Michaël Darmon : « Emmanuel Macron se voulait Jupiter, il est devenu Hercule... »
Dans un peu moins d’un mois, les électeurs seront appelés à se prononcer pour choisir, parmi douze candidats, les deux personnalités qui accéderont au second tour de la présidentielle, l’élection reine en France. Cette campagne 2022 ne ressemblera probablement à aucune de celles qui l’ont précédée dans l’histoire récente : elle intervient alors qu’une guerre brutale fait rage aux portes de l’Europe, et qu’une pandémie peine à se faire oublier. C’est bien un "quinquennat de crises" - pas nécessairement toutes de nature à handicaper un sortant, disons les choses - qu’évoque le journaliste politique Michaël Darmon dans son ouvrage Les secrets d’un règne (L’Archipel, octobre 2021).
Après lecture de ce document éclairant à bien des égards, je l’ai contacté pour lui proposer une interview, ce qu’il a accepté de bonne grâce. Les difficultés furent ailleurs : il a fallu jongler avec son emploi du temps très chargé, et après avoir réalisé une moitié d’entretien, nous nous sommes donné rendez-vous pour la semaine suivante. L’interview s’achèvera en fait trois semaines plus tard : entre temps, la Russie de Vladimir Poutine avait choisi d’envahir l’Ukraine. Merci à Michaël Darmon pour le temps qu’il m’a accordé, et pour ce témoignage. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Michaël Darmon : « Emmanuel Macron
se voulait Jupiter, il est devenu Hercule... »
Les secrets d’un règne : Dans les coulisses d’un quinquennat de crises,
par Michaël Darmon (L’Archipel, octobre 2021).
première partie, le 16 février 2022
Michaël Darmon bonjour. Il y a quelques semaines, les (très) bons sondages post-primaire LR de Valérie Pécresse ont rendu cette élection incertaine, mais à ce stade on a l’air de s’acheminer vers une réélection d’Emmanuel Macron nette comme fut celle de Mitterrand ’88. Honnêtement, subsiste-t-il pour vous un grand suspense quant à ce scrutin, si on laisse de côté un épisode type "Papy Voise x 10" à quelques jours du second tour ?
Je pense que l’élection reste, malgré tout, assez ouverte. Pour la première fois, il y a, dans cette campagne présidentielle, deux éléments nouveaux. Le premier, c’est une primaire à l’extrême-droite, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant. La donne est changée : cela a pour conséquence d’abaisser le ticket d’entrée pour le deuxième tour. Le deuxième, c’est une tendance à l’abstention, qui s’annonce plus importante qu’en 2017 - on s’oriente vers un chiffre d’environ 30%, ce qui serait beaucoup pour une présidentielle. Cette abstention attendue a aussi pour conséquence d’abaisser le niveau d’entrée pour le deuxième tour. Le niveau de qualification pour le duel final semble devoir se situer entre 16 et 18%, c’est bien moins que lors des scrutins précédents. Aujourd’hui, trois personnes sont des qualifiés potentiels, et on ne sait pas à ce jour comment cela va se décanter, entre Marine Le Pen, Valérie Pécresse et Éric Zemmour. Ce niveau d’incertitude, les sondages tentent de le mesurer tant bien que mal, mais ils ont du mal à appréhender des phénomènes nouveaux. Et on peut ajouter à tout cela une troisième dimension, désormais intégrée par les sondeurs : c’est la grande volatilité des électeurs, qui peuvent bouger au dernier moment, massivement, sur un fait d’actualité, une décision soudaine, une cristallisation ou un sursaut...
Et tout cela pourrait, pour vous, mettre en péril une réélection d’Emmanuel Macron ?
Je ne sais pas, mais en tout cas, cela ferait de la campagne du deuxième tour une campagne inédite. On ne sait pas envisager avec certitude une campagne de deuxième tour avant que ne se tienne le premier : ceux qui ont fait des projections se sont souvent trompés. Mais si on regarde la situation à date, alors qu’il reste une cinquantaine de jours, rien n’est encore cristallisé.
À la mi-février, et à défaut d’entente entre les candidats de gauche (on n’en est plus là), la deuxième place qualificative pour le second tour de la présidentielle semble devoir se jouer vous le rappeliez dans un mouchoir, entre Marine Le Pen, Valérie Pécresse et Éric Zemmour. Qui parmi eux serait le plus à même de fédérer au-delà des électeurs de premier tour, et notamment les électeurs de gauche ne voulant plus du président actuel ?
Si tant est qu’il y ait la mise en condition d’un débat entre Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, Valérie Pécresse peut proposer alors les conditions d’un référendum anti-Macron. Cela lui permettrait de rallier à elle, dans une considération qui reste encore à voir, des électeurs de la gauche qui souhaiteraient voir battre Emmanuel Macron. Il faut voir que, pour l’instant, ce scénario est quand même nuancé par le fait qu’une proportion non négligeable d’électeurs de gauche, socialistes, sociaux-démocrates, voyant l’état actuel de leur camp, se reportent plus volontiers sur Emmanuel Macron dont ils se sentent proches au niveau des propositions. Il y aurait donc "match", rien n’est acquis.
Il faut avoir en tête cette frange de la gauche, portée notamment par les élus, qui se dit qu’historiquement, la gauche se reconstitue face à la droite au pouvoir, et que pour pouvoir reconstruire tout cela, il faut que la candidate LR puisse gagner l’élection de manière à ce que LREM tombe, que soit repris le clivage droite-gauche avec la construction d’un contre-projet. Encore une fois, je ne sais pas dans quelle mesure cette théorie, très présente chez les élus, infuse auprès du terrain. Mais dans le cadre d’un deuxième tour face à Macron, il peut y avoir cette consigne d’un "vote utile". Marine Le Pen et Éric Zemmour provoqueraient, eux, essentiellement une démobilisation auprès des électeurs de gauche.
La campagne droitière d’une Valérie Pécresse qu’on a connu plus modérée, et les scores prêtés aux candidats Le Pen et Zemmour, ne sont-ils pas en train de matérialiser le pari du président, à savoir en substance "À la fin, ce sera entre moi et Le Pen" ? Emmanuel Macron n’a-t-il pas contribué, en sapant les fondations des partis établis, à installer le camp de la droite dure comme la seule alternative à sa politique et à ce qu’il incarne, pour 2022 et pour la suite ?
C’est une des conséquences : il contribue à faire du camp "nationaliste" le camp de l’alternance, sachant que son pari à lui c’est de créer le "camp du raisonnable", via le premier parti démocrate à la française centro-progressiste qui rassemblerait de la gauche de la droite à la droite de la gauche. Ce courant central auquel il a voulu s’atteler dès le début, nécessitait de pouvoir capter le centre-droit. Donc effectivement, s’il n’y a pas un rééquilibrage de la campagne de Valérie Pécresse, qui doit pouvoir parler aux centristes comme aux électeurs de la droite partis chez Macron (environ 20%) et qui pour l’instant ne comptent pas retourner chez LR, c’est bien le face-à-face entre camp nationaliste et le camp progressiste qui se profile. Partant de là, cela place ce camp nationaliste en position d’alternance possible, mais c’était bien le pari politique posé par Macron à ses débuts.
On dit beaucoup que Marine Le Pen a appris de et depuis son échec de 2017, c’est votre sentiment ?
Oui, elle a appris, elle s’est beaucoup mieux préparée, elle s’est réorganisée. Surtout, voyant la candidature d’Éric Zemmour grandir sur le terrain, elle a compris qu’elle avait là une possibilité de pouvoir terminer sa dédiabolisation en se recentrant considérablement. Elle a laissé tomber, en tout cas en terme de discours, toutes les caractéristiques du parti d’extrême-droite, et même entamé une sorte de mue dans sa relation avec les Français : on l’a vue à Reims, parler pour la première fois de sa propre vie et de son rapport aux femmes, seules et célibataires notamment, évoquer les familles monoparentales... Elle essaie, et c’est nouveau, de créer une sorte de relation affective entre elle et les Français, alors que cette relation n’était auparavant que tribunitienne et politique. Cette campagne lui permet de parfaire sa mue, d’autant plus qu’elle constate, campagne après campagne, une diminution de la mobilisation contre elle. Elle suscite de moins en moins d’opposition. Et cela, associé à la tentation abstentionniste, rend sa candidature plus efficiente et plus dangereuse qu’il n’y paraît pour Emmanuel Macron.
On parle beaucoup de sujets polémiques, on évoque les défections de certains pour d’autres camps, Nicolas Bay passé de Le Pen à Zemmour dernièrement... Il y a une forme de violence dans cette campagne. Est-ce qu’on peut espérer avoir malgré tout de vrais débats de fond ? Et qu’est-ce qui rend 2022 singulière par rapport aux campagnes passées ?
Ce qui est frappant, c’est la libération de la parole. C’est la première campagne où le diktat des réseaux sociaux est installé, voire très installé. On est dans une libération totale des expressions, des propos, des mots... Il y a une très grande violence politique, en tout cas dans les langages, qui donne à l’ensemble une tonalité très polémique, avec une difficulté à envisager sereinement les problèmes. Il faut se faire une raison : nous ne sommes pas des Allemands, nous ne sommes pas des Néerlandais, nous ne sommes pas des Scandinaves. À partir de là, le débat politique français dans cette Cinquième République, qui est quand même une monarchie présidentielle construite en pyramide avec une course au pouvoir fondée sur l’élimination et non sur la recherche d’un consensus, ne peut produire que de la tension et une forme de violence. La violence politique est alimentée, élection après élection, par des circonstances contemporaines, mais elle a toujours été de mise parce que, encore une fois, l’organisation de la Cinquième République rend cela inévitable.
Vous avez pas mal suivi, durant votre carrière de journaliste, l’actualité des partis politiques, notamment celle du Front national (1995-2004) et de l’UMP (2004-2010). Quel regard portez-vous sur l’évolution du paysage politique depuis 15 ans ? Après Macron, les diverses chapelles retrouveront-elles leurs ouailles, ou bien a-t-on tourné pour de bon la page de ces temps où la gauche et la droite se partageaient alternativement le pouvoir ?
Je crois que les clivages ont considérablement changé. Ils se sont réorganisés à l’intérieur des familles politiques, les camps, les places et modes d’organisations sont redistribués. Les grands partis de gouvernement qu’on a pu connaître et qui ont structuré la vie publique, sociale, culturelle depuis la Seconde Guerre mondiale sont en train de disparaître. D’autres formes d’organisation politique, je pense à ce que permettent les évolutions technologiques et numériques (avec une plate-forme internet, on peut aujourd’hui faire de la politique), font qu’on vit des évolutions majeures et sans doute définitives. On ne reviendra pas aux grands partis tels qu’on les a connus. Aujourd’hui, des partis s’organisent autour de rassemblements liés à des incarnations, à des souvenirs historiques... Mais ç’en est fini des grands partis de masse, où la gauche et la droite avaient du monde des visions radicalement opposées. Leurs positions se sont considérablement rapprochées sur de nombreuses thématiques, et la mondialisation a imposé une transversalité des thèmes. Le courant populiste qui est venu s’installer et est devenu partie prenante des pouvoirs et des modes de gouvernement change aussi considérablement la donne. Je pense qu’on est bien dans une autre époque complexe dont Emmanuel Macron a été, en France, l’installateur. On verra comment ça va se poursuivre, s’il fait un second mandat, au-delà de lui-même. S’il est réélu, on verra comment LREM et ce mouvement centro-progressiste lui survit, qui le récupère et d’après quel mode opérationnel. Mais les grands partis de masse encore une fois appartiennent à l’Histoire.
seconde partie, le 11 mars 2022
Entre temps, un évènement considérable: la Russie a envahi l’Ukraine.
Les sondages donnent désormais une large avance au président sortant,
positionné loin devant Marine Le Pen. Valérie Pécresse et
Éric Zemmour sont à la peine, rejoints par Jean-Luc Mélenchon...
Michaël Darmon bonjour. Cette question nous est imposée par la tragique actualité internationale du moment : l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine a-t-elle eu pour effet, en France, de tuer la campagne et de plier le match en faveur du président Macron ?
Elle ne tue pas la campagne, elle la redimensionne : c’est la première fois qu’un évènement international, donc extérieur à la vie du pays a autant d’effet sur la campagne présidentielle. Par tradition, les campagnes sont en France assez hermétiques à la politique étrangère, se focalisant sur les affaires nationales. La fait que l’international pèse cette année crée une ligne de fracture entre les candidats selon leurs positions, on l’a vu avec Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Ce conflit met en première ligne des sujets, révèle des traits de comportement qu’on relie à ce qu’on appelle une présidentialité, ou la capacité à gérer une crise majeure au plus haut niveau.
Si on prend le cas d’Éric Zemmour par exemple, il chute actuellement dans les sondages sans pouvoir apparemment s’en relever. En cause, ses déclarations d’avant le conflit, où il pariait qu’il n’y aurait jamais d’invasion, puis son refus - un peu amendé depuis - d’accueillir des réfugiés ukrainiens en France, et plus généralement son incapacité à capter ou en tout cas à être en phase avec l’émotion nationale. Le trouble s’est créé jusque dans ses propres rangs et l’opinion l’a sévèrement jugé quant à sa capacité à occuper le poste de président. La situation a permis à Mme Pécresse de rebondir un peu, en taclant Le Pen et Zemmour comme étant disqualifiés parce que trop "pro-Poutine". Paradoxalement Marine Le Pen s’en sort mieux parce que son électorat est surtout accroché au sujet du pouvoir d’achat, qui est le seul thème qui émerge dans cette campagne en-dehors de la guerre.
S’agissant du président sortant, étant aux manettes et qui plus est, président du Conseil européen pour ce semestre, il se trouve en première ligne dans la gestion diplomatique de ce conflit. De ce point de vue-là, on assiste au fameux "effet drapeau" déjà constaté lors de la crise Covid et qui consiste en une sorte de rassemblement légitimiste autour de la tête de l’exécutif. Depuis son entrée en campagne pendant la guerre, et tout en disant qu’il ne pourrait être un candidat à plein temps, Macron a fait un bond considérable dans les sondages (4 à 5 points gagnés, parfois plus) : il est désormais clairement en tête des intentions de vote, à ce jour autour de 30%. Dans cette affaire il rassemble les trois grandes catégories qui lui donnent un socle important : les classes moyennes aisées et les gagnants de la mondialisation, qui se retrouvent dans son discours général, auxquels j’ajoute encore une fois les Français ayant un réflexe légitimiste et qui considèrent, lui décernant un certificat d’efficacité et de crédibilité, qu’il faut soutenir le président dans cette crise-là. Tout cela laisse penser qu’effectivement il est en bonne situation pour être réélu, mais cette réélection sans campagne pourrait provoquer de grandes difficultés pour la suite du mandat...
Peut-on dire qu’Emmanuel Macron, président qui se voulait "jupitérien" et qui entendait dompter les évènements, s’est pris de face une "réalité complexe" qu’il n’aurait finalement cessé de subir (Gilets jaunes, réforme des retraites, Covid-19, guerre Russie-Ukraine...) ?
Oui, il a subi en permanence des crises non prévues et qui ont dû le mettre en défensive. La première crise fut l’affaire Benalla, une crise de confiance dans sa gouvernance. Puis, la crise des Gilets jaunes, liée à sa verticalité, à sa difficulté à comprendre les "milieux" et "derniers de cordée". Ensuite, une réforme des retraites qui a bloqué le pays parce que mal expliquée, mal comprise, trop rapidement emmanchée... La pandémie est ensuite venue mettre l’exécutif dans un état de pression considérable, même si sa gestion a plutôt été au final jugée à la hauteur. Et donc, cette crise internationale majeure, cette guerre en Europe... Il y a eu une mutation : il se voulait Jupiter, il est devenu Hercule.
Il est beaucoup question dans votre ouvrage des frustrations exprimées par Emmanuel Macron quant aux lourdeurs et lenteurs imputées au poids de la technocratie, auxquelles il associe des attitudes de son ex Premier ministre Édouard Philippe. Cherche-t-il ici des boucs émissaires eu égard à ses échecs, ou bien nourrit-il à votre avis de vrais regrets quant à des points clés de son quinquennat ?
Je pense qu’il a des regrets, et il impute effectivement certains de ses échecs à une série de lourdeurs qu’il impute à un État qu’il juge impotent et aveugle. Il a beaucoup dénoncé les résistances aux réformes de ce qu’il appelle "l’État profond" - il est intéressant au passage de voir le parcours de cette expression, à l’origine russe, puis reprise par Donald Trump. Emmanuel Macron a annoncé son intention de faire changer des comportements : a-t-il eu le temps d’aller jusqu’au bout ? Non, puisque par exemple la grande réforme de l’hôpital n’a pas donné l’impulsion politique nécessaire pour remettre à plat l’architecture de l’hôpital et des ARS, qui sont au coeur du système bêta-bloquant de l’administration de la santé, qui est la plus grosse bureaucratie française. Il a tout de même initié une grande réforme de la fonction publique, via la réforme qui part de la formation jusqu’au changement de l’ENA, en passant par des dispositions modifiant les statuts de la haute fonction publique : les effets ne se verront pas avant plusieurs années, mais il a toujours dit qu’il valait mieux perdre du temps en s’attaquant à la racine des problèmes plutôt que d’essayer de les colmater. Il a beaucoup dénoncé, ce qui d’ailleurs a été posé dès son diagnostic de 2017, ces lourdeurs et ces états de sclérose d’un système mis en place durant les Trente Glorieuses, considérant que ce qui avait un temps servi le pays avait ensuite joué comme un phénomène de verrouillage. Mais il n’a pas trouvé ni la force ni le temps pour faire ce qu’il avait prévu.
Nous évoquions Édouard Philippe à l’instant : il est souvent cité dans votre ouvrage. Le président devra-t-il forcément composer avec lui si d’aventure, un second mandat lui était acquis ? De manière plus générale, vous fait-il l’effet d’un homme qui serait un peu seul dans son camp ?
Il pourrait être amené à composer avec lui. D’ailleurs Édouard Philippe a créé son parti, Horizons, qui s’installe au sein de la majorité. Il faut savoir qu’il y a une très grande méfiance entre les deux hommes : ils ne s’entendent pas, on peut même dire que leurs relations ne sont pas bonnes du tout. On va voir comment cela se matérialise dans la répartition des investitures pour les circonscriptions aux législatives, si Macron est réélu. Là sera l’heure de vérité, qui commencera au soir du premier tour. Pour l’instant, sur le papier, les choses ne sont pas faites pour s’améliorer : Édouard Philippe veut un certain nombre de circonscriptions, les autres membres de la majorité dont François Bayrou veulent l’empêcher d’être trop important (et Emmanuel Macron n’est pas difficile à convaincre là-dessus). Il faut donc bien s’attendre à des tensions.
Sur la question de la solitude : oui c’est un homme assez solitaire qui ne fonctionne pas du tout en bande. Le seul ami qu’on lui prête en tant que tel, c’est le maire de Poissy, Karl Olive qui s’occupe en général des grandes opérations de communication de Macron (match avec le Variétés Club, idée du Grand Débat, organisation aux petits oignons de sa première sortie très verrouillée comme candidat à Poissy...) Karl Olive est le seul qu’on désigne vraiment en tant qu’"ami" du président, mais je ne sais pas ce que signifie ce terme. On ne lui connaît pas vraiment d’amis à part ça...
J’ai noté une phrase de Xavier Bertrand que vous reprenez : il évoque, en parlant du président, un "besoin pathologique d’être aimé". Il y a de cela, pour vous ?
Un besoin de séduire en tout cas. D’être aimé je ne crois pas, mais de séduire certainement. Il est dans la séduction, dans une forme de représentation. Il sait donner le sentiment d’être très proche de son interlocuteur alors qu’en réalité, il va l’oublier et s’en détourner assez vite. Il peut être chaleureux dans une conversation mais sans se livrer jamais. D’ailleurs, une phrase essentielle pour moi, que d’ailleurs je cite dans le livre, c’est cette confidence faite à Brut en décembre 2019 : en substance, "Je ne dis à personne ce qu’il y a dans ma tête". Pour moi, la confidence la plus importante du quinquennat, bien que jetée très rapidement.
Quel est votre sentiment profond sur la question suivante : qui est Emmanuel Macron, et qu’est-ce qui l’anime en-dehors de l’ambition, et de son goût pour une forme de mise en danger ?
Pour moi, un Élu avec un grand E. Quelqu’un qui se sent désigné pour un destin au-dessus des autres. Il est habité par cette fonction, et par une forme d’ambition pour l’Histoire. Il adore ces moments où l’on sent que celle-ci se joue. Il a d’ailleurs évoqué, au déclenchement de la guerre en Ukraine, ce retour du tragique dans l’Histoire. Il est persuadé que la France s’ennuyait parce qu’elle n’avait pas assez de tragique et de héros. Il y a chez lui cette démarche héroïque, dans l’acception antique du terme.
Les yeux dans les yeux, quelle question qu’on ne pose habituellement pas à un président soumettriez-vous à Emmanuel Macron ?
Au fond, pourquoi faites-vous tout ça ? Avez-vous l’impression d’être un être singulier, choisi pour effectuer une grande mission ?
Si vous deviez vous jeter à l’eau, un pronostic au jour de notre entretien pour le podium du 1er tour, le 10 avril prochain ? Qu’est-ce qui pourrait faire bouger les lignes au finish ?
Je ne vois pas ce qui aujourd’hui pourrait faire bouger les lignes en sa défaveur. La situation internationale le conforte : il sera au second tour et en tête.
Ma question vous l’aurez compris portait plutôt sur le deuxième qualifié...
Bien sûr. La deuxième personne, ce sera Marine Le Pen ou Valérie Pécresse.
Pour vous, ça ne peut pas être Éric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon ?
Non. On est dans le moment classique de la campagne où il y a toujours un frémissement Jean-Luc Mélenchon. Le Monde va écrire : "Et si c’était lui ?", les sondeurs commencent à le tester pour le deuxième tour... Il y a un réflexe de vote utile chez les électeurs de la gauche, ils se disent qu’après tout il est le seul qui émerge. Mais je crois vraiment que le vrai match est entre Pécresse et Marine Le Pen.
Dernière question, plus personnelle : vous suivez les hommes et les femmes politiques depuis trente ans, vous connaissez les QG des grands soirs et ceux des déceptions amères. Avez-vous jamais été tenté d’entrer vous-même dans cette arène-là ?
J’ai pour habitude de dire que le gardien du zoo ne reste pas dans la cage des fauves. La restitution et le décryptage des grands enjeux politiques et démocratiques sont des activités assez importantes et qui méritent que l’on s’y consacre. Ce n’est pas parce qu’on écrit sur le pouvoir qu’on est attiré par le pouvoir. Ceux qui racontent la vie des grands bandits ne veulent pas forcément devenir policiers ou bandits.
Un dernier mot ?
Cette campagne présidentielle est inédite, parce qu’elle s’inscrit dans un moment de changement d’ère : la pandémie a joué son rôle de pandémie en ce qu’elle a opéré un changement d’époque, comme la Grande Peste qui a été à la charnière entre le Moyen-Âge et la Renaissance. On vient de vivre les vingt premières années du 21ème siècle, et on dit souvent qu’un siècle trouve ses caractéristiques dans ses vingt premières années. Ce qui commence à se dessiner, c’est qu’il peut s’agir d’un siècle non pas de "grand remplacement" mais de grand affrontement entre des pays à régime autoritaire/totalitaire et nos démocraties libérales qui sont très menacées et vont devoir trouver les moyens de se réinventer.
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Geoffroy Lejeune : « La présidentielle 2017, un scénario plus fou que ceux de House of Cards... »
Geoffroy Lejeune est, à 28 ans (!), le directeur de la rédaction de l’hebdo conservateur Valeurs actuelles ; en 2015, alors qu’il ne faisait « qu »’en diriger le service politique, il s’est amusé à imaginer un scénario dans lequel l’essayiste Éric Zemmour serait candidat à la présidentielle de 2017, et au finish élu. Ce récit, édité par les éditions Ring avec pour titre Une élection ordinaire, je l’ai lu très récemment. Il est bien écrit, bien pensé, et regorge de situations qui, prises individuellement ou dans leur ensemble, paraissent toutes crédibles - à une exception près dans mon esprit, la séquence de Marine Le Pen suivant les obsèques de son père... via la télévision. Cet ouvrage plaira je le crois à celles et ceux que la politique intéresse et qui sont séduits par l’exercice de politique-fiction. Au-delà de (tout) ce qui est romancé, Une élection ordinaire constitue une plongée très instructive dans l’univers finalement assez méconnu par le public de la droite conservatrice française. On y découvre ses coulisses, les acteurs et leurs interactions... À lire, donc, avec d’autant plus de gourmandise qu’on commence à avoir un peu de recul sur l’élection de 2017, la vraie. Sur tout cela et sur d’autres points, Geoffroy Lejeune a accepté de répondre à mes questions, écrites juste après la présidentielle. Je l’en remercie, et je remercie Laura Magné de Ring pour son intervention. À la fin de l’interview, l’auteur dit ceci : « Pour écrire à nouveau, j’attends d’avoir une nouvelle révélation ! ». Pari perso : le héros de son prochain roman de politique-fiction sera une héroïne, et si on la désigne par ses initiales, il y en aura quatre. Bonne lecture ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Geoffroy Lejeune: « La présidentielle
2017, un scénario plus fou
que ceux de House of Cards... »
Q. : 09/05/17 ; R. : 24/05/17.
Une élection ordinaire, par Geoffroy Lejeune, aux éd. Ring, 2015.
Paroles d’Actu : Geoffroy Lejeune bonjour, merci de m’accorder pour Paroles d’Actu cet entretien, axé sur votre roman de politique fiction Une élection ordinaire (éd. Ring, 2015), qui imaginait il y a deux ans une campagne présidentielle de 2017 aboutissant à la victoire surprise d’Éric Zemmour, mais aussi bien sûr sur la véritable élection qui vient donc de se tenir, et qui n’a pas été beaucoup moins mouvementée que celle que vous aviez écrite... Quels sentiments vous inspire-t-elle, précisément, cette campagne de 2017 ?
la présidentielle de 2017
Geoffroy Lejeune : Même avec les meilleures intentions, et avec la plus grande imagination, il était impossible d’imaginer une telle histoire ! Je crois que les scénaristes de House of Cards eux-même doivent se trouver bien prudents en comparaison avec ce que vient de vivre la France durant six mois… Au-delà de cette considération de forme, l’élection de 2017 m’inspire deux conclusions :
1. Un personnage inconnu de tous il y a trois ans s’est imposé, ce qui prouve qu’une candidature venue de nulle part avait sa place.
2. Macron s’est imposé alors qu’il incarne en tous points l’exact inverse de l’évolution de l’opinion des français, si l’en croit les récentes enquêtes du Cevipof (le Centre de recherches politiques de Sciences Po, ndlr). Alors, chapeau l’artiste…
PdA : Dans votre roman, l’écrivain et polémiste Éric Zemmour, qui fut poussé à se lancer par ses amis Patrick Buisson et Philippe de Villiers, et soutenu par Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino, Marion Maréchal et feu (!) Jean-Marie Le Pen, remporte donc l’élection présidentielle. Sur le fil, contre François Hollande au second tour ; sa candidature avait vocation à dépasser celle de Nicolas Sarkozy, jugé trop libéral et trop inconstant, et celle de Marine Le Pen, pas assez "de droite" (la fameuse "ligne Philippot"). Cette candidature Zemmour, dont la cohérence sur la ligne est limpide, c’est un fantasme d’écrivain ou, au-delà, celui d’un citoyen engagé ? Comment Zemmour a-t-il reçu le livre ? En avez-vous parlé avec lui depuis ?
Zemmour candidat ?
G.L. : C’est d’abord une intuition éditoriale. J’ai senti très tôt qu’Éric Zemmour incarnait une sensibilité que je crois majoritaire à droite. J’assume aussi le côté "fantasme" car, je ne m’en cache pas, j’ai une grande admiration pour Zemmour et je partage ce qu’il dit. Il a été très tolérant avec moi lorsque je l’ai prévenu de mon projet. Ce livre le gênait un peu, car je le mettais en scène en présidentiable, mais il m’a laissé très libre et m’a juste demandé de faire « quelque chose de bien ». Je lui ai dit une fois, depuis, lorsque je l’ai croisé au moment des affaires de François Fillon, qu’il y aurait eu la place pour lui. Et sa seule réponse a été d’exploser de rire !
PdA : On attendait Marine Le Pen autour de 40% des exprimés face à Emmanuel Macron ; au final elle n’atteint pas les 34%. On a évoqué sa (contre-)performance lors du débat, peut-être aussi les explications un peu commodes du "plafond de verre" ou encore de l’influence des médias... Est-ce que, pour vous, en tant qu’observateur, elle a été une bonne candidate ? Et la campagne qu’elle a menée, avec son équipe, a-t-elle été sur la forme et surtout sur le fond une bonne campagne ?
la campagne de Marine Le Pen
« Le soir du débat, Marine Le Pen a perdu
non seulement l’Elysée mais également
le leadership de l’opposition future »
G.L. : En tant qu’observateur, je suis d’accord avec l’analyse partagée par absolument tous, ce qui est très rare : elle n’a pas été une bonne candidate, sa ligne a été flottante, elle s’est échouée piteusement le soir du débat. Que dire de plus ? Je crois seulement que, le 3 mai, elle a perdu plus que la présidentielle. Marine Le Pen, non seulement, n’est pas devenue présidente de la République, mais en plus elle a perdu le leadership de l’opposition, qu’elle aurait pu incarner en se hissant au second tour, et enfin elle a semé le doute jusqu’au sein de ses troupes. Lourde addition pour une seule soirée de débat…
PdA : Cette question pose aussi celle, fondamentale, des qualités attendues pour être président de la République, et donc de ce qu’on met derrière la fonction. Faut-il un acteur de premier plan ou un arbitre résolument au-dessus de la mêlée ? Est-ce que, pour reprendre le mot du nouveau monarque républicain il y a deux ans, vous diriez qu’il « manque un roi à la France » ?
un roi pour la France ?
« Le paradoxe est que Macron, incarnation
de la modernité, figure de proue des progressistes,
soit celui qui réhabilite l’autorité présidentielle »
G.L. : Il manque depuis longtemps un roi à la France : la monarchie républicaine est d’ailleurs conçue pour ne pas priver les Français de figure tutélaire, mais il faut admettre que depuis des décennies, les présidents semblent habités par l’idée de ne plus incarner cette autorité, ou de l’incarner différemment. Le paradoxe est que Macron, incarnation de la modernité, figure de proue des progressistes, soit celui qui réhabilite cette autorité. Il ne prend personne en traître, il l’a théorisé, mais ses soutiens les plus libertaires doivent tousser en le voyant endosser les habits du monarque !
PdA : Le duel Macron-Le Pen, ça a été, pour le coup, un choc frontal entre deux conceptions diamétralement opposées de ce que doit être notre rapport à l’Europe, au monde et à la mondialisation, et plus généralement à l’"ouverture", peut-être au "progrès" et aux "valeurs". Est-ce qu’on tient là la ligne de fracture fondamentale pour les années, les décennies à venir ? Est-ce qu’on peut résumer cette opposition au clivage progressistes/conservateurs ? Et peut-on de manière réaliste anticiper une recomposition du paysage politique sur ces lignes-là (avec une droite conservatrice qui serait animée par des Marion Maréchal, des Laurent Wauquiez, maraboutée par Patrick Buisson... face aux progressistes centristes et socialistes du macro(n)-cosme) ?
quels clivages pour les années à venir ?
G.L. : Le clivage progressistes-conservateur existe, je le trouve opérant, mais je me méfie de ceux qui veulent résumer le combat politique en un seul clivage. Il existe aussi un clivage européens-souverainistes, droite-gauche, France périphérique-France d’en haut ; etc. Macron bouscule les règles du système, il est donc difficile de dire aujourd’hui quel clivage structurera demain la vie politique française. J’observe seulement qu’il existe une gauche radicale en France, forte, un mouvement modéré allant de la gauche au centre droit, autour de Macron, qui gouverne, un droite conservatrice qui a perdu l’élection de 2017 "par accident" mais qui entend reconstituer ses forces avant 2022, et le FN, qui continuera d’incarner un populisme anti Europe et anti immigration. De là à vous dire qui sera majoritaire en 2022…
PdA : À plus court terme, question mi-analyste, mi-pronostic : à quoi l’Assemblée ressemblera-t-elle à la fin juin à votre avis ? Emmanuel Macron aura-t-il une majorité présidentielle ?
quelle Assemblée à la fin juin ?
« Macron risque bien de réussir son pari ;
il obtiendra sans doute une majorité
avec son parti émergent. Merci de Gaulle ! »
G.L. : Il est sans doute en train de réussir un pari que je croyais impossible il y a encore quelques semaines : obtenir une majorité à l’Assemblée avec un parti jeune et sans figure émergente. Si cela se produit, ce sera sans doute grâce à la traditionnelle poussée consécutive à la présidentielle en faveur du vainqueur. Ce qui est amusant, c’est de constater que les institutions de la Vème République sont si solides qu’elles ont résisté à la pratique du pouvoir de François Hollande et qu’elles vont permettre à Macron, malgré la faiblesse de son mouvement, de gouverner. Merci de Gaulle !
PdA : Vous prêtez dans Une élection ordinaire une stratégie redoutable à Jean-Christophe Cambadélis : faire monter Zemmour pour couper la droite en trois et donc, donner à Hollande une chance d’accéder au second tour et d’être réélu. Il y a un parallèle qui m’a frappé quand j’ai lu votre livre, ces jours - livre écrit je le rappelle en 2015 : OK, vous vous êtes planté sur 2017 en France, à votre décharge tout le monde s’est planté. Mais j’ai le sentiment que ce que vous avez décrit, peut-être anticipé sans le savoir, c’est Trump 2016 aux États-Unis. La victoire surprise, sur le fil, du candidat anti-système et anti-politiquement correct par excellence. On y retrouve jusqu’à cette histoire de stratégie tordue - et finalement fatale - du PS : on a beaucoup dit que les médias progressistes avaient sur-exposé Trump pour le favoriser lors des primaires, pensant qu’il serait ensuite une proie facile pour Hillary Clinton lors de l’élection générale... Dans un cas comme dans l’autre, la créature de Frankenstein, on croit la contrôler et finalement rien ne se passe comme prévu. Que pensez-vous de cette lecture ?
des stratégies tortueuses
G.L. : Sans doute y a-t-il quelques similitudes entre les deux situations, mais rassurez-vous, je n’ai rien inventé ! La stratégie prêtée à Cambadélis est tout simplement celle qu’applique la gauche depuis Mitterrand : faire monter le FN, un ennemi qui ne peut pas gagner, pour l’emporter sans péril au second tour des élections. C’est ce qui s’est passé pour Macron…
PdA : Votre ouvrage est bien pensé et bien écrit, agréable à lire et très documenté, on y apprend beaucoup de choses sur les coulisses de la politique, et notamment de la droite en France. C’est un milieu que vous connaissez bien. Est-ce que ça vous tente, d’en être de manière active et directe, de cette arène politique ?
faire de la politique ?
« Le journaliste, même s’il s’en défend,
fait de la politique ! »
G.L. : Mais je le suis déjà ! Nous sommes acteurs de ce monde et avons un pouvoir considérable. La question est : qu’en faisons-nous ? Voilà pourquoi je préfère ceux qui avancent à visage découvert, et pourquoi rien ne me fait plus peur que ceux qui prétendent à l’objectivité. Le journaliste, même s’il s’en défend, fait de la politique. La différence entre les journalistes est simple : il y a ceux qui l’assument et ceux qui s’en cachent.
PdA : Vous êtes aujourd’hui directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, ce qui n’est pas banal, à même pas 29 ans... Quelle est l’histoire de ce rapport passionné que vous avez avec la et le politique ?
la politique : histoire d’une passion
G.L. : Un rapport très simple : je viens d’une famille très peu politisée, j’ai peu – voire pas du tout – parlé de politique chez moi étant jeune, et découvert sur le tard, à 18 ans, ce monde. Je me suis passionné pour l’histoire de la cinquième République, à travers plusieurs récits journalistiques, et j’ai eu envie de reproduire ce modèle.
PdA : Quelles sont vos ambitions, vos envies pour la suite ? D’autres fictions sur le feu ?
bientôt une nouvelle fiction ?
« Pour écrire à nouveau, j’attends
d’avoir une nouvelle révélation ! »
G.L. : Malheureusement non ! Une élection ordinaire a été un coup de foudre. J’ai eu cette idée, en ai parlé au patron des éditions Ring, qui a été séduit. J’ai écrit vite, sans répit, les chapitres coulaient assez naturellement. Pour écrire à nouveau, j’attends d’avoir une nouvelle révélation !
Geoffroy Lejeune est directeur de la rédaction de Valeurs actuelles
et auteur de Une élection ordinaire, son premier roman (Ring, 2015).
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André La Rocque : "Le Suicide français de Zemmour, un livre d'espérance"
Sur le site du Bréviaire des Patriotes, auquel il collabore régulièrement, André La Rocque, 20 ans, se présente comme un « jeune patriote français, étudiant républicain réactionnaire amoureux de notre patrimoine culturel ». Je lui ai demandé d'écrire pour Paroles d'Actu un texte non contraint exprimant le ressenti, les réflexions que lui ont inspirés ses lectures attentives du Suicide français d'Éric Zemmour (Éd. Albin Michel). Je le remercie d'avoir accepté de se prêter au jeu. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...
André LA ROCQUE « Le Suicide français
de Zemmour, un livre d'espérance »
À coup sûr, les historiens du futur feront un cas d'école de l'épisode abracadabrantesque qui a touché la France en ces jours d'automne. Injures, réquisitoires malhonnêtes et bande de ridicules se sont courus après. Que s'est-il passé ? Un penseur réac' a rédigé de sa main un recueil s'opposant, non sans talent, à la pensée tout autant bienséante que mortifère qui gouverne une époque gangrenée, profondément malade.
Chacun en France s'attendait évidemment à ces cuistreries de rebellocrates, s'attendait à ce que l'on cisaille un tel livre façon Petit Journal. Naturellement, il fallait faire croire que le poil à gratter qui s'était glissé dans leur chemise repassée ne tracassait pas plus que ça. Le pire, c'est que, plus on en faisait, plus Le Suicide français se vendait. Comme des petits pains. Le serpent se mordait la queue. Il se la mord encore.
Si Monsieur Zemmour a fait peur à tant de monde, si on l'a tant invité - en vue de le démolir -, c'est certainement parce que sa critique du capitalisme contemporain est, à ce jour, la plus adéquate. N'en déplaise aux plus puristes des marxistes, il y'a bien « des » capitalismes, selon les ans. On parle d'un système qui ne cesse de digérer les oppositions qu'on lui soumet. Rappelons qu'il tire un immense profit des ventes de papiers anticapitalistes. Mais l'essentiel réside ailleurs.
Le capital a le pouvoir ravageur de se remodeler, de s'adapter pour semer ses contradicteurs les plus féroces. À la fin du XIXème siècle, les prolétaires, pétris de culture marxiste, avaient pris conscience de leur intérêt de classe; les capitalistes ont finement confondu les intérêts ouvriers avec les leurs. De sorte qu'en cas d'effondrement du système, tout le monde a des acquis à perdre. En mai 68, c'est une critique "artistique" qui a pris le pas dans la confrontation au système : « Vais-je perdre ma vie à la gagner ? », « Dois-je me résoudre à pourrir au sein de ma civilisation ? ». Comme toujours, la critique de la société de consommation est passée à la trappe. On se demande si, en ce cas, là n'était pas son destin congénital. Le capitalisme moderne a parfaitement su monnayer les idéaux de liberté, a offert Paris-Plage à ceux qui en demandaient une sous les pavés. Il a joyeusement piétiné les frontières nationales, dont il devait s'extraire, pour son grand bonheur, imposer l'insécurité de l'emploi, et tant d'autres maux... C'est cela aussi, la liberté, cruelle et oppressante. [1]
Ils ont gagné, ils gagnent, les richards : ils réduisent le monde entier à un simple magasin mondial dans lequel les hommes, apatrides et asexués, finissent parfaitement corvéables et consommateurs débridés, démunis de tout complexe civilisationnel. On ne disposerait plus, en leur projet nihiliste, de la moindre attache traditionnelle, serions des êtres remplaçables, simples individus nés on ne sait trop où pour on ne sait trop quoi. Une atomisation générale. Le merveilleux portrait zemmourien de l'ancien patron de Renault, Louis Schweitzer, fortuné sans morale, mondialiste convaincu en faits et en pensées, engagé à SOS Racisme, transcrit un idéal-type du monde dans lequel nous vivons.
L'illustre philosophe Jean-Jacques Rousseau a si justement écrit, « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d'aimer ses voisins. » [2] On admire les flux lorsque l'on vit dans les aéroports; la race sédentaire les maudit car elle vit sur des racines. Seuls les naïfs seront étonnés que la caste médiatico-politique ait préféré passer du temps d'antenne sur la prétendue réhabilitation de Vichy - sur laquelle on ne s’appesantira pas -, plutôt que pour cette critique, mère de toutes les autres.
Il s'agit de comprendre que le système se rit des internationalistes de tout poil, de l'esprit de Woodstock. La pensée forte de Marx s'arrête ici devant toute application positive : elle constitue la négation même du politique. Toute interprétation de Marx est, de fait, hautement contestable. Dans sa vision le capitalisme prépare son lit de mort, et l'Homme, être tranquille, patiente à son chevet. Il apparaît que changer la réalité que nous connaissons contraint à l'action. C'est de raison que la réaction s'impose comme le seul recours : il ne saurait y avoir de justice sociale en l'absence d'un État providence, autonome et stratège. Et il n'y a, de nos jours, de patriotisme véritable que dans la réaction.
L'Histoire, la tradition, la nation... Tant d'êtres que les amis du grand marché veulent voir s'éteindre, au profit d'une fantasmagorique citoyenneté du monde. C'est à ces êtres martyrs qu'il convient de se raccrocher, pour que jamais la culture de l'oubli ne puisse nous rogner, ce jusqu'au cœur de ce que nous portons. C'est aux négateurs de la mémoire et de l'âme que nous devons répondre, à ceux qui jouissent d'une conception bien insultante de l'humanité. Il faut le clamer : en vitupérant contre les racistes, les ennemis de la cause du peuple, les barons de la peur, ils ne font que renvoyer leur propre visage sur leurs contradicteurs.
Je suis convaincu que ce n'est pas le brillant historien auteur de Mélancolie Française et de ce bel essai qui me contredira. Son rapport passionnel avec le roman national a de quoi nous inspirer. Mais, au-delà de l'historien, Éric Zemmour a le mérite évident de ramener la réalité en termes de classes et de dynamiques, plutôt qu'aux termes de cas singuliers et de relativisme permanent. Il est cet homme au cœur "vieille France" qui, comme tant de Français, ne peux endurer davantage le mépris constant des plateaux télé. Il est de sa génération, témoin de l'installation et de l'enracinement d'une idéologie. Ce droit-de-l'hommisme, qui a conquis et enlaidi les faits sociaux majeurs de notre civilisation : la politique, la chanson, l'art en général, la justice, le football...
C'est bien l'histoire d'une revanche sur le roman national qui est entre nos mains, d'une revanche sur l'idéal républicain comme sur la France éternelle. Tout y passe : la course folle vers l'Union oligarchique européenne, le féminisme et l'antiracisme forcenés et obligatoires, le « libertarisme » prosélyte, la haine de soi, le triomphe du marché, BHL, Coluche, Lilian Thuram... Il est louable qu'il ait abordé les problèmes ainsi : on retient bien mieux l'emblématique que le pompeux. On en ressent peu à peu la médiocrité qui nous est parvenue aujourd'hui.
« L'optimiste est un imbécile heureux. Le pessimiste est un imbécile malheureux. » écrivait feu Georges Bernanos. [3] Tous attestent que le journaliste Zemmour souffre de la seconde tare. D'aucuns brocardent le constat pathologique qui coule de ces pages, la névrose qui pousserait les Français au suicide. Mais, comme l'a relevé si justement Jean-Marie Le Méné sur Radio Courtoisie, il « déconstruit les déconstructeurs » [4], et, par conséquent, deux négations ne pouvant former qu'un positif, c'est un livre d'espérance.
Ce récit est un voyage dans les abysses de la modernité; il n'est sous aucun prétexte en opposition avec le Roman de Jeanne d'Arc de Philippe de Villiers. Il doit soulever le cœur de chaque être français afin que renaisse, brille à nouveau et de mille éclats la France d'antan, la France véritable, la France de Clovis à Rousseau, la France comme phare des nations. Pour qu'elle soit prête à accueillir ce nouveau Bonaparte que ce peuple mérite et appelle de toute son âme. Une idée si épurée peut très bien se passer des corps intermédiaires qui ne cessent de la souiller.
1 Pour poursuivre cette critique utopiste du capitalisme moderne, nous conseillons vivement l'ouvrage duquel est inspiré largement cet écrit : BOLTANSKI Luc, CHIAPELLO Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, 843p.
2 L’Émile ou De L’Éducation (Livre premier), Paris, The Hague Chez Jean Néaulme, 1762.
3 Les grands cimetières sous la lune, Paris, Éditions du Seuil (1997), 1938.
4 RADIO COURTOISIE. « Entretien avec Éric Zemmour ». 12 Octobre 2014
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