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19 avril 2022

François Durpaire : « La véritable ligne de fracture de ce second tour, qui n'est pas joué, est sociale »

Neuf jours après le premier tour d’une présidentielle éclatée, qui a vu la qualification pour le second tour du président sortant Emmanuel Macron (27,8%) et de la patronne du RN Marine Le Pen (23,1%), et à la veille d’un débat qui sera très scruté, une pause pour analyser les personnalités de l’une et de l’autre, et les rapports de force. Il y a cinq ans, François Durpaire, politologue et historien, avait répondu à mes questions autour de sa série de BD La Présidente (Les Arènes BD), qu’il a scénarisée et qui imaginait, dès 2015, l’élection et l’exercice du pouvoir par Marine Le Pen et ses équipes.

Il y a cinq ans, on était avant l’élection de 2017 qui verrait le jeune loup Macron l’emporter largement (par 66% des suffrages exprimés) contre la présidente du Front national. À cinq jours du second tour 2022, on peut se dire que, du point de vue des rapports de force au moins, on ne vivra pas un bête remake : Emmanuel Macron est président sortant, son agenda politique, sa pratique du pouvoir, son tempérament même lui ont aliéné des franges considérables parmi l’électorat qui fut le sien, beaucoup par défaut, en 2017. Et sa rivale, qui a beaucoup appris de ses échecs, est devenue experte dans l’art d’user d’un langage qui parle aux fractions populaires, à ce peuple qui ne s’est jamais reconnu, ou ne se reconnaît décidément plus dans les discours d’Emmanuel Macron.

Je remercie François Durpaire pour le temps qu’il a bien voulu me consacrer et pour ses réponses, instructives et qui évitent tout parti pris. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

François Durpaire : « La véritable ligne

de fracture de ce second tour,

qui n’est pas joué, est sociale... »

La Présidente Durpaire

La Présidente (Les Arènes BD).

 

François Durpaire bonjour. Cinq ans après nos précédentes interviews, bis repetita : un second tour Macron-Le Pen. Que vous inspire-t-elle, cette campagne présidentielle 2022 ?

Pour moi ça n’est pas exactement "bis repetita". Effectivement le duel est le même qu’il y a cinq ans, mais beaucoup de choses ont changé. La première, c’est que l’un est président, l’autre toujours candidate, ce qui veut dire que dans leur rapport, notamment dans le débat, le positionnement ne sera pas le même : il y a cinq ans, c’était promesses contre promesses, là c’est promesses contre défense d’un bilan. Et il est toujours plus difficile de défendre un bilan que des promesses. La deuxième chose, c’est que le rapport de force a changé : Marine Le Pen a aujourd’hui des reports de voix possibles. On a évidemment beaucoup parlé de Zemmour pendant la campagne, il n’y a pas que lui. Les reports de voix seront donc plus importants. Le faiseur de roi, cette année, ce sera forcément les voix de Jean-Luc Mélenchon (22%), avec l’inconnue de l’abstention. Quant à la thématique de campagne, c’est le pouvoir d’achat. On dit souvent que celui qui impose son thème à la campagne est celui qui a le plus de chance de l’emporter. Là, ça contredirait un peu les sondages, puisqu’ils donnent la victoire à Emmanuel Macron. Pourtant cette thématique, imposée par Marine Le Pen, est celle que plébiscitent les Français...

 

Vous avez beaucoup observé, étudié Marine Le Pen, pour votre trilogie La Présidente (Les Arènes BD) notamment. Êtes-vous de ceux qui considèrent qu’en cinq ans, elle a appris de ces erreurs, et gagné en habileté ?

Oui, elle a en tout cas gagné en habileté politique. Elle a beaucoup appris de son échec lors du débat d’il y a cinq ans. Elle s’est dit qu’il fallait creuser deux sillons. Le premier, c’est la crédibilité du programme : elle a beaucoup répété que son programme était sérieux, qu’elle avait beaucoup travaillé, elle a mis en scène son travail autour du projet, notamment en opposition à Éric Zemmour. Le deuxième, c’est de lisser son image : de nombreuses élections se jouent aujourd’hui sur la fameuse polarisation négative qui veut qu’on ne vote pas "pour" un candidat, mais "contre". Elle a fait beaucoup pour que les Français ne votent pas contre elle. On verra s’il y a plus de gens qui sont contre elle (l’ancien "front républicain") ou contre Macron. Il y a un désir, un besoin d’alternance : il faut rappeler qu’aucun président n’a été réélu hors cohabitation dans la Cinquième République. Dans tous les cas ce sera une première : première réélection d’un président hors cohabitation, ou première élection d’une candidate d’extrême-droite.

 

À la fin de vos BD, le cycle victorieux des Le Pen était brisé par la victoire d’un ticket dit républicain incarné par Emmanuel Macron et Christiane Taubira. Emmanuel Macron est effectivement devenu président depuis, mais sa personnalité et ses orientations ont objectivement contribué à détourner de lui pas mal de gens pourtant attachés aux valeurs républicaines. En 2017, il l’a emporté avec 32 points d’écart sur Marine Le Pen. S’il gagne par 10 points cette année ce sera large... Est-ce qu’on ne sous-estime pas l’hostilité, peut-être la haine qu’il inspire ?

Non effectivement, on ne les sous-estime pas puisque cela se lit dans les sondages. Actuellement les sondages les plus en faveur d’Emmanuel Macron lui donnent 54%, ce qui n’est que très légèrement au-delà de la marge d’erreur. L’hostilité à son égard est réelle : il incarne le libéralisme, il incarne une forme d’arrogance sur laquelle Marine Le Pen a beaucoup joué. Ayons toujours en tête que cette élection, c’est la rencontre d’un homme (ou d’une femme) et du peuple. Il y a donc un côté psychologique qui, nécessairement, a de l’importance.

 

Et d’ailleurs, quand on voit tous ces gens, notamment des intellectuels, artistes, sportifs... qui appellent à voter Macron pour faire barrage à Le Pen, est-ce qu’on n’a pas tendance, ici, à oublier un peu les leçons de l’élection de Trump en 2016 ?

Vous avez raison, tout cela n’est pas forcément perçu de manière positive : lors de l’élection de Trump, l’engagement des personnalités a plutôt joué contre Hillary Clinton. On pourrait vivre la même chose. L’idée, ce serait de dire que l’électorat du "système" se mobilise. Et ça valide la sociologie du vote : les classes populaires contre les strates plus dominantes de la société. Que ces personnes plus favorisées se mettent à appeler au vote donne donc encore plus de valeur à la terminologie "candidat des élites", "candidat des riches"... "candidat de ceux qui profitent de la mondialisation"...

 

D’autant plus avec cette habileté qui est celle de Marine Le Pen cette année... Sans doute ne répondrez-vous pas à cette question mais, en tant que scénariste, quels atouts feriez-vous utiliser par Marine Le Pen pour espérer faire pencher la balance lors du débat ?

(Rires) C’est vrai que dans la BD, on lui avait notamment offert le slogan d’une deuxième campagne, "La France Encore Plus". Bon, on va éviter de lui donner des conseils pour le second tour. Je pense toutefois que, comme on l’a déjà dit, elle serait bien inspirée, pour creuser son sillon, de continuer à lisser son image et à mettre en avant le sérieux de son programme. Ce qui est un peu compliqué c’est que les deux candidats ont à aller convertir des électorats à contre-mouvement d’il y a cinq ans : cette fois-ci c’est Emmanuel Macron qui doit séduire l’électorat de gauche entre les deux tours, et Marine Le Pen, qui en a déjà convaincu certains à gauche, doit se faire la plus petite possible, d’ailleurs sa première semaine de campagne a été très discrète. Voulant jouer le "tout contre Macron", elle essaie de se faire oublier, pensant que la polarisation négative va jouer pour elle. En revanche, le fait de n’avoir pas suffisamment été sur le terrain fait que l’écart dans les sondages s’est agrandi. Donc c’est un pari qu’elle a joué, d’une campagne très douce. Elle se dit qu’avec ce faux rythme, comme dans ces sports où il y a des matchs avec un faux rythme, elle peut au bout du compte être la surprise de la fin de la deuxième semaine d’entre-deux tours, surtout si les médias reprennent que les sondages sont au-delà de la marge d’erreur. Si on était, en toute fin de campagne, sur des sondages restant à 54-46, et s’il faisait beau dimanche, cela pourrait entraîner une très forte abstention et une surprise colossale. Si on fait la totalité des voix dont les deux sont sûrs, Emmanuel Macron est à 33%, Marine Le Pen à 32,5... Si on totalise les voix de report quasiment certains, il y a égalité. Le reste n’est que conjectures.

 

Débat Durpaire

Dans le tome 3 de La Présidente (2017), après deux mandats de Le Pen, tante puis nièce,

débat entre l’ex-présidente Le Pen et un challenger nommé Emmanuel Macron...

 

Donc autant dire que les choses ne sont pas jouées...

Non, c’est très serré. Quand un journaliste aussi expérimenté qu’Alain Duhamel dit que ce sera l’élection la plus serrée depuis 1974, on peut l’écouter...

 

Observant Marine Le Pen telle qu’elle mène campagne en 2022, quels points importants d’intrigue auriez-vous modifiés si La Présidente avait été écrit cette année ?

Je me serais amusé à anticiper les répliques du débat Macron-Le Pen, et j’aurais essayé de montrer les coulisses du travestissement de Marine Le Pen en candidate mainstream. 

 

Après le premier tour, beaucoup de frustrations se sont fait entendre : est-ce qu’on arrive pas au bout d’un système, où à la faveur de la juxtaposition des quinquennats présidentiel et législatif, tout se décide sans partage pour cinq ans ("the winner takes all") là où dans les démocraties normales (j’assume ce terme) il y a meilleure représentation de la Nation, obligation de négociation et contre-pouvoirs ?

Disons que c’est un peu dommage pour ceux qui croient en la rénovation de la démocratie... Marine Le Pen a fait une conférence de presse sur la rénovation de la démocratie qui propose notamment la mise en place du référendum d’initiative populaire. Cette thématique se trouve plutôt du côté du camp Mélenchon pendant la campagne. Peu de propositions sinon. On a entendu Emmanuel Macron dire qu’il aurait un style différent, mais rien de concret pour rénover la démocratie. Ce serait pourtant une piste importante, les Français souhaitant sans doute participer plus souvent qu’une fois tous les cinq ans.

 

On a quand même compris de quel côté vous penchez plutôt pour dimanche : quels seraient vos arguments décisifs pour convaincre notamment les électeurs de gauche, qui probablement feront la clé de ce scrutin ?

Là par contre, je vais me retrancher derrière ma position de scénariste : je ne suis personne pour appeler à voter pour l’un ou pour l’autre, ce serait ridicule. Des dirigeants de partis politiques connus et reconnus ne le font pas non plus alors moi, aucun intérêt. Que chacun vote en son âme et conscience. On peut tout de même dire que c’est une pratique française, que des personnes s’arrogent le droit de dire pour qui elles vont voter, s’imaginant que cela puisse influer sur d’autres personnes. C’est assez franco-français et lié au système à deux tours : au premier tour on choisit, au second on va souvent devoir aller vers un opposant à celui qu’on a choisi. Ma position est assez cohérente je crois. Voyez la position de Mélenchon : il est assez clair, en disant aux gens qu’ils sont libres dans la mesure où il n’y a pas de voix "pour l’extrême-droite". Mais un citoyen est un citoyen... J’ai entendu beaucoup de critiques sur le non-positionnement de l’Union populaire, provenant notamment du camp Macron. Je pense que les partisans du "et en même temps" sont mal placés pour critiquer une force dont le positionnement est clairement éclaté : un tiers pour l’abstention, un tiers pour Macron, un tiers pour Le Pen. Au nom de quoi Mélenchon irait, appelant à voter Macron, faire exploser son propre camp ? Pour des gens qui, encore une fois, ont travaillé sur le "en même temps" pendant des années, travaillé à la disparition des partis traditionnels - LR et le PS additionnés font à peine le score d’Éric Zemmour ? Je crois que cette leçon de morale est complètement déplacée.

 

La véritable ligne de fracture de ce second tour, le choc (je parle ici des électeurs, pas des postures des politiques), ce sera entre optimistes et pessimistes, entre les heureux et les inquiets face à l’Europe telle qu’elle se fait, à l’Europe telle qu’elle se joue ?

Marine Le Pen entend opposer "mondialistes" et "nationalistes". Emmanuel Macron aimerait opposer "républicains" et "extrémistes". En fait, la sociologie du vote, ce serait plutôt d’un côté, dans le camp de Marine Le Pen, les classes populaires, celles qui ont fait moins d’études supérieures, et de l’autre, un public plus CSP+ (les catégories socioprofessionnelles les plus favorisées, ndlr). Pour moi, la vraie ligne de fracture est là. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle est sociale, et pas identitaire. En cela, du côté des souverainistes de droite, on peut dire que Marine Le Pen a eu une intuition plutôt juste par rapport à un Éric Zemmour qui a tout misé sur la "fracture identitaire".

 

Dans la lutte d’influence globale entre régimes libéraux et régimes autoritaires, entre pensée progressiste et pulsion de repli sur soi, c’est à ce stade plutôt l’optimisme ou le pessimisme qui dans votre esprit l’emporte ?

Ce sont des fractures apparentes. Il ne faut pas toujours se laisser prendre aux discours des uns et des autres. Les "autoritaires" et les "progressistes" ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Un exemple : Emmanuel Macron nous avait expliqué qu’Erdogan était un autoritaire. Dans le cadre de la guerre actuelle, Erdogan se trouve apparemment du côté des démocraties soutenant l’Ukraine contre la Russie. Dans le cas contraire, l’Inde, dont personne ne peut nier qu’elle est une grande démocratie, est plutôt en soutien de la Russie... Il faut donc distinguer les discours et les réalités géopolitiques et historiques, toujours plus subtiles.

 

Vos projets, vos envies pour la suite, François Durpaire ?

 Quelques projets de BD à venir, je pense qu’on en reparlera.

 

François Durpaire 2022

 

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14 mars 2022

Michaël Darmon : « Emmanuel Macron se voulait Jupiter, il est devenu Hercule... »

Dans un peu moins d’un mois, les électeurs seront appelés à se prononcer pour choisir, parmi douze candidats, les deux personnalités qui accéderont au second tour de la présidentielle, l’élection reine en France. Cette campagne 2022 ne ressemblera probablement à aucune de celles qui l’ont précédée dans l’histoire récente : elle intervient alors qu’une guerre brutale fait rage aux portes de l’Europe, et qu’une pandémie peine à se faire oublier. C’est bien un "quinquennat de crises" - pas nécessairement toutes de nature à handicaper un sortant, disons les choses - qu’évoque le journaliste politique Michaël Darmon dans son ouvrage Les secrets d’un règne (L’Archipel, octobre 2021).

Après lecture de ce document éclairant à bien des égards, je l’ai contacté pour lui proposer une interview, ce qu’il a accepté de bonne grâce. Les difficultés furent ailleurs : il a fallu jongler avec son emploi du temps très chargé, et après avoir réalisé une moitié d’entretien, nous nous sommes donné rendez-vous pour la semaine suivante. L’interview s’achèvera en fait trois semaines plus tard : entre temps, la Russie de Vladimir Poutine avait choisi denvahir l’Ukraine. Merci à Michaël Darmon pour le temps qu’il m’a accordé, et pour ce témoignage. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Michaël Darmon : « Emmanuel Macron

se voulait Jupiter, il est devenu Hercule... »

Les secrets d'un règne

Les secrets d’un règne : Dans les coulisses d’un quinquennat de crises,

par Michaël Darmon (L’Archipel, octobre 2021).

 

première partie, le 16 février 2022

Michaël Darmon bonjour. Il y a quelques semaines, les (très) bons sondages post-primaire LR de Valérie Pécresse ont rendu cette élection incertaine, mais à ce stade on a l’air de s’acheminer vers une réélection d’Emmanuel Macron nette comme fut celle de Mitterrand ’88. Honnêtement, subsiste-t-il pour vous un grand suspense quant à ce scrutin, si on laisse de côté un épisode type "Papy Voise x 10" à quelques jours du second tour ?

Je pense que l’élection reste, malgré tout, assez ouverte. Pour la première fois, il y a, dans cette campagne présidentielle, deux éléments nouveaux. Le premier, c’est une primaire à l’extrême-droite, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant. La donne est changée : cela a pour conséquence d’abaisser le ticket d’entrée pour le deuxième tour. Le deuxième, c’est une tendance à l’abstention, qui s’annonce plus importante qu’en 2017 - on s’oriente vers un chiffre d’environ 30%, ce qui serait beaucoup pour une présidentielle. Cette abstention attendue a aussi pour conséquence d’abaisser le niveau d’entrée pour le deuxième tour. Le niveau de qualification pour le duel final semble devoir se situer entre 16 et 18%, c’est bien moins que lors des scrutins précédents. Aujourd’hui, trois personnes sont des qualifiés potentiels, et on ne sait pas à ce jour comment cela va se décanter, entre Marine Le Pen, Valérie Pécresse et Éric Zemmour. Ce niveau d’incertitude, les sondages tentent de le mesurer tant bien que mal, mais ils ont du mal à appréhender des phénomènes nouveaux. Et on peut ajouter à tout cela une troisième dimension, désormais intégrée par les sondeurs : c’est la grande volatilité des électeurs, qui peuvent bouger au dernier moment, massivement, sur un fait d’actualité, une décision soudaine, une cristallisation ou un sursaut...

Et tout cela pourrait, pour vous, mettre en péril une réélection d’Emmanuel Macron ?

Je ne sais pas, mais en tout cas, cela ferait de la campagne du deuxième tour une campagne inédite. On ne sait pas envisager avec certitude une campagne de deuxième tour avant que ne se tienne le premier : ceux qui ont fait des projections se sont souvent trompés. Mais si on regarde la situation à date, alors qu’il reste une cinquantaine de jours, rien n’est encore cristallisé.

À la mi-février, et à défaut d’entente entre les candidats de gauche (on n’en est plus là), la deuxième place qualificative pour le second tour de la présidentielle semble devoir se jouer vous le rappeliez dans un mouchoir, entre Marine Le Pen, Valérie Pécresse et Éric Zemmour. Qui parmi eux serait le plus à même de fédérer au-delà des électeurs de premier tour, et notamment les électeurs de gauche ne voulant plus du président actuel ?

Si tant est qu’il y ait la mise en condition d’un débat entre Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, Valérie Pécresse peut proposer alors les conditions d’un référendum anti-Macron. Cela lui permettrait de rallier à elle, dans une considération qui reste encore à voir, des électeurs de la gauche qui souhaiteraient voir battre Emmanuel Macron. Il faut voir que, pour l’instant, ce scénario est quand même nuancé par le fait qu’une proportion non négligeable d’électeurs de gauche, socialistes, sociaux-démocrates, voyant l’état actuel de leur camp, se reportent plus volontiers sur Emmanuel Macron dont ils se sentent proches au niveau des propositions. Il y aurait donc "match", rien n’est acquis.

Il faut avoir en tête cette frange de la gauche, portée notamment par les élus, qui se dit qu’historiquement, la gauche se reconstitue face à la droite au pouvoir, et que pour pouvoir reconstruire tout cela, il faut que la candidate LR puisse gagner l’élection de manière à ce que LREM tombe, que soit repris le clivage droite-gauche avec la construction d’un contre-projet. Encore une fois, je ne sais pas dans quelle mesure cette théorie, très présente chez les élus, infuse auprès du terrain. Mais dans le cadre d’un deuxième tour face à Macron, il peut y avoir cette consigne d’un "vote utile". Marine Le Pen et Éric Zemmour provoqueraient, eux, essentiellement une démobilisation auprès des électeurs de gauche.

La campagne droitière d’une Valérie Pécresse qu’on a connu plus modérée, et les scores prêtés aux candidats Le Pen et Zemmour, ne sont-ils pas en train de matérialiser le pari du président, à savoir en substance "À la fin, ce sera entre moi et Le Pen" ? Emmanuel Macron n’a-t-il pas contribué, en sapant les fondations des partis établis, à installer le camp de la droite dure comme la seule alternative à sa politique et à ce qu’il incarne, pour 2022 et pour la suite ?

C’est une des conséquences : il contribue à faire du camp "nationaliste" le camp de l’alternance, sachant que son pari à lui c’est de créer le "camp du raisonnable", via le premier parti démocrate à la française centro-progressiste qui rassemblerait de la gauche de la droite à la droite de la gauche. Ce courant central auquel il a voulu s’atteler dès le début, nécessitait de pouvoir capter le centre-droit. Donc effectivement, s’il n’y a pas un rééquilibrage de la campagne de Valérie Pécresse, qui doit pouvoir parler aux centristes comme aux électeurs de la droite partis chez Macron (environ 20%) et qui pour l’instant ne comptent pas retourner chez LR, c’est bien le face-à-face entre camp nationaliste et le camp progressiste qui se profile. Partant de là, cela place ce camp nationaliste en position d’alternance possible, mais c’était bien le pari politique posé par Macron à ses débuts.

On dit beaucoup que Marine Le Pen a appris de et depuis son échec de 2017, c’est votre sentiment ?

Oui, elle a appris, elle s’est beaucoup mieux préparée, elle s’est réorganisée. Surtout, voyant la candidature d’Éric Zemmour grandir sur le terrain, elle a compris qu’elle avait là une possibilité de pouvoir terminer sa dédiabolisation en se recentrant considérablement. Elle a laissé tomber, en tout cas en terme de discours, toutes les caractéristiques du parti d’extrême-droite, et même entamé une sorte de mue dans sa relation avec les Français : on l’a vue à Reims, parler pour la première fois de sa propre vie et de son rapport aux femmes, seules et célibataires notamment, évoquer les familles monoparentales... Elle essaie, et c’est nouveau, de créer une sorte de relation affective entre elle et les Français, alors que cette relation n’était auparavant que tribunitienne et politique. Cette campagne lui permet de parfaire sa mue, d’autant plus qu’elle constate, campagne après campagne, une diminution de la mobilisation contre elle. Elle suscite de moins en moins d’opposition. Et cela, associé à la tentation abstentionniste, rend sa candidature plus efficiente et plus dangereuse qu’il n’y paraît pour Emmanuel Macron.

On parle beaucoup de sujets polémiques, on évoque les défections de certains pour d’autres camps, Nicolas Bay passé de Le Pen à Zemmour dernièrement... Il y a une forme de violence dans cette campagne. Est-ce qu’on peut espérer avoir malgré tout de vrais débats de fond ? Et qu’est-ce qui rend 2022 singulière par rapport aux campagnes passées ?

Ce qui est frappant, c’est la libération de la parole. C’est la première campagne où le diktat des réseaux sociaux est installé, voire très installé. On est dans une libération totale des expressions, des propos, des mots... Il y a une très grande violence politique, en tout cas dans les langages, qui donne à l’ensemble une tonalité très polémique, avec une difficulté à envisager sereinement les problèmes. Il faut se faire une raison : nous ne sommes pas des Allemands, nous ne sommes pas des Néerlandais, nous ne sommes pas des Scandinaves. À partir de là, le débat politique français dans cette Cinquième République, qui est quand même une monarchie présidentielle construite en pyramide avec une course au pouvoir fondée sur l’élimination et non sur la recherche d’un consensus, ne peut produire que de la tension et une forme de violence. La violence politique est alimentée, élection après élection, par des circonstances contemporaines, mais elle a toujours été de mise parce que, encore une fois, l’organisation de la Cinquième République rend cela inévitable.

Vous avez pas mal suivi, durant votre carrière de journaliste, l’actualité des partis politiques, notamment celle du Front national (1995-2004) et de l’UMP (2004-2010). Quel regard portez-vous sur l’évolution du paysage politique depuis 15 ans ? Après Macron, les diverses chapelles retrouveront-elles leurs ouailles, ou bien a-t-on tourné pour de bon la page de ces temps où la gauche et la droite se partageaient alternativement le pouvoir ?

Je crois que les clivages ont considérablement changé. Ils se sont réorganisés à l’intérieur des familles politiques, les camps, les places et modes d’organisations sont redistribués. Les grands partis de gouvernement qu’on a pu connaître et qui ont structuré la vie publique, sociale, culturelle depuis la Seconde Guerre mondiale sont en train de disparaître. D’autres formes d’organisation politique, je pense à ce que permettent les évolutions technologiques et numériques (avec une plate-forme internet, on peut aujourd’hui faire de la politique), font qu’on vit des évolutions majeures et sans doute définitives. On ne reviendra pas aux grands partis tels qu’on les a connus. Aujourd’hui, des partis s’organisent autour de rassemblements liés à des incarnations, à des souvenirs historiques... Mais ç’en est fini des grands partis de masse, où la gauche et la droite avaient du monde des visions radicalement opposées. Leurs positions se sont considérablement rapprochées sur de nombreuses thématiques, et la mondialisation a imposé une transversalité des thèmes. Le courant populiste qui est venu s’installer et est devenu partie prenante des pouvoirs et des modes de gouvernement change aussi considérablement la donne. Je pense qu’on est bien dans une autre époque complexe dont Emmanuel Macron a été, en France, l’installateur. On verra comment ça va se poursuivre, s’il fait un second mandat, au-delà de lui-même. S’il est réélu, on verra comment LREM et ce mouvement centro-progressiste lui survit, qui le récupère et d’après quel mode opérationnel. Mais les grands partis de masse encore une fois appartiennent à l’Histoire.

 

seconde partie, le 11 mars 2022

Entre temps, un évènement considérable: la Russie a envahi l’Ukraine.

Les sondages donnent désormais une large avance au président sortant,

positionné loin devant Marine Le Pen. Valérie Pécresse et

Éric Zemmour sont à la peine, rejoints par Jean-Luc Mélenchon...  

Michaël Darmon bonjour. Cette question nous est imposée par la tragique actualité internationale du moment : l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine a-t-elle eu pour effet, en France, de tuer la campagne et de plier le match en faveur du président Macron ?

Elle ne tue pas la campagne, elle la redimensionne : c’est la première fois qu’un évènement international, donc extérieur à la vie du pays a autant d’effet sur la campagne présidentielle. Par tradition, les campagnes sont en France assez hermétiques à la politique étrangère, se focalisant sur les affaires nationales. La fait que l’international pèse cette année crée une ligne de fracture entre les candidats selon leurs positions, on l’a vu avec Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Ce conflit met en première ligne des sujets, révèle des traits de comportement qu’on relie à ce qu’on appelle une présidentialité, ou la capacité à gérer une crise majeure au plus haut niveau.

Si on prend le cas d’Éric Zemmour par exemple, il chute actuellement dans les sondages sans pouvoir apparemment s’en relever. En cause, ses déclarations d’avant le conflit, où il pariait qu’il n’y aurait jamais d’invasion, puis son refus - un peu amendé depuis - d’accueillir des réfugiés ukrainiens en France, et plus généralement son incapacité à capter ou en tout cas à être en phase avec l’émotion nationale. Le trouble s’est créé jusque dans ses propres rangs et l’opinion l’a sévèrement jugé quant à sa capacité à occuper le poste de président. La situation a permis à Mme Pécresse de rebondir un peu, en taclant Le Pen et Zemmour comme étant disqualifiés parce que trop "pro-Poutine". Paradoxalement Marine Le Pen s’en sort mieux parce que son électorat est surtout accroché au sujet du pouvoir d’achat, qui est le seul thème qui émerge dans cette campagne en-dehors de la guerre.

S’agissant du président sortant, étant aux manettes et qui plus est, président du Conseil européen pour ce semestre, il se trouve en première ligne dans la gestion diplomatique de ce conflit. De ce point de vue-là, on assiste au fameux "effet drapeau" déjà constaté lors de la crise Covid et qui consiste en une sorte de rassemblement légitimiste autour de la tête de l’exécutif. Depuis son entrée en campagne pendant la guerre, et tout en disant qu’il ne pourrait être un candidat à plein temps, Macron a fait un bond considérable dans les sondages (4 à 5 points gagnés, parfois plus) : il est désormais clairement en tête des intentions de vote, à ce jour autour de 30%. Dans cette affaire il rassemble les trois grandes catégories qui lui donnent un socle important : les classes moyennes aisées et les gagnants de la mondialisation, qui se retrouvent dans son discours général, auxquels j’ajoute encore une fois les Français ayant un réflexe légitimiste et qui considèrent, lui décernant un certificat d’efficacité et de crédibilité, qu’il faut soutenir le président dans cette crise-là. Tout cela laisse penser qu’effectivement il est en bonne situation pour être réélu, mais cette réélection sans campagne pourrait provoquer de grandes difficultés pour la suite du mandat...

Peut-on dire qu’Emmanuel Macron, président qui se voulait "jupitérien" et qui entendait dompter les évènements, s’est pris de face une "réalité complexe" qu’il n’aurait finalement cessé de subir (Gilets jaunes, réforme des retraites, Covid-19, guerre Russie-Ukraine...) ?

Oui, il a subi en permanence des crises non prévues et qui ont dû le mettre en défensive. La première crise fut l’affaire Benalla, une crise de confiance dans sa gouvernance. Puis, la crise des Gilets jaunes, liée à sa verticalité, à sa difficulté à comprendre les "milieux" et "derniers de cordée". Ensuite, une réforme des retraites qui a bloqué le pays parce que mal expliquée, mal comprise, trop rapidement emmanchée... La pandémie est ensuite venue mettre l’exécutif dans un état de pression considérable, même si sa gestion a plutôt été au final jugée à la hauteur. Et donc, cette crise internationale majeure, cette guerre en Europe... Il y a eu une mutation : il se voulait Jupiter, il est devenu Hercule.

Il est beaucoup question dans votre ouvrage des frustrations exprimées par Emmanuel Macron quant aux lourdeurs et lenteurs imputées au poids de la technocratie, auxquelles il associe des attitudes de son ex Premier ministre Édouard Philippe. Cherche-t-il ici des boucs émissaires eu égard à ses échecs, ou bien nourrit-il à votre avis de vrais regrets quant à des points clés de son quinquennat ?

Je pense qu’il a des regrets, et il impute effectivement certains de ses échecs à une série de lourdeurs qu’il impute à un État qu’il juge impotent et aveugle. Il a beaucoup dénoncé les résistances aux réformes de ce qu’il appelle "l’État profond" - il est intéressant au passage de voir le parcours de cette expression, à l’origine russe, puis reprise par Donald Trump. Emmanuel Macron a annoncé son intention de faire changer des comportements : a-t-il eu le temps d’aller jusqu’au bout ? Non, puisque par exemple la grande réforme de l’hôpital n’a pas donné l’impulsion politique nécessaire pour remettre à plat l’architecture de l’hôpital et des ARS, qui sont au coeur du système bêta-bloquant de l’administration de la santé, qui est la plus grosse bureaucratie française. Il a tout de même initié une grande réforme de la fonction publique, via la réforme qui part de la formation jusqu’au changement de l’ENA, en passant par des dispositions modifiant les statuts de la haute fonction publique : les effets ne se verront pas avant plusieurs années, mais il a toujours dit qu’il valait mieux perdre du temps en s’attaquant à la racine des problèmes plutôt que d’essayer de les colmater. Il a beaucoup dénoncé, ce qui d’ailleurs a été posé dès son diagnostic de 2017, ces lourdeurs et ces états de sclérose d’un système mis en place durant les Trente Glorieuses, considérant que ce qui avait un temps servi le pays avait ensuite joué comme un phénomène de verrouillage. Mais il n’a pas trouvé ni la force ni le temps pour faire ce qu’il avait prévu.

Nous évoquions Édouard Philippe à l’instant : il est souvent cité dans votre ouvrage. Le président devra-t-il forcément composer avec lui si d’aventure, un second mandat lui était acquis ? De manière plus générale, vous fait-il l’effet d’un homme qui serait un peu seul dans son camp ?

Il pourrait être amené à composer avec lui. D’ailleurs Édouard Philippe a créé son parti, Horizons, qui s’installe au sein de la majorité. Il faut savoir qu’il y a une très grande méfiance entre les deux hommes : ils ne s’entendent pas, on peut même dire que leurs relations ne sont pas bonnes du tout. On va voir comment cela se matérialise dans la répartition des investitures pour les circonscriptions aux législatives, si Macron est réélu. Là sera l’heure de vérité, qui commencera au soir du premier tour. Pour l’instant, sur le papier, les choses ne sont pas faites pour s’améliorer : Édouard Philippe veut un certain nombre de circonscriptions, les autres membres de la majorité dont François Bayrou veulent l’empêcher d’être trop important (et Emmanuel Macron n’est pas difficile à convaincre là-dessus). Il faut donc bien s’attendre à des tensions.

Sur la question de la solitude : oui c’est un homme assez solitaire qui ne fonctionne pas du tout en bande. Le seul ami qu’on lui prête en tant que tel, c’est le maire de Poissy, Karl Olive qui s’occupe en général des grandes opérations de communication de Macron (match avec le Variétés Club, idée du Grand Débat, organisation aux petits oignons de sa première sortie très verrouillée comme candidat à Poissy...) Karl Olive est le seul qu’on désigne vraiment en tant qu’"ami" du président, mais je ne sais pas ce que signifie ce terme. On ne lui connaît pas vraiment d’amis à part ça...

J’ai noté une phrase de Xavier Bertrand que vous reprenez : il évoque, en parlant du président, un "besoin pathologique d’être aimé". Il y a de cela, pour vous ?

Un besoin de séduire en tout cas. D’être aimé je ne crois pas, mais de séduire certainement. Il est dans la séduction, dans une forme de représentation. Il sait donner le sentiment d’être très proche de son interlocuteur alors qu’en réalité, il va loublier et s’en détourner assez vite. Il peut être chaleureux dans une conversation mais sans se livrer jamais. D’ailleurs, une phrase essentielle pour moi, que d’ailleurs je cite dans le livre, c’est cette confidence faite à Brut en décembre 2019 : en substance, "Je ne dis à personne ce qu’il y a dans ma tête". Pour moi, la confidence la plus importante du quinquennat, bien que jetée très rapidement.

Quel est votre sentiment profond sur la question suivante : qui est Emmanuel Macron, et qu’est-ce qui l’anime en-dehors de l’ambition, et de son goût pour une forme de mise en danger ?

Pour moi, un Élu avec un grand E. Quelqu’un qui se sent désigné pour un destin au-dessus des autres. Il est habité par cette fonction, et par une forme d’ambition pour l’Histoire. Il adore ces moments où l’on sent que celle-ci se joue. Il a d’ailleurs évoqué, au déclenchement de la guerre en Ukraine, ce retour du tragique dans l’Histoire. Il est persuadé que la France s’ennuyait parce qu’elle n’avait pas assez de tragique et de héros. Il y a chez lui cette démarche héroïque, dans l’acception antique du terme.

Les yeux dans les yeux, quelle question qu’on ne pose habituellement pas à un président soumettriez-vous à Emmanuel Macron ?

Au fond, pourquoi faites-vous tout ça ? Avez-vous l’impression d’être un être singulier, choisi pour effectuer une grande mission ?

Si vous deviez vous jeter à l’eau, un pronostic au jour de notre entretien pour le podium du 1er tour, le 10 avril prochain ? Qu’est-ce qui pourrait faire bouger les lignes au finish ?

Je ne vois pas ce qui aujourd’hui pourrait faire bouger les lignes en sa défaveur. La situation internationale le conforte : il sera au second tour et en tête.

Ma question vous l’aurez compris portait plutôt sur le deuxième qualifié...

Bien sûr. La deuxième personne, ce sera Marine Le Pen ou Valérie Pécresse.

Pour vous, ça ne peut pas être Éric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon ?

Non. On est dans le moment classique de la campagne où il y a toujours un frémissement Jean-Luc Mélenchon. Le Monde va écrire : "Et si c’était lui ?", les sondeurs commencent à le tester pour le deuxième tour... Il y a un réflexe de vote utile chez les électeurs de la gauche, ils se disent qu’après tout il est le seul qui émerge. Mais je crois vraiment que le vrai match est entre Pécresse et Marine Le Pen.

Dernière question, plus personnelle : vous suivez les hommes et les femmes politiques depuis trente ans, vous connaissez les QG des grands soirs et ceux des déceptions amères. Avez-vous jamais été tenté d’entrer vous-même dans cette arène-là ?

J’ai pour habitude de dire que le gardien du zoo ne reste pas dans la cage des fauves. La restitution et le décryptage des grands enjeux politiques et démocratiques sont des activités assez importantes et qui méritent que l’on s’y consacre. Ce n’est pas parce qu’on écrit sur le pouvoir qu’on est attiré par le pouvoir. Ceux qui racontent la vie des grands bandits ne veulent pas forcément devenir policiers ou bandits.

Un dernier mot ?

Cette campagne présidentielle est inédite, parce qu’elle s’inscrit dans un moment de changement d’ère : la pandémie a joué son rôle de pandémie en ce qu’elle a opéré un changement d’époque, comme la Grande Peste qui a été à la charnière entre le Moyen-Âge et la Renaissance. On vient de vivre les vingt premières années du 21ème siècle, et on dit souvent qu’un siècle trouve ses caractéristiques dans ses vingt premières années. Ce qui commence à se dessiner, c’est qu’il peut s’agir d’un siècle non pas de "grand remplacement" mais de grand affrontement entre des pays à régime autoritaire/totalitaire et nos démocraties libérales qui sont très menacées et vont devoir trouver les moyens de se réinventer.

 

Michael Darmon

 

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18 janvier 2021

« Ma présidence de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe », par J.-C. Mignon

Suite au décès de l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) le 2 décembre dernier, j’ai offert à Pierre-Yves Le Borgn, contributeur fidèle de Paroles d’Actu, une tribune pour s’exprimer sur la vie et le parcours de celui avec lequel il partageait de nombreuses valeurs, et un inaltérable engagement européen. Après réflexion, l’ancien député des Français de l’étranger (2012-2017) m’a répondu qu’il avait quelqu’un à me suggérer pour l’exercice : « Jean-Claude Mignon, l’ancien président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, député LR de Seine-et-Marne depuis près de 30 ans. Un ami, ayant travaillé avec Valéry Giscard d’Estaing à l’Assemblée, et aussi avec son fils Louis. » Profil intéressant : aussitôt proposé, aussitôt contacté.

 

JC Mignon et PY Le Borgn'

Jean-Claude Mignon et Pierre-Yves Le Borgn’, à Sarajevo.

 

L’échange avec M. Mignon fut, d’emblée, agréable et fructueux. Le texte qu’il m’a soumis évoquait VGE en des termes tout autant respectueux (« Je garde le souvenir d’un grand homme d’État, affable et très courtois avec ses jeunes collègues impressionnés par sa stature et ses connaissances ») et affectueux (« Le Président Valéry Giscard d’Estaing et moi sommes nés un 2 février, pas de la même année comme il ne manquait pas de me le rappeler, et dans l’hémicycle ou en réunion de la Commission des Affaires étrangères, c’est avec plaisir et respect que je lui souhaitais son anniversaire ce qui me valait en retour un aimable petit mot manuscrit me souhaitant réciproquement le mien »). Il y était beaucoup question, aussi, d’Europe, et notamment de ce Conseil de l’Europe si méconnu, et de son assemblée, qu’il présida entre 2012 et 2014, et dont il souhaitait qu’elle rende un hommage solennel au leader défunt.

J’ai recontacté M. Mignon pour lui suggérer d’enrichir un peu son texte afin, précisément, de mettre en lumière, de par son expérience, l’action du Conseil de l’Europe et de son assemblée parlementaire. La nouvelle version qui m’est parvenue un mois après est un article bien différent, et fort éclairant quant à un outil important dont disposent les Européens (47 États membres, contre 27 pour l’Union européenne) pour promouvoir, sur l’ensemble du continent et toutes ses zones de voisinage, la paix et les droits de l’Homme. Je remercie Pierre-Yves Le Borgn, sans qui cet article n’aurait pas vu le jour. Et je remercie M. Mignon pour la confiance qu’il m’a accordée, pour ses engagements, et tous les combats menés. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Ma présidence de l’Assemblée parle-

mentaire du Conseil de l’Europe »

Jean-Claude Mignon

par Jean-Claude Mignon, le 13 janvier 2021

 

 

L’AVENIR DU CONSEIL DE L’EUROPE À LA LUMIÈRE

DE SES SOIXANTE-DOUZE ANNÉES D’EXPÉRIENCE

 

Plus ancienne organisation paneuropéenne, le Conseil de l’Europe est en même temps la plus méconnue. La richesse et la diversité des politiques menées par le Conseil de l’Europe sont exceptionnels. Les travaux menés par son Assemblée parlementaire sont exemplaires malgré sa faible exposition médiatique, notamment en France, qui l’enferme dans une certaine obscurité.

La France, État du siège, est assez indifférente à cette organisation, dont elle devrait au minimum reconnaître l’intérêt économique : 2000 emplois à Strasbourg, 47 ambassades, etc…

 

LE RÔLE MOTEUR DE L’ASSEMBLÉE

PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE

On oublie trop souvent le rôle moteur joué par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) dans la conception de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), ou plus récemment dans celle tendant à criminaliser la contrefaçon des médicaments ou dans le domaine de la bioéthique, parmi beaucoup d’autres exemples.

On oublie le rôle historique qu’elle a joué dans la réunification de l’Europe dans les années 1990 en créant en particulier le statut d’invité spécial pour les nouvelles démocraties d’Europe centrale.

De même, méconnaît-on souvent le rôle qu’elle joue dans l’élection des juges à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Rôle direct de choix, mais aussi indirect d’élaboration de critères additionnels de sélection, ains l’exigence qu’il y ait au moins un représentant du "sexe sous-représenté" dans chaque liste de trois candidats pour un poste de juge.

L’observation des élections est également une mission importante de l’APCE. Il n’y a en effet pas de démocratie sans élections honnêtes. Cette action est complétée par celle de la Commission de Venise, autre organe du Conseil de l’Europe qui apporte son expertise technique aux États parties en matière de règles constitutionnelles ou électorales.

Pour autant, le Conseil de l’Europe a été créé en 1949 et il se doit de s’adapter aux exigences contemporaines. Il doit être encore plus performant, plus lisible et plus cohérent.

L’Assemblée parlementaire est un lieu privilégié d’expression de la diplomatie parlementaire. Tout d’abord parce qu’elle permet à des parlementaires de 47 États membres de discuter de manière informelle, même quand de lourds différents les séparent, ainsi les Chypriotes grecs et les Turcs. L’exercice atteint parfois ses limites lorsqu’il concerne les États du Caucase. Cette diplomatie parlementaire s’est traduite notamment par l’octroi du statut de "Partenaire pour la démocratie" au Parlement marocain, au Conseil national palestinien, et aux Parlements de Jordanie et du Kirghiztan. Le simple fait de participer à la vie parlementaire de l’APCE ne peut qu’encourager à aller vers plus de démocratie.

 

LE CONSEIL DE L’EUROPE PEUT REDONNER

TOUT SON SENS À L’IDÉE EUROPÉENNE

Alors que l’idée européenne ne cesse de reculer dans l’opinion, le Conseil de l’Europe peut redonner un sens à l’idée fondamentale, celle d’un destin commun des peuples de ce continent, de l’Atlantique à l’Oural, tant il est vrai que l’Union européenne, de par ses lourdes responsabilités économiques et financières, a parfois perdu de vue les valeurs qui la fondent.

La défense des droits de l’Homme et la promotion de la démocratie et de l’État de droit, valeurs qui sont au centre de l’action du Conseil de l’Europe ne sont-elles pas à l’origine de la construction européenne, alors que l’Europe, engluée dans une crise économique et monétaire dont elle ne voit pas la fin, semble les avoir reléguées au second plan ? N’est-ce pas, d’ailleurs, à ce titre, que le Conseil de l’Europe apparaît être ce supplément d’âme dont l’Europe a besoin pour redonner du sens à un projet dont les peuples européens se détachent ?

Le choix d’établir une Charte des Droits fondamentaux au fronton des traités européens a été en quelque sorte une première réponse à ce déficit de sens dont souffre actuellement l’Union européenne. Ces valeurs se trouvaient déjà, néanmoins, au cœur de la construction de l’Europe des droits de l’Homme, gravées dans le marbre de la Convention européenne des Droits de l’Homme, dont la Cour européenne des droits de l’Homme assure le respect.

Aussi la future adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme, rendue juridiquement possible par la ratification du Traité de Lisbonne, ne marque-t-elle pas, dès lors, le début d’une nouvelle ère, porteuse pour le citoyen européen d’un meilleur respect de ses droits ?

 

« L’adhésion de l’UE à la Convention européenne

des droits de l’Homme ne serait-elle pas l’achèvement

de la construction de l’Europe de la paix, de la prospérité

et de la protection des droits de l’Homme ? »

 

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne sont-ils pas en effet, les deux fils d’un même rêve de prospérité, de solidarité et d’humanité ? Le rêve des pères de l’Europe n’est-il pas, enfin, en train de prendre corps sous nos yeux ? L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme ne serait-elle pas, en effet, l’achèvement de la construction de cette Europe de la paix, de la prospérité et de la protection des droits de l’Homme dont les pères fondateurs osaient à peine caresser la réalisation de leurs vœux ?

 

VERS UNE UNION PLUS ÉTENDUE ENTRE L’EUROPE DE

L’ÉCONOMIE ET L’EUROPE DES DROITS DE L’HOMME

Le Conseil de l’Europe est plus que jamais indispensable à l’Union européenne car il est bien l’incarnation du sens du projet européen dont elle a cruellement besoin pour répondre à la désaffection actuelle des peuples à son endroit.

Nous pourrions avoir la chance irremplaçable, grâce au processus d’adhésion, de renforcer nos liens avec le Parlement européen. Cette adhésion ne sera pas sans embûches. Les difficultés techniques, en particulier, le risque de jurisprudence divergente des deux cours, celle de Luxembourg et celle de Strasbourg, ne sont souvent que la face cachée d’une mauvaise grâce politique qu’il faudra lever.

L’optimisme doit être de mise. La construction de l’Europe du droit et le projet communautaire ont nécessité une forte dose de propension à l’idéal sans laquelle les deux organisations que sont le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne seraient pas nées. Ce ne sont pas ces quelques obstacles qui sauraient nous faire reculer maintenant que la voie se dessine vers une possible union plus étroite entre l’Europe économique et celle des droits de l’Homme.

La coopération entre ces deux institutions, renforcée par ces synergies nouvelles, ne saurait, néanmoins, se limiter à la construction d’une Europe du droit renforcée.

Le Conseil de l’Europe a clairement établi une politique de coopération envers toutes les démocraties émergentes. Coopération qui ne se limite pas au nouveau statut de "partenaire pour la démocratie", mais également à la possibilité d’adhérer à des organes du Conseil de l’Europe tels que la Commission de Venise dont la mission est d’assurer un conseil en matière constitutionnelle. L’Union européenne pourrait bénéfiquement profiter de cette nouvelle politique de voisinage.

La question du droit des femmes n’est-elle pas une question fondamentale pour nos démocraties ? À ce titre, ne paraît-il pas opportun de développer des partenariats pour que l’égalité entre les femmes et les hommes soit partout effective ? Favoriser la démocratie dans son voisinage immédiat ne peut en tout cas que constituer une priorité pour l’Europe.

Malgré une réussite apparente, la protection des droits de l’Homme reste plus que jamais d’actualité. Les difficultés engendrées par la crise économique et financière ne se manifestent pas uniquement à travers les sirènes du nationalisme et du protectionnisme mais également parfois par un recul de la protection de ces droits élémentaires.

 

MA PRÉSIDENCE DE L’ASSEMBLÉE

PARLEMENTAIRE (2012 - 2014)

 

Dés mon élection, le 23 janvier 2012, j’ai indiqué que mon action s’articulerait autour de trois grands axes :

  • Donner toute sa place à notre assemblée parlementaire dans l’architecture européenne et internationale, en particulier en s’appliquant à ce que l’APCE et l’Union Européenne aient de vraies relations fondées sur le souci de réaliser des objectifs communs et en resserrant les liens avec les organisations parlementaires régionales.

  • Contribuer à créer un climat de confiance en Europe qui soit propice à la résolution des situations de crise, des conflits gelés et plus généralement au développement de relations constructives entre les États membres du Conseil de l’Europe. La diplomatie parlementaire est le meilleur instrument dont dispose l’APCE pour atteindre ces objectifs.

  • Rendre l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe plus "collective", plus participative et plus visible.

 
Le bilan de mon action s’inscrit donc autour de ces trois axes majeurs.
 

I - DONNER TOUTE SA PLACE À L’APCE SUR LE CONTINENT

EUROPÉEN ET DANS L’ARCHITECTURE INTERNATIONALE.

Donner toute sa place à l’APCE dans l’architecture européenne et internationale, c’est avant toute chose promouvoir nos outils auprès de nos partenaires internationaux, par exemple la Commission de Venise, afin de dégager des synergies et lancer des initiatives communes pour répondre aux défis auxquels l’Europe des 47 doit faire face.

Naturellement, je me suis concentré en premier lieu sur le développement de vraies relations de partenariat avec l’Union européenne, basées sur la complémentarité et l’harmonisation de nos positions politiques sur les dossiers clés. En même temps, je me suis efforcé de resserrer les liens de coopération avec les organisations internationales, notamment celles à vocation régionale.

Parallèlement, j’ai souhaité nouer des contacts solides et réguliers avec les 0rganisations non-gouvernementales internationales en général, et en particulier Human Rights Watch et Amnesty International.

 

AVOIR DE VRAIES RELATIONS AVEC L’UNION EUROPÉENNE

À l’occasion de mes nombreuses rencontres avec le président du Parlement européen, les présidents des groupes politiques, le président de la commission des Affaires étrangères, ainsi que les présidents des délégations nationales du Parlement européen, mon objectif était de comprendre la vision de nos collègues du Parlement européen, afin de mieux l’intégrer dans l’approche paneuropéenne de la coopération qui est celle du Conseil de l’Europe, et préparer au mieux mes visites sur le terrain dans nos 47 États membres.

J’ai aussi développé une relation de partenariat avec la Commission européenne, et plus particulièrement avec le commissaire européen en charge de la politique de voisinage et de l’élargissement.

 

DÉVELOPPER DES RELATIONS DE COOPÉRATION

AVEC LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

AVEC L’ONU

J’ai rencontré à trois reprises, à New-York et à Strasbourg, le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon. Nous avons, à ces occasions, exprimé notre attachement à l’existence d’un partenariat fort entre le Conseil de l’Europe et les organes de l’ONU dans la protection et la promotion des droits de l’Homme universels, dans la gestion des crises et dans la recherche de la paix, en particulier sur les conflits gelés. Nous avons également souligné tous deux notre attachement à la défense des droits des femmes, sujet également abordé avec Mme Michelle Bachelet, secrétaire générale adjointe des Nations Unies chargée de l’égalité et de l’autonomisation des femmes.

 

JC Mignon avec Ban Ki-moon

 

Lors de chaque rencontre avec le secrétaire général des Nations unies, j’ai fait la promotion des campagnes du Conseil de l’Europe, à savoir la campagne "UN sur CINQ" du Conseil de l’Europe pour combattre la violence sexuelle à l’égard des enfants, ou encore la dimension parlementaire de la campagne visant à combattre la violence à l’égard des femmes. Mes interlocuteurs onusiens étaient unanimes pour saluer l’APCE comme un allié important dans la promotion de nos valeurs communes.

J’ai prôné une coopération renforcée sur des sujets d’intérêts communs et la recherche de synergies, afin de renforcer l’impact de nos organisations sur le terrain.

J’ai particulièrement salué la procédure d’examen périodique universel du respect des droits de l’Homme de l’ensemble des États membres des Nations Unies, conduite par le Conseil des droits de l’Homme, et souligné la nécessité d’une plus grande complémentarité entre les différentes procédures de suivi du Conseil de l’Europe et des Nations unies. Ces procédures existantes au niveau des Nations unies ont ainsi pu être adaptées et mise en place dans le cadre des procédures de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

J’ai également soutenu la proposition du haut-commissaire aux droits de l’Homme de créer une base de données communes, afin de "mutualiser" la jurisprudence en matière de droits de l’Homme des institutions des Nations Unies et du Conseil de l’Europe, ceci pour renforcer notre coopération afin d’assurer une meilleure cohérence d’approche entre les organes de monitoring thématiques du Conseil de l’Europe et des Nations unies.

 
AVEC L’ORGANISATION POUR LA SÉCURITÉ ET LA COOPÉRATION EN EUROPE (OSCE)

À l’occasion de la 21ème session annuelle de l’assemblée parlementaire de l’OSCE, j’ai eu l’occasion d’insister sur l’évidente complémentarité des deux assemblées en ce qui concerne l’observation des élections et la résolution des conflits gelés.

J’ai aussi invité nos partenaires à rechercher des synergies communes pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés dans la région du voisinage sud : la situation des réfugiés, nombreux, qui arrivent dans des conditions très précaires sur les côtes de la Méditerranée, les conséquences de la guerre en Syrie, les transformations démocratiques dans le sud de la Méditerranée et le Proche-Orient.

 

AVEC L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DE LA COMMUNAUTÉ DES ÉTATS INDÉPENDANTS (CEI)

Pour la première fois, un président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a rencontré le bureau de l’Assemblée interparlementaire (AIP) de la CEI, composé des présidents des parlements membres, à l’occasion de sa session plénière qui s’est tenue à Saint-Pétersbourg du 10 au 12 avril 2013.

À cette occasion j’ai participé à une conférence organisée par l’APCE et l’AIP de la CEI sur le thème "Le rôle des organisations parlementaires dans la construction d’une Europe sans clivages".

J’ai tenu une rencontre bilatérale avec Mme Valentina Matvienko, présidente du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie et, également présidente de l’AIP-CEI, notamment pour discuter des différents aspects de la coopération entre l’APCE et le Conseil de la Fédération. Dans une déclaration faite conjointement avec Mme Valentina Matvienko à l’issue de la conférence, nous avons salué la coopération entre nos deux assemblées parlementaires, qui constitue un excellent exemple de diplomatie parlementaire. Parmi d’autres choses, nous avons également salué le fait que des consultations régulières soient désormais organisées entre les chefs des missions d’observation des élections de l’AIP-CEI et de l’APCE pour permettre des échanges de vues sur la campagne électorale et sur le déroulement du processus électoral.

En marge de la conférence, j’ai pu avoir des réunions bilatérales avec les présidents des parlements du Kirghizistan et du Kazakhstan, afin de faire le point sur l’état de la coopération avec ces deux parlements. J’ai également eu une réunion informelle avec la délégation du parlement du Bélarus qui participait à la conférence conjointe. J’ai souligné l’importance d’un dialogue, tout en précisant que tout avancement sur ce chemin n’était possible que si les autorités du Bélarus s’engageaient à respecter nos valeurs et nos standards.

Première retombée concrète de cette rencontre informelle : l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a été invitée à participer à Minsk à une réunion sur le thème "Religion et peine de mort".

 

AVEC LE CONSEIL NORDIQUE

À Oslo, le 4 avril 2013, j’ai eu un premier contact avec la présidente du Conseil nordique afin d’engager des actions concrètes pour dynamiser notre coopération.

Nous avons évoqué l’extrême importance du changement climatique du point de vue de l’environnement et de l’économie mondiale. Ainsi, l’ouverture à la navigation du passage du Nord-Est est de nature à réduire considérablement les temps de transport et donc à bouleverser l’économie mondiale. De même, il est évident que l’Artique est une région potentiellement extrêmement riche en ressources naturelles et que l’impact de leur exploitation sur l’environnement peut être fondamental. Sur toutes ces questions, le Conseil nordique possède une expertise de première main, très utile pour l’APCE dans ses travaux sur la question du changement climatique et du développement durable.

 

AVEC L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE DE LA MER NOIRE

A l’occasion de sa 41ème assemblée générale à Sofia, j’ai pu intervenir devant cette assemblée parlementaire et mettre l’accent sur l’intérêt d’une coopération entre nos deux assemblées, ainsi que sur la coopération dans le domaine culturel, ou la résolution des conflits gelés.

 

II - UNE DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE ACTIVE

À l’origine, en 1949, le Conseil de l’Europe avait été créé pour assurer la paix sur notre continent, pour que les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ne se reproduisent plus jamais. Il me semble donc qu’essayer d’apporter notre contribution à la résolution des conflits gelés - en appui de la diplomatie intergouvernementale et en concertation étroite avec celle-ci - relève de l’essence même de notre mission.

En même temps, une des missions principales du Conseil de l’Europe et de son assemblée est d’apporter à nos États membres un soutien et une expertise précieuse dans le processus de mise en œuvre des standards qui sont les nôtres, tout particulièrement au moment où nos États membres doivent faire face à des situations institutionnelles et politiques compliquées. Par conséquent, il est de notre devoir d’essayer, par la voie du dialogue, de trouver ensemble avec les autorités, ainsi qu’avec toutes les forces politiques, les solutions les plus adaptées au contexte local. C’est ce que j’ai essayé de faire à l’occasion de mes nombreux déplacements sur le terrain, souvent avec la précieuse assistance de mes collègues présidents des groupes politiques et rapporteurs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Par ailleurs, je me suis efforcé de poursuivre et valoriser les travaux de l’APCE dans la région de notre voisinage Sud de la Méditerranée et au Proche-Orient, afin de promouvoir un engagement politique avec les États concernés et apporter un soutien à tous ceux qui partagent les valeurs qui sont les nôtres et aspirent à adhérer aux standards développés au sein du Conseil de l’Europe.

De manière générale, au-delà de toute situation critique, je me suis efforcé d’entretenir un dialogue régulier avec tous les États membres et de poursuivre la politique de voisinage dynamique de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

 

LES CONFLITS GELÉS

Alors que le Conseil de l’Europe a été fondé pour garantir la paix et les droits de l’Homme en Europe, alors que le mur de Berlin est tombé en 1989, il m’est insupportable que des situations aussi inacceptables perdurent dans une relative indifférence...

 

LA TRANSNISTRIE

Je me suis rendu à trois reprises à Chisinau et à Tiraspol, en avril et décembre 2012, ainsi qu’en septembre 2013. Lors de mes déplacements, j’ai fait en sorte de rencontrer les autorités de facto de cette région de Transnistrie. À chaque reprise, mon souci a été, sans interférer d’aucune manière avec les travaux du groupe "5 + 2", de faciliter par la diplomatie parlementaire le développement des relations entre les deux parties. C’est pour cette raison que mes déplacements en Transnistrie ont été organisés dans le cadre de mes visites de travail en République de Moldavie, lors desquelles j’ai rencontré à Chisinau les autorités du Pays, les représentants de toutes les forces politiques, la Mission de l’OSCE ainsi que les représentants de la communauté internationale.

Mon objectif était de contribuer à relancer un dialogue entre les élus des deux rives du Dniestr, en utilisant la plateforme de l’APCE. Mes discussions m’ont convaincu qu’il y avait une opportunité devant nous, notamment, grâce aux efforts de la présidence ukrainienne de l’OSCE.

 

LE CONFLIT DU HAUT-KARABAKH

Je me suis naturellement attaché à apporter ma contribution à la résolution de ce conflit en organisant tout d’abord, sous mon égide, des rencontres régulières entre les présidents des délégations azérie et arménienne. Lors de la session de juin 2013, j’ai pu, pour la première fois depuis l’adhésion de leurs pays au Conseil de l’Europe, réunir les deux délégations parlementaires.

Je tiens à féliciter tout particulièrement les deux présidents des délégations concernées, ainsi que tous les membres de leurs délégations respectives, de leur attitude constructive et de leur ouverture au dialogue. Bien évidemment, de nombreux désaccords existaient encore entre les délégations et certaines questions sensibles suscitaient beaucoup d’émotion. Cependant, le fait que les membres des deux délégations aient accepté d’évoquer ces questions, de manière ouverte et courtoise, démontrait leur souhait d’avancer malgré les divergences d’opinions.

La principale conclusion de cette rencontre : l’accord des deux délégations de se rencontrer de nouveau en marge des prochaines parties de session de l’APCE. Ainsi notre assemblée aurait pu apporter sa contribution au rétablissement du climat de confiance et de dialogue entre les élus d’Arménie et d’Azerbaïdjan, nécessaires pour avancer dans la recherche d’une solution pacifique au conflit du Haut-Karabakh...

Par ailleurs, je me suis rendu en Arménie et en Azerbaïdjan en mai 2013. À cette occasion, j’ai rappelé à tous mes interlocuteurs que la présidence arménienne du Comité des ministres du Conseil de l’Europe (16 mai - 14 novembre 2013), suivie en mai 2014, de la présidence azérie, devait représenter une chance pour la paix entre ces deux États membres. L’année 2013 marquant en outre le cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, qui a scellé la réconciliation entre l’Allemagne et la France, exemple à suivre pour ces deux pays du Caucase du sud...

J’avais bien précisé qu’il n’entrait aucunement dans mes intentions de concurrencer de quelque manière que ce soit le groupe de Minsk de l’OSCE, avec qui j’entretenais un contact régulier, mais simplement d’accompagner son action au niveau parlementaire.

 

« Je reste convaincu qu’avec de la persévérance

et en privilégiant le dialogue, nous aurions pu trouver

une solution pacifique au conflit dramatiquement

meurtrier du Haut-Karabagh. »

 

J’ai quitté mes fonctions de président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 27 janvier 2014, avec beaucoup de regrets, estimant qu’une période de deux années est beaucoup trop brève pour mettre en place une politique dynamique et active à la tête d’une telle organisation. Je reste convaincu qu’avec de la persévérance et en privilégiant le dialogue, nous aurions pu trouver une solution pacifique à ce conflit dramatiquement meurtrier.

Il est vraiment regrettable qu’au terme de leurs mandats les anciens présidents de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne puissent plus poursuivre leurs actions auprès de leurs successeurs. Un secrétaire général du Conseil de l’Europe et un secrétaire général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne sont pas limités en nombre de mandats successifs qu’ils peuvent exercés, contrairement aux Élus qui ne sont pas autorisés à assumer plus de deux années la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe !

 

LA GEORGIE

Je me suis rendu en Géorgie en mai 2013. Là également, j’ai appelé de mes vœux une résolution pacifique des conflits d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, en mettant l’accent sur les conséquences humanitaires, en particulier les personnes déplacées, compétence première de l’APCE.

 

UNE ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE RÉACTIVE

Même si l’APCE ne se réunit en séance plénière que quatre fois par an, l’actualité exige des réponses immédiates. Il est donc important que les organes de cette assemblée, président, comité présidentiel, bureau, puissent réagir aux situations institutionnelles et politiques difficiles dans nos États membres, afin de leur apporter le soutien politique approprié et de s’assurer que les standards de notre organisation soient respectés. Je mentionne ci-après quelques exemples de réactions rapides de notre assemblée à des développements politiques dans nos États membres qui ont eu lieu au cours des deux années durant lesquelles j’ai présidé l’APCE :

- La crise politique en Roumanie de 2012

- La Grèce et la difficile et douloureuse question des migrants et des réfugiés

- L’Ukraine et l’indépendance de la justice

- La Serbie et le Kosovo

- L’ex-république yougoslave de Macédoine aujourd’hui enfin dotée d’un nom : la Macédoine du Nord

- La Bulgarie et les indispensables réformes nécessaires

 

POURSUIVRE UNE POLITIQUE DE VOISINAGE DYNAMIQUE

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a déjà accordé le statut de "partenaire pour la démocratie" au parlement du royaume du Maroc, au Conseil national de la Palestine, et aux parlements de la Jordanie et du Kirghizstan. Le Canada, Israël, le Mexique et le Vatican ont le statut d’observateurs. Cela démontre l’intérêt que nos voisins, et bien au-delà, portent à nos standards. Le Conseil de l’Europe et son assemblée doivent continuer une politique d’ouverture et d’engagement dans nos régions de voisinage afin de répondre de façon adéquate aux défis du XXIème siècle.

Dans ce contexte, j’ai effectué une visite officielle en Tunisie, du 28 au 31 octobre 2012, conjointement avec le président du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et le président de la Commission de Venise. Suite à ma visite, le président de l’Assemblée constituante de Tunisie est venu à Strasbourg s’exprimer devant notre Assemblée.

J’ai également effectué une visite officielle au Maroc du 5 au 7 décembre 2012. Lors des rencontres avec les présidents des deux chambres, j’ai salué la coopération exemplaire du parlement marocain et de l’APCE. Nous avons aussi discuté de l’éventuelle contribution de l’APCE à la résolution du conflit du Sahara occidental.

J’ai effectué une visite officielle en Algérie du 17 au 19 juin 2013. J’ai notamment invité mes interlocuteurs à intensifier leurs relations avec les différents organes du Conseil de l’Europe et à réfléchir à l’intérêt que pourrait présenter pour eux le statut de "partenaire pour la démocratie". J’ai salué l’engagement de l’Algérie en faveur de l’égalité des sexes. Nous avons également abordé la situation en Syrie, en Libye ainsi qu’au Sahara occidental.

Dans un contexte plus général, c’est avec une conscience aiguë de l’importance de ce qui se passe au sud de la Méditerranée, qui nous concerne tous, que j’ai soutenu cette politique de voisinage et ai notamment participé, en novembre 2013, au Forum de Lisbonne organisé par le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe. À cette occasion, j’ai souligné notre rôle en tant que représentants de la plus ancienne organisation paneuropéenne, et rappelé que nous avions vocation à mettre notre expertise au service des États du sud de la Méditerranée, en prenant en compte les spécificités de chacun.

Par ailleurs, je suis convaincu que la politique de voisinage du Conseil de l’Europe ne doit pas se limiter au sud de la Méditerranée. Je pense en particulier à nos relations avec nos partenaires à l’Est.

En janvier 2013, c’est dans cet esprit que j’ai eu une rencontre de travail très fructueuse avec M. l’ambassadeur de Chine en France pour évoquer de possibles rapprochements entre l’Assemblée nationale populaire de la Chine et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe comme je l’avais déjà préconisé dans un Rapport que j’avais présenté en 2008.

 

« Notre organisation compte aujourd’hui parmi

ses membres tous les États européens, sauf un : le Bélarus.

Je suis convaincu que le Bélarus a vocation à faire partie

de notre projet paneuropéen. »

 

Notre organisation compte aujourd’hui parmi ses membres tous les États européens, sauf un : le Bélarus. Je suis convaincu que le Bélarus est un État européen qui a vocation à faire partie de notre projet paneuropéen. Par conséquent il est essentiel de dialoguer avec le Bélarus, en posant clairement nos exigences en termes de droits de l’Homme et de démocratie.

J’ai rencontré à plusieurs reprises le vice-président du parlement du Bélarus, ainsi que les parlementaires biélorusses participant aux réunions de la commission des affaires politiques et de la démocratie de l’APCE. Mon objectif était de persuader les autorités de s’engager sur la voie du rapprochement avec le Conseil de l’Europe, en prenant des mesures concrètes, comme par exemple la mise en place d’un moratoire sur la peine de mort et de coopérer pleinement avec l’APCE.

Compte tenu de l’importance des droits de l’Homme pour le Conseil de l’Europe et le Vatican, le Saint-Siège étant d’ailleurs observateur auprès de l’Organisation, il m’a semblé aller de soi d’essayer de renforcer les liens entre nous, afin de partager en particulier nos réflexions sur ces problématiques.

Je me réjouis de l’audience privée que le pape François m’a accordée le 11 octobre 2013 à Rome. À cette occasion, j’ai beaucoup insisté sur l’humanisme et les droits de l’Homme. Nous avons également abordé la question de la situation des migrants et des réfugiés. J’ai aussi invité le Saint-Père à venir s’exprimer devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce qu’il fit le 25 novembre 2014.

 

JC Mignon et le pape

 

RENFORCER LA COOPÉRATION AVEC TOUS LES ÉTATS MEMBRES

Même si j’ai privilégié certaines destinations en fonction de mes priorités, je me suis efforcé de me rendre dans pratiquement tous les États membres du Conseil de l’Europe.

Le 22 janvier 2018, le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, M. Michele Nicoletti, m’a officiellement remis mon diplôme de président honoraire de cette assemblée.

 

CONCLUSION

 
En conclusion, je dirai que beaucoup d’initiatives ont été engagées durant mon mandat et que certaines ont porté leurs fruits. Je pense en particulier aux mesures tendant à associer plus étroitement les parlementaires au fonctionnement de leur assemblée, car celle-ci est bien LEUR assemblée, ainsi qu’aux efforts déployés en vue de la participation plus étroite des présidents de commission et des présidents de délégation nationale au processus de décision. Il est impératif de poursuivre dans ce sens.

En même temps, j’ai la conviction qu’ensemble - rapporteurs, leaders des groupes politiques et présidents des commissions, ainsi que chaque membre de l’APCE - nous sommes parvenus à rendre notre assemblée plus présente et plus pertinente en termes politiques sur le terrain, en réponse à de nombreux défis auxquels notre organisation est confrontée : le renforcement de notre système paneuropéen de protection des droits de l’Homme, la situation des migrants et des réfugiés, les situations institutionnelles et politiques sensibles auxquelles nos États membres doivent faire face.

Nos relations avec l’Union européenne demeurent à la fois un sujet de satisfaction et d’insatisfaction : des progrès ont été enregistrés, en particulier avec le commissaire européen pour le voisinage. Néanmoins il reste beaucoup à faire, afin de créer des véritables synergies entre les projets du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Je suis persuadé que les fondements de ce processus ont été posés et j’espère que la poursuite de ce rapprochement conduira, au fur et à mesure, les deux grandes organisations européennes à coopérer efficacement pour la réalisation de leurs objectifs communs au niveau paneuropéen.

S’agissant des conflits gelés, ma préoccupation constante a été de renouer le dialogue entre les différentes parties. Durant ces deux années nous avons réussi à favoriser la confiance mutuelle entre les différentes parties et de ce point de vue je suis certain que nous réaliserons d’autres avancées.. Même s’il est évident que nous souhaitons tous des progrès rapides, nous savons pertinemment qu’il faut donner du temps au temps afin d’avancer pas à pas.

Je suis convaincu que nous avons emprunté la bonne voie.

  

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05 janvier 2021

« Entre tempête et temps long, être élu maire en juin 2020 », par Daniel Cornalba

L’année 2020 ne sera sans doute pas de celles dont le plus grand nombre se souviendra avec nostalgie : la crise sanitaire, qui a dominé l’actualité, a endeuillé des millions de familles partout dans le monde, entraînant dans son sillage de graves situations de détresse humaine, et de troubles économiques. On ne sait de quoi sera fait 2021, mais gardons la prévision optimiste : l’épidémie de Covid-19 devrait pouvoir être un peu mieux maîtrisée cette année. Quoi qu’il arrive, cette année 2021, qui sera aussi celle des 10 ans de Paroles d’Actuje vous la souhaite heureuse autant que possible, dans la santé et la chaleur humaine.

Pour cet article, j’ai choisi de donner la parole à Daniel Cornalba, jeune maire de L’Étang-la-Ville (Yvelines). Élu en juin dernier, il a connu, comme bien d’autres édiles, un début de mandat particulier : face à une situation trouble et anxiogène, la commune, collectivité de proximité par excellence, a souvent joué un rôle de pôle rassurant. Son témoignage est éclairant. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU PAROLES D’ACTU

« Entre tempête et temps long,

être élu maire en juin 2020 »

par Daniel Cornalba, le 31 décembre 2020

 

Daniel Cornalba

 

Vous avez été nombreux ces dernières semaines à demander comment les maires géraient la crise actuelle : sommes-nous informés en avance des mesures sanitaires ? Quelle relation avec les services de l’État ? Quelle marge de manœuvre pour les communes ?

J’essaie ici de donner quelques éléments de réponse à ces questions, tout en proposant des pistes pour coordonner action locale et nationale et rendre les décisions sanitaires plus compréhensibles par les citoyens, et donc plus à même d’être acceptées.

Ce texte donne quelques intuitions de ce que peut être une action locale qui articule urgence et temps long, impératifs municipaux et coopération entre acteurs publics.

*** 

«  Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va  » disait Sénèque.

La crise sanitaire, économique, sociale actuelle a incontestablement été une déflagration pour tous, bouleversant notre quotidien et démultipliant les incertitudes. La remontée du niveau d’urgence Vigipirate, le même jour que l’annonce du deuxième confinement, a accru cette cristallisation des urgences auxquelles il est demandé aux élus de répondre.

Élu en juin 2020 maire de ma commune, L’Étang-la-Ville (Yvelines), ce «  gros temps  » a imposé une gestion de crise permanente, sans perdre de vue notre cap : le programme pour lequel nous avons été élus.
 

Gérer la crise au quotidien

Dès l’élection en juin dernier, le suivi de la situation sanitaire est devenue une préoccupation permanente des nouvelles municipalités. De nouveaux enjeux apparaissent, alors imprévisibles quelques mois auparavant : approvisionner les stocks de gels et de masques dans les équipements municipaux, informer au fur et à mesure la population des mesures à prendre, créer par exemple un conseil réunissant les professionnels de santé pour répondre au mieux à ces nouveaux besoins sanitaires. Sans parler de l’accompagnement des entreprises et des associations culturelles ou sportives dans la reprise de leurs activités, accompagnement rendu indispensable pour favoriser le maintien du lien social et du dynamisme local. L’intégralité des événements sur l’espace public ou dans les équipements municipaux ont rapidement fait l’objet d’un système d’autorisation par la préfecture, afin de garantir le respect de la distanciation physique, fonctionnement qui n’aurait pas été pensable encore quelques temps auparavant. Il faut saluer ici l’inépuisable énergie des citoyens et la remarquable capacité d’adaptation des associations pour maîtriser la jauge du nombre de participants, pour décaler leurs horaires lorsque le couvre-feu fut annoncé, pour développer des activités de plein air…

La décision du deuxième confinement, nous l’avons découverte en direct à la télévision, comme tous les Françaises et les Français. Ses modalités précises, soumises à décrets, ne nous sont parvenues que le surlendemain, tandis que les questions des habitants, des commerces, des associations affluaient déjà.

La commune reste en effet l’instance de proximité par excellence et de référence pour les citoyens. C’est dans sa mairie que l’on se marie, que l’on enregistre les naissances comme les décès, dans sa commune que l'on apprend à aller à l'école et que l'on vote. Et c’est tout naturellement vers la mairie que les regards se tournent quand il faut adapter au niveau local les mesures qui viennent de nous être annoncées au niveau national.

J’ai donc immédiatement réuni la cellule du plan communal de sauvegarde, qui rassemble les têtes de l’administration municipale, la police municipale, ainsi que les principaux élus dont le secteur est frappé par les mesures mises en place. En un délai extrêmement rapide et à partir des informations à notre disposition, il a fallu arbitrer la fermeture ou non des équipements municipaux, fixer les modalités du travail des agents et des élus de la commune. Ces informations, c’est en dialogue constant avec les communes voisines et les services de la sous-préfecture que nous les avons obtenues. Et c’est avec l’ensemble du conseil municipal, le centre d’action sociale, les agents, les associations et les commerçants que nous nous efforçons, souvent dans l’urgence, de les partager et de les concevoir.

Dans le flou sur les commerces autorisés à ouvrir ou non, nous nous sommes attachés à éclaircir pour les entreprises les règles s’imposant à elles, tout comme les aides dont elles pouvaient bénéficier. La mairie se retrouve également en première ligne pour coordonner les mesures d’aide aux plus fragiles, le suivi par téléphone des seniors et des personnes isolées, les bons alimentaires, la mobilisation des bénévoles, l’appel à la bienveillance des bailleurs vis-à-vis des impayés…

Face à des règles changeantes et des textes administratifs parfois complexes et fastidieux, ce sont les communes et les maires qui à la fin sont ce relais d’information et d’explication indispensable.
 

Agir dans la tempête dans un esprit de coopération

Passée l’urgence des premières semaines, il faut se rendre à l’évidence que nous n’en avons pas tout à fait fini avec ce virus, que la pandémie se combattra dans la durée. Avec mes adjoints et mon administration, nous avions tiré un premier bilan des mesures déployées pour étudier les scénarios pour la suite, en nous efforçant d’anticiper le risque d’un second confinement dans le cadre d’une période sanitaire durablement complexe. À titre d’anecdote, le vote en septembre d’un budget supplémentaire pour dégager les moyens de financer l’équipement des agents pour le télétravail nous a permis d’obtenir ces outils nécessaires… le jour de l’annonce du deuxième confinement  !

De même, la commune a très tôt candidaté pour accueillir sur son territoire une box de tests PCR gratuits, financée par la région Île-de-France  : pendant un mois, de novembre à mi-décembre, ce sont ainsi plus de 70 tests par jour que nous avons pu garantir à la population pour casser les chaînes de transmission et nous inscrire dans la stratégie nationale de dépistage. Opération qu’avec souplesse et réactivité nous sommes parvenus à étendre pour couvrir la période des fêtes en mutualisant nos efforts avec les communes voisines.

Je tiens d’ailleurs à saluer le travail constant de coordination des collectivités territoriales entre elles, si souvent caricaturées dans des batailles de clochers. Dans la gestion de cette crise, les solidarités sont au rendez-vous, du coup de main de la commune voisine au soutien financier de l’échelon régional et de l’agglomération pour obtenir des masques ou des tests, en passant par les boucles WhatsApp entre maires pour s’informer sur les décisions prises localement et s’échanger de bons conseils. Et même si une petite musique entendue dans la presse a beaucoup joué de l’opposition entre l’État et les collectivités, il faut reconnaître la réactivité des services de l’État déconcentré (préfecture, sous-préfecture), qui, apprenant visiblement les décisions nationales en même temps que les élus, se sont évertués malgré tout à nous accompagner dans les circonstances.
 

Quelles leçons tirer de cette période dont nous ne voyons pas encore le bout  ?

Il est souvent dit lors des compétitions sportives internationales que la France dispose de 65 millions de sélectionneurs nationaux. De la même façon, on pourrait dire avec humour que depuis la crise sanitaire, chaque Français cache en lui un expert sanitaire.

Je ne m’avancerai pas à distribuer les bons et les mauvais points sur la gestion compliquée d’une crise qui est elle-même profondément complexe et qui a évidemment bousculé l’ensemble du pays, son administration, ses acteurs économiques, culturels, sociaux et au-delà, l’ensemble de la communauté internationale.

Mais il apparaît essentiel de tirer quelques leçons de cette gestion de crise. Alors que l’urgence pousse souvent à resserrer le cercle de la décision et la courroie de transmission, c’est précisément dans la coopération que nous avons été les plus efficaces. Cela vaut à l’échelle européenne, nationale, mais évidemment à l’échelon local.

Les échanges entre maires et avec les professionnels de santé existent déjà, et j’ai donné plus haut quelques exemples de leur efficacité. Les formaliser au sein d’un conseil de santé par bassin de vie ou à l’échelle d’une intercommunalité qui se réunirait à intervalle régulier - la visio le permettant aisément - contribuerait à faire circuler l’information et à harmoniser les prises de décision, alors que les décrets et arrêtés peuvent parfois porter à des interprétations contradictoires  : fermeture d’un stade ici car la pratique sportive collective des adultes n’est pas autorisée, autorisation là-bas car le stade inclut une piste d’athlétisme permettant la pratique individuelle, obligation du port du masque en centre-ville là-bas, souplesse ici, rendent les règles peu lisibles pour les habitants.

Ces conseils de santé, regroupant les maires du territoire concerné, éclairés par les données de l’Agence régionale de santé (ARS) et de la préfecture, et en lien avec des professionnels de santé installés sur le territoire, pourraient en connaissance de cause favoriser des prises de position harmonisées à l’échelle d’un bassin de vie, des lieux de la vie de tous les jours, et ce dans le respect du pouvoir de police des maires : ouverture sous réserve de certains commerces de proximité, maintien de solutions de dépistage de proximité, et, espérons à l’avenir, réponse aux besoins des plus fragiles, accompagnement des établissements de santé et médico-sociaux du territoire, ciblage des lieux possibles de vaccination sur le territoire...

Une telle démarche, qui irait au-delà des strictes compétences intercommunales, dans une logique souple de coopération et d’échanges, nécessiterait évidemment l’aval des représentants de l’État localement, qui pourraient toutefois l’accompagner, limitant ainsi pour eux-mêmes l’engorgement face à l’afflux des demandes émanant des territoires. Cette même logique de bassin de vie s’avérerait utile au long cours pour affronter les problématiques communes. Je pense notamment à la lutte contre la désertification médicale, d’une importance vitale - y compris en région parisienne - comme nous le montre la période que nous vivons.
 

Garder notre boussole et préparer le temps long

Si la crise de la Covid va durablement marquer de son empreinte les prochaines années de la mandature, elle ne doit pas faire oublier les autres enjeux qui s'imposent à nous et pour lesquels les électeurs se sont déplacés. C’est en ce sens que nous avons fait le choix, durant le confinement, de maintenir l’ensemble des activités municipales - à l’exception du foyer des seniors, remplacé par un portage de repas dédié -, pour assurer la continuité du service public, voter les crédits pour la transformation en maison de santé d’un bureau de poste abandonné, assurer le suivi des travaux du secteur du BTP, etc.

Ces problématiques entrent indéniablement en résonance avec la crise que nous traversons  : redéfinir notre rapport au local, penser des territoires résiliants, anticiper des bouleversements plus grands dont la Covid n’est peut-être que la première manifestation. Je pense ici au formidable essor du télétravail et aux opportunités qu’il présente ; à la nécessité de redévelopper l’activité commerciale en cœur de ville et de revitaliser les marchés de proximité et les circuits-courts ; au besoin de favoriser des transports doux et en commun entre villes voisines, pour sortir d’une stricte logique pendulaire entre lieu de travail et banlieue dortoir. L’attrait renouvelé de la grande couronne verdoyante pour les jeunes couples bouscule la démographie locale et invite à adapter nos services, nos modes de gardes comme nos activités associatives, tout en devant préserver à tout prix nos terres agricoles, lorsqu’elles subsistent encore, et nos espaces de biodiversité, à commencer par nos forêts franciliennes, fragilisées par le dérèglement climatique. La Covid ne doit pas nous faire oublier la nécessité de tenir nos engagements pour les générations futures, et à vrai dire pour les générations actuelles qui nous le disent avec force.

Ce sont aussi ces aspects qui devront irriguer les Plans Climat que nos agglomérations sont amenées à adopter, en faisant preuve d’ambition et de volontarisme. La réduction des dotations de l’État est de ce point de vue un défi immense pour les petites communes comme la mienne, que la démultiplication de financements spécifiques autour de projets aux nombreuses conditions ne pourra pas entièrement compenser. L’isolation du bâti - public comme privé -, la végétalisation de nos territoires, les investissements du quotidien –trottoirs, voiries, éclairage public, assainissements-, l’adaptation de nos équipements sont autant d’opportunités pour relancer l’économie. Les partenariats entre collectivités et, je l’espère, l’État, seront ici déterminants pour accélérer les potentialités de nos territoires et favoriser les effets de levier.

Ces premiers mois de mandat m’ont convaincu de l’utilité des petites communes dans notre pays  : leur souplesse, la polyvalence des équipes, la connaissance du terrain y sont des atouts décisifs pour créer des solidarités nouvelles, faciliter la participation citoyenne, l’écoute des habitants et conjuguer transition écologique et relance. Le développement de ceintures maraîchères autour de producteurs locaux, la transition énergétique, l’installation d’espaces de coworking et de services nouveaux en cœur de ville pour tous les âges de la vie, tout comme l’apaisement de l’espace public, le soutien résolu à l’action culturelle et à la pratique sportive nécessitent un travail fin et de proximité qui fait précisément l’âme de nos petites communes.

En ces temps de tempêtes et de bourrasques, la proximité reste une valeur sûre pour répondre aux défis du présent et préparer l’avenir. C’est ce qui fait aussi la noblesse de l’engagement en tant que maire.

 

Quelques photos commentées par D. Cornalba

 

MobilTest Covid

Illustration du partenariat local entre collectivités face

à la pandémie : ici, la Région, ma ville et la ville voisine.

 

D

Rentrée des classes à L’Étang-la-Ville.

 

L'Etang-La-Ville centre

Illustration du cœur de ville, son patrimoine historique - ici l’église

Sainte-Anne -, et un exemple d’extension des terrasses pour permettre

l’activité en centre-ville dans le respect des gestes barrières.

 

L'Etang-La-Ville

Illustration de la commune et d’espaces de biodiversité à préserver.

 

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02 juin 2020

« La parole publique au défi du Covid », par Pierre-Yves Le Borgn'

Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger (entre 2012 et 2017), est bien connu des lecteurs réguliers de Paroles d’Actu. Il a été, depuis notre première interview de 2013, la personnalité politique que j’ai le plus souvent interrogée, toujours avec plaisir, pour ce site. Il y a quelques semaines, dans un contexte de fin de confinement, j’ai souhaité lui accorder, une fois de plus, une tribune libre pour évoquer, via l’angle de son choix, l’exceptionnelle expérience vécue collectivement. Son texte, dont je le remercie, est un focus pertinent sur l’importance et l’impact de la parole publique en ces temps troublés, et un message, un appel directement adressés à nos dirigeants. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« La parole publique au défi du Covid »

par Pierre-Yves Le Borgn, le 1er juin 2020

En ces premiers jours du mois de juin, la France sort pas à pas du confinement imposé durant près de deux mois en réponse à la pire pandémie qu’elle ait connu en un siècle. Les nouvelles communiquées par le Premier ministre Édouard Philippe il y a quelques jours sont encourageantes. Rien n’est certes encore gagné, mais la pandémie recule. Il n’en reste pas moins qu’une redoutable crise économique et sociale nous attend, dont la portée et l’ampleur seront malheureusement inédites. À la fin de cette année maudite, ce seront sans doute plus d’un million de Français supplémentaires qui auront rejoint les chiffres des demandeurs d’emploi. Pareille perspective est une bombe à retardement, une catastrophe pour la société française, déjà minée par nombre de fractures sociales, territoriales et générationnelles révélées par la crise des gilets jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites et le drame sanitaire du printemps.

« On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale

qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide. »

Derrière cela, il y a un pessimisme, un marasme, une défiance, une crise morale qui viennent de loin. Deux livres, chacun à leur manière, le présentaient remarquablement il y 4 ou 5 ans : Comprendre le malheur français, de Marcel Gauchet, et Plus rien à faire, plus rien à foutre, de Brice Teinturier. Leur lucidité d’analyse m’avait impressionné. Ainsi, le diagnostic avait quelque part déjà été fait. En a-t-on seulement tenu compte ? Là est la question, à laquelle il faut lucidement reconnaître qu’une réponse insuffisante a été apportée. La peur du déclassement travaille pourtant la société française depuis longtemps et elle progresse de jour en jour. Notre société est l’une des plus pessimistes, si ce n’est la plus pessimiste d’Europe. Des moments difficiles, beaucoup de pays en ont traversé. Ils ont su pourtant se redresser, chacun à leur manière. Et nous ? On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide.

Dans ce contexte, la parole publique est essentielle. Elle doit avoir du crédit, de la force. Malheureusement, la polémique sur les masques l’a mise à mal. La défiance se nourrit de petits arrangements coupables et ravageurs avec la vérité. Il n’y avait pas suffisamment de masques. Pourquoi le gouvernement ne l’a-t-il pas dit, plutôt que de laisser entendre que les masques ne servaient à rien avant, poussé par la réalité, de devoir se raviser ? Autre erreur : annoncer un samedi soir la mise à l’arrêt de toute l’économie française et le confinement de 66 millions de personnes tout en leur demandant d’aller voter le lendemain pour les élections municipales. L’incohérence était flagrante. Les Français ont eu le sentiment d’être infantilisés, méprisés, qu’on leur mentait ou qu’on leur cachait quelque chose. Le complotisme y a trouvé matière à prospérer. Et derrière la perte de sens de la parole publique, c’est toute l’efficacité de l’action publique qui est affectée.

Il faut trouver le mot et le ton justes. Il faut pouvoir écouter, expliquer et justifier. De ce point de vue, ce quinquennat, comme les précédents, n’a pas à ce jour répondu aux attentes. À deux ans de son terme, le pourra-t-il ? L’optimisme farouche d’Emmanuel Macron, sa détermination à faire bouger les lignes et mettre en mouvement l’économie et la société ont été desservi par une pratique excessivement verticale, distante et centralisée du pouvoir. Le Président est en surplomb des Français, là où il devrait être avec eux et parmi eux. Jamais le sens des réformes n’a été suffisamment présenté, comme si cela n’avait pas été jugé nécessaire. C’est une erreur profonde. Aucune réforme n’est efficace ni durable sans appropriation par tout ou partie des Français. La parole publique souffre d’être tour à tour rude, vague, lointaine ou lyrique. La question n’est pas de parler fort, trop ou trop peu, elle est de parler juste et de parler vrai.

« Il faut trouver une expression et un ton

qui fédèrent derrière l’immensité des efforts

à accomplir et la direction à prendre. »

La France est un pays que l’on doit sentir. Je suis convaincu que les Français peuvent entendre la réalité, même si elle est dure, pour peu que l’on mêle à l’exercice de la parole publique la sobriété, le souci didactique, la simplicité de l’échange et la volonté de rassurer par l’exercice de la vérité. C’est ce que le Premier ministre Édouard Philippe est parvenu à faire ces dernières semaines et cet engagement doit inspirer. C’est ce qui fait en Allemagne depuis des années la force de la Chancelière Angela Merkel. On ne sortira pas notre pays de la crise sans l’adhésion d’une majorité de Français. Il faut pour cela trouver une expression et un ton qui fédèrent derrière l’immensité des efforts à accomplir et la direction à prendre. Le défi, c’est la capacité de la France de se réinventer, de reprendre une marche en avant émancipatrice pour chacun, solidaire et créatrice de sens pour tous. Beaucoup se joue maintenant et pour longtemps. Plus que jamais, l’unité de la parole publique doit y contribuer.

 

PYLB

Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député des Français de l’étranger (2012-2017).

 

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12 mars 2020

Yann Cucherat : « Dans dix ans, Lyon sera, plus que jamais, au centre de toutes les attentions… »

À trois jours du premier tour des élections municipales, - dont on ne sait même pas, Covid-19 oblige, si elles seront maintenues en temps et en heure - je vous propose, via ce nouvel article, une rencontre avec une personnalité déjà aperçue sur Paroles d’Actu il y a trois mois. Début décembre 2019, Yann Cucherat, adjoint au maire de Lyon (Sports, Grands événements et Tourisme), avait accepté d’évoquer pour nous ce grand rendez-vous qu’est devenu la Fête des Lumières. À ce moment-là, nul (et en tout cas pas votre serviteur) ne savait que, quelques jours après, il serait désigné par Gérard Collomb pour mener sous l’étiquette LREM la bataille pour la Ville de Lyon (le maire sortant et ex-ministre de l’Intérieur étant quant à lui candidat à la présidence de la métropole).

Fin janvier, j’ai ainsi contacté à nouveau M. Cucherat, pour l’inviter à "écrire" le Lyon qu’il connaît et aime, et à répondre à quelques questions de présentation dans la perspective de cette élection qui, comme celle de Paris, s’annonce extrêmement incertaine. Les jours du calendrier défilant, en même temps que s’accroissait la tension du moment électoral, j’étais persuadé que les réponses ne me parviendraient plus. Jusqu’à ce matin, à la vérification de mes mails. Focus donc, sur un homme, et sur une ville. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

partie 1: le texte de Yann Cucherat

« Lyon, regard personnel »

J’ai eu la chance de beaucoup voyager dans ma vie. Barcelone, Budapest, Montréal, Tokyo notamment, m’ont laissé des souvenirs impérissables. Je n’ai pour autant, jamais été las d’un éternel retour dans ‘ma’ ville.

À la fois mystérieuse et mystique, Lyon n’est éclairée comme aucune autre, depuis la colline qui prie, non loin de mon 5ème arrondissement de cœur, jusqu’à la colline qui crie, celle sur laquelle j’ai poussé mes premiers pleurs… Je suis né à la Croix-Rousse et j’en suis fier. J’ai ensuite fait mes gammes de gymnaste dans le 8ème arrondissement, qui restera à jamais spécial pour moi, mes journées défilant selon une routine implacable entre l’internat, les cours, et la salle d’entraînement de la Convention Gymnique de Lyon, avenue Viviani.

« Je souhaite désengorger Lyon de son trafic…

mais croyez-moi, j’adore les bouchons ! »

Je n’ai jamais vraiment eu de temps libre… J’ai toujours trouvé ma liberté dans un emploi du temps surchargé. Mes proches ont toujours eu à composer avec. Mes rares moments de relâche, je les ai cependant toujours vécus avec gourmandise. Car après l’effort, en bon Lyonnais qui se respecte, il y a le réconfort. Je souhaite désengorger Lyon de son trafic… mais croyez-moi, j’adore les bouchons ! Pas l’idéal quand on a cherché toute sa vie à être champion ; mais délectation n’est pas forcément synonyme de déraison. Il faut aussi parfois se laisser déborder avant de s’envoler à nouveau. Et je viens d’une famille où l’on aime les immenses tablées…

Avec mes amis, ceux d’à peu près toujours, je me suis régalé dans les travées de Gerland, d’abord pour supporter l’OL, ensuite, pour encourager le LOU. La patinoire Charlemagne est l’endroit où je vais soutenir ma fille, qui brille sur ses patins. La Halle Tony Garnier, celui où je vais vibrer pour un bon concert, tout comme l’été, lors des ‘Nuits de Fourvière’. L’hiver, il m’arrive parfois d’hiberner au creux du feu sacré d’une pièce des Célestins. J’aime les Subs, j’ai mes entrées quartier de l’industrie, et je raffole de la Confluence. J’ai descendu la Saône en kayak, flâné dans les allées de tous les parcs… Saint-Jean, Bellecour, Terreaux… Boulevard des Belges, Òtats-Unis, Gros Caillou, Part-Dieu, Place Carnot… Ainay, Avenue de Saxe, St Just, Valmy, L’île Barbe... Où n’ai-je traîné mes guêtres dans cette ville, où, parfois, le temps manque pour aller boire un verre sur les péniches des quais du Rhône, en bord de Saône, Place Sathonay, ou encore, dans les pentes...

« Dans cet océan d’existence, Lyon a toujours été

mon phare. Ma maison. Et je compte bien, encore

et toujours, en défendre et en renforcer les fondations… »

Ma femme étant d’ailleurs, je me suis fait un véritable point d’honneur à lui dévoiler les trésors et les délices de ma cité, qui m’a toujours manqué à l’approche du 8 décembre, lorsque j’étais en compétition à l’autre bout du globe...

Et puis il y eu cette seconde vie… Celle d’élu, qui m’a permis de rendre à cette ville un peu de ce qu’elle m’a apporté, de ce qu’elle me donne, encore et toujours, depuis désormais quarante ans. En gymnastique, ma source de motivation était intarissable. En politique, j’apprends chaque seconde comme un assoiffé. Dans cet océan d’existence, Lyon a toujours été mon phare. Ma maison. Et je compte bien, encore et toujours, en défendre et en renforcer les fondations…

Yann Cucherat, le 12 mars 2020.

 

Yann Cucherat 2020

 

partie 2: l’interview avec Y. Cucherat

« Dans dix ans, je le garantis, Lyon sera, plus

que jamais, au centre de toutes les attentions… »

1/ Vous êtes, Yann Cucherat, candidat à la mairie de Lyon. Quelles qualités humaines, et quel niveau d’engagement personnel une telle charge suppose-t-elle à votre avis, et pourquoi croyez-vous être qualifié pour présider le conseil municipal de la troisième ville de France ?

‘Il est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser’ d’après Montesquieu. Ce ne sera pas mon cas. J’aime trop les gens pour me laisser enfermer dans l’isolement d’une telle fonction. Cependant, je connais assez les cimes, y compris la tête en bas, pour savoir comment retomber sur mes pattes. La base réside dans nos appuis. Il faut rester en contact avec son socle. Le mien a toujours été l’éducation, le travail, la présence sur le terrain. Je suis un homme d’action, et l’écoute a toujours été mon carburant. Je connais très bien ‘ma’ ville. Et je sais endosser la tenue du capitaine. Ni les défaites, ni les victoires, ne m’ont jamais fait chavirer. Lorsqu’on est candidat comme moi à la fonction à laquelle j’estime pouvoir prétendre, on est obligé de toiser l’horizon, car il convient de savoir anticiper, tout en étant bien conscient du temps présent. Tout en faisant preuve d’un immense réalisme. Les défis d’aujourd’hui sont énormes : environnementaux, sanitaires, économiques, éducatifs, sociaux… Comment, à l’ère du numérique et du tout relié, se permettre de passer à côté d’un seul de ces enjeux ? Voilà pourquoi il est nécessaire de savoir bien s’entourer, tout en conservant de la hauteur, un recul honorable, qui permet de garder la tête froide. Je suis jeune, j’ai de l’énergie à revendre, beaucoup d’envie, et le sang-froid est réellement l’une de mes qualités. J’ai existé dans ce métier avant d’appartenir à un appareil politique, et j’ai eu le meilleur des mentors possibles sur la place lyonnaise : Gérard Collomb.

2/ Votre parcours est connu. Mais d’où vous viennent vos engagements, et quelles sont vos inspirations ? Si vous deviez établir un panthéon, votre panthéon des personnes ou personnalités, passées ou contemporaines, qui vous inspirent et vous portent, quel serait-il ?

Les grands champions évidemment m’ont toujours inspiré. Leur ‘fighting spirit’, leur incroyable propension à lutter, à ne rien lâcher, leur refus de l’échec, leur courage face à l’adversité… Mais quelle que soit la portée d’une victoire, le sport reste un jeu. Certains êtres ont eu a s’exprimer sur un terrain beaucoup plus grand encore, et ceux-là font vraiment mon admiration : Gandhi, Mandela, l’Abbé Pierre, Simone Veil, Neil Armstrong… Tous ces êtres qui se sont battus pour que le monde avance, et je n’ai cité que des héros du XXème siècle. Mais il y en a eu tant !

Notre pays est grand. Pour un amoureux d’une ville qui sait si bien fêter les ‘Lumières’, je ne peux que défendre mon pays, celui des droits de l’Homme, même à travers une histoire faite de clair-obscur, comme chez Le Caravage (car les grands artistes, ceux qui ont transformé l’humanité, forcent également mon admiration). Après, ce qui est formidable avec le XXIème siècle, c’est que les héros du quotidien, les vrais, pour peu qu’on s’informe correctement, qu’on s’éduque, sont connus… La Syrie ou le Chili pour ne citer que ces pays, regorgent de femmes et d’hommes qui forcent mon admiration, véritablement.

Mais si vous voulez vraiment savoir quelles figures me portent le plus, je vous répondrais que ma vraie source d’inspiration, au quotidien, ce sont ces femmes et ces hommes qui se sont sacrifiés sous Vichy puis l’occupation allemande, depuis nos rues, pour que la marche de notre nation, et du monde, demeure respectable. En bon lyonnais j’admire Jean Moulin, dont l’un des Q.G est situé à deux pas de mon actuel bureau de l’Hôtel de Ville (le restaurant ‘Le Garet’) ou encore Lucie Aubrac… Mais je n’oublie pas Jean Zay, Pierre Brossolette, et mon favori, le poète connu sous le nom du ‘Capitaine Alexandre’ : l’immense René Char.

3/ Lyon est une ville dynamique, et jeune. Vous êtes un candidat jeune, qui connaît bien les usages, et sans doute les aspirations des nouvelles générations de citoyens. Comment les regardez-vous, et pensez-vous avoir un message particulier à leur porter, à ces jeunes des générations "Y" et "Z", qui au passage ne comptent pas forcément parmi les votants les plus empressés ?

Avant toute chose, je tiens à rappeler à chacune et chacun, quel que soit leur âge, que le droit de vote est un droit fondamental, qui se rapproche d’une forme de devoir lorsqu’on prend en compte le sacrifice de certains de ces ‘héros’ que j’évoquais plus tôt, pour que nous en bénéficions. Ne pas aller voter, même lorsqu’on est pas en phase, proche d’aucun des candidats qui nous sont soumis, équivaut à rentrer dans le rang du troupeau, tout en se mettant un bâillon sur le museau.

Mais j’ai confiance en la jeunesse actuelle, je la sens très concernée, l’actualité sociale de notre pays en témoigne depuis plusieurs mois. Je lui propose donc de me faire confiance, et d’être assurée que je saurai entretenir le dialogue. La jeunesse demande des garanties, car elle porte beaucoup de poids sur ses épaules… Je le comprends, et je saurai rester à son écoute.

4/ Comment entrevoyez-vous Lyon à l’horizon 2030 ?

D’abord, le moins pollué possible… C’est d’ailleurs l’une des premières demandes de notre jeunesse je crois. Sinon, comment se projeter ? Sans le chant des oiseaux, avec un masque filtrant sur le nez, en mauvaise santé, dans une ville engorgée de fond en comble ? J’imagine de nouvelles énergies, de nouveaux modes de consommation, de nouvelles tendances, y compris de spectaculaires retours aux sources. J’aurai alors 50 ans, je me sens prêt à accompagner tous ces changements, prometteurs car j’ai confiance en NOUS. Et dans dix ans, je le garantis, Lyon sera, plus que jamais, au centre de toutes les attentions…

5/ Un dernier mot ?

‘Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront.’ (René Char, Les matinaux)

Réponses recueillies le 12 mars 2020.

 

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14 octobre 2019

« Jacques Chirac aimait les Français et voulait qu'on respecte la France... », par Marie-Jo Zimmermann

La disparition de Jacques Chirac, qui présida aux destinées de la France de 1995 à 2007, a provoqué des vagues de réactions, souvent émues, de la part de personnalités, politiques ou non, et d’anonymes qui avaient grandi, mûri, ou même étaient « nés sous Chirac ». L’homme n’était pas parfait, et son bilan à bien des égards, contestable, mais il était humain, pétri d’humanisme et porté en son action par les valeurs qu’il avait fait siennes, au prix parfois de complications politiques ou diplomatiques. Fin connaisseur de l’histoire et de l’art de vivre de peuples aujourd’hui oubliés, quand ils ne sont pas regardés de haut, il avait eu à coeur de partager ce savoir, et le musée du quai Branly, qui porte aujourd’hui son nom, constitue peut-être son plus bel héritage. Procédant d’un même esprit, il s’est agi, lors de son refus de soutenir à défaut dargument convaincant la volonté d’offensive étatsunienne contre l’Irak en 2003, du message d’un « vieux pays » qui avait un passé, et la conscience de l’infinie complexité de la situation moyen-orientale : la suite des événements lui a malheureusement donné raison, entre chaos perpétuel, sang versé, et rancoeurs accumulées - avec peu de signes d’espoir sur ces fronts-là. Cette décision, qui fut sans doute l’acte majeur de sa présidence, était dans la ligne de sa pensée : privilégier toujours, sur les grandes questions, le temps long, et refuser d’aller trop rapidement vers des réponses simplistes ; rejeter enfin ce qui pourrait humilier l’autre et nourrir des ressentiments.

Je laisse la parole, pour évoquer Jacques Chirac, à Marie-Jo Zimmermann, Messine qui fut députée pour la Moselle dix-neuf années durant, et fidèle à titres personnel et politique du président défunt. Je la remercie d’avoir accepté de nous livrer un texte, et de répondre à mes questions, et salue Pierre-Yves Le Borgn’ qui a facilité cette prise de contact. J’ai enfin une pensée particulière, ce soir, pour Claude Chirac et Frédéric Salat-Baroux. En souvenir d’un moment, en juillet de cette année, à Paris, ville que « Chirac » aimait tant... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

  

partie 1: le texte de Marie-Jo Zimmermann

« Le président Jacques Chirac aimait les Français

et voulait qu’on respecte la France... »


Le 26 septembre 2019, le président Jacques Chirac rentre dans l’histoire. Après l’hommage des Français, l’hommage des Grands de ce monde, la journée de deuil national, son oeuvre appartient désormais aux historiens.

Le président Jacques Chirac, en trois dates :

1995, la fracture sociale. C’est l’équipe qu’il a constituée avec Philippe Seguin qui donne à la fracture sociale tout son poids. C’est sa connaissance du terrain, de la vie des Français qui donne à ce thème toute sa réalité. Les Français comprennent à ce moment‐là que c’est le président qui saura le mieux gérer leur pays. Il est élu.

2002, le discours de Johannesburg. « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Cette phrase montre à quel point le président Jacques Chirac était conscient, avant beaucoup d’hommes politiques, de l’asphyxie de notre planète. Ce message qu’il délivre au monde entier aboutit en France à l’entrée de la Charte de l’environnement dans la Constitution. J’ai vécu comme parlementaire ce débat, qui a suscité à la fois au sein du Parlement mais également dans l’opinion, un début de prise de conscience de la question environnementale. À de nombreuses reprises, certains parlementaires ont essayé d’abroger cette Charte et aujourd’hui, nous sommes tous conscients que cette entrée dans la Constitution a été elle aussi un acte visionnaire.

2003, le « non » de la France à la guerre en Irak. C’est chez le président Jacques Chirac, une vision, mais aussi une capacité liée à son goût de l’histoire, d’anticiper ce qui pourrait bouleverser les règles du jeu dans cette partie du monde. Il a parcouru la planète, écouté les dirigeants du monde entier et surtout cherché à comprendre les peuples. Il se pose en médiateur pour développer des inspections sur place mais surtout, il prend une décision, non pas contre les États‐Unis mais simplement, ayant lui‐même connu la tragédie de la guerre, il sait qu’elle fera naître des fractures et des blessures dans une partie du monde déjà très fragilisée. C’est le discours de Dominique de Villepin du 20 janvier 2003 qui pose le véto de la France.

Ces trois actes majeurs du président Jacques Chirac font de lui un visionnaire, un homme d’État.

Le président Jacques Chirac avait une personnalité incroyablement pudique et secrète. Il a, en politique intérieure comme en politique extérieure, toujours privilégié le temps long et c’est en cela qu’il est un homme d’État. Les Français, en lui rendant hommage avec ferveur, ont reconnu en lui, non seulement le chef d’État mais également l’homme qui les a aimés, qui a aimé la France en voulant que le monde entier la respecte.

M.-J. Zimmermann, le 1er octobre 2019.

 

Marie-Jo Zimmermann

 

partie 2: l’interview avec M.-Jo Zimmermann

Quand avez-vous rencontré Jacques Chirac et quel souvenir fort retiendrez-vous de lui à titre personnel ?

Ma première rencontre avec Jacques Chirac a été en tant que militante lors de meetings de sa campagne présidentielle, dès 1981. Mon souvenir le plus fort : le 3 février 1998, lors de mon arrivée à l’Assemblée nationale, mais surtout lors du déjeuner à l’Elysée le même jour. J’ai eu l’infime honneur de déjeuner à sa droite et d’avoir avec lui une conversation sur le rôle du député. Certes c’est celui qui vote les lois à l’Assemblée nationale, mais selon le président Chirac c’est celui qui doit avoir le souci permanent des femmes et des hommes de sa circonscription. C’est un élu de terrain qui fait remonter à Paris les préoccupations des Français. À partir de là, mission m’était donc donnée d’être une élue de terrain, très proche de ses habitants. Régulièrement lors de mes rencontres avec le président Chirac à l’Elysée, et même après 2007, sa seule préoccupation concernait l’état d’esprit des Français.

Étiez-vous une chiraquienne et si oui c’était quoi : une doctrine ou un attachement à l’homme ?

Oui j’étais et je reste une chiraquienne. Oui il m’a convaincue qu’être proche de sa circonscription, c’est le fait majeur pour un député. Le thème qui m’a le plus marquée, c’est celui de la fracture sociale. En cela, il avait fait sienne la doctrine de Philippe Séguin qui a été pour moi, comme Jacques Chirac, un modèle en politique.

Quel est à votre sens l’héritage politique de Jacques Chirac ?

Le président Chirac a été l’homme de la fracture sociale. En cela, un homme comme Xavier Bertrand peut être un de ses héritiers. C’est l’homme également du « non » à la guerre en Irak. En cela, Dominique de Villepin peut être un héritier. Le président Chirac, c’est avant tout une vision de la France sans sectarisme et une vision de monde réfléchi afin d’éviter des conflits meurtriers. C’est l’homme politique qui, tout en étant le représentant d’un parti sur lequel il s’est appuyé et qui lui a permis d’être élu, est capable de s’en détacher pour répondre avec intelligence et pragmatisme aux attentes d’un pays. C’est aussi pour lui aller à l’encontre de certains de ses compagnons pour imposer sa vision du monde : le « non » à la guerre en Irak en est l’exemple type.

Interview du 14 octobre 2019.

 

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17 janvier 2019

« Président, voici ma réponse ! », par François Delpla (Grand Débat)

Avec sa Lettre aux Français diffusée massivement depuis le 13 janvier, le président Emmanuel Macron, mis en grande difficulté avec l’exécutif qu’il dirige et, dans une certaine mesure, l’ensemble de la classe politique traditionnelle, par la crise dite des "gilets jaunes", entend reprend la main et l’initiative. En proposant d’ouvrir en grand (premier débat ?) les fenêtres de la discussion, il espère apaiser les colères et miser sur les aspirations populaires à la (re)prise de parole, tant et tant exprimées ces dernières semaines, sur les ronds-points et ailleurs. Qu’adviendra-t-il des conclusions de ce "grand débat national" ? L’exercice est à peu près inédit, faut-il par soupçon le crucifier avant même de lui avoir donné sa chance ? À l’évidence, non. J’ai proposé à François Delpla, historien spécialiste du nazisme, citoyen engagé, et fidèle de Paroles d’Actu, de nous livrer sa réponse au président de la République et, surtout, ses réponses aux questions proposées. Je le remercie de s’être prêté à l’exercice. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

UNE EXCLUSIVITÉ PAROLES D’ACTU

« Président, voici ma réponse ! »

GRAND DÉBAT NATIONAL

 

Le premier sujet porte sur nos impôts,

nos dépenses et l’action publique...

 

"(...) Mais l’impôt, lorsqu’il est trop élevé, prive notre économie des ressources qui pourraient utilement s’investir dans les entreprises, créant ainsi de l’emploi et de la croissance. Et il prive les travailleurs du fruit de leurs efforts. Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement les évaluera de manière transparente et avec le recul indispensable. Nous devons en revanche nous interroger pour aller plus loin. Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?"

1°) On convient en général que ce paragraphe exclut du "grand débat national" toute remise en cause de la suppression de l’ISF et des ordonnances sur le travail. Or il est singulier de placer ces dernières dans la rubrique "impôts" ! Cela porte un nom : la contrebande. Et mérite une explication : on n’aura pas trouvé, pour caser cet interdit, d’endroit plus adapté.

2°) Même si une majorité parlementaire servile s’est laissé, dans l’été 2017, dessaisir de ses prérogatives, il est singulier de prétendre que des mesures prises par ordonnance ont été votées. Une faute de frappe pour "volées" ?

3°) Il devient envisageable ou du moins il n’est pas interdit, même par ce dirigeant très imbu de lui-même, d’assortir les cadeaux faits aux riches et aux entreprises de conditions en matière d’emploi, ce à quoi s’étaient obstinément refusés le président Hollande et son conseiller économique, aux initiales identiques à celles de l’expression "en marche".

4°) Des mesures aux effets désastreux, reposant sur des analyses tendancieuses, contestées dès l’origine par des économistes compétents, ne doivent surtout pas être remises en question, du moins avant un "recul indispensable". La Liberté inscrite au fronton de nos mairies exige qu’on les laisse produire tous leurs dégâts. Leurs responsables sont, dans l’intervalle, dispensés de toute argumentation.

5°) La discussion sur la fiscalité se voit canalisée dans un sens unique : les citoyens sont invités à proposer des baisses et non des hausses d’impôts, pour quelque catégorie de contribuables que ce soit. Le fait d’engager plus de moyens, en personnel comme en démarches diplomatiques, dans la traque des fraudeurs fiscaux et le démantèlement de leurs paradis ne fait pas non plus partie des options proposées.
Cependant, un rééquilibrage entre l’impôt indirect, payé également par tous, et l’impôt direct, modulable en fonction des revenus, n’est pas frappé d’interdit : oubli, ou imprudente glissade vers plus de justice ?

 

Le deuxième sujet (...), c’est l’organisation

de l’État et des collectivités publiques.

 

"Les services publics ont un coût, mais ils sont vitaux" : précieux aveu du continuateur de Sarkozy et de Hollande... conseillé par Macron -un homonyme sans doute -, dans la baisse du nombre des fonctionnaires, au nom d’une logique comptable et sans la moindre étude prévisionnelle de ses effets. Comme devait être homonyme celui qui déplorait que la politique sociale coûtât "un pognon de dingue", et faisait fièrement fuiter vers les réseaux sociaux un enregistrement où il le disait.

Dans les solutions suggérées, on n’est pas trop surpris de ne pas trouver un mot sur le nombre des fonctionnaires, et de lire seulement de vagues considérations sur l’organisation de l’État.

 

La transition écologique est le troisième thème.

 

"Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air. Aujourd’hui personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’agir vite. Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transformations seront douloureuses."

Quel aveu encore ! Ici, l’auteur ne cherche même pas à donner le change sur la politique déjà menée. En écrivant comme s’il partait de zéro, il donne raison à Nicolas Hulot d’avoir démissionné et ne prétend même pas que son successeur Rugy ait entrepris la moindre action.

S’agissant de l’avenir, les "solutions concrètes" se bornent au remplacement des vieilles voitures et des chaudières anciennes : on croirait lire les annonces faites en catastrophe par Édouard Philippe à quelques jours du premier samedi des Gilets, dans l’espoir d’étouffer le mouvement dans l’oeuf.

Puis il est question des "solutions pour se déplacer, se loger, se chauffer, se nourrir" afin d’"accélérer notre transition environnementale". Le grand absent ici est l’aménagement du territoire, tant français que mondial, pour redéployer l’activité au plus près des habitants. Une question jusqu’ici ignorée des conférences internationales sur le climat. Dame, si les multinationales ne sont plus libres d’investir où cela leur chante, où va-t-on ? En attendant, ce sont les oiseaux qui chantent de moins en moins.

 

La lorgnette n’est toujours pas dirigée du bon côté lorsqu’on lit :

"Comment devons-nous garantir scientifiquement les choix que nous devons faire [à l’égard de la biodiversité] ? Comment faire partager ces choix à l’échelon européen et international pour que nos agriculteurs et nos industriels ne soient pas pénalisés par rapport à leurs concurrents étrangers ?"

Ce n’est pas trop tôt pour parler de l’Europe ! Hélas, elle n’est mentionnée que pour absoudre les reculades françaises, par exemple sur l’interdiction du glyphosate ou le contrôle des OGM, en suggérant que, sans des accords internationaux, on ne peut rien faire.

 

Enfin, il (...) nous faut redonner plus de force

à la démocratie et la citoyenneté.

("à la démocratie et la citoyenneté" : quel niveau de français !)

 

"Être citoyen, c’est contribuer à décider de l’avenir du pays par l’élection de représentants à l’échelon local, national ou européen. Ce système de représentation est le socle de notre République, mais il doit être amélioré car beaucoup ne se sentent pas représentés à l’issue des élections."

Ici, le problème n’est pas trop mal posé. Quant aux solutions suggérées, il est à noter qu’elles ont peu à voir avec une certaine réforme constitutionnelle, que le scribe était sur le point de faire prévaloir à grandes enjambées de ses "godillots", quand l’affaire Benalla (que rien n’évoque ici, de près ni de loin) l’a obligé à colmater d’autres brèches. À peine retrouve-t-on son dada de la réduction du nombre des députés.

Les limites imposées au débat n’en sont pas moins sévères. Rien n’est dit du pouvoir présidentiel ni, à plus forte raison, du numéro de la République, alors même que, si certaines des mesures évoquées entraient en vigueur, elles justifieraient qu’on l’appelât Sixième. Il manque aussi le référendum révocatoire, permettant d’écourter le mandat des élus incompétents ou, par rapport à leurs engagements de campagne, excessivement amnésiques. On cherche tout aussi vainement une mention du lobbyisme des intérêts privés auprès des élus, que ce soit par la corruption (un mot absent) ou par la désinformation. Et surtout, peut-être, l’effort annoncé pour "rendre la participation citoyenne plus active, la démocratie plus participative" ignore entièrement la question du rééquilibrage entre la logique nationale ou "jacobine" et la prise en main de leurs affaires par les habitants.

Comme est ignoré le droit de manifestation, si utile pour parer aux abus gouvernementaux. J’ajouterai donc aux suggestions de ce point quatrième, et censément dernier, un modeste codicille :

Souhaitez-vous que, pour que force reste à la loi, la police mette en garde à vue les porteurs d’un vêtement que la loi rend obligatoire, et leur tire dessus sans sommation avec des armes en principe non létales, sauf regrettable malchance ?

 

C’est alors que l’immigration s’invite...

(et que, par une inflation semblable à celle des mousquetaires de Dumas, les quatre questions se retrouvent cinq)

 

"La citoyenneté, c’est aussi le fait de vivre ensemble. Notre pays a toujours su accueillir ceux qui ont fui les guerres, les persécutions et ont cherché refuge sur notre sol : c’est le droit d’asile, qui ne saurait être remis en cause. Notre communauté nationale s’est aussi toujours ouverte à ceux qui, nés ailleurs, ont fait le choix de la France, à la recherche d’un avenir meilleur : c’est comme cela qu’elle s’est aussi construite. Or, cette tradition est aujourd’hui bousculée par des tensions et des doutes liés à l’immigration et aux défaillances de notre système d’intégration.

Que proposez-vous pour améliorer l’intégration dans notre Nation ? En matière d’immigration, une fois nos obligations d’asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ? Que proposez-vous afin de répondre à ce défi qui va durer ?"

Le fossoyeur du plan Borloo ne manque pas de toupet. Car ce travail était déjà un "grand débat national", d’un meilleur aloi que celui qui s’annonce. Il regroupait, autour de l’ex-ministre, des maires de toutes tendances à la tête d’agglomérations de toutes sortes, pour accoucher de propositions tendant à une meilleure intégration, justement. La crise des banlieues n’est d’ailleurs évoquée ici qu’en filigrane.

Une politique de quotas ? Le projet en avait été esquissé par Sarkozy, dans le sens d’un écrémage des compétences du Tiers-Monde pour compléter celles qui manquaient à la France. C’est évidemment l’inverse qu’il faut faire... et que n’induisent pas les questions. Souhaitons que des suggestions intelligentes sur le développement économique des pays d’émigration éclipsent les considérations oiseuses que ne manqueront pas de nourrir les approches proposées.

 

La laïcité, raccordée de façon malsaine à l’immigration, ferme la marche :

"La question de la laïcité est toujours en France sujet d’importants débats. La laïcité est la valeur primordiale pour que puissent vivre ensemble, en bonne intelligence et harmonie, des convictions différentes, religieuses ou philosophiques. Elle est synonyme de liberté parce qu’elle permet à chacun de vivre selon ses choix. Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ? Comment garantir le respect par tous de la compréhension réciproque et des valeurs intangibles de la République ?"

Les valeurs de la République seront mieux gardées, avant tout, quand les autorités seront plus républicaines, les pouvoirs mieux séparés, les puissants punis à l’égal des gueux, et surtout quand le locataire de l’Elysée, soit par un changement de personne, soit par une conversion radicale de celui qui est en place, sera enfin conscient de ses devoirs envers tous, y compris sur le plan de la correction verbale. N’a-t-il pas, dans les jours mêmes où il rédigeait ce texte, trouvé encore le moyen de mettre en doute le "sens de l’effort" de "beaucoup trop de Français" ? Et dès le début de sa tournée de propagande, le 15 janvier, appelé à rendre "responsables" les pauvres "qui déconnent" ? 

En matière d’efforts, il lui reste, à lui, beaucoup à faire, et sa capacité dans ce domaine n’est pas encore démontrée.

François Delpla, le 15 janvier 2019.

 

François Delpla 2019

François Delpla (2014, photo : Paolo Verzone).

 

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12 mai 2018

« Macron, simple exécutant ? », par Henri Temple

Emmanuel Macron est aux affaires depuis un an. Quel bilan tirer de cette première année ? Qu’en penser, d’après telle ou telle grille de lecture ? Après Philippe Tarillon, ex-maire PS de Florange, j’ai demandé à Henri Temple, avocat et juriste spécialiste du droit économique, universitaire et citoyen engagé (il fut jusqu’à très récemment un haut cadre du mouvement Debout la France) d’évoquer pour Paroles d’Actu cette actualité, et de nous dire en quoi sa philosophie politique se distingue de celle portée par le Président. Il y a deux ans, M. Temple s’était déjà prêté, sur ma proposition, au jeu d’un article pour notre blog, à propos de questions constitutionnelles. Tout un programme... là encore, toujours amplement d’actualité... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Macron FR EU

E. Macron, président de la République. Source de la photographie : RFI.

 

« Macron, simple exécutant ? »

Par Henri Temple, universitaire et avocat.

Texte daté du 8 mai 2018.

 

Un an après son élection-surprise que reste-t-il d’Emmanuel Macron ?

Rien qu’on ne sache déjà depuis la mise en place du monde multilatéral et pyramidal post Maastricht/Marrakech. Il ne s’agit pas, ici, de dresser un simple catalogue et une appréciation de ce qui a été fait depuis un an, mais plutôt de se demander ce qui n’a pas été - et ne sera pas - fait pour sauver la France d’un profond déclin, voire de sa déchéance.

Emmanuel Macron est, à plus d’un titre, une personnalité étrange mais sans nul doute un habile calculateur. Pas si habile que cela toutefois, aidé qu’il fut par des adversaires lamentables qui lui ont offert une opportunité unique de s’imposer. On le créditera aussi - pour l’instant - d’un réel facteur chance et d’un talent rare de communiquant.

Il reste qu’il demeure, par nature, par carrière et par sa dépendance à ses soutiens, un exécutant qui ne voudra - ni d’ailleurs ne saurait - adopter les puissantes mesures de fond que les Français attendent, confusément, mais dans une immense frustration annonciatrice de colères sans frein.

 

Réforme démocratique. Alors que près de 60% des Français, écœurés, ne sont plus inscrits sur les listes électorales, ne vont plus voter, ou votent blanc ou nul, la grande urgence est de rétablir la République. Que leur dit le prochain projet de loi de réforme de la Constitution ? Des broutilles : interdiction aux ministres de cumuler leur poste avec des fonctions exécutives dans des collectivités territoriales. Ils seront donc plus disponibles et moins indépendants. Les anciens présidents de la République ne pourront plus siéger au Conseil constitutionnel... Modification du travail parlementaire. Un verrouillage en réalité : à l’avenir, seuls les projets et les propositions "justifiant un débat solennel" (sic) seront examinés. Les lois de finance seront votées plus vite... La Constitution va aussi fixer les principes fondamentaux de la loi en y inscrivant dorénavant la "lutte contre les changements climatiques". Réduction du nombre de parlementaires, limitation des mandats dans le temps et "dose de proportionnelle" (combien ?) aux législatives. Suppression de la
Cour de Justice de la République pour juger les ministres, avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations au parquet...Inscription de la Corse dans la Constitution...

 

« Il y a en France une caste de politiciens qui est hostile

à la vraie proportionnelle et au vrai référendum.

Et donc à la vraie démocratie... »

 

Or la seule vraie réforme que veulent vraiment les Français est celle de la voie référendaire. Leur actuelle anomie date de 2008 lorsque droite et gauche amalgamées au Congrès de Versailles avaient abrogé la Nation française en adoptant la réforme fédéraliste des institutions européennes que les Français avaient rejetée trois ans auparavant. Pour mieux abuser l’opinion publique on introduisit alors, dans la Constitution (article 11), un "référendum d’initiative partagée" avec des conditions de quorum telles (un dixième des parlementaires et... un dixième du corps électoral !) que depuis 10 ans ce mécanisme n’a jamais été obtenu, ni même tenté. Et ne le sera jamais. Or il y a en France une caste de politiciens qui est hostile à la vraie proportionnelle et au vrai référendum. Et donc à la vraie démocratie. Redoutant que cette vraie démocratie mette fin à leurs petites mais juteuses combines. Ainsi, ce qui est permis aux Suisses (1 à 2 référendum par an) et à d’autres nations est honni en France. La Suisse serait "petite" et la France trop grande pour cet exercice. Trop grande ? Ou trop abaissée...

La seule réforme constitutionnelle qui vaudrait serait de faire adopter (par référendum) l’abaissement de 1/10e à 1/20e le nombre des pétitionnaires pour inscrire dans le marbre le référendum d’initiative partagée.

 

Économie. La seule réforme que Macron ne fera jamais est la seule qui redonnerait sa substance industrielle et agricole à la France : un protectionnisme mesuré et de bon sens. Au lieu de se couvrir de ridicule (et nous couvrir de honte; voir les photos officielles de la Maison blanche) aux États-Unis, Emmanuel Macron a gâché la chance française et européenne de suivre le sillage du brise glace Trump. Les médias français (qui les possède financièrement ?) désinforment sans cesse nos concitoyens sur des sujets majeurs comme l’affaire de l’Ukraine et sur la politique économique américaine.

On en vient à infuser l’impression que Donald Trump serait une sot et/ou un fou qui dirige seul les États-Unis à coups de tweets... Or cette politique économique a un seul maître mot : la défense de l’intérêt américain. On aimerait que Emmanuel Macron s’en inspire. Comme on aurait aussi aimé que Chirac, Sarkozy, Hollande le fassent. Hélas. J’ai patiemment étudié la remarquable politique économique et fiscale du gouvernement Trump et me contenterai de renvoyer le lecteur à mes études de droit économique à ce sujet : Trump va-t-il détruire la mondialisation ? ; À Davos, Trump met fin au multilatéralisme absolu ; Le libre-échange, c’est la guerre commerciale ; Guerre commerciale : quand le monde s’éveillera, la Chine tremblera (Causeur).

 

Social. Toute notre société dépend de notre capacité à produire les richesses à partager; et donc à notre capacité de maintenir cette capacité. Quels que soient les moyens employés, la légitime défense est légitime, pourvu qu’elle reste proportionnée au péril.

Aussi toutes les questions d’équilibre budgétaire, de dette, d’impôts ou de CSG, de retraites, de santé, de salaires, d’école, d’armée, de moyens de la police et de la justice ne sont que des conséquences de cette cause première qui est l’affaiblissement continu de notre économie, causé par la sujétion à une Europe elle même auto-soumise à la mondialisation multilatérale.

 

Migrations. Terrorisme. Le débat public est, sur ce sujet, inhibé par la marge étroite que certains juges croient devoir lui laisser. Si le terme "immigration de masse" demeure encore impuni, ceux de "invasion migratoire" sont poursuivis. Et sont pénalement condamnés les propos affirmant que la France vit "depuis trente ans une invasion" et que "dans les innombrables banlieues françaises où de nombreuses jeunes filles sont voilées" se jouait une "lutte pour islamiser un territoire", "un djihad". Une cour d’appel vient d’estimer que ces deux passages "visaient les musulmans dans leur globalité et constituaient une exhortation implicite à la discrimination". En revanche, curieusement la cour n’a pas retenu trois autres passages d’une émission, pour lesquels un polémiste avait été condamné en première instance, pour avoir soutenu que "tous les musulmans, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas" considèrent les jihadistes comme de "bons musulmans".  La cour d’appel a estimé que ces passages ne comportaient "pas d’exhortation, même implicite, à la provocation à la haine, telle que la nouvelle jurisprudence" l’impose. Car la Cour de cassation décide, depuis juin 2017, qu’une "incitation manifeste" ne suffit pas à caractériser le délit et qu’il faut désormais "pour entrer en voie de condamnation" que les propos relèvent d’un "appel" ou d’une "exhortation". Sur ces sujets voir nos recensions de deux livres essentiels : Une exploration clinique de l’islamComprendre l’islamisme (pour mieux le combattre) avec Taguieff (Causeur). Ces livres savants ne disent-ils pas des choses "interdites" ?

En pratique, en dépit de quelques gestes administratifs, d’ailleurs ambigus, Emmanuel Macron ne se démarque pas des politiques permissives de ses prédécesseurs.

 

Politique internationale. Au demeurant même s’il l’avait voulu s’en démarquer, Emmanuel Macron accepte de demeurer assujetti aux politiques européennes sur les migrations et, plus généralement, à la misérable politique étrangère de la Commission bruxelloise ; en tous cas nuisible aux intérêts de la France. S’il en a une, Emmanuel Macron n’exprime jamais sa vue d’ensemble géopolitique pour proposer des idées neuves. On dit d’Emmanuel Macron  qu’il mène une politique étrangère "dans la continuité", ce qui est censé rassurer, faire sérieux. Hélas, c’est-à-dire comme depuis 40 ans : ni lucidité ni anticipation, ni indépendance, ni leadership, ni habileté, ni saisie des opportunités.

Le Brexit aurait été, par exemple, une belle occasion pour repenser la construction européenne, y maintenir ainsi le Royaume-Uni, respecter les demandes des nations pré-dissidentes (les quatre du groupe de Višegrad : Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie ; et désormais les Pays-Bas, l’Autriche, l’Italie) pour redonner confiance en l’Europe aux opinions publiques.

En Afrique en lutte pour la paix, la sécurité, le développement, Emmanuel Macron, pas plus que ses prédécesseurs, n’a su entendre, au-delà des faits djihadistes, les appels des populations du nord Mali (une zone plus grande que France) à un respect culturel, économique, social et démocratique. La France avait pourtant toutes les cartes en main après sa victoire militaire. On maintient donc, depuis lors, tout l’Azawad dans les frustrations qui alimentent les rebellions.

 

« Pourquoi ne consacre-t-on jamais de moyens, dans le cadre

de la coopération et du développement, au co-développement

des PME industrielles ou agricoles, là où se créent les emplois

qui stabilisent les générations migrantes ? »

 

Le 8 février 2018, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a rendu publiques ses préconisations pour le développement économique de l’Afrique dont tout le monde proclame qu’il est indispensable à l’équilibre de notre partie du monde. Ce relevé de conclusions, c’est l’ancien monde calcifié : les priorités affirmées ce sont surtout, outre l’éducation, l’accord de Paris et l’égalité femmes/hommes. Les cadres politiques choisis pour ces actions sont Bruxelles, les structures multilatérales, les fondations. Un travail sans créativité. Beaucoup d’argent dépensé mais rien sur le co-dévelopement des PME industrielles ou agricoles, là où se créent les emplois qui stabilisent les générations migrantes. Parmi les pays bénéficiaires de nos impôts, il y a l’Éthiopie, la Gambie et le Liberia (du nouveau président-footeux George Weah), anglophones ; mais pas le Cameroun francophone, de la ligne de front contre Boko Haram.

En Europe et au Moyen-Orient, des mouvances politiques nouvelles se constituent : Russie-Turquie-Iran (accords d’Astana), face aux USA-Arabie-Israël. Des face-à-face militaires inédits (turco-américain, notamment) produisent chaque jour des renversements inopinés d’alliances ou d’hostilités.

La France est bien incapable de faire des choix audacieux. Souvenons-nous que François Mitterrand et Jacques Chirac avaient été incapables de prendre, en ex-Yougoslavie, des positions conformes à l’intérêt national. La France pourrait pourtant, en infléchissant la "stratégie" bruxelloise vis-à-vis de l’Ukraine, retourner la Russie et négocier avec les États-Unis pour proposer des solutions politiques innovantes et durables, en Ukraine et en Syrie. Neutralité, fédéralisation, démocratisation et paix en Ukraine. En Syrie/Irak, en finir avec les accords Sykes-Picot et créer enfin les conditions d’une paix ethnico-religieuse au Moyen-Orient.

Mais pour cela il eût fallu une philosophie politique d’une autre hauteur de vues et qui sache tenir compte des réalités et des aspirations humaines, des volontés de vivre (ou de ne pas) vivre ensemble que seules savent incarner les nations démocratiques. Pour un développement de ces analyses : La France n’a aucune stratégie géopolitique (Causeur).

 

Henri Temple

M. Temple interviendra lors d’une conférence-débat à l’Assemblée nationale le 24 mai prochain,

sur le thème : "Demain: quelle monnaie pour quel monde ?". Infos ici.

 

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06 mai 2018

« Le nouveau monde, un an après », par Philippe Tarillon

Philippe Tarillon a été le maire socialiste de Florange (Moselle) de 2001 à 2014. De sa position d’observateur très au fait des questions démocratiques et de gouvernement, il a assisté comme nous tous à l’émergence objective, sinon d’un monde nouveau, en tout cas d’un paysage politique complètement recomposé suite à l’élection d’Emmanuel Macron. Militant, il a aussi assisté, dans la douleur, à l’effacement quasi total de sa famille politique, le PS, qui incarna quarante années durant la gauche dite de gouvernement. Comme il y a un an, après la fin de la saison électorale de 2017, il a accepté la proposition que je lui ai faite de coucher sur papier numérique ses réflexions quant aux douze derniers mois, décidément pas tout à fait comme les autres. Qu’il en soit, ici, remercié. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

E

E. Macron, président de la République. Source de la photographie : Atlantico.

 

« Le nouveau monde, un an après »

Par Philippe Tarillon, ancien maire

socialiste de Florange (2001-14).

Texte daté du 6 mai 2018. 

 

À la demande de Nicolas Roche pour Paroles d’Actu, je livre mes impressions un an après l’élection d’Emmanuel Macron.

C’est le regard d’un observateur engagé, socialiste déçu, meutri par certains choix et certains comportements, mais resté fidèle, toujours «  hollandais  » de cœur, malgré les déceptions d’un quinquennat que l’histoire jugera sans doute avec plus d’équité et qui ne peut se résumer au goût d’inachevé, voire de gâchis qu’on en a retenu.

L’an dernier, j’ai voté et avais appelé à voter Emmanuel Macron au second tour. Même s’il n’y avait pas de danger d’une victoire de Marine Le Pen au second tour, il était important, comme en 2002, que le score de l’extrême-droite soit le plus faible possible, ne serait-ce que pour l’image de la France. J’ajoute, plus localement, au vu du score élevé que le FN avait obtenu au premier tour dans ma commune, que je ne voulais pas que Florange fasse, à nouveau, la une des medias en devenant une commune symbolique qui accorderait la majorité à l’extrême-droite. Nous avons pu éviter cela, même si le FN y a obtenu un score élevé, à plus de 41% au second tour. Pour en finir sur le local, je note que le barrage à l’extrême-droite n’a pas bénéficié, à la différence de ce que j’avais fait en 2002, du moindre geste républicain du «  plus jeune maire (filloniste) de France  », élu par le conseil municipal en décembre 2016.

« J’ai gardé un goût de cendre envers tous ces "barons noirs"

qui ont lâché le candidat officiel du PS, ont soutenu Macron,

allant jusqu’à quémander une investiture aux législatives. »

Contrairement à bien d’autres, je n’avais pas rallié Macron au premier tour, faisant campagne pour Benoit Hamon, quand bien même celui-ci n’avait pas été mon candidat au premier tour des Primaires de la gauche. C’était là aussi une leçon de loyauté, car, quand on est membre d’un parti politique, la moindre des choses est de soutenir son candidat, tout particulièrement quand sa désignation est le fruit d’un processus démocratique. J’ai gardé un goût de cendre envers tous ces «  barons noirs  » au sein de l’appareil socialiste, qui, plus ou moins discrètement, ont lâché le candidat officiel du PS, ont soutenu Macron, allant jusqu’à quémander une investiture aux législatives. Le comble est qu’aujourd’hui beaucoup de ces gens continuent à tirer les ficelles au sein du PS et cherchent à se refaire une virginité en étant, selon la formule consacrée, «  plus à gauche que moi, tu meurs  ».

Au-delà du principe de fidélité, j’avais refusé au premier tour à la fois les sirènes macroniennes et l’impasse mélenchoniste, ce que le candidat de La France insoumise avait appelé la tenaille.

Je n’insisterai pas davantage sur le rejet de l’illusion tribunitienne de Jean-Luc Mélenchon car elle représente une impasse totale dans un contexte européen que la France ne peut ignorer, sauf à tourner le dos aux réalités. Même si la France n’est pas la Grèce, Tsipras a illustré ce qu’il en coûte d’aller dans ce sens.

« Macron partage sur bien des points le logiciel

idéologique de la droite, qui est devenu, il faut bien

le reconnaître, l’idéologie dominante. »

Le sujet de ce papier, c’est Macron, puisque c’est lui qui détient tous les leviers du pouvoir jusqu’en 2022. J’ai refusé à l’époque sans hésiter ses «  sirènes  », au-delà d’un discours souvent habile et d’une campagne dynamique. Je l’ai récusé en prenant en compte la réalité d’un programme d’inspiration libérale, et disons-le, partageant sur beaucoup de points le logiciel idéologique de la droite, devenu, il faut bien le reconnaître, l’idéologie dominante. C’est une pensée où le mot «  réforme  » devient synonyme de régression sociale, où les droits nés de longues luttes sont décrits comme des archaïsmes voire des privilèges, ou bien encore, au service public, on préfère la concurrence, naturellement «  libre et non faussée  ».

De ce point de vue, je reconnais à Macron qu’il ne m’a pas déçu. Il applique son programme et sa politique est à l’image de celui-ci  : «  et de droite, et de droite  ». Cela est particulièrement vrai pour la politique fiscale, qui, entre l’augmentation de la CSG qui touche durement de petits retraités et les nombreux «  cadeaux  » faits aux plus privilégiés, ont établi durablement l’image d’un «  Président des riches  ». Il en est de même pour la politique sociale, où les Ordonnances sur le code de travail poursuivent le chemin hélas ouvert par la loi El Khomri, au nom de la flexibilité.

Certes, le macronisme n’est pas que cela. Je reconnais au Président qu’il est brillant et volontaire, qu’il est un bon tacticien, avec le sens de la formule. Son «  en même temps  » et son «  ni gauche, ni droite  » ont bénéficié d’un contexte où l’un et l’autre camp qui ont alternativement gouverné le pays depuis près de quatre décennies souffrent d’un profond discrédit, semblent avoir échoué les uns et les autres et ont été incapables de renouveler à temps leurs visages et leurs discours.

Emmanuel Macron n’est pourtant avant tout que le produit de circonstances exceptionnelles, au point qu’on a pu parler d’un alignement des planètes. Qui aurait pu imaginer François Fillon englué dans les affaires ou encore François Hollande empêché de se représenter, ouvrant ainsi la voie à jeune candidat encore inconnu deux ans auparavant ?

Quant au rejet du clivage droite-gauche, opportun au regard de la perception de l’opinion publique pour qui il s’est peu à peu brouillé, la formule «  ni de gauche, ni de droite  » me fait naturellement penser à ce qu’en disait dès 1925 le philosophe Alain (1868-1952) : « Quand on me demande si la division entre partis de droite et de gauche, entre gens de gauche ou de droite, a encore une quelconque signification, la première chose qui me vient à l’esprit est que quiconque pose la question n’est certainement pas de la gauche.  » (Éléments d’une doctrine radicale).

« Sur le plan sociétal, il ne semble pas que ce soit clairement

tranché entre une ligne progressiste, et la tentative d’apaiser

les franges les plus conservatrices de l’opinion. »

Dans d’autres domaines, les choses sont plus nuancées. Sur le plan sociétal, il ne semble pas que ce soit clairement tranché entre une ligne progressiste, prolongeant ce qui a été acquis lors du quinquennat Hollande et la tentative d’apaiser les franges les plus conservatrices de l’opinion, comme en témoigne le stupéfiant discours du président de la République devant les évêques de France. L’Assemblée nationale vient en outre d’adopter un texte qui fait, dans presque tous les domaines, reculer les droits des migrants et des demandeurs d’asile. Ce texte a d’ailleurs, pour la première fois, réveillé quelques consciences au sein d’une majorité jusque-là aux ordres.

Il reste aussi à savoir, au-delà de la tactique, jusqu’où ira la moralisation de la vie politique. Les premiers textes sont clairement décevants, avec notamment une dose de proportionnelle annoncée mais qui sera très symbolique. L’Assemblée Nationale est muselée comme aux temps les plus classiques de la Vème République et il n’y aura pas de frondeurs chez les Marcheurs. Le point-clé à mes yeux sera la volonté de mener à bout la limitation du cumul des mandats dans le temps, qui permettra un profond renouvellement de la classe politique.

J’ajoute enfin qu’il est des domaines où l’action, ou au moins le discours du Président de la République, suscitent un réel intérêt. Il a su par exemple trouver les mots pour que soit mené à terme le processus dit de Matignon en Nouvelle-Calédonie. Il en est de même sur la relance de la construction européenne ou encore quand il faut faire preuve de fermeté, au moins symbolique, face à l’usage de l’arme chimique par le dictateur syrien. Cela ne veut pas dire que la politique étrangère et européenne de Macron suscite une adhésion d’ensemble, mais chaque avancée mérite d’être relevée.

Alors, quel futur pour le macronisme ?

Il faut d’abord dire qu’il continue à bénéficier du paysage politique qui a fait son succès de 2017. L’extrême-droite se remet mal de la prestation catastrophique de sa championne au second tour de l’élection présidentielle. La droite parlementaire a fait le choix du repli conservateur, incarné par la ligne Wauquiez, libérant ainsi un boulevard pour le centre macronien. La gauche est éclatée, entre un parti socialiste qui se remet difficilement d’une débâcle historique et une France insoumise, dotée d’un leader charismatique, mais tellement clivant qu’il ne saurait être le rassembleur capable de porter une stratégie d’alternance.

Du point de vue du mouvement social, face à des syndicats divisés et affaiblis, Macron semble réussir à faire passer en force ses réformes d’une ampleur, je dirai d’une brutalité inédite. Il bénéficie en outre de l’impact sur l’emploi d’une conjoncture économique plutôt favorable et des effets des mesures structurelles prises sous le quinquennat précédent en faveur de la compétitivité de l’économie.

« Sans réelle opposition forte, Macron jouit d’un contexte

très favorable. Cela étant, il serait bien inspiré de freiner

sa tendance naturelle à une certaine arrogance... »

Ce contexte si favorable ne devrait pourtant pas aveugler le président de la République, qui devrait freiner sa tendance naturelle à une certaine arrogance. À cet égard, il devrait méditer les leçons de la consultation récente du personnel d’Air France, qui semble montrer qu’il n’est pas forcément bon de chercher à contourner la démocratie représentative.

De même, il devrait cesser cette politique, certes engagée avant lui, consistant à étouffer la démocratie locale par le biais du garrot financier.

Emmanuel Macron est arrivé à la tête du pays avec une image de réformateur dynamique. Et pourtant, comme l’a dit le nouveau Premier Secrétaire du PS, Olivier Faure, «  on attendait Mendès-France, on a eu Giscard d’Estaing  ».

Nul ne peut imaginer où ira le pays dans la suite du quinquennat et au-delà. Il ne faut pas cacher qu’un profond mécontentement existe, d’autant plus inquiétant que, s’il s’exprime, il n’aurait pas de traduction syndicale et encore moins politique. La situation serait alors difficilement contrôlable et ferait le lit des populismes, des deux côtés de l’échiquier politique.

Le pire, heureusement, n’est jamais sûr. Mais pour l’éviter il serait bon que le président de la République ne s’abandonne pas à l’arrogance de ses succès, rééquilibre sa politique vers plus de justice sociale et redonne plus d’espace aux corps intermédiaires, au Parlement, aux contre-pouvoirs. Ce n’est pas ce qui dessine à ce jour, mais n’avons-nous pas le devoir de l’espoir et de l’optimisme ?

« Je ne désespère pas que puisse se reconstruire une force

de progrès qui aspire à gouverner le pays et à le rendre

plus juste, tout en tirant les leçons du passé... »

En ce qui me concerne, ayant donné la priorité de mon engagement politique à l’action locale, je ne désespère pas pour autant que puisse se reconstruire une force de progrès qui aspire à gouverner le pays et à le rendre plus juste, tout en tirant les leçons du passé. C’est loin d’être gagné et cela prendra du temps, beaucoup de temps. Cela vaut pourtant la peine d’y croire et d’y contribuer.

 

Philippe Tarillon 2018

 

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