, on verra bien…

T.L. : Pour ma part, rien n’a vraiment changé. Je regarde toujours autant de films en DVD et Blu-ray.

 

Une question que je me pose depuis longtemps : comment expliquer que, souvent, les films français soient édités sans sous-titres ? Cela pourrait aider les personnes malentendantes à se sentir moins exclues, et accessoirement, à la culture française de se diffuser un peu plus loin qu’en francophonie ? Concrètement vous travaillez avec une même société de doublage ?

K.B. : Parce que ça coûte cher et parce qu’il n’y a pas d’intérêt. De plus, les contrats nous interdisent la plupart du temps de vendre en dehors de la France, de la Belgique ou de la Suisse.

T.L. : Oui, peut-être. Nous avons édité très peu de films francophones, et la question ne s’est pas posée.

 

Quels films du catalogue Artus auriez-vous, l’un et l’autre, envie de nous présenter, et de nous recommander tout particulièrement ?

K.B. : C’est dur là  ! On a presque 250 titres.

Guillaume Tell

T.L. : Les films de notre nouvelle collection «  Histoire et Légendes d’Europe  ». Guillaume Tell (de Michel Dickoff, 1961, ndlr) était totalement inédit chez nous  ; le film est très bon, le personnage si peu représenté au cinéma, et la Cinémathèque Suisse a produit un master de toute beauté. Jeanne d’Arc (de Gustav Ucicky, 1935, ndlr) idem. Hormis le fait que nous avons restauré le film nous-mêmes. Le troisième et dernier – pour l’instant – titre est La vengeance de Siegfried (de Harald Reinl, 1966-7, ndlr). Je l’avais vu étant petit, et cela m’avait laissé une très forte souvenance émotionnelle. Je suis très heureux de permettre aux cinéphiles de (re)découvrir ce film dans de bonnes conditions.

 

Vos films préférés, Artus et soyons ouverts, les non Artus aussi ?

K.B. : Le boulanger de l’empereur qui était un de nos premiers titres. Mais il est épuisé. Requiem for a dream, c’est le film que j’ai vu le plus souvent.

Le boulanger de l'empereur

 

T.L. : J’ai toujours un petit coup de cœur pour Blanche-Neige, le prince noir et les sept nains  ! Hors Artus, le cinéma de Werner Herzog, Sergueï Paradjanov, Wojcieh Has… Excalibur, de John Boorman, le nom Artus vient de là.

 

Excalibur

 

Vos projets, vos envies pour les mois et les années à venir ?

T.L. : Nous allons continuer la collection Giallo qui était très attendue. Et toujours des westerns, péplums, SF, fantastique etc…

 

En quelques mots, surtout pour ceux qui n’y croient (toujours) pas : pourquoi le home video version disque a-t-il encore un avenir ?
 
K.B. : Parce que si tu n’achètes pas le film en physique tu risques de te retrouver comme un con dans dix ans quand tu voudras le revoir. Le stockage dématérialisé n’est pas extensible à l’infini et il faut faire de la place. De plus le catalogue de la vidéo physique et de loin le plus fourni.

T.L. : Le marché physique permet d’investir dans la préservation et la restauration du patrimoine. Sans une édition physique à la clé, il y aurait difficulté, en l’état actuel des choses, à financer la sauvegarde de vieux films.

 

Jeanne d'Arc

 

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23 décembre 2021

Line Renaud : « J'espère voir la fin du SIDA de mon vivant... »

Un de mes premiers articles de 2021, publié en janvier, fut construit autour d’une interview avec le "maestro" de N’oubliez pas les paroles, Arsène. Il s’intitulait : "Éloge de la chanson populaire". Alors que l’année s’achève, et quelques jours après mon grand entretien avec Marcel Amont, je vous propose cette nouvelle composition, qui pourrait bien avoir pour sous-titre : "Éloge des vieux artistes" ("vieux" n’étant surtout pas à prendre dans un sens péjoratif dans mon esprit). Je m’explique, et cela commence par ce point : en plus d’être immanquablement étonné par son énergie, par la vivacité de son esprit, j’ai été touché par la bienveillance avec laquelle le célèbre interprète du Mexicain a répondu à mes questions.

Quelques semaines auparavant, nous échangions comme souvent à propos des artistes avec un ami qui les connaît bien, et qui se reconnaîtra ici. Parmi les personnalités évoquées, Line Renaud, artiste multiforme et femme de cœur et d’engagements. "Pourquoi n’essaierais-tu pas de la contacter ?" me demanda-t-il. L’envie était là. J’avais déjà essayé de le faire il y a des années, sans succès. Cet ami connaissait un mail via lequel elle pouvait potentiellement être jointe. J’ai tenté le coup : je me suis présenté dans mon message, lui ai fait part de ma sympathie et de mon admiration pour elle. Ce côté solaire, inspirant, que je prêtais à Marcel Amont, je le lui associe également, bien volontiers, et je le lui ai dit. J’ai évoqué une rencontre avec deux personnes qui lui sont proches aux Deux Magots à Paris, en juillet 2019, rencontre au cours de laquelle son nom avait été évoqué. Puis, j’ai écrit quelques questions en fin de message, pour le cas où éventuellement, elle serait partante pour me répondre.

Le 22 décembre, ce mercredi donc en début d’après-midi, un mail m’est parvenu. Expéditeur: Line Renaud. Wow. Elle avait pris le temps, malgré toutes les activités qu’elle assure encore, de m’accorder ce moment, et elle a apporté par écrit des réponses à chacune de mes questions, ce qui je le dis sans me cacher, m’a beaucoup touché. Dans la foulée, je me suis repassé Très chère Mathilde, pièce tendre et poignante qu’elle a jouée avec Samuel Labarthe et Raphaëline Goupilleau en 2009.

Très chère Mathilde

Cet échange daté d’hier me rappelle celui que j’avais eu avec Charles Aznavour en 2015, via son fils Mischa : lui aussi avait accepté en peu de mots, mais en des mots essentiels, de répondre à mes questions. À la question portant sur "la suite", il avait eu une seule réponse, un seul souhait fondamental, le même que celui exprimé ici par Line Renaud : vivre, vivre encore tout simplement. Vivre en regardant devant soi, et derrière aussi peu que possible, en se concentrant sur l’essentiel, et l’essentiel ça peut aussi vouloir dire, prendre du temps pour une attention, un égard pour quelqu’un qui vous admire. Une leçon d’humilité par trois nonagénaires donc, n’ayant plus rien à prouver, et plus assez de temps pour se prendre au sérieux. Deux d’entre eux sont encore parmi nous, c’est un bonheur pour moi de pouvoir leur rendre hommage de leur VIVANT.

Je remercie encore chaleureusement Line Renaud. Derrière ses sourires, une vie jonchée de pas mal dépreuves. Et parmi les chansons qu’elle cite, Un amour d’été et Le soir, deux titres qui avaient une résonance particulière entre elle et son cher Loulou Gasté, je crois d’ailleurs savoir que c’est sur les notes de la seconde qu’elle a fermé les yeux de l’homme de sa vie, et qu’elle voudra entendre les mêmes notes quand son heure à elle sera venue (le plus tard possible). La souffrance qui fut celle de Loulou à la fin, comme celle de la mère de Line un peu plus tard, la convaincront de s’engager dans son combat le plus médiatique actuellement : pouvoir choisir sa mort, dignement. Mais... pour l’instant, parler de Line Renaud, c’est tout sauf parler de mort, tant cette femme rend optimiste et oui, joyeux.

Bonne lecture, et j’en profite pour vous souhaiter à toutes et tous, un Noël chaleureux et souriant, chaque motif de bonheur étant bon à prendre. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

PS : Pensées aussi pour Micheline Dax et Yvette Horner, que je n’oublie pas.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Line Renaud : « J’espère voir

la fin du SIDA de mon vivant... »

Line Renaud

Crédit photo : Claude Médale.

 

Quand on pense à vous Line Renaud, on songe aux grandes années du music-hall, du cabaret... Est-ce qu’on ne savait pas mieux s’amuser et faire rêver le public, avant ? D’ailleurs, les amuseurs d’aujourd’hui ne se prennent-ils pas un peu trop au sérieux ?

Je peux vous parler de l’époque de mes quinze ans à mes trente ans, c’était l’après guerre... On s’amusait beaucoup mieux, on avait manqué de tout avec cinq ans d’occupation allemande... Alors, à la fin de la guerre c’était un tel bonheur... et on en a bien profité.

 

 

Quelles sont, parmi vos chansons celles, connues et surtout moins connues, qui comptent spécialement pour vous et que vous aimeriez que nos générations découvrent ?

Les chansons suivantes : Bonsoir mes souvenirs (un blues), Chacun ses rêvesUn amour d’étéLe soir, Tire l’aiguille... entre autres.

 

 

La prévention et la lutte contre le SIDA marquent le pas parce que beaucoup croient que la maladie n’est plus grave. Qu’auriez-vous envie de dire aux plus jeunes qui n’ont pas vécu dans cette peur, vous qui avez vu des proches mourir de ce fléau ?

Le SIDA est toujours là, il n’y a toujours pas de vaccin... Il y a la PrEP, un médicament préventif. Je dirais aux jeunes : tant que je vous parle du SIDA c’est qu’il est toujours là, j’espère voir un jour, de mon vivant, la fin du SIDA...

 

Que répondez-vous à ceux qui s’opposent, par principe et notamment pour des raisons religieuses, à la possibilité qui serait ouverte d’abréger une vie devenue insupportable ? Aider quelqu’un qu’on aime à mourir dans la dignité, c’est sans doute l’acte d’amour le plus difficile, peut-être aussi le plus beau ?

Mon prochain combat est en effet pour mourir dans la dignité : lorsque l’on sait que quelqu’un est en fin de vie, c’est inutile de s’acharner alors que l’on sait que l’issue est évidente. Cela suppose d’être bien encadré évidemment. C’est sans doute l’acte d’amour le plus difficile à faire. Mais, ça c’est vraiment de l’amour.

 

Vous n’avez pas eu d’enfant biologique mais vous avez des filles de cœur, et vos combats généreux forment une empreinte qui servira aux générations futures. C’est cela, la plus satisfaisante des postérités ? Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous, après vous ?

Je souhaite surtout que l’on ne m’oublie pas tout de suite. Tout va si vite !

 

 

Vos projets, vos envies et vos rêves pour la suite ?

Mes projets ? Le plus important : VIVRE !

 

 

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18 décembre 2021

Marcel Amont : « J'ai compris pendant la guerre qu'on pouvait faire l'andouille pour conjurer la peur »

Je ne sais si cet article sera le dernier de l’année, mais si tel devait être le cas, il n’y aurait pas plus belle façon de l’achever. Mon invité du jour est une légende du music-hall à la française, un historique de la grande tradition de la chanson française. Un artiste qui a la voix du chanteur de charme mais qui, depuis sept décennies, a à cœur d’amuser son public, par les mots et par les gestes : un spectacle est aussi visuel, et dans les siens le visuel est fondamental.

Bref, j’ai l’honneur, et surtout la grande joie, de vous présenter aujourd’hui, quelqu’un que, si les choses étaient normales, on ne devrait plus avoir à présenter, y compris auprès des moins âgés : monsieur Marcel Amont ! Ça ne vous dit rien ? Ok, allez écouter, et regarder cette première vidéo, vous allez vous prendre une belle leçon d’énergie, et une sacrée dose de bonne humeur :

 

 

On pourrait en parler ainsi : un artiste qui a toujours été appliqué dans son métier sans jamais se prendre trop au sérieux. La guerre et les épreuves de la vie aident aussi à relativiser les petits tourments quotidiens. Et de la guerre justement, il est question dans son premier roman, parce que oui, à 92 ans Marcel Amont vient d’ajouter à sa collection de casquettes, celle du jeune romancier. Adieu la belle Marguerite (Cairn, 2021) nous narre l’histoire et les aventures de Jean-Bernard, un enfant de la vallée d’Aspe qui va se passionner pour l’aviation, tomber amoureux d’une fille que les différences de rangs sociaux devraient lui rendre inaccessible, et croiser comme des millions d’autres les turbulences d’un temps de grands espoirs et de grands malheurs.

Autant le dire cash, j’ai été conquis : la plume de Marcel Amont est habile et élégante (à l’image de toutes les chansons parfaitement écrites de ses années de gloire), et l’histoire qu’il nous raconte, inspirée à pas mal d’égards de la sienne, fait voyager le lecteur, elle le transporte, elle l’émeut aussi. Une belle réussite qui mérite d’être feuilletée, et que je vous recommande chaleureusement.

Mais avant d’aller plus loin, retournez prendre une bouffée, et une leçon d’énergie :

 

 

Notre interview s’est faite par téléphone, pendant une heure, le 16 décembre. J’ai eu, à l’autre bout du fil, un Marcel Amont loquace, très vif, généreux et bienveillant : l’image qu’il donne à son public correspond bien à l’homme qu’il est dans la vie. J’ai choisi de retranscrire l’entretien en ne le retouchant qu’à la marge, pour reproduire ici l’esprit dans lequel il s’est déroulé. Je remercie vivement cet homme, un artiste authentique, aussi inspirant qu’il est humble ; je remercie également chaleureusement son épouse Marlène, qui a largement facilité cette prise de contact.

Cet article grand format, c’est aussi un hommage à une carrière, l’évocation d’une vie : c’est tellement mieux, de rendre hommage aux gens tant qu’ils sont là vous ne croyez pas ? ;-) Alors, bonne lecture, y como diría el Mexicano, ¡viva Marcel Amont! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

  

Adieu la belle Marguerite couverture

Adieu la belle Marguerite (Cairn, 2021).

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Marcel Amont : « J’ai compris

pendant la guerre qu’on pouvait

faire l’andouille pour conjurer la peur »

 

Bonjour Marcel. Je dois vous dire que j’ai beaucoup aimé Adieu la belle Marguerite (Cairn) et même que j’ai été surpris par votre aisance dans l’écriture : c’est votre premier roman, mais on n’en a pas l’impression. Qu’est-ce qui vous a posé problème, par rapport aux livres autobiographiques que vous avez écrits, et avez-vous aimé cet exercice, cette nouvelle casquette du romancier ?

Je lis beaucoup. Et j’ai toujours écrit, depuis l’adolescence : des poèmes, puis des chansons, une comédie musicale... Autrefois, on préparait les émissions de variétés (pas seulement les Carpentier), cela nécessitait une écriture préalable. Je ne peux donc pas dire que je découvre tout à coup le travail de la plume comme qui a la révélation divine. J’écris en permanence des textes qui n’ont pas forcément tous été publiés. Mais c’est vrai que pour de multiples raisons, je n’étais pas sûr du tout de pouvoir plaire à des lecteurs avec une fiction, et de les tenir en haleine pendant 200 pages. Ce qui m’a déterminé à écrire, c’était cette inaction provoquée par le confinement. Je me suis dit : "Qu’est-ce que je risque, après tout ?" Je risquais tout simplement d’avoir travaillé pour rien, qu’aucun éditeur ne publie mon bouquin.

J’ai en tout cas réellement apprécié ce roman, et je peux vous dire, pour en avoir eu des échos, que je ne suis pas le seul.

Oui je dois dire, et c’est là une vraie récompense, qu’il y a une espèce d’unanimité qui me comble. Je suis trop vieux pour remettre l’armure de l’écrivain combattant, professionnel, mais c’est une belle satisfaction.

Dans cet ouvrage, qui nous fait découvrir les terres de votre enfance (nous y reviendrons), et le quotidien des bergers de la vallée d’Aspe dans la première moitié du siècle dernier, touche parce qu’il fait aussi office de témoignage. C’est un hymne à la nature, un hommage aux vôtres aussi ? Quels éléments d’intrigue sont inspirés de la vie de membres de votre famille, ou de gens que vous avez connus ?

J’enfonce une porte ouverte : des milliers d’écrivains prétendent qu’il y a une part d’eux-mêmes dans leurs livres, et c’est évidemment souvent le cas. Cela dit, je ne suis pas né en Béarn, je suis un petit Bordelais : mes parents originaires de la vallée d’Aspe sont venus travailler "à la ville", Bordeaux donc où je suis né et où j’ai passé les vingt premières années de ma vie avant de me décider à tenter la grande aventure sur Paris. Mais j’allais chez grand-mère tous les étés, et mon père et ma mère, comme beaucoup de ceux que j’appelle les "immigrés de l’intérieur", avaient gardé leurs habitudes : on retrouve ça dans les phénomènes migratoires dont on parle tant en ce moment. On peut très bien être français et rester imprégné de son pays d’origine. Mon père, ma mère, mes tantes et mes cousins, tous ces gens qui ont fui leur campagne ou leur montagne dans l’entre-deux-guerres, continuaient à être branchés en ligne directe sur leur village ou leur région d’origine. J’ai baigné là-dedans et fait appel à des souvenirs très vivaces.

 

Vallée d'Aspe vieille

La vallée d’Aspe, vers 1930. Photo : M. Levavasseur.

 

Pour le reste, mon souci a été de ne pas encourir la critique qu’on aurait lancée au "chanteur qui écrit un bouquin". Je voulais quand même être pris au sérieux, et en ce qui concerne l’aviation, la période en question reste très présente dans mon esprit : étant de 1929, j’avais 10 ans au moment de la déclaration de guerre. Mais j’ai voulu confirmer tout ça, pour être inattaquable sur le plan de l’exactitude des faits que je relate.

Vous venez de le rappeler, l’aviation est un thème majeur de votre roman : le héros Jean-Bernard s’est passionné pour ses maîtres et leurs exploits avant d’en devenir lui-même un as. On apprend que vous l’avez pratiquée vous-même...

Oui, j’ai piloté de petits avions pendant vingt ans. J’ai fait des tournées en avion. Nous étions, avec Jacques Brel (je l’ai précédé d’un an), deux artistes ayant pour particularité d’effectuer leurs tournées (en France, s’entend) en se déplaçant par ce biais. Je me suis beaucoup documenté, notamment sur Pau qui a été un centre balbutiant mais très actif de l’aviation au début du 20ème siècle : Blériot, Guynemer et tant d’autres sont passés par là.

Avez-vous été, comme Jean-Bernard, ce passionné qui collectionnait les articles de presse sur ses héros ?

Non. Mais faire mes tournées en avion c’était un rêve que je ne croyais pas possible au départ. Louison Bobet, qui était un copain, m’a demandé un jour : "Avec tous les kilomètres que tu parcours, pourquoi ne fais-tu pas tes tournées en avion, tu te fatiguerais moins ?" Et c’est vrai qu’à l’époque, on parle de 150 galas par an. Je lui avais répondu qu’on passait parfois dans des villages qu’on cherche au microscope sur la carte. Et il m’avait déployé une carte de France des terrains d’aviation : j’avais été sidéré de constater qu’il y avait partout, tous les 100 km ou moins, au moins un petit aérodrome plus ou moins sauvage. Parfois un terrain dans lequel les bergers faisaient paître leurs moutons : on faisait un passage au ras des pâquerettes pour signaler qu’on allait se poser, le gars enlevait ses moutons et on se posait. C’était encore folklorique à l’époque. On s’organisait facilement : il suffisait qu’une partie de l’équipe, techniciens ou musiciens viennent me chercher. Pendant vingt ans ça s’est avéré tout à fait rentable. Ce n’était pas l’aventure, pas Mermoz, mais ça m’a donné de grandes joies.

Il est beaucoup question dans votre livre, on l’a dit, de la Seconde Guerre mondiale : vous vous êtes beaucoup documenté dessus, ça se sent, mais vous l’avez aussi vécue, vous étiez adolescent à l’époque. Est-ce que ces années vous ont transformé, en vous prenant précocement de votre innocence, peut-être aussi en vous apprenant à relativiser beaucoup de ce qui allait suivre ?

Bordeaux, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens qui connaissent mal l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, non seulement n’était pas en zone libre (elle était occupée par l’armée allemande), mais était en plus une base sous-marine qui a été bombardée pendant toute la guerre. Ce qui est très troublant, c’est que ce sont nos amis qui venaient nous bombarder, obligé : on ne fait pas la guerre avec des lance-pierres. Forcément il y a eu du dégât, des victimes parmi les populations civiles. N’oubliez pas que, lors du débarquement en Normandie, il y a eu beaucoup plus de morts civiles durant les bombardements qu’il n’y a eu de morts parmi les combattants. J’ai vécu tout ça, et on s’en souvient de façon très présente.

 

Bordeaux pendant la guerre

Le quai des Chartrons, Bordeaux en 1944. Source : http://lesresistances.france3.fr.

 

Un jour un ami m’a dit : "Tu ne pouvais pas te souvenir de ça, tu étais trop jeune ?" Tu parles! À 10 ans, les cloches qui sonnent, et ces bombardements, ce qui m’a le plus marqué. L’occupation, les restrictions, les listes de gens fusillés pour faits de résistance... Je me souviens de tout comme si c’était hier. Dans tous les foyers il y avait la radio branchée sur Londres, qui contredisait ce que la radio française venait de dire. C’était une période infiniment troublée dans les esprits.

J’ai quelques souvenirs très vifs. Celui-ci je le raconte toujours, parce que c’est un élément qui a été déterminant dans mon parcours d’artiste. Le fait que j’opte pour la légèreté, le côté primesautier du gars qui amuse la galerie, est sans doute fortement lié (mais je n’en suis pas sûr, on s’invente parfois des raisons qui ne sont pas les bonnes) à cet évènement qui m’a beaucoup marqué. On vivait avec mes tantes et mes cousins dans un voisinage très proche. Quand mon oncle est mort, on l’a veillé comme on faisait des veillées funèbres à l’époque : toute la nuit. Et toute la nuit, il y a eu des bombardements de la base sous-marine. J’ai toujours ce souvenir d’une trouille intense, et en même temps, la veille de ce cadavre auprès duquel on faisait des prières. Et mon cousin, fils du défunt, qui n’avait peur de rien, est sorti dans le jardin et a fait le pitre sous un bombardement. Ça m’a fortement marqué : je me suis dit qu’on pouvait donc faire l’andouille pour conjurer la peur, et ça m’est resté. Alors, ce n’est pas forcément une bonne explication de mon désir de combattre le trac et l’incertitude en faisant des pitreries, mais je pense que des choses comme ça restent. Mais nous avons été des millions à avoir souffert ainsi de la guerre...

Belle image, celle de ce cousin !

D’ailleurs, il n’avait tellement peur de rien que, travaillant au greffe de Bordeaux, il contribuait à faire des faux papiers pour des gens qui souhaitaient passer en zone libre. Il a fait des papiers pour des Juifs, des communistes... enfin des gens qui avaient maille à partir avec la Gestapo. Il s’est fait repérer et est parti, traversant l’Espagne comme nombre d’évadés de France. Quand il est revenu à Bordeaux, j’ai vu un beau parachutiste sonner à la porte, et c’était lui. Il avait fait partie du premier régiment de chasseurs parachutistes. Il donnait vraiment l’exemple de quelqu’un de courageux.

Avez-vous déjà été confronté, comme votre héros par un homme qui pourtant l’appréciait, à une forme de mépris de classe ?

Je n’en ai pas souffert comme mon héros, je ne me suis pas fait éconduire ou "jeter", mais ça a existé et ça existe toujours. Ce n’est pas parce qu’on a pris la Bastille le 14 juillet 1789 que les différences de classes ont cessé de jouer dans les populations, fussent-elles républicaines. À mon niveau, quand je suis arrivé à Paris avec mon accent bordelais, il n’y avait pas de quoi en faire un complexe, mais un jour un producteur m’a dit : "Écoutez jeune homme, c’est pas mal ce que vous faites, mais puisque vous voulez faire carrière dans la capitale, commencez par vous débarrasser de cet accent ridicule..." On en était encore là. Et pourtant il y avait les opérettes marseillaises, etc... Un type comme Cabrel qui chante Je l’aime à mourir, ça n’existait pas, il y avait Paris et la province. De la même façon, les riches et les pauvres, les opinions politiques différentes, etc...

Ce vécu m’a un peu servi pour raconter la différence qu’il pouvait y avoir entre ce hobereau qui n’admet pas que sa fille tombe dans les bras d’un paysan, bâtard de surcroît. Mais je n’ai pas connu cette situation moi-même.

Plutôt pour le coup, cette forme d’arrogance parisienne ?

Cette arrogance parisienne, les titis parisiens montés en épingle, c’était vivable. Mais enfin, ça a existé. Il y avait encore, quand des gens arrivaient dans une voiture immatriculée en province, des cris comme "Eh paysan !" Mais ça se passait aussi dans la France profonde : quand apparaissait une voiture belge, il arrivait assez souvent que le petit Français se prenne pour un génie à côté des Belges, alors que ça n’était pas toujours le cas !

Une partie de votre récit intervient alors que l’Instruction publique poussait à fond le principe d’assimilation : on formait de petits Français parlant le français, et ça supposait souvent de rudoyer ceux qui s’exprimaient dans les patois locaux, béarnais notamment. Des membres de votre famille ont-ils souffert de cela, et êtes-vous favorable au retour de l’enseignement de ces langues, comme parties intégrantes d’une culture locale ?

Vous faites bien de me poser cette question. Les "immigrés de l’intérieur" dont je parlais tout à l’heure parlaient en même temps leur dialecte, conservant des structures, des habitudes, la poésie traditionnelles... Il ne faut pas oublier qu’on a parlé béarnais, et qu’on a plaidé en béarnais au Parlement de Navarre jusqu’à la Révolution. On peut aussi citer la Bretagne, le pays Basque ou la Corse. Les gens se sont exprimés pendant des siècles dans des langues régionales, et ils n’étaient pas des demeurés pour autant ! Au temps de l’instruction obligatoire de Jules Ferry, avec les hussards noirs de l’enseignement (les instituteurs), ces personnes bien ancrées dans leur régionalisme (qui était parfois un nationalisme, le Béarn ayant été un petit État indépendant pendant des siècles) parlaient souvent un français très recherché, c’était la langue du dimanche. Mon père, qui avait tout juste son certificat d’études, ne faisait pas une faute d’orthographe ou d’accord de participe. Il parlait un excellent français. Mais avec ma mère, ils parlaient béarnais.

Je suis évidemment partisan de donner la priorité à la langue française. Je ne connais pas assez les langues régionales pour en parler en détail, mais je ne vois pas qui, de Molière, de La Fontaine ou de Shakespeare, au pays Basque ou en Corse. Tout de même, Jean Jaurès en son temps disait : "Pourquoi ne pas parler une ou deux heures par semaine à tous ces petits paysans, souvent mal dégrossis, dans leur langue de la maison ?" Il avait raison ! Et ça reste toujours valable. J’ai entendu cet argument fallacieux selon lequel il y aurait déjà suffisamment de choses à apprendre sans devoir s’encombrer encore l’esprit avec des patois. Mais un cerveau n’est pas une vessie, il est largement extensible. Avec les révolutions techniques du moment, on découvre les infinies possibilités du cerveau. Combien de gens parlent couramment trois, quatre langues, et même plus !

Vous êtes un des derniers grands représentants français de la belle époque du music-hall, avec Line Renaud, Hughes Aufray et Régine. Que vous inspirent ces années-là, ces trois personnes, et quel message leur adresseriez-vous ?

Il y a eu de tout temps des artistes qui représentaient leur époque : Béranger au 19ème siècle, Félix Mayol, Maurice Chevalier au début du 20ème... Puis toutes les vagues successives. Les modes changent. Il y a eu ce grand raz-de-marée qui a transformé le mode, ce qu’on a appelé un peu par dérision le yéyé. Mais il y a eu de vrais talents, même si c’était aux antipodes de ce que je faisais, m’inspirant du "music-hall de papa". Moi je pratiquais mon métier comme on le faisait avec les Compagnons de la Chanson, avec Charles Trenet ou Georges Ulmer. Un type comme Johnny Hallyday était vraiment de grand talent. Il est vraiment resté peu de gens de toute cette vague : Françoise Hardy, Sylvie Vartan... Dans les vagues suivantes, il y a aussi des artistes que j’admire. J’aime beaucoup Souchon, Cabrel... À chaque époque il y a eu du bon grain et de l’ivraie.

Que m’inspirent les changements dans la chanson ? Rien d’hostile en tout cas. Je n’adhère pas toujours, mais il est certain que des artistes survivront à la mode passagère. Parmi les gens de mon style, Hugues Aufray (bien qu’étant déjà dans la mode folk), ou encore Annie Cordy, qui faisait elle aussi partie de ma génération. Je ne conçois de tout cela aucune frustration, aucune jalousie, aucune aigreur. Le temps passe. Mes enfants, mes petits-enfants n’aiment pas la même chose que moi. Mais je constate aussi que certains sont très fédérateurs. Toutes les générations sont en admiration devant Jacques Brel.

Parfois les modes changent et reviennent. Et on redécouvre des artistes...

Là où je ne suis pas d’accord, c’est quand on confond passéiste et ringard. On peut très bien aimer le style, les artistes et les modes de temps passés. Moi je dis volontiers que je suis un has-been au sens propre du terme, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est plus ce qu’il fut, mais je récuse le qualificatif de "ringard". Un ringard c’est un mauvais qui se prend pour un bon.

 

 

D’ailleurs, vous avez fait la chanson Démodé...

Oui, il y a des chansons de Charles Trenet qui sont inévitables : La Mer et quelques autres. Mais il a écrit des petites chansonnettes qui tiennent parfaitement la route, pour peu qu’on se donne la peine de considérer le contexte.

Il y a chez les artistes qu’on vient de citer, et chez vous à l’évidence, une image de légèreté, quelque chose de solaire et de souriant, de très inspirant aussi...

Oui, j’en ai conscience, je ne vais pas faire ma chochotte ou un numéro de faux modeste. J’ai conscience que bien des choses ne sont plus à la mode, notamment auprès de mes enfants et petits enfants. C’est bien normal : certaines chansons du début du 20ème siècle, bien qu’interprétées par des artistes de réputation parfois mondiale, comme Mistinguett, ne me disent pas grand chose. Mais il ne faut pas considérer l’ensemble de nos pères pour des andouilles : ils avaient leurs goûts, voilà.

Et rien n’empêche de les redécouvrir, ces goûts.

Ou pas !

 

 

Vous avez aussi, je l’ai noté, pas mal d’autodérision. Est-ce qu’on n’a pas perdu de cette légèreté, de ce sens de l’autodérision chez les artistes apparus après vous, je pense aux actuels mais aussi à ceux qui vous sont plus proches ? Est-ce que dans ce métier d’amuseurs, on n’en est pas venu à se prendre trop au sérieux ?

Je ne crois pas. Je regardais hier ou avant-hier, Stromae. Ce qu’il fait est remarquable. Mais ce n’est pas tout à fait pareil. C’est la messe. Il fait participer directement le public, alors que plus communément, dans le style de mon époque, on se donnait en spectacle. Maintenant on se donne toujours en spectacle, mais on fait appel à la participation des gens. Tout cela me fait davantage penser à la réunion politique ou, oui, à la messe.

La dérision et l’autodérision, on les retrouve beaucoup chez les gens qui parlent mais ne chantent pas. Gad Elmaleh par exemple (je l’ai entendu chanter au passage, il le fait de façon tout à fait convenable). On retrouve beaucoup de ce qui faisait notre pain quotidien chez les humoristes.

Vous l’avez souvent dit et écrit : lorsque vous chantez, il y a aussi tout un numéro d’expression visuelle...

Ah, c’est bien que vous insistiez là-dessus. Je pense que ce qui m’a ouvert une carrière raisonnable à l’international, c’est d’être visuel. Quand j’ai fait une tournée en URSS, ou les quelques fois où j’ai chanté au Japon (j’ai eu l’honneur d’être le représentant de la Semaine française à Tokyo), tout le monde ne pratiquait pas suffisamment la langue française pour suivre ce que je disais dans le texte. Mais avec une petite explication parlée préalable, j’ai chanté aux quatre coins du monde. Grâce à ce côté visuel. Je n’étais pas le seul évidemment, à l’exemple du grand Montand qui faisait cela de A à Z (Battling Joe, Une demoiselle sur une balançoire...), de Georges Ulmer, des Frères Jacques...

Aznavour, aussi ?

Moins. Aznavour était un auteur. Il s’est avéré excellent comédien, mais surtout sur scène c’était un homme qui disait ses textes. Dans La Bohème il mime un peintre, mais il le fait passagèrement. Moi j’ai écrit beaucoup de chansons pour m’habiller sur-mesure, mais ça ne me gênait pas du tout de chanter du Brassens ou du Maxime Le Forestier, bien au contraire ! J’ai cherché des prétextes pour faire mon numéro, pied au mur.

 

 

Je peux vous dire que les deux chansons que je préfère dans votre répertoire sont Le Mexicain, et surtout Moi, le clown... Deux chansons belles, et visuelles.

Voilà. Le Mexicain a été un succès populaire parce qu’il y avait un gimmick, comme on dit. Moi, le clown, ça n’a pas été un succès populaire, en revanche elle reste un de mes morceaux de bravoure. 

Est-ce qu’on n’a pas perdu ce goût d’une forme de spectacle visuel ? À part peut-être Stromae auquel je pensais, il n’y a plus vraiment de cas où l’on joint des gestes mis en scène à la parole quand on chante, la danse mise à part...

C’est vrai et si, encore une fois, je récuse le terme de "ringard", c’est en tout cas démodé. On ne fait plus comme ça. Dont acte.

D’ailleurs quand on y pense, les clowns ont quasiment disparu, pas sûr qu’ils fassent encore briller des "étoiles dans les yeux des petits enfants", on les associe plutôt à des personnages terrifiants : qu’est-ce que tout cela vous inspire ?

Je ne sais pas si on peut dire ça ? Mais les choses évoluent c’est certain. Quand moi j’étais enfant, il y avait des chansons dites "pour enfants", alors que maintenant les enfants écoutent la même chose que les adultes.

 

 

Souvent, oui. Je connais encore bien peu votre répertoire. Quelques titres charmants, je pense par exemple à La Chanson du Grillon ou, plus coquin, à Julie. Est-ce qu’il y en a, des connues et surtout des moins connues, que vous préférez entre toutes et que vous aimeriez nous faire découvrir ?

Oh, je dirais, les dernières que j’ai écrites. Je ne les ai pas en mémoire là, parce que je ne pratique pas le culte de Marcel Amont (il sourit). Mais regardez un peu ma discographie, vous verrez des chansons dont je signe les paroles et qui ne sont pas forcément des chansons de scène. M’habiller sur-mesure pour les besoins de la scène, ça je sais faire. Ça ne donne pas toujours des disques bien intéressants, et une partie de mon répertoire n’est même pas enregistrée. Mais c’est vrai qu’avec l’âge, et portant moins l’accent sur l’aspect scénique, je me suis un peu plus laissé aller à écrire des choses d’une facture poétique.

Disons que si j’ai tenu plus de 70 ans dans ce métier, c’est bien quand même parce que je suis toujours resté sur la brèche : il y a eu des hauts et des bas, mais à aucun moment je ne me suis reposé sur mes lauriers. C’est un combat incessant, et c’est normal parce que quand on sort du panier de crabes, on devient un privilégié, on est connu et il y a quelque chose qui ressemble à de la gloire. On n’est plus tout à fait monsieur tout-le-monde, et il y a une place à défendre. La chance joue aussi, mais en tout cas il faut bosser et c’est bien normal.

Que représentent la scène, le contact direct avec le public à vos yeux ? Je sais que vous aviez prévu de le retrouver il y a quelques jours, ce qui a été un peu décalé...

Je vais énoncer un lieu commun, mais qui me convient tout à fait : on recharge les accus, c’est certain. Mentalement, etc. J’ai eu des ennuis de santé plus ou moins graves, mais tu mets les deux pieds sur la scène, les projecteurs s’allument, le micro est là, et voilà une parenthèse d’une heure à assurer son métier comme si on était en pleine santé. J’ai remarqué une bonne vingtaine de fois ce phénomène. Une fois notamment, à Montpellier, j’avais des soucis de digestion, j’avais mangé quelque chose qu’il ne fallait pas. Je suis rentré en scène, j’étais mal en point, j’ai fait mon tour de chant, je reviens saluer à la fin du tour de chant, et je n’ai pas eu le temps d’aller à la loge, j’ai vomi au pied de l’estrade ! Pendant une heure j’avais pu mettre entre parenthèses mon malaise, ce qui est curieux.

 

Marcel Amont Alhambra

Marcel Amont à l’Alhambra.

 

Tout à fait. J’ai lu plusieurs choses à propos de Johnny et de la tournée des Vieilles Canailles, il était très mal en point et quand il entrait sur scène, il était un autre homme...

Oui, on parle beaucoup d’anticorps dans la période actuelle : c’est comme s’il y avait des anticorps qui se dégageaient dans ces cas-là... Très curieux.

Quand nous évoquions tout à l’heure la passion de Jean-Bernard, et la vôtre, pour l’aviation, il y a derrière cette idée de la nouvelle frontière à franchir, du rêve à exaucer. Qu’est-ce qui vous fait rêver aujourd’hui ? Par exemple, un voyage dans l’espace, c’est quelque chose dont vous auriez pu avoir envie ?

Oh non, je ne fais pas le poids là. Oui, ça me fait rêver de penser qu’il y a des gens qui sont si loin dans la stratosphère, et qui font apparaître la planète toute ronde au milieu du ciel tout noir, piqueté d’étoiles, mais ça fait rêver tout le monde. Blaise Pascal en rêvait déjà. Depuis la plus haute antiquité, on est fasciné par tout cela. De là à dire que moi, personnellement, j’aurais pu m’investir dans des activités pareilles, je ne crois pas, c’est une vocation. Regardez un Thomas Pesquet : ce sont des ingénieurs, ils sont sur-entraînés et hyper-motivés. Ici je me contente d’être en admiration devant eux, et ils le méritent bien.

"Qu’auriez-vous envie qu’on dise de vous, après vous ?" Cette question, je l’ai posée à Charles Aznavour en 2015. Sa réponse : "Que j’étais un auteur, plutôt qu’un parolier de chansons". Quelle serait votre réponse à vous Marcel (pour dans longtemps hein, j’y tiens) ?

Oh, moi mon cercle est beaucoup plus restreint. J’aime le public, j’ai tout fait pour le séduire et il me l’a bien rendu, mais je pense que déjà, si mes proches, les gens que j’aime pensent de temps en temps à moi, ça me suffit. Le reste, ce qui sera gravé dans le marbre de ma pierre tombale, je ne vais pas dire que je m’en fiche, mais ça n’a pas grande importance.

Vos livres favoris, ceux qui vous transportent, vous émeuvent ou vous font marrer à chaque fois, à recommander à nos lecteurs ?

Comme je l’ai dit précédemment, je lis beaucoup. C’est un métier où il y a beaucoup d’attente: durant les voyages, dans les coulisses, pendant les répétitions, etc... Il y a du temps de libre. J’avais deux musiciens qui avaient trouvé quelque chose qui les passionnait, ils étaient deux joueurs d’échecs invétérés. Moi, je ne sais toujours pas jouer aux échecs, je les regardais passer du temps à apprendre des coups dans des livres spécialisés, ça n’était pas pour moi.

Je lis beaucoup, mais j’oublie énormément de choses. J’ai dû lire trois fois en tout À la recherche du temps perdu, d’abord pour mon propre compte quand j’étais lycéen, puis pour mes enfants, puis enfin pour mes petits-enfants. Je pense à Gustave Flaubert, auquel une émission était consacrée l’autre jour, je pense aux classiques : Maupassant, Victor Hugo... Je ne vais pas vous énumérer les livres de ma bibliothèque. Je ne me targuerais pas d’ailleurs d’être suffisamment crédible pour recommander des livres à vos lecteurs. Ce serait un peu prétentieux. Mais lire, se plonger dans une histoire en noir sur blanc est toujours un plaisir renouvelé.

Il y a quelque temps, André Comte-Sponville présentait son Dictionnaire amoureux de Montaigne, je me suis laissé tenter, au moins pour voir si je n’avais pas oublié les trois quarts de ce qu’on m’avait appris quand j’étais bon élève du lycée Michel Montaigne. Mais j’ai laissé tomber au bout de 200 pages. Parfois on accroche et parfois non.

Tenez, je jette un oeil à ma bibliothèque. (Il compte) J’ai l’oeuvre complète d’Honoré de Balzac, j’ai lu deux ouvrages de Saint-Simon, enfin c’est très varié...

Et des films que vous pourriez recommander à vos petits-enfants ?

Là encore je ne me reconnais pas assez compétent pour recommander des films. Enfin, dans ma jeunesse, évidemment il n’y avait pas de télé. On écoutait la radio, et si le théâtre était un peu cher, le cinéma était à la portée de toutes les bourses, y compris de celles des ouvriers de Bordeaux. C’est le cinéma de cette époque où j’étais gamin qui m’a laissé le plus de traces. J’ai des souvenirs évidemment de Louis Jouvet, etc...

À l’heure où j’ai écrit cette question, Joséphine Baker faisait son entrée au Panthéon : avez-vous des souvenirs avec elle ?

J’ai chanté une fois pour elle aux Milandes (le château de Joséphine Baker, ndlr). On connaissait tous son parcours et son action dans la Résistance, mais aussi son répertoire chanté (la radio était alors omniprésente). C’était une vedette ! Et sa démarche, de recueillir des enfants... Donc oui, je suis très content, alors qu’elle vient d’entrer au Panthéon, et bien que ce fut infime et passager, de pouvoir dire ce que je suis en train de vous dire : "Oui, j’ai connu Joséphine Baker !" (Il rit). Ça fait bien dans les conversations.

 

Joséphine Baker Panthéon

Joséphine Baker au Panthéon. Photo : AFP.

 

On découvre avec pas mal d’émotion dans votre livre, par des descriptions si fines qu’elles nous les font sentir, tous les lieux de votre enfance, de la vallée d’Aspe jusqu’à Bordeaux. Pour tout dire, vous lire me donne envie d’aller voir tout cela de plus près. Si vous deviez vous faire guide, comme deux générations (au moins) de Cazamayou, quels endroits précis, lieux sauvages et patelins, nous inciteriez-vous à aller découvrir ?

Oh vous savez, j’ai vu la baie de Rio, j’ai vu Hong Kong, l’Himalaya et beaucoup de choses, comme beaucoup de touristes qui ne font que passer. En revanche, j’ai eu le bonheur de faire découvrir la vallée d’Aspe à ma jeune femme il y a 45 ans. Mais il ne faut pas y chercher de boîte de nuit, hein ! Mais pour celui qui aime la randonnée, la pêche à la truite ou la beauté des paysages, c’est magnifique. Il fut un temps où je cherchais une maison pour aller passer y des vacances et les week-ends, et elle m’a dit : "Mais pourquoi pas ?", elle était tombée amoureuse de ma vallée ! Ce sont des lieux comme ça qu’on peut recommander sans hésiter. La vallée d’Aspe, la vallée d’Ossau, des coins dans les Alpes aussi, enfin il y a tellement de lieux à voir, la télévision donne parfois à voir des choses sublimes. Mais très simplement et à ma portée, je vous invite vraiment à aller voir la vallée d’Aspe !

 

Vallée d'Aspe

Photo de la vallée d’Aspe. Source : https://www.guide-bearn-pyrenees.com.

 

Quels sont vos projets, et surtout vos envies pour la suite Marcel ?

Vous savez, je ne vais pas vous faire un numéro de vieux sage. J’ai 92 ans. Ce que je souhaite, c’est d’être entouré de gens que j’aime, ce qui est le cas. Qu’ils aient une bonne santé, c’est banal mais Dieu sait si c’est important. J’aimerais vivre dans un monde en paix, mais ça n’est pas pour demain, pauvre de nous !

Et continuer le spectacle aussi ? Vous avez un public qui vous attend...

Oui mais tout cela est négligeable. C’est très important, parce que je ne sais rien faire d’autre, et rien ne me passionne autant. Oui, peut-être.

Que puis-je vous souhaiter ?

J’espère ne pas devenir gaga, c’est la mauvaise surprise du chef, quand on ne sait plus comment on s’appelle. Mais parlons d’autre chose... Ce qui pourrait m’intéresser, c’est si vraiment j’avais l’inspiration et le souffle, de continuer à écrire un peu dans la mesure où je ne pourrais plus mettre les pieds sur une scène, ce qui probablement va arriver un jour ou l’autre. Mais je regarde cela avec une certaine sérénité. Si la bonne fée passait et me disait : "Fais un voeu et un seul", je demanderais à garder l’esprit clair, voilà.

Je vous le souhaite de tout cœur. Avez-vous un dernier mot ?

Non ma foi, mais je peux dire que par moments vous m’avez mis en face de moi-même, jeune homme !

 

Marcel Amont

Photo personnelle confiée par Marlène Miramon.

 

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14 novembre 2021

Xavier Mercier : « Les Douze Coups de midi, ça restera une parenthèse enchantée dans ma vie »

Il est agréable parfois, alors que l’actu n’est pas toujours rose, de s’accorder quelques plages de respiration bienvenues. J’ai plaisir, de temps en temps, à travailler à des articles qui ne font qu’effleurer la marche de l’info, et qui ne mobilisent pas un intervenant ayant "quelque chose à vendre" (même si c’est infiniment respectable). Cette année, la dixième de Paroles d’Actu, aura été une des plus riches, une des plus intenses aussi : plus de 30 articles, et ce n’est sans doute pas terminé. Elle a débuté avec l’interview-portrait rafraîchissant d’Arsène, maestro de N’oubliez pas les paroles (France 2).

C’est dans un même esprit que j’ai la joie de vous proposer, aujourd’hui, cette rencontre avec Xavier Mercier, un des plus grands champions des Douze Coups de midi (TF1) - je signale au passage qu’il célébrera son anniversaire au lendemain de cette publication, si si ! Je le remercie d’avoir accepté de sortir de sa réserve instinctive pour me faire toutes ces confidences, et pour tous nos échanges, très sympathiques. Un grand champion qui a arrêté en 2013, non sans panache et alors qu’il aurait pu sans peine monter plus haut et gagner davantage : il venait de trouver un job (le même jour, alignement des planètes ? Benoît XVI renonçait à sa charge, mais l’Histoire ne nous dit pas lequel a entraîné l’autre...) Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Xavier Mercier: « Les Douze Coups de midi,

ça restera une parenthèse enchantée dans ma vie »

JLR et Xavier

Crédit photo : TF1.

 

Comment aimerais-tu, Xavier, te présenter auprès de nos lecteurs ?

présentation

C’est une très bonne question. Xavier. 31 ans. Briviste de naissance (et donc chauvin), savoyard de cœur et dionysien de résidence. Ingénieur à EDF au service de la première énergie renouvelable de France (l’hydraulique donc) depuis bientôt 10 ans. Fan de voyages et de quiz ; et très accessoirement "star" (il manque quelques centaines de guillemets à ce mot bien mal employé) des jeux TV depuis mon passage aux Douze Coups de midi en 2013.

 

Quel regard portes-tu, avec le recul, sur ton passage aux Douze Coups de midi (entre janvier à mars 2013) ? En-dehors de l’aspect financier, quelles en auront été les retombées, et est-ce qu’en un sens, ça a modifié un peu ta vie ?

la vie après Les Douze Coups...

Sur mon passage dans l’émission à proprement parler, cela restera une parenthèse enchantée. C’est avant tout une aventure humaine, une formidable aventure humaine ! Ce serait sans doute galvaudé de dire "l’aventure d’une vie", surtout vu mon jeune âge mais cela reste un condensé, en à peine quelques jours de tournage, de beaucoup d’émotions. Bien sûr (et il ne faut pas le négliger), il y a également l’aspect financier : je ne m’attendais pas à remporter une somme aussi importante si jeune. Mais avec le recul, c’est ce côté humain avant tout qui ressort pour moi : avec la production, avec les différents candidats et "maîtres de midi" avec lesquels des liens se sont tissés au fil des années et perdureront, j’en suis certain, bien au-delà du cadre de l’émission.

C’est difficile de dire que cela n’a pas modifié ma vie, ne serait-ce que par l’effervescence médiatique, les rencontres que j’ai pu faire et qui n’auraient jamais eu lieu, etc... Cela ne m’a pas changé moi en tout cas, du moins je l’espère.

 

Xavier Mercier ouf

Illustration : capture TF1.

 

Ça se passe comment concrètement (au moins à ton époque), les tournages des Douze Coups de midi ?

ça tourne !

Les émissions sont tournées dans les conditions du direct sous forme de sessions de plusieurs journées avec cinq émissions enregistrées par jour, quatre jours par semaine, trois semaines de suite. Un rythme très intense pour les candidats, en particulier les "maîtres de midi" enchaînant les émissions. De la fatigue physique, de rester debout toute la journée, mais également psychologique pour rester concentré sur le jeu. Un vrai marathon, où la notion d’endurance prend tout son sens, pour ceux qui ont enchaîné des dizaines, voire des centaines d’émissions.

Les équipes de production sont vraiment géniales et font tout pour chouchouter les candidats, les préparer à ce qui se passera en plateau pour ne pas être déstabilisé par ce tourbillon de caméras, de projecteurs, etc... L’ambiance en coulisses est vraiment géniale. Je conseille à tout le monde de s’inscrire, pour voir au moins une fois l’envers du décor. C’est intéressant également de voir comment est tournée une émission et les différences que l’on peut percevoir par rapport au même contenu, diffusé sur notre poste de télévision.

 

Qu’est-ce que cette expérience t’a appris, en bien et peut-être, en moins bien, du monde de la télé et de tous ses à-côtés ? Bosser à la télé un jour c’est quelque chose qui pourrait te tenter, ou pas tant que ça ?

le monde de la télé

Le monde de la télé est un monde à part, sans aucun doute : il faut savoir faire la part des choses entre les relations superficielles et celles plus profondes, et éviter les miroirs aux alouettes. C’est un milieu qui peut avoir ses côtés assez malsains, à broyer les gens qui y travaillent et à vouer aux gémonies très rapidement ce qui était adulé hier. Il faut savoir garder la tête sur les épaules.

Ce n’est pas forcément un milieu naturel pour moi et je n’aspire pas spécialement à travailler à la télé un jour. Mais il ne faut jamais dire jamais si des propositions intéressantes (je doute de crouler dessous 😄) se présentent un jour...

 

Jean-Luc Reichmann, ça restera sur la durée une des vraies belles rencontres de ta vie ?

Jean-Luc Reichmann

À titre personnel, ça reste jusqu’à maintenant une des vraies belles rencontres de ma vie, pour reprendre tes termes. Il a toujours été très prévenant avec moi, comme avec l’ensemble des "maîtres de midi" d’ailleurs. J’ai eu l’occasion de le côtoyer dans des milieux plus éloignés des plateaux TV, comme lors de ses pièces de théâtre.

 

Le mariage

Illustration : capture Twitter @JL_Reichmann

 

Que t’inspire le parcours de Bruno, éliminé il y a peu après être devenu, sans doute pour un moment, le plus grand des "maîtres de midi" ?

Bruno alias "Fifou Dingo"

Son palmarès parle de lui-même. Il a réalisé un parcours exceptionnel. Un immense respect d’avoir su tenir aussi longtemps, de s’être renouvelé pour perdurer plus de 200 émissions. Les records sont faits pour être battus mais ceux qu’il vient d’établir risquent de perdurer quelque temps...

J’ai eu l’occasion de le rencontrer lors des derniers Masters, il est très sympathique et a beaucoup de détachement sur tout son parcours. Bienvenue à lui dans cette grande famille des Douze Coups de midi où il s’intègrera très bien, sans aucun doute.

 

Tu as été un des rares champions en titre de jeux à décider de partir volontairement, en pleine "gloire", parce que tu t’apprêtais à démarrer un nouveau job, peut-être aussi parce que tu estimais avoir atteint un beau palier. Peux-tu nous raconter ce moment, avec un recul de huit ans et demi ? Tu y repenses parfois, à ce choix ? Jamais de regret ?

quitter la table

Effectivement, et on m’en parle encore très régulièrement, j’ai choisi d’arrêter l’émission à cause de contraintes professionnelles puisque je démarrais mon premier travail au même moment, et qu’il était plus que difficile de faire cohabiter les deux. Cela n’avait clairement pas pour but de s’arrêter en pleine gloire ou de partir en étant invaincu. C’était un choix très personnel mais c’est au final, une belle manière de boucler la boucle. Sans doute que d’autres personnes n’auraient pas fait le même choix mais je suis tout à fait en accord avec moi-même sur celui-ci. Et tant pis pour mon esprit de compétition (plutôt très affirmé) qui a dû ronger un peu son frein. 😄

Je n’ai pas spécialement de regrets : je venais de battre le record de participations de l’émission, j’aurai très bien pu perdre dès l’émission suivante. À l’époque, il était totalement inimaginable de faire ne serait-ce que 100 participations aux Douze Coups de midi (et je ne parle même pas des hauteurs stratosphériques désormais atteintes par Bruno, Éric ou Paul). Un jour, sans doute proche, je sortirai du top 10 des plus longs parcours aux Douze Coups de midi mais c’est le sens de l’histoire ! Alors oui, peut-être très factuellement, j’aurais pu prolonger mon parcours de quelques émissions et remporter quelques milliers (voire dizaines de milliers) d’euros supplémentaires mais je pense toujours avoir fait le bon choix. Je ne saurai jamais jusqu’où aurait pu aller mon parcours mais je vis très bien avec cette incertitude (rires).

 

On assiste à une vraie starification des champions de jeux télé, qu’on suit de plus en plus comme dans un feuilleton. Les règles du jeu favorisent parfois leur maintien (particulièrement dans Tout le monde veut prendre sa place, où le tenant du trône bénéficie de privilèges exorbitants : il n’entre dans l’arène que pour la dernière épreuve, choisit son thème et celui de son challenger et, cruauté suprême, peut même choisir, via les questions finales ou entre deux égalités, son challenger). Bref, champion télé, est-ce que ça n’est pas un peu devenu, bien qu’éphémère, une sorte de métier ?

des champions starifiés

Il y a en effet une mode ces dernières années, depuis la création de Tout le monde veut prendre sa place en 2006, d’avoir des jeux TV avec comme principe, un(e) champion(ne) récurrent(e) qui reste plusieurs jours, semaines ou mois. Même Questions pour un Champion s’est récemment plié à ce "diktat" du feuilletonage des jeux télévisés, avec un champion récurrent après avoir abrogé la sacro-sainte limite des cinq participations consécutives. Et comme tout (bon) feuilleton, cela fait mécaniquement augmenter les audiences avec les partisans de tels ou tel champion qui veulent suivre son parcours ou les téléspectateurs qui n’attendent que sa chute. Et par effet boule de neige, on "starifie" ces champions, qui par l’intermédiaire de la télévision, sont rentrés dans le quotidien des gens.

Je ne sais pas si champion TV est devenu un métier, on est loin des pays anglo-saxons dans ce domaine-là ; mais on voit effectivement très souvent les mêmes candidats dans les différents jeux télévisés toutes chaînes confondues. De là à en faire un métier, la marche est haute et le business plan risqué. 😄

 

Tu as participé à plusieurs reprises à des émissions qui font s’affronter des champions de jeux parfois très différents : Des chiffres et des lettres, Questions pour un champion, Tout le monde veut prendre sa place, N’oubliez pas les parolesSlam, Les Douze Coups de midi... Tu connais un peu les règles, les mécanismes de chacun de ces jeux. Lequel est, à ton avis, et en tout cas pour toi, le plus redoutable ?

revue de jeux

La plus redoutable, c’est très subjectif. La mécanique des Douze Coups me convient plutôt bien avec différents types de questions : QCM, listes, rapidité, etc... Mais l’avis est forcément subjectif car c’est clairement chez moi (ce plateau, et tout) : cette émission a une place toute particulière dans mon cœur, donc dans un sens c’est très irrationnel. J’aime également énormément la mécanique de Questions pour un Champion, quasi inchangée depuis la création du jeu. Ça reste le graal en termes de jeu TV de culture générale et ses manches sont devenues "mythiques", en quelque sorte.

Tout le monde veut prendre sa place avait vraiment révolutionné les jeux TV en France à son arrivée, avec un format novateur. À voir avec Laurence Boccolini, mais je trouvais que ces dernières années le jeu était devenu une caricature de lui-même, avec une prépondérance énorme de questions cinéma et musique, quel que soit le thème de l’émission du jour.

Étant archi nul en anagramme (mais grand amateur de Scrabble, on n’arrête pas les paradoxes), j’aurais beaucoup plus de mal avec Des chiffres et des lettres par exemple, où les candidats sont pour moi de véritables extra-terrestres. Concernant N’oubliez pas les paroles, c’est un jeu différent puisqu’on sort du spectre des jeux de lettres et de culture générale. Je suis très impressionné par l’investissement et les résultats des candidats. Un exercice de mémorisation assez époustouflant pour retenir au mot près des centaines de chansons...

 

Parmi tes thèmes de prédilection, il y a le sport. Quels sont les athlètes, actuels et passés, les perf individuelles et collectives, que tu admires par-dessus tout ?

about sports

J’aime le côté romantique du sport, de la performance. Le panache. L’histoire du petit poucet qui renverse des montagnes. Des destins qui transcendent le côté sportif uniquement. J’ai d’ailleurs un peu parfois la même approche des jeux TV, j’aime les belles histoires et le panache au-delà du résultat brut.

J’ai donc une tendresse pour les "perdants" magnifiques, pour toutes ces grandes équipes maudites en football qui ont toujours buté sur la dernière marche et n’ont jamais été championnes du monde mais ont tout de même marqué leur époque et révolutionné ce sport comme la Hongrie de Ferenc Puskas en 1954, ou les Pays-Bas de Johan Cruyff en 1974.

Je pense d’ailleurs que je mettrais Johan Cruyff parmi les athlètes que j’admire le plus, le chantre du "football total" devenu un entraîneur à succès qui a marqué dans les deux rôles l’histoire du jeu. En dehors du football, je pense naturellement à Ayrton Senna, le talent à l’état brut fauché en pleine gloire. C’est une icône bien au-delà de son sport !

 

Xavier Grand Canyon

Au Grand Canyon. Photo personnelle confiée par X. Mercier.

 

Je prolonge un peu cette question. Si tu devais établir un panthéon perso des personnalités ou des personnes, connues ou pas, d’hier ou d’aujourd’hui, qui t’inspirent pour leurs actions ou pour leur être, qui y placerais-tu ?

panthéon personnel

C’est d’actualité (avec les 40 ans de l’abolition de la peine de mort en France), mais je pense que j’y placerais Robert Badinter, une figure morale forte de l’époque contemporaine et un homme de conviction. Une classe folle ! Il a une vie digne d’un roman et totalement captivante. Il s’est battu pour des causes que j’estime justes, contre vents et marées. C’est un peu l’incarnation des valeurs de la République française au sens large.

Je pourrais y ajouter des figures scientifiques majeures qui ont fait progresser notre connaissance et notre compréhension du monde qui nous entoure, comme Johannes Kepler ou Nikola Tesla.

Dans un autre registre, j’ai une énorme tendresse pour Winston Churchill et sa personnalité pleine d’excès et de contradictions, qui a eu une vie passionnante et un rôle clé dans un des moments les plus noirs de notre histoire.

 

Il y a aussi, dans tes spécialités, la géographie. Forcément, ça nous invite au voyage. Quels sont, jusqu’à présent, les coins et les lieux qui t’ont le plus fasciné, et ceux que tu rêves toujours d’aller voir ?

voyage, voyage

Les voyages sont une de mes plus grandes passions, et j’ai pu très largement en profiter ces dernières années avec ma compagne. Dur de faire des choix, j’ai eu cette (réelle) chance de voir de nombreux lieux magnifiques aux quatre coins du monde : les pyramides mayas du Yucatan, les merveilles naturelles du Sud-Ouest des États-Unis, la richesse des temples thaïlandais, etc... Depuis très petit, j’ai été fasciné par la cité de Pétra, "perdue" au milieu du désert, uniquement accessible par un étroit corridor dans la roche. J’ai eu la chance de la visiter et d’être émerveillé comme beaucoup par la découverte, au détour d’un virage, de telles merveilles gravées dans la roche. La réalité était clairement à la hauteur de mes attentes et j’espère bien avoir la chance d’y retourner un jour.

J’ai également été frappé par le Taj Mahal, si souvent vu en photos et qui, pourtant, en vrai conserve ce côté spectaculaire qui scotche le visiteur au premier regard. J’ai d’ailleurs adoré au cours de ce séjour en Inde l’ensemble des monuments moghols et leur architecture raffinée, symbiose de plusieurs cultures avec des dômes splendides et des ornements subtils.

Je suis également obligé de citer l’Île de Paques et ses mythiques moaï qui tiennent toutes leurs promesses sur ce petit confetti au milieu de l’océan Pacifique. D’autant que la visite de cet endroit a un côté unique, le temps est suspendu comme dirait Lamartine puisque, même s’il ne faut jamais dire jamais, c’est souvent un endroit où l’on n’a pas la chance de retourner dans sa vie.

Et pour finir la Patagonie, territoire méconnu que nous avons eu la chance de parcourir, avec ses glaciers splendides à portée de main comme le Perito Moreno, et d’oreille même puisque les craquements sont impressionnants ; ses vastes étendues sauvages et ses sommets enneigés, que ce soit côté argentin (le Fitz Roy par exemple) ou côté chilien (avec le parc des Torres del Paine).

Bref je pourrais parler voyages et découvertes durant des heures 🙂. Il me reste encore beaucoup de choses à découvrir. De manière anecdotique, j’aimerai bien boucler avec ma compagne le tour des "7 nouvelles merveilles du monde" avec la visite des deux qui manquent à "notre palmarès" : la Grande Muraille de Chine et le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro. Et (j’aime décidément bien boucler des boucles) également visiter l’Ouzbékistan, avec ses magnifiques villes comme Samarcande, Boukhara ou Khiva qui évoquent les étapes de la mythique route de la Soie. Cela devait être notre voyage de noces avant que la pandémie vienne mettre notre vie à tous entre parenthèses.

 

El Perito Moreno 

El Perito Moreno. Photo personnelle confiée par X. Mercier.

 

Torres del Paine

Torres del Paine - Los Cuernos del Paine. Photo personnelle confiée par X. Mercier.

 

Voyage toujours, la minute fantaisiste de l’interview : si tu pouvais visiter une autre époque, où et quand ?

 

un séjour dans le temps ?

Les Grandes Découvertes, clairement ! Au Portugal ou en Espagne. Avec tous ces hommes comme Magellan ou Vasco de Gama qui partaient vers des territoires inconnus. Je pense que je serais un peu déçu par la réalité des choses, bien plus difficile que l’image romantique que j’en ai.

Ou alors, toujours en Espagne durant les grandes heures d’Al-Andalus, au carrefour de plusieurs religions et civilisations.

 

Petite question un peu taquine alors que se profile une élection présidentielle qui risque fort de ne pas se jouer sur des débats d’idée de haute tenue : penses-tu, toi qui travailles dans le secteur de l’énergie, que les questions énergétiques n’ont pas dans le débat public la place que peut-être, elles mériteraient ?

questions d’énergie(s)

Vaste sujet que les questions énergétiques et leur place dans le débat public. J’ai l’impression d’entendre assez régulièrement les mêmes questions (en particulier sur la transition énergétique) apparaître dans les débats mais elles sont souvent assez peu fouillées et tournent au débat assez caricatural ou démagogique. Il est important de construire une trajectoire sur la transition énergétique concrète et plausible sur le terrain. Le développement des énergies renouvelables est un enjeu actuel et des décennies à venir ; la place du nucléaire également puisque sa suppression à court terme est littéralement impossible. Je pense que ces thématiques auront une place importante dans la prochaine campagne présidentielle en espérant qu’on ne les prenne pas par le petit bout de la lorgnette.

 

On espère sortir, petit à petit, de cette pandémie de Covid-19 qui nous aura fait vivre, aux uns et aux autres, des choses qu’on n’aurait pas pensé connaître un jour. Comment l’as-tu vécue à titre personnel ? Dans ce flot de malheur, cette crise sanitaire aura-t-elle eu aussi, des vertus ?

crise sanitaire

Plus ou moins bien, comme tout un chacun j’imagine. J’ai eu la chance de ne pas être touché de près ou de loin par la maladie, ou par les conséquences économiques de cette pandémie, ce qui reste une réelle chance par rapport à beaucoup de Français. Ces mois n’ont pas été les plus épanouissants de ma vie. Enfin, quand même ! j’ai eu la chance de me marier avec la femme que j’aime et d’organiser le mariage auquel nous aspirions, malgré les contraintes liées à la crise sanitaire.

Les confinements, en particulier le premier, étaient quelque chose de totalement inédits et inattendus. Pour quelqu’un de ma génération, je ne pensais jamais expérimenter concrètement la notion de couvre-feu par exemple. Cela a été également la source de nombreux bouleversements professionnels en termes d’organisation et de modes de travail. Sans doute sur ce sujet, un accélérateur de transformations qui auraient mis sinon de nombreuses années à se diffuser dans la société.

J’espère que cette crise sanitaire aura permis aux gens de se recentrer sur leurs priorités et d’accorder plus d’importance à la solidarité, ainsi qu’à la chance que nous avons de vivre au quotidien. J’espère également qu’on en tirera une vraie évolution sur les priorités en matière d’investissements publics (j’avoue être assez utopique parfois) !

 

Quelles sont tes recettes pour nourrir tes curiosités, alimenter ta culture ? Beaucoup de lecture j’imagine ?

alimenter sa culture

Beaucoup de lecture, oui et non. Par période, je lisais beaucoup plus en étant plus jeune, que ce soient des romans (je conseille d’ailleurs à tout le monde la lecture d’Alamut de Vladimir Bartol, et de L’Ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon), des biographies ou des ouvrages de types divers et variés. J’ai une impressionnante pile de livres en attente de temps (et d’envie parfois) pour les lire, je papillonne aussi beaucoup entre différents ouvrages.

Alamut

Je n’ai clairement pas de méthode toute faite pour alimenter ma culture et ne suis pas la personne la mieux organisée sur ce point. Je ne suis pas un bon exemple. 😄 Je suis curieux de pas mal de sujets et fais énormément de quiz (sur internet, avec des amis, dans des bars) ce qui permet d’entretenir cette culture générale. L’effet pervers de tout ça, c’est qu’on retient beaucoup mieux ce qui nous intéresse, et donc qu’on renforce ses points forts sans combler ses points faibles.

 

Des conseils pour quelqu’un qui rêverait, comme un challenge, de devenir "maître de midi" ?

devenir "maître de midi"

Je ne sais déjà pas pourquoi j’ai été pris aux sélections, alors de là à avoir une recette pour devenir "maître de midi" 😄. Blague à part, je pense que venir en pensant gagner est une bonne stratégie pour être sûr de perdre. Les questions sont sur des thématiques très variées, portant parfois sur des faits généralistes très connus mais aussi sur des informations très anecdotiques. Dur de se préparer au mieux sur ce plan-là : une culture générale variée est bien sûr un plus. Je pense que le petit plus qui peut faire la différence réside plus dans le "psychologique" que dans les connaissances pures : être détendu, ne pas stresser outre mesure, etc... L’essentiel reste de s’amuser, de passer un bon moment et d’en profiter pleinement. 🙂

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

​Reprendre mon bâton de pèlerin et reprendre la route des voyages. Mais aussi profiter de mes proches et ne pas laisser filer ce temps qui passe trop vite 🙂.

Point de vue jeux TV, pas beaucoup de projets en attente. J’ai eu la chance de faire récemment Questions pour un Super Champion même si l’aventure n’est pas forcément conclue comme je l’espérais. Si j’ai une nouvelle chance dans un futur proche ou lointain, j’essaierais de faire mieux !

 

Un message à adresser à quelqu’un à l’occasion de cette interview ?

Pas forcément à une personne en particulier mais plutôt à toutes les personnes qui ont cru en moi, qui m’ont permis d’arriver là où je suis aujourd’hui. À mes parents qui m’ont donné le goût de la connaissance et de la curiosité, à ma femme qui me supporte au quotidien (et ce n’est pas un vain mot), à mes amis bien sûr, etc... On est riches des rencontres que l’on peut faire au cours d’une vie qu’elles soient familiales, affectives ou amicales et il faut prendre soin de toutes ces relations.

 

Un dernier mot ?

Merci de m’avoir laissé l’occasion de m’exprimer sur ces sujets divers et variés. Je pense que cela transparaît un peu au travers de mes propos, mais je suis quelqu’un qui s’exprime peu et préfère l’ombre à la lumière des projecteurs. En espérant que ces quelques pages plaisent à tes lecteurs.

 

Et à tes fans ! Merci...

 

Xavier Mercier

Photo personnelle confiée par X. Mercier.

 

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13 novembre 2021

François-Henri Désérable : « Ce roman m'a permis de faire passer mes poèmes en contrebande »

Mon premier article avec François-Henri Désérable date de juillet 2013 : je l’avais contacté immédiatement après l’avoir découvert dans On n’est pas couché, il présentait alors sa première oeuvre, Tu montreras ma tête au peuple (Gallimard), remarquable recueil de nouvelles ayant pour cadre la Révolution, époque Terreur. L’échange fut tout de suite agréable, on réalisa l’interview dans la foulée. Et j’ai plaisir, depuis huit ans, à suivre dans mon coin, le parcours de cet auteur dont le talent est de plus en plus reconnu. En 2013, il fut pour l’ouvrage cité plus haut lauréat du prix Amic de l’Académie française. En cette année 2021, il vient de recevoir le Grand Prix du Roman de cette même Académie française, ce qui on peut en convenir, n’est quand même pas mal !

Dans Mon maître et mon vainqueur (Gallimard), il aborde avec beaucoup de sensibilité, et de bonnes doses d’un humour qui le caractérise (aussi), la passion et ces raisons du cœur qui parfois, s’opposent frontalement à la raison elle-même. Je le remercie chaleureusement d’avoir accepté de m’accorder cette interview, et pour les confidences qu’il a bien voulu me faire. Je ne peux que vous recommander, comme tant d’autres l’ont fait avant moi, de vous emparer de ce roman qui vous touchera, et des autres ouvrages signés François-Henri Désérable ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

François-Henri Désérable : « Ce roman

ma permis de faire passer mes poèmes en contrebande »

Mon maître et mon vainqueur

Mon maître et mon vainqueur (Gallimard, août 2021). Crédit photo : éditeur.

 

Tina est comédienne, elle est belle, désirable, aimée de deux hommes, son officiel, Edgar, père de ses enfants, et Vasco, son amant qui prend de plus en plus de place dans son cœur et dans sa vie. Et de manières différentes, les trois vont morfler...

François-Henri Désérable bonjour, et merci d’avoir accepté de m’accorder cette nouvelle interview. Ma première question, celle qui vient immédiatement à l’esprit quand on referme Mon maître et mon vainqueur (Gallimard), celle à laquelle, sans doute, tu ne répondras pas : dans quelle mesure le narrateur du récit, qui a des liens forts avec Venise, est-il toi, et dans quelle mesure mets-tu de ton vécu dans ce que lui vit et raconte ?

On sait très peu de choses du narrateur, il se livre assez peu, sauf sur son mariage à Venise – et ce mariage, c’est le mien. Je me suis marié à une fille formidable, et puis les circonstances de la vie ont fait que ce mariage n’a pas tenu. Ce narrateur, c’est bien moi. Mais il y a de moi dans chacun de mes personnages  : l’amour de Tina pour Verlaine et Rimbaud, c’est le mien  ; la mélancolie de Vasco qui va jusqu’à vouloir se tuer par amour pour Tina, c’est la mienne  ; et souvent, quand je me moque d’Edgar, le futur mari de Tina, c’est en réalité moi-même que je raille à travers lui. Ces personnages, je les aime jusque dans leur travers, et si j’ai pour eux de la compassion, c’est sans doute par complaisance envers moi-même.

 

Tient-on là ton roman le plus personnel ? Peut-être celui qui aura été le plus compliqué à écrire ?

Le plus personnel, c’est certain. Du moins pour ce qui touche aux poèmes, la plupart écrits parce que je me trouvais dans l’impossibilité d’écrire quoi que ce soit d’autre, à la fin d’un amour dont c’est peu dire qu’il fut passionnel. Mon intention était d’ailleurs de publier un recueil de poèmes… Mais si écrire de la poésie, c’est se mettre à nu, écrire des poèmes d’amour, c’est carrément sortir à poil dans la rue. Alors j’ai pris quelques-uns de ces poèmes, et je les ai enrobés de fiction – meilleur moyen de faire passer de la poésie en contrebande. Ce roman n’aura pas été le plus compliqué à écrire (le plus compliqué reste Un certain M. Piekielny, où j’ai connu de vraies périodes de découragement), mais il est celui pour lequel j’ai le plus ressenti l’impérieuse nécessité à écrire, sans laquelle on ne devrait jamais se lancer.

 

Un certain M

 

Sans surprise, la littérature est très présente dans le roman : le juge avec lequel se trouve le narrateur essaie de déchiffrer les haïkus de Vasco, qui bosse à la BnF, Tina aime lire et déclamer de la poésie, le tout sous le haut-patronage de Verlaine, de Rimbaud et de Voltaire qui, au vu des circonstances, s’en seraient peut-être bien passés. "La littérature, c’est la vie", comme aurait pu dire, peut-être, Jeanne Moreau ?

C’est la mienne en tout cas. J’ai pris conscience assez tôt que c’était là ma terre d’élection, mon terrain de jeu. Lire, écrire… Voilà comment depuis mes dix-huit ans j’emplis le cours de mon existence. Ça ne veut pas dire que je me retranche de la vie pour vivre pleinement dans les livres, non, ça veut dire que tout ce que je vis, tout ce que j’éprouve n’a qu’une seule vocation  : nourrir mon imaginaire et, in fine, mes livres.

 

À un moment de ton histoire, un des protagonistes entreprend de dérober, aidé du narrateur, une relique de philosophe, je n’en dis pas plus, pour épater celle qu’il aime. Quel serait-il, le Graal sur lequel toi, tu aimerais poser la main (et bim dans le sac) pour l’offrir à ta Tina à toi ?

Ma Tina à moi a dérobé pour me l’offrir – et c’est peut-être le plus beau cadeau que j’ai jamais reçu – un billet d’amour écrit par un grand écrivain suisse né en Céphalonie (je n’en dis pas plus, je ne voudrais pas lui causer de tort). Pour me montrer à la hauteur, il faudrait peut-être que je songe à dérober une relique de Prévert (son béret ?), pour qui elle a beaucoup d’admiration.

 

Si toi, tu devais commettre un crime passionnel, quelle serait ton arme ? On pense à la crosse de hockey, mais ce serait trop évident non ? ;-) Surtout, forcément, si tu l’écris dans cette interview...

Un Lefaucheux à six coups de calibre sept millimètres – le même que celui avec lequel Verlaine a tiré sur Rimbaud en 1873 à Bruxelles.

 

Je ressors, rien que pour toi, ma vieille machine à remonter le temps, celle avec laquelle, déjà en 2013, tu avais choisi de voyager dans le Paris du 14 juillet 1789. Là, tu as le droit d’aller où et quand tu veux, et même d’aller rencontrer un écrivain, ou quelqu’un, n’importe qui, et de poser à cette personne une question, ou de lui donner un conseil. Quel sera ton choix ?

J’irais voir Romain Gary le matin du 2 décembre 1980, et je lui dirais quel immense écrivain il est. Alors, peut-être…

 

Si tu avais dû, pu vivre dans une autre époque que la nôtre, plutôt le XIXe ?

Ma réponse varie en fonction de mes obsessions du moment. Là, je dirais à Montmartre, au début du XXè siècle… Traîner au Bateau-Lavoir, boire des coups avec Apollinaire et Picasso, être contemporain de la naissance de l’art moderne…

 

Dans Mon maître et mon vainqueur, au cours de tes multiples digressions, et non sans humour (les unes et l’autre n’abîmant pas ton charme), il y a une pointe d’ironie sur le fait que, finalement, être publié dans d’autres pays, traduit dans d’autres langues contribue aussi à accroître, par millions, le nombre de lecteurs qui ne liront pas un livre. Cette lecture cynique, c’est aussi un peu la tienne ou non ça va, tu es plutôt content à ce niveau-là ?

Je suis très heureux d’être traduit, vraiment. Mais c’est comme avec les chiffres de vente ou les prix littéraires  : on ne peut pas en tirer une quelconque vanité. Le succès d’un livre n’est pas gage de sa qualité. Il y a d’excellents romans qui se vendent à moins de cinq cents exemplaires, et d’autres, totalement ineptes, qui s’écoulent à des millions d’exemplaires et sont traduits dans le monde entier.

 

Et le Grand Prix du Roman de l’Académie française, que tu viens de recevoir pour Mon maître et mon vainqueur, comment le prends-tu ?

Cela m’a fait évidemment très plaisir, et pour plusieurs raisons. D’abord, des lecteurs qui n’auraient jamais lu mon livre vont le découvrir grâce au bandeau rouge qui le ceint désormais. Ensuite, si le palmarès du Grand prix du roman est loin d’être irréprochable (mais y a-t-il seulement un palmarès qui le soit  ?), y figurent plusieurs écrivains que j’admire – je songe entre autres à Modiano, à Littell, à Michon… Et puis j’ai commencé à écrire à dix-huit ans après avoir lu Belle du Seigneur, qui est un monument, qui est sans doute le grand roman de la passion amoureuse, et qui fut couronné du même prix en 1968. Alors me retrouver près d’un demi-siècle plus tard sous la Coupole, avec la même distinction pour un roman qui traite du même sujet, comment dire… c’est à la fois terriblement émouvant et follement intimidant.

 

Belle du Seigneur

 

Comment as-tu vécu, personnellement, cette crise du Covid qui quand même, nous embête bien depuis un an et demi ? A-t-elle fait bourgeonner en toi des remises en question ?

Les débuts du Covid, le premier confinement, etc… Il y avait un effet de sidération planétaire. Il fallait prendre des mesures fortes pour endiguer l’épidémie, rien à dire là-dessus. Mais je suis fasciné par la docilité avec laquelle la plupart des gens se sont par la suite accommodés des restrictions les plus drastiques à leurs libertés les plus élémentaires. Qu’on nous oblige encore à porter le masque quand on est vacciné me semble une absurdité. Et néanmoins nous y consentons sans trop protester  : nous sommes tous plus ou moins les valets serviles d’une idéologie liberticide qui sous prétexte de prolonger la vie en diminue l’intensité.

 

Quelle serait ta technique pour attirer un jeune ado, qui en serait éloigné, vers la littérature ?

Lui mettre entre les mains des romans dont la lecture m’a enchanté quand j’avais son âge : La Promesse de l’aube, La Vie devant soi, Le Parfum, Le Comte de Monte-Cristo, Le Crime de l’Orient-Express

 

La promesse de l'aube

 

Tes conseils pour quelqu’un, jeune ou moins jeune d’ailleurs, qui aurait envie, peut-être après t’avoir lu, d’écrire à son tour, et pourquoi pas, soyons fous, de chercher à être publié ?

Sommerset Maughan avait une formule que je pourrais faire mienne  : «  Il y a trois règles à suivre impérativement pour écrire un roman… Malheureusement, personne ne les connaît  ». Mais je dirais lire, lire beaucoup, tout le temps, pas seulement des classiques, mais aussi de la littérature contemporaine… Quant à être publié, il suffit d’envoyer son manuscrit par la Poste. Je ne crois pas au bon manuscrit qui passerait totalement entre les mailles du filet.

 

Tes coups de cœur littérature récents ?
 
Je pourrais en citer plusieurs, je vais en citer quatre  : le remarquable, l’incandescent Feu de mon amie Maria Pourchet (voilà plusieurs années que je ne cesse de répéter qu’il faut lire Maria Pourchet – notamment Champion, lisez Champion  : l’histoire d’un gamin de quinze ans, adolescent subversif et railleur qui raconte sa vie à sa psychiatre, sur des cahiers à carreaux. C’est drôle, émouvant, mélancolique, intelligent, drôle – je l’ai déjà dit, mais vraiment, c’est très drôle, aussi drôle que La vie devant soi de vous savez qui). J’ai aussi beaucoup aimé La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr, roman ambitieux, érudit, porté par une langue inventive et lyrique – en voilà un qui n’a pas volé son Goncourt  ! Mais encore Sur les toits, de Frédéric Verger, dont j’envie l’imaginaire et les métaphores. Et enfin Le Voyant d’Étampes, d’Abel Quentin, peut-être le meilleur satiriste de notre époque, qui signe un grand roman désopilant sur (désolé pour les anglicismes) le wokisme, la cancel culture et les shitstorms à l’ère des réseaux sociaux – je l’ai terminé stupéfait, en me disant putain, quel talent  !

 

Champion

 

Si tu étais libraire, et que tu devais t’extirper un peu de François-Henri pour être objectif, qu’écrirais-tu sur un post-it pour présenter de façon désirable, Mon maître et mon vainqueur ?

Je ne sais pas ce que j’écrirais, mais j’aimerais qu’on dise de ce livre qu’il «  se glisse dans les interstices de la vie, dans ses gouffres, ses cruautés, ses étrangetés, ses supplices et ses beautés  ».

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

L’écriture avec Maria Pourchet d’un scénario autour de Romain Gary, et celle d’un récit de voyage en Amérique du Sud, sur les traces de Che Guevara.

 

Un dernier mot ?

Hasta siempre !

 

FH Désérable

Crédit photo : Claire Désérable.

 

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9 novembre 2021

Hélène de Lauzun : « Pour bien des Autrichiens, le traumatisme de 1918 n'a jamais été surmonté »

Quand on ne connaît que de loin l’histoire de l’Europe, on perçoit l’Autriche avant tout comme un petit pays prospère et pittoresque d’Europe centrale : on pense à des paysages comme le Tyrol, à des folklores, aux fameuses valses de Vienne. En fait, l’Autriche fut, du quinzième siècle jusqu’à 1918, une puissance majeure, centrale en Europe : elle a incarné pendant des siècles l’Allemagne, empire alors décousu mais dominé par les Habsbourg catholiques, avant d’en être chassés par une puissance plus cohérente, plus entreprenante aussi, la Prusse protestante qui allait elle, fonder un État allemand fort, au détriment d’une bonne partie de l’Europe. Une histoire partagée où se mêlent le romanesque et le tragique.

J’ai la joie de vous proposer aujourd’hui cette interview avec Hélène de Lauzun, historienne et auteure d’une passionnante Histoire de l’Autriche (Perrin, mars 2021), que je vous recommande. Je la remercie pour sa bienveillance face à ma démarche, et espère que cet article vous donnera envie d’approfondir ces questions. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Hélène de Lauzun: « Pour bien

des Autrichiens, le traumatisme de 1918

n’a jamais été complètement surmonté »

Histoire de l'Autriche

Histoire de l’Autriche, par Hélène de Lauzun (Perrin, mars 2021)

 

Quelle est votre histoire personnelle avec l’Autriche, et pourquoi en avoir fait votre spécialité d’étude?

ich liebe dich Österreich!

Mes lecteurs me demandent souvent si j’ai un lien familial avec l’Autriche, des ancêtres autrichiens… Absolument pas  ! En revanche, j’ai eu la chance immense de pouvoir découvrir l’Autriche pour la première fois quand j’avais quatre ans, grâce à mes parents, avec qui j’ai sillonné toute l’Europe durant mon enfance. J’y suis retournée ensuite un certain nombre de fois, pour l’Autriche elle-même ou au détour de voyages en Suisse, en Pologne, ou encore en Allemagne. Ces voyages m’ont donné l’amour de cette extraordinaire civilisation de l’Europe centrale, dont l’Autriche est le pivot  : un savant mélange d’influences latines, slaves et germaniques, une immense richesse culturelle. Tout cela n’était malheureusement qu’effleuré pendant les cours d’allemand, qui s’évertuaient à nous assommer à coups de problématiques sur la pollution et l’activisme néo-nazi... Heureusement, j’ai eu aussi pendant deux ans un professeur d’allemand qui était d’origine tchèque  et jouait du violon  ! Cette dame adorable était une fenêtre ouverte sur cet univers qui me fascinait. Étant passionnée de musique et de danse, je rencontrai également en permanence l’Autriche sur mon chemin. J’ai passé ainsi un mois magique à Baden-bei-Wien, juste après le Bac, à goûter les délices de l’opérette et des Heuriger (bars à vins). J’en garde un souvenir extraordinaire. À la Sorbonne, deux cours sur les quatre que je suivais en licence étaient consacrés à l’Autriche et à l’espace danubien. J’ai hésité à un moment à me consacrer à mon autre passion, la Russie, à laquelle j’ai consacré mon mémoire de maîtrise, avant de revenir à mes premières amours pour la thèse.

 

Qu’y avait-il de rationnel, et au contraire d’irrationnel dans la vieille rivalité multiséculaire entre l’Autriche et la France?

Autriche/France : je t’aime, moi non plus

Cette rivalité multiséculaire n’a rien d’irrationnel, elle s’explique très facilement  ! La France et l’Autriche ont tenté pendant des siècles, si l’on peut dire, d’occuper «  le même créneau  »  : celui d’une monarchie catholique puissante à vocation universelle. La lutte pour l’héritage bourguignon, le combat de François Ier contre Charles Quint se poursuivent ensuite dans la rivalité qui oppose Louis XIV à Léopold Ier. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 vient répondre à la victoire de la monarchie habsbourgeois contre les Turcs en 1683. L’Italie, puis l’Espagne sont les terrains où les deux dynasties se croisent, s’unissent, mais aussi se disputent en permanence.

En revanche, on peut peut-être parler d’irrationnel dans le monde post-révolutionnaire, alors que la rivalité entre la Maison de France et la Maison d’Autriche n’a plus lieu d’être. Il y a des blocages, des atavismes, des aveuglements idéologiques. La France ne comprend pas la carte qu’elle a à jouer à entretenir de bonnes relations avec l’Autriche, contre l’émergence d’une Prusse qui ne veut faire de cadeaux ni à l’une, ni à l’autre. C’est vrai à l’époque de Napoléon III, sous la IIIe République avant 1914, mais aussi dans l’entre-deux guerres dans les relations que la France entretient avec la fragile Première République autrichienne. Le manque de lucidité de notre pays est malheureusement lourd de conséquences pour la France comme pour l’Europe.

 

J’allais y venir : auraient-elles à votre avis été des alliées naturelles, notamment à partir du dernier tiers du XIXème siècle, face à l’émergence de la nouvelle Allemagne dominée par la Prusse? Voyez-vous dans ce non-rapprochement, une erreur historique?

face à Berlin, une erreur historique ?

J’ai répondu en partie avec la question précédente : à mon sens, oui, il s’agit bien d’une authentique erreur historique. L’incompréhension qui domine en France devant l’épisode de Sadowa, marquant la victoire des Prussiens sur les Autrichiens, est gravissime. La naïveté de Napoléon III devant le processus bismarckien d’unification de l’Allemagne est assez confondante. De fait, la France paie douloureusement au moment de la guerre de 1870 son incapacité à avoir renoué des liens solides avec l’Autriche. Les occasions manquées ont été légion.

 

À partir de quel point de la Première Guerre Mondiale, l’effondrement du vieil attelage habsbourgeois a-t-il été inéluctable?

Finis Austriae

Cette question n’est toujours pas tranchée et il est difficile d’y répondre en quelques lignes. Selon moi, il n’était pas écrit dans les astres que la monarchie habsbourgeoise devait s’effondrer. Son modèle multinational était peut-être trop en avance sur son temps… Ce qui est certain c’est que la guerre a constitué un formidable accélérateur des tensions déjà bien présentes avant le conflit. L’empereur Charles l’a bien compris, et c’est pour cette raison qu’il entame ses pourparlers de paix au printemps 1917. A partir du moment où ceux-ci échouent, le cours des événements devient très difficile à inverser. Je dirais que l’affaire Czernin* au printemps 1918 constitue définitivement un point de non-retour  : à cette occasion, Charles apparaît aux yeux de l’Europe, aux yeux des Allemands, aux yeux des Alliés, comme un homme faible sur lequel on ne peut plus miser. Le fameux adage de Tocqueville, à savoir que «  le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer  », se prête par la suite particulièrement bien à la situation de la double monarchie. Les réformes que choisit de mener l’empereur Charles sont positives en soi, mais elles viennent au pire moment et accélèrent de ce fait la chute.

* L’affaire Czernin est la révélation au printemps 1918 aux yeux du grand public, à la faveur d’une escalade de provocations diplomatiques entre le ministre des Affaires étrangères autrichien, Czernin, et Clemenceau, des négociations secrètes effectuées par l’empereur Charles pour faire la paix avec la France.

 

Quelle responsabilité imputer à la passivité des Français, et surtout des Britanniques, quant au choix mussolinien de s’allier à Hitler, et aux sorts qu’allaient subir, de leur déstabilisation à leur anéantissement, l’Autriche et la Tchécoslovaquie?

avant l’Anschluss, occasions manquées

La passivité des Français et des Britanniques s’explique sans trop de difficultés. Quant à savoir si elle se pardonne, c’est un autre débat  !

Les Français et les Britanniques dans l’entre-deux guerres sont empêtrés dans le mythe de la sécurité collective, la solution qu’ils ont échafaudée pour ne revivre à aucun prix le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Tétanisées par ce souvenir, les classes politiques de ces deux pays, dans leur immense majorité, n’arrivent pas à faire preuve d’adaptation et de réalisme politique à l’égard des nouveaux défis des temps. Quand la France et le Royaume-Uni choisissent d’appliquer une politique de sanctions à l’égard de l’Italie dans l’affaire éthiopienne, ils se drapent dans une dignité diplomatique séduisante sur le papier, mais ne mesurent absolument pas les effets pervers d’une telle décision  : rejeté par les puissances démocratiques, Mussolini n’a dès lors pas d’autre choix géopolitique que de se rapprocher d’Hitler. Pourtant, l’épisode du coup d’État manqué contre l’Autriche et l’assassinat de Dollfuss, le chancelier autrichien, à l’été 1934, aurait dû les alerter  : à l’époque, l’indépendance de l’Autriche avait tenu grâce à l’envoi de troupes italiennes à la frontière, comme un signal adressé par Mussolini à Hitler sur les limites à ne pas franchir.

 

Les Autrichiens ont-ils toujours du mal à regarder en face cette histoire du Troisième Reich, auquel ils ont été incorporés de force, mais dont ils ont été partie intégrante? Les faits sont-ils bien établis, les disputes apaisées de nos jours?

les fantômes du nazisme

Les années ont beau passer, les blessures sont toujours là. Au sujet de sa responsabilité dans les crimes du IIIe Reich, l’Autriche avance en eaux troubles. Elle est le premier pays à avoir perdu son indépendance devant l’expansionnisme hitlérien… mais nombre d’Autrichiens ont activement collaboré au régime. Hitler lui-même était Autrichien de naissance… mais avait renié sa patrie d’origine de toutes ses forces, jusqu’à devenir apatride. Malgré des épisodes de repentance, le dilemme sur la responsabilité de l’Autriche reste entier et est inévitable. Le rapport des Autrichiens à leur histoire reste complexe. Un ami autrichien m’expliquait récemment que la période de l’entre-deux guerres, la Première République, restait par exemple encore très mal étudiée et peu connue. Ceci dit, quand je parle histoire avec des Autrichiens, il ressort souvent que le principal traumatisme reste 1918 et la fin de l’Empire, plus que la Seconde Guerre mondiale. Ce traumatisme initial, à bien des égards, n’a jamais été complètement surmonté.

 

Que reste-t-il aujourd’hui du passé impérial au sein de l’ex-ensemble Habsbourg? Les Autrichiens, les Hongrois et les Tchèques ont-ils encore le sentiment diffus de partager un héritage commun?

un héritage commun pour l’ex espace impérial?

Quand vous sillonnez les pays de l’ancienne monarchie, vous ne pouvez être que saisis par l’extraordinaire cohérence d’ensemble qui s’en dégage, malgré des particularismes très puissants. Sur le plan patrimonial, c’est manifeste  : l’Europe centrale unifiée par le baroque est une réalité. Les histoires sont totalement imbriquées, et l’empire affleure à chaque pas. Cette histoire commune n’empêche pas que les pays issus de l’ensemble habsbourgeois soient individuellement très jaloux de leur identité propre et de leurs spécificités, qu’ils entendent défendre bec et ongles… comme on peut le constater au vu des derniers débats qui agitent l’Union européenne.

Il est difficile de parler d’une nostalgie de l’empire, unanimement partagée, sur le plan politique. Mais le sentiment confus d’un âge d’or perdu, ou encore une nostalgie habsbourgeoise, oui. Prenez par exemple la Hongrie  : elle sait très bien employer les membres de la famille Habsbourg dans son corps diplomatique  ! Dans une certaine mesure, le groupe de Visegrad** peut être également compris comme un avatar de l’ancienne réalité impériale.

** Le groupe de Visegrad est un rassemblement intergouvernemental de quatre États de l’est de l’Europe  : la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie. Il se caractérise par ses orientations conservatrices, notamment sur la question de la régulation des flux migratoires en Europe, point sur lequel il s’oppose aux orientations de Bruxelles. Tous les quatre ont appartenu d’une manière ou d’une autre (partiellement pour la Pologne) à la monarchie habsbourgeoise.

 

Vos projets et envies pour la suite?

Ils sont nombreux, je ne vais pas m’arrêter là  ! Plusieurs choses sont à envisager  : approfondir tout le versant culturel, autour de l’univers de la valse, que je connais bien pour la pratiquer et l’enseigner. Pourquoi pas organiser aussi, autour de la valse et de l’histoire, un voyage à Vienne  ? L’ouverture d’un train de nuit Paris-Salzbourg-Vienne cette année offre une excellente opportunité  ! J’aimerais aussi me lancer dans la biographie. L’Autriche regorge de personnalités passionnantes encore peu explorées, et le genre de la biographie est pour moi fondamental en histoire. Il pose la question de la liberté, des choix et des responsabilités individuelles, et a eu trop tendance à être négligé au profit de l’histoire du temps long.

 

Hélène de Lauzun

 

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30 septembre 2021

Frédéric Quinonero : « Serge Lama est perçu injustement, corrigeons cela tant qu'il est encore là »

De Serge Lama, on connaît tous au moins une chanson : Je suis malade (S. Lama / A. Dona) a été interprétée, ici et ailleurs, par de grandes voix qui ont sublimé ce texte, pourtant très personnel d’un Lama né Chauvier qui, davantage sans doute que d’autres, s’est raconté et s’est confié, tout au long de sa carrière.

 

 

Connaît-on vraiment Serge Lama, au-delà de cette chanson, et de ses plus connues qui, des P’tites femmes de Pigalle à Femme, femme, femme, ne sont pas forcément ses plus intéressantes ? Je le confesse : de lui je ne savais pas grand chose avant de lire cette nouvelle bio de qualité signée Frédéric Quinonero, que je remercie pour cet entretien  - et je salue au passage Marie-Paule Belle et Marcel Amont, cités dans le livre et que j’avais tous deux interviewés, il y a des années.

L’histoire d’une enfance, qui l’aura marqué à vie ; l’histoire aussi d’une niaque hors norme, que les lourdes épreuves de son existence n’ont fait que renforcer. Lama, un gaillard attachant, et un grand interprète et auteur, trop souvent oublié, et qui mérite d’être découvert, ou redécouvert. Lisez ce livre, et écoutez-le, profitez-en : pour le moment le chanteur a vingt ans. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « Serge Lama est perçu

injustement, corrigeons cela tant quil est encore là »

Serge Lama La rage de vivre

Serge Lama, la rage de vivre (LArchipel, septembre 2021)

 

Pourquoi as-tu choisi de consacrer cette nouvelle biographie à Serge Lama ?

C’est avant tout pour réparer un manque  : il n’y avait pas de biographie de Serge Lama quand j’ai décidé d’écrire la mienne. Ensuite, il y a eu l’annonce de ses adieux à la scène, tout au moins à la Province, ce qui constituait un prétexte idéal. Enfin, et surtout, il s’agissait de réhabiliter un auteur et un show-man.

 

Ce qui saute aux yeux quand on lit ce récit, dès les premières lignes, c’est cette niaque assez incroyable qui a animé Lama, notamment après son terrible accident de l’été 1965 qui a emporté celle qu’il aimait, Liliane, le frère d’Enrico Macias aussi, et qui a failli, lui, le laisser paralysé...

J’ai ouvert mon livre en relatant cet événement tragique, de façon filmique. Car on peut dire que cet accident de voiture, au-delà de l’horreur qu’il représente, a «  fait  » Lama  ! Il était en tournée, il démarrait une carrière avec l’arrogance des débutants qui veulent réussir coûte que coûte. L’accident l’a fauché en pleine ascension, modifiant brutalement la donne. Ramené à la case départ, physiquement et moralement détruit, il lui a fallu remonter la pente avec une rage de vivre supplémentaire, mais la sensibilité en plus. Devenu plus ouvert aux autres, plus humain, il était désormais prêt à être aimé. Et il l’a été, ô combien  !

 

 

On est frappé aussi de voir à quel point il a, semble-t-il, été influencé par ce qu’il a vu de ses parents  : une mère au caractère fort, un peu castratrice ; un père artiste mais qui lui a manqué de niaque et a lâché l’affaire sous la pression notamment de son épouse. Peut-on dire que Lama, plus peut-être que d’autres artistes, s’est construit en songeant à ses parents ? Qu’il a choisi ses compagnes en pensant à sa mère, comme un anti-modèle, et qu’il a mené sa carrière et sa vie d’homme en s’assurant, lui, de ne jamais abandonner ce qui lui tenait à cœur ? Les Ballons rouges c’est vraiment l’histoire de son enfance ?

Il y a souvent chez l’artiste un enfant qui sommeille et n’a pas réglé ses comptes avec ses parents. C’est le cas de Lama. Admiratif de son père, chanteur d’opérette qui plaisait beaucoup aux femmes, mais dont la carrière évoluait péniblement, il en a toujours voulu à sa mère de l’avoir contraint à renoncer pour une activité alimentaire plus lucrative. Une rancœur injuste, à l’égard d’une femme, sa mère, qui supportait les inconvénients de la vie d’un chanteur, sans en connaître les avantages  ! Si Lama n’a pas eu de ballons rouges et ne jouait pas aux billes dans son quartier, c’est parce qu’il ne devait pas se salir et astreindre sa mère à trop de lessives… Ce ressentiment à l’égard de sa mère allait déteindre ensuite sur les femmes, en général, tout au long de sa vie – l’idée de la femme castratrice et empêcheuse de tourner ou de chanter en rond l’incita à ne jamais partager le même toit avec ses compagnes (sauf la dernière). Devenu chanteur populaire pour venger son père, alors qu’il se voulait plutôt écrivain, Lama a fait ensuite, comme dans la chanson, «  ce qu’il a voulu  ».

 

 

Parmi tes témoignages recueillis, sur l’accident, et sur son père, on retrouve avec plaisir les mots de Marcel Amont. Un témoin, comme une évidence à tes yeux ?

Oui, n’ayant pas accès aux très proches de Lama (le chanteur écrit un livre de souvenirs, et se les réserve), j’ai sollicité d’autres témoins qui ont accompagné son parcours, certains jamais sollicités. Marcel Amont l’a été, notamment pour évoquer l’accident de l’été 1965, puisqu’il était la vedette de cette tournée. Je l’avais déjà rencontré pour un livre sur les années 60 (Les années 60, rêves et révolution, 2009)  : il m’avait alors reçu dans sa chambre d’hôtel, allongé tout habillé sur son lit et moi assis dans un fauteuil (rires). C’est toujours un plaisir d’interviewer Marcel Amont qui est un artiste d’une grande humanité. J’ai tendance à penser que seuls les chanteurs de «  l’ancienne école  » sont encore capables d’une telle générosité. Il me remerciait encore tout récemment par courriel de lui avoir envoyé un exemplaire de mon livre.

 

On le salue avec chaleur. Tu l’évoques très bien dans le livre, Serge Lama aime écrire, il a de l’énergie à revendre, mais il a aussi fait des rencontres essentielles qui l’ont aidé à prendre le large, à l’image de son "père de substitution" Marcel Gobineau, de Régine, de Barbara aussi... Beaucoup de bonnes fées, au féminin comme au masculin, autour de lui ?

Marcel Gobineau, qui était régisseur au théâtre des Capucines où se produisait Georges Chauvier, le père de Lama, a été l’homme providentiel. Il l’a aidé à surmonter les épreuves, s’est occupé de lui comme d’un fils. Serge lui dédiera plus tard la chanson Mon ami, mon maître. Médium, Gobineau lui avait prédit que la gloire viendrait avec un disque à la pochette rouge, illustré d’un portrait de Serge qui ne serait ni une photo, ni un dessin… À ses débuts, ce sont surtout des femmes qui lui ont mis le pied à l’étrier. Barbara, la première, qui était la vedette de l’Écluse où Lama levait le torchon, l’imposera ensuite à Bobino dans le spectacle de Brassens où elle était la vedette américaine. Il y aura ensuite Renée Lebas, qui sera la productrice de ses premiers disques, Régine, pour qui il écrira des chansons et qui lui présentera le compositeur Yves Gilbert… Les femmes seront très importantes dans le parcours de Serge, toujours présentes dans son entourage.

 

 

Serge Lama n’était pas compositeur, mais on l’a vu, il a su et sait toujours très bien s’entourer. Parmi ses compositeurs, deux noms essentiels : Yves Gilbert et Alice Dona. Qu’est-ce que l’une et l’autre lui ont apporté, et en quoi la contribution de chacun à l’édifice Lama a-t-elle été particulière ?

Yves Gilbert survient très tôt dans son parcours, au moment où il est alité et corseté, à la suite de son accident. Le compositeur lui rend visite tous les jours et, ensemble, ils écrivent les chansons des premiers albums de Serge. Ils ne se quitteront plus. Yves Gilbert sera son pianiste attitré sur scène pendant toutes les années de gloire. Alice Dona intervient à partir de 1971, à la faveur d’une chanson écrite pour le concours de l’Eurovision (Un jardin sur la terre). Complément harmonique d’Yves Gilbert, elle devient indispensable dès lors qu’elle écrit Je suis malade et d’autres titres de l’album rouge (La chanteuse a 20 ans, L’enfant d’un autre…) Suivront de nombreux tubes, comme Chez moi, La vie lilas, L’Algérie…) Serge apprécie l’élégance d’Yves Gilbert, sa sensibilité féminine, et a contrario, le touche masculine et efficace d’Alice Dona, son élan populaire.

 

 

Au petit jeu des filiations et des ressemblances, on l’a paraît-il pas mal comparé à Brel au début, ce qui ne le convainquait qu’à moitié. Parmi les anciens, ne faut-il pas plutôt, chercher du côté d’un Bécaud ? Je sais qu’il a aussi revendiqué une filiation par rapport à Aznavour...

Oui, Bécaud comme Lama était un vrai show-man. Aujourd’hui, on ne cite pas plus Lama que Bécaud dans les influences sur les jeunes générations, alors qu’ils ont révolutionné la scène musicale chacun à son époque, par ailleurs auteur pour l’un, compositeur pour l’autre. Si Bécaud a influencé Lama à ses débuts – il allait le voir sur scène pour apprendre le métier –, c’est du côté d’Aznavour qu’il préfère qu’on le rapproche, car c’est sa plume qu’il voudrait qu’on honore, plus que ses qualités d’interprète qui, pourtant,  elles, pourraient être comparées à celles de Brel.

 

Lama a monté un spectacle assez impressionnant autour de Napoléon. Dans la deuxième moitié des années 70 il a volontiers assumé un côté cocardier, sa virilité, et passait auprès de certain(e)s pour être misogyne, voire allons-y franchement - l’époque (déjà) ne faisait pas trop dans la finesse - pour un affreux réac. On pense aussi à Sardou, qui a été catalogué dans ces catégories lui aussi : comme Lama, il a parfois tendu le bâton, mais comme Lama, il a prouvé par la suite à quel point il savait être plus fin que ce que certains espéraient de lui. De fait, est-ce qu’ils se ressemblaient au-delà des apparences, ces deux-là que tu connais bien ? Quelles ont été, pour ce que tu en sais, leurs relations ?

Napoléon ne lui a pas rendu service. Ce fut un triomphe en termes d’entrées pendant six ans, mais cela n’a pas attiré une clientèle jeune et l’a définitivement éloigné de la génération de ces années Mitterrand et des suivantes. Il y eut de graves erreurs de commises à cette période-là, en termes d’image et de communication, de celles dont on peine à se relever. Par la suite, il lui a manqué, dans les années 80 surtout, des grandes chansons, dignes de celles qu’il sait écrire quand il est inspiré. Si bien qu’aujourd’hui on l’associe encore à une caricature de chanteur franchouillard, liée aux chansons joyeuses qui demeurent ancrées dans les mémoires, comme Les p’tites femmes de Pigalle ou Femme, femme, femme. Sardou n’a pas eu cette traversée du désert des années 80, il a su prendre le virage qu’il fallait et garder sa popularité intacte avec des tubes comme Musulmanes ou Les Lacs du Connemara.

 

 

Quels sentiments Serge Chauvier, l’homme derrière Lama, qui a connu plus que sa part d’épreuves, t’inspire-t-il ? Si tu avais un message à lui faire passer, une question à lui adresser ?

Il m’inspire des sentiments contrastés, mais je le crois généreux et humble. Nous avons des amis communs. J’aurais aimé le rencontrer, même après ce livre. Pour parler histoire et littérature. Et chanson, inévitablement.

 

Quel regard portes-tu sur son travail, son œuvre en tant qu’auteur ? Serge Lama est-il à ton avis considéré à sa juste valeur aujourd’hui ?

On se souviendra sans doute longtemps de Je suis malade, que Lara Fabian a fait découvrir à la génération du début des années 2000. Et mon livre permet de se rendre compte de la richesse de son répertoire, qui ne se limite pas aux chansons festives, style Le gibier manque et les femmes sont rares. Je crois sincèrement qu’il y a une injustice de perception à l’égard de l’œuvre de Lama, qui mérite d’être corrigée tant qu’il est encore là.

 

 

Quelles chansons, connues ou moins connues d’ailleurs, préfères-tu dans son répertoire, celles que tu aimerais inviter nos lecteurs à découvrir ou redécouvrir ?

En voici dix-huit pour une playlist de mes préférées  : Le 15 juillet à cinq heures, Et puis on s’aperçoit…, Le dimanche en famille, Mon enfance m’appelle, Les poètes, L’enfant d’un autre, À chaque son de cloche, Les ports de l’Atlantique, L’esclave, Toute blanche, La fille dans l’église, Devenir vieux, O comme les saumons, Maman Chauvier, Les jardins ouvriers, Quand on revient de là, D’où qu’on parte et Le souvenir.

 

 

 

Et encore, parmi les mieux connues  : La chanteuse a vingt ans, L’Algérie, La vie lilas, Souvenirs… attention… danger ! et bien sûr, Les Ballons rouges...

 

 

Et, allez, quelles chansons de Lama mériterait-elles de sombrer définitivement dans l’oubli, celles qu’il n’aurait jamais dû écrire  ?

Messieurs… et quelques autres comme Je vous salue Marie.

 

Je ne crois pas briser un secret en indiquant, à ce stade, que tu as commencé un nouvel emploi à la Poste, durant l’été, à côté de tes activités d’auteur. Est-ce que cette expérience te fait regarder autrement, peut-être avec une motivation différente, ton travail d’écrivain ?

Cela faisait longtemps que je m’interrogeais sur ma situation et les difficultés que je pouvais rencontrer, financièrement. L’année 2020 a été épouvantable à tous points de vue et m’a fait franchir le pas. Cette nouvelle activité me permet d’avoir une vie sociale, un salaire, une mutuelle, bref une sécurité que je n’avais pas. Et me donne, en effet, la possibilité d’envisager l’écriture autrement. Celle aussi de dire merde à quelques-uns (rires)…

 

Début septembre, la disparition de Jean-Paul Belmondo a provoqué une vague d’émotion qui à mon avis, n’était pas usurpée tant l’artiste, talentueux, avait aussi une image sympathique. À quoi songes-tu à l’évocation de Belmondo ? C’est quelqu’un sur qui tu aurais pu avoir envie d’écrire ?

Il est l’acteur de mes tendres années et sa mort, comme celle de Johnny – toutes proportions gardées, car chacun sait ce que Johnny représentait pour moi ­ –, a fait s’écrouler un pan de ma vie. On n’allait pas voir le dernier film de Zidi ou de Lautner, on allait voir le dernier Belmondo. Ils sont de plus en plus rares les acteurs qui font ainsi déplacer les foules au cinéma. Son immense popularité était la conséquence de la simplicité et de la gentillesse qui irradiaient de tout son être. Il avait en outre un charme de dingue. J’aurais aimé écrire sur Belmondo, comme j’ai écrit sur Sophie Marceau. Je leur trouve des points communs, en particulier cette grande liberté qui a fait leur force.

 

Jean-Paul Belmondo

Crédit photo : AFP.

 

Si ça ne tenait qu’à toi, et non aux impératifs posés par des éditeurs, y a-t-il des personnalités moins "bankables" auxquelles tu aurais envie de consacrer une biographie ?

Il y a des artistes oubliés comme Georges Chelon, que j’aime beaucoup et dont l’oeuvre mériterait d’être réhabilitée. Des artistes de mon enfance, comme Gérard Lenorman. De nombreux anonymes qui changent la vie (comme le chante si bien Goldman) mériteraient qu’on s’intéresse à eux. Ils sont sûrement plus méritants que certains chanteurs. Et puis, ça va t’étonner, mais j’aimerais raconter l’incroyable destin de Mireille Mathieu ! J’aime les gens qui ont un destin inouï comme le sien. C’est pain bénit pour un biographe !

Mireille Mathieu

C’est le destin qui me plaît, partie de rien, des terrains vagues d’Avignon, travaillant en usine pour nourrir la marmaille (13 enfants), et devenir ce qu’elle est devenue à force de travail et de renoncements, c’est purement incroyable.

 

C’est un appel du pied ?

Je ne suis pas sûr qu’elle ait envie de collaborer à un livre. Mais pourquoi pas ? Mireille, si tu nous lis...

 

À quand des écrits plus intimes ?

Chaque chose en son temps… Des choses sont écrites, des fragments. Une idée de roman autobiographique… Tout ça viendra sans doute.

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

Un projet de livre sur un chanteur, mais pas une biographie. Plein d’envies, mais rien encore de concret.

 

Un dernier mot ?

Doré… (c’est pour bientôt  !)

 

F

 

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