14 mai 2023

Daniel Pantchenko : « Anne Sylvestre était une femme libre... qui avait du caractère ! »

Je dois bien l’avouer : né en 1985, et n’ayant pas vraiment été bercé par ses "Fabulettes" durant mon enfance, jusqu’à il y a peu, le nom d’Anne Sylvestre, s’il me parlait vaguement, n’évoquait pas grand chose pour moi. Oh, je savais qu’elle était une grande dame de la chanson, parce que tous ceux qui l’évoquent le disent, mais de là à citer trois, deux, ou même un de ses titres... Et il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de lire Anne Sylvestre - Elle enchante encore ! (Fayard, 2023), écrit par le journaliste et écrivain Daniel Pantchenko, grand connaisseur de la chanson française et habitué de Paroles d’Actu. Ce livre, une réédition augmentée d’un ouvrage paru en 2012, a largement bénéficié de la participation bienveillante de l’artiste, malheureusement disparue en 2020 à l’âge de 86 ans.

On y découvre une femme touchante mais au caractère bien trempé, avec ses combats, ses tourments et ses passions ; on y rencontre surtout une artiste dont on se demande pourquoi, au vu de la qualité de son œuvre, aujourd’hui comme hier on ne l’entend pas davantage. "Elle enchante encore", oui, ceux qui la connaissent déjà, mais elle mérite certainement d’être reprise, et d’enchanter de plus jeunes générations, pour peu que celles-ci aient l’occasion d’au moins l’entendre... Merci à Daniel Pantchenko pour l’interview réalisée début mai, et pour son ouvrage, qui je l’espère contribuera à donner au public lenvie de rendre à Anne Sylvestre sa place éminente parmi les grands de la chanson, de la seule manière qui vaille : l’écouter, encore et encoreExclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Daniel Pantchenko: « Anne Sylvestre

était une femme libre... qui avait

du caractère ! »

Anne Sylvestre Elle enchante encore

Anne Sylvestre - Elle enchante encore ! (Fayard, 2023).

 

Daniel Pantchenko bonjour. La réédition avec mise à jour de la biographie que vous aviez consacrée à Anne Sylvestre (1934-2020), avec la participation active de l’artiste, vient de paraître chez Fayard. Je sais que vous aviez eu du mal à la convaincre, il avait presque fallu la harceler pour qu’elle cède, et je crois qu’elle n’avait pas regretté ensuite. Comment se sont passés vos échanges, vos séances de travail avec elle ?

Anne Sylvestre avait dit et répété qu’elle ne voulait pas de biographie de son vivant. Donc, cela a été un peu indécis au début, mais comme j’avais mené à terme une biographie de Jean Ferrat (qui n’en voulait pas non plus, et qui est mort d’ailleurs avant sa parution), j’ai procédé de manière analogue, c’est à dire avec une sérieuse recherche de documents. Jusqu’au jour où Anne m’a téléphoné  : «  Daniel, je vois que tu ne me lâcheras pas  !  » Pour la bio, je l’ai alors rencontrée une première fois dans un bar où elle avait ses habitudes, puis à huit autres reprises chez elle, soit une bonne douzaine d’heures entre février et juillet 2012, le livre étant paru en octobre. Nos échanges se sont super bien passés. La seule discussion un peu délicate a été à propos de l’histoire de son père (qui a été collaborateur) et je me souviens qu’à un moment, elle m’a dit  : «  Mais, c’est mon père  !  » Je lui ai répondu «  Mais c’est mon livre  !  » et on s’est mis assez vite d’accord pour respecter un équilibre entre son histoire personnelle et l’Histoire tout court.

 

A

Anne Sylvestre et Daniel Pantchenko au Salon du Livre

de Paris, en mars 2013. Photo : Claudie Pantchenko.

 

Que savez-vous de l’appréciation qui fut la sienne à propos de votre travail ? Je pense notamment à tous ces témoignages de personnes gravitant autour d’elle que vous avez recueillis (je pense à celui très touchant d’Anne Goscinny par exemple)...

Anne n’était pas très expansive à ce sujet, mais c’était à mon sens une forme de pudeur, et j’ai toujours préféré le fond à la forme. Quand des personnes proches se sont étonnées qu’elle ait accepté cette biographie, elle leur a répondu  : «  Je sais qu’il ne me trahira pas  !  » Alors j’ai écrit dans l’introduction  : «  Bref, j’ai la Légion d’honneur.  » À la sortie du livre, Anne m’a dit  : «  Quand même, tu l’as écrit vite  !  » Comme je l’ai indiqué ci-dessus, avant d’avoir son accord, j’avais déjà pas mal travaillé. Le 22 mars 2013, lors du Salon du Livre de Paris, Anne est venue dédicacer à mes côtés et il s’est produit une chose assez savoureuse. Au stand Fayard, deux personnalités TV du moment devaient également dédicacer (l’animateur Karl Zéro et le journaliste économiste François Lenglet) et une dizaine de photographes les attendaient. Raté ! Les deux vedettes ne sont pas venues et les photographes ont commencé à mitrailler Anne, qui leur a lancé en me montrant  : «  Non ! C’est lui qui a écrit le livre  !  » L’année suivante, elle m’a téléphoné un jour, juste pour me dire : «  C’est dur d’écrire un livre  !  » À la demande de son ami Philippe Delerm, elle avait accepté de s’y mettre à son tour et ça a donné le savoureux Coquelicot et autres mots que j’aime (aux éditions Points)… Ce coup de fil, c’était sa manière à elle de saluer mon travail, qu’elle se plaisait à résumer ainsi  : «  Les gens sauront qu’il n’y a pas eu que des cabarets et des Fabulettes dans ma vie. Tout est là  ! C’est fait  !  »

 

Ça a été quoi votre histoire avec Anne Sylvestre ? Pourquoi elle parmi tant d’autres, pourquoi est-ce que tout particulièrement son œuvre vous a touché, parlé ?

Je l’indique dès l’introduction du livre, j’ai vraiment découvert Anne Sylvestre au Printemps de Bourges 1978. Elle m’a fait beaucoup rire et pleurer, en compagnie des quatre mille filles et garçons enthousiastes sous le chapiteau  : après Ferrat, c’était sans doute l’artiste de la chanson qui me touchait le plus, par la qualité de ses textes (ainsi que de ses mélodies, ce que l’on ne souligne pas assez souvent !) et par son implication sociale. À preuve, si je l’ai beaucoup croisée en concerts c’était surtout ceux de jeunes artistes, en particulier de jeunes chanteuses (et d’abord Michèle Bernard que j’ai tout de suite adorée). Donc, dès 1978, j’ai écrit différents articles sur elle dans L’Humanité et L’Humanité Dimanche, puis au fil des publications auxquelles j’ai collaboré, jusqu’au trimestriel Chorus disparu à l’automne 2009. Le succès de ma bio de Jean Ferrat en 2010 (plus grosse vente Fayard de la semaine – 15 000 exemplaires – à sa sortie en septembre 2010) m’a permis de proposer Anne pour mon livre suivant, ce qui n’aurait peut-être pas été possible auparavant.

 

 

"Nul ne guérit de son enfance", disait Jean Ferrat justement. Celle d’Anne Sylvestre fut compliquée, il y a eu les difficultés de la guerre, le fait aussi d’avoir eu, vous l’évoquiez, un père qui n’a pas choisi le bon camp - il a fait de la prison pour cela. La mort surtout, violente, de ce grand-frère lui aussi embrigadé, frère qui la protégeait quand elle était gamine. Elle a mis beaucoup de temps avant d’assumer cela publiquement. Elle a longtemps souffert de cette culpabilité par procuration  ?

Bien sûr qu’il y a eu cette culpabilité. Comment y échapper dans les années 1960 où elle sort ses premiers disques et obtient un succès certain avec ses «  Fabulettes  » (Hérisson, Veux-tu monter dans mon bâteau  ?, Mouchelette…) De plus, en 1968 (année très politique, historique) elle a quitté les disques Philips pour signer chez Meys où enregistre notamment Jean Ferrat. À l’époque, nombre de ses copines et copains artistes sont comme on dit «  bien à gauche  » et elle a confié son «  secret  » à ses plus proches, en se demandant toujours s’ils continueraient à l’aimer… Alors quand sa sœur cadette de huit ans, Marie Chaix, lui a dit qu’elle préparait un livre sur l’histoire de leur père, elle a été terrorisée (selon ses propres mots) et elle lui a demandé de ne pas dire qu’elle était sa sœur. Cela tombe d’autant plus mal pour elle que le livre en question (Les Lauriers du lac de Constance) sort en 1974, année où Anne devient sa propre productrice et sort son premier 30 cm comme telle, avec notamment Non tu n’as pas de nom (titre-phare sur le droit à l’avortement, le droit du choix) et Un mur pour pleurer, aussi sublime qu’autobiographique. L’année suivante, le deuxième album (tout aussi magnifique à mes yeux) s’ouvrira sur Une sorcière comme les autres, véritable «  manifeste  » (le mot est d’elle) de plus de sept minutes sur le sort ordinaire des femmes dans l’Histoire y compris récente, avec dès le premier couplet des allusions familiales sensibles  :

Quand vous jouiez à la guerre
Moi je gardais la maison
J’ai usé de mes prières
Les barreaux de vos prisons
Quand vous mouriez sous les bombes
Je vous cherchais en hurlant
Me voilà comme une tombe
Et tout le malheur dedans

En 2007, Anne Sylvestre enregistrera l’album "Bye mélanco", titre de la chanson d’ouverture qui constituera une espèce de synthèse de sa vie, alors apaisée, mais n’oubliant pas «  Une enfance à refaire […] En s’excusant de tout / La honte jusqu’au bout  »…

 

 

En quoi est-ce que ses débuts dans la musique et dans la chanson la distinguent - ou au contraire la rapprochent - de ses pairs illustres, ceux dont on la rapproche habituellement, les Brassens, Brel, Ferré, Ferrat, Béart, Barbara ?

L’histoire de ses débuts est décisive. Si, dès la petite enfance, elle a beaucoup entendu du Trenet que son père adorait, elle n’était pas encore passionnée par la chanson. Elle y est venue beaucoup plus tard et le premier microsillon qu’on lui offrira contient Le Gorille de Brassens (paru en 1956). En fait, après avoir participé naturellement à des chorales, elle a mis longtemps à réaliser que des artistes écrivaient leurs chansons. C’est grâce à la découverte d’une fille de son âge qui s’accompagnait à la guitare, qu’elle a compris qu’elle pouvait le faire également. Il s’agissait de Nicole Louvier, sans doute la première du genre en 1953 (elle a 20 ans), dont le 25 cm a obtenu un joli succès avec notamment Qui me délivrera  ? et Mon petit copain perdu. Et c’est lors de vacances en Bretagne avec des copines et des copains, qu’Anne Sylvestre se risque à montrer ses toutes premières chansons. Encouragée, elle va faire ses vrais débuts au fameux cabaret La Colombe, à l’automne 1957, en même temps que Jean Ferrat et Pierre Perret. Elle a 23 ans.

Pour répondre plus directement à votre question, Anne a forcément des points communs avec des artistes qu’elle a croisé.e.s dans ces cabarets, mais ce sont fondamentalement d’autres éléments qui la rapprochent ou la distinguent. Bien sûr, elle ne peut pas être insensible aux louanges d’un Brassens qui dès 1961 dit (dans une émission de Denise Glaser): «  À mon sens, parmi les jeunes, les nouveaux venus dans la chanson, c’est celle qui se distingue par les qualités les plus éminentes…  » En photo avec lui, elle devient dans la presse «  sa filleule de la chanson  ». Et comme en bonne logique, il confirmera l’année suivante son sentiment sur la pochette du deuxième 25 cm d’Anne («  On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose, et quelque chose d’important.  »), elle deviendra par la suite «  la Brassens en jupons  ». C’est juste la feignasserie et l’incompétence ordinaires des grands médias. En réalité, Anne se sentira toujours beaucoup plus proche d’un Jacques Brel, de ses envies de liberté, de folie, d’imprudence. Ce sera l’inverse à l’égard du très «  engagé  » Jean Ferrat  : alors qu’elle cache/protège son histoire paternelle et qu’elle a signé en 1968 chez son producteur Gérard Meys, elle enregistre Chanson dégagée. Quant à son point commun essentiel avec Barbara, c’est la secrétaire de celle-ci, Marie Chaix, sœur cadette d’Anne…

 

 

Anne Sylvestre a été très tôt auteure-compositrice-interprète, et même productrice pour son propre compte. Trop de casquettes à la fois ?

Je ne pense pas. Pour jouer avec les mots, je dirais qu’elle n’a jamais eu la grosse tête. En revanche, elle avait un sacré caractère et a elle-même qualifié de portrait «  complètement autobiographique  » sa savoureuse chanson Elle f’sait la gueule de 1998. Un joli moment d’humour. Et elle reconnaissait que dans certaines émissions de télé elle avait tendance à rester sur la défensive et à réagir au quart de tour  : «  C’est comme ça  ! Je ne supporte pas qu’on dise des conneries.  » Tant pis si leurs responsables se nommaient Jacques Chancel ou Françoise Giroud… Elle voulait bien faire certains efforts, mais pas se plier au jeu ordinaire des médias… qui se sont mis vraiment à s’intéresser à elle quand elle a sorti son premier livre en 2014, Coquelicot et autres mots que j’aime, dont j’ai déjà parlé. Heureusement, il y a eu la presse écrite ainsi que des José Artur et autre Claude Villers de France Inter.

 

 

Quelques uns des titres d’Anne Sylvestre la positionnent volontiers dans la mouvance des féministes avancées. Des textes sublimes, comme Non tu n’as pas de nom et Une sorcière comme les autres, que vous avez déjà évoqués. Mais se voyait-elle totalement comme une féministe ainsi qu’on entendait ce terme dans les années 70, et quel rapport entretenait-elle avec l’idée d’engagement ? Ce fond de culpabilité par procuration dont on parlait plus haut, ça l’a bridée ?

Déjà, si ces deux chansons que vous citez ont eu et ont toujours un impact très fort, c’est certes par la qualité de leurs textes mais également par celle de leurs mélodies, de leurs musiques. C’est peut-être en cela qu’il y a un cousinage entre Anne Sylvestre et Georges Brassens  : pour lui aussi, on a beaucoup plus parlé de ses textes, jusqu’à ce que des Maxime Le Forestier rétablissent un certain équilibre (y compris pour leurs voix, qui, sans être exceptionnelles, assuraient, avec une vraie personnalité). Pour Anne, je voudrais aussi rappeler qu’elle a très vite travaillé avec le même arrangeur que Brel  : François Rauber.

 

 

Pour le côté «  féministe  », le seul mot en «  iste  » qu’elle supportait, il y a eu bien sûr son histoire, jusqu’au début des années 1980 où des articles de presse ont dévoilé qui était son père. Néanmoins, dans ses trois premiers albums comme productrice (ceux qui m’ont bouleversé et que j’ai beaucoup écoutés après l’avoir vue sur scène), la démarche était clairement entamée avec effectivement Non tu n’as pas de nom en 1974, Une sorcière comme les autres en 1975 (mais aussi Java d’autre chose que je trouve très forte, et Bergère) et Comment je m’appelle, Clémence en vacances et Petit bonhomme en 1978 dans l’album avec "Les Gens qui doutent". Dès l’album suivant de 1979, elle a brossé rien moins que cinq portraits de femmes, chacun à sa manière et souvent personnalisé par un prénom (Marie-Géographie, Frangines, Ronde Madeleine, Mon mystère, La Faute à Ève) et a abordé différents thèmes de société, notamment ici le viol (Douce maison) et la pollution (Un bateau mais demain, inspiré par le naufrage d’un pétrolier géant en mars 1978, l’Amoco Cadiz). En 1981, elle a abordé le risque nucléaire avec Coïncidences et, à sa manière, elle n’a jamais arrêté, acceptant finalement, au fil des ans le qualificatif «  engagée  ». Bref, «  bridée  » en partie au début, mais ça n’a pas duré longtemps.

 

Je citais Barbara plus haut. On ne peut que constater à quel point l’une (la dame en noir) jouit d’une postérité, d’une aura plus grande que l’autre. Et quand on regarde les parcours, on se dit que ça n’est pas vraiment juste, parce qu’elles ont des mérites similaires, d’ailleurs leurs parcours se ressemblent un peu même si pour l’une ce fut le piano pour l’autre la guitare. Vous parlez peu de Barbara dans le livre, comment expliquez-vous cet écart : est-ce lié au fait que Barbara a su créer un personnage, autour d’elle un imaginaire mystérieux, gothique, une communauté de fidèles ? Et s’agissant des chansons pour enfants - ses Fabulettes - je vous posé la même question par rapport à Chantal Goya, que vous évoquez dans la bio : si ça a mieux marché pour elle dans la durée c’est parce qu’il y avait en renfort tout le Barnum visuel très bien pensé par elle et Jean-Jacques Debout ? Est-ce que, par rapport à Barbara (ça a été plus compliqué pour Chantal Goya de ce point de vue après 1985) elle a souffert simplement d’une moindre exposition médiatique ?

Avant de parler de Barbara et de Chantal Goya, quelques précisions qui me semblent essentielles. En 1985, avec un humour plus que jamais d’auto-défense, Anne Sylvestre chante Trop tard pour être une star. Il y a également Les Blondes, à la couleur de cheveux réputée plus vendable au plan médiatique («  Alors on se fait teindre en blonde / Et on se hait  »). À ce moment précis de savie, ce choix s’avère en fait terrible, car dans ce disque et sa chanson-titre Écrire pour ne pas mourir, Anne fait allusion au cancer, à l’opération qu’elle a subie fin 1983, aux neuf mois de chimio et à son changement physique que ce combat a provoqués (Le Western  : «  Pour mieux tenir ta carabine / Déjà tu ressembles à Birkin  »). J’avoue que je n’avais pas vraiment décodé ces allusions, mais les médias, comme trop souvent, ont fait bien pire  : comme Anne avait dû couper ses cheveux, ils ont surtout parlé de ça…

 

 

Dans Trop tard pour être une star, Anne a fait une espèce de clin d’œil à Barbara, ses tenues, son jeu scénique, etc. Bref, un corportement là encore très média-compatible auquel Anne n’a jamais voulu se prêter. Elle l’a clairement payé. Pour le seul service public (de l’ORTF à nos jours), si vous faites une recherche sur l’INA, vous trouverez 1756 résultats pour le nom Anne Sylvestre (904 TV et 852 radio), mais en fait seulement 188 émissions de TV où elle est réellement présente – avec des rediffusions - et 264 de radio. Pour Barbara, décédée 23 ans plus tôt (novembre 1997), cela donne 2383 sur son nom (1299 TV et 1084 radio), avec 334 présences en TV et 208 en radio. Si je n’ai pas beaucoup parlé de Barbara dans mon livre, c’est qu’à mon sens, elle a surtout chanté sa vie intime, sentimentale, son «  je  » très personnel, et beaucoup moins la société et les grands problèmes du monde comme Anne. Sans contester le moins du monde le talent de Barbara (qui, par rapport à Anne, a dit elle-même qu’elle ne faisait que des «  zinzins  »), son écriture et son interprétation ne m’ont jamais vraiment touché. Quant à Chantal Goya, rien à voir me semble-t-il c’était purement commercial et abêtissant, abus d’images à l’appui et pas grand chose à dire  : 1171 résultats INA (1056 TV et 115 radio), dont 562 présences TV et 37 en radio.

 

Je vous connais Daniel, vous allez me dire que vous ne cherchez pas tellement à connaître la personne, que c’est l’œuvre qui compte pour vous, mais malgré tout comment la qualifieriez-vous cette femme que vous avez côtoyée de nombreuses heures ? Fondamentalement une femme libre ? Un caractère aussi?

J’ai écrit des biographies sur Aznavour, Ferrat, Sylvestre et Reggiani, parce qu’il me semblait qu’il n’existait rien de sérieux sur leur œuvre (Aznavour l’a particulièrement apprécié  : il me l’a dit et a été très content en 2017 de me recevoir pour mon livre sur ses chansons «  faits de société  », paru malheureusement après sa mort)  ; ensuite, sur Ferré j’évoquais surtout son histoire avec un théâtre parisien alors dirigé par des anarchistes (le TLP-Déjazet de 1986 à 1992), théâtre que j’ai beaucoup fréquenté comme journaliste. Les deux «  beaux livres  », respectivement sur Goldman et Cabrel, ont été des commandes d’éditeur que j’ai acceptées car il s’agissait de l’histoire de tous leurs disques. Bien sûr, dans tous ces ouvrages, il y a une part biographique minimale, mais je ne cherche jamais à dévoiler une part de leur vie privée que ces artistes veulent préserver.

 

Ecole Bacalan

École du quartier Bacalan à Bordeaux, avril 2019. Photo : Claudie Pantchenko.

 

Oui, Anne Sylvestre était une femme libre. Elle était drôle, sensible, courageuse, partageuse. Je n’ai jamais fait partie de son groupe d’ami.e.s (ni de celui d’autres artistes), mais quand j’essayais de la joindre par téléphone ou par écrit, elle me répondait très vite. En avril 2019, quand je lui ai demandé si elle était d’accord pour donner son nom à une école de mon quartier populaire bordelais (Bacalan), elle est venue et ça a été génial. Alors, oui, elle avait du caractère (ce qui concernant une femme signifie «  mauvais caractère  » pour beaucoup d’hommes), elle n’était pas toujours facile, mais le suis-je moi-même  ? Et vous, l’êtes-vous tous les jours  ? Après la sortie de mon livre, j’ai reçu un mail de Marie Chaix, qui savait combien sa sœur aînée avait toujours refusé de participer à une biographie la concernant  : «  Je reste admirative que vous y soyez parvenu  !  » Génial, non  ? Et Jean-Michel Boris (ancien directeur de l’Olympia)  : «  Une fois de plus j’ai retrouvé ton extrême volonté de vérité et de respect…  » Pour la petite histoire (là, il s’agit de la mienne, donc je peux), un auteur m’a contacté pour me dire qu’il ne comprenait pas pourquoi elle lui avait dit non quelques années plus tôt. Un auteur avec lequel je n’avais jamais eu le moindre contact auparavant. Et plus aucun après… J’ai également décliné deux ou trois demandes d’écriture de livres, qui ne me correspondaient pas suffisamment.

 

 

Dans quelles chansons nous donne-t-elle le plus à voir, à découvrir qui elle est ?

Tant par l’humour (y compris cinglant) que par la tendresse pudique, je trouve Anne omniprésente dans la plupart des chansons déjà citées ici (+ celles du très beau disque – et spectacle – "Partage des eaux", de 2000, indiquées à la fin de mon interview précédente. Par clin d’œil à sa chanson «  chef d’œuvre  » plusieurs fois évoquée (et à la présence de la rivière, de l’eau, dans ses chansons), j’avais titré un de mes articles  : «  Une sourcière pas comme les autres  ». Après, il y a des merveilles comme Carcasse (1981 - une fille qui ne s’aime pas, alors qu’elle a «  les yeux verts  »), Si mon âme en partant (20 ans après, la suite de Un mur pour pleurer, dans laquelle elle cite ses petits-enfants Clémence et Baptiste, ce dernier décédé depuis dans l’attentat du Bataclan en novembre 2015.)

Cette chanson de 1994 - une merveille pour moi, mélodie comprise – figure dans l’album très sentimental "D’amour et de mots", sans doute le plus intime d’Anne Sylvestre au plan de son évolution sexuelle. Elle n’aime pas le mot «  lesbienne  » et à cette question que j’ai mis longtemps à lui poser, elle m’a répondu (et j’ai trouvé ça génial)  : «  Eh bien oui, j’ai aimé des hommes, j’ai aimé des femmes… j’aimerai des chats quand il faudra !  » Dès Allez-y doux, le premier titre de l’album, elle s’adresse explicitement à une femme («  Un jour que je n’y croyais plus / Vous êtes venue…  ») et dans Ruisseau bleu, elle chante en voix de tête «  Qui est l’une ou l’autre comme / Les deux faces d’un reflet  »…

 

 

Elle a persisté et signé de façon ironique en 2007 dans l’album "Bye mélanco" avec Gay marions-nous, mais l’un des titres peut-être les forts/émouvants pour comprendre qui elle est, c’est tout simplement Pour un portrait de moi, une merveille nichée dans son dernier album, "Juste une femme" de 2013 et suivi presque aussitôt par un autre que je trouve également très beau  : Je n’ai pas dit (mon dernier mot d’amour…).

 

Celles qui vous touchent le plus et que vous aimeriez nous recommander (et je sais que ça non plus vous n’aimez pas) ?

Je n’ai quasi jamais accepté (sauf une fois ou deux pour la revue Chorus) de donner un classement. Là, c’est un peu différent, mais j’ai déjà suggéré pas mal de titres. J’en rajouterai deux de l’album "Bye mélanco" de 2007  : Les Rescapés des Fabulettes (tendre clin d’œil d’Anne à son public, qui me permet d’évoquer ses Fabulettes, qu’elle n’a jamais voulu chanter en scène et que j’ai personnellement découvertes bien après, surtout en écrivant le livre) et Laissez les enfants (pleurer, rêver, grandir…) un hymne sensible à la liberté que j’ai proposé à la directrice de l’école de mon quartier quand Anne est venue. Toute l’équipe l’a alors interprétée devant elle et les enfants. C’est dans une vidéo de mon site Internet, dans laquelle Anne interprète d’ailleurs une fabulette avec eux. C’est ici.

Et côté humour, voire rigolade, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas, on peut citer Les grandes balades (1997), Ça n’se voit pas du tout (2000) ou les irrésistibles Le Deuxième œil et Langue-de-pute (2003). Sans oublier son duo historique avec Boby Lapointe dans Depuis l’temps que j’l’attends mon prince charmant (1969).

 

 

Quelle est à votre sens la place singulière d’Anne Sylvestre dans le Panthéon de la chanson ?

Je crois que mes diverses réponses montrent que je la place parmi les plus grandes et les plus grands, dans le sens où elle constitue une entité, entre sensibilité profonde, engagement citoyen (pour ne pas dire féministe) et humour.

 

Qui lui ressemble sur la scène musicale aujourd’hui ?

Je suis d’autant plus incapable de répondre à cette question que j’ai largement arrêté d’aller au spectacle et d’écouter des disques depuis la fin de "Chorus" (juin 2009), situation qui s’est systématisée après mon départ de Paris (juin 2016). Historiquement, il y a eu bien sûr eu – entre autres – Michèle Bernard et Agnès Bihl, mais parmi les plus jeunes je ne sais pas.

 

Y a-t-il des questions que vous regrettez de n’avoir pas songé à lui poser ? Que peut-être vous n’avez pas osé lui poser ?

Sans doute y’en a-t-il, mais je ne vois pas. Au fil du temps, avant, pendant et après l’écriture du livre, je lui en ai quand même posé beaucoup et sans véritable problème.

 

L’anagramme la plus pertinente pour Anne Sylvestre ça donne quoi ?

Le mot «  Lyre  » désignant à la fois une constellation et un instrument de musique, deux dimensions très présentes pour moi chez Anne, il devient donc pluriel. Et comme, elle a également beaucoup joué sur l’humour, voire la rigolade, la synthèse anagrammique s’impose, comme une définition  : Lyres et vannes.

 

Vos projets, vos envies surtout pour la suite Daniel Pantchenko ?

Ainsi que je vous l’ai déjà dit, je travaille effectivement sur un livre d’anagrammes, dans lequel j’associe des chanteuses et chanteurs à une ou plusieurs de leurs œuvres. Comme je procède par ordre alphabétique (et que je risque encore d’avoir une commande de livre), j’en ai au moins pour deux ou trois ans. Quand j’arriverai à Sylvestre, ça commencera à être bon…

 

Un dernier mot ?

À suivre…

 

D

Photo : Claudie Pantchenko.

 

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23 octobre 2022

Daniel Pantchenko : « Je crois qu'à sa manière, Cabrel est un battant sensible »

 

 

La Corrida. Je l’aime à mourir. Deux des titres les plus emblématiques de Francis Cabrel, artiste aussi doué qu’il est discret : la maîtrise, le métier, le public, il ne peut les envier à personne mais le star system, très peu pour lui. La seconde chanson citée a largement contribué, avec d’autres, à assoir son image de chanteur romantique. Mais il est loin de n’être que cela : l’homme a les pieds sur Terre, on peut même dire dans la terre, et le monde, il le regarde avec les yeux d’un citoyen lucide, parfois à la limite du désespoir. Qui est-il vraiment et au fond, est-ce que ça nous regarde complètement, de creuser pour trouver l’homme derrière l’artiste ? Le parti pris de Daniel Pantchenko, que j’avais déjà interviewé à propos de Charles Aznavour, et auteur dernièrement de Cabrel, l’intégrale (EPA, septembre 2022), peut être résumé comme suit : on n’a pas à connaître la vie privée d’un artiste, en revanche étudier son parcours et son répertoire permet de comprendre ce qui l’anime. L’ouvrage, de belle facture, retrace disque après disque la carrière de Cabrel, et avec le renfort d’interviews qu’il a données, aide ceux qui l’aiment à mieux savoir qui il est, d’où il vient, et où il est allé. Merci à Daniel Pantchenko pour cet entretien ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Daniel Pantchenko: « Je crois

qu’à sa manière, Cabrel

est un battant sensible... »

Cabrel L'intégrale

Cabrel, l’intégrale (EPA, septembre 2022)

 

partie 1 : l’interview

Quel regard portiez-vous sur Francis Cabrel avant de lui consacrer cet  ouvrage ? Comment avez-vous abordé le personnage ?

J’ai toujours bien aimé l’artiste et l’homme. À mes yeux (et mes oreilles), l’équilibre texte/musique, paroles en français/mélodie est essentiel. Sans oublier bien entendu la voix, l’interprétation de la chanson. Il se trouve que – comme Goldman –, Cabrel a été un des parrains de la revue Chorus à laquelle j’ai collaboré pendant 17 ans. Il n’a jamais joué les stars, ce que j’avais constaté de visu lors de notre première rencontre en 1996, lorsqu’il était président du jury d’un festival très sympa  : La Truffe de Périgueux. Cela étant, pour ce genre d’ouvrage, il s’agit d’abord de discographie et le personnage apparaît surtout à travers les diverses déclarations qu’il a faites au fil des disques.

 

Chorus 1996

 

La mère de Francis Cabrel vient tout juste de disparaître. De quel poids les racines, les parents de Francis ont-ils pesé dans le développement de l’homme et de l’artiste qu’il allait devenir  ?

Dès l’introduction de mon livre, j’écris   : «  Les racines, ça ne s’oublie pas. En 2020, en prélude à la sortie de son nouvel album (À l’aube revenant), Francis Cabrel rend hommage à son père – l’être «  quand même, le plus important de tous  » pour lui – dans Te ressembler, un titre qui commence par «  T’as jamais eu mon âge / T’as travaillé trop dur pour ça  ». Il dit que cette chanson a été la plus difficile à écrire, mais qu’il fallait l’enregistrer dans cet album au cas où ce soit le dernier (ce qu’il a craint auparavant et à plusieurs reprises). Ouvrier, son père est mort à 56 ans en 1982, l’année au cours de laquelle Cabrel a fondé Chandelle Productions. L’année suivante, dans l’album Quelqu’un de l’intérieur, il avait écrit Le Temps s’en allait, une émouvante évocation en forme de conseil d’un vieil homme à un enfant qu’il aime, si proche de celui qu’il fut  : «  Dis-toi que le temps passe vite / Et que la poussière t’attend  ». Et en 1999, dans l’opus Hors-saison, le chanteur glissait également un clin d’œil à ses parents dans Comme eux.

 

 

On constate à vous lire que, notamment à ses débuts, Cabrel s’est parfois gentiment agacé d’être réduit à ses chansons d’amour, lui qui voit aussi dans sa tête et dans ses textes, le monde avec une froide lucidité, bien qu’enrobé de poésie. Comment définiriez-vous l’auteur Cabrel  ?

Cabrel a pris le temps d’apprendre le métier. Et de dépasser ses contradictions, bien humaines. Après le succès de Je l’aime à mourir, il y a toujours eu – a-t-il souligné – «  15 personnes soit-disant professionnelles  » qui le poussaient à choisir telle chanson plus sentimentale, dans ce même esprit. Lui-même s’est longtemps estimé plus à l’aise pour écrire «  dans le sens de l’ émotion que dans le sens de l’énergie  ». Mais, dès son cinquième album Quelqu’un de l’intérieur (1983), il a signé des titres sociétaux - plus que jamais d’actualité - comme Saïd et Mohamed, voire féministes comme Leila et les chasseurs. Un «  engagement  » à sa façon, un questionnement sur le monde, qui s’est poursuivi au fil des albums, avec par exemple Tourner les hélicos dans l’album Photos de voyages (1985) ou La Corrida dans l’album Samedi soir sur la terre (1994). Il lui fallait trouver son rythme  : six albums originaux en huit ans entre 1977 et 1985, puis huit en 35 ans de 1985 à 2020. Bref, un auteur authentique, libre.

 

 

Francis Cabrel est issu d’une famille d’immigrés (venus en partie d’Italie), comme Aznavour, comme Goldman aussi auxquels vous avez consacré des ouvrages récemment. Et comme vous aussi. C’est un hasard complet  ? La force du français c’est aussi de savoir être porté par des ambassadeurs dans les racines desquels il n’était pas présent  ?

En réalité, je n’ai jamais été très sensible à mes racines ukrainiennes. Mon père vivait depuis plus de 40 ans en France quand je suis né, il était officiellement «  russe  » à l’époque et je n’ai jamais connu personne du côté de sa famille. De ce point de vue, mes choix étaient artistiques, mais pas mal d’artistes essentiels en France avaient des racines étrangères  : Montand, Reggiani, Moustaki… Donc c’était moins un hasard que l’émotion/plaisir que ces artistes m’apportaient à travers une fibre chantante en osmose avec la richesse de la langue française.

 

Anne Sylvestre

 

Il y a quelque chose d’apaisant, de rassurant quand on lit sur Cabrel, le terrien qui fuit la ville et le star system autant qu’il le peut, et qui a des valeurs de bon sens. Il se distingue dans l’univers du show business  ?

Absolument  ! C’est souvent le propre des artistes véritables. En ce sens, Cabrel est cousin avec Goldman et je suis également très fier d’avoir réussi à convaincre (il y a dix ans déjà) une artiste unique comme Anne Sylvestre, certes moins médiatisée, mais dont on n’a pas fini d’entendre parler. Par dela leurs différences, ces artistes ont affirmé leur indépendance, leur liberté, et c’est au final le show business qui leur court après. Depuis des années, Cabrel vend des albums pour leur globalité (plus de 200 000 encore du dernier, n° 2 des ventes en France en 2021), sans tube particulier. D’autres, qui encombrent les radios et les télés à coup de «  singles  » très vite oubliés, devraient peut-être s’en inspirer…

 

Cabrel est-il à votre avis un authentique pessimiste, ou bien disons, un optimiste prudent  ?

En 1983, Cabrel a enregistré Question d’équilibre. Là, il s’agissait d’une rupture amoureuse, mais pour répondre à votre question, je crois que l’artiste, voire l’homme, a trouvé cet équilibre nécessaire entre optimisme et pessimisme. Bien sûr, selon les événements, les drames ou les progrès, il peut pencher d’un côté ou de l’autre. Mais à sa manière, je dirais plutôt que c’est un battant sensible. Un réaliste peau/éthique.

 

Il est beaucoup question de Bob Dylan dans votre livre, ce chanteur folk légendaire qui a tant inspiré Cabrel, comme Hugues Aufray d’ailleurs. De votre côté quelles filiations artistiques lui trouvez-vous, en amont et aussi en aval  ?

Le lycéen Cabrel a joué dans les bals avec ses potes. D’abord de l’anglo-saxon, les Rolling Stones, les Beatles, Jimi Hendrix… jusqu’au jour où il a découvert Bob Dylan. Il n’en avait jamais entendu parler et ça a été «  le choc  »  ! Son rapport à la guitare est devenu essentiel et il s’est mis à écrire ses propres chansons. Dès 1978, il crée Pas trop de peine, un titre intime, révélateur, et à la première personne du singulier  : «  Moi, quand j’avais 14 ans / Les accords de Dylan / Meublaient mes insomnies / Et je m’endormais le matin / Ma guitare à la main / Sans débrancher l’ampli…  » Résultat, il a adapté Dylan  : Shelter from the storm, devenue S’abriter de l’orage, en 2004, puis She Belongs To Me devenue Elle m’appartient (C’est une artiste) en 2008, jusqu’aux onze titres de l’album Vise le ciel, entièrement consacré à Dylan en 2012. Il a néanmoins confié qu’à 14 ans, avant même de connaître Dylan, il avait une idole française  : Jacques Dutronc. Dans À l’aube revenant, son dernier album de 2020, il lui a rendu hommage avec Chanson pour Jacques.

 

 

Auparavant, vers ses 12 ans, il avait commencé à écrire des poèmes, inspiré par des La Fontaine, Rimbaud, Victor Hugo. Il aimait «  l’idée des rimes […] ces choses avec une belle résonnance poétique  » et un peu plus tard, il est devenu un grand admirateur de Georges Brassens. Il a d’ailleurs signé en 2014 la préface de Georges Brassens – Journal et autres carnets inédits (qui vient d’être réédité au Cherche midi), préface dans laquelle il cite Baudelaire et Lafontaine et souligne  : «  L’évidence Brassens, le génie poétique en tout, partout, tout le temps, jusque dans l’irrévérence.  » Voici pour l’amont, 45 ans après le premier album de Cabrel. Pour l’aval, rappelez-moi dans 45 ans…

 

Quelles sont les chansons de Cabrel qui vous touchent particulièrement et que vous aimeriez inviter nos lecteurs à découvrir  ? Parmi les plus connues mais peut-être surtout parmi les moins connues  ?

J’ai toujours un peu de mal à répondre à ce genre de question, car selon les périodes je serai plus sensible à telle chanson qu’à telle autre. Pour autant, le côté social, planétaire – qu’il a de plus en plus développé, jusqu’à accepter le terme «  engagé  » - me touche particulièrement chez lui.

Il y a eu Saïd et Mohamed et Leila et les chasseurs (album Quelqu’un de l’intérieur, 1983), J’ai peur de l’avion (blues d’humour au second degré, de l’album Sarbacane, 1989), Mandela, pendant ce temps (dans In extremis, 2015). Et ma réelle découverte  : Madame X (dans Hors-saison, 1999), une chronique d’esprit folk. Poignante. «  Madame X et ses enfants / Tout l’hiver sans chauffage / Caravane pour des gens / Même pas du voyage / Et pourtant comme elle dit / C’est pas elle la plus mal lotie …  »

 

 

3 mots pour définir Cabrel  ? Peut-être aussi une anagramme  ?

Si je vous dis que cet artiste est un CAS, qu’il est LIBRE et qu’il est FRANC, vous avec les 3 mots et les 13 lettres (donc une anagramme) de FRANCIS CABREL / CAS LIBRE, FRANC.

 

Si vous pouviez lui poser une question les yeux dans les yeux, quelle serait-elle  ?

Désolé, vous commencez à me connaître, une seule question, ce n’est pas possible… Par ailleurs, les yeux ou pas les yeux, ça ne m’intéresse pas, ça ne change rien à ma démarche de journaliste et d’auteur. J’ai réalisé de très nombreuses interviews par téléphone, en les enregistrant quasiment toutes, pour respecter non seulement le propos des personnes mais également leur musique profonde. En tout cas, «  star à sa façon  » ou pas, je ne chercherai pas à lui faire dévoiler des choses de sa vie privée dont il n’a pas envie de parler.

 

Le concept de ces ouvrages (il y a déjà eu on l’a dit celui sur Goldman) c’est d’explorer dans le détail la discographie d’un artiste, avec des photos de toutes les parutions, vinyles ou CD. À quoi ressemble la vôtre de collection  ? Le support physique a de l’avenir selon vous  ?

Le support physique reste pour moi essentiel, en sachant qu’il est possible que d’autres types de supports soient inventés. Quant à « ma collection », elle compte quelques centaines de disques, vinyles et CD mais, depuis très longtemps, je n’ écoute de disques qu’en vue d’un article ou en liaison avec l’actualité, voire une discussion avec des amis (il est vrai que pendant 35 ans, je suis allé voir/écouter cinq à sept spectacles de chansons par semaine). Je n’ai jamais accepté de répondre (sauf une fois dans Chorus) à une question relative au choix ou au classement ; aujourd’hui pour moi, cela n’aurait pas de sens, mais je vais en revanche vous indiquer quatre albums qui ont beaucoup compté pour moi au départ, et que j’ai de fait beaucoup écoutés. (À découvrir en P2, ndlr)

 

Quel regard portez-vous sur votre collection, cette fois en tant qu’auteur ?

Ma «  collection  » s’est construite naturellement autour des livres que j’ai eu envie d’écrire, et d’abord sur ma passion première, la chanson française. Seul ou avec mon frère Serge, j’en ai concocté plus de deux cents (surtout quand j’ai fait le chanteur dans les années 1971-1985), je suis devenu parallèlement journaliste vers 1977, mais ce n’est qu’en 2003 (à 55 ans) que j’ai envisagé d’écrire un livre. Après la mort prématurée de Marc Robine (mon camarade de la revue trimestrielle Chorus), j’ai mené à terme l’ouvrage qu’il avait entrepris sur Charles Aznavour, que nous apprécions fort tous les deux. J’ai d’ailleurs tenu à garder son titre  : Charles Aznavour ou le destin apprivoisé. Ensuite, j’ai écrit encore trois biographies sur des artistes à propos desquels il n’existait pas – me semblait-il – de biographie sérieuse autour de leur œuvre  : Jean Ferrat («  mon  » chanteur), Anne Sylvestre («  ma  » chanteuse) et Serge Reggiani, pour sa dimension d’interprète, d’acteur de la chanson. J’ai ensuite sorti un livre sur l’aventure de Léo Ferré et le TLP Dejazet (théâtre parisien que j’ai beaucoup fréquenté alors qu’il était dirigé par des anarchistes, de 1986 à 1992), puis un nouveau livre sur Charles Aznavour, cette fois sur ses chansons «  faits de société  », un thème qui me tenait à cœur depuis longtemps (récemment chroniqué sur Paroles d’Actu, ndlr). Les «  beaux  » livres sur Goldman et Cabrel, je n’y pensais pas spécialement  ; on me me les a commandés, mais ces deux artistes m’intéressent, me touchent, et j’ai mené à terme les deux projets avec plaisir. Je précise que j’en ai refusé quelques autres…

 

Vos projets et surtout vos envies pour la suite  ?

Depuis un an et demi, j’ai commencé à écrire un ouvrage sur les anagrammes et la chanson. Par ordre alphabétique, il se déploie d’Aldebert à Zazie et je pense que j’en ai encore pour deux ou trois ans. Je suis tombé dingue des anagrammes en 2016, en découvrant Anagrammes renversantes ou le sens caché du monde (exemple  : L’origine du monde, Gustave Courbet / Ce vagin où goutte l’ombre d’un désir). Maître es anagrammes, l’auteur s’appelle Jacques Perry-Salkow, il s’est associé ici avec un philosophe des sciences, Étienne Klein (Flammarion, 2015, 10€).

 

Un dernier mot ?

Un mot plus personnel. Depuis un mois et demi, je suis devenu grand-père, et ça, c’est mille fois plus important que tous les livres que je pourrai écrire.

 

 

partie 2 : sélection personnelle

 

Charles Aznavour (1964)

Aznavour 1964

En ouverture de ma biographie d’Aznavour parue en 2006 chez Fayard, j’expliquais la raison de ce premier livre. À peu de choses près, je ne saurais dire mieux aujourd’hui.

Au début des années 1960, à treize ou quatorze ans, je suis tombé tout droit dans la marmite Aznavour avec son premier album enregistré chez Barclay. J’ai adoré Les Deux Guitares, Plus heureux que moi, Fraternité, Le Carillonneur… et, au fil des super 45 tours, bien d’autres chansons plus ou moins connues, que j’ai apprises par cœur et chantées à tue-tête pour mon propre plaisir. En 1964, je me suis offert mon premier 33 tours, un album où je trouvais – comme disait Brassens – qu’il n’y avait « rien à jeter » (Hier encore, Le Temps, Il te suffisait que je t’aime, Avec...) sauf, peut-être, son tube d’ouverture, Que c’est triste Venise, vraiment trop ressassé alors par les radios...

 

Jean Ferrat (1969)

Ferrat 1969

En 2010, pour ma deuxième biographie, j’ai choisi l’artiste, l’auteur-compositeur-interprète avec lequel j’étais depuis plusieurs années en osmose, pour sa voix, sa musique, ses adaptations de Louis Aragon, et bien sûr le contenu souvent très politisé de ses chansons. D’entrée, j’avais adoré Deux enfants au soleil (1961), Ma môme (1962), Nuit et brouillard (1963) et évidemment La Montagne (1965), mais en 1969, il y a eu et il y a toujours Ma France, qui depuis, pour beaucoup de gens, sonne comme une nouvelle Marseillaise, une nouvelle Internationale. J’avais d’ailleurs sous-titré initialement mon ouvrage « Je ne chante pas pour passer le temps », chanson dont je reprends un extrait en ouverture de ma conférence sur l’artiste.

 

Anne Sylvestre – Partage des eaux (2000)

Anne Sylvestre 2000

De la même manière, ma troisième biographie (en six ans, quand même) a été liée à un coup de cœur. Comme je l’ai écrit en préambule « Anne Sylvestre a commencé à me faire rire et pleurer un jour du Printemps de Bourges 1978. Et je n’étais pas seul, quelque quatre mille filles et garçons, jeunes pour la plupart, manifestaient le même enthousiasme, éprouvaient la même émotion que moi. » À partir de là, j’ai découvert ses grandes chansons (pour adultes, car elle n’a jamais chanté en scène pour les enfants), autoproduites dès 1974, dont Non tu n’as pas de nom, Une sorcière comme les autres, Les Gens qui doutent… Et surtout des titres moins connus, tels Un mur pour pleurer, Java d’autre chose, Comment je m’appelle, Clémence en vacances, Petit bonhomme. Mais avec le recul, le disque que j’ai sans doute le plus écouté, c’est Partage des eaux (2000), lié à un spectacle du même nom, une merveille d’émotion teintée d’humour, du pur Sylvestre. Avec en particulier Les Dames de mon quartier, Ça n’se voit pas du tout, Le Lac Saint Sébastien et Les Hormones Simone.

 

Andrée Simons – 1980

Andrée Simons

Décédée à l’âge de 34 ans (en août 1984, chez elle, à Paris) suite à des conditions de vie très difficiles, cette chanteuse belge est sans doute l’artiste de la chanson que j’ai le plus écoutée, surtout à travers ses deux albums parus en France, L’amour flou (avec Marie de Grâce Berleur, Ça s’arrange pas, Place Stanislas…) en 1977 et l’opus éponyme de 1980 avec surtout À force de me promener et Je voudrais dormir. Elle a écrit pour Reggiani, Régine, Moustaki (qui l’a invitée en tournée), … et beaucoup collaboré avec sa compatriote Claude Lombard (choriste attitrée de Charles Aznavour, disparue en septembre 2021). Très touché par son talent d’autrice-compositrice, sa voix et sa sensibilité exacerbée, je lui ai consacré un dossier dans la revue Chorus en 1999 (n° 28).

 

 

 

Daniel Pantchenko

Photo signée Claudie Pantchenko.

 

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12 septembre 2021

Daniel Pantchenko : « Trois mots à propos d'Aznavour ? À Découvrir Encore »

Le premier jour d’octobr’

Ce s’ra l’anniversair’

Du jour où le destin

Nous a r’pris Aznavour

Ça aura fait trois ans

Qu’lui qui s’voulait cent’nair’

À r’gret quitta la scène

Pour rejoindr’ le grand Blanc

Bon OK, je ne suis pas Aznavour, et ce texte dont il se serait bien passé, lui l’aurait certainement mieux écrit. Voyez ça comme un hommage presque amoureux, calé musicalement sur les premières lignes d’une chanson de lui que les fins connaisseurs reconnaîtront. « Triste anniversaire », l’évènement provoqua une intension émotion en France et en francophonie, et il eut droit, comme Belmondo cette semaine, aux honneurs d’un hommage national.

J’ai à propos de la mort d’Aznavour, un souvenir particulier, des émotions venues se surajouter à celles de l’amateur de son travail que j’étais, et que je suis toujours. Le vendredi 28 septembre 2018, il était l’invité principal de « C à vous », sur France 5. Il s’y était montré affable, drôle, sympathique. J’avais eu plaisir à le voir ce soir-là. Et je me souvenais bien sûr que, trois ans auparavant, il m’avait fait la joie de répondre à quelques unes de mes questions. Je bossais le lendemain, réveil très tôt comme d’habitude, mais quand même... ça trottait. J’ai décidé de reprendre contact avec son fils Mischa dans la soirée, je lui ai dit que j’avais aimé voir son père, et que j’aurais très envie, si possible, qu’il me dédicace un livre que je commanderais et lui enverrais pour l’occasion. Il m’a répondu assez vite :  « OK, je ferai ça pour toi avec plaisir. Je le vois jeudi. » Joie, et hop, livre commandé, un ouvrage autobiographique amplement illustré et coécrit avec Vincent Perrot, expédié directement au nom et au domicile de Charles Aznavour, à Mouriès. Je me couche tard, le lendemain le réveil va piquer mais je suis content... Le week-end passe, arrive le lundi 1er octobre. Dans l’après-midi tombe ce communiqué, « Charles Aznavour est décédé à 94 ans ». Choc. Incrédulité. Je digère, et envoie tout de suite un message à Mischa sur WhatsApp pour lui présenter mes condoléances. Il prend le temps de me répondre, de me remercier et de me dire que, de Suisse, il part pour Mouriès. Le livre arrivera sur place le mardi, je crois, dans une atmosphère à mille lieues de ce qui était prévu. Il me semble que Mischa l’a gardé avec lui. Bref, anecdote personnelle très insignifiante à côté de cette nouvelle stupéfiante : Charles Aznavour, le plus bel ambassadeur contemporain de la langue française, n’était plus...

Cette année, j’ai repris contact avec Daniel Pantchenko, auteur d’une biographie d’Aznavour, Charles Aznavour ou le destin apprivoisé (Fayard) chroniquée ici en 2014. Je savais, parce qu’il me l’avait dit, qu’il préparait un nouveau livre sur Charles, axé sur les questions de société qu’il a traitées dans ses textes, bousculant parfois les sensibilités de l’époque. Charles Aznavour à contre-courant (Le Bord de l’eau) sort donc ce mois-ci, j’ai eu la chance de le lire en avant-première et de découvrir encore pas mal de choses sur cet homme qu’on aime tous les deux. Je suis heureux de pouvoir publier cette interview réalisée début septembre, où on se paie le luxe de parler d’Aznavour en ignorant ses chansons les plus connues, pour en mettre d’autres en avant. D’ailleurs, quand j’avais demandé l’artiste, à l’été 2015, quelles chansons de son répertoire il aurait envie qu’on redécouvre, lui avait cité : Nous n’avons pas d’enfantLes amours médicales, et Vous et tu.

Avant de passer la parole à Daniel Pantchenko, parce que quand même, je bavarde là... je veux mettre en avant cette autre chanson, parmi les plus récentes (l’album « Toujours » fut, en 2011, son avant-dernier album studio) : La Vie est faite de hasard. Un bilan apaisé sur le temps qui passe et la vie qui part, thème éternel. Je salue avec chaleur, avant de conclure, Daniel Pantchenko, Mischa Aznavour et les siens, sans oublier M. Marcel Amont, avec qui Charles a enregistré un tout dernier titre, comme un retour aux sources... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

 

La vie, la vie, vivez-la bien

C’est le trésor dont le destin

Nous fait l’offrande

Il faut l’aimer, la protéger

Quand on la perd pas de danger

Qu’on nous la rende

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Daniel Pantchenko: « Trois mots à propos

d’Aznavour ? "À Découvrir Encore"... »

Aznavour à contre-courant

Charles Aznavour à contre-courant (Le Bord de l’eau, septembre 2021)

 

Daniel Pantchenko bonjour et merci de m’accorder cet entretien, autour de la parution de votre nouvel ouvrage,  Charles Aznavour à contre-courant  (Le Bord de l’eau). Qu’est-ce qui vous a incité à entreprendre ce projet ?

C’est une idée que j’avais en tête depuis longtemps. À l’écoute de chansons qui avaient choqué dans les années 1950, comme Après l’amour ou Une enfant, mais plus encore de certaines qui ont été mal comprises, à l’image du Toréador (1965), qui, derrière l’anecdote spectaculaire, vise le showbiz période yé-yé («  Une idole se meurt, une autre prend sa place  »), ce que Charles m’a expliqué clairement. D’autre part, au fil du temps, il a lui-même beaucoup insisté sur la notion de «  faits de société  » évoqués dans ses chansons et je trouvais qu’il ne fallait pas en rester aux deux exemples archi connus  : Comme ils disent et Mourir d’aimer. C’est sans doute pour cela qu’il a apprécié ma démarche quand je suis allé le voir à Mouriès en mars 2017… ce que confirme Gérard Davoust, son ami et associé, dans le prologue du livre.

 

 
Vous évoquez dans un avant-propos votre réaction face à la mort d’Aznavour, le 1er octobre 2018 : ce fut pour pas mal de monde, une forme de choc parce que, malgré son grand âge (94 ans), on ne s’y attendait pas. Lui-même promettait qu’il serait sur scène au soir de ses 100 ans, en mai 2024. Vous y croyiez, et à votre avis, y croyait-il lui-même ou bien y’avait-il là une forme de défi lancé au destin ?

Bien sûr, tout le monde a été surpris et lui peut-être en premier. Au moins, si j’ai bien compris (mais je me préoccupe a minima de la vie privée des artistes), il semble n’avoir pas souffert. Quant à l’histoire des 100 ans, sans doute avait-il envie d’y croire et peut-être aimait-il laisser imaginer qu’il défiait le destin  ?

 

Aznavour Pantchenko

Photo de Francis Vernhet, datée du 31 janvier 2006.

 

Après sa disparition, avez-vous songé, avec un regard peut-être différent, aux moments passés, aux confidences partagées avec lui depuis 35 ans pour des interviews  ? Établissait-on facilement, sinon une familiarité, une complicité avec Charles Aznavour ?

Pas vraiment, mais vous savez, j’ai toujours eu le souci de rester dans le cadre professionnel, ce qu’il appréciait beaucoup. Si je l’ai interviewé dès les années 1980, j’ai surtout en mémoire notre première rencontre à propos de la biographie parue chez Fayard en mai 2006 (Charles Aznavour ou le destin apprivoisé), qu’avait amorcée Marc Robine, mon camarade de la revue Chorus décédé en 2003. C’était le 21 juillet 2005 à Paris, «  aux Éditions  » (selon l’expression) et vers midi, au bout d’une grosse heure d’entretien, il me dit  : «  Voilà  ! Je crois que mes p’tits enfants sont arrivés  !  » La famille. Autrement dit, pour aujourd’hui c’est terminé. Alors, je lui demande  : «  Vous croyez qu’on pourra se revoir  ?  » et il me répond bien distinctement en me regardant droit dans les yeux  : «  OUI  !  » Ça, ça ne s’oublie pas  ! Et je l’ai revu à cinq autres reprises pour ce livre (y compris à Mouriès) jusqu’en janvier 2006. Cela étant, comme il aimait bien faire des jeux de mots et moi aussi, on ne s’en est pas privés…

 

Parlez-nous un peu de vos derniers entretiens, ceux de 2017 réalisés pour l’ouvrage qui nous occupe aujourd’hui ? Les aviez-vous bâtis autour de plans, de questions précises et vous êtes-vous dit à la fin, comme dans la chanson, « à la prochaine fois » ?

Je suis d’abord allé voir Charles fin mars 2017, chez lui, dans les Alpilles. Je lui ai présenté les grandes lignes de mon projet, ça l’a intéressé et j’ai fait une première partie d’interview (toujours plus d’une heure), jusqu’à ce qu’il me dise qu’il fallait qu’il se repose. Bien sûr, j’avais des questions précises, écrites, ce qui ne m’a pas empêché de rebondir sur certaines de ses réponses et de lui demander des précisions. Ensuite, nous avons convenu de nous revoir à Paris «  aux Éditions  », et j’ai organisé le second rendez-vous mi-avril par mail avec son fils Nicolas.

 

Quelles sont les questions qu’après coup, vous regrettez, peut-être, de ne lui avoir pas posées, par manque de temps ou peut-être, par une forme de pudeur?

Je n’ai pas vraiment de regrets de cet ordre. En revanche, j’avais envoyé un mail à Nicolas le 26 septembre 2018 pour qu’il demande quelques précisions à son père (notamment à propos de la chanson Au nom de la jeunesse, sortie en juillet 68), car ses réponses étaient parfois confuses… mais quand je vois mes propres problèmes de mémoire, je me dis que c’est très compréhensible. Là, quelques jours plus tard, on apprenait le décès de Charles.

 

 

Votre ouvrage aborde, en une multitude de thématiques, la manière dont Aznavour a pensé, écrit et chanté les problèmes de son temps (jusqu’aux dangers de la route)  et au-delà, les questionnements éternels (sur la famille, les amours, les victimes de la guerre...). Une grosse partie de sa longue popularité vient-elle du fait qu’il a su observer, écouter les tourments, les siens et ceux des autres, et en faire des chansons ?

Sans doute. Bien sûr, il a écrit et composé beaucoup de chansons d’amour, mais avec le temps, il n’appréciait guère le fait qu’on ne le ramène qu’à cela. Et il abordait de plus en plus clairement ces «  faits de société  », tels la liberté / le délit d’opinion (J’ai connu, Un mort-vivant, 2002), l’écologie (La Terre meurt, 2007), La désertification des campagnes (Et moi je reste là, 2015)…

 

 

Vous le racontez bien, Aznavour a ouvert un peu la voix dans certains domaines : il a osé évoquer la sexualité dès les années 50 (à en faire rougir Piaf et Bécaud qui pensaient qu’on ne "chante pas ces choses-là"), créé une chanson sensible sur l’homosexualité, parmi les premiers, au tout début des années 70. Était-il une espèce de rebelle, au moins sur les mœurs et les conventions ?

Rebelle  ? Je n’irai pas jusque là. Mais déjà, quand il a commencé à être connu, dans les années 1950, il ne correspondait pas aux canons de l’époque. Il était petit et en plus, il avait cette voix qui lui ont valu toutes sortes de surnoms, de «  L’enroué vers l’or  » au bilingue «  Has no voice  ». Alors, il a foncé, il a rué dans les brancards. Et avec des titres «  osés  » comme Après l’amour ou «  choquants  » comme Une enfant (qui se suicide) il a vraiment fait des vagues. Au fond, comme il me l’a précisé (notamment pour Après l’amour), il trouvait simplement anormal qu’on ne puisse pas aborder dans une chanson ce qui l’était en littérature ou au cinéma.

 

« Il trouvait simplement anormal

qu’on ne puisse pas aborder dans une chanson

ce qui l’était en littérature ou au cinéma. »

 

 

On sent bien en revanche, à vous lire, et à écouter des chansons comme Tu t’laisses aller, Bon anniversaire, Et moi dans mon coin (les trois étant parmi mes préférées) qu’il se donne un peu le beau rôle face à la femme, qui se montre selon les cas, un peu tyrannique, passablement hystérique, ou un brin cruelle. Avait-il un petit côté macho, et plus généralement, des biais qui n’auraient rien eu de choquant puisque ceux des hommes de son époque ?

Tout à fait  ! On a tous nos contradictions et Charles n’y a pas échappé. Mes parents adoraient Tu t’laisses aller, et ma mère n’était pas la dernière comme beaucoup de femmes d’alors. L’idéologie dominante, quelle qu’elle soit a toujours marqué les époques, à commencer par le patriarcat. En l’occurrence, le beau rôle est vraiment du côté de l’homme et Charles a beau réfuter le terme de «  misogynie  », il n’est pas complètement crédible. En ce sens, les temps ont heureusement changé (pas assez, certes…), mais j’ai moi-même reconnu ici ou là que j’avais mal interprété certaines chansons, à l’image de Trousse chemise, qui évoque clairement un viol. C’était en 1962, et il est certain qu’après 1968, l’accueil aurait été différent.

 

Quels auront été, à votre avis, les moteurs d’Aznavour jusqu’à la fin ? Financièrement parlant, l’exemple de son père, généreux mais s’étant ruiné plusieurs fois, l’aura-t-il marqué profondément, et gardé de toute gestion hasardeuse ?

Il est clair qu’Aznavour a su tenir compte des erreurs du passé familial, mais il a surtout vécu à une autre époque, après avoir été un «  enfant de la guerre  », comme il l’a chanté. Oui, il a aimé l’argent et il a su le gérer de manière très commerciale, mais à mon sens, ça n’a jamais vraiment impacté sa création artistique. S’il a toujours refusé le terme de «  revanche  », il m’a dit en 2005 que le «  sentiment de pauvreté  » l’avait quitté. Ce sentiment «  particulier  » qui fait «  qu’on a un peu les yeux plus gros que le ventre  : comme on a rien eu, on veut tout avoir. Moi, en tout cas, je l’avoue.  » À un autre moment, quand j’évoquais les luxueuses voitures qu’il s’est offertes au fil du temps, il m’a répondu à la fois l’œil malicieux et très sérieusement  : «  J’ai eu la folie des grandeurs, mais jamais la grosse tête  !  »

 

« Aznavour m’a dit, l’œil malicieux : "J’ai eu

la folie des grandeurs, mais jamais la grosse tête !" »

 

Je cite Bernard Lonjon, spécialiste de Brassens, lors d’une interview que j’ai réalisée le mois dernier : « On met au même niveau les 4B (Barbara, Brel, Béart, Brassens) et les 2F (Ferrat, Ferré). On oublie souvent Anne Sylvestre. Aznavour est plutôt comparé à Bécaud. » Charles Aznavour a-t-il jusqu’au bout souffert d’être moins reconnu que ces talents-là, sur lesquels vous avez aussi écrit, et comment expliquez-vous cette classification objectivement ? Était-il moins "poétique" que les autres ?

Je ne suis pas sûr d’être tout à fait d’accord à ce sujet. Sauf erreur de ma part, on cite surtout d’emblée le trio Brel, Brassens, Ferré, immortalisé par « Trois hommes dans un salon », l’interview historique et le livre du journaliste François-René Cristiani, avec les photos de Jean-Pierre Leloir. Béart aimait bien affirmer qu’il était «  le dernier des trois B  », sauf que c’est plutôt Barbara (amie de Brel) qu’on indique alors, mais beaucoup moins comme «  poétesse  », elle qui déclarait volontiers qu’elle faisait des «  zinzins  » à côté des chansons d’une Anne Sylvestre. Biographe de celle-ci, je suis bien placé pour savoir qu’on l’oublie plus que «  souvent  » (un peu moins depuis son décès) et qu’on la présente d’abord comme une chanteuse «  pour enfants  », aspect certes remarquable de son œuvre mais qu’elle n’a jamais présenté sur scène.

De son côté, tout en mettant en musique nombre de poésies (notamment d’Aragon), Ferrat a écrit surtout des chansons – engagées ou non – en s’efforçant de conjuguer qualité et simplicité (pas simplisme) ce qui lui a permis d’avoir un gros impact populaire. En ce sens, il était plus proche d’un Aznavour ou d’un Bécaud, ce dernier étant carrément oublié aujourd’hui, a priori parce qu’il était compositeur et pas auteur. Pour moi, la chanson est un art à part entière. Elle peut-être «  poétique  » ou pas.

 

« Il a forcément souffert de ne pas être cité au même

niveau que les Trois B historiques, mais il courait

le cent mètres et eux le marathon. »

 

De fait, Charles a été un peu plus «  poétique  » dans la dernière partie de sa carrière, mais je ne crois pas que ce fût – à quelque moment de sa vie - son souci premier. Il a forcément souffert de ne pas être cité au même niveau que les Trois B historiques, mais il courait le cent mètres et eux le marathon. Je n’insisterai pas sur le rôle des grands média, mais ils ont une responsabilité majeure dans l’utilisation à tout va du terme «  poète  », pour qualifier tout, n’importe quoi, n’importe qui.

 

 

Si vous deviez citer cinq chansons, moins connues, et pas forcément citées dans votre livre d’ailleurs, pour inviter nos lecteurs à s’emparer de pépites moins connues de l’auteur Aznavour ?

J’ai toujours beaucoup de mal à répondre à ce genre de question, parce qu’à un autre moment je donnerais d’autres réponses. Et même si j’aime des chansons assez récentes de Charles, je reste très marqué par celles de ses premiers disques chez Barclay, au moment où je l’ai découvert. C’est classique… Alors disons Plus heureux que moi (1960, dont je fredonne un extrait en ouverture de la conférence qu’il m’a inspirée), Hier encore (1964) qu’il a beaucoup associé à Sa jeunesse (de 1957), Autobiographie (1980) et L’Enfant maquillé (1983, texte de Bernard Dimey extrait d’un album superbe que Charles lui a consacré).

 

 

Trois mots pour qualifier l’artiste, l’homme que vous avez connu ?

Là, permettez-moi de tricher. D’abord, l’ai-je «  connu  »  ! Je ne crois pas. Je l’ai rencontré. Et comme vous devez commencer à le comprendre, c’est son œuvre qui m’a intéressé. Ce qu’il a écrit, ce qu’il a composé, ce qu’il a chanté et particulièrement ici les «  faits de société  ». Ça fait déjà trois mots. Au passage, cette démarche (dans laquelle l’aspect biographique, la vie privée, occupent une place marginale) n’a visiblement pas intéressé les grandes maisons d’édition et il m’a fallu deux années (+ une due à la pandémie) pour que le livre sorte. Il se trouve que j’habite à Bordeaux et que cette remarquable et très indépendante maison d’édition (Le Bord de L’Eau) est située à Lormont, sur l’autre rive de la Garonne.

Bref. Allez, trois autres mots que j’indiquerai pour Charles (comme pour tous les artistes que j’aime et dont on croit toujours très bien connaître le répertoire)  : À Découvrir Encore.

 

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Déjà, j’essaie d’être de plus en plus attentifs à mes proches, à commencer par mon épouse et ma fille, qui elle-même évolue dans le milieu du spectacle. Côté chanson, outre des demandes intéressantes d’éditeur (comme Goldman l’intégrale – L’histoire de tous ses disques, paru l’an dernier chez EPA/Hachette), j’ai des envies différentes. En particulier, je travaille sur un livre d’anagrammes  : il s’agit d’associer un nom d’artiste de la chanson à l’un de ses titres en essayant d’y suggérer un sens plus ou moins caché. Par exemple Charles Aznavour – Hier encore / Un rêve rare s’cache à l’horizon. Ou Nicolas Roche / Coin chorales. Ou mieux : dès le début, j’avais remarqué que votre prénom est le même que celui du fils d’Aznavour qui s’est occupé de sa carrière. Et que vous avez le même nom que celui de son acolyte, en duo, au début de sa carrière (Pierre Roche, ndlr). Donc, il est normal que vous vous intéressiez à Aznavour. De plus, vous m’avez demandé des images (des photos), ce qu’on appelle l’iconographie. En raccourci familier « icono ». Je vous suggère donc de remplacer l’anagramme que je vous ai indiquée par celle-ci : Nicolas Roche / Icono Charles.

 

Un dernier mot ?

Merci et à bientôt. On ne sait jamais…

 

Note : chanson (ma préférée ?) citée nulle part ici, mais juste pour mon plaisir,

à faire partager. Je défie quiconque de ne pas avoir envie

de bouger sur cette chanson... Nicolas 

Interview : début septembre 2021.

 

Daniel Pantchenko

Photo signée Claudie Pantchenko.

 

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Posté par Nicolas Roche à 10:34 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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21 août 2014

Daniel Pantchenko : "Aznavour a su conjuguer qualité et chanson populaire"

   Je caressais depuis longtemps l'idée de consacrer à Charles Aznavour, qui a eu quatre-vingt-dix ans le 22 mai dernier, un article qui me permette d'évoquer celles de ses chansons que j'aime, de donner à nos lecteurs une occasion de les (re)découvrir. Avec, à l'appui, du son et de l'image : l'inclusion au document de liens audiovisuels mis en ligne par des passionnés, bien loin de décourager l'éventuelle consommation tarifée d'un produit artistique aurait, au contraire, pour effet d'enrichir l'expérience de l'écrit, d'aiguiser la connaissance, l'appétit du public pour une œuvre remarquable. Ô combien...

   Daniel Pantchenko, qui a signé il y a quelques années Charles Aznavour ou le destin apprivoisé, une biographie de référence sur cet auteur-compositeur-interprète de génie, m'a fait l'honneur d'accepter l'invitation que je lui ai proposée. Il nous ouvre à des titres fort peu connus et revient pour Paroles d'Actu sur le parcours exceptionnel - mais non dénué d'embûches - de celui qu'un sondage CNN/Time avait consacré « artiste du siècle » en 1998 et qui, aujourd'hui encore, après si longtemps, demeure présent, en bonne position, dans le cœur des Français.

   Un hommage à quatre mains, donc, à un artiste dont l'empreinte dans la légende et la grande histoire de la belle chanson française est assurée depuis longtemps. Chapeau bas, Monsieur Aznavour. Merci, Monsieur Pantchenko, pour vos réponses, passionnantes et qui nous donnent envie d'aller plus loin. Pour votre gentillesse. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

DANIEL PANTCHENKO

Auteur de Charles Aznavour ou le destin apprivoisé

 

« Aznavour a su conjuguer

qualité et chanson populaire »

 

Charles Aznavour ou le destin apprivoisé

(Source des photos : D. Pantchenko.

Dont : trois photos provenant de documents de présentation édités par l'Alhambra, 1956.)

 

Q. : 09/06/14 ; R. : 20/08/14

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Daniel Pantchenko. Vous êtes journaliste et l'auteur de plusieurs ouvrages, dont celui qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, Charles Aznavour ou le destin apprivoisé (Fayard), publié en 2006. Ce projet, c'est aussi une histoire d'amitié : vous avez souhaité terminer ce qu'avait entrepris votre ami Marc Robine, décédé en 2003...

 

Daniel Pantchenko : Effectivement. Marc et moi, nous étions journalistes à la revue Chorus, les cahiers de la chanson et nous nous retrouvions surtout à chaque réunion trimestrielle. Aussi passionné l’un que l’autre mais extrêmement différents, nous avions donc des discussions animées au sein de l’équipe dirigée par Fred et Mauricette Hidalgo. Marc m’avait parlé à plusieurs reprises du livre qu’il avait commencé sur Aznavour et il savait que j’avais beaucoup aimé certaines de ses chansons. Pas toujours des plus connues, d’ailleurs, que j’avais apprises par cœur (Sa jeunesse, Plus heureux que moi, Le Carillonneur…). Nous n’étions pas amis intimes avec Marc, mais nous avions une estime professionnelle réciproque. À son décès (l’été 2003), j’ai vu les documents précieux qu’il avait réunis et j’ai lu les quelque 150 feuillets qu’il avait écrits. C’était un travail non finalisé mais remarquable.

 

Dans un premier temps, j’ai pensé qu’il aurait été symbolique de poursuivre son travail avec plusieurs membres de l’équipe, mais cela ne s’est pas produit et j’ai donc décidé de m’atteler seul à la tâche. Je n’avais encore jamais écrit de livre et cela m’a mis en quelque sorte le pied à l’étrier. Comme je souhaitais pouvoir interroger Charles, j’ai fait parvenir le manuscrit de Marc Robine à Gérard Davoust (l’associé d’Aznavour aux éditions Raoul Breton), que j’avais déjà croisé au plan professionnel. Quelques mois plus tard, il m’a téléphoné, enthousiaste, pour me dire que Charles était d’accord pour me rencontrer. Je l’avais déjà interviewé en 1987, lorsque j’étais pigiste au quotidien L’Humanité, mais Charles n’avait plus accepté de participer à une biographie de ce type depuis quarante ans. J’ai alors signé le contrat en septembre 2004 avec les éditions Fayard, avec lesquelles la revue Chorus était partenaire. Et le livre est sorti en mai 2006.

 

PdA : Charles Aznavour naît d'une famille d'artistes le 22 mai 1924, à Paris, presque par hasard... Est-ce au hasard que l'on doit l'installation des Aznavourian en France et, par voie de conséquence, l'émergence d'un des futurs grands ambassadeurs de notre langue ?

 

D.P. : Les parents de Charles Aznavour ont été ballottés par l’Histoire, entre la Révolution russe côté paternel et le génocide arménien en Turquie côté maternel. S’ils se sont installés à Paris, c’est qu’après avoir été l’un des cuisiniers du Tsar, Missak Aznavourian (le grand-père de Charles) y avait émigré et ouvert un restaurant, Le Caucase, où se retrouvaient de nombreux Russes blancs. Mischa (le père de Charles) y travaillera et y jouera du Târ (un instrument à cordes pincées) en chantant pour distraire les clients. En 1980, Aznavour a enregistré une magnifique chanson où tout est dit, Autobiographie, et il avait créé en 1975 Ils sont tombés, sur le génocide arménien.

 

PdA : Le jeune Charles rêve d'abord de devenir acteur, il s'orientera un peu plus tard, plus clairement, vers le monde de la chanson, des cabarets... En 1941, il rencontre le jeune auteur-compositeur Pierre Roche. En 1946, leur chemin croise celui de Piaf. Le duo va bientôt découvrir l'Amérique...

 

D.P. : Beaucoup de chanteurs, tels Reggiani ou Bruel, ont débuté ainsi avant de conjuguer les différentes disciplines ou d’en choisir une. Charles a fréquenté dès l’âge de neuf ans une école du spectacle et débuté tout de suite au théâtre. Avec sa sœur aînée Aïda, ils ont été des « enfants de la balle » (ils ont grandi dans le milieu du spectacle) avant d’être ces Enfants de la guerre que Charles a enregistrés en 1966. Aïda a commencé à chanter avant lui, il a débuté au cinéma à quatorze ans dans Les Disparus de Saint-Agil, de Christian-Jaque, aux côtés de Mouloudji et Michel Simon. Et il va gagner de nombreux radio-crochets avant d’intégrer une troupe où officie déjà sa sœur.

 

De fait, c’est sa rencontre au Club de la Chanson avec le pianiste-compositeur Pierre Roche en 1941 qui se révèlera déterminante. Lors d’une soirée où ils doivent se succéder, la présentatrice se trompe et les annonce ensemble. Du coup, ils décident de monter un duo qui va durer huit ans, orientant définitivement Aznavour vers la chanson. Curieusement, il passera d’ailleurs aussi huit ans auprès de Piaf… qui interprètera huit de ses chansons. Mais si le duo Roche-Aznavour découvre l’Amérique en passant par le Québec, Piaf va pousser Aznavour à chanter en solo et à bâtir sa carrière en France, ce qu’il va faire. En se libérant ensuite de la tutelle de Piaf, dont il dira toujours deux choses essentielles : qu’elle a été très importante pour lui et pour sa carrière ; qu’il n’y a jamais eu d’histoire d’amour entre eux.

 

PdA : Au début des années 50, il écrit pour Bécaud, compose pour Patachou, Gréco... En solo, il peine à décoller...

 

D.P. : Aznavour rencontre Bécaud en 1952 et ils se mettent à écrire ensemble des chansons que l’un et l’autre enregistreront : Viens, Mé qué, mé quéGréco avait remporté un prix avec Je hais les dimanches (qu’avait d’abord refusé Piaf !) ; avant d’auditionner Aznavour dans son cabaret sur la Butte Montmartre, Patachou était secrétaire chez Raoul Breton, l’éditeur obstiné et décisif d’Aznavour (j’ai tenu à lui consacrer tout un chapitre). Bientôt l’auteur Aznavour est chanté par de nombreux interprètes tels Georges Ulmer, Philippe Clay, Les Compagnons de la chanson (on dit que la France est « Aznavourée »), mais le chanteur Aznavour va être l’objet de critiques violentes à la limite du racisme pour ses origines ou sa petite taille, et de façon soi-disant spirituelle pour sa voix au timbre singulier : « l’enroué vers l’or », « l’aphonie des grandeurs », « la petite Callas mitée »… Il lui aura fallu une détermination et un courage hors-norme (sans oublier le soutien sans faille de l’éditeur Raoul Breton) pour venir à bout de tous ces obstacles. D’où le titre du livre (Charles Aznavour ou le destin apprivoisé) qu’avait trouvé Marc Robine, et que j’ai bien entendu conservé.

 

PdA : La consécration vient autour des années 1956-57. Il crée Sur ma vie (1956), son premier grand succès populaire. Le public le fête à l'Alhambra, à l'Olympia; il va, dès lors, enchaîner les contrats. Une vedette est née...

 

D.P. : Aznavour connaît ses premiers vrais succès publics fin 1954 après une tournée en Afrique du Nord, où il a enthousiasmé le propriétaire du Casino de Marrakech, qui est alors également celui du Moulin-Rouge. Il y passe donc ensuite en tête d’affiche, et pendant trois mois. L’année suivante, il sera en « vedette anglaise » de l’Olympia où il créera Sur ma vie, son premier grand succès populaire… que reprendra Hallyday beaucoup plus tard (un article de la revue Music-Hall le qualifie alors de « Monsieur-Force-la-Chance »). Ce n’est pas encore la « consécration » et même si son succès est de plus en plus grand, ladite consécration viendra véritablement avec son arrivée chez Barclay et le choc scénique et médiatique lié à Je m’voyais déjà (entre-temps, le 31 août 1956, un autre choc s’est produit, terrible celui-là, où Charles a failli perdre la vie dans un accident de voiture).

 

Alhambra 1

 

PdA : J'aimerais, à ce stade de notre entretien, vous inviter à évoquer quelques chansons d'Aznavour, à nous livrer les anecdotes dont vous auriez connaissance, votre ressenti face à tel ou tel titre. La liste est totalement subjective, presque égoïste : une sélection, parmi mes préférées. De superbes mélodies. Des textes très riches et, à la fois, désarmants de simplicité, la mise en scène quasi-cinématographique de situations, de sentiments qui peuvent toucher tout le monde... Il y en a qui sont archi-connues, d'autres moins. Une belle occasion, à mon sens, de faire découvrir ou redécouvrir quelques perles de son répertoire...

 

D.P. : En 1954, certains titres, déjà, ont marqué comme Viens au creux de mon épaule et Je t’aime comme ça (cousine annonciatrice de Tu t’laisses aller) et il les a réunis dans un 25 cm. Côté un rien mélodramatique, il y a eu ensuite Le Palais de nos chimères et Une enfant ; côté swing, On ne sait jamais, J’aime Paris au mois de mai, Pour faire une Jam… et toujours lié à la musique, Ce sacré piano ; côté sensualité voire provocation, il y a eu Après l’amourQuand nos corps se détendent …/… Quand nos souffles sont courts »), et des titres que parfois Piaf et Bécaud ont un peu édulcorés. Le mieux, c’est quand même d’écouter tous ces titres qu’on trouve aisément sur le web.

 

PdA : Sa jeunesse (Année : 1956. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Bien sûr, Sa jeunesse est une pure merveille, dans l’œuvre d’un auteur-compositeur où la thématique du « temps » est omniprésente (« C’est normal pour quelqu’un qui a peur de la mort », me confiera-t-il). Il l’associera plus tard à Hier encore, autre merveille (la chanson préférée, je crois, de Marc Robine), et il ne faut jamais oublier chez Aznavour la dimension mélodique extraordinaire. La sienne propre d’abord, mais aussi, celle de son grand complice (et beau-frère) Georges Garvarentz, qui a signé – en outre - de nombreuses musiques de films. Pour revenir à Sa jeunesse, Charles a écrit le texte fin 1949 à l’époque de son passage québécois au Faisan Doré avec Pierre Roche, et il n’a composé la musique que sept ou huit ans plus tard…

 

PdA : Les deux guitares (Année : 1960. Paroles : C. Aznavour. Musique : Tzigane russe.)

 

D.P. : C’est l’une des toutes premières chansons d’Aznavour chez Barclay (après Tu t’laisses aller), adaptée d’un air traditionnel russe, et qui prend valeur de symbole en évoquant les racines et les années d’enfance à travers la musique et l’ambiance des restaurants ouverts par son père. L’arrangement est de Paul Mauriat et on retrouvera cette ambiance et cet esprit musical en 1980, dans Autobiographie, cette longue et incontournable chanson déjà évoquée.

 

PdA : Je m'voyais déjà (Année : 1960. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Le 12 décembre 1960, pour la première de presse du passage d’Aznavour à l’Alhambra, Barclay a fait tirer pour les VIP un 45 tours / 2 titres spécial avec Je m’voyais déjà et L’Enfant prodigue. Pour la première chanson, Charles a imaginé toute une mise en scène, de dos au public, qui va se révéler très efficace. Et susciter un triomphe et l’avènement d’une vedette, bientôt internationale (d’où le chapitre que j’ai intitulé « L’effet 'Je m’voyais déjà' »). Bien qu’elle paraisse très autobiographique, Charles a maintes fois répété que cette chanson lui a été inspirée par un artiste croisé dans un cabaret belge.

 

PdA : Bon anniversaire (Année : 1963. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : C’est dans l’album qui s’ouvre sur For me… formidable (paroles de Jacques Plante, l’auteur de La Bohême). Ce titre doux-amer sur un anniversaire de mariage calamiteux, mais où l’amour reste le plus fort, s’inscrit dans l’esprit de Tu t’laisses aller, qu’on retrouve encore dans l’album à travers Dors et Tu exagères. L’homme y a quand même un peu trop le beau rôle, extrêmement compréhensif et patient à l’égard de cette femme qu’il aime « malgré tout ». Cette « abnégation » gentiment auto-célébrée aurait eu un peu de mal à passer dix ans plus tard avec l’essor du mouvement féministe.

 

PdA : La mamma (Année : 1963. Paroles : R. Gall. Musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Énorme tube sur un texte du père de France Gall, et encore sur une mélodie efficace de Charles. Il y a un côté cinématographique à l’Italienne, un récitatif, un refrain-cantique et une montée finale typiquement aznavourienne… Mais comme toujours, pour les chansons de Charles qui ont eu un tel succès et qu’on a – à mon goût – un peu trop entendues (c’était un peu le cas dans le même album avec Et pourtant), j’ai préféré ici Je t’attends (musique de Bécaud) ou Les Aventuriers (encore un texte de Jacques Plante).

 

PdA : À ma fille (Année : 1964. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Là, j’ai beaucoup aimé l’ensemble de l’album (à part son tube, Que c’est triste Venise) même si je trouve À ma fille un peu convenu. Cela étant, Charles (40 ans) sait les « dangers » qui guettent sa fille Patricia qui a alors 17 ans… l’âge de plusieurs de celles qu’il courtise dans ses chansons (Viens, Donne tes seize ans, Trousse-Chemise…). Et comme je l’ai dit plus haut, ici, c’est Hier encore que je préfère, l’une des plus belles de Charles à mon sens.

 

Alhambra 2

 

PdA : La Bohème (Année : 1965. Paroles : J. Plante. Musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Celle-ci aussi est évidemment superbe. Elle a permis à l’opérette Monsieur Carnaval (sur un livret de Frédéric Dard, alias San-Antonio) d’obtenir un grand succès. La chanson n’y était pas prévue au départ. Sentant immédiatement l’impact qu’elle pouvait avoir, Charles l’a enregistrée avant la vedette du spectacle, Georges Guétary, ce qui a provoqué un sérieux accrochage entre les deux artistes et leurs maisons de disques respectives. Tous ayant vendu beaucoup, la réconciliation eut lieu assez vite.

 

PdA : Et moi dans mon coin (Année : 1966. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Chantre inlassable du sentiment amoureux, Aznavour parle rupture d’une manière cinématographique et promène son œil-caméra sur la femme aimée et son rival, dont il saisit clairement et avec accablement le « manège ». Il y a souvent des saynètes de ce genre chez Charles, qui n’oublie jamais qu’il est comédien (il a enregistré Les Comédiens quelques années plus tôt). Il y a, dans ce même disque, Les Enfants de la guerre dont j’ai déjà parlé, et un exercice de style assez rare qui vaut le détour, éclairant d’intéressante façon la façon d’écrire du chanteur : Pour essayer de faire une chanson.

 

PdA : Emmenez-moi (Année : 1967. Paroles : C. Aznavour. Musique : G. Garvarentz.)

 

D.P. : Encore un titre-culte, et dont près d’un demi-siècle après, les deux dernières lignes du refrain gardent toute leur actualité : « Il me semble que la misère / Serait moins pénible au soleil ». Avec, une fois de plus cette touche cinéma, qui invite particulièrement bien au voyage.

 

PdA : Non, je n'ai rien oublié (Année : 1971. Paroles : C. Aznavour. Musique : G. Garvarentz.)

 

D.P. : Rebelote, et de façon magistrale, dans ce flash-back de plus de six minutes, avec la patte de Garvarentz, roi de la musique de film. Excellent en scène, of course, ce que plusieurs critiques ont souligné.

 

PdA : Comme ils disent (Année : 1972. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : Inspirée à Charles par certains de ses amis (et déconseillée alors prudemment par des proches), cette chanson reste encore aujourd’hui la plus connue au plan symbolique sur le thème de l’homosexualité. Aucun chanteur de sa notoriété n’avait alors osé l’aborder ainsi et en finesse. Comme je l’ai noté dans le livre, des militants et autres artistes « engagés » ont déploré alors qu’Aznavour n’ait pas écrit cette chanson dix ans plus tôt. Quand on voit les débats pour le moins houleux qu’a provoqué « le mariage pour tous », on se dit qu’il y a encore du travail… À noter que cette chanson d’Aznavour sera la dernière à obtenir autant de succès (avec, à un degré moindre, Les Plaisirs démodés, sur ce même album).

 

PdA : Je t'aime A.I.M.E. (Année : 1994. Paroles et musique : C. Aznavour.)

 

D.P. : J’avoue que cette chanson en forme d’exercice de style ne m’a pas vraiment passionné, même si elle illustre parfaitement une des manières d’écrire de son auteur.

 

PdA : Une autre, de votre choix ?

 

D.P. : Là, c’est le genre de question à laquelle je ne répond jamais, parce que la chanson que je choisirai aujourd’hui sera différente demain, et encore différente après-demain. Mais la question suivante me permettra de résoudre plus ou moins ce dilemme.

 

PdA : Justement... Quelles sont, notamment parmi celles qui sont un peu moins connues, vos chansons préférées d'Aznavour, celles qui, de votre point de vue, mériteraient d'être connues davantage ?

 

D.P. : Il y en a beaucoup, et le bonheur que m’apporte chacune de mes biographies, où je mets en avant l’artiste et son œuvre, c’est lorsqu’une personne me dit que sa lecture lui a donné envie de découvrir d’autres chansons de l’artiste en question. J’ai découvert Aznavour lorsque j’étais adolescent, au début des années 60, et j’ai adoré sa voix et son premier disque Barclay, avec Les deux guitares, bien sûr (peut-être à cause de mes origines paternelles ukrainiennes : à Bordeaux, on allait sur des bateaux soviétiques de passage, on trinquait et des marins chantaient des variantes - façon corps de garde - de cette chanson d’origine traditionnelle qui les faisaient beaucoup rigoler, mais pas nous, malgré la traduction).

 

Dans ce même disque, j’adorais Fraternité, Rendez-vous à Brasilia et surtout J’ai perdu la tête et Plus heureux que moi, que j’avais apprises par cœur et que je me chantais souvent. Et plus encore même, Le Carillonneur, dans le disque suivant, avec Il faut savoir. Le Carillonneur, c’est sur un texte de Bernard Dimey, auquel j’ai consacré un chapitre (38), car c’est le seul auteur auquel Aznavour a lui-même consacré tout un album (en 1983).

 

Ensuite, j’ai découvert des chansons antérieures qui m’ont aussi beaucoup plu comme On ne sait jamais, J’aime Paris au mois de mai, Sa jeunesse, Il y avait, Sur la table, C’est merveilleux l’amour, Ce sacré piano… Et puis encore, dans les années 60, L’Amour c’est comme un jour, Les petits matins, Avec, Le Toréador

 

Alhambra 3

 

PdA : Quelle image vous êtes-vous forgée, pour l'avoir étudié, rencontré plusieurs fois, de l'homme Charles Aznavour ?

 

D.P. : D’abord, « forger », c’est vraiment un verbe qu’utilise beaucoup Aznavour et qui lui correspond très bien, en homme – j’y reviens - qui a su apprivoiser son destin. Je l’ai effectivement rencontré plusieurs fois, mais vous savez, c’était dans un contexte privilégié où le rapport était évidemment facilité, simple, préparé par Gérard Davoust et empreint de confiance réciproque. Pour autant, j’ai constaté son professionnalisme, son souci du détail, son souci primordial pour sa famille, et aussi son humour, jeux de mots à l’appui…

 

PdA : Avez-vous été étonné, surpris par certaines découvertes, certaines révélations lors de la préparation de votre ouvrage ?

 

D.P. : Pas vraiment. Marc Robine avait déjà réuni de nombreux documents et, comme j’avais déjà écrit sur Aznavour (interview comprise), je le connaissais pas mal. J’ai appris des choses, comme j’en apprends chaque fois sur les artistes, des choses importantes mais pas véritablement surprenantes.

 

PdA : En 1998, CNN et les internautes de Time le consacrent « artiste du siècle » devant Elvis Presley et Bob Dylan. C'est un choix que vous comprenez, que vous auriez pu faire vous-même ?

 

D.P. : Pour moi, ce type de classement n’a pas vraiment de sens en matière artistique et donc, ne m’intéresse pas (même si cela a été indiqué en quatrième de couverture de mon livre).

 

PdA : Quel est, au fond, l'apport de Charles Aznavour à la chanson française ? Que lui doit-elle ?

 

D.P. : Charles rappelle toujours que son nom n’est jamais cité parmi les « grands » de la chanson française. Sans doute son immense succès populaire est-il en partie responsable de cela, et sans doute y a-t-il contribué lui même en se prêtant à certaines opérations plus médiatiques qu’artistiques. Il reste qu’il a su conjuguer qualité et chanson populaire, un certain nombre de ses compositions n’ayant rien à envier à personne, personne n’ayant par ailleurs porté comme lui cette expression culturelle française à travers le monde, au fil d’une carrière d’une exceptionnelle longévité.

 

Daniel_Pantchenko

(Photo de Claudie Pantchenko.)

 

PdA : Nous ne conclurons pas cet entretien avant d'avoir évoqué, l'espace d'un instant, votre dernier ouvrage : Serge Reggiani, l'acteur de la chanson. Reggiani, grand interprète qui, c'est heureux, revient dans l'actualité et sur les ondes, dix ans après sa disparition... Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire cette nouvelle biographie ?

 

D.P. : Exceptée la biographie d’Aznavour, écrite après le décès de Marc Robine qui l’avait amorcée, les trois suivantes (Jean Ferrat, Anne Sylvestre et aujourd’hui Serge Reggiani) répondent toujours de ma part à un souci fondamental : combler un manque éditorial à propos d’une chanteuse ou d’un chanteur importants à mes yeux, dont j’ai suivi professionnellement la carrière. Il n’existait pas de biographie vraiment pointue de Reggiani, que j’ai interviewé cinq fois entre 1981 et 2003.

 

Tout en abordant l’ensemble de sa carrière et de sa vie, j’ai centré naturellement mon travail sur la chanson, sur son répertoire remarquable et sur sa dimension d’acteur, avec cette voix émouvante reconnaissable entre mille. Et je me suis rendu compte que, toutes générations confondues, la plupart des gens auxquels j’ai parlé de mon projet d’écrire sur Reggiani ont réagi spontanément en disant : « J’adore ! »

 

PdA : Quels sont vos projets pour la suite, cher Daniel Pantchenko ?

 

D.P. : J’ai quelques idées de nouvelles biographies, mais pour l’instant, rien n’est arrêté. Je réfléchis également à des choses plus personnelles et je commence à réunir du matériel divers sans savoir encore ce que cela donnera et à quelle échéance…

 

PdA : Quelque chose à ajouter ?

 

D.P. : Sans doute, mais j’ai déjà beaucoup répondu et le mieux et de chercher directement dans le livre la réponse à d’autres éventuelles questions…

 

PdA : Merci infiniment...

 

Ndlr : Il m'a fallu opérer quelques choix s'agissant des chansons évoquées lors de l'interview et qui ont été commentées par M. Pantchenko. J'aurais pu en citer d'autres, que j'apprécie beaucoup, dont Être, Je voyage ou encore Un Mort vivant. N.R.

 

Aznavour Pantchenko

(Photo de Francis Vernhet, datée de janvier 2006.)

 

Et vous, que vous inspire l'œuvre de Charles Aznavour ? Quelles sont, parmi ses chansons, celles que vous préférez ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

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