Frédéric Quinonero : « J'ai voulu réaliser quelque chose de plus personnel, qui m'appartienne vraiment »
Je souhaite, avant d’entrer dans le cœur de ce nouvel article, entamer d’emblée par une digression dont j’aurais beaucoup aimé me passer. La disparition, mercredi 8 mars, de Marcel Amont, artiste complet, auteur fin et homme généreux - j’ai pu le constater très directement, notamment mais pas que, lors de cette interview réalisée en décembre 2021 -, a peiné pas mal d’artistes et un grand nombre d’hommes et de femmes qui l’ont aimé au cours de ses sept décennies (!) de carrière. Il incarnait, plus sincèrement que d’autres sans doute, une forme de légèreté associée à une époque dont beaucoup sont nostalgiques. Une joie de vivre à l’évidence. Dans les hommages, on a beaucoup lu, entendu qu’il était solaire, et il l’était vraiment, Marcel. Alors, on emprunte un moment le chapeau de Mireille (de toute façon je crois qu’ils annoncent du vent aujourd’hui), pour dire simplement : chapeau, l’ami !
J’ai interviewé Frédéric Quinonero pas mal de fois pour Paroles d’Actu. Toujours pour ses bio d’artistes. Il a choisi cette fois, encore une histoire de chapeaux, de changer de casquette et nous présente aujourd’hui un roman, publié 14 ans après son premier. Carol Eden n’existe pas vient de paraître chez La Libre édition. Vous ne connaissez pas cette maison ? C’est normal, il vient de la créer. Ce roman, il y songeait depuis longtemps. Et ma foi, c’est une belle surprise : il part de sa connaissance encyclopédique de la carrière des chanteuses qui l’ont marqué, Sheila et Françoise Hardy en tête, pour recréer une histoire totalement originale, un huit clos pesant, lourd de non-dits en plein contexte apocalyptique. Ce bouquin, écrit avec l’aisance de plume qu’on lui connaît, nous transporte en plein drame intime, alors que se joue une catastrophe et en même temps, peut-être, des retrouvailles, et quelque chose qui n’est pas rare en temps d’Apocalypse : une forme de rédemption. Un roman court mais intense et parfaitement ficelé, je vous invite à le lire, vous soutiendrez en même temps un nouvel éditeur ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Frédéric Quinonero : « J’ai voulu réaliser quelque chose
de plus personnel, qui m’appartienne vraiment... »
Carol Eden n’existe pas (La Libre édition, mars 2023)
Frédéric bonjour. Première question, une triste actualité. On vient d’apprendre la disparition, à quelques jours de ses 94 ans, de l’ami Marcel Amont, que toi et moi avions chacun de notre côté interviewé, pour ce qui te concerne il avait notamment témoigné sur le terrible accident de Serge Lama en 1965. Que retiens-tu de tes rencontres avec Marcel Amont, et que t’inspire-t-il, l’homme comme l’artiste ?
L’annonce de sa disparition m’a attristé. Je l’ai interviewé à deux reprises, en 2007 pour mon livre sur les années 60 (Rêves et révolutions) et tout récemment pour la biographie de Lama. En novembre 2007, je l’avais rencontré à Montpellier lors de la tournée « Âge tendre ». Il m’avait reçu dans sa chambre d’hôtel et nous avons dialogué – car l’interview s’est rapidement transformée en conversation -, lui allongé sur son lit, moi assis sur un fauteuil. Ce sont des rencontres qu’on n’oublie pas. Outre le talent et le parcours de l’artiste, l’homme était passionné et passionnant, humble, généreux, sincère, attentif, curieux de l’autre. Il appartenait à une « école » qui n’existe plus, celle du music-hall. À l’époque, on ne s’embarrassait pas avec l’image, la com, tout ce fourbi. On se donnait sans filtre. C’est tout ça aussi qui s’en va avec lui.
On pense à lui, à son épouse et à ses proches... Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ce roman, Carol Eden n’existe pas (La Libre édition), toi qu’on connaît surtout pour des biographies d’artistes (ta biblio en compte une bonne vingtaine, contre un roman sans compter celui-ci) ? Le goût peut-être de laisser libre cours à son imagination, de s’affranchir des rigidités de la bio, de ne dépendre de rien ni de personne, bref le goût d’être "libre" tout court ?
L’idée de Carol Eden remonte à quelques années, du temps où je faisais mon "apprentissage" d’écrivain. J’avais écrit cinq ou six romans, déjà, non aboutis. Puis l’idée de Carol Eden est arrivée au moment où j’ai commencé à être biographe, grâce à un ami journaliste – Benoît Cachin, pour le citer – qui m’a ouvert les portes de l’édition parisienne. Pendant 17 ans, j’ai enchaîné les biographies. On ne me demandait rien d’autre, malgré mes appels du pied. Je faisais ça plutôt bien, pourquoi avoir envie d’autre chose ? me disait-on. Il m’a fallu attendre que ce soit possible et j’ai décidé enfin de me faire plaisir, en créant mon édition. Cela ne veut pas dire que je renonce à la biographie et que je claque la porte de la « grande édition » (rires). Sinon, pour répondre à ta question, oui, on peut tout se permettre dans un roman. La biographie nous contraint à une technique particulière et à un effacement de soi. On se tient à distance pour mettre son sujet en lumière. Avec le roman, on s’immisce partout. Sans que cela se voie.
Pas d’obligation en effet d’être béton sur une vie d’artiste, sur des faits... mais qu’est-ce que le roman suppose justement en matière d’exigence particulière pour son auteur ?
Je crois qu’il n’existe aucune règle particulière à suivre, excepté peut-être l’idée qu’on écrit pour les autres et qu’on doit captiver son lectorat. Personnellement, je m’applique à fixer deux choses dès le départ : comment je commence et où je compte aller. Entre les deux, je me laisse guider par mon imaginaire, sans perdre de vue la chute, le dénouement final. Zola disait : « Savoir où l’on veut aller, c’est très bien ; mais il faut encore montrer qu’on y va. »
Comment l’aventure Carol Eden n’existe pas s’est-elle passée pour toi ? As-tu ressenti en y mettant le point final, une jouissance un peu plus grande que pour tes bios ? Et l’exercice t’a-t-il donné envie d’écrire davantage de fiction par la suite ?
La jouissance était plus grande parce que le projet me tient à cœur depuis longtemps, et parce que j’avais fait la promesse à mon ami romancier Michel Jeury, aujourd’hui disparu (ce livre lui est dédié), que Carol Eden existerait un jour ! Ensuite, j’étais heureux de pouvoir m’échapper un peu du cadre de la biographie et de réaliser quelque chose de plus personnel, qui m’appartienne vraiment. Et oui, je compte bien écrire d'autres fictions.
Quel lecteur de romans es-tu ?
Je suis un grand lecteur, très éclectique. Je lis de tout : romans, récits, essais, livres historiques, biographies. Je n’ai pas toujours du temps à consacrer à la lecture, mais je ne m’endors jamais sans avoir lu quelques pages. Actuellement, je lis une biographie passionnante de Juliette Drouet (Juliette Drouet, compagne du siècle, Flammarion), par Florence Naugrette, que j’ai rencontrée au Festival de la biographie de Nîmes.
La Libre édition, c’est une aventure personnelle amenée peut-être à se développer. L’autoédition, c’est quelque chose qui te tentait depuis longtemps et que peut-être, tes expériences avec les éditeurs établis ont précipité ?
Oui, qui sait ?... Je n’ai pas cherché longtemps un éditeur pour mon roman. J’ai vite compris que c’était peine perdue. Non pas que je sois un piètre romancier, mais pour des raisons purement commerciales. L’édition aujourd’hui, essentiellement tenue par de grands groupes hégémoniques, ne laisse plus guère de chance aux romanciers débutants, à moins d’arriver avec un sujet hyper « bankable »… Je me suis donc lancé en tant qu’éditeur, j’aurais pu simplement m’autoéditer comme le font certains auteurs. Je tenais à créer mon édition, mon logo, faire les choses en professionnel. Avec mon amie graphiste Christine Kovacs, que j’ai connue lorsque j’étais publié par les éditions Didier Carpentier, on a réfléchi à un visuel, un concept, une « collection ». On a pris beaucoup de plaisir à se lancer dans cette aventure que je souhaite longue.
Carol Eden n’existe pas nous fait revivre, comme toile de fond omniprésente, l’exceptionnel épisode cévenol qui a frappé ta région en septembre 2002. Quels souvenirs en gardes-tu, et pourquoi avoir choisi ce cadre-là ? C’était une façon pratique, aussi, de forcer les deux protagonistes à passer une soirée ensemble ?
L’idée de Carol Eden est née chez Michel Jeury, au lendemain de cet épisode cataclysmique. Je n’habitais pas dans les Cévennes à ce moment-là, mais dans la région de Montpellier. J’ai tout de suite imaginé un huis clos cette nuit-là et je l’ai situé à l’endroit où vivait Michel, à qui j’ai demandé de me raconter en détails ce qu’il avait vécu. J’ai tout recueilli sur dictaphone, si bien que toutes les précisions données dans le roman sont rigoureusement exactes. Michel Jeury m’encourageait à écrire, ses conseils étaient précieux, distillés subtilement afin de susciter en moi une vraie réflexion et un vrai cheminement d’auteur. Il faisait en sorte que l’on trouve seul sa voie (sa voix), parce qu’il n’y a pas de recette miracle pour être écrivain. Pendant plus de dix ans, je suis venu régulièrement lui rendre visite dans sa maison d’Anduze. Longtemps, sans faillir, je me suis appliqué à écrire des romans ou des ébauches de romans que je lui faisais lire, parce qu’il me demandait toujours ce que je faisais et lisait tout ce que j’écrivais. La première ébauche de Carol Eden n’existe pas lui avait beaucoup plu, je me devais de le publier, je le lui avais promis.
Michel Jeury. Photo : Andersen/Sipa.
L’atmosphère un peu pesante liée à ce huis clos contraint par la météo (et un peu calculé par un des deux personnages), le lecteur la ressent bien me semble-t-il. Le huit clos, c’est quelque chose qu’en général tu trouves attirant pour une narration ? T’es-tu inspiré d’œuvres en particulier pour construire cette ambiance ?
Oui, la tempête de cette nuit-là a pleinement sa place dans l’histoire, comme un personnage à part entière. Elle installe un climat pesant, une situation d’urgence. Sans elle, la rencontre n’aurait pas pu se faire. Le huis clos s’imposait ici. Je ne crois pas m’être inspiré d’une œuvre en particulier, j’avais simplement l’idée d’un film en écrivant. Je visualisais ce que j’écrivais.
Le roman met face à face deux personnages, présentés comme étant la sœur jumelle d’une ex-star des sixties disparue, et un jeune journaliste un peu mystérieux. Clairement, ton inspiration, s’agissant du parcours de Carol Eden notamment, tu l’as pioché ici ou là, dans les vies et carrières de tes idoles à toi, Françoise, et surtout Sheila en tête ?
C’était une façon de faire doucement la transition entre le biographe et le romancier. Mais rien n’a été calculé. Il y a un peu de moi chez le jeune journaliste - en 2002, j’étais encore jeune (rires). Et le personnage de Carol Eden s’inspire de toutes nos vieilles chanteuses bien-aimées, à commencer par Sheila, ma fée Clochette, et son producteur. Mais on s’éloigne assez vite de Sheila. Il s’agissait de reconstituer une époque et d’établir une satire du milieu du showbiz. On peut donc y voir plusieurs références…
Tu expliques, à un moment du roman, à quel point Carol Eden a mal vécu à la fin de sa carrière le côté hystérique, inquiétant même de certains fans. Quel regard portes-tu finalement sur la célébrité, après avoir étudié la manière dont toutes les stars que tu as racontées ont géré la leur ? C’est plutôt quelque chose que tu trouves enviable, ou lourd à gérer au quotidien ?
C’est enviable à partir du moment où l’on vit de sa passion, tout en gardant les pieds sur terre. Mais tout autour de soi, les conditions de vie, l’argent, les fans, l’entourage, tout invite à perdre le sens des réalités. Je dis souvent que la biographie, malgré ma réputation d’auteur bienveillant, m’a permis de déboulonner les stars de leur piédestal. Enfant, j’avais des idoles. Je les croyais au-dessus de tout. Et c’est un peu le problème : les stars, souvent, se croient au-dessus de tout. Mon statut d’écrivain m’amène parfois à être reçu dans des endroits prestigieux et je suis toujours amusé par les révérences obséquieuses que l’on suscite dès lors qu’on est un peu connu. Être ainsi courtisé au quotidien fait facilement perdre les pédales. Ils ne sont pas nombreux ceux qui comme Souchon ou Cabrel ont su se préserver, s’écarter du milieu du showbiz, maintenir une certaine « normalité ». C’est un métier où on se brûle facilement les ailes, si on se laisse bercer par les flagorneurs.
La question de la filiation, celle de la maternité est très présente dans l’intrigue, on songe un peu au beau film Guy que tu m’as dit n’avoir pas vu. C’est un élément que tu as eu assez rapidement en tête quand tu as construit ton histoire ?
Oui. J’avais eu une longue conversation avec le fils d’une chanteuse, et je voulais parler de cette difficulté d’avoir un enfant quand on mène ce genre de vie et qu’on est plutôt autocentré de nature…
Si tu devais en quelques lignes inciter une de tes idoles à lire ton roman, qui serait-elle et quel argumentaire déploierais-tu ?
Je n’ai plus trop d’idoles, mais si tu veux parler de nos chanteuses bien-aimées, je les inciterai toutes à le lire. Chacune s’y retrouverait, au gré de l’histoire. Bien sûr, celle avec qui j’ai le plus d’échange est Françoise (Hardy) et j’aimerais beaucoup avoir son avis intransigeant… Mais comme je te vois venir avec ta question, ce serait peut-être l’occasion de me réconcilier avec ma fée Clochette ! (rires). Elle n’a pas beaucoup aimé le biographe, quand bien même il est bienveillant, mais elle apprécierait peut-être le romancier, qui sait...
J’évoquais l’atmosphère particulière du roman tout à l’heure, ce huit clos chargé tant par la météo que par les non-dits entre les personnages. Je me dis, et je ne suis pas le seul, que ça s’adapterait fort bien au théâtre et pourquoi pas au grand écran. Y as-tu songé, et si oui, mettre en scène, c’est une chose qui pourrait te tenter ou pas du tout ?
Je l’ai dit : j’ai écrit de manière filmique. Je ne sais pas faire autrement : il faut que je visualise une scène pour pouvoir la décrire. Sans doute le fait que j’ai été pendant quelques années monteur image. Alors oui, l’histoire pourrait s’adapter au cinéma ou à la télé. Ça me plairait beaucoup, je pourrais éventuellement retravailler le texte avec un scénariste mais je laisserais le soin de l’adapter à un vrai metteur en scène.
Florent Pagny, à propos duquel tu écris une bio en ce moment, a annoncé il y a quelques jours des nouvelles moins bonnes qu’on espérait à propos de son cancer. Si tu avais un message à lui adresser ?
Je l’ai trouvé courageux et émouvant dans l’émission. Garder le sourire avec les larmes aux yeux, c’est admirable… Je lui souhaite tout le meilleur, vraiment. Il reçoit en ce moment beaucoup de messages d’amour. C’est bien de lui dire qu’on l’aime. Lui envoyer ce genre d’ondes positives. Mon livre sera ma façon de le lui dire.
Quels sont tes projets, tes envies surtout, en tant qu’auteur et tout autant, en tant qu’éditeur ?
Je ne sais pas si j’aurai assez de temps, mais je prévois de publier à La Libre Édition une nouvelle version de Chemin d’enfance, avant l’été, et ma biographie d’Édith Piaf à l’automne, rebaptisée et augmentée d’une préface prestigieuse… L’abécédaire Florent Pagny est donc annoncé aussi pour l’automne à L’Archipel. Ensuite, toutes les aventures sont permises. À condition qu’elles soient palpitantes.
Un dernier mot ?
Merci (de ta fidélité).
Photo : Nathalie Bouly.
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Frédéric Quinonero : « L'éclectisme de Patrick Bruel est admirable... »
Qui oserait prétendre qu’il ne connaît pas cet homme ? Depuis une trentaine d’années, Patrick Bruel est partout. Cette vidéo d’une de ses plus belles chansons, Qui a le droit ?, nous vient de ce temps où passer à côté était même impossible : autour de 1991, la "Bruelmania", une espèce de folie collective - même si elle a surtout touché les jeunes filles de l’époque. Bruel aurait pu rester enfermé dans cette image-là, mais force est de constater, qu’on l’aime ou qu’il agace, qu’il a su se renouveler, et faire prendre à sa carrière - devrais-je dire "ses" ? - des chemins inattendus. Bruel le chanteur est toujours là, idem pour l’acteur, rôle qu’il joue depuis plus longtemps encore. Frédéric Quinonero, fidèle de Paroles d’Actu, biographe empathique et rigoureux, vient de lui consacrer chez l’Archipel un nouvel ouvrage, un abécédaire inspiré et richement illustré : Patrick Bruel, au fil des mots. À feuilleter forcément, si vous aimez Bruel. Merci à Frédéric Quinonero pour cette interview. Exclu. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Frédéric Quinonero : « L’éclectisme
de Patrick Bruel est admirable... »
Patrick Bruel, au fil des mots (L’Archipel, octobre 2022).
Frédéric Quinonero bonjour. Pourquoi ce nouveau livre sur Patrick Bruel, et pourquoi avoir choisi ce format de l’abécédaire ? Cet exercice-là t’a plu ?
J’avais pris beaucoup de plaisir à écrire la biographie de Patrick Bruel, Des refrains à notre histoire, parue en 2019 chez le même éditeur. C’est un livre qui a rencontré le succès et m’a permis de beaucoup échanger avec les admiratrices du chanteur. Ce lien sympathique méritait d’être entretenu. L’abécédaire, proposé par mon éditeur, a permis de prolonger cette complicité. L’exercice, plus ludique, moins rigoureux et contraignant que la biographie pure, m’a beaucoup plu. De la même façon que le lecteur a le loisir de musarder d’une lettre à l’autre, au gré de son humeur, j’ai éprouvé un égal plaisir à vagabonder, à écrire sans être tenu de respecter un ordre chronologique, sans avoir à dérouler le fil d’un récit.
"Des refrains à notre histoire", justement. Raconte-nous "ton" histoire avec Patrick Bruel ? Tu l’as aimé assez tôt, ou plutôt après la "Bruelmania" ?
En réalité, je n’aurais jamais pensé écrire sur Patrick Bruel. Je suis passé totalement à côté de la "Bruelmania". Comme tout le monde, je connaissais quelques tubes et je l’avais apprécié dans certains films… Lorsque la proposition est venue de mon éditeur, j’ai accepté de relever le défi mais il m’a fallu tout écouter, tout visionner, tout découvrir. Et ce fut un vrai plaisir. En fait, la partie la plus intéressante du travail de biographe c’est celle-là : partir à la découverte de son sujet. Aujourd’hui, je suis aussi incollable sur Bruel que ses ferventes admiratrices ! (Rires)
Bruel comme Johnny ont connu le même drame : l’abandon par le père. Dans le cas de Bruel, une mère forte a su prendre le relais, adoucir son enfance et ouvrir ses horizons, tandis que la mère de Johnny a, elle, été défaillante. Tu connais bien les deux artistes : quel regard portes-tu sur la manière dont l’un et l’autre a affronté ces blessures originelles ?
La mère de Johnny a été défaillante, par la force des choses. Mais Johnny a longtemps pensé qu’elle l’avait à son tour abandonné. Ce double abandon, du père et de la mère, a été le tourment de sa vie, sa blessure profonde. Longtemps, comme Bruel, il s’est cherché un père de substitution, mais surtout une mère. On peut plus facilement se passer d’un père que de l’amour d’une mère, surtout quand on est un garçon. C’est la scène qui a sauvé Johnny : il n’existait vraiment que face au public, dans son habit de chanteur. Il était paumé, partout ailleurs. Bruel a bénéficié de l’amour exclusif de sa mère, une mère qui l’a protégé de tout ce qui aurait pu faire entrave à son équilibre. Des hommes ont occupé la place vacante tout au long de sa vie, tenant rôles de confidents, inspirateurs, maîtres à penser, puis il a su faire la paix avec son géniteur, au moment où lui-même allait devenir père.
On n’est pas dans son intimité, mais quand on te lit, on a l’impression d’un Bruel ayant le culte de l’amitié, et un état d’esprit très famille aussi, très clan. Est-ce qu’il s’est un peu cherché des modèles de substitution, je pense par exemple à un Guy Carcassonne, ou dans un autre genre à un Alexandre Arcady ? Dans le monde de la chanson, aussi ?
Oui, Bruel a su préserver sa vie privée, lui accordant une place privilégiée. On le sait fidèle, à Arcady par exemple. Les deux hommes ont démarré ensemble, l’un comme cinéaste, l’autre comme acteur. Ils ont tourné cinq films ensemble. Arcady est le parrain d’un des deux fils de Bruel. Il vouait à Guy Carcassonne un attachement quasi filial. Son décès l’a beaucoup ébranlé. Dans le monde de la chanson, les amitiés sont plus difficiles, mais Bruel a toujours entretenu une étroite connivence avec ses collègues des Enfoirés et n’a jamais manqué le rendez-vous annuel. Bruel avait beaucoup d’affection et d’admiration pour Johnny. Il est aussi très attaché à Jean-Jacques Goldman ou Renaud.
Qui l’a influencé de manière décisive quant à son univers musical ? Barbara bien sûr, Aznavour aussi, et Sardou pour le magnétisme scénique ?
Sa mère a assuré son éveil artistique, elle l’emmenait au théâtre, à l’opéra et lui faisait découvrir les chanteurs qu’elle aimait, comme Barbara, qu’il a longtemps suivie par la suite et à qui il a rendu hommage dans un album, Jacques Brel, qui l’a pas mal inspiré, et Serge Reggiani. À l’adolescence, il s’est passionné pour le rock anglais, les Rolling Stones en particulier. Et c’est en assistant par hasard à un concert de Michel Sardou à l’Olympia, en 1976, qu’il a trouvé sa vocation. Son éclectisme est admirable.
On va dans le vif du sujet, dans la chaleur du succès. Comment Patrick Bruel a-t-il vécu la folie (parce qu’il faut bien appeler un chat un chat) "Bruelmania" ? À ton avis, il a galéré pour s’extirper de l’image d’idole qui lui a collé à la peau ? Et penses-tu que, par ses choix artistiques, il a su conquérir véritablement de nouveaux publics (les anciens avec l’album Entre deux par exemple) ?
Une célébrité à un tel paroxysme a quelque chose d’inquiétant. Bruel s’en accommode, à l’époque – on ne se plaint pas d’avoir du succès quand on l’attend depuis longtemps, même si ce succès dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer –, mais il a conscience du danger, des effets pervers de ce genre de "phénomène". Le succès, oui, mais Bruel voulait s’inscrire dans la durée, ne pas être un chanteur à minettes. Il visait plus loin, plus haut. Alors, il a délaissé quelque temps son habit de chanteur pour se consacrer à la comédie, se faire une place au cinéma, avant de revenir avec un album de chansons plus matures, à la fois intimes et poétiques, qui trouvaient leur place au rayon "grande variété". Son auditoire s’est peu à peu élargi. Il a ensuite rallié les anciens, en effet, avec le double album Entre deux, qui a obtenu un énorme succès. Puis il a su s’entourer de jeunes partenaires pour toujours rester dans l’air du temps. Explorer de nouveaux univers, tout en restant Bruel.
Bruel a l’air de réussir tout ce qu’il entreprend : la musique bien sûr, le ciné aussi, le théâtre, la production artistique (il a importé quelques tubes de l’été) et production d’huile (!), le poker, et il parle en expert de politique ou de foot... Ça agace non ? Est-ce qu’une forme d’omniprésence a pu lui nuire ?
La jalousie est un mal français. On n’aime pas ceux qui réussissent. Et, évidemment, quand on réussit tout ce qu’on entreprend, comme c’est le cas de Patrick Bruel, on peut imaginer que cela suscite de l’agacement. Pourtant, il a plutôt une bonne cote de sympathie. Les professionnels de la profession l’ont longtemps boudé, lui refusant certains prix pourtant mérités, mais les salles de concert sont combles. Partout en France, et dans quelques autres pays. Depuis la mort de Johnny, il est le chanteur qui attire le plus grand nombre de spectateurs.
Michel Sardou a choisi il y a quelques années de quitter la scène musicale pour revenir à ses premières amours : le théâtre (entre le moment de l’interview et sa mise en ligne il a annoncé son retour, ndlr). Pour toi, Bruel est-il fondamentalement, plutôt un chanteur, ou un acteur, à supposer que l’un et l’autre soient si différents que ça d’ailleurs... ?
Bruel est un artiste qui a réussi dans les deux domaines. Il est même le seul à avoir mené les deux carrières de front. Ses aînés, Montand et Reggiani, ont longtemps délaissé l’une des deux disciplines pour se consacrer pleinement à l’autre. Bruel a tout assuré en même temps : chanson, cinéma, théâtre. La "Bruelmania" a été un tel phénomène qu’on a tendance à le voir plutôt comme un chanteur, mais reconnaissons lui une filmographie plutôt riche – une quarantaine de films, dont quelques gros succès.
Quelles chansons te touchent le plus, dans son répertoire ?
J’ai une nette préférence pour ses chansons tendres, celles où sa voix est tout en douceur et en sobriété. Je n’aime pas trop quand il fait des prouesses vocales. Ainsi, j’écoute avec plaisir Juste avant, Ce soir on sort, J’te mentirais, Raconte-moi, Les Larmes de leurs pères, Élie, Mon repère… Sa reprise de Madame, de Barbara, me plaît beaucoup aussi. Parmi les plus connues, j’aime beaucoup Qui a le droit et Place des grands hommes, qui sont parmi ses chansons celles qui resteront.
Si tu devais nous recommander un film avec Bruel, à voir absolument ?
Un seul c’est difficile. Un secret, peut-être. Mais j’ai un souvenir assez marquant de La Maison assassinée.
Quelle question lui poserais-tu si tu l’avais face à toi, les yeux dans les yeux ?
Qu’est-ce qui fait courir Patrick ? (pour paraphraser son ami Chouraqui).
3 qualificatifs qui iraient bien à Bruel tel que tu crois l’avoir compris ?
Sincère. Battant. Sympathique.
Nous commémorerons bientôt les cinq ans de la disparition de Johnny Hallyday, que tu aimes, et sur lequel tu as tant écrit. Ce moment de décembre 2017, comme beaucoup, tu l’as redouté. Comment as-tu vécu tout ça, et ça t’a fait quoi, ces cinq ans sans Johnny ?
Je sais qu’il est mort, sans l’avoir complètement assimilé. Je continue à l’écouter et à le regarder comme quelqu’un de bien vivant, parfois j’ai un sursaut de lucidité et je me répète : "Il est mort, Johnny est mort", plusieurs fois pour m’en convaincre. Ce sentiment est étrange. Pour commémorer les cinq ans de sa disparition, j’ai le sentiment d’avoir été écarté de l’événement, car depuis mon Johnny immortel, on m’a plus ou moins signifié que j’avais tout dit (le livre fait 900 pages). Or, Johnny est mon sujet de prédilection. Il disait de moi que j’étais juste et bienveillant. Je voudrais pouvoir encore perpétuer sa mémoire, j’ai plein d’idées… Et je connais mon sujet. On ne peut pas dire que ce soit le cas de tous ceux qui, depuis sa mort, y vont de leur livre… Mon livre sur les femmes et leur influence dans le parcours et la vie de Johnny, je l’ai publié chez un autre éditeur et je regrette qu’il soit si peu connu, car c’était un travail d’enquête passionnant… Je pense que je vais consacrer du temps à un autre projet autour de Johnny, quitte à l’autopublier si aucun éditeur n’est intéressé. Je vais m’occuper un peu de moi à partir de l’année prochaine (sourire).
Ton ouvrage sur Jacques Dutronc vient de connaître une version poche, une première pour ce qui te concerne. Je rappelle que Françoise Hardy, à laquelle tu avais également consacré une bio, y a participé par les témoignages qu’elle t’a offerts, et que le livre a été préfacé par leur fils Thomas. Comment qualifierais-tu tes liens avec ces trois-là ? Quelque chose de particulier, de plus affectif qu’avec les autres ?
C’est une de mes plus belles expériences biographiques ! J’avais d’abord écrit le livre sur Françoise Hardy (Un long chant d’amour) sans elle. On m’avait donné une adresse email qui n’était plus valide, puis j’avais envoyé une longue lettre à son éditeur littéraire qui, a priori, ne lui a pas été remise. Elle m’a dit plus tard, lorsque je lui en ai fait parvenir copie : "Vous pensez bien que si j’avais reçu une lettre comme celle-ci, j’y aurais répondu !" Et on peut la croire sur parole, car tout le monde connaît sa franchise décapante… Puis, un jour, dans ma voiture, j’ai entendu une chanson, La rose et l’armure d’Antoine Élie, qui m’a fait immédiatement penser à elle. Comme je ne cessais de l’écouter et de penser à Françoise, je lui ai envoyé un email pour le lui dire – entre-temps je m’étais procuré la bonne adresse. Elle était estomaquée que je puisse écouter en boucle la même chanson qu’elle, et surtout que j’aie pu le pressentir. Elle a parlé plus tard de cet engouement pour la chanson d’Antoine Élie, notamment dans son dernier livre, mais à l’époque je n’en savais rien. Notre dialogue par mail a commencé là. Régulièrement je lui envoie des petits mots auxquels systématiquement elle donne suite. Je me sens privilégié, mais pour elle cela semble tout à fait naturel. Et quand j’ai travaillé sur le livre consacré à Jacques, elle a accepté bien volontiers de répondre à mes questions. Je lui en ai envoyé 25, en lui demandant de choisir celles qu’elles jugeraient le plus pertinentes. Elle a répondu – longuement – à toutes. L’écriture de ce livre a été un grand bonheur, couronné par la préface drôle et émouvante de Thomas. Je crois pouvoir dire que mon texte, qu’il a lu dans sa maison de Corse lors du second confinement, lui a fait un bien fou en cette période morose. Replonger dans le passé de son père, retrouver ses grands-parents disparus et mesurer peut-être l’urgence de profiter de ceux qu’on aime tant qu’il est encore temps. Et j’ose penser que ce livre a été à l’origine de la tournée Dutronc & Dutronc. Thomas est une belle personne, un être simple, gentil, généreux. Il ne se comporte pas comme les autres stars de la chanson. Françoise non plus, d’ailleurs. Il a de qui tenir… Je n’ai jamais pu rencontrer Jacques, c’est mon regret. Mais je ne force pas les choses. En tout cas, je les aime beaucoup tous les trois. C’est vrai qu’ils ont une place à part dans mon cœur de biographe, avec Johnny.
Sheila fête actuellement ses 60 ans de carrière. Tu as pas mal écrit sur elle, dont une bio, et je sais que tu l’as beaucoup aimée, mais j’ai l’impression que quelque chose est un peu cassé je me trompe ? Quel regard portes-tu sur ces six décennies, et sur l’artiste qu’elle est ?
On aurait pu penser que c’est avec elle, plutôt qu’avec Françoise, que j’entretiendrais un échange épistolaire, voire même une collaboration artistique. Elle a été ma fée Clochette, l’idole de mon enfance. Elle a été, avant Johnny, la première sur qui j’ai écrit. Je lui avais remis un premier manuscrit en 1998, dans sa loge de l’Olympia. Elle n’a jamais donné suite. Je lui ai envoyé en 2002 une seconde mouture, en lui proposant de participer au projet. Toujours rien. J’ai laissé tomber pour m’occuper de rassembler toutes mes notes concernant Johnny et en faire une éphéméride, ce qui a été mon premier livre publié. Le deuxième a été consacré à Sheila, en 2007 (Biographie d’une idole). Puis il y en a eu deux autres : Sheila, star française, en 2012 (que je revendique comme étant le plus réussi), puis Une histoire d’amour en 2018. Je passerai sur les menaces de procès… Jamais il n’y a eu un mot, un geste, une main tendue. D’autres collègues biographes ont eu cette chance que je n’ai pas eue d’être approchés par leur idole d’enfance et d’avoir concrétisé ce lien si particulier qui unit un chanteur à l’un de ses admirateurs. Sylvie Vartan, par exemple, valide, cosigne et promotionne les livres qu’écrivent ses fans les plus proches (elle ne l’a pas fait pour moi, malheureusement, mais elle a eu des mots dithyrambiques sur mon travail dans la presse). Peut-être n’avais-je pas choisi le bon camp lorsque j’étais enfant… Pour les 60 ans de carrière de Sheila, j’ai passé la main. Si la sienne m’avait été tendue, je l’aurais saisie…
On connaît peu les retours que reçoivent les auteurs, et notamment les biographes, de la part des publics qui les lisent. Quelles remarques précises t’ont le plus touché ?
Oh, il y en a beaucoup ! Les plus beaux retours sont souvent ceux-là… On me dit que je suis bienveillant, c’est le terme (également employé par Johnny) qui revient le plus souvent. Bienveillant, sans être forcément cireur de pompes. On trouve mon style fluide et précis, agréable à lire. Et puis, je ne résiste pas à te faire part d’une remarque de Thomas lorsqu’il lisait la biographie de son père et me faisait ses commentaires par mail au fil de sa lecture : "Vous semblez très bien percevoir les vérités que l’on cherche à exprimer avec nos mots dans des interviews pas toujours inspirantes et vous les restituez avec toute la finesse dont on rêverait qu’elle soit la norme." Est-il besoin de dire à quel point cela m’a touché…
Tes projets, surtout tes envies pour la suite ? Ton projet de roman avance-t-il ?
Je l’ai dit plus haut, m’occuper de moi. Quitte à tenter l’autoédition… Mon roman est fini, envoyé à quelques éditeurs. Personne ne répond.
Un dernier mot ?
Merci (pour l’intérêt que tu portes fidèlement à mon travail) !
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Frédéric Quinonero : « Julien Doré, je le rapprocherais volontiers de Christophe... »
L’actu du moment est bien assez lourde, alors, l’espace d’un instant, en guise d’évasion parlons musique et livres ! Frédéric Quinonero, biographe d’artistes, compte parmi les interviewés fréquents de Paroles d’Actu, et c’est avec plaisir que j’ai décidé d’échanger à nouveau avec lui alors que vient de sortir son dernier ouvrage, Julien Doré : À fleur de pop (L’Archipel, 2022). Il y a sept ans (déjà), il avait consacré à Julien Doré, Gardois comme lui, une première bio qui avait donné lieu à une interview sur notre site. Mon parti pris assumé pour le présent article, c’est bien sûr d’évoquer, à travers son livre, le parcours du talentueux Doré (et tout fan du chanteur serait bien inspiré de lire le portrait qu’en fait Quinonero), mais j’ai surtout souhaité recueillir les confidences d’un auteur qui a derrière lui quinze ans de métier et une grosse vingtaine de titres. Merci à lui pour la confiance qu’il m’a, une fois de plus, accordée. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Frédéric Quinonero : « Julien Doré,
je le rapprocherais volontiers de Christophe... »
Julien Doré : À fleur de pop (L’Archipel, 2022).
Pourquoi cette nouvelle bio sur Julien Doré, 7 ans après Løve-Trotter (Carpentier, 2015) ?
Løve-Trotter est un coup pour rien. C’était trop tôt, d’abord. Ensuite, le livre est sorti dans de très mauvaises conditions, dans une maison d’éditions en perdition qui a déposé le bilan peu après. Sept ans ont passé, c’est beaucoup dans la carrière d’un artiste. Aujourd’hui, Doré va fêter ses 40 ans et 15 années de carrière. Ça commence à compter.
Quel regard portes-tu sur le parcours de l’artiste depuis 2015 ?
Il a construit sa carrière intelligemment, en suivant une pente ascendante. Faisant fi de toute considération classificatoire, il a su rallier à lui un public très large et devenir une vraie star populaire. C’est ce qui me plaît chez lui, son ouverture d’esprit.
À quelle tradition musicale et de chanson rattacherais-tu Doré ?
Je le rapprocherais volontiers de Christophe, qu’il aimait beaucoup et qui fut son ami. À la fois chanteur populaire et « beau bizarre », capable d’apporter à la chanson pop une élégance subtile. Se défiant des genres, des codes. À Étienne Daho, aussi, la discrétion en moins – car Doré est omniprésent dès lors qu’il a une promotion à assurer.
Julien Doré est-il de l’étoffe de ces artistes qui dans 15 ans, resteront ?
Je le crois assez doué pour ça. Parce qu’il sait prendre son temps, se faire désirer entre deux projets, proposer des albums toujours ficelés, conceptualisés, avec des tubes comme on n’en fait plus beaucoup, de ceux qui se fredonnent, entrent dans la tête pour y rester et rythment les instants d’une vie.
Les belles rencontres liées à ce livre, malgré le blocus de l’artiste ?
Les lecteurs et lectrices, j’espère !... Et celles et ceux qui ont accepté de témoigner, en particulier deux personnes avec qui j’ai de beaux échanges : Joris Brantuas, plasticien qui vit du côté de Nîmes et a connu Doré à l’école des Beaux-Arts, et Marianne James, dont les compliments après lecture m’ont beaucoup touché (c’est si rare !)
Le message que tu adresserais à ce Julien Doré qui se refuse à toi ?
Je m’en moque un peu, en fait. Je prends les choses beaucoup plus sereinement qu’il y a sept ans. J’en suis arrivé à penser qu’il avait tout à fait le droit de m’ignorer, de la même façon que moi j’ai celui de m’intéresser à lui (rires). Voilà en fait ce qui a changé depuis Løve-Trotter.
C’est compliqué, de continuer d’aimer des artistes qui t’ont déçu dans ton travail de biographe ?
Ça met les choses et les gens à leur place. On peut apprécier le talent d’un artiste, tout en le décanillant du piédestal où on a tendance à les installer. Ce qui est compliqué, et surtout frustrant, c’est la réception d’une biographie, le manque de considération à l’égard de l’auteur que je suis. Parce que derrière le biographe il y a un auteur qui galère et c’est celui-là qu’on ignore ou qu’on méprise. Mais Doré, comme d’autres, ne pense pas aussi loin.
Émotionnellement, c’est lourd parfois, le boulot de biographe ?
Oui, donc. On met beaucoup de soi dans un livre, que ce soit un roman ou une biographie. C’est forcément quelque chose d’émotionnel, on écrit avec ferveur, avec passion. Mais à la différence du roman ou du récit personnel, on se tient à distance raisonnable de son sujet. On met son ego dans la poche pour flatter celui de l’artiste sur lequel on a décidé d’écrire. Dans quel but ? Parfois on se le demande (rires). Sans doute parce que c’est le seul moyen qu’on vous offre d’assouvir votre passion d’écrire.
Depuis cet été, tu es doublement homme de lettres : biographe et facteur. En quoi ça t’a changé, rassuré, d’avoir ce second job plus stable ?
L’année 2020 a été catastrophique d’un point de vue matériel : librairies fermées, projets repoussés… Être facteur me donne une sécurité, un salaire régulier, une mutuelle, une vie sociale, tout ce que je n’avais plus depuis que j’avais arrêté les petits jobs d’appoint. Et la possibilité aussi d’envisager autrement l’écriture. Ne pas être tenu à sortir forcément un livre par an. Avoir plus de recul sur le « métier » de biographe. Pouvoir choisir. Pouvoir dire merde, aussi. M’intéresser davantage à moi. Être facteur me donne beaucoup plus de liberté, finalement.
Tu écris des bio depuis 15 ans : l’heure d’un bilan ? Quels + et quels - ?
Ça reste l’une des plus belles expériences de ma vie. L’aboutissement de quelque chose. Lorsqu’on parle de réussite aujourd’hui, on évoque le plus souvent l’argent : la Rolex pour l’un, le costard pour l’autre (rires). La réussite ce peut être aussi la réalisation d’un rêve, d’une passion. Et les belles rencontres qu’on peut faire. En ce qui me concerne, elles sont plutôt prestigieuses : Johnny, Jean-Jacques Goldman, Françoise Hardy, Thomas Dutronc… et bien d’autres parmi les témoins que j’ai pu interviewés… L’aspect négatif de l’expérience, j’en ai parlé plus haut. Il faut s’en accommoder, ou trouver le moyen de s’imposer en tant qu’auteur à part entière, avec des œuvres plus personnelles. C’est ce que je convoite.
Les bio ou docu en projet ? Penses-tu réécrire sur des époques, comme les années 60 ?
Je travaille actuellement sur un abécédaire consacré à Patrick Bruel, un beau livre illustré de nombreuses photos. J’avais envie d’un exercice plus ludique que la biographie. J’ai par ailleurs terminé l’écriture d’un roman, et j’ai bien sûr l’espoir de le faire éditer. La biographie des années 60 (« Rêves et révolution ») reste un merveilleux souvenir, car tout en abordant la chanson qui en était le fil conducteur, je faisais revivre toute une époque et une page fascinante de l’Histoire. Je suis fier du résultat, et j’en profite pour remercier encore Christine Kovacs qui avait fait la mise en page de ce beau livre très illustré. Hélas, vu que les sujets généralistes s’avèrent peu vendeurs, on ne m’a pas permis de poursuivre avec les décennies suivantes, comme j’en avais l’intention.
À quelles personnalités, artistes mis à part, de ton coin ou non, pourrais-tu vouloir consacrer des bio, considérations commerciales mises de côté ?
J’ai surtout envie d’une aventure humaine. D’un projet à deux.
À quand des écrits plus perso, plus intimes et dépendant moins des caprices de divas ?
C’est compliqué de sortir du cadre de la biographie lorsqu’on est étiqueté « biographe ». Il faudrait qu’un éditeur croie suffisamment en mon talent d’auteur pour me faire confiance sur autre chose. Je te tiendrai au courant de l’évolution de mes démarches avec le roman que je viens de terminer !
Que peut-on te souhaiter ?
La santé, vu mon âge. Les vieux disent toujours : « La santé, avant tout ! » (Rires). Et la concrétisation de tout ce dont on vient de parler.
Un dernier mot ?
Paix !
F. Quinonero au Salon de la Biographie de Nîmes, en janvier 2022.
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Frédéric Quinonero : « Serge Lama est perçu injustement, corrigeons cela tant qu'il est encore là »
De Serge Lama, on connaît tous au moins une chanson : Je suis malade (S. Lama / A. Dona) a été interprétée, ici et ailleurs, par de grandes voix qui ont sublimé ce texte, pourtant très personnel d’un Lama né Chauvier qui, davantage sans doute que d’autres, s’est raconté et s’est confié, tout au long de sa carrière.
Connaît-on vraiment Serge Lama, au-delà de cette chanson, et de ses plus connues qui, des P’tites femmes de Pigalle à Femme, femme, femme, ne sont pas forcément ses plus intéressantes ? Je le confesse : de lui je ne savais pas grand chose avant de lire cette nouvelle bio de qualité signée Frédéric Quinonero, que je remercie pour cet entretien - et je salue au passage Marie-Paule Belle et Marcel Amont, cités dans le livre et que j’avais tous deux interviewés, il y a des années.
L’histoire d’une enfance, qui l’aura marqué à vie ; l’histoire aussi d’une niaque hors norme, que les lourdes épreuves de son existence n’ont fait que renforcer. Lama, un gaillard attachant, et un grand interprète et auteur, trop souvent oublié, et qui mérite d’être découvert, ou redécouvert. Lisez ce livre, et écoutez-le, profitez-en : pour le moment le chanteur a vingt ans. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Frédéric Quinonero: « Serge Lama est perçu
injustement, corrigeons cela tant qu’il est encore là »
Serge Lama, la rage de vivre (L’Archipel, septembre 2021)
Pourquoi as-tu choisi de consacrer cette nouvelle biographie à Serge Lama ?
C’est avant tout pour réparer un manque : il n’y avait pas de biographie de Serge Lama quand j’ai décidé d’écrire la mienne. Ensuite, il y a eu l’annonce de ses adieux à la scène, tout au moins à la Province, ce qui constituait un prétexte idéal. Enfin, et surtout, il s’agissait de réhabiliter un auteur et un show-man.
Ce qui saute aux yeux quand on lit ce récit, dès les premières lignes, c’est cette niaque assez incroyable qui a animé Lama, notamment après son terrible accident de l’été 1965 qui a emporté celle qu’il aimait, Liliane, le frère d’Enrico Macias aussi, et qui a failli, lui, le laisser paralysé...
J’ai ouvert mon livre en relatant cet événement tragique, de façon filmique. Car on peut dire que cet accident de voiture, au-delà de l’horreur qu’il représente, a « fait » Lama ! Il était en tournée, il démarrait une carrière avec l’arrogance des débutants qui veulent réussir coûte que coûte. L’accident l’a fauché en pleine ascension, modifiant brutalement la donne. Ramené à la case départ, physiquement et moralement détruit, il lui a fallu remonter la pente avec une rage de vivre supplémentaire, mais la sensibilité en plus. Devenu plus ouvert aux autres, plus humain, il était désormais prêt à être aimé. Et il l’a été, ô combien !
On est frappé aussi de voir à quel point il a, semble-t-il, été influencé par ce qu’il a vu de ses parents : une mère au caractère fort, un peu castratrice ; un père artiste mais qui lui a manqué de niaque et a lâché l’affaire sous la pression notamment de son épouse. Peut-on dire que Lama, plus peut-être que d’autres artistes, s’est construit en songeant à ses parents ? Qu’il a choisi ses compagnes en pensant à sa mère, comme un anti-modèle, et qu’il a mené sa carrière et sa vie d’homme en s’assurant, lui, de ne jamais abandonner ce qui lui tenait à cœur ? Les Ballons rouges c’est vraiment l’histoire de son enfance ?
Il y a souvent chez l’artiste un enfant qui sommeille et n’a pas réglé ses comptes avec ses parents. C’est le cas de Lama. Admiratif de son père, chanteur d’opérette qui plaisait beaucoup aux femmes, mais dont la carrière évoluait péniblement, il en a toujours voulu à sa mère de l’avoir contraint à renoncer pour une activité alimentaire plus lucrative. Une rancœur injuste, à l’égard d’une femme, sa mère, qui supportait les inconvénients de la vie d’un chanteur, sans en connaître les avantages ! Si Lama n’a pas eu de ballons rouges et ne jouait pas aux billes dans son quartier, c’est parce qu’il ne devait pas se salir et astreindre sa mère à trop de lessives… Ce ressentiment à l’égard de sa mère allait déteindre ensuite sur les femmes, en général, tout au long de sa vie – l’idée de la femme castratrice et empêcheuse de tourner ou de chanter en rond l’incita à ne jamais partager le même toit avec ses compagnes (sauf la dernière). Devenu chanteur populaire pour venger son père, alors qu’il se voulait plutôt écrivain, Lama a fait ensuite, comme dans la chanson, « ce qu’il a voulu ».
Parmi tes témoignages recueillis, sur l’accident, et sur son père, on retrouve avec plaisir les mots de Marcel Amont. Un témoin, comme une évidence à tes yeux ?
Oui, n’ayant pas accès aux très proches de Lama (le chanteur écrit un livre de souvenirs, et se les réserve), j’ai sollicité d’autres témoins qui ont accompagné son parcours, certains jamais sollicités. Marcel Amont l’a été, notamment pour évoquer l’accident de l’été 1965, puisqu’il était la vedette de cette tournée. Je l’avais déjà rencontré pour un livre sur les années 60 (Les années 60, rêves et révolution, 2009) : il m’avait alors reçu dans sa chambre d’hôtel, allongé tout habillé sur son lit et moi assis dans un fauteuil (rires). C’est toujours un plaisir d’interviewer Marcel Amont qui est un artiste d’une grande humanité. J’ai tendance à penser que seuls les chanteurs de « l’ancienne école » sont encore capables d’une telle générosité. Il me remerciait encore tout récemment par courriel de lui avoir envoyé un exemplaire de mon livre.
On le salue avec chaleur. Tu l’évoques très bien dans le livre, Serge Lama aime écrire, il a de l’énergie à revendre, mais il a aussi fait des rencontres essentielles qui l’ont aidé à prendre le large, à l’image de son "père de substitution" Marcel Gobineau, de Régine, de Barbara aussi... Beaucoup de bonnes fées, au féminin comme au masculin, autour de lui ?
Marcel Gobineau, qui était régisseur au théâtre des Capucines où se produisait Georges Chauvier, le père de Lama, a été l’homme providentiel. Il l’a aidé à surmonter les épreuves, s’est occupé de lui comme d’un fils. Serge lui dédiera plus tard la chanson Mon ami, mon maître. Médium, Gobineau lui avait prédit que la gloire viendrait avec un disque à la pochette rouge, illustré d’un portrait de Serge qui ne serait ni une photo, ni un dessin… À ses débuts, ce sont surtout des femmes qui lui ont mis le pied à l’étrier. Barbara, la première, qui était la vedette de l’Écluse où Lama levait le torchon, l’imposera ensuite à Bobino dans le spectacle de Brassens où elle était la vedette américaine. Il y aura ensuite Renée Lebas, qui sera la productrice de ses premiers disques, Régine, pour qui il écrira des chansons et qui lui présentera le compositeur Yves Gilbert… Les femmes seront très importantes dans le parcours de Serge, toujours présentes dans son entourage.
Serge Lama n’était pas compositeur, mais on l’a vu, il a su et sait toujours très bien s’entourer. Parmi ses compositeurs, deux noms essentiels : Yves Gilbert et Alice Dona. Qu’est-ce que l’une et l’autre lui ont apporté, et en quoi la contribution de chacun à l’édifice Lama a-t-elle été particulière ?
Yves Gilbert survient très tôt dans son parcours, au moment où il est alité et corseté, à la suite de son accident. Le compositeur lui rend visite tous les jours et, ensemble, ils écrivent les chansons des premiers albums de Serge. Ils ne se quitteront plus. Yves Gilbert sera son pianiste attitré sur scène pendant toutes les années de gloire. Alice Dona intervient à partir de 1971, à la faveur d’une chanson écrite pour le concours de l’Eurovision (Un jardin sur la terre). Complément harmonique d’Yves Gilbert, elle devient indispensable dès lors qu’elle écrit Je suis malade et d’autres titres de l’album rouge (La chanteuse a 20 ans, L’enfant d’un autre…) Suivront de nombreux tubes, comme Chez moi, La vie lilas, L’Algérie…) Serge apprécie l’élégance d’Yves Gilbert, sa sensibilité féminine, et a contrario, le touche masculine et efficace d’Alice Dona, son élan populaire.
Au petit jeu des filiations et des ressemblances, on l’a paraît-il pas mal comparé à Brel au début, ce qui ne le convainquait qu’à moitié. Parmi les anciens, ne faut-il pas plutôt, chercher du côté d’un Bécaud ? Je sais qu’il a aussi revendiqué une filiation par rapport à Aznavour...
Oui, Bécaud comme Lama était un vrai show-man. Aujourd’hui, on ne cite pas plus Lama que Bécaud dans les influences sur les jeunes générations, alors qu’ils ont révolutionné la scène musicale chacun à son époque, par ailleurs auteur pour l’un, compositeur pour l’autre. Si Bécaud a influencé Lama à ses débuts – il allait le voir sur scène pour apprendre le métier –, c’est du côté d’Aznavour qu’il préfère qu’on le rapproche, car c’est sa plume qu’il voudrait qu’on honore, plus que ses qualités d’interprète qui, pourtant, elles, pourraient être comparées à celles de Brel.
Lama a monté un spectacle assez impressionnant autour de Napoléon. Dans la deuxième moitié des années 70 il a volontiers assumé un côté cocardier, sa virilité, et passait auprès de certain(e)s pour être misogyne, voire allons-y franchement - l’époque (déjà) ne faisait pas trop dans la finesse - pour un affreux réac. On pense aussi à Sardou, qui a été catalogué dans ces catégories lui aussi : comme Lama, il a parfois tendu le bâton, mais comme Lama, il a prouvé par la suite à quel point il savait être plus fin que ce que certains espéraient de lui. De fait, est-ce qu’ils se ressemblaient au-delà des apparences, ces deux-là que tu connais bien ? Quelles ont été, pour ce que tu en sais, leurs relations ?
Napoléon ne lui a pas rendu service. Ce fut un triomphe en termes d’entrées pendant six ans, mais cela n’a pas attiré une clientèle jeune et l’a définitivement éloigné de la génération de ces années Mitterrand et des suivantes. Il y eut de graves erreurs de commises à cette période-là, en termes d’image et de communication, de celles dont on peine à se relever. Par la suite, il lui a manqué, dans les années 80 surtout, des grandes chansons, dignes de celles qu’il sait écrire quand il est inspiré. Si bien qu’aujourd’hui on l’associe encore à une caricature de chanteur franchouillard, liée aux chansons joyeuses qui demeurent ancrées dans les mémoires, comme Les p’tites femmes de Pigalle ou Femme, femme, femme. Sardou n’a pas eu cette traversée du désert des années 80, il a su prendre le virage qu’il fallait et garder sa popularité intacte avec des tubes comme Musulmanes ou Les Lacs du Connemara.
Quels sentiments Serge Chauvier, l’homme derrière Lama, qui a connu plus que sa part d’épreuves, t’inspire-t-il ? Si tu avais un message à lui faire passer, une question à lui adresser ?
Il m’inspire des sentiments contrastés, mais je le crois généreux et humble. Nous avons des amis communs. J’aurais aimé le rencontrer, même après ce livre. Pour parler histoire et littérature. Et chanson, inévitablement.
Quel regard portes-tu sur son travail, son œuvre en tant qu’auteur ? Serge Lama est-il à ton avis considéré à sa juste valeur aujourd’hui ?
On se souviendra sans doute longtemps de Je suis malade, que Lara Fabian a fait découvrir à la génération du début des années 2000. Et mon livre permet de se rendre compte de la richesse de son répertoire, qui ne se limite pas aux chansons festives, style Le gibier manque et les femmes sont rares. Je crois sincèrement qu’il y a une injustice de perception à l’égard de l’œuvre de Lama, qui mérite d’être corrigée tant qu’il est encore là.
Quelles chansons, connues ou moins connues d’ailleurs, préfères-tu dans son répertoire, celles que tu aimerais inviter nos lecteurs à découvrir ou redécouvrir ?
En voici dix-huit pour une playlist de mes préférées : Le 15 juillet à cinq heures, Et puis on s’aperçoit…, Le dimanche en famille, Mon enfance m’appelle, Les poètes, L’enfant d’un autre, À chaque son de cloche, Les ports de l’Atlantique, L’esclave, Toute blanche, La fille dans l’église, Devenir vieux, O comme les saumons, Maman Chauvier, Les jardins ouvriers, Quand on revient de là, D’où qu’on parte et Le souvenir.
Et encore, parmi les mieux connues : La chanteuse a vingt ans, L’Algérie, La vie lilas, Souvenirs… attention… danger ! et bien sûr, Les Ballons rouges...
Et, allez, quelles chansons de Lama mériterait-elles de sombrer définitivement dans l’oubli, celles qu’il n’aurait jamais dû écrire ?
Messieurs… et quelques autres comme Je vous salue Marie.
Je ne crois pas briser un secret en indiquant, à ce stade, que tu as commencé un nouvel emploi à la Poste, durant l’été, à côté de tes activités d’auteur. Est-ce que cette expérience te fait regarder autrement, peut-être avec une motivation différente, ton travail d’écrivain ?
Cela faisait longtemps que je m’interrogeais sur ma situation et les difficultés que je pouvais rencontrer, financièrement. L’année 2020 a été épouvantable à tous points de vue et m’a fait franchir le pas. Cette nouvelle activité me permet d’avoir une vie sociale, un salaire, une mutuelle, bref une sécurité que je n’avais pas. Et me donne, en effet, la possibilité d’envisager l’écriture autrement. Celle aussi de dire merde à quelques-uns (rires)…
Début septembre, la disparition de Jean-Paul Belmondo a provoqué une vague d’émotion qui à mon avis, n’était pas usurpée tant l’artiste, talentueux, avait aussi une image sympathique. À quoi songes-tu à l’évocation de Belmondo ? C’est quelqu’un sur qui tu aurais pu avoir envie d’écrire ?
Il est l’acteur de mes tendres années et sa mort, comme celle de Johnny – toutes proportions gardées, car chacun sait ce que Johnny représentait pour moi –, a fait s’écrouler un pan de ma vie. On n’allait pas voir le dernier film de Zidi ou de Lautner, on allait voir le dernier Belmondo. Ils sont de plus en plus rares les acteurs qui font ainsi déplacer les foules au cinéma. Son immense popularité était la conséquence de la simplicité et de la gentillesse qui irradiaient de tout son être. Il avait en outre un charme de dingue. J’aurais aimé écrire sur Belmondo, comme j’ai écrit sur Sophie Marceau. Je leur trouve des points communs, en particulier cette grande liberté qui a fait leur force.
Crédit photo : AFP.
Si ça ne tenait qu’à toi, et non aux impératifs posés par des éditeurs, y a-t-il des personnalités moins "bankables" auxquelles tu aurais envie de consacrer une biographie ?
Il y a des artistes oubliés comme Georges Chelon, que j’aime beaucoup et dont l’oeuvre mériterait d’être réhabilitée. Des artistes de mon enfance, comme Gérard Lenorman. De nombreux anonymes qui changent la vie (comme le chante si bien Goldman) mériteraient qu’on s’intéresse à eux. Ils sont sûrement plus méritants que certains chanteurs. Et puis, ça va t’étonner, mais j’aimerais raconter l’incroyable destin de Mireille Mathieu ! J’aime les gens qui ont un destin inouï comme le sien. C’est pain bénit pour un biographe !
C’est le destin qui me plaît, partie de rien, des terrains vagues d’Avignon, travaillant en usine pour nourrir la marmaille (13 enfants), et devenir ce qu’elle est devenue à force de travail et de renoncements, c’est purement incroyable.
C’est un appel du pied ?
Je ne suis pas sûr qu’elle ait envie de collaborer à un livre. Mais pourquoi pas ? Mireille, si tu nous lis...
À quand des écrits plus intimes ?
Chaque chose en son temps… Des choses sont écrites, des fragments. Une idée de roman autobiographique… Tout ça viendra sans doute.
Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?
Un projet de livre sur un chanteur, mais pas une biographie. Plein d’envies, mais rien encore de concret.
Un dernier mot ?
Doré… (c’est pour bientôt !)
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Frédéric Quinonero : « Dutronc se cache plus qu'il ne se montre, même au cinéma... »
En ces temps où l’actu n’est pas très joyeuse, et même carrément déprimante, toute plage d’évasion est bonne à prendre. Et quand il y a du rire, ou même du sourire à la clé, bingo ! La lecture de la nouvelle bio signée Frédéric Quinonero, Jacques Dutronc, l’insolent (L’Archipel, mars 2021) procure son lot de moments souriants, parce que Dutronc, grand artiste de la chanson et du cinéma et homme complexe, est aussi doué d’un humour parfois grinçant mais qui souvent fait mouche. Quand on lui demande pourquoi il tient à tourner avec le réalisateur Wim Wenders, il répond : « Parce que j’ai vu les films de Gérard Jugnot, c’est moins bien. » Cette bio, riche et rigoureuse, nous fait suivre les traces d’un faux dilettante, d’un vrai timide un peu rebelle, un peu anar ; une « vieille canaille » qu’on aime bien et dont on aime savoir qu’elle est encore parmi nous, quelque part en Corse. 😉 Entretien, et confidences touchantes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Frédéric Quinonero: « Dutronc se cache plus
qu’il ne se montre, même au cinéma... »
Entretien daté du 26 mars ; première mise en ligne sur le blog le 27 mars.
Frédéric Quinonero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions faisant suite à la sortie de ton nouvel ouvrage, Jacques Dutronc, l’insolent (L’Archipel, mars 2021). Quelques années après ton livre sur Françoise Hardy, écrire une bio de Dutronc, ça sonnait pour toi comme une évidence ?
pourquoi Dutronc ?
Oui et non. Dutronc était une évidence, car il fait partie de mon panthéon personnel. Il est du pays de mon enfance. Je me suis souvenu en écrivant qu’il faisait la « une » du premier Salut les copains que mes parents m’avaient acheté au début des années 70. Il m’intimidait un peu, comme je l’explique en avant-propos. Il fallait que je me lance.
Le livre s’ouvre sur une préface sympathique écrite par Thomas Dutronc, et surtout est parsemé de témoignages riches et parfois très profonds de la part de Françoise Hardy. Le contact avec eux deux pour ce livre s’est-il établi facilement ?
histoire de famille
Oui. Ce sont des gens simples, directs, généreux. Qualités rares dans ce milieu. Pour la petite anecdote, c’est à la faveur d’une chanson d’Antoine Élie, La Rose et l’Armure, que j’ai entamé une conversation à distance avec Françoise Hardy. Il y a un an et demi, cette chanson (et son CD tout entier) tournait en boucle chez moi et dans ma voiture. La première fois que je l’ai entendue, j’ai aussitôt pensé à Françoise. Je me suis dit que c’était exactement le style de chanson qu’elle devait adorer. Ne sachant pas comment l’aborder par courriel, ce fut le prétexte idéal. Le merveilleux, l’étrange, c’est que je ne savais pas que La Rose et l’Armure tournait aussi en boucle chez elle. Parmi les centaines voire les milliers de chansons qui sortent chaque année, j’avais pile choisi son coup de cœur du moment ! Nous en étions tous deux stupéfaits. Cette conversation commencée grâce à Antoine Élie a abouti à ce beau témoignage dans ma biographie de Jacques Dutronc. Dommage qu’on se soit bêtement loupés lorsque j’écrivais mon livre sur elle… La préface de Thomas est arrivée au dernier moment, comme la cerise sur la chantilly. Il a demandé à lire mon texte, je le lui ai fait imprimer et envoyer en Corse pendant le deuxième confinement. Il me faisait part de ses impressions tout au long de sa lecture. Ça lui a fait du bien, je crois, en ces temps troublés, de s’immerger dans la vie de ses parents et de ses grands-parents. Il m’a dit des choses très belles qui m’ont beaucoup touché.
Dutronc débute son parcours d’artiste comme guitariste. Chanteur, il le devient un peu par hasard. Il y en aura eu beaucoup, des hasards, ou quand même pas mal de volonté, de plans dans sa carrière ?
par hasard ?
Tout lui est arrivé par hasard, la chanson comme le cinéma. De même, il a eu la chance de trouver aussi, sans trop le chercher, l’amour de toute une vie. C’est un homme qui a eu beaucoup de chance. Mais la chance il faut savoir l’inspirer et l’utiliser, elle est souvent associée au talent. Planifier ? Ce n’est pas trop son genre. Il a plutôt tendance à laisser venir. Quand il s’engage sur un projet, cependant, il le fait sérieusement.
De sa collaboration avec l’auteur Jacques Lanzmann est né l’essentiel de ses succès musicaux, principalement entre 1966 (Et moi, et moi, et moi, Les Cactus, Les Play-boys) et 1972 (Le Petit Jardin), en passant par Il est cinq heures, Paris s’éveille et L’Opportuniste (1968). Qu’est-ce qui les a réunis, et qu’est-ce qui, en dépit des brouilles, les unissait, ces deux-là ?
les deux Jacques
On ne sait jamais précisément pourquoi l’alchimie prend dans un duo artistique… Le fait est qu’elle a été parfaite entre les deux Jacques, présentés l’un à l’autre par l’entremise de Jean-Marie Périer et de son patron Daniel Filipacchi. À l’origine, un autre Jacques, Wolfsohn, directeur artistique chez Vogue, cherchait un chanteur capable de concurrencer Antoine, qui venait d’être lancé par un autre grand producteur de la maison Vogue, Christian Fechner, qu’il détestait cordialement. Il fallait aussi un auteur qui sache capter l’esprit de son temps. Et ce fut l’union sacrée. La voix et la musique de l’un, ajoutées à son allure et sa personnalité, ont fusionné à merveille avec les mots de l’autre. De quel côté penche la balance ? Dans un duo, chacun veut souvent tirer la couverture à soi, d’où les fâcheries. Qu’importe. Leurs chansons, pour la plupart, ont fait mieux que s’inscrire avec succès dans une époque, elles ont traversé le temps. Et leurs noms demeurent historiquement associés.
Avec Gainsbourg, il y a eu de la création musicale mais surtout, ils étaient potes ?
Gainsbourg & moi
Ils se sont d’abord détestés. C’est Françoise Hardy qui les a rapprochés. Et ils sont devenus les meilleurs amis du monde. Enfin, ils étaient surtout potes de beuverie. Ils aimaient finir la nuit dans les postes de police, buvant des coups avec les flics. Deux grands gamins ensemble ! Cependant, au niveau création musicale, même s’il y eut quelques fulgurances musicales, la mystérieuse alchimie qui fait le succès ne fonctionnait pas.
Tes titres préférés parmi toutes les chansons de Dutronc, particulièrement parmi les moins connues ?
playlist dutronienne
Paris s’éveille est pour moi l’une des plus grandes chansons du patrimoine français ! J’ai beaucoup dansé sur La Fille du père Noël. Enfant, j’adorais L’Hôtesse de l’air et L’Arsène. De la période Gainsbourg, je retiens surtout L’Hymne à l’amour (moi l’nœud). J’ai un faible pour Entrez, m’sieur, dans l’Humanité. Dans les moins connues, j’invite à découvrir La Pianiste dans une boîte à Gand, à l’ambiance jazz. Parmi les curiosités, je recommande L’âne est au four et le bœuf est cuit, qui avait heurté en son temps quelques bons paroissiens.
Il est cinq heures, Paris s'éveille (Live au Casino de Paris 1992).
La préférée des deux contributeurs de cet article. Avec la flûte magique ! 😍
À partir d’un film fait avec l’ami Jean-Marie Périer, au début des années 1970, son parcours est de plus en plus axé ciné. A-t-il trouvé dans cet exercice-là (faire l’acteur) un nouveau type de challenge qui peut-être, l’implique davantage ? Peut-être, celui où il s’épanouit le plus ?
l’acteur
S’il mésestime la chanson (« un métier d’escroc », dit-il), Jacques Dutronc considère le cinéma comme un art majeur, ce qui lui pose problème lorsque Jean-Marie Périer insiste pour lui faire franchir le pas. Par respect, il préfère être spectateur qu’acteur. Il a tort, et va le prouver. Car il a une vraie nature d’acteur. Un charisme de dingue, une aura particulière. Il lui suffit d’« être », de s’approprier un personnage, d’en restituer les émotions. Tout en sobriété. L’air de rien. Ce n’est pas si simple. Et ça demande plus de sérieux et d’engagement qu’on ne croit. S’y épanouit-il ? Sûrement. Le métier d’acteur va bien aux timides, il leur permet de mieux se cacher derrière un personnage. Dutronc se cache plus qu’il ne se montre. Même au cinéma. Jouer la comédie a des vertus thérapeutiques. À condition d’être en confiance, de faire les bons choix. Si l’on prête attention à la filmographie de Jacques Dutronc, on remarque qu’il a tourné avec les plus grands cinéastes de son temps, de Zulawski à Pialat, en passant par Lelouch, Deville ou Sautet. Truffaut, Wenders et Spielberg ont rêvé de lui pour un film. Dutronc n’est pas si dilettante qu’on se le figure.
Quels films avec Dutronc mériteraient, à ton avis, d’être découverts ou redécouverts ?
filmo sélective
Son talent dramatique est révélé par Andrzej Zulawski dans L’important c’est d’aimer. Incontournable dans la carrière d’acteur de Dutronc, tout comme Van Gogh, qu’il incarne au sens strict du terme – César du meilleur acteur en 1992. Pour retrouver sa beauté renversante, il faut le revoir dans Le Bon et les Méchants de Lelouch, Violette et François de Rouffio ou Sale rêveur de son ami Jean-Marie Périer. Je le préfère sensible et émouvant dans C’est la vie, de Jean-Pierre Améris, où il forme avec Sandrine Bonnaire un irrésistible couple de cinéma. Parmi les films à (re)découvrir, Malevil est une curiosité dans le genre des films de science-fiction. Et si l’on revoit l’excellent Merci pour le chocolat, c’est surtout pour Isabelle Huppert, machiavélique à souhait, et le génie de Claude Chabrol, avec qui Jacques Dutronc avait lié amitié.
Comment décrire sa relation iconique et en même temps, très atypique, avec Françoise Hardy ? Au fond, ces deux-là ne sont-ils pas avant tout, bien qu’aussi différents qu’on peut l’être, les meilleurs amis du monde ?
Françoise et Jacques
Ils le sont devenus. Jacques Dutronc a eu la chance de tomber sur une épouse aimante et surtout patiente. D’autres seraient parties depuis longtemps. Françoise Hardy a fait de ses longues heures à attendre son amour toute son œuvre artistique. Elle avoue aujourd’hui que Dutronc est l’homme de sa vie et considère qu’elle aussi a eu beaucoup de chance de l’avoir rencontré. Ils ne se sont jamais autant parlés que depuis ces dernières années. Ils sont désormais des confidents et éprouvent une tendresse infinie l’un pour l’autre. « Aimer l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit », tel est l’amour absolu selon Françoise Hardy.
Bon et finalement, Dutronc, ce Corse d’adoption qui a si bien chanté la capitale, il aime plus Paris ?
On court partout ça l'ennuie ! 😉
Alors, finalement, après avoir mené cette enquête, c’est qui, Jacques Dutronc ? Agaçant parfois, souvent attachant, ok. « Insolent », soit, anticonformiste, est-ce qu’il l’est vraiment ? Qu’est-ce qui, chez lui, est carapace à l’image de ses fameuses lunettes noires, et quelle est sa vérité ?
Je laisse le soin aux lecteurs de s’en faire une idée. De mon côté, je vais tout relire et je réponds après (rires).
Trois adjectifs, pour le qualifier ?
Insolent, caustique, attachant.
Entre 2014 et juillet 2017, Dutronc a formé un trio mythique avec deux potes, Johnny et Eddy, connus à l’époque bénie du Golf-Drouot. Ces trois-là, inutile de le rappeler ici, ont chacun réalisé un parcours superbe, chacun dans son style, et chacun à sa manière. Est-ce qu’ils partageaient tous trois une conception du show-biz propre à leur époque (On veut des légendes) et qui ferait défaut aux artistes d’aujourd’hui ?
Vieilles Canailles
Aujourd’hui, la communication et le marketing sont devenus des composantes plus importantes que les qualités artistiques ! Pour toucher un artiste, il faut passer par une armée de managers et de conseillers en image. Le show-biz est représentatif de son époque. On ne mise plus désormais sur la durée, on ne considère que l’instant. Il faut que ça rapporte. Les chanteurs ont perdu la faculté de faire rêver. Le temps des idoles est révolu. Les gamins préfèrent les footballeurs. Johnny, Eddy et Jacques ont connu le temps béni où tout était à créer et à rêver. Les choses se faisaient encore de façon artisanale. Avec fraîcheur, spontanéité et insolence. L’avenir était permis.
De 2014 à 2017, on a eu trois légendes...
Parmi les témoignages les plus intéressants de ton livre, il y a, avec ceux de Françoise, toutes les confidences que t’a faites le photographe légendaire de Salut les copains, Jean-Marie Périer. Lui aura été, comme un fil rouge dans ces parcours 60s que tu as suivis, depuis tes débuts de biographe : Johnny bien sûr, Sylvie, Sheila, Jane, Françoise et Jacques... N’est-il pas lui aussi, définitivement, un acteur essentiel de ces années-là ?
Périer, l’ami, l’âme des 60s à la française ?
Tout à fait. Il est à peu près du même âge que les chanteurs que tu cites et faisait partie de la « bande ». Pour officialiser l’union de Françoise et Jacques, c’est à lui qu’on fait appel. De même, il est le témoin du mariage de Sylvie et Johnny, qu’il accompagne en voyage de noces !... Je ne pense pas qu’il ait photographié Jane, cependant. C’est plutôt Tony Frank qui était le photographe attitré du couple Birkin/Gainsbourg… Ayant beaucoup écrit sur les idoles de cette époque, j’ai souvent interviewé Jean-Marie Périer. Pour me parler de son ami Jacquot, il a voulu que je le rejoigne dans sa retraite aveyronnaise et m’a fait découvrir une auberge à la lisière du Lot où l’on déguste une cuisine du terroir absolument divine !... Je n’ai rencontré que de belles personnes, au cours de l’écriture de ce livre.
Je crois savoir que tes projets à venir, consisteront, notamment, en une bio (attendue !) de Serge Lama, et en un nouvel ouvrage sur Julien Doré. D’autres envies, d’autres thèmes ou pourquoi pas, des envies d’ailleurs ?
projets
Je voudrais pouvoir écrire des choses plus personnelles. J’ai des bouts de textes qui traînent dans les tiroirs, des romans inachevés… Et, de façon moins impérieuse, une biographie de temps en temps. Sur un sujet choisi. Il me faudrait trouver une autre activité qui me le permette. J’aimerais qu’on fasse appel à moi pour certaines de mes compétences, pour mes connaissances sur la chanson française, par exemple… En attendant, j’espère que ma façon d’écrire et la bienveillance avec laquelle j’aborde les biographies vont finir par trouver un écho dans ce milieu. Les compliments de Thomas Dutronc me le laissent croire.
Un dernier mot ?
Une boutade dutronienne ? « « J’ai arrêté de croire au Père Noël le jour où, dans une galerie marchande, il m’a demandé un autographe. »
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Frédéric Quinonero: « N'oublions jamais l'homme derrière la statue, l'icône Johnny... »
Demain, 15 juin, les nombreux fans de Johnny Hallyday auront une pensée particulière pour leur idole, qui aurait fêté ce jour ses 77 ans - et au passage, le même jour, Paroles d’Actu aura 9 ans ! Pour l’occasion (Johnny, pas le site !), j’ai la joie de recevoir, une nouvelle fois dans ces colonnes, Frédéric Quinonero, fin connaisseur de la carrière et de la vie du chanteur. Il y a quelques semaines, son dernier ouvrage en date, Johnny Hallyday, femmes et influences, a été publié aux éditions Mareuil : une enquête rigoureuse et riche qui, retraçant et analysant les failles originelles, puis les rencontres de Jean-Philippe Smet, s’attache à établir l’influence qu’elles ont eue sur le parcours et la vie de l’homme derrière la star (et donc forcément sur sa carrière). Merci à Frédéric Quinonero pour les réponses apportées, le 14 juin, à mes questions. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Frédéric Quinonero: « N’oublions jamais
l’homme derrière la statue, l’icône Johnny... »
Frédéric Quinonero bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre une nouvelle fois à mes questions pour Paroles d’Actu, à l’occasion de la sortie de ton nouvel ouvrage. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais te demander : comment as-tu vécu et ressenti la période que nous venons de vivre (Covid-19 et confinement), et comment ton travail d’écrivain, et pour ce que tu en sais, les activités de ton éditeur ont-ils été impactés ?
l’édition dans le « monde d’après »
Je ne peux parler à la place de mes éditeurs. Je crois savoir toutefois que l’édition ne se porte pas si mal depuis le déconfinement, elle a bien repris. Pour ce qui me concerne, cette situation inédite n’a pas changé grand-chose à mon quotidien étant donné que je suis assez confiné par mon activité toute l’année. Mais je me rends compte tout de même que cela a joué sur le mental… La solitude n’est bénéfique que quand elle est choisie. La vie risque d’être compliquée désormais pour beaucoup de gens… On a rêvé un moment que cette crise sanitaire allait ouvrir des perspectives nouvelles, une autre façon de vivre et d’envisager l’avenir, mais malheureusement ce n’était qu’un rêve… Cependant, Covid-19 ou pas, le problème des auteurs demeure le même et tend à s’aggraver. Je suis de ceux qui réclament un statut, qui pourrait être apparenté à celui des intermittents du spectacle. Sans auteur, il n’y a pas de livre. Donc pas d’éditeur et pas de libraire. Ne l’oublions pas.
L’ouvrage qui nous réunit aujourd’hui, c’est Johnny Hallyday : Femmes et influence (Mareuil Éditions). Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire sur cette thématique précise, à la manière d’une enquête, toi qui connais si bien Johnny ? Ces questions, tu te les posais depuis longtemps ? J’imagine que l’affaire de l’héritage les a éclairées d’un jour nouveau ?
pourquoi ce livre ?
Tout commence avec un article pour le HuffPost. Comme je le raconte en avant-propos dans le livre, on m’a beaucoup sollicité pour donner mon avis dans l’affaire de l’héritage et j’ai tout refusé en bloc, arguant que je n’avais aucune légitimité pour intervenir. Puis, j’ai écrit cet article au moment où la polémique portait sur le fait que Johnny soit enterré à Saint-Barth. L’idée d’approfondir le sujet a fait son chemin. D’autant qu’on n’a jamais abordé à ma connaissance, du moins pas de façon sérieuse, cette thématique des femmes et de leur apport dans la vie et la carrière de Johnny. J’ai dit un jour que je n’avais pas fini d’écrire sur Johnny. Je le dis encore. Le personnage est complexe, on croit tout connaître de lui, puis on s’aperçoit qu’on découvre d’autres aspects de lui qu’on ignorait selon l’angle à travers lequel on l’observe. Ce travail a été passionnant. Il m’a permis de m’échapper un peu de la forme stricte de la biographie, ce qui a modifié un peu – je crois – mon style d’écriture. J’ai eu la sensation d’être plus libre. Il a occupé tout ce temps du confinement. Une fois encore, Johnny m’a sauvé du désespoir (rires).
La tante paternelle du petit Jean-Philippe Smet, Hélène Mar, a semble-t-il tenu le rôle moteur, décisif, dans l’éducation et la formation artistique de celui-ci. Clairement, si le passage sur cette Terre d’un artiste nommé Johnny Hallyday doit tenir à une personne, une impulsion, ce serait elle non ? N’a-t-elle pas, en revanche, pour tout ce qu’elle lui a apporté de positif, contribué à une espèce d’instabilité dans la tête de son neveu, en entretenant un peu abusivement le récit de l’abandon par sa mère ?
Hélène Mar, sa tante
Oui, sans Hélène Mar il n’y aurait sans doute pas de Johnny Hallyday. En l’enlevant (le terme n’est pas exagéré) à sa mère dès son plus jeune âge pour lui faire faire le tour d’Europe avec ses filles danseuses, elle l’a élevé comme un enfant de la balle, si bien qu’il ne connaissait de la vie que les coulisses des théâtres et des cabarets, puis la scène et les bravos du public. Lorsque sa mère a voulu le récupérer, il fut facile à Hélène de lui faire entendre qu’elle risquait en le gardant avec elle de priver l’enfant de la belle carrière pour laquelle il était destiné. Huguette, la maman, a fini par renoncer. Alors, on a fait croire à Johnny qu’elle l’avait abandonné. Il a passé une grande partie de sa vie à le croire. On imagine les conséquences psychologiques que cela peut avoir dans la vie d’un homme.
Dans quelle mesure la figure du père, son père, qui lui l’a bel et bien abandonné, a-t-elle impacté sa construction en tant qu’homme, et plus tard en tant que père ?
la marque de son père
L’abandon du père est à la base de l’histoire de Johnny Hallyday. La phobie de l’abandon l’a poursuivi toute sa vie et a impacté forcément sa vie amoureuse, ses relations avec les femmes et, bien sûr, avec ses propres enfants. Sans la reconnaissance du père, on n’est rien, on doit s’affirmer seul, se construire, s’inventer une identité. Jean-Philippe Smet est devenu Johnny Hallyday. C’est sous ce nom-là que sa vie a pris un sens. Jusqu’à nier le nom du père ? Jusqu’à renier son propre sang ? Qui sait ?
Johnny s’est-il cherché des pères, là où ses compagnons masculins souvent, c’étaient des potes, voire parfois des grands frères (je pense à Lee Halliday, mari de sa cousine Desta) ? Quels hommes Johnny a-t-il choisis comme des pères de substitution ? Charles Aznavour a-t-il tenu ce rôle ? Celui de Sylvie Vartan ? D’autres noms ?
pères de substitution
Bien sûr, Johnny s’est cherché des pères de substitution. Le premier a été Lee Ketcham, le mari de Desta. Il lui a pris son nom d’artiste pour le faire sien : Halliday, devenu Hallyday avec deux « y » à cause d’une coquille sur la pochette de son premier disque. Charles Aznavour s’était pris d’affection pour lui à ses débuts, il lui avait enseigné quelques rudiments du métier et l’avait hébergé quelque temps dans sa maison, comme un fils. Plus tard, il eut une relation assez forte avec Jean Pierre-Bloch, le père de son ami et secrétaire particulier Jean-Pierre Pierre-Bloch. Il admirait cet homme, qui fut résistant de la Seconde Guerre mondiale et militant contre le racisme et l’antisémitisme, comme un père idéal. Il y avait toujours selon l’âge des partenaires une dimension paternelle ou fraternelle dans les relations de Johnny avec les hommes. Et, naturellement, la quête d’une maman chez les femmes.
Cela est explicité dans ton ouvrage, et se confirme au fil des témoignages et de l’enquête menée : hors les pères des débuts, les hommes ayant croisé le parcours artistique et de vie de Johnny lui ont plutôt été « soumis », et l’ont servi dans ses projets. Ce sont les femmes qui, souvent, lui ont tenu tête, l’ont impressionné humainement parlant. Sylvie, Nathalie, et même Laeticia, elles ont été de celles-ci, à la fois amantes, épouses, et un peu mères ?
femmes fortes
Johnny aimait les femmes fortes, il faut croire que ça le rassurait. Il avait besoin d’admirer pour aimer. Si l’on regarde bien, toutes les femmes de sa vie ont été des femmes affirmées, intelligentes, investies dans quelque chose. Il ne voulait pas de femme soumise à ses côtés, une qui se serait contentée de vivre dans son ombre. En même temps, il fallait le suivre, ce qui n’était pas simple du tout. Accepter son rythme de vie, ses travers, ses phobies. C’était un grand enfant, Johnny.
Peux-tu me dire, à ton avis, ce qu’a apporté ou représenté pour Johnny chacune des femmes importantes de sa vie ?
les femmes de sa vie
Pour ne citer que les quatre compagnes majeures de sa vie, Sylvie Vartan a apporté une famille. Elle a essayé de combler ce manque affectif dans sa vie, mais il était sûrement trop jeune pour s’installer dans une vie bourgeoise, telle que la rêvait Sylvie. Tous les deux ont été un couple mythique pour toute une génération. Ils ont vécu leur jeunesse et leur amour aux yeux du public… Nathalie Baye a ouvert une voie nouvelle à Johnny, en lui apportant une crédibilité auprès des intellectuels. Elle l’a transformé physiquement, l’encourageant à mener une vie plus saine. Toutes deux, Sylvie et Nathalie, lui ont donné un enfant… Adeline Blondieau a ramené Johnny aux sources du rock et du blues, la musique qu’il aime. Jeune et rebelle, elle ne tenait pas à ce qu’on lui impose une ligne de conduite. Leur union a été explosive… Enfin, Laeticia est celle qui est restée jusqu’au bout et lui a fermé les yeux. Aimée des fans, parce qu’elle était comme eux, fan elle-même de son mari, elle est parvenue à l’accepter tel qu’il était et à construire autour de lui cette vie familiale qui lui a tant manqué. Il lui a donné le pouvoir à un moment où la mort a failli l’emporter une première fois…
QUESTION BONUS ANNIVERSAIRE (15 juin 2020)
C’est Adeline, qui a incité Johnny a reprendre le Diego, libre dans sa tête de Michel Berger, qui fut d’abord interprété par France Gall et compte désormais parmi les grands classiques du répertoire Hallyday ?
Diego, et Adeline
Elle aimait cette chanson, elle a suggéré à Johnny de la reprendre et d’y mettre toute la rage qu’il manquait dans la version originale par France Gall ou par Michel Berger. Elle l’a aussi incité à reprendre des chansons écrites pour le texte par son père, comme Joue pas de rock’n’roll pour moi, Voyage au pays des vivants... Puis, c’est encore elle qui est à l’origine de l’album blues-rock en anglais Rough Town et la tentative de tournée européenne qui a suivi, même si leur histoire était finie au moment de leur réalisation.
Comme biographe connaissant très bien sa vie, et comme fan, pour laquelle de toutes éprouves-tu la plus grande tendresse finalement ?
une favorite ?
Ça n’a pas beaucoup d’importance. En tout cas, il était inconcevable d’aborder cette thématique avec un parti pris. Il ne fallait pas perdre de vue le principe que Johnny les avait toutes aimées, sans exception. De quel droit se permettrait-on de démolir cela ? Jamais je ne me suis placé en juge. L’intervention des témoins m’a beaucoup aidé à garder ma neutralité. Cependant, comme un romancier s’attache à ses héroïnes, j’ai éprouvé de l’empathie pour toutes, ce qui m’a tenu à l’écart de tout manichéisme. Et j’ai de l’affection pour deux ou trois, il suffit de lire entre les lignes…
La paix intérieure, il l’a trouvée avec Laeticia non ? J’ai le sentiment que ton regard sur elle a un peu évolué avec la concrétisation de ce travail, et notamment les témoignages que tu as recueillis, je me trompe ?
Laeticia, ou la paix retrouvée ?
Le temps aidant, Johnny a pu construire une famille et assumer une paternité comme il ne l’avait jamais fait précédemment. Ses démons se sont calmés, ses angoisses et ses phobies aussi. Il a réussi à réduire sa consommation d’alcool et de cigarette. Tout ça s’est fait au contact de Laeticia, qui a certainement eu beaucoup de patience et d’ambition, puisqu’elle est restée. Johnny rêvait même d’être un patriarche entouré d’enfants. Ceux qui les ont connus ensemble témoignent d’un couple qui s’aimait. Personne n’en a vraiment douté. Il n’en reste pas moins que leur histoire est à la fois une histoire d’amour et d’argent… Le regard qu’on porte sur Laeticia évolue dès lors qu’on s’interroge sur la part de responsabilité de Johnny, dès lors qu’on cesse de le considérer comme un être parfait, intouchable. Cela ne veut pas dire qu’on le dénigre ou qu’on l’aime moins. On le considère comme un être humain, pas comme une statue, une icône. Ce livre m’a rapproché davantage encore de Johnny, et tous les témoins rencontrés m’y ont aidé.
Comment le rapprochement avec Huguette, sa mère, s’est-il opéré, et à qui, à quoi est-il dû ? Cela a été quelque chose d’important pour Johnny dans sa quête de paix intérieure ?
la mère, ou la rédemption
C’est Nathalie Baye la première qui a réuni la mère et le fils. Huguette a pu ainsi assister aux premiers pas dans la vie de Laura. Johnny a d’ailleurs donné pour second prénom à Laura (puis plus tard à Joy) celui de sa maman. Peu à peu, il a renoué de vrais liens avec cette mère à la fois aimée et rejetée. Il a fini par comprendre qu’elle ne l’avait pas abandonné, et il en a voulu à sa cousine Desta de le lui avoir fait croire. Huguette était présente au mariage de son fils avec Adeline à Ramatuelle. On la retrouve encore au Parc des Princes pour les cinquante ans de Johnny. Plus tard, à la mort de son mari, elle s’est retrouvée seule dans sa maison de Viviers, en Ardèche. Laeticia, qui s’occupait déjà de son arrière-grand-mère, a permis à ce qu’Huguette vienne s’installer à Marnes-la-Coquette. C’était important psychologiquement pour Johnny non pas de pardonner à sa mère, mais de lui demander pardon. Ils ont fait la paix ensemble, comme il n’a jamais pu le faire avec son père. Ça a beaucoup contribué, à la fin de sa vie, à le libérer de ses démons.
Parmi les témoignages recueillis, celui de Jean Renard, puis celui de Sandrine Décembre, t’ont intrigué, parce qu’ils allaient à rebours peut-être d’idées que tu avais quant aux influences portées sur Johnny. Ils l’ont affirmé : personne ne manipulait Johnny, il savait exactement quel chemin il voulait suivre et dominait son monde. Finalement, quelle idée t’es-tu faite sur cette question ?
Johnny et les influences
Le premier témoignage que j’ai recueilli est celui de Jean Renard, qui m’a dérouté. Car il n’allait pas dans le sens de ma thématique, il bousculait mon propos et – comme je l’ai cru sur l’instant – s’en écartait. Je suppose qu’il avait quelques comptes à régler, mais sous le propos amer jaillissaient tout de même une vérité et beaucoup d’amour. Il y avait surtout une vraie analyse du personnage, pas simplement un avis tranché. C’est un discours qui, après réflexion, m’a emmené ailleurs. Et ce fut bénéfique. Sandrine Décembre a enfoncé le clou, si j’ose dire, car elle partageait entièrement l’avis de Jean Renard, qu’elle ne connaissait absolument pas - ce qui rendait le point de vue d’autant plus crédible. Ensuite, je n’ai pas cherché à savoir qui avait raison parmi tous les témoins que j’ai interrogés. J’estime qu’il y a une part de vrai dans tous ces regards portés sur lui. On ne cherche pas une seule vérité quand on part à la recherche d’un personnage… Chaque témoignage est une pièce de puzzle. Toutes ces pièces ne s’imbriquent pas toujours les unes dans les autres ; le puzzle n’est pas forcément complet. Je l’ai dit : je n’ai pas fini d’écrire sur Johnny.
Il y a cinq ans et demi, lors d’une interview, tu me confiais que Johnny, toujours vivant à l’époque, était le grand frère que tu n’avais jamais eu. Il est parti il y a deux ans et demi : comment vis-tu cette absence aujourd’hui, et comprends-tu avec le recul l’influence, l’impact qu’il a pu avoir sur toi ?
te manquer
Je ne m’habitue pas à cette absence, je la comble en évitant de penser qu’il n’est plus là. Je continue à l’écouter, à regarder des spectacles de lui. Et à écrire sur lui, à creuser l’histoire du personnage. J’ai l’impression qu’il me faudra du temps avant d’en avoir fait le tour, et c’est tant mieux. Car à mon âge je n’envisage pas une vie sans Johnny. Il m’a accompagné toute ma vie jusqu’ici, il continuera à le faire jusqu’au bout. Oui, il a été une sorte de grand frère, un modèle masculin, une certaine idée que je me faisais de la virilité (rires).
Tes projets pour la suite ?
Je viens de signer un contrat pour un nouveau livre avec L’Archipel, mais il est encore trop tôt pour en parler… J’espère pouvoir trouver encore des sujets à aborder, cela me paraît de plus en plus compliqué. Mais je dis ça depuis 15 ans que je suis publié… Il n’empêche que j’aimerais trouver une voie de repli, grâce à mes connaissances sur la chanson. L’appel est lancé.
Une émission, par exemple ?
Oui, par exemple. Ou autre chose. Je suis open.
Un dernier mot ?
Par les temps qui courent, je dirais : soyons solidaires et responsables !
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« Me manquer », par Frédéric Quinonero (Hommage à Johnny Hallyday, 75è anniversaire)
Combien de personnes, même parmi celles qui ne retiennent pas forcément les dates, même parmi les "pas spécialement fan" du chanteur, se seraient surprises à répondre, parce qu’elles l’avaient dans un coin de la tête, comme ça, que Johnny était né un 15 juin ? Pas mal sans doute, et rien d’anormal à cela : devenu Johnny Hallyday, Jean-Philippe Smet est entré dans les cœurs et dans les familles, et il n’a jamais quitté ni les uns ni les autres. Il était devenu familier. Mais voilà, cette année, pour la première fois, en cette date du 15 juin, il n’y aura plus ni cris de célébration ni pensées de bons vœux. À la place, une absence, pesante. Un silence... Jean-Philippe Smet est mort, lui qui a tant joué avec la vie. Mort. Il aurait eu 75 ans, âge canonique pour un rocker qui a eu sa vie. Si Johnny restera, pour longtemps encore, Jean-Philippe lui, est parti. Avant.
J’ai proposé à l’ami Frédéric Quinonero, talentueux biographe (Johnny Immortel, l’Archipel, décembre 2017) et surtout grand fan de Johnny, de réfléchir à un hommage, totalement libre dans la forme, à son idole. Il a accepté de se prêter à l’exercice, ce qui comme on pourra l’imaginer n’a pas dû être neutre émotionnellement parlant. Je le remercie chaleureusement pour ce texte, bouleversant, déchirant même, et clairement empreint de l’amour qu’il lui porte. J’ai choisi de le publier dès ce jour de réception de l’article, soit trois jours avant ce 15 juin au cours duquel nous aurons, nombreux, des pensées pour Johnny. En musique, forcément. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
Johnny Immortel, de Frédéric Quinonero (l’Archipel, décembre 2017).
« Me manquer »
Par Frédéric Quinonero, le 12 juin 2018.
J’ai rêvé la nuit dernière, Johnny, que t’étais pas parti.
Un instant étrange. Tu me regardes en silence. Des turquoises dans les yeux. Tu as l’apparence d’un ange. Une aile au paradis, l’autre dans la vie.
Dans la nuit, cette question qui serre le cœur: "C’est toi, c’est toi Johnny ?"
Et puis ce matin, ce réveil. Et toi qui n’es plus là. Parti à l’abri du monde. Loin de la rumeur qui court, des lumières et des discours. Cette chose impossible à croire que la mort t’a souri. J’ai oublié de me souvenir de l’oublier, et pourtant...
Pour ton anniversaire, j’ai mis une fleur sur l’étagère, à côté du sable blanc de ton paradis, là-bas. Et je bois à ta santé.
C’est comment l’envers du décor, dis ? Est-ce que les étoiles dans le ciel font des étincelles ? Est-ce qu’il y a du sable, et de l’herbe, et des fleurs ? De l’or dans les rivières ? Et des fleurs jaunes dans le creux des dunes ?
Tu étais là, mon Johnny, c’était toi. Ton sourire à transpercer l’acier. Tes yeux si purs, à te donner le bon dieu sans confession. C’était toi et moi. Les battements de nos cœurs sur la même longueur d’ondes. Tes cheveux si clairs que j’ai cru un instant rêver. Mais je rêvais, de fait. Et j’aurais voulu pouvoir retenir la nuit.
Oublier, t’oublier ? Toi qui me portes et me tiens debout ? Il me faudra plus de temps que m’en donnera ma vie.
Écoute mon cœur qui bat. Mon cœur fermé à double tour. Noyé dans l’ombre de toi. Écoute ma douleur, elle ne s’en va pas.
De vague en larmes je vogue en solitaire. Perdu dans le nombre d’un troupeau de misère. Comme un radeau qui flotte à la dérive. Une caisse qui se traîne à 80 de moyenne. Une tequila entre citron et sel… Évanouie, mon innocence. Johnny, si tu savais…
Non, je n’oublierai jamais. Tu es gravé dans ma vie.
Tu es parti mais tu es partout. Intraçable et muet. Ton absence et ton silence qui n’en finit pas. Comme une maladie, comme un grand froid. Chaque jour, je fais une croix. Quatre murs autour de moi et dessus, des photos de toi. Rien ici, non, rien n’a changé. Et le temps semble arrêté.
Me manquer, me manquer…
Crédits photo : Yan Barry (Midi Libre).
Je serai là si tu veux pour écrire ton histoire, garder ta mémoire. Contre les croquemorts qui rodent. Contre les mots faciles et la haine des imbéciles. Tout ce cirque.
Continuer à vivre pendant que tu te reposes. Avec ton souvenir au plus fort de l’absence. Avec l’illusion d’attendre un signe. Des soirs comme un grand trou noir. Puis dans mes nuits, enfin, l’oubli. L’espoir que tu viennes encore me visiter. À certaines heures, quand le cœur de la ville s’est endormi. Ou dans le souffle d’un vent géant. Le vent qui hurle qui crie, et qui comprend. Un rêve qui ne fasse plus peur. Comme dans un tableau de Hopper… Et que la mort vaincue n’ait plus d’empire dans le pays des vivants.
Je t’en prie, Johnny, reviens !
Reprends ton cœur et ce vieux train, là, et dans le soleil, reviens vers moi. Reviens chanter les peines et les espoirs. Donner des raisons d’espérer. Palais des Sports, palais des foules. 15 heures ouverture des portes. Et les stands et la buvette… Chanter encore ce blues maudit pour qu’il éclaire ma vie.
Mes valises sont toutes prêtes pour les voyages que je me raconte.
Pour aimer vivre encore.
Je n’ai jamais rien demandé, mais parfois j’ai envie de crier à la nuit: "Emmène-moi !" Et je m’accroche à mon rêve. Tôt ou tard, tu me reviendras. Tu verras. Comme l’aigle blessé revient vers les siens. Un monde sans toi ? Non. Remboursez-moi ! Je ne veux pas de ce monde-là ! Dans cette foutue boutique aux souvenirs, je vois s’en aller ma vie. Un souvenir de rocker sur les murs d’une ville triste… Non ! Je donnerai mes larmes au regard que tu avais, la flamme au souffle que tu portais. Je défierais les rois, les fous, les soldats, la mort et les lois… Mais qu’on reparte au bord des routes. Terminer la nuit sur les parkings et les tarmacs. Et reparler d’amour un jour. Pourquoi ne reviendrais-tu pas puisque je t’attends ? Je t’attends, tout le temps. Souviens-toi, la route est ta seule amie. On se reverra, dis ?
Quand la nuit crie au secours qui pourrait l’écouter ?
Je me sens si seul parfois, Johnny. Je voudrais tellement qu’on soit du même côté de la rivière. Être encore cet enfant qui croyait à l’éternité. Entendre ta voix de révolté. C’est une prière que je grave dans la pierre, pour toi, mon vieux frère. Je veux si fort refaire un jour l’histoire. Et fixer le soleil droit devant, comme un pari d’enfant. Trinquer à nos promesses au café de l’avenir. Refaire la route, dis. Rien ne peut séparer ceux qui s’aiment.
Reviens allumer le feu, mon Johnny, viens jouer ton rock’n’roll pour moi.
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« Faut-il désespérer… de vous revoir chanter un jour ? » Michel Sardou, La Dernière Danse, Hommage
Dans une dizaine de jours, il est prévu que Michel Sardou donne les deux derniers concerts de sa carrière (il les avait repoussés il y a peu, pour raison de santé). Une dernière danse ; après, si on en croit ses promesses en tout cas, ç’en sera fini de sa carrière de chanteur. Et quel chanteur ! Quelle carrière ! 53 ans de carrière, 100 millions de disques vendus. Deux interviews de biographes, deux articles ont déjà été consacrés à l’artiste et à l’homme, sur Paroles d’Actu : l’un avec Frédéric Quinonero (juin 2014), l’autre avec Bertrand Tessier (octobre 2015). Je raconte un peu, dans mon intro du premier article, mon histoire perso par rapport à l’artiste Sardou ; je ne le referai pas ici et invite ceux que ça intéresse à relire ce texte, et ces deux docs.
À partir du 4 avril, la nouvelle bio que Frédéric Quinonero consacre à Sardou, Michel Sardou : sur des airs populaires (City éditions) sera dispo dans toutes les bonnes librairies. Si vous lisez régulièrement ce blog, vous connaissez bien Frédéric, sa force de travail, sa grande capacité de synthèse, la qualité de sa plume, et l’heureuse bienveillance dont il fait montre dans ses ouvrages : je ne peux que vous inviter à aller découvrir ce livre, et suis prêt à parier que vous ne serez pas déçus.
Il y a quelques semaines, j’ai fait la connaissance, via internet, de Bastien Kossek, un garçon très sympa et très fan de Sardou qui, lui aussi, porte un projet d’ouvrage ambitieux sur le chanteur : ça s’appellera Regards, c’est en cours de développement, et ce sera suivi de près ! J’ai proposé à Frédéric et à Bastien de répondre à une interview croisée sur Sardou. Chacun a répondu aux questions de son côté, il ne sait pas ce que l’autre a répondu. Deux générations d’auteurs qui aiment Sardou et écrivent sur lui, ça se ressent, et c’est très intéressant.
Je suis heureux, également, d’avoir invité, comme guests surprises, deux amis fidèles, connus au temps où j’étais actif sur la très chaleureuse communauté de l’An Mil : son webmaster Gianni, alias Giros, et Dominique alias Lanatole, une des fans les plus actives. Deux personnes adorables qui ont accepté de m’écrire, chacun, un texte émouvant où il racontent leur histoire avec Sardou. Ils se sont également trituré les méninges, et à l’occasion crevé le coeur pour choisir, parmi le répertoire de leur idole, 15 chansons dont pas plus de la moitié de gros tubes, à ma demande. Histoire d’avoir, en fin d’article, une liste de chansons moins connues à proposer aux lecteurs qui le connaissent moins. Avec Frédéric et Bastien, ça fait quatre listes. Avec moi, ça fait cinq. Je me suis donc prêté au jeu moi aussi.
Mes chansons, donc. La colombe (1971). Danton (1972). Le France (1975). Je vous ai bien eus, La vallée des poupées, La vieille (1976). Je ne suis pas mort je dors (1979). La pluie de Jules César (1980). Le mauvais homme (1981) version live 2011. Il était là (1982). L’An Mil, Vladimir Ilitch (1983). Vincent (1988). Putain de temps (1994). Rebelle (2010). Comment ça j’ai déjà atteint les 15 ? Je vais les mettre où, Un enfant et Le monde où tu vas ? Mais qui a posé cette règle à la c**... ? ;-) Une liste, très personnelle, comme chacune des cinq listes de cet article, parce que comme le dit Bastien Kossek, « il y a un Sardou pour chacun ». Je précise au passage que j’ai parsemé l’article de beaucoup, beaucoup de liens vers des chansons sur YouTube, pour que les lecteurs les découvrent.
Je demande aussi, parmi les questions posées, aux intervenants de sélectionner un objet ou une photo emblématique de Sardou, pour eux. J’ai pris cette photo, hier soir : ce 33T de l’album de 1976, pour moi de loin le meilleur de Sardou. Il appartenait à mon père. N’ayant pas de saphir pour le vieux tourne-disque (NB : dans la to do list), je n’ai pas écouté de vinyle depuis belle lurette. Mon père, donc, était ouvrier, et compagnon de route de la CGT sincèrement attaché aux valeurs portés d’amélioration des conditions de travail et de vie des plus laborieux. Je crois qu’il s’était éloigné de Sardou, en partie parce que le Sardou engagé, ça l’embêtait un peu, et que ça ne se limitait pas à la belle image du patron de la CGT l’embrassant sur les chantiers de Saint-Nazaire à l’époque du France. Il avait été un peu étonné de voir que j’aimais Sardou, mais m’avait proposé de me prendre un billet pour aller le voir une première fois, en 2005. J’avais pris deux billets, un pour moi, et un pour lui.
Un soir de juillet de cette année, direction le beau cadre du théâtre antique de Vienne (Isère). Très beau show, et un Sardou au top. Mon père, plus jeune que Sardou de quatre ans, me fait comprendre après le concert qu’il a apprécié ce moment. « Il a encore la forme, le père Sardou. Et tu as vu, quand il a chanté L’Aigle noir de Barbara, il a levé la main au ciel, vers la vierge (celle de la chapelle qui surplombe la scène). » Il avait aimé. Bien sûr, tout comme moi, il aimerait moins Allons danser, chanson sortie un an plus tard, un titre qui avait un côté « moralisateur dans le confort » assez déplaisant, et qu’on aurait cru écrit par François de Closets : « Parlons enfin des droits acquis, Alors que tout, tout passe ici bas, Il faudra bien qu’on en oublie, Sous peine de ne plus jamais avoir de droits ». Et cette ligne, qui sonne décidément bizarre dans une chanson : « Se prendre en charge, et pas charger l’État... ». Préférer, de loin, sur ce thème de la transmission bienveillante, Le monde où tu vas. Bref. Mon père n’est plus là aujourd’hui, mais je suis content d’avoir partagé cette soirée de juillet 2005 avec lui. Et de lui avoir redonné l’envie de s’intéresser à Sardou, dont il avait aussi un album live daté de 1971, et que j’ai toujours (le saphir, le saphir !).
En janvier 2013, j’avais écrit des questions pour Michel Sardou (on ne sait jamais !) et les avais envoyées à un site officiel par je ne sais plus quel biais. Deux jours après je recevais ce mail, un de ceux qui m’auront le plus touché. « Je serais ravi de répondre à vos questions (...) mais, de grâce, n’en posez pas trop à la fois. Cela ressemblerait à un livre écrit à deux. De plus, je n’aime pas parler de moi. À la question des regrets, je n’en ai aucun. Ceux qui n’ont pas compris à l’époque ne comprendront pas plus demain. Pour le reste, j’ai suivi une route ; celle qu’il y avait devant moi. J’ai commencé à écrire très jeune, ce qui pourrait expliquer quelques maladresses, mais je ne m’excuse jamais. Sauf quand je suis impoli. L’avenir ? Je verrai bien. Ou mieux, je ne le verrai pas. Il est désormais derrière moi. Bien à vous, Michel. » Il n’y aura pas d’interview à la suite de cet échange, mais ce mail, venant de lui (quand même, LUI !) m’avait vraiment fait plaisir. L’avenir, on vous le souhaite radieux et chaleureux Michel. Merci à toi pour tout ce que tu as donné. Merci à vous tous, Dominique, Gianni, Bastien, Frédéric, pour vos contributions pour cet article exceptionnel. Hommage à un artiste authentiquement populaire. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
Michel Sardou : sur des airs populaires, City éditions, 2018.
F. Quinonero : « Faut-il désespérer…
de vous revoir chanter un jour ? »
MICHEL SARDOU - LA DERNIÈRE DANSE - HOMMAGE
partie I : l’interview croisée
Frédéric Quinonero, Bastien Kossek bonsoir, et merci à vous deux d’avoir accepté de répondre à mes questions, pour Paroles d’Actu. Frédéric, les lecteurs du blog savent déjà qui tu es, ils connaissent tes écrits... Bastien, en ce qui te concerne, ce n’est pas encore le cas. Quelques mots sur toi, sur ton parcours ?
Bastien Kossek : Déjà une question difficile (sourire) ! Je suis incapable de trouver le mot qui résumerait mes activités. Si je faisais du pain, je dirais que je suis boulanger, et ça serait très simple (rires) ! Là, c’est un peu plus compliqué, à l’image de mon parcours, finalement. On peut dire que je suis un « touche-à-tout » principalement attiré par l’interview : un passeur de parole. Provoquer la rencontre, recueillir les témoignages, organiser une conversation, apprendre des choses, en comprendre d’autres : voilà ce qui me passionne en premier lieu. Au fond, c’est le sens de tous les jobs que j’ai faits jusqu’ici : une petite émission de télé sur Melody (« Rendez-vous avec… »), de la radio sur France Bleu, de longs entretiens pour le site internet du journal L’Équipe, l’animation des débats lors d’avant-premières dans les cinémas UGC, et l’écriture de documentaires pour une société de production audiovisuelle.
Votre actu à tous les deux est très colorée Sardou, et ça tombe plutôt bien, puisque c’est le fil conducteur de notre échange. Pour toi, Frédéric, il y a la sortie de ta dernière biographie, Michel Sardou, sur des airs populaires (City Éditions, avril 2018) ; quant à toi Bastien, c’est un projet de livre qui, petit à petit, prend forme. Quelle est, pour l’un et pour l’autre, l’importance de Michel Sardou dans votre univers musical, et peut-être dans votre vie ? Sans forcément en faire une « maladie », est-ce qu’on peut parler d’histoire d’amour, et si oui depuis quand existe-t-elle ?
F. Quinonero : « Je chantais Les Bals populaires debout
sur la table à la fin des repas de famille ! »
Frédéric Quinonero : J’ai eu une culture musicale très populaire. Et Michel Sardou a fait partie de ces chanteurs que j’entendais dans le transistor, à la télé chez Guy Lux ou les Carpentier. Ses chansons étaient reprises dans les bals pendant les fêtes de village. Ce sont ces souvenirs-là qui me viennent quand je pense à lui. Je l’ai connu avec Les Bals populaires (d’où le titre de mon livre, qui m’est venu spontanément), que je chantais debout sur la table à la fin des repas de famille, et il a accompagné toute ma vie depuis mon enfance, avec Johnny, Sylvie, Sheila, Dassin, Fugain, toute cette génération-là. Je me souviens de La Maladie d’amour que le type des autos tamponneuses de la fête foraine d’Anduze passait sans arrêt pendant l’été 73, puis de mes premiers flirts sur Je vais t’aimer et Dix ans plus tôt. Puis Je vole, le bien-nommé, que j’avais piqué à Montlaur, et l’album « Verdun » (1979) qu’on écoutait en boucle avec mon ami Bruno et ses potes dans les rues de Lyon… Mes madeleines à moi.
Bastien Kossek : (rires) Pour ma part, elle court, elle court… depuis le milieu des années 2000 ! Il faut savoir que ma maman – mais aussi ma grand-mère, mes tantes… – ont toujours adoré Sardou. C’est un peu une maladie familiale, un virus qui se transmet ! Ma mère, c’est une grande admiratrice ! Quand elle était ado, elle a fait partie de son Fan Club – seulement un an, par manque de moyens – et sa chambre était tapissée de posters de Michel. Enfant, j’ai été bercé par ses chansons, et je crois même que j’ai appris à lire avec les livrets qui se trouvaient à l’intérieur de ses albums. Des photos en témoignent (sourire) ! Après, j’ai connu une période – comme tout le monde, j’imagine – durant laquelle j’ai voulu me différencier, ne pas écouter la même chose que mes aînés. Alors, dans la voiture, pour ne pas entendre Sardou, j’écoutais des groupes de rock, le volume des écouteurs à fond ! Et puis, petit à petit, je suis revenu dans le droit chemin (rires). D’abord avec l’album « Du plaisir » (2004), qui était très moderne dans ses sonorités et, définitivement, grâce à « Hors Format » (deux ans plus tard, en 2006), qui est une merveille, que ce soit dans l’écriture, le choix des thèmes, les ambiances. Depuis, Sardou ne m’a plus quitté, et il a même pris une place assez centrale dans ma vie…
Parlez-nous, l’un et l’autre, de votre démarche pour vos ouvrages respectifs, s’agissant de leur construction mais aussi, en particulier, les prises de contact, les témoignages recueillis... Je crois que le tien, Bastien, sera largement composé de témoignages inédits. Quant à toi Frédéric, je sais que cette bio a été autorisée par l’intéressé après avoir été validée par son épouse Anne-Marie. En quoi diffère-t-elle de Vox Populi, le premier ouvrage que tu avais consacré à Sardou en 2013 ?
Frédéric Quinonero : J’ai repris la trame de Vox Populi, un compromis entre la biographie chronologique et les thématiques des chansons de Michel. J’ai tout revu, relu, modifié, amélioré, actualisé. Je ne sais pas relire un texte de moi sans le corriger phrase après phrase. Alors, cinq ans après, tu penses !... Vox Populi était très illustré, et le texte se perdait un peu parmi toutes ces belles images. J’avais envie qu’il soit mis en valeur, qu’il se suffise à lui-même. C’est le cas ici. Ensuite, Cynthia (la fille de Michel Sardou, qui est également écrivain, ndlr) et Anne-Marie Sardou l’ont relu et approuvé. Puis, Vline Buggy (auteure de Les Bals populaires, Et mourir de plaisir et J’habite en France, ndlr) m’a écrit une belle préface. C’était le moment ou jamais de le sortir, puisque se tourne la page musicale de la carrière de Michel.
B. Kossek : « Quand il a annoncé qu’il arrêtait
sa carrière de chanteur, j’ai ressenti comme une forme
d’urgence : c’était maintenant ou jamais. »
Bastien Kossek : En tant que fan, puisque c’est comme ça que me considère avant tout, j’avais envie de quelque chose de neuf. J’ai trop souvent été frustré par des interviews répétitives, des reportages convenus, etc. Ça faisait longtemps que j’avais envie de proposer autre chose, mais je me freinais. Je ne connaissais, ni Sardou, ni son entourage, et je ne savais pas comment y accéder. J’avais l’impression d’être au pied d’une montagne. Et puis, je ne me sentais pas vraiment légitime. C’est une envie profonde que j’avais, mais je repoussais un peu le truc. Quand il a annoncé qu’il arrêtait sa carrière de chanteur, j’ai ressenti comme une forme d’urgence : c’était maintenant ou jamais. J’ai beaucoup réfléchi, me suis posé pas mal de questions. Que suis-je capable de faire ? Que pourrais-je apporter de nouveau ? Qu’est-il envisageable de proposer ? Je savais pertinemment que Michel ne s’impliquerait pas directement dans ce projet. Même si c’est une idée qui me séduisait, j’avais conscience qu’un livre d’entretiens – avec lui – n’était pas réalisable. Alors, j’ai imaginé un recueil autour du thème du regard, afin que des personnes très différentes, qui l’ont côtoyé dans des circonstances diverses, me racontent « leur » Michel Sardou.
Regards, de Bastien Kossek. Visuel temporaire.
Ce printemps 2018, c’est la date qui a été choisie par Michel Sardou pour tirer sa révérence, et quitter la scène musicale (disques et concerts), après une ultime tournée (ses deux derniers concerts, prévus pour la fin mars, ont été repoussés à la mi-avril pour raisons médicales). Il ne quitterait pas le monde du spectacle mais irait un peu plus encore vers le théâtre. Déjà, est-ce que vous y croyez, à un retrait définitif du monde de la chanson ? Et quel regard portez-vous, à la fois sur cette dernière période, et bien sûr sur sa carrière, qui se sera donc étendue sur cinq décennies ?
Bastien Kossek : Ce n’est pas la première fois que Sardou annonce qu’il arrête la chanson, ou plutôt qu’il planifie une fin de carrière musicale à court ou moyen terme. Quand il avait une trentaine d’années, déjà, il l’évoquait ! Il était définitif, disait : « Dans cinq ans, j’arrête la chanson ! » Simplement, c’est beaucoup plus facile d’annoncer ça quand on est jeune et en pleine possession de ses moyens, qu’aujourd’hui. À l’âge qui est le sien, je pense que c’est une décision sans retour possible. Une décision qui, au fond, ne doit pas le laisser insensible. Je pense qu’il n’arrête pas le cœur léger : il le fait parce que c’est un homme digne, relativement lucide. Je dis relativement, parce que d’un côté, il a conscience que ses capacités vont baisser avec le temps, et que certaines chansons – Je vais t’aimer, pour prendre l’une des plus emblématiques – ne sont plus adaptées à sa voix, ni à l’homme qu’il est. D’un autre côté, je pense qu’il aurait pu – j’aimerais écrire, qu’il peut – faire évoluer sa carrière, piocher dans d’autres titres de son imposant répertoire, aller vers plus de dépouillement, de simplicité, de proximité. Il y a eu des fins de carrières magnifiques ! Prenez – dans un autre style – Johnny Cash, que Sardou adore, et qui a su se réinventer dans les dernières années…
F. Quinonero : « Je crois sincèrement que son souhait le plus cher
est de terminer sa carrière au théâtre. Comme son père. »
Frédéric Quinonero : Il a vraiment décidé d’arrêter la chanson. C’est une décision qui couvait depuis quelques années. Je crois qu’il est allé au bout de ses envies et de ses possibilités. Sa tessiture vocale s’est réduite avec le temps, et il a conscience que Sardou qui chante Le France ou J’accuse avec une octave en moins dans la voix ce n’est plus Sardou ! Il y a aussi une question d’endurance : il faut avoir la santé pour chanter de ville en ville… La scène c’est donc fini. Alors, peut-être, si l’inspiration revient, on aura droit à un nouveau disque… Mais je crois sincèrement que son souhait le plus cher est de terminer sa carrière au théâtre. Comme son père.
Sardou a traversé plusieurs époques, il s’est essayé à différents styles. Le chanteur a évolué, l’homme a mûri. Est-ce qu’il y a une époque, un Michel Sardou que vous, vous préférez ? Un album que vous mettriez en avant ?
Frédéric Quinonero : Sans hésitation, et malgré les polémiques qu’il a suscitées à ce moment-là, les années 1970. Mon côté nostalgique me renvoie à l’album « J’habite en France », le premier qu’on m’a acheté quand j’étais môme. Mais mon préféré, si j’en juge d’après le nombre de plages que j’apprécie, est « Verdun » (1979). Outre les souvenirs personnels que m’évoque l’écoute de ce disque, je ne me suis jamais lassé de titres comme Je n’suis pas mort, je dors, L’Anatole, Carcassonne ou Verdun. Du grand Sardou !
L’album « Hors Format » (AZ-Universal, 2006), choix de B. Kossek.
Bastien Kossek : Je vais te faire une réponse de Normand, parce que l’homme, je l’aime à toutes les périodes (sourire) ! Je découperais sa carrière en trois périodes distinctes. D’abord, il a été un mec fougueux, d’une totale clarté dans ses sentiments comme dans ses intentions, parfois maladroit, et profondément épicurien. Ensuite, à partir des années quatre-vingt, j’ai l’impression qu’il a évolué, tendant vers plus de retenue, de pondération. Il a alors acquis une véritable stature, et il était très brillant dans chacune de ses prises de parole. Enfin, une dernière période – depuis dix ans, peut-être – qui semble condenser les deux précédentes, à ceci près qu’il n’a plus rien à prouver – tout en restant professionnel – et qu’il fait désormais ce qu’il a envie.
Quant à l’album, ce serait « Hors Format », forcément ! Pour moi, c’est la quintessence de ce qu’a proposé Sardou : c’est varié, puissant, audacieux. Il y a des grandes fresques qui ont fait sa légende (Beethoven), des chansons populaires dans la lignée de ses plus grands tubes (Valentine Day), des titres extrêmement forts émotionnellement (Les yeux de mon père, Nuit de satin), des thèmes de société qui visent juste (Les villes hostiles), et des morceaux d’une noirceur insoupçonnée dans son répertoire (On est planté, Je ne suis pas ce que je suis). Je crois que cet album est le plus personnel et le plus créatif qu’il ait réalisé. En te répondant, je m’aperçois que je mets de côté Jacques Revaux, à qui je voue pourtant une admiration sans bornes, et sans qui Sardou n’aurait sans doute pas accompli la même carrière. Un crève-cœur de te répondre, donc !
Sardou a su s’entourer, à son meilleur, des auteurs et des compositeurs les plus talentueux de leur époque. Mais on remarque aussi, dans les crédits de ses albums, que souvent, il apparaît parmi les auteurs - moins en tant que compositeur. Finalement, dans quelle mesure a-t-il effectivement « écrit » (et non pas simplement « retouché ») certaines de ses chansons ? Combien en a-t-il écrites en propre ? Frédéric, peut-être ?
Bastien Kossek : Je laisse donc Frédéric te répondre, tout en précisant que pour mon livre, j’ai interrogé trois des co-auteurs majeurs de Sardou. Ce qu’ils disent de lui – en tant qu’auteur – est aussi passionnant qu’instructif…
F. Quinonero : « À la grande époque, lors de sa collaboration
avec Pierre Delanoë, Sardou édulcorait le côté "engagé à droite"
de son partenaire par son penchant romanesque... »
Frédéric Quinonero : Entre 80 et 90 chansons sont créditées à son nom seul en tant que parolier. J’ai compté neuf titres qu’il a entièrement écrits, paroles et musique : J’y crois, L’Anatole, Verdun, Les Noces de mon père, Mélodie pour Élodie, 55 jours, 55 nuits, La Chanson d’Eddy, Tout le monde est star, La vie, la mort, etc... Difficile ensuite d’estimer sa part réelle de créativité (d’autant qu’elle varie selon l’inspiration) dans les collaborations avec Delanoë, Dessca, Billon, Dabadie, Barbelivien, Vline Buggy et les autres. Il a souvent dit que Vline Buggy – et elle le confirme dans la préface qu’elle m’a écrit – lui avait appris à aller à l’essentiel dans l’écriture, à se débarrasser de la mauvaise poésie qui parasitait ses premiers textes, à l’époque Barclay. Jacques Revaux prétend que Sardou intervenait toujours sur l’écriture d’une chanson, à pourcentages variables, et même si ce n’était qu’un apport minime il apportait la touche finale, ce qui faisait que la chanson allait marcher, le truc en plus, la cerise sur le gâteau. On peut s’aventurer à dire aussi qu’à la grande époque, lorsqu’il travaillait en complicité avec Pierre Delanoë, l’un (Delanoë) y allait franco dans le côté « engagé à droite », que Sardou édulcorait par son penchant romanesque… Ce fut le cas notamment dans Vladimir Ilitch : Delanoë a versé dans le pamphlet anticommuniste, tandis que Sardou s’est laissé porter par le souffle épique de l’histoire.
Michel Sardou traîne depuis les années 70 et les chansons les plus polémiques (Je suis pour, qu’il dit avoir été maladroite ; Le Temps des colonies, dont il déplore qu’elle soit lue au premier degré ; on peut aussi citer dans les années 80 et 90 les titres engagés Vladimir Ilitch, Le Bac G, et plus tard la dispensable Allons danser) une image d’ « homme de droite », largement amplifiée par des prises de position, sur le plan politique notamment. Alors, cette image, réalité ou, comme souvent avec lui, pas « noir ou blanc mais d’un gris différent » ?
Bastien Kossek : Le truc, c’est que ce sont les chansons que tu cites qui ont été mises en avant. Si, en début de carrière, Sardou avait rencontré le succès avec des titres comme Danton, God save, ou Zombie Dupont, peut-être qu’on lui aurait apposé l’étiquette du chanteur de « gauche ». Bon, je reconnais qu’avec ces trois chansons, les chances de succès étaient minces (rires) ! Personnellement, le positionnement politique des titres de Sardou, c’est un débat qui ne m’a jamais vraiment intéressé. C’est réducteur, et un peu vain…
F. Quinonero : « Par tradition familiale, en souvenir de Fernand
qui se levait quand De Gaulle parlait dans le poste,
Sardou s’est longtemps dit gaulliste... Aujourd’hui,
il ne croit plus en l’homme providentiel. »
Frédéric Quinonero : Il est plutôt de droite, oui. Et ne peut concevoir l’idéal de gauche, communautaire et égalitaire. Cela ne fait pas partie de son éducation. Même s’il n’est pas contre les tendances redistributives que l’on trouve le plus souvent à gauche. Par tradition familiale, en souvenir de Fernand qui se levait quand De Gaulle parlait dans le poste, Sardou s’est longtemps dit gaulliste. Mais on ne sait plus trop ce que ça veut dire, être gaulliste, aujourd’hui. Comme beaucoup de Français, la vérité ne vient jamais d’où il l’attend. Et il ne croit plus en l’homme providentiel. Aux dernières élections, il a trouvé en Macron un bon compromis. Ni de droite, ni de gauche. Mais on peut espérer que ses espoirs seront encore déçus. (Rires)
Est-ce que dans votre vie, l’un et l’autre, vous avez été « gênés » parfois d’aimer Sardou, par rapport à vos proches, vos amis, etc ? Par rapport à l’image qu’il dégagerait, à ses prises de position, etc. C’est « dur » parfois d’assumer qu’on aime Sardou, franchement ?
Frédéric Quinonero : Je vais reprendre ce que je te disais dans une précédente interview. Adolescent, quelques chansons m’ont marqué, mais le personnage me dérangeait. Comme je baignais dans un milieu de gauche, on ne tolérait pas autour de moi qu’un chanteur use de sa notoriété pour se prononcer en faveur de la peine de mort, à un moment crucial où l’opinion publique réclamait à cor et à cri la tête d’un homme – finalement, cet homme fut emprisonné, puis un autre, inculpé dans une autre affaire et dont la culpabilité demeure discutable, fut guillotiné. En réalité, je répétais ce que l’on disait autour de moi, car j’étais très jeune. Pas tant dans ma famille, car mon père adorait Sardou, que dans mon cercle d’amis et celui de ma sœur, plus âgée que moi. À la radio ou dans les fêtes de village, j’aimais entendre Je vais t’aimer ou Le France, alors que je m’interdisais d’acheter les disques. Même J’accuse, j’aimais bien ! Notamment son intro pompière… Mais au lycée, je ne m’en vantais pas.
B. Kossek : « Plus le mec en face de moi se montre méprisant
au sujet de ma passion pour Sardou, plus j’en rajoute.
Je vais même te dire : j’adore ça ! »
Bastien Kossek : J’ai vite compris qu’aimer Sardou était perçu de manière très particulière, mais je n’ai jamais été gêné. Au contraire, plus le mec en face de moi se montre méprisant à ce sujet, plus j’en rajoute. Je vais même te dire : j’adore ça ! Je me rappelle qu’au lycée, au-delà des idées préconçues que j’entendais sur l’artiste que j’admirais un mec m’avait lancé : « Mais il est vieux, ton Sardou ! Quand il va mourir, tu vas pas être bien ! » Alors, pour être aussi con que lui, j’avais répondu : « C’est sûr que ça me fera plus de peine que quand ça sera ton tour ! » C’était pas hyper malin, mais je le pensais profondément (rires). Quant à mes amis, je crois qu’ils apprécient tous Sardou ! Faut dire que je ne leur ai pas laissé le choix (rires). Plus sérieusement, je pense qu’il y a un Sardou pour chacun, que tout le monde – dans la variété de son répertoire – peut trouver de quoi être concerné, ému, enthousiasmé. Mon meilleur ami est un grand fan de rap, mais quand je fouille dans sa playlist Deezer, je trouve toujours quelques titres de Sardou…
Sardou proclame souvent qu’il « n’est pas l’homme de ses chansons », sous-entendu, sauf dans de rares cas, il ne raconte pas sa vie mais se met dans la peau de personnages. Est-ce pour cette raison qu’on a tant de mal à cerner l’homme derrière le personnage parfois ? En tout cas, il se démarque ici d’autres artistes, qui vont plus volontiers vers des chansons personnelles. Est-ce que cette espèce de détachement vis-à-vis de ce qu’il chante a des conséquences sur la manière dont on perçoit l’homme (une image un peu froide qui pour certains peut encore lui coller à la peau), et dont ses chansons sont reçues par le public (puisqu’elles ne racontent pas sa vie, on peut s’identifier plus facilement à elles) ?
« Je n’sais pas faire le premier pas,
Mais vous savez déjà tout ça.
Je n’suis pas l’homme
De mes chansons, voilà. »
Salut, 1997.
Bastien Kossek : Je pense que Michel Sardou aime brouiller les pistes, rebattre les cartes. En tant qu’auteur, je crois que c’était une réelle volonté tout au long de sa carrière. Sans doute ne souhaitait-il pas livre du prêt-à-penser, avec des chansons trop typées, trop datées ou trop précises, préférant ainsi laisser de l’espace à l’auditeur. Il a toujours voulu que le public soit, en quelque sorte, le co-auteur des chansons…
Frédéric Quinonero : Il a construit son image et sa notoriété sur l’art de la provocation. Mais s’il est évident que pour certaines chansons à polémique, comme Les Villes de solitude ou Le Temps des colonies, il campe un personnage, cela l’est moins pour d’autres où la différence entre l’artiste et ses personnages est ténue – je pense en particulier à Je veux l’épouser pour un soir qui, curieusement, n’a pas suscité de controverse à sa sortie. Mais c’est vrai qu’il affichait souvent au gré de ses « incarnations » un visage plutôt grave, fermé, le rictus rageur, le poing serré, l’allure guerrière. Dans Je vais t’aimer, qui était une chanson d’amour, mais pas le genre sentimental, plutôt le truc hyper sexué, il incarnait le mâle dans sa virilité plénière – ce qui avait pas mal révulsé les féministes. C’est une image dont il a eu beaucoup de mal à se défaire. Pour beaucoup, il est le type qui sourit quand il se brûle !
Est-ce qu’avec la fin de la carrière d’un Sardou, on n’assiste pas un peu à la disparition des artistes transgénérationnels, capables de parler massivement aux « cheveux blonds » comme « aux cheveux gris » en même temps ? Et Sardou a-t-il vraiment été de ceux-là d’ailleurs ? Je précise ma question : quand les jeunes aimaient Sardou dans les années 70, est-ce que les « vieux » faisaient eux aussi déjà partie de son public ?
Bastien Kossek : Je crois qu’il a toujours été transgénérationnel, en effet…
F. Quinonero : « Sardou, avec sa cravate et ses costards
trois pièces des débuts, faisait plutôt garçon de bonne famille
qui plaisait aux enfants, tout en rassurant les parents. »
Frédéric Quinonero : C’est La Maladie d’amour, justement, qui a installé définitivement Michel Sardou dans la spirale du succès et lui a permis de gagner la fidélité d’un public, le plus large qui soit, « de sept à soixante-dix-sept ans ». Mais je ne l’ai jamais perçu comme le chanteur d’une génération, ainsi que l’a été Johnny, par exemple. Sardou, avec sa cravate et ses costards trois pièces des débuts, faisait plutôt garçon de bonne famille qui plaisait aux enfants, tout en rassurant les parents. Cette popularité-là, il l’a gardée. Aujourd’hui, moi qui fais partie des « cheveux gris », je partage avec les « cheveux blonds » un intérêt assez vif pour certains chanteurs qui remettent au goût du jour la chanson française traditionnelle. Je pense à Gauvain Sers ou Vianney.
Lors d’interviews que vous m’aviez accordée, toi Frédéric, tu me disais que Sardou avait « traduit en chansons l’âme d’un peuple ». Un peu plus tard, Bertrand Tessier, également biographe du chanteur, m’avait confié penser que Sardou n’avait « pas son pareil pour capter l’air du temps ». Quel est ton avis sur la question, Bastien ? Sardou, quelle marque, quelle trace ?
Bastien Kossek : Je trouve que ce sont des « punchlines » très efficaces, et très justes.
Donnez-moi, tous les deux, après y avoir bien réfléchi, une liste de 15 chansons de Sardou, celles que vous garderiez s’il vous fallait faire un choix sacrificiel. En essayant de ne pas inclure à la liste plus de la moitié de grands succès, histoire de faire découvrir des perles méconnues à nos lecteurs ?
Frédéric Quinonero :
- Je vole ;
- Le France ;
- Je vais t’aimer ;
- Verdun ;
- Je viens du sud ;
- Si j’étais ;
- Vladimir Ilitch ;
- Io Domenico ;
- Musulmanes ;
- L’acteur ;
- Le bac G ;
- Qu’est-ce que j’aurais fait, moi ? ;
Bastien Kossek : Voici ma liste ! J’ai fait ça très sérieusement, presque méthodiquement… Mais si tu me demandes de refaire le même exercice dans une semaine, tu peux être sûr que la moitié des chansons aura changé (rires) !
- Madame je (il avait vingt ans et, déjà, quel auteur !) ;
- La vieille ;
- Dossier D ;
- Le verre vide ;
- Rouge ;
- Délivrance ;
- Elle en aura besoin plus tard ;
- Le grand réveil ;
- Valentine Day ;
Une photo perso, de concert ou d’un objet fétiche, que vous rattachez à Sardou ?
Frédéric Quinonero : Je ne suis pas trop fétichiste. Mais je suis très attaché aux choses de l’enfance. Et les objets qui concernent Sardou sont forcément des disques, les premiers qu’on m’a offerts : le 33 tours vinyle de « J’habite en France » ou encore le single de « Je t’aime, je t’aime ».
Sardou, en trois adjectifs ?
B. Kossek : « Populaire. Irréductible. Imprévisible. »
F. Quinonero : « Bougon. Sincère. Populaire. »
Si vous pouviez lui adresser un message, ou lui poser une question là, à l’occasion de cette interview (imaginons qu’il nous lise), ce serait quoi ?
Bastien Kossek : Accepteriez-vous de rédiger ma préface (rires) ?
Frédéric Quinonero : Ma question est : faut-il désespérer… de vous revoir chanter un jour ?
Vos projets pour la suite ?
Bastien Kossek : Acheter les droits d’une pièce de théâtre majeure, et la proposer à Michel Sardou (rires) !
Frédéric Quinonero : Continuer.
Un dernier mot ?
Bastien Kossek : Merci Nicolas pour cet entretien fouillé ! Pour une fois, je suis de l’autre côté, puisque c’est moi qui réponds aux questions… et je dois avouer que c’est difficile ! Maintenant, j’ai hâte de découvrir les réponses de Frédéric, lui souhaitant – au passage – un énorme succès pour sa biographie consacrée au chanteur qui nous a réunis durant cette interview !
Frédéric Quinonero : Salut.
Frédéric Quinonero. Q. : 25/03/18 ; R. : 27/03/18.
Bastien Kossek. Q. : 25/03/18 ; R. : 30/03/18.
partie II : parce que c’était lui, parce que c’était moi... (ou le choix du fan)
Dominique, alias Lanatole
29/03/18
Introduction : Pourquoi Michel ?
Episode 1 :
« Michel, mon premier amour d’adolescente... »
J’avais quoi ? 13/14 ans, et cet été-là, sur toutes les ondes et à longueur de journée, on entendait cette « bombe atomique » : La Maladie d’amour ! Alors, pour cette toute jeune adolescente que j’étais, il était impossible que je ne tombe pas amoureuse pour la première fois de ma vie ! Ce fut pour Michel ! Une maladie incurable puisqu’encore aujourd’hui, presque sexagénaire, je suis encore, voire même plus qu’auparavant, admirative de cet artiste !
Episode 2 :
Eté 77 : la rencontre avec celui qui allait devenir l’homme de ma vie, le père de mes enfants... On s’est rencontrés tout simplement dans un bal populaire, il a proposé de me ramener chez moi et ô surprise une cassette tournait, qu’il avait mise en fond sonore, c’était l’album « J’habite en France » ! Et de cet album là, je ne connaissais que les titres phares, Petit, Les Ricains, Les Bals populaires et bien sur la chanson éponyme… et lorque j’ai entendu cette voix sur des chansons inconnues pour moi, j’avoue que le jeune homme que je venais de rencontrer prit une importance pour le restant de ma vie, que je ne soupçonnais pas alors.
Episode 3 :
Mars 2005 : je n’avais jamais vu Michel en concert jusqu’à ce jour de Saint Casimir (hormis un concert en 2002 à la maison des Sports de Clermont-Ferrand, mais j’étais très mal placée et donc ce ne fut pas un souvenir impérissable). Ce jour-là, grâce à internet, grâce à l’An Mil et à son webmaster Giros, je rencontrais des fans aussi frappés que moi ! Pour la première fois de ma vie j’allais partager cette passion qui m’anime depuis 1973 et qui est indéfectible, avec d’autres !
Le concert : premier rang, plein centre. Je n’ai vu que LUI, rien d’autre : pas de jeux de lumière, pas de musiciens, pas de choristes. Juste MON Michel… énorme émotion jusqu’aux larmes sur L’Aigle noir, qu’il interprète de manière magistrale...
J’avais préparé un papier sur lequel j’avais écrit en gros : MICHEL JE T’AIME, telle une ado ! Je le lui ai montré, il m’a fait un signe de la main, un clin d’oeil et voilà comment il a fini de m’achever dans cet amour éternel.
Episode 4 :
Tournée 2007 : elle m’a emmenée au quatre coins de France, et même jusqu’en Belgique, au Forest National. Je me suis regorgée de Michel, comme si toutes ces décennies de frustration me poussaient à le voir, encore et encore ! J’ai dû faire 16 ou 17 dates. Ce fut épique, inoubliable, excitant, passionnant et je ne le regrette pas, car ça m’a permis aussi de rencontrer des humains formidables dont, certains font partie aujourd’hui de mes amis intimes, et rien que pour ça je ne peux qu’aimer davantage Michel !
Epilogue :
2017/2018 : ce qui sera probablement sa « Dernière Danse », comme il nous l’a annoncé.
« J’ai savouré chaque concert de cette dernière tournée,
pour cela reste gravé à jamais dans ma mémoire intime… »
Je suis donc allée le voir 9 fois pour cet ultime opus et j’ai essayé de savourer chaque instant. Sa voix est encore au top, toujours frissonnante, chaleureuse (lorsqu’il n’a pas de laryngite bien sûr !) ; sa démarche n’est plus très assurée (douleurs au dos ?) mais son amour pour nous, le public, il ne fait que nous le chanter, nous le dire, nous le répéter ; je l’ai trouvé en communion totale avec nous. J’ai savouré chaque concert, pour cela reste gravé à jamais dans ma mémoire intime… bien consciente que je vivais mes derniers concerts avec lui, mais bienheureuse qu’il nous offre cette Dernière Danse. Sur mes deux derniers à Dijon, j’ai bien évidemment pleuré avec tous ceux qui étaient devant, c’était vraiment très, très émouvant ! Lorsque le rideau se ferme sur Michel à la fin, qu’il disparaît, on sait alors, qu’on ne reverra plus notre chanteur, en chantant...
Je ne suis pas triste qu’il arrête la chanson, il a sûrement raison de s’arrêter au sommet de son art. Je suis heureuse d’avoir pu vivre toutes ces heures de concerts à fond. Il va nous manquer, même si on le retrouvera sans doute sur les planches d’un théâtre ici ou là. Mais on a la chance qu’il soit encore vivant !
« Ma photo préférée de tous les temps »
Pourquoi j’aime Sardou ?
- parce que sa voix, en premier lieu ;
- parce que sa culture (histoire, littérature...) ;
- parce que son intelligence ;
- parce que ses textes profonds ;
- parce que son romantisme (et oui !) ;
- parce que ses grandes chansons, qui resteront à la postérité ;
- parce que ses musiques variées (il a su s’entourer des meilleurs compositeurs) ;
- parce qu’il a suivi sa ligne de conduite avec ses contradictions (ou évolutions) assumées ;
- parce que son professionnalisme, son perfectionnisme ;
- parce que sa sensibilité ;
- parce qu’il est un homme libre (comme il le martèle sur sa dernière tournée) ;
- parce que son humour décapant, provocateur parfois ;
- parce que son autodérision ;
- parce que l’homme ;
- parce que c’était lui…
Mon choix de 15 chansons (torture mentale)
- La maladie d’amour ;
- Un roi barbare ;
- Nuit de satin ;
- Vincent ;
- Putain de temps ;
- Qui m’aime me tue ;
- L’An Mil ;
- Verdun ;
- La vallée des poupées ;
- Rien ;
- Le figurant ;
- Je vais t’aimer ;
- Vivant ;
- Le grand réveil ;
- La dernière danse.
- - - - -
Gianni Rosetti, alias Giros
Créateur et webmaster du très beau site An Mil / Sardou.ch.
30/03/18
« Ça fait déjà longtemps qu’on se connaît... »
Cela fait maintenant 35 ans qu’on se connaît.
Et il est entré dans ma vie par le plus grand des hasards...
J’ai 47 ans aujourd’hui, donc à l’époque je devais avoir une douzaine d’années, c’est dire le parcours effectué avec Michel, jusqu’à aujourd’hui.
Moi qui était passionné de cinéma et de séries TV, la musique ne m’intéressait pas vraiment. Cette époque de ma vie a été marquée par le divorce de mes parents, je n’allais pas très fort... cela m’a profondément marqué. Mon père est parti, je ne l’ai que très peu revu. La blessure était immense, elle l’est encore aujourd’hui ; on ne s’est jamais rapprochés.
Je ne sais pas grand chose de lui... On ne s’est revus que peu de fois durant toutes ces années. Je me souviens d’une fois où j’avais été chez lui. J’y avais aperçu des 45 tours de Michel. Peut-être l’aimait-t-il aussi, je n’en sais rien...
« Ce soir-là, il m’a touché au plus profond de moi-même. »
Bref j’étais un gamin pas très heureux, avec peu d’amis. Un soir, alors qu’on était chez des amis, ma mère discutait à la cuisine, et moi j’étais seul au salon regardant la télé. Je zappe sur une émission de variétés et là, Michel apparaît. Il chante... je ne me souviens plus de quelles chansons exactement. Seigneur, cette voix m’a bouleversé, elle m’a profondément touché... Il se passait quelque chose en moi, une émotion terrible. Cet homme avec ce regard si sévère (comme on le disait de lui...). Moi, j’y ai vu une grande tendresse, dans son regard. Comme avait dit Yves Montant, « il a le regard sévère, mais l’œil tendre ». Ce soir-là, il m’a touché au plus profond de moi-même.
Et ce soir-là, il m’a sans doute sauvé la vie. Cette rencontre a été une des plus belles de ma vie, une lumière est apparue, l’espoir... Cette passion naissante pour cet artiste a été salvatrice pour moi, et là tout a commencé : une très belle histoire, qui dure encore jusqu’à aujourd’hui. On ne s’est plus jamais quittés et on ne se quittera jamais. Michel et moi, c’est pour la vie.
Dès le lendemain donc, je tannais ma mère pour qu’elle m’achète un des ses albums. Il fallait absolument que j’écoute cette voix, ce timbre si particulier, qui avait réussi a atteindre mon cœur, les tréfonds de mon âme. J’insistais tellement, qu’elle est venue avec une K7 de Michel, « Chanteur de jazz », et là une chanson me plait énormément : Voyageur immobile. C’est avec elle que tout a commencé, et c’est avec elle que tout s’achèvera...
Cette incroyable aventure venait de commencer, Michel faisait désormais partie de ma vie ; il allait devenir très important pour moi, il serait là dans les bons comme dans les mauvais moments. Grâce à lui, j’ai remonté la pente. Ce fut la course aux chansons. Il me fallait toutes les connaître. Lorsque j’ai commencé à travailler, quelques années après, je faisais le tour des magasins pour trouver des K7 de Michel avec des chansons que je n’avais pas. Le bonheur ultime, quand je découvrais ce titre que je ne connaissais pas. Magique !
Puis l’instant tant attendu, l’heure du premier concert. Michel sera à Lausanne, j’en tremble encore de bonheur... le voir pour de vrai, là devant moi... Comme le dit le grand Jacques Revaux, dans un concert de Michel on en reçoit plein la figure, et pas qu’une fois mais pendant 25 chansons... Il était là... et c’était tellement émouvant, cette homme avec cette voix venue d’ailleurs, son regard plein de tendresse, et cette communion avec son public... Une soirée de rêve, gravée à jamais dans ma mémoire.
« Il a sans aucun doute remplacé un peu mon père,
qui m’a tant manqué, et qui a toujours été absent. »
Depuis je n’ai jamais cessé de la suivre : concerts, émissions, théâtre... et comme le disait ma mère, « regarde, il y a ton père qui passe à la télé... » (Rires) Oui c’était vraiment très fort, ce lien qui nous unissait, et ça l’est toujours resté. Il a sans aucun doute remplacé un peu mon père, qui m’a tant manqué, et qui a toujours été absent.
Si Michel pouvait se douter du poids important qu’il a eu dans ma vie... il m’a redonné l’envie d’avoir envie, à un moment où tout était sombre pour moi. J’ai rencontré plein de gens formidables grâce à lui, je lui dois beaucoup... Michel et moi, c’est « l’histoire sans fin », la maladie d’amour... une fois qu’on l’a...
Et maintenant vivement la suite de l’histoire...
Mes chansons ? Évidemment celles liées aux pères...
- Il était là ;
- Les yeux de mon père ;
- Le monde où tu vas ;
- Voyageur immobile ;
- L’An mil ;
- Les routes de Rome ;
- Road Book ;
- Délivrance ;
- Un roi barbare ;
- Vincent ;
- Dans ma mémoire elle était bleue ;
- Le grand réveil ;
- Loin ;
- Je ne suis pas mort je dors ;
- Une fille aux yeux clairs.
partie III : le choix des fous
Citées 3 fois sur 5 (60% des fous):
La Vallée des poupées (1976)
L'An Mil (1983)
Citées 2 fois sur 5 (40% des fous):
Restera-t-il encore / La colombe (1971)
Le France (1975)
Je vais t'aimer (1976)
Je vous ai bien eus (1976)
Un roi barbare (1976)
La vieille (1976)
Je ne suis pas mort, je dors (1979)
Verdun (1979)
Il était là (1982)
Vladimir Illitch (1983)
Délivrance (1984)
Vincent (1988)
Le grand réveil (1992)
Putain de temps (1994)
Les yeux de mon père (2006)
Et vous, racontez-nous, aussi...
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Frédéric Quinonero : « Goldman, c'est un fédérateur, un artiste et un homme de coeur... »
En décembre dernier, Jean-Jacques Goldman était élu personnalité préférée des Français dans le cadre du classement IFOP/JDD. Depuis juillet 2013, l’auteur-compositeur-interprète a dominé l’exercice, dont il est sorti lauréat à sept reprises, sur neuf consultations semestrielles. Frédéric Quinonero, biographe de nombreux artistes et interviewé régulier de Paroles d’Actu, lui a consacré dernièrement un portrait, bienveillant et fouillé : Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie (City éditions, 2017). L’ouvrage est riche de toutes les infos disponibles sur un artiste aussi important pour le paysage musical français qu’il est discret, et vaut davantage encore pour les témoignages inédits récoltés par l’auteur et qui mettent en lumière la personnalité de Goldman. La bio d’un artiste et d’un homme attachant, par un mec bien. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Q. : 08/02/18 ; R. : 21/02/18.
Frédéric Quinonero: « Goldman, c’est
un fédérateur, un artiste et un homme de cœur... »
Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie, City éditions, 2017.
Bonjour Frédéric, ravi de te retrouver pour ce nouvel échange, autour de ce livre sorti en novembre dernier, Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie (City éditions, 2017). Pourquoi avoir choisi d’écrire sur Goldman, et quelle orientation particulière as-tu voulu donner à ta démarche ? Est-ce que spontanément, tu t’inclurais, toi, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « génération Goldman » ?
pourquoi Goldman ?
Pour la première fois je n’ai pas choisi. C’est mon nouvel éditeur qui est venu vers moi pour me souffler l’idée. J’y avais longtemps pensé, cela dit. Car les chansons de Goldman ont bercé ma jeunesse. Mais j’y voyais une difficulté que je n’avais pas envie de surmonter : aborder le sujet sous un angle nouveau. On a tant écrit sur Goldman ! J’avais tort, on ne devrait pas douter de soi. Il faut avoir le courage d’écrire sur les artistes qu’on aime, quand bien même on n’aurait aucun scoop à révéler. On a au moins sa plume, son style, sa façon personnelle d’écrire, ce n’est pas rien ! Même si aujourd’hui on nous demande de faire le buzz avec du sensationnel… Là, on me propose d’écrire sur Goldman, donc je ne peux refuser. Je me donne une semaine pour réfléchir à un angle d’attaque, puis je me lance.
« La "génération Goldman" ? Bien sûr que j’en fais partie ! »
La « génération Goldman », bien sûr que j’en fais partie. J’avais 18 ans à l’époque de son premier album solo. J’étais animateur dans une radio libre et j’avais jeté mon dévolu sur la chanson Pas l’indifférence que je programmais souvent. Puis, j’ai fêté mes 20 ans sur Quand la musique est bonne !
Didier Varrod, grand spécialiste de la chanson française et fin connaisseur de Goldman, a signé la préface de l’ouvrage et y livre quelques témoignages éclairants. Comment la rencontre s’est-elle faite ? Et après quelles démarches, quel signal de la part de Jean-Jacques Goldman as-tu pu, avec l’éditeur, intégrer la mention « biographie autorisée » au document ?
préface et autorisations
Avec Didier, nous avons Sheila et Goldman en commun. Il avait témoigné en 2012 dans mon livre Sheila, star française. Puis, naturellement, j’ai pensé à lui quand j’ai abordé Goldman, puisqu’il est son premier biographe et le premier journaliste à avoir pressenti son importance auprès de la jeunesse. Outre ses connaissances sur l’artiste, Didier est un garçon vraiment adorable et j’ai eu plaisir à dialoguer avec lui. Sa préface est très belle…
« La réponse de Goldman, favorable et pleine d’humour,
m’est parvenue au bout de trois jours... Ça donne des ailes ! »
Comme je le fais systématiquement, pour chacune de mes biographies, j’ai adressé une lettre à Jean-Jacques Goldman afin de lui exposer mon projet et je suppose que ce que je lui ai écrit l’a touché. J’ai obtenu sa réponse, favorable et pleine d’humour, trois jours après. Ça donne des ailes.
Je m’attarde un peu, avant d’entrer dans le vif du sujet, sur l’aspect « conception » du livre ; j’en ai déjà chroniqué pas mal de toi, et tu en as écrit bien davantage : comment t’y es-tu pris pour mettre en forme, rédiger ce nouvel opus ? Y a-t-il, après une phase qu’on imagine longue de documentation (lectures, écoute et visionnage d’interviews, rencontre de témoins...), décision d’intégrer ou de ne pas intégrer tel témoignage ou élément, décision de suivre tel ou tel plan ? Ça s’est fait comment, sur ce livre, et est-ce que tu dirais que, publication après publication, ta technique se peaufine et l’exercice devient plus aisé ?
coulisses d’un ouvrage
« Je considère que les témoignages apportent un éclairage
supplémentaire, une fois qu’on a raconté l’essentiel. »
Je trouve donc un angle d’attaque, d’abord : je me souviens que je suis cévenol et que dans ma région on n’a pas oublié la générosité de Jean-Jacques Goldman. Je raconte sa venue à La Grand-Combe, en 1999, pour sauver une colonie de vacances de la faillite, puis l’année suivante pour le spectacle des Fous chantants d’Alès. Touché par l’hommage qui lui est rendu, il décide d’écrire une chanson qui s’appellera Ensemble et qu’il vient enregistrer l’année suivante avec les choristes… C’est cette idée de « vivre ensemble » qui a guidé mon travail. J’ai écrit sans perdre de vue cette valeur qui fait partie du personnage Goldman : c’est un fédérateur, un artiste et un homme de cœur. Je ne me suis censuré sur rien. La phase de documentation n’a pas été très différente par rapport à mes livres précédents. Je lis beaucoup d’interviews et « stabilobosse » les extraits qui me paraissent importants, je visionne la plupart des spectacles et documents vidéo… Ensuite, je classe tout de façon chronologique afin d’avoir toutes les données sous la main, classées, ordonnées. C’est une phase qui me plaît beaucoup et que je ne bâcle pas. Ça aide beaucoup d’être très discipliné… Pour ce qui est des témoignages (il y en a une bonne dizaine dans ce livre), j’attends d’avoir écrit ma partie avant de les recueillir, puis je les intègre à mon texte. Je ne fais pas l’inverse, comme beaucoup de biographes. Je considère que les témoignages apportent un éclairage supplémentaire, une fois qu’on a raconté l’essentiel.
Une des images fortes qui ressortent de ce portrait, de Goldman, c’est celle d’un homme qui, malgré son talent, malgré son charisme, choisit de ne jamais se mettre seul en avant, privilégiant très souvent, en bien des points de sa carrière, le collectif, l’esprit de troupe. Ce sera vrai à ses débuts, avec la chorale de l’église de Montrouge. Un peu plus tard, les Tai Thong. Fredericks Goldman Jones évidemment, par la suite. Puis, bien sûr, Les Enfoirés. D’où lui viennent cette envie de partager l’affiche, ce goût de l’« Ensemble » ? C’est une vraie humilité ? Une sécurité ? Un peu des deux ?
esprit de troupe
Les deux, oui. Goldman s’est toujours comporté comme un homme « normal », tourné vers les autres, un artiste animé par le besoin de partager. Et le fait d’être entouré était aussi rassurant pour lui, surtout sur scène parce que ce n’était pas le lieu où il se sentait le plus à l’aise.
Jean-Jacques Goldman est issu d’une famille ballottée par les vents glaciaux de l’Histoire. Et engagée, forcément. Son père Alter, né en Pologne, fut résistant en France durant l’Occupation. Il était communiste. Son demi-frère Pierre, un militant radical d’extrême gauche, assassiné en 1979. On parle beaucoup politique et grandes causes, chez les Goldman. Jean-Jacques lui, se sent des valeurs de gauche, mais il s’emporte moins facilement pour les pulsions révolutionnaires. Dans une interview que tu cites, il admet que lors de repas familiaux, il était le seul à ne pas savoir où était Cuba... Jean-Jacques, on peut dire que c’est un indépendant, qui a à cœur de tracer sa propre route, sans carcan idéologique, de se composer sa propre brochette d’indignations ? Est-ce qu’il a souffert de cette différenciation parfois (il est suggéré, dans le livre, que certaines des critiques assassines dont il a eu sa part dans la presse de gauche étaient aussi liées au fait qu’il « n’était pas » Pierre) ?
engagements de famille
S’il en a souffert, il ne l’a pas dit. Il a très peu parlé de son frère aîné, sauf dans quelques chansons si on sait écouter… J’ai adoré écrire toute la partie concernant sa famille, le parcours de ces gens, leur engagement, leurs valeurs. L’album « Rouge » leur rend un vibrant hommage.
Quelles sont, dans sa jeunesse et par la suite, les coups de cœur musicaux et d’écriture qui lui ont donné envie d’aller vers ce parcours, et qui l’ont inspiré ? On note, à la lecture du livre, que c’est en découvrant Léo Ferré sur scène qu’il se dit que oui, on peut écrire de la musique en français...
inspirations musicales
« C’est Michel Berger qui, au milieu des années 1970, le débar-
rasse de tout complexe à l’égard du chant français : il trouve
en lui le compromis idéal entre la variété française
et un style musical inspiré de la pop anglo-saxonne. »
Avant Léo Ferré, il y a eu Jean Ferrat qu’écoutaient ses parents. Et aussi les Chœurs de l’Armée rouge qu’il est allé applaudir avec eux et qu’il ira chercher plus tard pour l’accompagner sur l’album « Rouge ». Mais pendant son adolescence, son influence musicale était surtout anglo-saxonne, il écoutait Jimi Hendrix, Bob Dylan, Aretha Franklin, les Doobie Brothers, Chicago ou encore Elton John. Puis, Michel Berger au milieu des années 1970 le débarrasse de tout complexe à l’égard du chant français. C’est lui qui ouvre la voie : il trouve en lui le compromis idéal entre la variété française et un style musical inspiré de la pop anglo-saxonne.
Qu’est-ce qui, pour toi, caractérise l’artiste Goldman en tant qu’auteur-compositeur-interprète ? En quoi dirais-tu de son œuvre qu’elle évolue (mûrit ?) de manière évidente entre le premier et le dernier album solo ? En quoi lui a-t-il évolué ?
regard sur une œuvre
« Sa pensée a toujours été en éveil, attentive
à l’air du temps et à la marche du monde. »
C’est un artiste qui a toujours su allier le fond et la forme, les « chansons pour les pieds » et celles pour le cœur et l’esprit, les tubes dansants pour les discothèques et les textes qu’on écoute les soirs où on veille tard, afin d’y trouver une réponse à ses doutes. Son langage simple et percutant a répondu aux attentes de la jeunesse, qui s’y est reconnue. Il ne s’est jamais départi de cette ligne artistique, même si son public ensuite a grandi, vieilli. Ses textes aussi. Sa pensée a toujours été en éveil, attentive à l’air du temps et à la marche du monde. Il s’autorisait de penser autrement, de naviguer entre gris clair et gris foncé, parce que rien d’humain n’est jamais noir ou blanc.
Les chansons que tu préfères de lui, et pourquoi ?
J’aime surtout ses chansons qui me transpercent le cœur et ont la faculté de « changer la vie », comme Puisque tu pars, Né en 17 en Leidenstadt ou Ensemble. La force du texte et de la mélodie, tout est réuni…
Goldman, très lucide, se rappelle dans une interview les années où tout le monde ou presque méprisait ce qu’il écrivait ou composait, parce qu’il n’était pas connu. Il dit en substance : maintenant, on s’extasierait devant une chanson bâclée que j’écrirais, parce qu’elle est de moi, et on mépriserait un jeune plein d’envie et de talent parce qu’il n’est pas connu. Ça t’inspire quoi, ce sujet, qui je le sais te parle aussi, personnellement... ?
la galère du débutant
C’est toujours vrai. Il faut un certain pouvoir pour convaincre. On ne vit pas dans un pays où on donne une chance aux débutants de réussir. On doit se battre, fort et longtemps.
Parmi les grands interprètes de Goldman, évidemment, la plus grande de tous, c’est Céline Dion, dont tu dis qu’avant lui, elle avait une image un peu ringarde. Il en a fait une reine sur la scène francophone. Est-ce que grâce à lui, elle a changé de dimension ?
Céline Dion
Quand il lui écrit l’album « D’eux » (sur lequel figurent notamment Pour que tu m’aimes encore et J’irai où tu iras, ndlr), elle mène déjà une carrière internationale, mais ça ne marche pas tellement en France. Goldman lui écrit un répertoire solide, en exploitant toute la violence, toute la passion qu’elle peut exprimer dans ses sentiments. Et surtout, il lui indique comment moderniser son interprétation, en évitant de rouler les « r » et mouiller les « m », et en déchantant, c’est-à-dire en acceptant de ne pas être à tout moment dans la démonstration vocale et, de cette façon, en laissant passer les émotions. L’album triomphe dans le monde entier, y compris aux États-Unis où il est classé dans sa version originale, sous le titre « The French Album ». Grâce à Goldman, puis à la BO de Titanic, Céline devient une star planétaire.
Céline Dion et Jean-Jacques Goldman. DR.
Ce qui est le plus touchant, dans ton livre, ce sont ces anecdotes, ces témoignages que tu es allé grappiller de gens dont le parcours a un jour, de manière provoquée ou non, rencontré celui de Goldman. Ici il accepte généreusement de donner un coup de main pour une jolie cause, là il rappelle quelqu’un pour lui dire qu’il n’oublie pas les moments passés « ensemble ». On découvre aussi des traits de sa personnalité, qui le rendent encore plus humain : un artiste assez peu à l’aise avec la célébrité finalement, et aimant volontiers des moments de solitude complète. C’est quoi finalement, en résumé, cette image que tu t’es forgée de l’homme JJG ?
perception publique
Oui, c’est toujours cette idée de « vivre ensemble » qui m’a guidé, y compris dans le choix des témoins que j’ai interviewés. Ce sont les valeurs humaines de Jean-Jacques Goldman qui m’attachent à lui, c’est cet aspect-là de sa personnalité que j’ai voulu mettre en avant. Si le public persiste à le plébisciter dans les sondages plus de quinze après son retrait de la scène, ce n’est pas un hasard.
Si tu avais une question à lui poser ?
Dis quand reviendras-tu ? Dis, au moins le sais-tu ?...
Crois-tu, justement, qu’on le reverra un jour sur scène pour défendre ses chansons voire, soyons fous, de nouvelles chansons ?
reviendra-t-il un jour... ?
« La vie qu’il mène actuellement est celle qu’il avait envisagée
au départ : être dans l’ombre et écrire pour les autres. »
Je pense qu’il serait déjà revenu. Il avait prévu de le faire pour ses 60 ans, puis le temps a passé… Je crains qu’il ne soit trop tard pour la scène. Un disque, peut-être, mais en a-t-il envie ? En fait, la vie qu’il mène est celle qu’il avait envisagée au départ : être dans l’ombre et écrire pour les autres. Aujourd’hui, il peut le faire confortablement.
Je ne peux pas, évidemment, ne pas évoquer Johnny ici... Parce que Goldman lui a écrit quelques unes de ses plus belles chansons (dont L’envie et Je te promets...) Est-ce qu’ils venaient vraiment d’univers musicaux différents, ces deux-là ? Comment qualifier leur entente ?
avec Johnny
« L’instinct et la fragilité sous le roc apparent
de Johnny ont inspiré Goldman. »
L’instinct et la fragilité sous le roc apparent de Johnny ont inspiré Goldman. Humainement, ils ne se sont pas trop fréquentés, mais la musique les a rapprochés. L’album « Gang » est l’un des grands albums de Johnny, il contient non seulement des tubes énormes mais aussi des chansons intemporelles, comme Je te promets.
Johnny Hallyday et Jean-Jacques Goldman. Photo : SIPA.
Johnny, auxquels tu as consacré de nombreux livres, dont le dernier Johnny immortel, Johnny que tu qualifiais de « frère que tu n’avais pas eu », est parti il y a un peu plus de deux mois... C’est bête à demander, mais est-ce que tu t’y fais ?
la mort de Johnny
Non… D’autant que cette affaire d’héritage m’attriste encore plus…
Question musique, voix plutôt, sur Johnny : comment le jeune homme à la voix douce et charmante de L’idole des jeunes a-t-il pu interpréter, « gueulant » (au meilleur sens du terme) à vous coller les poils des titres comme Que je t’aime, Derrière l’amour, Diego ou Vivre pour le meilleur ? Est-ce que sa voix, sa technique ont mûri au fil des ans, ou bien aurait-il été capable de faire ça dès le départ, au début des années 60 ?
la voix de Johnny
Je ne crois pas qu’il ait beaucoup travaillé sa voix, mais sans doute a-t-il appris l’essentiel, à savoir respirer correctement et rééduquer son souffle. Puis, la maturité et l’exercice constant de son métier, de la scène ont fait le reste… Mais il chantait déjà très bien à ses débuts.
Johnny immortel, l’Archipel, 2017.
Quels sont, à ce stade, avec pas mal de livres à ton actif, les plus et les moins que tu attribuerais à cette expérience, à ton métier de biographe ?
le métier de biographe
Le plus : vivre de sa passion et s’intéresser à l’autre. Le moins : la mauvaise réputation des biographes auprès des artistes et la difficulté d’obtenir leur concours. On pourra développer une autre fois…
Tes projets et envies pour la suite ? Je sais qu’une nouvelle version de ta bio de Sardou va sortir bientôt... et sinon, de qui aurais-tu envie de tirer le portrait ?
Trouver un compromis pour aller vers des projets plus personnels…
Des coups de cœur musicaux récents que tu voudrais partager avec nous ?
Gauvain Sers, que je vais applaudir bientôt en tournée, et Juliette Armanet.
Photo : Emmanuelle Grimaud.
Photos utilisées dans cet article : DR.
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« À toi Johnny », par Frédéric Quinonero
La mort de Jean-Philippe Smet, plus connu sous le nom de Johnny Hallyday, hier dans la nuit (pourquoi a-t-il fallu que cela survienne un jour de Saint-Nicolas ?), a provoqué une onde de choc émotionnel à la mesure du personnage. Johnny, c’était presque 60 ans de carrière, 110 millions de disques vendus, un univers perpétuellement renouvelé et, surtout, une pêche, un enthousiasme, et une voix qui emportaient tout. On pouvait râler parce qu’on le voyait trop, mais franchement, que celui qui n’a jamais aimé ne serait-ce qu’une de ses chansons, que celui qui a eu la moindre occasion dans sa vie de le trouver antipathique jette la première pierre sur son cortège mortuaire. Johnny était respecté parce qu’il était un showman hors du commun, et il était aimé parce qu’il était aimable. La France de plusieurs générations ressent aujourd’hui un deuil sincère, sans doute comparable à celui que l’on ressentira, outre-Manche, au départ d’Elizabeth. Il était quelque chose comme un lien, un pont entre des gens parfois très différents. En ce sens, si Jean-Philippe vient de s’éteindre, Johnny, lui, son oeuvre, son sourire, son exemple, tout cela restera. Johnny immortel, c’est précisément le titre de la version définitive de la bio qui lui a été consacrée par Frédéric Quinonero et dont il vient, à grand peine, de boucler les chapitres finaux. J’ai eu une grosse pensée pour lui quand j’ai su pour Johnny, pour lui qui le qualifiait, lors d’une interview pour Paroles d’Actu il y a trois ans, de « grand frère qu’il n’avait jamais eu ». Frédéric a accepté d’évoquer Johnny dans un nouveau texte, nostalgique et touchant, je l’en remercie bien amicalement... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
Johnny Immortel, de Frédéric Quinonero (l’Archipel, décembre 2017).
« À toi, Johnny »
Par Frédéric Quinonero, le 7 décembre 2017.
Quelques fragments de vie avec toi, mon Johnny...
Ton apparition dans le poste en noir et blanc, dans Que je t’aime à la fin des années 60 et un petit garçon de six ans qui tombe sous le charme.
Le même petit garçon qui veut chanter ta chanson dans un radio-crochet sur la place d’Anduze, sa ville d’enfance, et l’organisateur qui ne sait comment lui expliquer d’en choisir une autre, que celle-là n’est pas pour son âge ; plus tard, mes parents qui m’expliquent avec un peu de gêne que « quand tu ne te sens plus chatte et que tu deviens chienne » ou « mon corps sur ton corps lourd comme un cheval mort », ce genre de phrases pose problème dans ma bouche et devant mon air hébété : « Tu comprendras plus tard »...
L’ « album au bandeau » au pied du sapin le matin de Noël et le verre de liqueur sur la table, bu par le Père Noël ; et moi surpris que le Père Noël te connaisse, toi, Johnny Hallyday.
Mon premier show de toi dans les arènes de Nîmes et moi hypnotisé, comme devant une apparition miraculeuse, tandis que des jeunes filles tombées dans les pommes sont évacuées sur des brancards ; puis, dans la voiture, l’air ahuri de mes parents quand je leur dis que je veux faire « Johnny Hallyday » comme métier.
Puis, mon dernier show des années plus tard, au même endroit, sans savoir qu’il serait le dernier.
Un communiant de onze ans entonnant dans son aube blanche ton dernier tube, Prends ma vie, à la fin du repas familial et les premières phrases : « Je n’ai jamais mis les pieds dans une église, je ne sais pas prier », entre autres, qui choquent l’assistance, en particulier une cousine très pieuse qui ne s’en est jamais remise.
L’affiche géante de la tournée Johnny Hallyday Story – toi vêtu de jean, posant allongé sur fond rouge - longtemps punaisée au mur de ma chambre d’adolescent, place Émile-Combes à Montpellier ; puis, longtemps après, celle du Stade de France 1998 au-dessus de mon bureau dans l’appartement de Saint-Maur.
Mon copain Bruno et moi sur ma Mobylette orange partant t’applaudir aux arènes de Palavas et t’attendre le lendemain devant ton bungalow au Reganeous ; te voir sortir, boitillant – tu étais tombé dans la fosse la veille -, avec Sylvie préoccupée par l’état de ta jambe et ne se souciant pas de son petit chien venu vagabonder vers nous et devenu prétexte idéal pour vous approcher l’un et l’autre.
Mon premier spectacle parisien de toi, au Zénith, et tous les autres qui vont suivre...
Ton entrée chez Graziano où je travaille pour payer les cours de théâtre ; tous ces gens qui s’arrêtent de dîner, les couverts levés ; puis moi tremblant comme une feuille en servant le champagne à ta table et toi le remarquant qui m’adresses un sourire à faire fondre la banquise.
Ta voix dans le téléphone – « Bonjour c’est Johnny » - lorsque tu appelles pour réserver et moi, qui manque de tomber du tabouret où je m’étais assis.
Ta première interprétation de Diego en 1990 à Bercy et l’émotion qui nous a cueillis, mon amie Muxou et moi.
Tes messages à distance qui mettaient du baume au coeur au petit garçon devenu ton biographe.
Des souvenirs, souvenirs en pagaille…
Et maintenant, mon Jojo, à quoi ça va ressembler la vie sans toi ?
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