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Paroles d'Actu
19 avril 2020

Pierrick Louviot, pharmacien : « Je suis fier d'être en première ligne face au coronavirus »

Parmi tous les soignants, dévoués et qui, toujours, contribuent au quotidien à la bonne santé de tous, parfois simplement en les rassurant, il en est qu’on oublie parfois de citer, ce sont les pharmaciens. Eux aussi sont en première ligne, et face à la pandémie de Covid-19, destructrice et angoissante, ils sont sur le pont. Je suis heureux de donner la parole à Pierrick Louviot, jeune pharmacien lyonnais (l’entretien date du 13 avril)  il nous raconte son métier, son quotidien et s’exprime sur quelques grands enjeux du moment, avec la bienveillance du soignant, un métier décidément pas comme les autres. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Pierrick Louviot: « Je suis fier d'être, comme pharmacien,

en première ligne face au coronavirus. »

Pharmacie

@AFP

  

Pierrick Louviot bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Vous êtes pharmacien dans la région lyonnaise. Déjà, pourquoi avoir choisi cette profession, finalement assez méconnue, qu’est-ce qu’elle implique, et quel a été votre parcours ?

Bonjour et merci de me recevoir. J’ai choisi la profession de pharmacien pour laquelle j’ai toujours eu, au cours de mon enfance, une attirance que je ne saurais expliquer - une attirance pour les métiers du soin sans doute. Au fil des années, cette vocation s’est concrétisée, et j’ai confirmé mon choix de devenir pharmacien d’officine. Le pharmacien est un professionnel de santé à part entière - il est d’ailleurs très souvent le premier auquel s’adressent les patients. J’aime beaucoup mon métier qui associe des connaissances médicales et scientifiques poussées, avec un contact humain très important. C’est un métier qui requiert de la bienveillance de la part de celui qui l’exerce. Il faut vraiment aimer aller vers l’autre, et savoir le faire.

 

« Notre complémentarité avec les médecins est essentielle. »

 

J’insiste sur le fait que nous mettons tout en œuvre pour assurer le meilleur respect possible du parcours de soin, et de l’expliquer au patient. Le diagnostic médical relève de l’exercice du médecin, spécialiste de la partie clinique. C’est en conséquence lui qui prescrit les traitements. Le pharmacien est quant à lui un spécialiste du médicament. Nous veillons scrupuleusement à la cohérence de la prescription, et il nous arrive souvent de communiquer avec nos confrères médecins. Nous apprenons beaucoup les uns des autres, les rôles de chacun sont bien définis et nos missions évidemment complémentaires. Notre objectif est le même : soigner les patients.

Ma profession exige de la rigueur, de l’empathie, de solides connaissances médicales. Il est fondamental, encore une fois, d’être tourné vers le bien-être du patient. Nous sommes là pour assurer ses soins. Nous sommes souvent amenés à poser des attelles ou des orthèses avec précision. Nous devons donc être régulièrement formés sur chaque technique nouvelle. Il faut aussi rappeler que la pharmacie d’officine est un commerce, réglementé, ce qui fait que nous devons maîtriser des compétences de gestion et de management. C’est un métier très polyvalent.

Pour ce qui est de mon parcours, il est assez classique. Je suis passé par la PACES (Première année commune aux études de santé, ndlr) à la faculté de médecine et de pharmacie de Lyon en 2012. À l’issue du concours, je me suis orienté vers la filière pharmacie, qui suppose six années d’études au total.

 

Comment vivez-vous, comme professionnel mais peut-être aussi à titre personnel, cette crise sanitaire majeure et à bien des égards inédite du Covid-19 ? Y a-t-il eu, dans votre officine et dans celles dont vous avez connaissance, des tensions particulièrement vives sur certains médicaments ou matériels ? L’angoisse des clients est-elle perceptible au quotidien ?

Absolument ! En tant que professionnels de santé, nous sommes en première ligne face au coronavirus. Nous avons dû anticiper la crise en tâchant d’avoir un stock suffisamment conséquent de matériels de protection pour notre équipe, ainsi que pour les soignants. Nous avons dû prendre des mesures de sécurité et d’hygiène très strictes, qui semblent porter leurs fruits car nous n’avons aucun cas déclaré au sein de notre équipe et je m’en réjouis.

Pour en venir à votre question sur les tensions d’approvisionnement, il s’agit là d’un énorme problème, mais qui a débuté bien en amont de la crise sanitaire que nous vivons. Depuis 2017, de nombreux médicaments, de toutes classes thérapeutiques, viennent à manquer, ce qui nous mène parfois à des impasses thérapeutiques pour les patients, ce qui peut être grave. Pour vous citer un exemple récent, l’année 2019 a été marquée par des tensions très fortes quant à l’approvisionnement de spécialités à base d’anti-inflammatoires de la famille des corticoïdes. Cette situation, l’une des plus marquantes, a duré de nombreux mois. De plus, les corticoïdes sont très largement prescrits en France, il a fallu mettre en place une bonne communication avec les médecins pour parvenir à trouver un compromis pour les patients. Évidemment, ces situations de ruptures de stock sont graves, et la tendance n’est malheureusement pas à leur diminution.

Pour en revenir à la crise Covid-19, la demande de matériels de protection, masques, gels désinfectants, gants, éthanol à 96°, a littéralement explosé. Il en va de même pour les thermomètres, ainsi que pour les spécialités à base de paracétamol.

 

« Nous avons affaire à une patientèle affolée et déboussolée

qui ne peut se procurer des masques... »

 

Nous sommes tous conscients aujourd’hui de la situation ô combien complexe des masques, où nous avons affaire à une patientèle affolée et déboussolée qui ne peut se procurer des masques. La réglementation évolue de jour en jour, mais à l’heure actuelle, la vente de masque est toujours formellement interdite au grand public. Le peu de masques que nous recevons sont des dotations qui sont destinées à être distribués exclusivement aux soignants. Il y a d’ailleurs des quotas à respecter et une traçabilité très stricte à ce sujet.

Autre problème, il devient difficile de pouvoir fournir le Plaquenil à nos patients atteints de lupus. Nous avons en effet plusieurs patients atteints de ces maladies auto immunes, pour lesquels l’hydroxychloroquine fait partie intégrante de l’arsenal thérapeutique. Nous parvenons à conserver un stock, mais les tensions sur ce médicament sont très fortes. Nous faisons notre possible pour le réserver à nos patients qui souffrent de ces pathologies. D’autre part, sachez que les modalités de prescription du Plaquenil ont été redéfinies dernièrement par Olivier Véran.

Nous sentons une certaine angoisse chez nos patients, c’est vrai, mais nous nous réjouissons de les voir appliquer les gestes barrières, essentiels. En tant que soignant, nous les traitons comme nous le faisons habituellement, c’est notre métier et il n’est pas question de procéder autrement. Nous sommes protégés et nous prenons des précautions maximales. Nous avons aussi un rôle à jouer en leur rappelant l’importance fondamentale des gestes barrières.

 

En tant que pharmacien, maîtrisant évidemment bien la question de l’administration de médicaments, celle du dosage, celle des associations possibles et des contre-indications, quel regard portez-vous sur la manière dont on gère les malades, graves comme moins graves, du Covid-19 aujourd’hui ? Un avis quant à l’hydroxychloroquine ?

Il s’agit là d’un sujet épineux. En tant que professionnel de santé, je tâcherai d’être le plus impartial possible.

Il faut tout d’abord rappeler que le Covid-19 est une maladie infectieuse des voies respiratoires, provoquées par un agent infectieux, le SARS-CoV2, vulgairement appelé « coronavirus » (rappelons qu’il existe d’autres espèces de coronavirus tout à fait bénignes). Le grand obstacle pour nous, soignants, c’est qu’il s’agit d’une pathologie nouvelle dont nous ne savons pas tout et dont nous apprenons tous les jours. Nous savons que la maladie est contagieuse, qu’elle se transmet par gouttelettes, (expirations, toux, éternuements) et qu’elle touche principalement les voies respiratoires basses. Notez que des symptômes de type neurologiques (comme la perte d’odorat), gastro-intestinaux, ou encore dermatologiques, ont été rapportés.

La triade de symptômes la plus fréquente se compose de la fièvre, d’une toux sèche, et d’une difficulté à respirer qui peut aller jusqu’à la détresse respiratoire.

La prise en charge des patients « non graves », sans facteurs de comorbidité, est relativement simple. On préconise un retour au domicile avec un isolement total. Nous traitons les symptômes par du paracetamol. J’en profite pour rappeler aux lecteurs que les anti-inflammatoires comme l’ibuprofène, le kétoprofène ou les corticoïdes sont fortement déconseillés à l’heure actuelle !

Bien heureusement, dans la grande majorité des cas, l’évolution de la maladie est favorable et le patient guérit spontanément au bout de quelques jours. Il est en revanche hautement contagieux, l’isolement social est donc capital.

Pour les cas graves, le parcours de soin se déroule à l’hôpital. Les traitements actuels sont des traitements symptomatiques qui répondent à l’insuffisance pulmonaire : oxygénation des patients, voire, une mise sous respirateur artificiel. Ces traitements symptomatiques sont d’une extrême importance pour pallier à la détresse respiratoire causée par le virus.

 

P

 

Venons-en aux traitements en cours d’élaboration. Les plus médiatiques d’entre eux, l’hydroxychloroquine et la chloroquine, sont vantés par le Pr Raoult, qui a conduit de son propre chef une étude, où des résultats de prime abord satisfaisants ont été obtenus. Le Pr Raoult a couplé dans les cas graves l’hydroxychloroquine avec 250 mg d’azithromycine - un antibiotique de la famille des macrolides - par jour pendant six jours.

Ses études semblent prometteuses, mais elles ont provoqué une farouche levée de bouclier du corps médical, qui remet en cause les manières et les méthodes avec lesquelles a été conduite l’étude. En effet, dans le monde médical, les médicaments doivent suivre des essais cliniques obéissant à des critères de qualité drastiques, pour démontrer une efficacité et une innocuité sur le patient. On parle de balance bénéfice-risque favorable.

Il est donc reproché au Pr Raoult d’avoir tiré des conclusions trop hâtives sûr l’efficacité de ces médicaments, et que ses études n’étaient pas statistiquement significatives pour conclure à un intérêt clinique pour faire face à la maladie Covid19. En revanche une grande partie des détracteurs de la chloroquine semblent avoir ignoré un ennemi de taille : le temps. En effet, la chloroquine et ses dérivés sont commercialisés depuis 1949. Nous connaissons donc ses contre-indications et ses effets indésirables depuis des décennies. Bien évidemment, je déconseille formellement toute automédication. Un patient doit toujours être suivi par un médecin compétent en infectiologie.

 

« La médecine moderne s’auto-censure par des normes

de sécurité qui sont certes, indispensables, mais qu’il faut

savoir reconsidérer en "temps de guerre". »

 

Je trouve cependant dommage, que la bride soit aussi serrée autour de la chloroquine. Voyez-vous, la médecine moderne s’auto-censure par des normes de sécurité qui sont certes, indispensables, mais qu’il faut savoir reconsidérer en "temps de guerre". Ainsi, nos protocoles d’essais cliniques, aussi fondamentaux soient-ils en temps normal, sont appliqués ici sûr une molécule connue depuis presque 70 ans. Nous connaissons ses effets indésirables. Je déplore ce que j’appellerais une perte de chances. Tout médecin a les compétences pour savoir si son patient peut bénéficier ou non d’un tel traitement, en écartant les contre-indications médicales. La chloroquine a été distribuée très massivement par le passé contre la malaria, sans que ses effets secondaires ne créent la polémique.

Je ne peux pas affirmer aujourd’hui si la chloroquine est efficace ou non. En revanche, je peux dire qu’il est regrettable en matière de perte de chances, de se priver d’un médicament qui semble donner de très bons résultats, avec une toxicité faible. Le haut conseil de la Santé publique est paralysé par ses propres mesures draconiennes pour approuver le traitements. Mesures que nous devrions pouvoir lever dans les cas exceptionnels tels que nous le vivons.

De nombreuses vies, auraient déjà sans doute pu être sauvées.

D’autres essais sont en cours : l’essai européen Discovery, qui teste du plasma de patient guéri, du Kaletra (médicament contre le VIH) ainsi qu’un antiviral utilisé dans le virus Ebola, mais il est trop tôt pour se prononcer quant à ces protocoles de traitement.

 

La question du rapatriement en France de la production des médicaments essentiels, éminemment stratégique, se pose de manière insistante en ce moment, et c’est bien compréhensible. Quel est votre avis sur la question : les inquiétudes quant à notre dépendance envers d’autres nations sont-elles justifiées, et une partie de notre sécurité sanitaire dépend-elle de notre capacité à assurer notre indépendance dans la confection des médicaments ?

 

« Produire des médicaments en France est

logistiquement complexe, mais c’est fondamental. »

 

Tout à fait ! Il s’agit là d’un fait que nous subissons de plein fouet à l’heure actuelle. Les tensions d’approvisionnement des médicaments se multiplient ces dernières années. Heureusement, nous avons bien entendu des sites de production dans l’Hexagone, mais il est vrai que nous sommes très fortement dépendants des médicaments ou du moins des matières premières venues principalement d’Asie. La crise que nous traversons illustre très bien les inquiétudes qui me semblent pleinement justifiées. La pandémie touche le monde entier. Le monde entier a besoin de médicaments, y compris ces mêmes pays qui les produisent, comme l’Inde par exemple. J’estime que nous avons une leçon à tirer de cette crise, et qu’il est important d’assurer au mieux notre indépendance quant aux médicaments essentiels. Produire en France est logistiquement complexe, mais c’est fondamental. La France a les moyens financiers et humains de le faire, avec de nombreux pharmaciens industriels. Relocaliser notre production de médicaments est pour moi une priorité évidente.

 

Votre officine travaille-t-elle habituellement avec les hôpitaux ? Est-ce que, sur ce point, les choses ont changé depuis le début de la crise, et êtes vous davantage sollicités par le milieu hospitalier pour vos stocks (je pense aux besoins en sédatifs en particulier) ?

Nous ne travaillons pas particulièrement avec les hôpitaux, si ce n’est pour leur fournir des produits de contraste pour l’imagerie médicale. En revanche, nous sommes extrêmement sollicités par le personnel hospitalier qui manque cruellement de moyens de protection et qui espère en trouver en pharmacie. Nous sommes sollicités pour les masques. Pour ce qui est des sédatifs d’anesthésie-réanimation, il s’agit là de médicaments particuliers qu’on appelle des médicaments de réserve hospitalière, et qui ne peuvent être détenus que dans les pharmacies internes des hôpitaux. Nous ne sommes donc pas concernés par ce point.

 

Êtes-vous de ceux qui réussissent, faisant abstraction de ce que la situation a de dramatique, à trouver des vertus à ce confinement forcé ? Cette question dépasse un peu le cadre médical, mais croyez-vous que cette crise va nous changer, au moins un peu, dans la manière dont on aborde nos rapports à nos aînés, le temps à employer, notre environnement et le sens des priorités ?

J’ai la chance de pouvoir travailler pendant le confinement et je suis d’ailleurs très fier d’être en première ligne et de participer à la lutte contre le coronavirus. Je pense que, pour chacun d’entre nous, c’est un moment pour se recentrer sur soi, pour méditer, ou bien pour faire des activités à la maison pour lesquelles le temps manquait. J’encourage les gens à lire et à se cultiver. C’est un moment privilégié pour le faire. Je ne suis pas un fan des chaînes d’information en continu, qui sapent le moral des Français.

Effectivement, je pense qu’un retour au « monde d’avant » n’est pas prêt d’arriver. Il est clair que nous tirerons des leçons. Nous avons appris des choses, adopté des réflexes qui nous seront utiles dans le futur, comme les gestes barrières par exemple. Je redoute l’après car bon nombre de choses changeront. L’emploi, le transport... et, en effet, la crainte de contaminer nos aînés.

Le point positif que nous pouvons en tirer est un nouveau rapport à notre environnement que l’on a été contraint d’adopter. Cependant, il est évident que ce qui constitue la base de la vie humaine, la relation sociale, pilier de la santé mentale, en sera altérée pour plusieurs mois. J’espère que nous trouverons rapidement des solutions à ce problème.

 

Les marques et gestes de remerciement pour les soignants, à 20h mais pas que, de la part de larges franges de la population, c’est quelque chose qui vous fait chaud au cœur ? Votre engagement à servir les autres par le soin est-il renforcé, en ces moments-là ?

Les gestes de remerciements nous font toujours plaisir, c’est un soutien précieux et nous remercions les Français. Mais on ne le répètera jamais assez, le meilleur moyen de nous remercier et de nous aider, c’est de respecter le confinement, afin qu’il soit efficace et le plus court possible. Bien évidemment, nous sommes toujours honorés de servir un patient qui nous remercie. Soigner les patients, c’est notre métier. Après, je n’ai pas l’impression d’être un héros. Je fais mon travail de la manière la plus professionnelle possible, avec ou sans coronavirus.

 

À l’heure où le tout-numérique et la dématérialisation gagnent du terrain, parfois à marche forcée, quelles perspectives, réjouissantes ou inquiétantes, selon votre point de vue, quant au futur de votre métier de pharmacien ?

Le numérique est à la fois une force et un danger. Ce sera à nous, pharmaciens de demain, de faire fructifier les bénéfices du numérique tout en évitant les dérives. La téléconsultation est une excellente avancée je trouve. Certaines applications aident des patients atteints de pathologies chroniques à gérer au mieux leur maladie.

 

« Nous sommes des professionnels de contact et de soin,

deux choses que le numérique ne pourra jamais remplacer. »

 

Cela dit, le numérique m’inquiète également. Je crains d’assister au démantèlement sauvage du métier de pharmacien. Nous sommes des professionnels de contact et de soin, deux choses que le numérique ne pourra jamais remplacer totalement.

 

Quelque chose à rajouter, pour nos lecteurs ?

Je vous remercie de m’avoir interrogé. Je souhaite à tous du courage pour terminer le confinement, et que chacun garde espoir car nous allons vaincre ce virus. Restez chez vous, pensez aux gestes barrières, et prenez soin de vous et de vos proches.

 

Pierrick Louviot

 

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14 avril 2020

Rodolphe Lelaidier, anesthésiste-réanimateur : « Notre job : faire varier de quelques degrés la trajectoire des événements »

J’ai la joie et le privilège, pour ce deuxième article en deux jours consacré à la crise du Covid-19, de donner la parole à Rodolphe Lelaidier, jeune anesthésiste-réanimateur exerçant à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon. Malgré ses emplois du temps des plus chargés, comme on l’imagine aisément en ce moment, il a accepté, le 12 avril, de répondre à mes questions. L’article qui suit constitue une immersion dans un milieu, celui de la réanimation, qui est peu connu - et c’est tant mieux, si vous n’avez jamais eu à le fréquenter de trop près. Un témoignage pétri d’humanité. Précieux. Qui nous fait découvrir les coulisses de ces services ; le travail de ces hommes et de ces femmes qui, au mépris parfois de leur propre santé, sont un peu les derniers remparts face aux accidents de la vie, ou aux catastrophes collectives. Sans eux, n’en doutons pas, le bilan déjà lourd du coronavirus le serait bien davantage encore. Je profite de cette publication pour saluer, avec humilité, et une reconnaissance toute personnelle, à travers lui, l’ensemble de ces équipes, et tous les soignants qui méritent au quotidien l’hommage que leur rend la nation. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

Rodolphe Lelaidier: « Notre job : faire varier

de quelques degrés la trajectoire des événements. »

Médecins

Les derniers instants avant de rentrer dans l’univers contaminé d’une chambre

de patient « Covid » sont synonymes de préparation, de concentration et de confiance

dans nos capacités à faire face. Ces qualités sont essentielles dans le quotidien

d’un anesthésiste-réanimateur.

 

Pourquoi avoir choisi la réanimation ?

Aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours voulu «  faire médecine  », sans vraiment savoir pourquoi. Parce que j’ai appris à lire au milieu des feuillets de thèse de médecine de ma mère, probablement. Parce que j’ai très vite trouvé passionnante la physiologie, depuis l’infiniment petit jusqu’aux interactions entre les différentes parties du corps. Puis, plus tard, à l’âge où il faut «  choisir  », parce que j’ai eu le sentiment que cette voie permettrait d’étancher ma curiosité, tout en ayant un métier utile et moral.

Le choix de l’anesthésie-réanimation remonte à ma quatrième année d’études de médecine, lors d’un stage en réanimation médicale au CHU de Rouen, où j’ai passé la première partie de ma vie.

Il s’agit bien d’anesthésie-réanimation, et non de réanimation. En France, deux catégories de médecins sont autorisées à exercer dans des services de réanimation. D’une part, les réanimateurs dits «  médicaux  », qui ont souvent un cursus de spécialiste «  d’organe  » avant de faire le choix de se spécialiser en médecine intensive et réanimation. Cette organisation a récemment changé, mais ce n’est pas le sujet du jour. D’autre part, les anesthésistes-réanimateurs, qui ont une double compétence en anesthésie / médecine péri-opératoire et en réanimation. Ce double cursus, singulier à l’échelle mondiale, nous donne une polyvalence et une résilience qui prennent tout leur sens à l’occasion de cette crise. Nos collègues mettent souvent en avant notre pragmatisme, nos capacités d’adaptation et la culture médico-chirurgicale que nous acquérons en cours de formation. Nous ne serons jamais les plus grands spécialistes dans un domaine de niche, mais nous aurons toujours une solution à proposer à un grand nombre de problèmes. Nous sommes en quelque sorte les généralistes de la médecine aiguë. Cela impose également de manier avec précision les médicaments et techniques de l’urgence, de connaître la théorie de la plupart des chirurgies et des complications qui en découlent. Nous sommes en quelque sorte les artisans de la médecine, et nos outils s’appellent « respirateur artificiel », « circulation extra-corporelle », « vidéo- laryngoscope » ou « noradrénaline ».

Certains considèrent ce métier comme étant très technique, loin de l’humain, traitant les corps inertes de nos patients comme un assemblage de systèmes intégrés dans une enveloppe périssable. Ce n’est qu’une infime partie de la réalité de notre art.

« De parfaits inconnus remettent leur vie entre

nos mains. Un point commun que nous avons

avec les pilotes d’avion... »

L’anesthésie-réanimation est une des spécialités les plus humaines que je connaisse. Nous sommes présents à tous les moments importants de votre vie  : le début et la fin, les heureux événements, les petits accidents du quotidien et les tragédies qui brisent la trajectoire d’une vie, les insignifiantes opérations du bricoleur maladroit comme la chirurgie de la dernière chance. Je connais peu de jobs dans lesquels de parfaits inconnus remettent entre vos mains leur vie, leurs espoirs, l’avenir de leurs enfants, leur crédit immobilier, leurs rêves passés et à venir, leurs fantasmes de guérison ou d’une vie un peu meilleure. Nous ne sommes pas les seuls, loin de là. Les pilotes d’avion sont de cette trempe, par exemple. C’est probablement pour cette raison, parmi d’autres, que de nombreux parallèles existent entre les deux professions.

Enfin, dans une société où la mort est cachée, niée, confinée entre les murs épais de nos hôpitaux et établissements médico-sociaux, nous cohabitons avec elle au quotidien. Elle fait partie de la vie, et bien présomptueux est celui d’entre nous qui se vanterait de pouvoir la conjurer ou l’éviter. J’aime dire que nous n’avons que les moyens de faire varier de quelques degrés la trajectoire des événements. À espérer que ces quelques degrés suffisent à trouver un lieu où atterrir en sécurité. Et à accompagner humblement la retraite de la vie quand nos efforts auront été vains.

Je pourrai trouver encore mille autres raisons d’expliquer ce choix qui s’est vite imposé comme une évidence. Mais ce sont les principales, et les moins obscures pour un novice.

 

À quoi ressemble le quotidien d’un anesthésiste-réanimateur ?

À celui de n’importe quelle personne qui travaille  ! On se lève le matin, la tête dans le c**, l’eau de la douche met du temps à chauffer, le café renversé sur le t-shirt et dix minutes de vélo ou de métro plus tard, on est sur notre lieu de travail  !

Les heures s’enchaînent, alternant des réunions et tâches routinières qui balisent notre quotidien, et des moments de rush où il faut envoyer la sauce pour ne pas perdre pied  ! Beaucoup de métiers fonctionnent comme ça, et nous avons la très grande chance de toujours travailler en équipe, de pouvoir se reposer sur des professionnels qui apportent leur pierre à l’édifice avec passion, dévouement et excellence. La particularité de ce job est que notre matière première, ce sont des vies humaines, et que nous avons des moyens techniques et humains hors norme pour les sauvegarder. Le très haut niveau de soins et les moyens garantis par l’hôpital public nous sont enviés par de nombreux pays dans le monde, malgré les reproches qu’on peut adresser au système de soins français.

« La société nous paie pour contribuer à maintenir une

forme d’équilibre, et servir un idéal qu’elle s’est choisi :

apporter les meilleurs soins possibles, notamment

aux patients dans les situations les plus critiques... »

Il ne faut pas croire qu’on arrive au boulot en se disant «  Encore une belle journée pour sauver des vies  !  ». Notre rôle appelle à bien plus d’humilité, et de pragmatisme. La société nous paie pour contribuer à maintenir une forme d’équilibre, et servir un idéal qu’elle s’est choisi  : apporter les meilleurs soins possibles, au plus grand nombre, et en particulier aux patients dans les situations les plus critiques, menaçant leur vie à court terme.

Pour arriver à ce but, le quotidien est partagé entre l’examen clinique pluriquotidien de nos patients, les soins techniques et réglages des machines chargées d’assurer tout ou partie les fonctions vitales défaillantes, les entretiens avec les patients et leurs familles… Les tâches administratives sont également très consommatrices de temps. Nous jouons résolument collectif, et de nombreux rendez-vous entre professionnels ponctuent la journée. Ils sont destinés à partager les informations dont nous disposons, à exprimer nos doutes, à expliquer nos décisions à l’ensemble de l’équipe, à réfléchir ensemble à la meilleure trajectoire pour chaque patient, à enrichir nos observations de l’avis d’autres médecins, plus experts que nous sur telle ou telle question.

Beaucoup d’étudiants de mon service me demandent en quoi consiste mon métier. Je leur réponds que nous jouons les chefs d’orchestre afin de rassembler les meilleures ressources humaines et techniques et garantir à chaque patient une médecine sur mesure, à la pointe des connaissances actuelles.

 

Comment vivez-vous cette crise, professionnellement parlant ?

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je la considère comme une chance unique pour l’anesthésie-réanimation d’exprimer son savoir-faire à son plus haut niveau. Entendons nous bien, j’aurais évidemment préféré que rien de «  tout ça  » n’arrive. Mais puisque nous sommes au pied du mur, pour ne pas dire franchement dans le mur, j’ai choisi d’en garder le meilleur.

Le meilleur, c’est la formidable énergie collective qui a animé le service dans les quelques jours que nous avons eus pour nous préparer entre l’annonce de la situation épidémique et l’arrivée des premiers patients. À l’échelle de Lyon, nous étions le service de troisième recours. Nous avons bénéficié de l’expérience et de l’expertise de nos collègues réanimateurs médicaux pour nous préparer au mieux. Cette longueur d’avance, et ce que nous en avons fait, nous permet aujourd’hui d’affronter cette crise avec calme et sérénité. Pendant plusieurs jours, chacun d’entre nous a donné le meilleur de lui-même pour ré-inventer le fonctionnement de notre microcosme. Nous avons fait preuve d’une intelligence collective inédite, sublimant les bonnes volontés individuelles en un projet d’équipe cohérent et solide. Nous avons ré-organisé nos locaux, formé des centaines de professionnels venus d’autres services en un temps record. Un programme de simulation hautement immersive au sein même du service a par exemple vu le jour en quelques heures, et ce grâce à l’engagement bénévole de nombreux professionnels. Nous avons mis au point des stratégies et des protocoles pour chaque situation. Nous avons compilé les retours d’expériences de Chine et d’Italie pour nous prémunir des ornières dans lesquelles les médecins de ces pays étaient tombés. Nous avons mis de côté nos vies personnelles et familiales, nos loisirs et projets de vacances, pour nous concentrer tout entiers sur un seul objectif  : assurer la prise en charge des dizaines de patients à venir, sans renoncer au niveau d’exigence que nous nous imposons habituellement, et au plus haut niveau de sécurité pour tous les soignants.

Je crois pouvoir dire que nous y sommes arrivés, même si la route est encore longue.

Nous parvenons aujourd’hui à nous installer dans une forme de routine, qui reste éloignée de notre fonctionnement antérieur. Nous apprenons à nous déplacer masqués et déguisés, à intégrer de très nombreux professionnels moins expérimentés en réanimation que nos équipes habituelles, en gardant le même niveau de soins pour nos patients. C’est vraiment un des grands défis posés à notre système de soins  : faire face à un afflux extraordinaire, sans avoir à faire de choix impossibles concernant certains patients ou certaines techniques.

« Nos vrais champions ? Les cadres infirmiers, et les

infirmiers "techniques" des services de réanimation. »

Nous nous habituons à vivre dans une tension permanente de matériel de protection, de médicaments, de personnel soignant. L’encadrement et le personnel médico-technique sont d’une aide très précieuse pour gérer tous ces aspects de la crise. Leur engagement mériterait d’être d’avantage mis en avant au cours de cette crise. Les vrais champions sont les cadres infirmiers, qui ont dû doubler les effectifs du jour au lendemain et incorporer aux équipes hospitalières des soignants venus d’autres structures, ou encore les infirmiers «  techniques  » des services de réanimation, qui portent sur leurs épaules la gestion infernale des stocks de respirateurs, de machines de dialyse, de petit et de gros gadgets, indispensables à l’ouverture de services de réanimation, dans des endroits qui n’étaient encore hier que des zones de transit. Sans parler du casse-tête que représente la pénurie mondiale d’équipements de protection, de consommables ou de médicaments hypnotiques indispensables à la prise en charge de tous les patients, Covid-19 ou pas.

Je suis vraiment fier de notre équipe, de chacun de ses membres, quel que soit son niveau de qualification et le rôle qu’il y joue. Nous avons fait face avec pragmatisme, confiance en nos capacités et sang-froid, en apprivoisant les craintes et les interrogations que cette épidémie a soulevées pour nous, et pour nos proches.

 

Quelques photos pour illustrer. Précision : pas de port de gants

ni de masques FFP2 sur ces entraînements pour économiser le matériel,

alors que la crise n’avait pas commencé.

 

Assistance respiratoire

Lorsque nous plongeons un patient dans le coma artificiel, et sous assistance respiratoire,

chaque seconde compte. Pour optimiser les chances de survie et diminuer les séquelles,

d’abord. Et pour protéger chacun des professionnels de la contagion. Une parfaite 

coordination entre médecin et infirmier est indispensable.

 

Tablette 

Les formations de nos équipes par des programmes de formations par simulation

haute fidélité faisaient partie de l’ADN du service avec la crise. Un programme similaire

existe en effet pour améliorer les soins donnés aux accidentés de la vie ou de la route.

Ces formations nous ont permis d’aborder l’arrivée des premiers patients avec sérénité.

 

Photos : Alicia Dupré.

 

Et à titre personnel ?

Je me réjouissais de l’arrivée tant attendue de ma première semaine de vacances en six mois, quand le confinement a été ordonné. Un chouette tour de ski-alpinisme dans le massif du Mont-Blanc, entre France, Italie et Suisse. J’ai rapidement senti le vent tourner, avant de comprendre que les vacances allaient passer au second plan pour un certain temps…

En dehors des journées (et des nuits) de travail, je suis confiné, comme le reste de la population. Mon appart’ n’a jamais été aussi propre, et ma pile de bouquins à lire décroît régulièrement. Il a aussi fallu trouver un supplétif à la dizaine d’heures consacrées au sport chaque semaine, sans compter les week-ends passés en montagne. La saison avait bien commencé, et le mois d’avril en marquait le point d’orgue, avec des projets d’itinéraires classiques et très prometteurs, tant dans leur dimension technique qu’esthétique.

C’est comme ça que je me suis mis à «  écrire  ». Pour garder une trace tangible de ce qui est en train de se passer. Cette période est unique, et il me paraît capital d’en garder une mémoire écrite, au moins à titre personnel. J’écris à propos de la vie du service, à propos d’aventures passées ou à venir en montagne, en utilisant les mots pour s’évader un peu des quatre murs de mon appartement. Il m’arrive aussi de faire des billets plus «  pédagogiques  », pour faire un peu de ménage au milieu de la diarrhée d’informations, aux fondations plus ou moins solides, qui inonde les médias et les réseaux sociaux. J’ai bien conscience de participer de ce fait à la déferlante, mais j’essaie de le faire avec simplicité, humilité, et une pointe d’humour.

Cette petite discipline (quasi) quotidienne commence à représenter quelques dizaines de pages, que j’ai compilées sous forme de blog, illustré par des images rapportées de voyage. S’il vous reste un peu de temps de lecture à la fin de cet article, osez vous y rendre  ! (https://leconfiblog.jimdofree.com)

 

Rodolphe Lelaidier alpinisme

Dans le Vercors...

 

Le monde de la réanimation est mal connu du grand public. Que se passe-t-il derrière les murs de votre service ?

Vous l’avez peut-être compris au travers des lignes précédentes  : un très grand nombre de professions est mobilisé autour d’un nombre relativement restreint de patients, les plus graves et dans les situations les plus instables. Médecins et internes de tous bords, infirmiers (de réanimation, de bloc, anesthésistes), aide-soignants, agents de service et de ménage, secrétaires, assistants de recherche clinique, manipulateurs radios, pharmaciens, hygiénistes, techniciens de laboratoire et biologistes, ambulanciers, étudiants de toutes les filières, psychologues, kinésithérapeutes, diététiciens… J’en oublie forcément  !

Tous ces professionnels font en sorte que nos patients reçoivent les soins les plus qualitatifs possibles, quelle que soit l’heure du jour et de la nuit. Il faut bien comprendre qu’un patient hospitalisé en réanimation, en coma artificiel et sous ventilation mécanique, est entièrement dépendant pour l’ensemble de ses fonctions vitales, même les plus basiques. Cette dépendance exige des soins constants et attentifs, ce d’autant que ces patients étaient déjà souvent vulnérables avant d’arriver dans notre service, et qu’un événement aigu est venu tout chambouler  ! En ce moment, cet événement prend souvent la forme d’un virus, et de «  l’orage inflammatoire  » qu’il provoque…

Jour et nuit, toutes ces énergies sont là pour soutenir, et parfois remplacer temporairement les systèmes respiratoire, neurologique, circulatoire, rénal, hépatique ou encore digestif de ces patients en sursis. Les journées et les nuits sont rythmées par les soins de toilette, l’élimination des urines et des selles, le rythme veille / sommeil, la gestion de la soif, de la douleur, de la peur de la mort, l’alimentation artificielle sous différentes formes, l’administration de fluides et de médicaments précisément dosés et adaptés à chaque patient. Nos amis chirurgiens parlent en se moquant «  du sel et du poivre  », et ils n’ont pas complètement tort.

« Les règles visant à réduire le risque de contagion nous ont

imposé de fermer les portes du service. (...) C’est un

changement majeur pour notre structure... »

Nous devons aussi garder le lien avec les familles de nos patients. Les règles visant à réduire le risque de contagion nous ont imposé de fermer les portes du service. Nous mettons un point d’honneur à appeler les familles de patient matin et soir au minimum, afin de leur donner des nouvelles sur l’évolution de la santé de leurs proches. Nous avons conscience que l’hospitalisation d’un proche en réanimation, sans possibilité de visite ni de recevoir des explications «  en direct  » par les soignants, est très anxiogène. En cas d’événement important ou de décision marquante, c’est le médecin responsable des soins qui appelle lui-même la personne référente désignée par la famille.

C’est un changement majeur pour notre structure, qui était connue pour être très ouverte et accueillante envers les familles de nos patients. Nous accordons une importance particulière à rendre aussi bonne que possible la vie de nos patients et de leurs proches lors de leur passage dans le service. Cela passe par une attention constante aux différentes sources d’inconfort, une ouverture du service 24/7 et l’accueil des enfants en bas âge de nos patients les plus jeunes. Notre dernier projet, le plus novateur, porté par une de mes collègues (le Dr Amélie Mazaud) était de faire venir des chiens dans le service, pour faire bénéficier nos patients en cours de guérison de thérapie médiée par les animaux. Une première en France  ! Bien entendu, tout cela a été mis en suspens par le confinement…

La nuit règne une ambiance très particulière. Bien éloignée des clichés véhiculés par les séries hospitalières ou l’imaginaire collectif. On parle d’une atmosphère plus intimiste, empreinte de camaraderie entre ceux qui ont le privilège de vivre des moments forts pendant que les autres sont au fond de leur lit. En tout cas, c’est comme ça que je voyais les choses quand je découvrais, il y a une dizaine d’années, émerveillé, les coulisses de la vie nocturne en réanimation. Un sentiment rare d’être privilégié, aux premières loges, de se trouver exactement au bon endroit et au bon moment, au cœur de l’action et frappé de plein fouet par les situations les plus stimulantes.

Aujourd’hui, je commence à ressentir la pénibilité du travail de nuit, qui est réelle. Et, étant donné mon jeune âge, ce n’est pas près de s’arrêter… Le travail nocturne est un assassin silencieux, pour les soignants comme pour les autres. La privation de sommeil qu’il induit vient dérégler tout l’organisme. C’est comme ça qu’on se tartine des morceaux de pain rassis avec du pâté de thon offert par l’hôpital (…) à 4h du mat, ou qu’on se demande si on se sentira un jour enfin «  reposé  » après avoir aligné deux nuits blanches dans la semaine. J’essaie d’en rire, mais il est bien prouvé que le travail de nuit augmente la mortalité cardio-vasculaire, le risque de cancer, d’accident de la route, les risques psycho-sociaux, qu’il favorise l’obésité et le diabète et vient polluer nos vie familiales et personnelles.

« Nos infirmières touchent une prime de nuit

de quelques centimes par heure travaillée.

Ç’en est presque insultant. »

Ce n’est pas très brillant, mais c’est la réalité. Une réalité sur laquelle nos décideurs ferment les yeux, et qu’ils refusent de valoriser. Nos infirmières touchent une prime de nuit de quelques centimes par heure travaillée. Ç’en est presque insultant.

 

Quel rôle joue l’administration hospitalière ?

Dans cette crise, nous sommes tous dans la même galère. La résilience de nos administratifs est mise à rude épreuve, et j’ai le sentiment qu’ils font de leur mieux pour nous faciliter la tâche et s’assurer qu’on ne manque pas de personnel ni de matériel. Certaines restrictions budgétaires ont été levées, nous donnant accès à des examens ou à du matériel coûteux, afin de prodiguer des soins à la pointe pour nos patients. C’est le résultat de l’orientation donnée par le gouvernement, qui a fort à faire pour réparer la coque du navire hospitalier, mis à mal par des années d’austérité et de politique managériale «  dure  ». C’est également possible grâce à la générosité du public et de certains poids lourds du monde des affaires. Je préfère ne pas m’interroger sur les bénéfices secondaires qu’une minorité escompte possiblement, qu’ils soient fiscaux ou en termes d’image. L’argent est là, l’expertise et les moyens techniques de certains industriels également, ce n’est pas le moment de cracher dessus. Osons accepter cette solidarité, cette générosité. Valorisons ce que l’humain a de meilleur à offrir en ces temps maudits. Le moment de solder les comptes viendra après.

« Je regrette qu’on ne parle pas plus

de la vague de suicides qui touche le monde

des soignants depuis plusieurs années. »

Si l’effort de l’institution est réel, il ne parvient cependant pas à combler certaines insuffisances qui existaient avant l’épidémie. La qualité de vie au travail est à mes yeux une priorité pour les professionnels de l’hôpital, et je regrette qu’on ne parle pas plus de la vague de suicides qui touche le monde des soignants depuis plusieurs années. Nous avons par exemple dû doubler nos effectifs de nuit, afin de nous adapter à l’afflux massif de patients requérant des soins très denses et techniques. Mais nos locaux et notre organisation n’ont pas été prévus pour ça. La moitié des médecins de garde en réanimation doit dormir dans des bureaux, sur un matelas en plastique, sans accès à l’eau ni à des sanitaires. Nos infirmiers et aide-soignants de nuit ont à peine de quoi se reposer quelques instants pendant leurs 12h de travail. Tout ça nous paraît parfaitement normal. Car c’est comme ça que nous avons été « élevés  ».

Je pourrais aussi vous parler des repas fournis par la cuisine centrale, dont les portions n’ont fait que diminuer depuis quelques années. Estimons nous chanceux d’avoir des repas, c’est le privilège de bosser 24h d’affilée. Mes collègues paramédicaux n’ont pas cette chance, on ne leur jette en pâture qu’un paquet de chips et une barre chocolatée ultra-sucrée. Comme un clin d’œil à leur bonne santé cardio-vasculaire. Il n’y a pas de petites économies. Nous, les docteurs, les «  nantis  » du système, profitons ainsi de repas qui conviennent probablement à un patient confiné au lit, mais qui sont clairement insuffisants pour passer la nuit debout, entre situations d’urgence et transport de patients. Les exemples sont tellement nombreux, vous pourriez y consacrer un article entier. Mais tous reflètent la même réalité  : l’expertise, l’engagement, le dévouement des professionnels de santé qui sont sur le pont au quotidien, nuit et jour, ne doit pas attendre d’autre reconnaissance que la satisfaction du travail bien fait, et la chance d’exercer un métier «  à haute valeur morale ajoutée  ».

« Est-il normal de considérer, et de rétribuer ces métiers

à l’aune inverse de leur valeur sociale ? »

J’ai bien conscience que nos administrateurs font «  comme on leur dit  », tâchant de répartir au mieux une quantité limitée de deniers publics. Le dilemme est à un autre niveau  : quels membres de notre société sont vraiment indispensables à ce que les choses tournent rond  ? Est-il normal de considérer, et de rétribuer (car le salaire n’est qu’une partie du problème) ces métiers à l’aune inverse de leur valeur sociale  ?

Je laisserai ce genre de considérations à des gens dans le besoin et essentiels au fonctionnement de notre société, comme M. Yves Calvi, qui semblait avoir, il y a quelques jours, de grandes idées sur la «  pleurniche hospitalière  »…

 

Un message à faire passer ?

La concision n’étant pas la plus grande de mes qualités (vous l’aurez remarqué), j’en choisirai plusieurs.

Respectez les consignes transmises par les scientifiques et le gouvernement. Si elles changent d’une semaine sur l’autre, c’est aussi parce que nos connaissances sur la maladie évoluent sans cesse, de même que les moyens dont nous disposons. Cette crise est globale, et nous sommes en concurrence nauséabonde avec les autres puissances de ce monde pour l’accès aux équipements de protection, au matériel médical, aux ressources les plus rares. C’est malheureux, mais c’est la réalité, et nous n’avons pas d’emprise pour la changer dans l’urgence. Ce qu’on ne peut changer, il faut nous y adapter.

« La solidarité dont nous jouissons est d’autant

plus remarquable que tous ces particuliers et acteurs

de l’économie locale seront bientôt eux-mêmes

en très grande difficulté. »

Continuez à nous soutenir, à nous envoyer des tonnes de marques d’affection et d’encouragements, sous un grand nombre de formes. Je suis époustouflé par la solidarité des particuliers, des restaurateurs, des agriculteurs, des commerçants de notre quartier qui nous fournissent gratuitement des repas, du café, des friandises, des équipements de protection ou tout simplement de l’argent pour améliorer la qualité de vie des soignants et des patients au quotidien. C’est d’autant plus remarquable que tous ces particuliers et acteurs de l’économie locale seront bientôt eux-mêmes en très grande difficulté.

Entraînez votre mémoire, enfin, car nous allons en avoir besoin dans les mois à venir.

Pour tâcher de solder les comptes, et de comprendre quels impairs nous ont menés à cette situation historique. Car c’est bien une page singulière de l’histoire de l’Humanité que nous sommes en train d’écrire, collectivement.

Pour faire les choix de société qui s’imposeront au lendemain de cette catastrophe sanitaire. Les milliers de travailleurs qui permettent à ce pays de rester debout, soignants et non soignants, ne doivent pas tomber dans l’oubli. Les «  héros  » (terme tant galvaudé…) d’aujourd’hui risquent trop de ne récolter que quelques médailles en chocolat et remerciements en grandes pompes, avant de retourner à leurs conditions de travail en détérioration constante et à leurs salaires indignes. Il n’y a qu’à se référer à la sortie très remarquée du directeur de l’ARS Grand Est il y a quelques jours. On ne pourra pas feindre la surprise. 

Pour venir en aide à tous ceux qui vont être durement affectés par la crise économique qui suivra. Les acteurs de terrain, les indépendants et les travailleurs de la terre et des mains, qui auront besoin de notre soutien, et du discernement des consommateurs que nous sommes.

 

Rodolphe Lelaidier 

 

Quelques liens, pour aller plus loin :

Le blog de Rodolphe Lelaidier (je vous le recommande chaleureusement !)

L’espace grand public de la Société Française d'Anesthésie et de Réanimation

Espace RéAnimal de la Fondation HCL

 

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13 avril 2020

« La résilience, les armées et la Nation », par Guillaume Lasconjarias

En ces heures tellement particulières, porteuses d’angoisse pour soi et pour ses proches, et tandis que le bilan humain du désormais tristement célèbre Covid-19 a passé la barre des 120.000 morts, je vous présente cet article que j’ai sollicité auprès de Guillaume Lasconjarias, expert sur les questions stratégiques et militaires, et chercheur associé à l’IFRI. Il est question dans ce texte de résilience, ce concept qu’on associe souvent à Boris Cyrulnik. Un concept bien connu de nos armées, pour devoir souvent l’éprouver. Quels leçons à partager, quels ponts nouveaux à jeter entre institution militaire et société civile à l’occasion de cette crise ? M. Lasconjarias fait le point, je l’en remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Hôpital de campagne

Installation d’un hôpital de campagne à Mulhouse.  S. Bozon/AFP.

 

SPÉCIAL COVID-19 - PAROLES D’ACTU

« La résilience, les armées et la Nation »

par Guillaume Lasconjarias, le 9 avril 2020

Depuis le début de la crise du coronavirus, les débats se sont largement portés sur la gestion de la crise, la préparation ou l’impéritie du gouvernement, le bien-fondé de telle ou telle mesure. On a aussi vu de formidables gestes de solidarité, à l’échelle locale et nationale, l’ouverture d’une réserve civique où les volontaires souhaitent aider et apporter leurs compétences et leur appui à cette lutte d’un genre exceptionnel. On a aussi vu la façon dont les Armées se sont portées au-devant de cette pandémie, au travers le lancement d’une opération militaire, l’opération «  Résilience  ». En effet, derrière ce terme se cache le but de toutes ces actions, de toutes ces manifestations  : parvenir à rebondir après la crise, et reprendre une vie normale.

rebondir après la crise, et reprendre une vie normale...

J’ai été frappé par le choix, annoncé par le Président de la République, de donner à cette opération le nom de code «  Résilience  ». Le lancement par la plus haute autorité de l’État  ne m’a pas choqué, il s’inscrivait dans la lignée de propos et de positions prises depuis déjà quelque temps, utilisant à dessein une phraséologie guerrière, militaire. On peut s’interroger sur la pertinence de cette rhétorique, et j’ai personnellement quelque difficulté à concevoir qu’on soit en guerre contre un virus, lequel ne regarde pas la télé ni ne s’est enregistré sur les réseaux sociaux. Ce qu’il faut entendre derrière le terme de «  guerre  », c’est la mobilisation de tous, l’implication de chacun, la discipline collective et une victoire en objectif commun. L’analogie se poursuit si l’on considère les soignants en première ligne, les personnels autrefois invisibles (caissiers, éboueurs, facteurs...) devenus les maillons essentiels au maintien de la vie courante dans une chaîne logistique inédite, et les malheureux frappés et mourant du virus les victimes de cette guerre contre un acteur invisible.

Comment ne pas songer à La Fontaine et aux animaux malades de la peste  ? «  Tous ne mouraient pas, mais tous étaient frappés  ». Notre société tremble, nos repères habituels – temporels, spatiaux, familiaux – connaissent un bouleversement inouï, et il paraît impossible de se projeter dans le monde d’après, celui où les choses reviendront à la normale. Pas la paix, mais un retour à l’équilibre, et peut-être à la forme d’insouciance qui nous caractérisait.

 

« Initialement, la résilience définit les caractéristiques

physiques d’un matériau qui, soumis à une pression

extérieure, retrouve au bout d’un certain temps

sa forme, sa taille et sa structure... »

 

Ce souhait du retour à la normale après une crise, cette reprise d’un fonctionnement normal, voilà ce qu’on appelle aujourd’hui communément résilience. Mais je crois que le choix de ce terme mérite d’être éclairci. Il le mérite à la fois pour comprendre ce que ce concept signifie, et aussi pour savoir si les armées sont les seules à porter cette résilience. Le terme de résilience n’a rien d’original sauf à considérer le parcours qu’il a emprunté depuis son champ d’origine jusqu’à aujourd’hui. Initialement, la résilience définit les caractéristiques physiques d’un matériau qui, soumis à une pression extérieure, retrouve au bout d’un certain temps sa forme, sa taille et sa structure. De là, le terme est d’abord passé à l’écologie  pour souligner les capacités d’un biotope à surmonter les agressions extérieures, puis à la psychologie humaine. Les travaux d’Emmy Werner en 1982 forment la base de ces discussions, au travers la manière dont des individus sont parvenus à dépasser des traumatismes lourds et à reprendre une vie normale. En France, on salue généralement Boris Cyrulnik et ses ouvrages qui tournent peu ou prou autour de l’adaptation psychologique après un choc.

Cette aptitude à encaisser, à absorber puis à retrouver ses fonctions intéresse aussi, pour d’autres raisons, le domaine de la sécurité et de la défense. La résilience se trouve dans le Livre Blanc de la Sécurité et de la Défense nationale de 2008 pour souligner combien il importe de se doter des capacités individuelles et collectives pour surmonter une période de tension extrême, quelle qu’elle soit. L’intégration de ce concept s’explique par la nécessité, alors, de mieux comprendre le monde qui nous entoure, ses dangers et les nouvelles menaces  : terrorisme, conflits asymétriques, tensions ethniques et religieuses, instabilité régionale, compétition pour les ressources, etc... mais aussi évènements climatiques majeurs et pandémies  !

Et donc, dans ce contexte radicalement différent, il convient d’être préparé, de s’entraîner pour un mot qui est alors à la mode, la «  gestion de crise  ». Là encore, l’acceptation est très large, mais traduit bien que nous ne sommes plus dans des affrontements entre États mais dans des types de conflits, des scenarii qui mélangent tout, qui surimposent des crises et des tensions, ou qui voient les populations secouées par des formes de risques (technologiques ou naturels) de grande ampleur.

Or donc, dans ce nouvel environnement de sécurité et de menaces, il semble bien qu’un outil, une institution en l’occurrence, garde les capacités à encaisser, puis à rebondir. Il s‘agit des armées – même si on pourrait de façon large juger que les forces de sécurité dans leur ensemble, ceux qui vivent sous la tension de l’urgence (sapeurs-pompiers, hôpitaux, sécurité civile, etc...) conservent les mêmes savoir-faire. Dans l’ensemble, ces personnels, par leur sélection, leur entraînement, leur(s) expérience(s) savent à la fois agir et décider dans l’incertitude, changer de posture selon la situation, et toujours, partout, faire face. Dit autrement, de travailler, poursuivre leur mission et atteindre leur objectif même dans des conditions dégradées.

 

«  La camaraderie, la réactivité, l’excellence et

l’efficacité incarnées par l’armée contribuent

à mettre la résilience en actes. »

 

Si l’on revient désormais sur l’opération décidée par le pouvoir politique, qui voit l’implication des armées sur le sol national en appui des autorités civiles, on donne à voir un signal triplement intéressant  : les armées vont d’abord renforcer, consolider et appuyer les autres services publics. La mise en place d’un hôpital de campagne à Mulhouse, les vols sanitaires d’une région à l’autre, l’envoi outre-mer de porte-hélicoptères amphibies dont le plateau médical est une plus-value, en sont autant de symboles, comme le sont la présence de soldats déployés pour protéger les dépôts de masques. Ensuite, on rappelle les valeurs que portent les armées  : la mission à accomplir, mais sans nier la fraternité d’armes, la camaraderie au sens large. Enfin, la réactivité, l’excellence et l’efficacité incarnées qui mettent la résilience en actes. 

Pourtant, derrière cette posture, on ne doit pas oublier que si les armées sont résilientes, cela tient sans doute à plus d’une dizaine d’années de cure d’amaigrissement, de coupes budgétaires, de diminution drastiques des effectifs. On peut comprendre avec raison le passage d’une armée de conscription à une armée professionnelle, et la réduction du nombre d’unités et de soldats se défendait à l’heure où les engagements se faisaient à l’extérieur du territoire national, dans le cadre d’opérations extérieures (OPEX). Mais les arbitrages ont conduit à ajuster les moyens au plus près, à réduire à peau de chagrin les services et entités  : ainsi, le service de santé des armées représente ainsi 1% de la totalité de l’offre de santé en France et il ne demeure qu’un régiment médical. La composante logistique tient dans une brigade qui ne l’est pas tout à fait, et les exemples sont nombreux par ailleurs. Malgré tout, les armées ont poursuivi leurs missions, ont été toujours plus engagées  : après l’Afghanistan, le Mali, la République centrafricaine, les opérations Barkhane, Chammal…

La situation actuelle rebat les cartes au travers d'une opération dont le nom de code porte deux sens  : mettre en avant des armées qui sont un symbole de resilience, et souligner leur rôle dans la construction de cette même capacité, au profit de la population. Mais ce dernier point pose problème  : d’abord, parce que la résilience ne se décrète pas. Ensuite, parce qu’elle est une prise de conscience collective – c’est-à-dire celle de la nation dans son ensemble – pour surmonter la crise. Aujourd’hui, notre résilience passe par la mise en œuvre d’une stratégie et d’un processus  : une stratégie qui identifie les objectifs et les moyens de les atteindre, et un processus qui affecte les ressources idoines pour maintenir le système en état de fonctionnement et qui garantit à la population la satisfaction de ses besoins élémentaires. Viendra ensuite, pour le temps d’après, une nécessaire réflexion sur les faillites d’hier, mais tel n’est pas le propos. Il faudra surtout se préoccuper non plus d’encaisser la prochaine crise mais d’être suffisamment préparé pour ne pas la subir.

La résilience que nous devons appeler de nos vœux n’est donc pas simplement une façon technocratique et institutionnelle ou fondée sur des infrastructures, ou des réseaux. Elle est un effort commun. Là encore, nous devons retrouver ce qui nous unit, ce qui fait Nation. Cela porte un nom  : l’esprit de défense. Mais qu’est-il devenu  ? Il existe, inscrit dans les programmes scolaires, un enseignement de défense auquel et le ministère de l’Éducation nationale et les Armées contribuent, au travers d’actions pédagogiques, d’accompagnement et de découverte. Ce partenariat, formalisé depuis trente ans par un protocole interministériel, valorise les relations entre l’École et l’Armée, les deux piliers de la République. Cet enseignement favorise une meilleure connaissance de ce que font les armées, souligne les valeurs d’engagement, d’abnégation et de service de valeurs communes, mais aussi au service des autres.

 

« Retrouver la résilience, c’est redonner à lesprit

de défense, sa place et son importance. La résilience est

une soudure, qui garantit que l’ensemble des atomes

qui constituent un matériau ne se désagrège pas. »

 

Mais l’esprit doit souffler au-delà, dans l’ensemble de la société, qu’il doit irriguer. Retrouver la résilience, c’est redonner à cet esprit de défense sa place et son importance. La résilience est une soudure, qui garantit que l’ensemble des atomes qui constituent un matériau ne se désagrège pas. Et pour cela, les leçons que nous donnent les armées – comme l’ensemble des services publics mobilisés – ne devront pas être oubliées.

 

Guillaume Lasconjarias 2020

Guillaume Lasconjarias est chercheur associé à l’IFRI.

 

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17 mars 2020

Nicole Bacharan : « Si Trump est réélu, peut-être devra-t-on parler de la démocratie américaine au passé... »

Alors que la France se confine tant bien que mal et que le monde s’inquiète de plus en plus à propos du Covid-19, focus sur un autre sujet d’actualité : la présidentielle américaine. À quelques heures de la tenue de primaires démocrates dans des États majeurs, et tandis que l’ex-vice président Joe Biden semble avoir pris une avance considérable sur son concurrent Bernie Sanders, lui marqué plus à gauche, j’ai la joie de pouvoir vous présenter cette interview réalisée il y a quelques jours avec la politologue et historienne spécialiste des États-Unis Nicole Bacharan, auteure l’an dernier de Le monde selon Trump (Tallandier), et en 2016 de Du sexe en Amérique: Une autre histoire des États-Unis (Robert Laffont), ouvrage qui, avec l’affaire Griveaux, a inspiré ma première question. Merci à Nicole Bacharan pour sa fidélité et ses réponses éclairantes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

PRÉSIDENTIELLE ÉTATS-UNIS, 2020

Nicole Bacharan Trump

Le monde selon Trump : Tweets, mensonges, provocations,

stratagèmespourquoi ça marche ? (Tallandier, 2019)

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU (MARS 2020)

Nicole Bacharan: « Si Trump est réélu, peut-être

devra-t-on parler de la démocratie américaine au passé... »

 

1. Est-on entré dans une ère où l’intime ne l’est plus vraiment, et faut-il s’inquiéter pour le fonctionnement de nos démocraties ?

La vie privée, et particulièrement la vie sexuelle, utilisée comme une arme politique, c’est aussi vieux que la démocratie américaine. Les «  Pères fondateurs  » Alexandre Hamilton et Thomas Jefferson en furent déjà les cibles, déchiquetés dans la presse par leurs adversaires politiques au nom de l’hypocrite principe «  qui ment à sa femme ou ment sur sa vie familiale, mentira aussi à ses électeurs, on ne peut pas lui faire confiance  ».

Depuis ce lointain passé, les humains n’ont pas changé, non plus que leur voyeurisme et leur goût du ragot, mais les outils de l’inquisition publique et de la mise au pilori se sont transformés, et avec les réseaux sociaux, sont devenus planétaires et instantanés. Qu’il s’agisse de la surveillance par l’État et la police au nom de la sécurité (suivant la redoutable affirmation «  il n’y a pas de problème pour ceux qui n’ont rien à se reprocher  »), qu’il s’agisse d’un dévoilement imprudent – même volontaire – de sa vie personnelle sur les réseaux sociaux (qui n’oublient jamais rien), qu’il s’agisse de la propension des mêmes réseaux sociaux à s’emparer de la vie privée de tel ou tel pour la disséquer, la juger, la condamner, oui, la transparence totale est à la fois illusoire et destructrice.

« En cas de changement de régime, tout ce qui,

d’intime, a été rendu public, pourrait bien

tomber aux mains de l’État... »

Sans possibilité de conserver bien à soi son «  petit tas de secrets  », sans espace pour vivre sa vie privée comme elle le devrait, c’est à dire de manière… privée, il n’y a plus de sphère intime, tout appartient au public, et en cas de changement de régime tout pourrait appartenir à l’État, et verser dans le totalitarisme.

Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, il est urgent de repenser la protection de la vie privée et des libertés individuelles à l’ère des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle.

 

2. Dans quelle mesure les succès de l’économie américaine sont-ils imputables à la politique de Donald Trump ?

Contrairement à ce qu’il a affirmé le jour de son investiture, le 20 janvier 2017, Donald Trump n’a pas hérité d’une économie livrée au «  carnage  », mais d’une situation de croissance assez bien assainie depuis la crise de 2008. Le chômage, à son niveau le plus haut en 2011, n’avait cessé depuis de se réduire. Cependant, il est évident que les baisses d’impôt massives décidées par Donald Trump ont réellement «  dopé  » l’économie. Même si elles ont touché principalement les entreprises et les plus hauts revenus, la classe moyenne en a bénéficié, au moins un peu. La réduction du chômage à son niveau plancher, la hausse modeste mais réelle des salaires sont aussi imputables en partie à ces choix fiscaux.

Néanmoins, l’économie favorisée par Donald Trump est une économie «  fossile  », tournée vers le passé, le charbon, le pétrole, le gaz, la dérégulation et la suppression des normes environnementales. Les États-Unis prennent ainsi du retard dans le développement des énergies renouvelables et sont complètement marginalisés dans la lutte contre le réchauffement climatique.

« La position dominante du dollar pourra-t-elle toujours

éviter aux États-Unis de subir les conséquences de leur

dette massive ? Rien n’est moins sûr... »

Enfin, les réductions fiscales, tout comme les investissements massifs dans l’armée et l’équipement militaire contribuent à creuser une dette publique abyssale. La position dominante du dollar pourra-t-elle toujours éviter aux États-Unis d’en subir les conséquences ? Rien n’est moins sûr.

 

3. Donald Trump a-t-il répondu aux attentes de son électorat, ces «  hommes blancs en colère  » que vous évoquiez il y a quatre ans ?

Oui, Donald Trump a tenu la plupart des promesses  que son électorat juge essentielles : nommer des juges ultra conservateurs opposés à l’avortement, à la Cour suprême et dans les tribunaux fédéraux  ; baisser les impôts  ; sortir de l’accord de Paris sur le climat et de l’accord sur le nucléaire iranien  ; construire un mur à la frontière avec le Mexique (le mur n’a pas beaucoup progressé, mais Trump a enfin obtenu de la Cour suprême le droit de détourner à cet effet une partie des fonds attribué au Pentagone)  ; revenir sur les règlementations environnementales datant de l’ère Obama. Trump ne manque jamais non plus d’affirmer son opposition au contrôle des armes à feu.

« La base électorale de Trump – env. 42% des électeurs -

est très soudée derrière lui et lui pardonne tout. »

Sa base électorale – environ 42% - est très soudée derrière lui et lui pardonne tout. Même si elle est composée pour l’essentiel de ces «  hommes blancs en colère  », d’âge mûr, peu éduqués, attachés à la libre circulation des armes et hostiles aux immigrés, on y trouve aussi des femmes, mais presque exclusivement blanches, des représentants des milieux d’affaires, des fermiers conservateurs, et des évangéliques qui ont tendance à voir en Donald Trump comme un nouveau messie.

 

4. Sur quels thèmes va se jouer la campagne ? Sera-ce un referendum pour ou contre Trump ?

Trump va rester fidèle à ce qui lui a réussi  : attiser la peur et la colère. Peur de l’étranger, peur de l’immigré, ressentiment contre «  les élites  », les alliés et les traités multilatéraux. Il a souvent prédit que s’il n’était pas réélu, le chaos suivrait  : une crise économique et financière sans précédent, une véritable invasion d’immigrés, des violences incontrôlables…

Si Joe Biden est bien le candidat démocrate, l’élection deviendra certainement un referendum pour ou contre Trump, elle se jouera entre les électeurs qui adhèrent à ses méthodes, et ceux qui voudraient revenir au calme et à la normale.

« La crise sanitaire du coronavirus ouvre

une période de grande incertitude... »

Comme dans toute élection, la situation et les perspectives économiques au moment de l’élection seront aussi déterminantes. À cet égard, la crise sanitaire du coronavirus ouvre une période de grande incertitude.

 

5. Votre regard sur la présidence Trump, confrontée au temps long de l’Histoire des États-Unis ?

Si Trump n’est pas réélu, sa présidence restera comme le moment où tous les noirs secrets de l’Amérique – violence, racisme, paranoïa – présents depuis l’arrivée des colons, seront revenus sur le devant de la scène et auront «  pris le pouvoir  », mais où la démocratie américaine aura tout de même prouvé sa capacité de résistance.

Mais si Trump est réélu, il en conclura que toutes ses outrances et ses abus de pouvoir ont été validés, et que désormais, «  tout est permis  ». Et peut-être devrons-nous parler de la démocratie américaine au passé, elle risquerait de n’en garder que les formes, comme une coquille vide.

 

Nicole Bacharan 2020

Nicole Bacharan est historienne et politologue.

 

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2 mars 2020

Lauric Henneton : « Trump, l'hyper-présidence, jusqu'à la caricature... »

Demain 3 mars se tiendra le Super Tuesday, journée décisive au cours de laquelle un grand nombre des délégués pour les primaires démocrates (dont ceux de Californie, du Texas, de Caroline du Nord, de Virginie et du Massachusetts) sera attribué. Plusieurs données à retenir du côté du « parti de l’âne », à ce stade : le statut de favori d’un Bernie Sanders, très marqué à gauche et en grande forme actuellement ; le maintien dans la compétition de l’ex vice-président Joe Biden, renforcé par le retrait du jeune espoir Pete Buttigieg qui était sur un même positionnement, plutôt centriste ; in fine la grande incertitude quant à l’issue de ces primaires.

Pour y voir plus clair, notamment sur la campagne et le bilan de Donald Trump, j’ai souhaité interroger Lauric Henneton, maître de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialiste de l’histoire et de la politique des États-Unis, et auteur récent d’un Atlas historique des États-Unis (Autrement, 2019). Je le remercie d’avoir accepté de se prêter à l’exercice, avec clarté et précision. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

PRÉSIDENTIELLE ÉTATS-UNIS, 2020

Donald Trump 2020

Donald Trump en 2019. Source : REUTERS.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU (2 MARS 2020)

Lauric Henneton: « Trump,

c’est l’hyper-présidence, poussée

jusqu'à la caricature... »

 

1. Le bilan de Donald Trump, qui sera candidat à sa réélection en novembre, peut-il être qualifié de "bon", du point de vue notamment des électeurs plutôt humbles et conservateurs qui constituent sa base ?

La question du bilan est à la fois décisive et particulièrement épineuse. Décisive car elle correspond à la fameuse question de Ronald Reagan: "Votre situation est-elle meilleure qu’il y a quatre ans ?" et que c’est souvent un élément décisif du choix, quand il n’est pas déjà fait sur des bases plus idéologiques. Épineuse car il est difficile de déterminer ce qui, dans la santé économique d’un État, dépend directement de l’action de l’administration en place.

Ici, deux exemples: la bonne santé de la bourse et la baisse continue du chômage. Les deux tendances avaient débuté sous Obama, c’est factuel et vérifiable. Mais tout est dans le "narrative", le récit. Les partisans de Trump sont de toute façon enclins à le croire, quoi qu’il dise. Reste la décision des indécis et là c’est très volatile. L’emploi cache en réalité un nombre important d’Américains qui sont sortis des statistiques ("not in the labor force"). Si on doit cumuler deux emplois sous-payés très loin de chez soi pour vivoter, on est dans les statistiques flatteuses.

On note un rebond des salaires, en revanche, mais là encore, difficile de mettre cette tendance directement au crédit de l’administration Trump, et pas par anti-trumpisme primaire: c’est difficile de mettre cela au crédit d’une administration fédérale en général. Notamment parce que l’attractivité économique est aussi une affaire qui se décide au niveau des États, mais aussi à un niveau encore plus local.

« Le coronavirus pourrait être

le "Katrina" de Donald Trump... »

La grande question actuellement est celle de l’impact du coronavirus sur l’économie (et la bourse). L’administration Trump est notoirement sous-pourvue, ce qui ne facilite pas la gestion. Le coronavirus pourrait être pour Trump ce que l’ouragan Katrina, qui avait dévasté La Nouvelle-Orléans en 2005 dans l’indifférence assez générale, avait été pour l’administration Bush. Évidemment, Trump rejettera la faute sur les médias, qui montent tout en épingle pour faire le buzz et sur les Démocrates.

 

2. Y a-t-il la moindre chance que la campagne générale se joue sur les idées plutôt que sur les personnes (pour ou contre Donald Trump) ? Et de ces deux hypothèses, laquelle serait, a priori, moins défavorable aux Démocrates ?

Une présidentielle, et dans une certaine mesure une sénatoriale, se jouent sur la personnalité, c’est inévitable quand ce sont des humains qui votent et pas des machines. Nous sommes tous, que nous le voulions ou non, plus ou moins réceptifs à des considérations de type émotionnel (charisme, par exemple). Nous rationalisons après-coup.

Dans le cas d’un duel Trump-Biden on sera clairement dans un référendum sur Trump plus que dans des considérations programmatiques strictes, même si celles-ci sont évidemment en filigrane: voter pour l’un ou pour l’autre, c’est forcément voter pour des programmes très différents et au-delà, pour des orientations pour le pays.

« Un duel Trump-Sanders serait un double

référendum : sur Trump et sur le socialisme,

associé au candidat démocrate. »

Dans un duel Trump-Sanders, en revanche, les idées seront plus présentes: au référendum sur Trump s’ajoutera un référendum sur le "socialisme", une notion assez mal définie aux Etats-Unis. Les plus âgés, qui ont vécu la guerre froide, sont nettement plus réticents que les jeunes, pour qui l’URSS relève des livres d’histoire. La séquence entre l’investiture de Sanders et l’élection de novembre serait alors l’occasion d’un grand exercice de pédagogie et de clarification sur la portée réelle du projet de Sanders, un exercice visant à rassurer les plus sceptiques. De l’autre côté, Trump dépenserait des millions de dollars à diaboliser le projet de Sanders en partant du principe que si l’on calomnie, il en restera toujours quelque chose.

 

3. L’historien que vous êtes lit-il dans la présidence, dans le "moment" Trump, quelque chose de fondamentalement nouveau, comme une rupture par rapport au reste de l’histoire des États-Unis, ou bien les ruptures de Trump ne se jouent-elles finalement que sur la forme ?

Trump a fait sa fortune politique sur une double rupture, qui commence au sein du Parti républicain. Il ne faut jamais l’oublier: l’essentiel de la campagne de 2015-2016 se situe au moment des primaires, de juin 2015 à l’été 2016. La dernière ligne droite (septembre-octobre) est finalement très brève. On l’oublie car elle est d’une rare intensité. La principale rupture se situe donc au sein du Parti républicain, que ce soit au niveau de l’interventionnisme militaire ou du retour au protectionnisme. Même chose sur l’immigration: s’il y a bien une constante dans l’opposition à l’immigration illégale, les Républicains n’étaient pas du tout hostiles à une immigration légale dans la mesure où elle fournissait une main d’oeuvre peu qualifiée bon marché indispensable à la bonne santé de l’économie, notamment dans les régions agricoles du Sud-Ouest (principalement en Californie).

Les lignes Trump sont donc en rupture assez nette avec les positions classiques du Parti républicain, mais on trouve aussi des continuités, qui n’apparaissaient pas toutes pendant la campagne 2015-2016. La politique fiscale, favorable aux plus riches, les coupes budgétaires, la déréglementation systématique des mesures de protection environnementale mises en place par l’administration Obama, la nomination de juges conservateurs à la Cour suprême: tout cela est très en phase avec la droite du Parti républicain. En cela, Trump nourrit une polarisation qui existait bien avant son entrée en politique. Trump est donc ici un catalyseur mais pas du tout l’origine du mal.

On pourrait faire un parallèle avec Sanders du côté démocrate: il entre en campagne en 2015 dans une galaxie démocrate déjà tiraillée, notamment par le mouvement "Occupy Wall Street" d’un côté et "Black Lives Matter" de l’autre - qui lui est d’abord très hostile. Sanders est aussi un catalyseur, sur lequel se greffent des personnalités montantes comme Alexandria Ocasio-Cortez (jeune élue à la Chambre des représentants proche de ses idées, ndlr).

Trump est aussi une forme d’évolution maximaliste sinon caricaturale de l’hyper-présidence déjà diagnostiquée par Hubert Védrine sous Bill Clinton dans les années 1990, de la "présidence impériale" qui remonte à la présidence Roosevelt dans les années 1930. Évidemment, sa personnalité abrasive, son utilisation très provocatrice et clivante (à dessein) des réseaux sociaux, sa stratégie visant à flatter sa base électorale la plus radicale, tout cela concorde à accentuer très profondément des tendances déjà présentes.

« La présidence Trump est un exercice

grandeur nature de résilience

démocratique. »

C’est encore accentué par des tendances volontiers autoritaires, neutralisées parfois par son administration (certains ministres, démissionnaires depuis), par les institutions (la séparation des pouvoirs, plus ou moins efficace) et le mille-feuilles fédéral. En cela la présidence Trump est un exercice grandeur nature de résilience démocratique, ce que les économistes appellent un test de résistance, un "stress test". Et ce sera encore davantage le cas si Trump était réélu en novembre, ce qui n’est ni exclu ni acquis.

 

Lauric Henneton 2020

Lauric Henneton est maître de conférences à

l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

 

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7 janvier 2020

« États-Unis-Iran... les monarchies du Golfe ont peur. Et à juste titre... », par Olivier Da Lage

Pour ce premier article de l’année 2020 - que je vous souhaite à toutes et tous, amis lecteurs, ainsi que pour vos proches, heureuse et enthousiasmante autant que possible -, j’aurais préféré choisir un sujet moins lourd, moins sombre. Mais l’actualité s’impose à nous, et elle est rarement légère : il y a cinq ans tout juste, alors que la France se remettait à peine des réjouissances du réveillon, le massacre perpétré à Charlie Hebdo venait bouleverser tout un pays et lui envoyer à la figure quelques froides réalités du monde qu’il avait un peu oubliées.

Le meurtre par les forces américaines, le 3 janvier à Bagdad, du général iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique, a considérablement ravivé les tensions, coutumières depuis 1979, entre les États-Unis de Trump et l’Iran des mollahs. Les inquiétudes se font sentir depuis quelques jours dans toute cette région du monde, aux équilibres fragiles, et déjà largement déstabilisée par les conflits internes et inter-États. Le journaliste de RFI Olivier Da Lage, spécialiste de la péninsule arabique, a accepté, à ma demande, de nous livrer son décryptage de la situation, avec un focus particulièrement éclairant nous expliquant la crise vue d’Arabie saoudite, et des Émirats arabes unis. Merci à lui ! Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

« En première ligne dans l’affrontement États-Unis-Iran,

les monarchies du Golfe ont peur. Et à juste titre... »

 

Ali Khamenei

Le guide suprême Ali Khamenei, le 6 janvier 2020. Source : REUTERS via RFI.

 

“Be careful what you wish for, you may just get it”.

Depuis plus d’une dizaine d’années, plusieurs monarques du Golfe pressent les États-Unis d’attaquer l’Iran et de renverser son régime. Feu le roi Abdallah d’Arabie saoudite, recevant en 2008 le général américain David Petraeus, avait imploré les Américains de «  couper la tête du serpent  », autrement dit l’Iran. Le même message, plus direct et employant des expressions moins imagées, était relayé par les souverains de Bahreïn et d’Abou Dhabi, à la grande satisfaction du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou qui se félicitait publiquement de la convergence entre Israël et les monarchies du Golfe.

Mais l’administration Obama ne partage pas cette vision extrême de la façon de traiter avec l’Iran. De toute façon, les États du Golfe, ou en tout cas certains d’entre eux, sont ulcérés par la façon dont Obama réagit aux «  printemps arabes  » qu’ils voient comme une menace existentielle alors que les États-Unis voient une opportunité pour les peuples de la région de se faire entendre. Le comble est atteint lorsqu’ils apprennent en 2015 qu’Américains et Iraniens négocient secrètement depuis un an et demi sous l’égide du sultanat d’Oman qui ne leur a rien dit, bien qu’il soit membre du Conseil de coopération du Golfe, comme les cinq autres monarchies de la Péninsule arabique. Ces négociations aboutiront à l’accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne le 14  juillet 2015.

« L’Arabie saoudite et les E.A.U. ont travaillé en sous-main

pour faire élire Donald Trump, attendant après sa victoire

la mise en œuvre d’un programme de déstabilisation de l’Iran. »

Avec Obama, la rupture est totale et l’Arabie saoudite, comme les Émirats arabes unis et Bahreïn, misent sur son successeur à venir. En fait, ils font davantage que miser  : comme on le sait désormais, Abou Dhabi et Riyadh ont travaillé en sous-main pour faire élire Donald Trump. Ce dernier l’ayant emporté, ils attendent la mise en œuvre d’un programme de déstabilisation de l’Iran. De fait, les principaux responsables de l’administration Trump sont connus pour leur hostilité à la République islamique et leurs critiques passées de la passivité supposée d’Obama. Enhardi, le tout nouveau prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salman, annonce même en 2017 qu’il va porter la guerre sur le sol iranien. Les premiers gestes de Trump comblent d’aise ces émirs va-t-en guerre  : retrait de l’accord de Vienne, renforcement des sanctions pour infliger une «  pression maximale  » sur l’Iran, menaces à l’encontre des Européens qui se risqueraient à ne pas respecter les sanctions… américaines, etc.

Mais au fil du temps, un doute affreux les saisit  : et si Trump, en fin de compte, n’était qu’un faux dur, répugnant au conflit  ? Après tout, il s’est fait élire sur la promesse de rapatrier les troupes américaines, dont plusieurs dizaines de milliers stationnent au Moyen-Orient et alentour. Ils voient la confirmation de leurs soupçons lorsqu’en juin 2019, un drone américain est abattu par l’Iran au-dessus du golfe Persique sans que cela provoque la moindre réaction. Pis  : Donald Trump révèle que les militaires avaient préparé une action de représailles et qu’il y a renoncé en apprenant que le bombardement risquait de provoquer la mort de 250 Iraniens.

Quarante ans après Carter, et trois ans seulement après Obama, les monarques du Golfe se sentent à nouveau abandonnés par l’allié américain.

« Pris de doute quant à la détermination américaine

sur la question iranienne, Riyadh et Abou Dhabi se sont résignés,

à partir de juin, à une révision de leur stratégie face à Téhéran. »

Dans ce contexte, deux événements vont les conduire à réviser en profondeur leur stratégie.

En juin 2019, deux pétroliers croisant en mer d’Oman, à l’orée du fameux détroit d’Ormuz qui commande l’accès au Golfe, font l’objet d’attaques non revendiquées mais attribuées à l’Iran sans que les démentis de ce dernier ne parviennent à convaincre. Les deux pétroliers sont évacués mais ne coulent pas et tout laisse à penser que ces attaques n’en étaient pas véritablement et constituaient plutôt un avertissement. C’est en tout cas ce que croient comprendre les Émirats arabes unis qui, dans la foulée, annoncent le retrait de leur contingent militaire du Yémen, où ils combattent les Houthis, soutenus par l’Iran. Et en juillet, de hauts responsables émiriens se rendent à Téhéran pour y discuter sécurité maritime. C’est le premier contact de ce niveau depuis six ans entre les deux pays.

De même, le 14 septembre, des installations pétrolières saoudiennes situées à Abqaiq dans la province orientale sont attaquées par les airs avec une précision diabolique. Les Houthis revendiquent une attaque par drones, ce qui est immédiatement mis en doute, à la fois en raison de la sophistication de l’attaque et de la distance de la frontière yéménite. Les regards se tournent naturellement vers Téhéran dont les démentis ne convainquent pas plus qu’en juin. Les Iraniens ne cherchent d’ailleurs pas vraiment à dissiper l’impression qu’ils sont derrière une attaque qui, analyse faite, viendrait plutôt du nord que du sud et parvient à endommager, sans détruire complètement, ces installations vitales pour les exportations saoudiennes. La production de pétrole est temporairement réduite de moitié mais peut progressivement reprendre son rythme de croisière dans les mois qui suivent. Quoi qu’il en soit, à Riyadh aussi, le message a été parfaitement reçu.

Puisque les États-Unis ne semblent pas prêts à venir au secours de leurs alliés arabes, ces derniers doivent s’adapter à la situation nouvelle et, pour la première fois depuis 2015, les Saoudiens paraissent sérieux en affirmant qu’ils veulent mettre fin à la guerre au Yémen. De même, la tonalité des discours saoudiens à l’égard de l’Iran s’est considérablement assouplie. Riyadh et Téhéran échangent directement, ainsi que par l’intérmédiaire de pays tiers naguère encore marginalisés par l’Arabie, comme Oman, le Koweït et le Pakistan.

C’est alors que, prenant tout le monde par surprise, Donald Trump ordonne fin décembre le bombardement de cinq sites des Kataëb Hezbollah irakiennes, une milice chiite liée à l’Iran, en représailles après la mort d’un «  sous-traitant  » américain en Irak (autrement dit un mercenaire employé par l’armée américaine) tué lors de l’attaque d’une base militaire américaine près de Kirkouk quelques jours auparavant. Moins d’une semaine plus tard, le 3 janvier, le général iranien Qassem Soleimani était pulvérisé par un missile tiré d’un drone américain alors qu’il venait de quitter l’aéroport de Bagdad. Soleimani, l’architecte de l’expansion politico-militaire de l’Iran au Moyen-Orient, était un très proche du guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei au point que nombre d’observateurs le qualifiaient de numéro deux du régime, avant même le président Rohani.

« Soleimani, qui supervisait directement plusieurs milices

chiites irakiennes, revenait à Bagdad avec la réponse du Guide

à une proposition saoudienne de désescalade transmise par l’Irak,

qui agissait en tant que médiateur. »

Soleimani, qui supervisait directement plusieurs milices chiites irakiennes, revenait à Bagdad avec la réponse du Guide à une proposition saoudienne de désescalade transmise par l’Irak, qui agissait en tant que médiateur. L’Arabie saoudite a donc doublement été prise de court, à la fois par une réaction américaine violente qu’elle n’attendait plus, et par le fait que celle-ci intervient alors que Riyadh est engagé dans un processus diplomatique de rapprochement avec la République islamique. Mais à Washington, l’heure est désormais à la rhétorique guerrière, dans la bouche du président Trump que de son ministre des Affaires étrangères Mike Pompeo, sans considération pour les alliés des Américains, qu’il s’agisse des Européens, ouvertement méprisés par Pompeo, ou des alliés arabes du Golfe. Quand ces derniers affirment qu’ils n’ont pas été consultés ni même informés préalablement, leurs déclarations semblent crédibles, tant ils apparaissent désemparés.

À Abou Dhabi, le ministre des Affaires étrangères Anouar Gargarsh que l’on a connu plus belliqueux, plaide désormais pour un «  engagement rationnel  » et souligne que «  la sagesse et l’équilibre  » doivent prévaloir. Son homologue saoudien, Adel Jubeir, qui n’était pas le dernier à dénoncer l’Iran dans les termes les moins diplomatiques, insiste désormais sur «  l’importance de la désescalade pour épargner les pays de la région et leurs peuples des risques d’une escalade  ».

Un universitaire des Émirats arabes unis, Abdulkhaleq Abdulla qui a mis son talent et son influence au service du discours anti-iranien de son gouvernement ces dernières années, déclare à présent que le message à Trump des dirigeants du Golfe peut se résumer ainsi  : «  Épargnez-nous s’il vous plaît une autre guerre qui serait destructrice pour la région. Nous serons les premiers à payer le prix d’une confrontation militaire. Il en va donc de notre intérêt vital que les choses restent sous contrôle  ».

Enfin, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salman, dépêche aux États-Unis son frère cadet Khaled ben Salman, vice-ministre de la Défense, ancien ambassadeur à Washington et homme de confiance de MBS avec un message simple à l’attention de l’administration américaine  : «  faites preuve de retenue  ».

« Les pétromonarchies du Golfe ont cessé de croire qu’une offensive

américaine contre l’Iran pourrait être sans conséquence

pour elles-mêmes ; elles espèrent désormais un apaisement. »

L’attaque de juin 2019 contre les pétroliers et celle du 14 septembre contre les installations pétrolières d’Arabie a tiré certaines monarchies pétrolières de leur rêve éveillé dans lequel les Américains pouvaient frapper l’Iran sans conséquences pour eux-mêmes. Cette inconscience était d’autant plus incompréhensible que les Iraniens, depuis plus de trente ans, ont toujours été très clairs  : en cas d’attaque américaine ou israélienne, ce sont les monarchies situées de l’autre côté du Golfe qui en paieront le prix. Leurs installations pétrolières et pétrochimiques sont des cibles faciles et aisément à la portée des missiles de la République islamique, tout comme, ce qui est d’ailleurs beaucoup plus grave, les usines de dessalement de l’eau de mer qui assurent l’essentiel du ravitaillement en eau potable des pétromonarchies.

Il ne faudra pas longtemps aux souverains du Golfe, qui ont si longtemps plaidé pour une attaque contre l’Iran auprès des dirigeants américains, pour voir si leur influence est suffisante afin de persuader désormais Donald Trump du contraire.

par Olivier Da Lage, le 7 décembre 2020

 

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25 septembre 2019

Cynthia Sardou : « Je crois avoir enfin réussi à retrouver ma vraie personnalité... »

Vingt années tout juste après l’immonde agression sexuelle qu’elle a subie, Cynthia Sardou poursuit, apaisée, son chemin sur la difficile voie de la résilience, qu’elle est en passe de dépasser pour se raccrocher, enfin, à une vie dite normale. Son expérience, elle a eu à cœur de la partager, non dans un esprit revanchard, mais positif, pour aider les autres, dans des ouvrages, ou lors de conférences... « Positif », là est réellement son état d’esprit, aujourd’hui. Résolue, elle avance, des projets plein la tête. Une rencontre notamment a contribué à l’aider, en plus du soutien apporté par ses parents : celle de la thérapeute canadienne Marie-Pauline Chassé, qui lui a fait bénéficier de sa méthode dite MPC, et qui est devenue pour elle une amie. Elles ont accepté, toutes deux, de témoigner pour nous, à la veille de louverture du Salon Zen Paris, qui se tiendra du 26 au 30 septembre à l’Espace Champerret (17e). Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Cynthia Sardou: « Je crois avoir enfin réussi

à retrouver ma vraie personnalité... »

  

partie 1: l’interview avec Cynthia Sardou

Comment vous présenteriez-vous à nos lecteurs ?

Je suis issue d’une famille d’artistes - mon père Michel, chanteur et aujourd’hui comédien, ma mère Françoise, danseuse professionnelle et chorégraphe. J’ai débuté comme attachée de presse en France. J’ai été assistante de production pour la télévision. J’ai également été directrice artistique auprès de l’imprésario Eddy Marouani, avant de commencer le journalisme, puis de devenir correspondante à l’étranger pour Canal +.

Actuellement je vis au Québec. J’ai écrit et coécrit plusieurs ouvrages autour de l’abus sexuel que j’ai subi, de la reconstruction et de la résilience, et fait plusieurs conférences sur ces thèmes, à travers l’Europe et le Québec. Je viens également d’établir une agence de communication et de relations presse au Québec, Cynthia Sardou Communications. J’ajoute qu’un roman est en préparation pour l’an prochain.

 

Vingt ans après le traumatisme que vous avez subi, pouvez-vous nous parler en quelques mots du processus de reconstruction qui a été le vôtre jusqu’ici ?

Après l’agression, le procès verbal et l’examination par les médecins à l’hôpital, j’ai été prise en charge par un psychiatre et par des médecins afin de me stabiliser émotivement. Puis ce fut le procès, qui m’a d’une certaine manière soulagée, mais également fait vivre les faits une deuxième fois. Je peux comprendre que les victimes n’aient pas toujours envie de porter plainte, on a plutôt envie de se reconstruire et d’aborder la vie autrement. Ce qui est certain, c’est que, à compter de l’agression, je n’ai plus vu la vie de la même manière. L’essentiel m’est revenu à l’esprit, à savoir garder la vie sauve, et me reconstruire, psychologiquement surtout. Il faut entretenir un optimisme permanent, c’est comme un muscle, cela se travaille. Il est possible de s’en sortir et de vivre avec, malgré tout ce qui a pu être enduré... Cette histoire restera forcément gravée en moi pour toujours. Ce fut le drame de ma vie. Mais voilà, c’est arrivé, je ne peux pas revenir en arrière ou refaire le film sans fin. Beaucoup de gens vivent cela malheureusement.

Ce que j’essaie de faire dans mes conférences, c’est donner de l’optimisme, encourager celles et ceux qui se sentent parfois seuls. On n’est pas seul. Aujourd’hui, on peut bénéficier de nombreuses aides. Au Canada il y a des maisons spécialisées pour aider les femmes à se reconstruire, ce qui n’existe pas en France. À noter que sur ces crimes la prescription n’existe pas au Québec, contrairement à la France... Chacun a sa façon de se reconstruire et doit le faire à son rythme, malgré les on-dit, et tout ce que les gens peuvent penser autour de soi sur la non-reconstruction ou la non-rédemption. La résilience existe, pour peu qu’on réussisse à l’appliquer.

Ce qui moi m’a la plus aidée, c’est que mes parents m’ont soutenue au mieux. On ne s’est pas toujours compris, et je me suis sentie un peu incomprise parfois, mais cela venait surtout de moi et pas d’eux. C’est d’abord un travail sur soi dans le cadre d’une position volontaire. Si la victime n’a pas envie de s’en sortir elle ne s’en sortira jamais, ou bien elle y réussira mais plus lentement que les autres. En ce qui me concerne j’ai mis du temps à me reconstruire car j’ai vécu un syndrome post-traumatique, des années plus tard, à la prise d’un médicament qui a provoqué en moi des effets secondaires intolérables et insupportables. J’ai alors dû retourner à l’hôpital pour me faire soigner à nouveau, pendant quelque temps. Mais je persiste à dire que le travail vient de soi pour peu qu’on le veuille : il ne faut pas demeurer en position léthargique, car cela revient à se laisser mourir à petit feu.

L’autre chose qui m’a redonné confiance en moi, a été le sport intensif, que j’ai pratiqué pendant plusieurs mois. Et la méthode MPC (du nom de Marie-Pauline Chassé), dernièrement, qui permet de rendre la vie plus agréable au quotidien. Deux autres éléments contribuant au processus, même si celui-ci ne s’arrêtera jamais : cela fera bientôt vingt ans, et je devrai toujours me battre, comme n’importe qui ayant vécu un drame, ou pas d’ailleurs. C’est un travail sur soi dans tous les cas, et je le dis avec beaucoup de sincérité.

 

Comment avez-vous rencontré Marie-Pauline Chassé et que vous a-t-elle apporté ?

J’avais déjà entrepris le pas vers la résilience depuis un moment, mais je manquais encore de confiance en moi sur de nombreux pans de ma vie : sur mon travail, mes relations amicales, etc... Marie-Pauline Chassé m’a apporté un plus, à savoir cet esprit de vivre au quotidien, dans la bonne humeur permanente. J’ai lu pas mal de livres sur la reconstruction et le bien-être personnel, mais je dirais que, cette méthode-ci, je la recommanderais à tout le monde car elle a été efficace pour moi. Je me sens bien, simplement "normale", et ai l’impression d’être redevenue la Cynthia que j’étais avant mon agression. C’est cela, l’important : retrouver sa vraie personnalité. J’ai mis du temps à la retrouver, mais je l'ai retrouvée me semble-t-il.

 

Pourquoi conseilleriez-vous à nos lecteurs de tester la méthode MPC ?

Je dirais que Marie-Pauline Chassé a créé un outil assez révolutionnaire, en 1991, qu’elle a eu l’occasion de bien appliquer depuis tout ce temps. Parmi les sept outils de la méthode MPC il y a le "passe-partout", qui comprend les explications du fonctionnement de l’être humain, et la façon dont nous gérons les émotions accumulées dans les cellules de notre corps. Il y a l’idée du poids et du rôle que jouent toutes ces émotions accumulées dans notre vie de tous les jours. Cet outil, qui sera présenté en atelier à Paris, est simple à utiliser, il peut l’être par un enfant de 10 ans. En quelques minutes vous pouvez libérer quelque chose de vous-même et débloquer la situation de vos émotions. Je conseille cette méthode car dans la vie on est en permanence confronté à des conflits avec soi-même ou avec ses proches, à des incompréhensions verbales qui parfois peuvent nous mettre dans tous nos états. Avec ces outils les choses se passent différemment.

 

Aujourd’hui vous vous sentez bien dans vos baskets ?

Oui, en tout cas beaucoup mieux. J’ai appris à vivre autrement mon quotidien, et à le vivre agréablement. Le penser positif, le sport, les marches notamment etc... J’essaie désormais de vivre mieux chaque jour pour donner le meilleur de moi autour de moi. Mon rôle à moi c’est de donner de l’espoir à des gens qui ont vécu des choses négatives. C’est mon message d’espoir, que j’entends apporter partout où je passe. C’est ainsi que je vois la vie et que j’applique la résilience de Boris Cyrulnik, qui est tellement importante parce qu’elle permet de tenir bon et d’avancer...

 

Un message ?

Une citation d’Oscar Wilde qui m’est chère et à l’usage de tous : « S’aimer soi-même est le début d’une histoire d’amour qui dure toute une vie ».

 

Que peut-on vous souhaiter Cynthia ?

Que tous mes projets se réalisent. Merci à vous.

 

MPC et Cynthia Sardou

Marie-Pauline Chassé et Cynthia Sardou.

 

partie 2: l’interview avec Marie-Pauline Chassé

Pouvez-vous vous présenter et nous parler notamment de votre parcours, Marie-Pauline Chassé ?

Je m’appelle Marie Pauline Chassé et je suis née dans un tout petit village dans la province du Nouveau-Brunswick au Canada. Je demeure maintenant sur Montréal depuis trente-et-un ans. De l’âge de 10 ans jusqu’à 20 ans, j’ai été victime d’abus sexuel, physique, psychologique et j’ai aussi été victime d’intimidation. À 25 ans, mon conjoint s’est suicidé donc tout ce vécu a fait en sorte que je sois directement en contact avec l’abandon et le rejet. Par la suite, la résilience m’a conduite à vouloir faire quelque chose de bien pour les autres, ce qui m’amena à étudier en psychologie à l’Université du Québec à Montréal et par la suite, j’ai poursuivi à parfaire mes démarches dans le domaine du privé afin d’approfondir mes connaissances dans la relation d’aide.

 

Comment avez-vous développé la méthode MPC, en quoi consiste-t-elle et qu’emprunte-t-elle notamment à la fameuse « loi d’attraction » ?

J’ai découvert avec mes années d’études que j’avais une grande capacité à aider et à ressentir ce que les gens vivent. Dans mon enfance, comme j’avais aussi vécu l’expérience de trois morts cliniques, la troisième fois à l’âge de 13 ans, j’ai toujours été convaincue que j’étais revenue avec quelque chose au fond de moi qui me donnait le pouvoir d’être en contact avec les émotions des gens. Je savais exactement quoi dire et quoi faire pour que leur vie se transforme. C’est là qu’est née la méthode MPC qui sont mes initiales et qui veut aussi dire « méthode de pensée constructive ». Le MPC, ce sont des outils simples et très faciles à utiliser qui ont pour but d’aider les gens à comprendre leur vie, à comprendre la vie. Chaque personne vit des situations qui sont parfois difficiles et il est primordial de comprendre pourquoi elles s’attirent ces situations. Tout est une question de perception ! Si je crois que je suis née pour un petit pain, je ne récolterai que des miettes. Cependant, si je sais au plus profond de moi que je suis née pour vivre de belles et grandes choses, je m’attirerai l’abondance à tous les niveaux. « Je suis ce que je pense ! »

« Ma vie est le reflet de mes pensées ! » Le MPC permet aux gens de changer leurs perceptions face à ce qui leur arrive. Et c’est en passant par la compréhension des situations que l’ont vit que nos perceptions changent. C’est alors que se déclenche une ouverture de la conscience et cette ouverture amène automatiquement un changement à l’intérieur de soi, ce qui fait que notre vie se transforme. Nous cessons de vivre des situations désagréables à répétition, notre manière de voir les choses change et par le fait même, notre vie devient plus facile et plus légère. La vie n’est pas un combat. La vie est une partie de plaisir où la liberté d’être « qui » nous voulons être est primordiale !

 

Que pensez-vous apporter aux gens qui font appel à vous, et que retenez-vous de manière synthétique de ce qui les préoccupe et de ce qui interroge nos contemporains ?

J’apporte aux gens la possibilité de devenir maître de leur vie. De devenir leur propre thérapeute afin d’être en mesure de gérer toute situation conflictuelle du quotidien. J’apporte aux gens l’ouverture de leur cœur, ce qui les amène à être dans la compréhension au lieu de l’incompréhension. Je leurs fais prendre conscience du pouvoir qu’ils ont de transformer leur vie. Je leurs apporte la possibilité d’être libre intérieurement, ce qui les amène à « voyager léger » ! Ce que je retiens de nos contemporains ? Les gens du monde entier se cherchent. Tous ressentent une pression constante. Ils sont continuellement dans une course contre la montre ce qui leur donne l’impression d’être assis sur une bombe qui pourrait sauter à tout instant. Peu importe le continent sur lequel nous vivons, TOUT LE MONDE sans exception ressent cela en ce moment. Et c’est de pire en pire. Il doit se passer quelque chose. Une nouvelle conscience doit s’installer. Nous ne sommes plus dans l’ère des combats et du pouvoir sur les autres. Ce temps est révolu. Il faut que ça change ! Mais qu’est-ce qu’on peut faire pour que ça change ? C’est là que la méthode MPC entre en jeu. De plus, cette méthode révolutionnaire est si simple à utiliser, qu’elle devrait sans contredit, être enseignée dans les écoles puisque même les enfants sont en mesure de s’en servir. Ce sont eux la relève, ce sont eux l’avenir. Le MPC est le plus bel héritage qu’on puisse laisser à nos enfants !

 

Quel regard portez-vous sur la société actuelle ?

La société actuelle a le « cancer » ! La société est très malade et si les choses ne changent pas, les humains sont voués à un échec incommensurable. Les signes nous sont envoyés de tous les sens et les humains ont des œillères. Il est venu le temps de les enlever afin de s’ouvrir sur un nouveau monde ou le respect et le partage sont la priorité de tous et chacun.

 

Un mot sur, et pour Cynthia Sardou ?

Un jour, il n’y a pas si longtemps, j’ai fait une demande à l’univers et j’ai demandé qu’on m’envoie LA personne qui m’aiderait à faire connaître le MPC. Ma demande a été entendue. Cynthia est arrivée dans ma vie. Cynthia et moi formons une équipe extraordinaire. Nous avons la même vision des choses, notre désir premier est d’aider les gens et d’apporter un nouveau souffle sur la Terre. Cynthia est remarquable comme être humain et elle fait son travail à la perfection. Grâce à elle, j’aurai l’opportunité extraordinaire de faire connaître au monde entier la méthode MPC.

 

Un dernier mot ?

Depuis 1991, j’expérimente le MPC auprès de centaines voire même de milliers de gens et j’ai la preuve aujourd’hui que cette méthode apporte des résultats concrets et surtout, qui sont durables. Bien sûr, avec les années, j’ai amélioré et peaufiné la méthode a un point tel qu’aujourd’hui, en 2019, je suis enfin prête à la faire connaître au monde entier. Le MPC doit absolument être connu puisque cette méthode change la vie des gens. Que ce soit en passant par des cours de développement personnel que j’ai créés et qui s’intitulent « Éveil à la conscience », des consultations individuelles, des conférences et par des séminaires que j’ai donné pendant dix-neuf ans en République dominicaine, à Cuba et aux Bahamas, la vie des gens s’est littéralement transformée. Je ne peux donc plus tenir cette méthode sous silence maintenant qu’elle est rendue à son apogée.

 

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24 juin 2019

« Le nazisme, sujet vierge... ou presque ! », par François Delpla

J’ai la chance, depuis maintenant trois ans, de compter parmi mes contributeurs réguliers, l’historien spécialiste du nazisme François Delpla. Auteur de nombreux ouvrages consacrés au Troisième Reich, M. Delpla a développé au cours de ses plus de trente années de recherche un certain nombre de thèses, devenues pour certaines des certitudes bien ancrées. Et tant pis si elles vont, parfois, à rebours de positions majoritairement admises par ses camarades historiens : il les défend inlassable, avec force arguments. Ce qui, quoi qu’il arrive, a l’immense vertu de nourrir des débats profitables à une meilleure mise en lumière des faits et de la pensée de leurs auteurs et acteurs. Parmi les convictions fortes de M. Delpla : une contestation de celles des tenants de l’école dite "fonctionnaliste", selon lesquels les décisions prises (et notamment la Shoah) auraient été pour beaucoup la conséquence de circonstances, par définition changeantes ; une volonté de remise au cœur de l’étude et du dispositif nazi du Führer, puisque perçu par l’historien comme ayant été à la manœuvre du début jusqu’à la fin.

Une idée récurrente dans la pensée de M. Delpla, et exprimée plus d’une fois dans nos interviews : on n’en serait qu’aux balbutiements de la recherche sur et de la connaissance du nazisme. J’ai souhaité l’inviter à expliciter cette idée, et il a accepté de répondre aux deux thématiques que je lui ai proposées : « Le nazisme, sujet vierge... ou presque ! », puis « Pour mieux comprendre le nazisme : quels territoires à défricher, quels documents à déchiffrer ? ». Je le remercie d’avoir accepté une nouvelle fois de se prêter au jeu. Et, comme toujours, puissent ses contributions inviter à réfléchir, et être versées au débat, l’essentiel est là. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Une histoire du Troisième Reich

Une histoire du IIIe Reich, Perrin, 2014.

 

la tribune

« Le nazisme, sujet vierge... ou presque ! »

par François Delpla, le 11 juin 2019

 

Pour soutenir ce titre paradoxal, je commencerai par parcourir les cinquante dernières années, posthumes, de ce mouvement lancé il y a près de cent ans, avant de revenir sur son premier demi-siècle.

 

Un débat et des hommes

Il est généralement admis qu’un duel entre deux écoles historiographiques s’est engagé dans les années 1960, l’une qui s’intitulait «  fonctionnaliste  » et l’autre dite «  intentionnaliste  » (ce mot étant lui-même forgé et propagé par les fonctionnalistes).

Dans le camp fonctionnaliste, on trouvait deux fondateurs allemands, Martin Broszat (1926-1989) et Hans Mommsen (1930-2015), et, outre leurs disciples, de nombreux épigones anglo-saxons (Ian Kershaw, Tim Mason, Christopher Browning…).

Dans la mouvance «  intentionnaliste  » voisinaient des personnalités diverses, depuis les Allemands Andreas Hillgruber, Klaus Hildebrand et Eberhardt Jäckel jusqu’à l’Américaine Lucy Dawidovicz.

Le duel est censé avoir culminé dans les années 60 et 70, au net avantage du fonctionnalisme. Puis l’heure aurait été à la synthèse.

 

Conjoncture ou planification  ?

Pour les fonctionnalistes, l’idéologie nazie, en raison de son manque de réalisme, a dû, dès le départ, composer avec une réalité qui échappait à ses adeptes, en sorte que toute décision résultait non d’une intention mais d’un compromis entre des idées délirantes et un réel résistant. En conséquence, cette école présente très rarement la politique mise en œuvre sous la direction de Hitler comme le résultat d’une planification. Elle privilégie tantôt les racines sociales et les processus de longue durée, tantôt la conjoncture la plus immédiate, et toujours multiplie les facteurs.

Les «  intentionnalistes  » sont ceux qui résistent à ce vent dominant en introduisant dans leurs analyses un minimum de continuité. Hélas, seulement un minimum.

 

Preuves et documents

Les fonctionnalistes sombrent, à chaque pas, dans un défaut de méthode  : une déformation de la démarche que deux théoriciens de l’histoire encore très révérés, les Français Langlois et Seignobos, ont prônée à la fin du XIXème siècle sous le nom de «  positivisme  ». L’histoire, enseignent-ils, s’appuie sur des documents et ne peut rien affirmer sans un répondant documentaire. Les historiens du nazisme ont fort souvent, à propos des questions les plus centrales, imprudemment outrepassé ce conseil de prudence, le transformant en  : «  pas de document, pas d’événement  ». Dans certains cas, cela revient à prêter main-forte aux effaceurs de traces. Tout particulièrement quand on traite du national-socialisme, un régime où le secret, le trompe-l’oeil et le cloisonnement étaient élevés à la hauteur d’un art.

 

La manœuvre initiale

L’incendie du Reichstag, le 27 février 1933, est l’un des faits les plus saillants de l’histoire du nazisme et l’acte de naissance de cette dictature. Mais il ne saurait, selon l’école fonctionnaliste, être attribué aux nationaux-socialistes puisqu’on ne dispose pas d’un ordre signé par eux à cet effet. Et comme on n’a découvert et châtié qu’un coupable, celui-ci a nécessairement agi seul et de sa propre initiative. Telle est la thèse de «  l’acteur unique  » Marinus van der Lubbe, popularisée en 1964 par Hans Mommsen dans un article fondateur du courant fonctionnaliste. L’erreur de méthode est patente car les ordres peuvent être donnés oralement, et les indices peuvent être effacés. Le raisonnement doit alors envisager les moyens dont disposaient des commanditaires, ou des complices, pour passer inaperçus.

Dans le cas de cet incendie, ces moyens sont aussi nombreux que faciles à appréhender.

 

Hitler se place lui-même dans un étau pour accéder au pouvoir

Lors de son accession à la chancellerie, le 30 janvier 1933, Hitler est coincé entre un président, Paul von Hindenburg, qui peut à tout moment le destituer, et un vice-chancelier, Franz von Papen, qui avait recruté et commandé, dans un cabinet précédent, presque tous les autres ministres, à l’exception de celui de l’Intérieur, le nazi Wilhelm Frick, et de Göring, ministre sans portefeuille. Ce dernier est nommé en même temps ministre de l’Intérieur en Prusse, sans abandonner pour autant la présidence du Reichstag, qu’il assurait depuis août 1932.

Hitler commence à desserrer l’étau au bout de 48 heures, en obtenant de Hindenburg le 1er février une dissolution du Reichstag qui n’était pas constitutionnellement nécessaire et n’avait pas été convenue avant sa nomination. L’ouverture d’une campagne électorale augmente considérablement l’importance des ministères de l’Intérieur, au plan national comme à celui de la Prusse. Comme le gouvernement était présenté comme celui de la dernière chance avant une guerre civile, la police était fondée à réprimer quiconque le critiquait, et la campagne en offrait de multiples occasions.

Hitler arrache dans ce sens à Hindenburg, dès le 4 février, un décret que Göring met à profit pour saisir les journaux et interrompre les meetings des partis non gouvernementaux, pas toujours mais souvent. Il décrète même, sans que personne y mette obstacle, que les milices SA et SS peuvent assister la police dans ce «  maintien de l’ordre  », munies d’un simple brassard.

Puis Göring fait perquisitionner le siège du KPD (le parti communiste allemand), abandonné depuis quelques jours par ses personnels, ce qui ne l’empêche pas d’y trouver des plans de conquête violente du pouvoir, passant par des attaques contre des bâtiments publics.

Pendant ce temps, le jeune Hollandais Marinus van der Lubbe, ancien communiste, est venu à pied de Leyde à Berlin, où il commence à faire de l’agitation antinazie dans les files de chômeurs tout en tentant maladroitement d’incendier des bâtiments publics. Si aucun document ne montre Hitler ou Göring ordonnant de brûler le Reichstag, aucun non plus ne nous renseigne sur le comportement de la police vis-à-vis de cet agitateur, qui devait bien avoir été repéré.

 

La triple fonction de Göring aurait-elle pu ne jouer aucun rôle  ?

Les pouvoirs dévolus au président du Reichstag, notamment en matière de recrutement du personnel, offrent maintes possibilités pour introduire Marinus van der Lubbe dans le parlement à la nuit tombée et lui mettre en main de quoi incendier la salle des séances, ou confier cette mission à quelqu’un d’autre en s’arrangeant pour que Lubbe porte le chapeau. Göring, qui peut, en tant que ministre, disposer d’indicateurs qui repèrent l’incendiaire et l’apprivoisent en se présentant comme des antinazis, peut aussi, en tant que président, embaucher et piloter des agents nazis, membres du SD ou de quelque officine spécialement formée.

 

Deux dirigeants très organisés, qui agissent de concert

Trois autres indices peuvent être invoqués, relatifs au comportement du couple Hitler-Göring juste après l’incendie.

Tout d’abord, ils se précipitent sur les lieux alors que, lorsqu’un pouvoir est surpris par une soudaine révolte, le bon sens commande que ses dirigeants restent à l’abri en attendant de plus amples nouvelles.

Ensuite, ils font arrêter dans leur lit au petit matin des dizaines de responsables communistes, ce qui ne s’improvise pas en une nuit.

Enfin, Göring donne une conférence de presse pendant laquelle il fait état des documents subversifs saisis au siège du KPD en annonçant leur publication prochaine… qui n’aura jamais lieu.

Or, s’il avait eu vent de projets d’attaque contre des bâtiments publics, il lui incombait de protéger le Reichstag, à la fois comme président et comme ministre, et nul n’aurait dû pouvoir y pénétrer sans être fouillé et enregistré.

En revanche, un tel incendie, provoqué par lui à ce moment-là, s’inscrivait parfaitement dans la progression de la confiscation du pouvoir par le parti nazi, achevée pour l’essentiel dès le lendemain lorsque Hitler arrache, à un Hindenburg et à un Papen médusés, un décret suspendant toutes les libertés, qui sera reconduit sous diverses formes jusqu’en 1945.

Le coup d’État est là. Hitler n’a accepté de se placer dans un étau que pour desserrer et contrôler la vis au plus vite.

 

Quand une profession s’engouffre derrière une thèse mal assurée

Que Hans Mommsen, dans son article de 1964, écrive que Hitler, surpris par l’événement, «  met tous ses pions sur la même case comme un mauvais joueur de roulette et gagne  », c’est là une fantaisie individuelle. Qu’on en sourie est une chose, qu’on la prenne au sérieux en est une autre mais que toute une profession souscrive à un tel jugement est un symptôme fort éloquent. Il suggère que la démarche fonctionnaliste, loin d’être révolutionnaire, plonge de profondes racines dans la période antérieure, celle du nazisme puis de la guerre froide.

La théorie de «  l’acteur unique  » succède en effet à une autre vision dominante  : celle d’un commando de SA venu par le souterrain du chauffage… un simple retournement de la version nazie primitive d’une escouade communiste arrivée par le même chemin, qui aurait fait le travail tout en laissant van der Lubbe se faire prendre. Propagée en 1934 dans un «  Livre brun  », la thèse d’un commando de SA, actionné par Göring ou Goebbels, résista quelque temps dans des sphères militantes après la publication de l’article de Mommsen, par exemple en RDA.

Le public avait alors le choix entre une grossière invraisemblance (un acteur unique venu de l’étranger, pyromane maladroit qui se serait mis par hasard à faire les bons gestes au bon endroit) et la non moins grossière action d’un commando porteur de gros bidons de matière inflammable, qui n’aurait pas dû passer inaperçu.

Les nazis auraient eu, dans les deux cas, beaucoup de chance. On leur dénie par là toute capacité  d’intrigue et de planification (ils auraient attendu passivement le miracle d’un «  acteur unique  »), ou au moins toute subtilité dans leurs manœuvres.

Quant à ceux qui, sans adhérer à l’une ou à l’autre théorie, persistent à soupçonner les nazis d’avoir fait brûler leur parlement, ils sont volontiers accusés de «  conspirationnisme  ».

 

Un crime de masse engendré par la conjoncture ou un génocide planifié et mis en œuvre sur ordre  ?

La difficulté vient précisément du rôle écrasant de Hitler. On veut bien l’admettre, s’agissant des crimes… encore que, dans les années 1980, le courant fonctionnaliste ait accouché d’une théorie suivant laquelle Himmler et Heydrich avaient été à l’origine de la Shoah, non point en vertu d’une idéologie mais de la difficulté de garder et de nourrir les Juifs des régions envahies  ; Hitler se serait contenté de les approuver, «  peut-être d’un signe de tête  », comme quoi le positivisme le plus raide peut s’accommoder d’une imagination débridée. Dans les années 1990 cependant, un consensus s’est établi sur l’idée que Hitler avait donné un ordre de meurtre, et non une simple approbation.

 

Un Führer faible et maladroit, porté au pouvoir par un déterminisme historique

Si on a fini par consentir à voir en lui le chef de bande d’un régime responsable de millions de morts, on n’accorde pas pour autant à Hitler beaucoup de maestria. Et ce, dès son entrée en politique.

Lorsqu’il commence à se faire connaître en Bavière au début de la décennie 1920, la presse de gauche, ou certains journaux catholiques, remarquant qu’il n’exerçait aucun métier avant celui de politicien, se mettent à le taxer de paresse. Les mêmes, en raison de son talent le plus voyant, l’éloquence, le traitent de bavard, de beau parleur, de démagogue. Une sociologie marxiste sommaire s’en mêle  : le courant stalinien le réduit à être «  l’homme des trusts  » tandis que Trotsky, qui écrit beaucoup sur le nazisme au début de son exil commencé en 1929, professe que Hitler tire ses idées de son auditoire «  petit-bourgeois  ».

Toutes les hypothèses se donnent libre cours à l’exception d’une seule  : on évite soigneusement d’examiner si on n’aurait pas affaire à un politicien certes très particulier, mais travailleur et talentueux.

Or le régime qu’il a créé et dirigé jusqu’au bout a été d’une efficacité certaine. Son exclusion de tout rôle dans l’incendie du Reichstag, pratiquée par les fonctionnalistes, se retrouve à tous les stades de sa carrière, et du traitement de celle-ci par les observateurs, avant comme après 1945.

Comme il faut bien combler ce vide explicatif, on met en scène, côté allemand, les subordonnés, la chance, le hasard ou les calculs soit myopes, soit cyniques, des élites, et à l’étranger les erreurs, les lâchetés ou les divisions de ceux qui auraient pu et dû, sous toutes les latitudes, s’opposer. En d’autres termes, le régime nazi, parvenu au pouvoir par un mélange de fatalité historique et de légèreté des classes dominantes, était dirigé par un nul  : c’est le déterminisme qui l’a porté au pouvoir… mais ce sont ses erreurs qui expliquent ses échecs.

Telle est l’équation fondamentale, enveloppée d’une phraséologie souvent très pompeuse, qui domine l’étude du nazisme depuis des dizaines d’années. Mon travail et mes recherches me conduisent, que je le veuille ou non, à des conclusions différentes  : Hitler menait sa barque, du début à la fin.

 

Les panneaux tendus par le nazisme fonctionnent toujours

L’antinazisme, quand il engendre la peur de rendre Hitler sympathique ou admirable en lui prêtant des qualités, rejoint… le nazisme lui-même, et se montre docile à son chef. Car celui-ci planifiait ses coups d’autant plus efficacement qu’il dissimulait cette activité sous des dehors brouillons, impulsifs et indécis.

Le régime lui-même était présenté par divers artifices comme divisé, et son chef comme tiraillé entre des clans divers, par exemple des «  durs  » et des «  mous  ». Il n’est d’ailleurs pas faux que des courants aient existé, ainsi que des rivalités individuelles. Mais ce que l’histoire n’aurait jamais dû perdre de vue, c’est qu’un chef dominait tout cela. Il mettait à profit l’apparent désordre de son appareil d’État pour masquer son jeu, et le fait même qu’il avait un jeu.

Quant aux erreurs qu’on lui prête, elles appellent deux remarques  : 

1) il en fait quelques-unes dans les années 1920 et montre alors une grande aptitude, rare chez les politiciens, à en tirer de fécondes leçons  ;

2) il n’en commet strictement aucune dans les années 1930.

Toutes ses fautes, réelles ou supposées, sont donc, dans la période où il est au pouvoir, postérieures au moment où, pour la première fois, il croise le fer avec Winston Churchill. Car à la mi-mai 1940, la toute récente accession de ce vieil adversaire à la barre de l’Angleterre, et le fait qu’il s’y maintienne contre vents et marées, privent Hitler d’un traité de paix qui aurait durablement installé la domination allemande et nazie en Europe.

L’accession et le maintien de Churchill au pouvoir dérangent ses plans d’une manière qui va s’avérer irrémédiable.

Pour échapper à ces évidences, l’historiographie du nazisme, succédant après 1945 aux observations contemporaines de diverses obédiences, a pris (ou prolongé) quelques très mauvais plis, transcendant bien souvent les écoles. Avec essentiellement une circonstance atténuante - ou accablante, comme on voudra : que l’on soit, avant 1945, un politicien ou un journaliste formé aux meilleurs écoles, marxistes comprises, ou bien, après 1945, un diplômé des départements d’histoire des universités les plus prestigieuses, il n’est pas facile d’admettre qu’un quidam sorti du collège à seize ans sans le moindre parchemin ait pu se hisser à la tête d’une grande puissance et faire au moins jeu égal, pendant des années, avec tous ses collègues étrangers. C’est ainsi qu’aux États-Unis et en Russie, mais ailleurs également, on entend souvent dire que même si Churchill n’avait pas existé, Roosevelt et Staline, qui «  gagnaient du temps  » en fourbissant leurs armes, s’en seraient servis de toute façon  : ce sont là des assertions plus partisanes que scientifiques.

L’intelligence de Hitler et son dérangement mental, tous deux extrêmes, doivent être au centre du propos si on veut vraiment comprendre le Troisième Reich dans sa spécificité, et non dans ce qu’il peut avoir de commun avec tel ou tel autre régime. Le travail commence à peine. Quant à l’auteur de ces lignes, il continue d’aller de découverte en découverte.

 

Principaux ouvrages  :

Hitler, Grasset, 1999
La face cachée de 1940 / Comment Churchill réussit à prolonger la partie, De Guibert, 2003
L’individu dans l’histoire du nazisme / Variations sur l’arbre et la forêt, mémoire d’habilitation, 2012
Une histoire du Troisième Reich, Perrin, 2014
Hitler, propos intimes et politiques, 2 volumes, Nouveau Monde, 2015 et 2016
Hitler et Pétain, Nouveau Monde, 2018

Site personnel  : www.delpla.org

Sur Facebook  : groupe ISSN (International Society for the Study of Nazism), adonné notamment, depuis février 2019, à l’exploitation des archives en ligne de l’Institut für Zeitgeschichte (Munich)  : https://www.facebook.com/groups/StudyOfNS.

 

 

Hitler et Pétain

Hitler et Pétain, Nouveau Monde, novembre 2018.

 

appendice

« Pour mieux comprendre le nazisme : quels territoires

à défricher, quels documents à déchiffrer ? »

Il nous manque à ce jour :

  • Une confrontation serrée des intentions exposées dans Mein Kampf et de la politique suivie entre 1933 et 1945 («  tout n’est pas dans Mein Kampf  », dit un slogan cher aux fonctionnalistes  ; or l’édition commentée enfin publiée en 2016 par l’Institut für Zeitgeschichte de Munich a détaillé le contenu du livre et l’a rapproché d’un certain nombre de «  sources  », ou de variantes contemporaines, mais ne s’est guère demandé dans quelle mesure, et en quoi précisément, la réalisation avait fait évoluer le projet).

  • Une analyse de la politique hitlérienne vis-à-vis des gouvernements français successifs, mettant en lumière la continuité des procédés du prédateur pour endormir ou divertir sa proie.

  • La même chose, mutatis mutandis, pour sa politique vis-à-vis du Royaume-Uni.

  • Une narration de la Seconde Guerre mondiale montrant la persistance du but (une alliance «  raciale  » avec le Royaume-Uni) à travers les apparences et les détours.

  • Une explication de texte détaillée du journal de Goebbels, ou encore des riches mémoires, reflétant des notes prises sur le moment, du confident de Hitler le plus intime et le plus mal connu, Otto Wagener.

  • Un inventaire des manipulations, par Hitler, des personnalités proches et lointaines (par exemple, les naïfs mémoires de Leni Riefenstahl, inconsciente cinquante ans plus tard d’avoir été manipulée, sont à cet égard une mine à ciel ouvert).

  • Une édition enfin critique du Hitler m’a dit de Hermann Rauschning (fin 1939) démêlant une double manipulation  : celle de l’auteur par Hitler, et celle de l’opinion mondiale par un pamphlet guerrier fait (à Londres) de bric et de broc.

  • Un travail analogue à celui de Harald Sandner (Das Itinerar, 2016, sur la localisation de Hitler jour après jour) sur ses activités et autres manœuvres (sans préjudice d’une correction de toutes les erreurs relevées par Sandner dans la littérature antérieure, dont on trouve un florilège en ligne).

  • Un Who’s who du Troisième Reich montrant les activités et les missions de chacun, civil ou militaire, avec une grille de lecture plus fine que l’éternel «  panier de crabes luttant les uns contre les autres  » servi pendant le premier siècle (et influençant, pour l’instant, peu ou prou tous les chercheurs).

  • Un constat du «  sans faute  » de la politique hitlérienne entre 1930 et la mi-mai 1940, imposant enfin l’idée que le surgissement de Churchill dérange irrémédiablement un scénario presque parfait, et prive le nazisme d’un succès durable, sinon pour mille ans, du moins pour quelques générations.

  • À propos de l’antisémitisme, un inventaire de l’héritage des auteurs antérieurs, ou de l’influence des contemporains, permettant de cerner enfin ce que l’antisémitisme hitlérien avait de spécifique (une question presque jamais posée, et, quand elle l'est, le plus souvent résolue avec simplisme : il serait seulement plus "radical").

  • Une réflexion psychiatrique et psychanalytique sur la cohabitation entre psychose et intelligence, délire et réalisme.

  • Une étude de la postérité du nazisme échappant aux slogans et aux amalgames, en proscrivant les concepts confus comme «  totalitarisme  » ou «  nazislamisme  ».

  • Une prise en compte exhaustive des archives importantes. Très instructif est, à cet égard, le fonds que l’Institut für Zeitgeschichte a mis en ligne sous la cote https://www.ifz-muenchen.de/archiv/zs/zs-0003.pdf?fbclid=IwAR0l7HFsNT3MOrBA2y8VeAsq-z3_M2gIb6CPE5EP1xoTxbjUsExqgPhiJCU et les suivantes (0004, 0005 etc.). Il témoigne à la fois des centres d’intérêt des historiens allemands depuis 1945 et des pistes qu’ils ont négligées. L’exploration de cette mine est menée depuis quelques mois par le groupe Facebook ISSN (International Society for the Study of Nazism) https://www.facebook.com/groups/StudyOfNS/ . Un groupe ouvert et accueillant.

par François Delpla, le 21 juin 2019

 

François Delpla 2019

 

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5 juin 2019

« Le 6 juin, que commémorer ? », par Guillaume Lasconjarias

En ces journées de début juin 2019, nous commémorons à juste titre le débarquement de Normandie en 1944, et saluons comme il se doit ceux qui y prirent part au prix parfois de leur peau. Un acte majeur, ô combien périlleux, qui contribua grandement au reflux de la puissance nazie sur le front ouest. 75 années... Je m’associe sans réserve aux hommages présentés par tous, et ai une pensée particulière, d’une part pour le travail de "passage de mémoire" effectué par Isabelle Bournier et le Mémorial de Caen, d’autre part pour Dauphine et Bob Sloan, deux amis ayant à cœur de perpétuer l’oeuvre et le souvenir de Guy de Montlaur, qui fit partie des fameux "commandos Kieffer".

J’ai proposé à Guillaume Lasconjarias, chercheur associé à lIrenco, auditeur de la 71e session nationale Politique de défense de lIHEDN et contributeur fidèle à Paroles d’Actu, d’écrire un texte à propos de cet anniversaire. Je le remercie vivement pour ce document, reçu ce 5 juin, et par lequel il prend le parti - plutôt courageux ! - de poser un regard démythifié, et en tout cas recontextualisé, sur le D-Day. Respect des mémoires, et rigueur historique. Une exclusivité Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Cimetière Normandie

 

« Le 6 juin, que commémorer ? »

par Guillaume Lasconjarias, le 5 juin 2019

Avec les cérémonies internationales qui se tiendront mercredi 5 juin à Portsmouth et jeudi 6 juin sur le littoral normand, le débarquement des Alliés fait la Une des journaux. Mais ce 75e anniversaire prend une tournure bien particulière avec la présence sans doute des derniers vétérans – les plus jeunes ont dépassé les 90 ans. Un moyen pour nous de songer aux liens entre histoire, mémoire et commémoration.

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, tandis qu’une partie de l’armada alliée navigue vers les côtes normandes, les premiers parachutistes américains sautent sur la presqu’île du Cotentin ; leurs camarades britanniques sécurisent eux, de l’autre côté de la future tête de pont, les ponts sur l’Orne et le canal de Caen. Débute ainsi la campagne de Normandie et la libération de la France continentale – la Corse est libre depuis septembre 1943. Quel que soit l’angle sous lequel on aborde les deux mois et demi de combats (on considère que la bataille se termine le 21 août avec la fermeture de la poche de Falaise), chacun a une idée, une représentation, un contact avec cet événement. Le parachutiste – désormais mannequin – pendu au clocher de Sainte-Mère-Église, la ritournelle qui annonce à (l’un des groupes de) la Résistance le débarquement prochain (Verlaine et sa chanson d’automne), les casemates qui sèment encore les côtes ou les restes des ports artificiels à Arromanches, sans compter le cimetière et les 10 000 croix blanches de Colleville-sur-Mer, l’opération Overlord se caractérise par des images et une impression de familiarité.

La raison en tient à la médiatisation extrême de ce qui n’est pourtant qu’une opération amphibie parmi d’autres. Le D-Day n’est ni la plus importante opération de la 2e Guerre mondiale (le théâtre Pacifique rassemble des contingents et des déploiements aéronavals bien plus conséquents), ni même la plus impressionnante en terme d’effectifs  : qui sait que l’opération Husky qui lâche deux armées (la 7e US Army de Patton et la VIIIe armée britannique de Montgomery) sur la Sicile rassemble plus d’hommes (160 000 contre 130 000)  ? De même, Overlord doit être considérée en relation avec un second débarquement qui intervient un mois et demi plus tard, en Provence cette fois  : Anvil-Dragoon. Les deux opérations avaient été pensées comme concomitantes mais le manque de transports et d’engins de débarquement ont forcé à décaler les actions dans le temps.

 

« Le D-Day n’est ni la plus importante opération

de la 2e Guerre mondiale, ni même la plus

impressionnante en terme d’effectifs. »

 

Mais voilà, en Normandie, on a Capa et ses photos floues – qui tiennent d’une erreur de développement, pas des qualités du photographe –, puis dès les années 1960, le poids de l’industrie cinématographique qui livre Le Jour le plus long (1962). Un autre film, Il faut sauver le soldat Ryan (1998), scotche littéralement le spectateur en lui révélant ce que signifie être dans une barge devant Omaha Beach  : les tremblements de la main de Tom Hanks, les spasmes des soldats chahutés par le mal de mer, et la moisson rouge récoltée par les mitrailleuses allemandes. Cet environnement, qui se prête à la dramatisation, doit aussi être lu dans une historiographie encore très «  Guerre froide  »  : on vante la Normandie et le début de la libération de la partie occidentale de l’Europe, en occultant le rôle essentiel des opérations menées par les Soviétiques à l’Est. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, on sait que l’Allemagne a perdu la guerre d’abord à l’Est et que 4 soldats allemands sur 5 perdirent la vie sur le front russe. Cela dit, l’historiographie soviétique a toujours reconnu que la Normandie avait été un moment important – les autres débarquements en Afrique du Nord et en Sicile ou en Italie étant considérés comme des épiphénomènes.

 

« Depuis une vingtaine d’années, on sait que l’Allemagne

a perdu la guerre d’abord à l’Est et que 4 soldats allemands

sur 5 perdirent la vie sur le front russe. »

 

Du point de vue français, le rôle accordé au D-Day conduit à donner une extrême importance aux quelques unités qui y participent, et d'abord aux 177 hommes du commando Kieffer. On ne sait pas suffisamment que la France est aussi présente dans les airs (au sein de Wings de la RAF) et sur mer (avec notamment les croiseurs «  Georges Leygues  » et «  Montcalm  »). En outre, cest aussi par la Normandie que débarque, début août, la 2e DB de Leclerc. Cette survalorisation de la Normandie mène à une quasi confiscation mémorielle vis-à-vis dun autre débarquement, celui de Provence. Pourtant, l’armée B – puis 1ère Armée française – sous les ordres de De Lattre fait aussi bien voire mieux, par exemple en libérant les villes de Toulon et Marseille. Mais ces troupes viennent essentiellement des colonies et territoires français à l’étranger et leur mémoire, avant le septennat de Chirac, passe largement sous silence.

 

« Cette survalorisation de la Normandie mène à une quasi

confiscation mémorielle vis-à-vis d'un autre débarquement,

celui de Provence, où les troupes de De Lattre s’illustrèrent

en libérant les villes de Toulon et Marseille. »

 

Il faudrait aussi parler du tourisme de mémoire, d’une Normandie qui très tôt, fait le choix de ce lien avec le passé pour développer une offre pléthorique, centrée sur les plages – qu’il est question d’inscrire au patrimoine de l’UNESCO –, les villes emblématiques – Bayeux, Caen, Carentan – et les sites héroïsés (par exemple la Pointe du Hoc). Le 6 juin devient donc un argument de vente, tourné vers le public notamment anglo-saxon à qui l’on propose d’ailleurs des modules «  visite des champs de bataille  ».

Avec le moment où disparaissent les derniers vétérans, la transition de la mémoire vers l’histoire s’achève complètement. Comme on l’a observé pour les funérailles du dernier poilu, Lazare Ponticelli, il sera alors temps de laisser le travail aux historiens – qui se sont déjà largement et depuis longtemps emparés du sujet – mais qui ne seront plus tenus au risque du choc et donc de l’affrontement des mémoires. Cela fait longtemps que les «  mythes  » et «  secrets  » du Débarquement se sont évaporés. Il faut aller au-delà des plans com des auteurs ou des maisons dédition qui abusent de titres annonçant des révélations sur un évènement désormais bien connu des historiens.

 

Débarquement

 

En revanche, il faudra toujours, et dans une démarche qui peut mêler connaissance scientifique et reconnaissance mémorielle, se souvenir de ceux et celles qui, dans l’été 1944, sont venus se battre, et pour beaucoup mourir, pour un coin de France dont ils ne savaient pas forcément le nom.

 

« Il faudra toujours se souvenir de ceux et celles qui,

dans l’été 1944, sont venus se battre, et pour beaucoup

mourir, pour un coin de France dont ils ne savaient

pas forcément le nom... »

 

Guillaume Lasconjarias 2019

 

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23 mai 2019

« L'Europe, pour moi, est d'abord une émotion », par Pierre-Yves Le Borgn'

Dans trois jours, les peuples de l’Union européenne se rendront aux urnes pour élire ceux qui les représenteront au sein du Parlement européen, organe communautaire qui a gagné considérablement en importance depuis ses origines. J’ai proposé il y a quelques jours à l’ex-député Pierre-Yves Le Borgn, qui a participé à de nombreuses reprises à Paroles d’Actu, de nous livrer son témoignage de citoyen qui connaît bien les arcanes du pouvoir européen mais qui, au-delà de cela, s’est formé en même temps que l’Europe communautaire, et a appris à en aimer l’idée. Il n’est pas question ici de passer sous silence les défauts, voire les manquements pointés ici ou là et qui alimentent au quotidien les griefs nourris contre une UE souvent perçue comme étant dogmatique et techno, éloignée du citoyen de base et de ses préoccupations. Mais, à l’heure où les caricatures et autres fake news sont reines, et où démonter sans discernement est plus en vogue - et tellement plus simple - que défendre en argumentant, je suis heureux de donner la parole à un honnête homme, qui sait de quoi il parle et le fait avec sa sensibilité. Pour lui, l’Europe « est d’abord une émotion ». Je le remercie pour ce texte, touchant comme le fut celui consacré au centenaire du 11 novembre, et vous invite en cette période électorale à relire deux articles ici publiés, une collection dinterviews deurodéputés réalisées en 2014, et une tribune accordée à Nathalie Griesbeck en 2016 : « L'Europe et les peuples ». Tout un programme. Encore. Toujours. Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

« L’Europe, pour moi, est d’abord une émotion. »

Par Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député, le 22 mai 2019.

 

Dans quelques jours auront lieu les élections européennes. Ce sera un rendez-vous important pour les citoyens d’Europe. Nombre d’enjeux se posent pour lesquels le Parlement européen possède une capacité décisive d’influence. Il faut voter. Cette élection n’est pas lointaine ou inutile. Bien au contraire, elle concerne la vie de chacune et de chacun d’entre nous. Le Parlement européen n’est plus le forum sympathique mais sans pouvoir des premières années de l’aventure européenne, voire de la première élection au suffrage universel direct en 1979. Il est devenu un législateur actif, décidé et même zélé. C’est bien le moins pour un parlement, dira-t-on. C’est vrai, mais il ne faut pas oublier qu’il y a une trentaine d’années, se battre pour que la représentation élue des citoyens d’Europe pèse autant que celle des intérêts nationaux, rassemblés au sein du Conseil, était un courageux combat d’avant-garde, moqué et critiqué par ceux, notamment en France, qui opposaient que l’Europe des nations était l’horizon indépassable de tout projet.

 

« N’oublions pas qu’il y a une trentaine d’années,

se battre pour que la représentation élue des citoyens

d’Europe pèse autant que celle des intérêts nationaux,

rassemblés au sein du Conseil, était un courageux

combat d’avant-garde, moqué et critiqué. »

 

Le monde a tant changé depuis. J’ai 54 ans. J’en avais 14 lorsque les premières élections européennes furent organisées. J’étais en classe de 3ème à Quimper, ma ville natale. Les frontières de notre pays étaient à 1000 km et ma première référence européenne devait être les coupes d’Europe de football… L’Europe n’était pas un sujet que je percevais. J’avais suivi cependant la campagne des élections, me prenant peu à peu au jeu. Deux personnalités m’avaient marqué  : Simone Veil et François Mitterrand. Tous deux parlaient de l’Europe avec passion, évoquant l’histoire tragique du siècle passé et l’urgence de construire un espace de paix par le droit. Cela m’avait touché. Peu après les élections de juin 1979, j’avais assisté en direct à la télévision à la session inaugurale du nouveau Parlement européen. De grands noms comme Willy Brandt avaient été élus aussi. J’avais trouvé cela impressionnant. Comme le discours de la doyenne d’âge Louise Weiss. Je n’avais pas idée alors que je siégerais moi-même un jour dans le même hémicycle.

 

« Les premières élections européennes eurent lieu

l’année de mes 14 ans. Ma première référence européenne

devait alors être les coupes d’Europe de football.

Puis je me suis pris au jeu... »

 

Ces souvenirs sont ceux de mon éveil à l’Europe, ceux d’un adolescent grandissant dans une région périphérique et tranquille. Les élections de 1979 agirent en moi comme un déclic, entraînant des lectures, des conversations avec ma famille, en un mot une prise de conscience à l’âge de l’éveil citoyen. Je suis le fils d’une pupille de la Nation. Mon grand-père est tombé en Belgique en mai 1940, laissant derrière lui son épouse âgée de 25 ans et ma mère qui avait tout juste un an. Je ne faisais pas le lien encore entre cette histoire familiale forte, qui fait partie de ma vie, et le besoin d’Europe. À l’inverse de mes parents, qui avaient voulu que l’allemand soit la première langue que j’étudierais au collège. Comme dans un jeu de construction, c’est à ce moment-là que les cubes s’emboîtèrent pour moi et que, chemin faisant, je me mis à en ajouter d’autres. Je compris que l’Europe n’était pas seulement un continent partagé entre pays, certains dominés par l’Union soviétique et la dictature communiste, mais qu’il s’agissait d’une communauté de destins à construire.

 

« Fils d’une pupille de la Nation, je ne faisais pas

le lien encore entre cette histoire familiale forte,

qui fait partie de ma vie, et le besoin d’Europe dont

mes parents avaient eux bien conscience. » 

 

Quarante ans plus tard, je suis un ancien député qui écrit ces lignes depuis son petit bureau, sous les toits d’une maison de Bruxelles. Je suis le papa de trois enfants qui ont ma nationalité, celle de mon épouse espagnole et, à leur majorité, celle de la Belgique où ils sont nés. J’ai appris le portugais et l’espagnol à l’âge adulte. J’ai consacré ma vie professionnelle au droit européen. Ma vie politique aussi. J’ai eu le bonheur d’étudier au Collège d’Europe, dans un brassage passionnant de nationalités et de cultures qui ont changé ma vie. Et j’ai surtout eu la chance d’aller à la découverte, par de nombreux voyages, de la diversité de l’Europe. Je ressens profondément la devise de l’Union  : «  Unis dans la diversité  ». C’est la somme de nos histoires, de nos différences, de nos cultures, de nos paysages qui fait la force de l’Europe. L’Europe, pour moi, est d’abord une émotion. Je ne peux entendre L’Hymne à la Joie sans frisson, ni regarder le drapeau européen sans fierté. Pour paraphraser François Mitterrand, la France est ma patrie, l’Europe est mon avenir. Et plus encore celui de mes enfants.

 

« C’est la somme de nos histoires, de nos différences,

de nos cultures, de nos paysages qui fait la force

de l’Europe. Tout cela je ne le proclame pas

simplement, je l’ai vécu et le vis au quotidien. »

 

Je n’ai pas dévié durant ces quarante années  : l’Europe a été et reste le cap. J’ai été à un moment passionnant de ma vie un acteur de ce combat. Comme député. J’aurais voulu l’être comme Commissaire européen aux Droits de l’Homme. Il ne s’est pas fallu de grand-chose. C’est la vie. Aujourd’hui, je suis juste un père de famille qui espère passer le témoin, partager la passion, en un mot y croire, encore et toujours. Des cubes, je suis passé aux cercles, aux cercles concentriques. Il y a le premier cercle, celui des droits et libertés, de la démocratie et de l’État de droit. C’est le Conseil de l’Europe et ses 47 États membres. Il y a le second cercle, celui de l’Union européenne, des libertés de circulation et des 28 Etats membres. Et il y a le troisième cercle, celui de la zone Euro, qui doit être un espace économiquement, socialement et environnementalement intégré. Faire vivre ces 3 cercles, développer la zone Euro dans une perspective humaniste, progressiste et de justice, c’est le combat, c’est l’espoir et c’est l’avenir.

 

« Aujourd’hui, je suis "juste" un père de famille

qui espère passer le témoin, partager la passion,

en un mot y croire, encore et toujours. »

 

Pierre-Yves Le Borgn Européennes

 

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