19 mai 2023

François-Henri Désérable : « En Iran, la République islamique est déjà morte... »

À l’heure où j’écris cette intro, j’apprends que trois hommes viennent ce jour d’être exécutés en Iran. Trois de plus. Le pouvoir les accusait d’avoir causé la mort de membres des forces de l’ordre, dans le cadre de ces manifestations qui, dans le pays, se succèdent depuis neuf mois, depuis la mort de Mahsa Amini. Mahsa Amini, cette jeune Kurde iranienne décédée peu après son arrestation par la police des mœurs en septembre dernier, une affaire de code vestimentaire pas respecté, et on sait que ces gens-là ne rigolent pas là-dessus - pas sûr qu’ils rigolent sur grand chose d’ailleurs. Depuis lors, ce sont de larges franges du pays, les femmes éprises de liberté en tête, qui crient leur rage face à un régime des mollahs qui se raidit toujours plus, et qui par ailleurs se montre de plus en plus incapable d’assurer un semblant de prospérité matérielle à ses citoyens, ou bien à ses prisonniers on ne sait plus trop.

François-Henri Désérable, écrivain remarqué et salué depuis dix ans, a parcouru l’Iran à la fin 2022, au plus fort, donc, de la contestation. Il en a tiré un récit précieux, qui vaut aussi témoignage, pour lui mais surtout pour celles et ceux qu’il a rencontré.e.s, et qui se sont confié.e.s à lui. L’Usure du monde - Une traversée de l’Iran (Gallimard, mai 2023), c’est un ouvrage qui nous fait penser, comme lui le pense, que le régime actuellement en place à Téhéran, un pouvoir sur la défensive comme jamais, est en train de cramer vitesse grand V le peu de légitimité que la population pouvait encore lui accorder. Ce que ce livre met en lumière surtout, c’est l’extraordinaire vitalité d’un peuple qui compte parmi les plus fins et lettrés au monde. Je me suis permis d’en donner une illustration en reproduisant ici la page 73, émouvante, lisez vous-même, Désérable raconte ça tellement mieux que moi... Quand on considère ce peuple, son intellect, son courage aussi, et quand on songe en même temps à l’obscure captivité dans laquelle ses leaders, le rahbar Khamenei en tête, entendent le tenir, on se dit que cet attelage-là ne tiendra plus longtemps. On l’espère...

Je remercie François-Henri Désérable pour l’interview qu’il m’a accordée, et pour sa fidélité. Quant à son livre, qui est aussi un formidable récit de voyage, il faut le lire et le faire lire, s’en imprégner et partager, c’est peut-être, à notre niveau, la meilleure manière de rendre hommage à Mahsa Amini, à ses sœurs et à ses frères de combat, et tout ça mis bout à bout pourrait bien contribuer à faire bouger les lignes. Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

Extrait du livre

 

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

François-Henri Désérable : « En Iran,

la République islamique est déjà morte... »

L'Usure d'un monde

L’Usure dun monde - Une traversée de l’Iran (Gallimard, mai 2023).

 

François-Henri Désérable bonjour et merci de m’accorder cette nouvelle interview pour L’Usure du monde (Gallimard), qui fait écho à L’Usage du monde, récit de voyage de 1963 signé par l’écrivain suisse Nicolas Bouvier et illustré par son compère Thierry Vernet. Eux avaient traversé (entre autres pays) l’Iran, celui du Shah à l’époque, tout comme toi fin 2022, dans un contexte très particulier, celui des manifestations et des répressions suivant la mort de celle dont il faut écrire le nom encore et encore, Mahsa Amini. J’ai envie de m’arrêter sur les titres, qui sont très parlant. Parler de l’"usure" du monde, c’est quoi, la marque d’un pessimisme ? Ou au contraire, d’un besoin de ne pas rester dans la contemplation, même si tu as comme eux décrit nombre de merveilles, et de secouer tout ça ?

Ce monde auquel mon titre fait référence, c’est celui de la République islamique, un régime liberticide et thanatocratique (régnant par la mort et par la peur des mises à mort), qui réprime dans le sang les aspirations de son peuple. Et si je parle d’usure, c’est parce que, en réalité, ce régime est déjà mort  : il est comme un arbre qui se décompose sur pied, et chaque voix qui s’élève, chaque slogan, chaque manifestation est un petit coup de hache porté à ce bois mort. Reste à savoir combien de temps il faudra pour l’abattre, pour lui porter le coup fatal.

 

Pour cet ouvrage, tu n’es plus romancier mais un témoin qui donne la parole à d’autres  : comme tu me l’as dit toi-même, tu te vois comme le "greffier" d’un livre que "les Iraniens ont écrit". À partir du moment où tous ces gens t’ont donné leur confiance, leur amitié aussi (je laisse aux lecteurs le plaisir de les rencontrer un à un), t’es-tu senti investi d’une forme de responsabilité particulière ?

La seule responsabilité qui m’incombait était de dire les choses telles que je les avais vues, même si je ne le fais jamais qu’à travers une sensibilité qui m’est propre. C’est d’ailleurs la difficulté du récit de voyage  : dépourvu d’intrigue (au contraire de la fiction), il repose entièrement sur une façon de dire les choses, c’est-à-dire la transcription d’une façon de les voir, qui dépend elle-même d’une manière d’être au monde.

 

Ce livre a valeur de témoignage on l’a dit, et je suis persuadé qu’il mérite d’être lu au-delà des frontières de la Francophonie. Des traductions sont-elles prévues, en anglais, peut-être en farsi ? Et j’imagine que pour l’heure, tu ne pourras pas vraiment envoyer ce texte à ceux que tu racontes, pour ne pas les mettre en danger...

Ce texte sera sûrement traduit dans d’autres langues (j’ai la chance d’avoir des éditeurs étrangers qui me sont plutôt fidèles), mais en anglais, je n’en sais rien (je n’ai jamais été traduit en anglais), et j’espère le voir traduit en persan (alors il pourrait être diffusé en Iran de manière clandestine, sous le manteau, comme autrefois les samizdats (en URSS et dans l’ancien bloc de l’Est, ndlr) ou comme aujourd’hui en Russie Le Mage du Kremlin de mon ami Giuliano Da Empoli). 

 

Ce qui est plaisant aussi dans ton livre, c’est la mesure dont tu fais preuve, sans caricature : je songe à Yassin, une de tes rencontres, un type serviable et ouvert et en même temps, un soutien sincère du régime. Voir la vérité, vouloir la regarder en face, ça suppose aussi d’assumer tout ce qu’elle a de complexe ?

Dire que les serviteurs zélés de la République islamique sont tous des fanatiques sanguinaires qui jouent aux billes avec les yeux des dissidents politiques, ça serait peut-être plus simple, mais ça serait surtout faux. Il y a parmi eux d’excellents pères de famille, bons époux, bons citoyens, braves types qui ne feraient pas de mal à une mouche – même aux mouches iraniennes (Bouvier dans L’Usage du monde consacre un merveilleux passage à sa haine des mouches. Attends, je vais le retrouver. Le voici  : «  J’aurai longtemps vécu sans savoir grand-chose de la haine. Aujourd’hui j’ai la haine des mouches. Y penser seulement me met les larmes aux yeux. Une vie entièrement consacrée à leur nuire m’apparaîtrait comme un très beau destin. Aux mouches d’Asie s’entend, car, qui n’a pas quitté l’Europe n’a pas voix au chapitre. La mouche d’Europe s’en tient aux vitres, au sirop, à l’ombre des corridors. Parfois même elle s’égare sur une fleur. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, exorcisée, autant dire innocente. Celle d’Asie, gâtée par l’abondance de ce qui meurt et l’abandon de ce qui vit, est d’une impudence sinistre. Endurante, acharnée, escarbille d’un affreux matériau, elle se lève matines et le monde est à elle. Le jour venu, plus de sommeil possible. Au moindre instant de repos, elle vous prend pour un cheval crevé, elle attaque ses morceaux favoris : commissures des lèvres, conjonctives, tympan. Vous trouve-t-elle endormi ? elle s’aventure, s’affole et va finir par exploser d’une manière bien à elle dans les muqueuses les plus sensibles des naseaux, vous jetant sur vos pieds au bord de la nausée.  »)

Mais revenons-en à ta question. Assumer la vérité dans tout ce qu’elle a de complexe, dis-tu. Oui, c’est exactement ça. J’aime beaucoup la définition que donne Faulkner de la littérature  : «  Écrire, dit-il, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre.  » Eh bien, c’est pareil avec le voyage  : on ne voyage pas pour se rincer l’œil de nouveaux paysages, non, on voyage pour en revenir avec des yeux différents, un regard plus aiguisé, accoutumé à l’ombre – à l’épaisseur de l’ombre, c’est-à-dire au réel dans toute sa complexité. Autrement, on ne fait pas un voyage : on fait du tourisme.

 

Un tête-à-tête avec Khamenei, une question à lui poser les yeux dans les yeux, à supposer que ce soit possible, ça donnerait quoi ?
 
Ça donnerait deux personnes qui non seulement ne parlent pas la même langue (pour ça, me diras-tu, il y a des interprètes), mais qui ne parlent pas non plus le même langage. Moi, je dirais qu’il parle celui du fondamentalisme, du fanatisme, du dogmatisme  ; lui, que je parle celui de l’impérialisme, de l’impiété, du sacrilège. Et lui comme moi, nous serions chacun intimement convaincus d’avoir raison. Bref, nous n’aurions pas grand-chose à nous dire. Mais si je pouvais lui poser une question, une seule, je le ferais peut-être sous la forme d’un dessin : je le dessinerais avec sa barbe et son turban, sauf que le turban serait fait de cordes – celles auxquelles lui et ses affidés font pendre les dissidents iraniens. Et je lui dirais : «  Moi, ce qui m’offense, tu vois, ce sont les cordes autour du cou des Iraniens, et toi, c’est le dessin. Comment le dessin peut t’offenser davantage que les cordes ?  » Et puis je serais arrêté sur-le-champ, et je prendrais Me Camille Gilletta de Saint Joseph et Me Richard Malka comme avocats.

 

Manifestations Iran

Une manifestation en Iran. Source : Gerry Images/AFP.

 

Tu as déjà un peu évoqué ce point mais, au vu de ce que tu as pu palper, sentir de l’opposition apparemment massive du peuple iranien envers le régime, et tenant compte de tes connaissances historiques, penses-tu que la République islamique pourra se maintenir cinq années de plus ?

Les révolutions ne se font pas en un jour. Il aura fallu un an entre les premières manifestations à Qom en janvier 1978 et le départ du Shah en janvier 1979. Ce mouvement de contestations initié à la suite de la mort de Mahsa Amini n’a que quelques mois. La défiance du peuple iranien à l’égard du régime est immense: à terme, la République islamique est condamnée. Mais je ne veux pas me risquer à faire des prédictions. Les Iraniens eux-mêmes ne s’y risquent pas. La plupart de ceux que j’ai rencontrés sont des pessimistes enthousiastes: la chute prochaine du régime, ils ont du mal à y croire ; mais pas un jour ne passe sans qu’ils l’appellent de leurs vœux.

 

Quelles leçons retenir de ce courage plus fort que la peur dont font montre au quotidien bon nombre d’Iraniens, et davantage encore au vu de ce qu’elles risquent, d’Iraniennes ? Qu’a-t-on à apprendre d’eux, dans nos pays libres où peut-être, on tient un peu trop la liberté comme acquise ?

Il y a assez peu de chances que nos démocraties s’effondrent d’un seul coup, comme un château de cartes, pour reprendre une image éculée. Il y a des pays où un coup d’état militaire, où une guerre civile, où le charisme d’un général galonné peuvent balayer la démocratie – la liberté – en l’espace de quelques jours. Nous, en Europe, nous semblons plutôt à l’abri. Mais nos démocraties peuvent s’affaiblir, on peut rogner nos libertés par petites touches juxtaposées  : c’est la technique du pointillisme. Le plus souvent on ne s’en aperçoit pas tout de suite, parce qu’on a le nez sur le tableau, c’est-à-dire dans l’actualité immédiate. Alors on prend du recul, on fait trois pas en arrière, on a une vue du tableau dans son ensemble, et on s’aperçoit combien nos libertés se sont restreintes. À nous, citoyens, d’être en état de veille permanent, diligents, vigilants, intransigeants quand il s’agit de les préserver.

 

On part là sur une question qui peut-être nous dépasse un peu, mais je te la pose quand même : comment peut-on les aider à faire bouger les choses chez eux, nos États et nous autres simples citoyens ? On sait que les embargos font d’abord souffrir les peuples ; les classes dirigeantes elles, largement corrompues, non seulement s’en accommodent, mais elles se servent de cette idée de menace extérieure pour affermir leur emprise sur la société. Alors quoi, ce qu’il faut faire surtout, c’est parler d’eux, de ceux qui luttent ? 

Écrire, parler, on n’a que ça. Ça n’est peut-être pas grand-chose, ça n’est pas rien pour autant. J’espère que mon récit y contribue.

 

Des représentants de la République islamique ont-ils chercher à se renseigner sur toi, peut-être à t’intimider après ton départ du pays ? Quelque chose peut-être depuis la sortie du livre ?

Soixante-dix journalistes ont été arrêtés en Iran depuis la mort de Mahsa Amini, vingt-cinq sont toujours derrière les barreaux, et Reporters sans frontières, dans son classement annuel sur la liberté de la presse, a placé l’Iran à la 177è place (sur 180), juste devant la Corée du Nord, la Chine et le Vietnam. Les Gardiens de la Révolution ne sont pas très enthousiastes à l’idée qu’on vienne fouiller leurs poubelles. Moi, ils m’ont pris pour un simple touriste, ils n’ont pas cherché à m’intimider  : ils m’ont seulement fait comprendre que mon séjour était terminé. Et depuis la sortie du livre, non, rien – si ce n’est que je ne peux plus mettre les pieds en Iran.

 

Qu’est-ce que ce périple t’aura appris sur toi ? Et en quoi en es-tu revenu changé pour de bon ?

Est-ce qu’on revient vraiment changé pour de bon d’un voyage ? Tu sais, je garde toujours à l’esprit la dernière page de L’Usage du monde. Bouvier est seul, ça fait déjà un an et demi qu’il est sur la route, il est en Afghanistan qu’il s’apprête à quitter pour l’Inde. Il fume un narghileh en regardant la montagne  : «  L’étendue de la montagne, le ciel clair de décembre, la tiédeur de midi, le grésillement du narghileh… Ce jour-là, j’ai bien cru tenir quelque chose et que ma vie s’en trouverait changée. Mais rien de cette nature n’est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.  » Voilà, c’est exactement ça  : l’Iran, pendant un temps, m’a prêté ses couleurs.  Et ce vide qu’on porte en soi, on le comble en écrivant.

 

FH Désérable en Iran

François-Henri Désérable en Iran, dans le désert de Lout.

 

Après l’Iran, tu aurais envie, à côté de ton activité de romancier, de poursuivre un peu dans cette veine de l’écrivain-témoin, partir explorer l’Afghanistan des Talibans ou bien la Corée du Nord de Kim Jong-un ? Ce serait tout sauf simple évidemment, mais quelque part l’idée te titille ?

Le Pakistan. J’ai envie de voyager au Pakistan, et pour longtemps. L’Afghanistan, oui, bien sûr, c’est sur la liste. La Corée du Nord aussi. Et remonter l’Afrique en Jeep du Cap au Caire  : un vieux rêve.

 

Philippe Sollers vient de nous quitter à l’âge de 86 ans. Tu m’as confié que ta première visite de Venise s’était faite avec, sous le bras, le Dictionnaire amoureux qu’il avait consacré à la Sérénissime. De Nicolas Bouvier - avec Thierry Vernet - jusqu’à Sollers donc, dirais-tu qu’en ce qui te concerne au moins, si "les voyages forment la jeunesse", les lectures font les envies de voyages ? Quels autres livres ont été de ce point de vue les plus inspirants pour toi ?

Un mot sur Sollers. J’ai rencontré Sollers il y a dix ans – j’en avais vingt-cinq –, à la parution de Tu montreras ma tête au peuple. Il l’avait lu, et il m’avait reçu dans son bureau chez Gallimard. Sollers tel qu’on l’imagine  : les bagues, le fume-cigarette, la curiosité, l’érudition, la malice, le rire en cascade. Nous avions parlé de Bernadotte, le maréchal d’Empire devenu roi de Suède, et qui dans sa jeunesse s’était fait tatouer «  Mort aux rois  ». Écrivez quelque chose là-dessus, m’avait dit Sollers, faites-en un roman dans L’Infini. Je n’en ai pas fait de roman, j’ai préféré écrire sur Évariste Galois, mais par la suite, Sollers a accueilli deux de mes textes dans sa revue  : l’un sur un voyage à Beyrouth, l’autre sur un voyage à Vilnius («  Pour saluer un certain M. Piekielny  », qui, pour le coup, devait donner plus tard un roman). Quand on se voyait, c’était toujours chez Gallimard, toujours dans son bureau. Michon a dit récemment qu’il était «  le dernier écrivain du XIXè siècle  ». Eh bien Sollers était le dernier écrivain du XVIIIè  : il n’était pas le contemporain de Houellebecq, non, il était celui de Casanova. Celui de l’amour et du plaisir.

J’ai lu beaucoup de choses sur Sollers depuis sa mort  : «  l’anarchiste bourgeois  » (la formule est de Yannick Haenel, et elle est très juste), le «  virtuose du troisième degré  » (de Lambron, très juste aussi), etc. Mais il y a un point sur lequel les nécrologies n’ont pas assez insisté  : son amour dévorant pour Venise. La première fois que je suis allé à Venise, c’était avec son Dictionnaire amoureux sous le bras. La découverte de Venise a été le plus grand choc esthétique de ma vie. Ce fut aussi le cas pour Sollers. Quand il arrive place Saint-Marc à l’automne 1963, son sac lui tombe de la main droite, tant il est «  pétrifié et pris  »  : «  Je sais, d’emblée, que je vais passer ma vie à tenter de coïncider avec cet espace ouvert, là, devant moi  ». Quand on se voyait, on ne parlait que de Venise. Il n’y allait plus depuis la mort de Dominique Rolin. Un jour, mon téléphone sonne, je décroche et j’entends  : «  Désérable  ? J’ai appris que vous alliez à Venise. Ce qui me ferait plaisir, vraiment plaisir, c’est que vous allumiez deux cierges à la Basilique Santa Maria della Salute pour elle et moi.  » Dans l’un de ces derniers livres, où il parle de Venise, il m’avait laissé cette dédicace  : «  Eh bien, la magie continue  ». Elle continuera encore  : chaque fois que sur les Zattere je passerai devant la Calcina, où il avait ses habitudes, je penserai à lui.

 

 

Bel hommage...

Est-ce que les lectures font les envies de voyage  ? Oui, mille fois oui. Parmi les récits de voyage qui ont compté pour moi, il y a évidemment ceux de Bouvier, il y a ceux du Polonais Kapuściński (ah, Ébène  !), il y a L’Odeur de l’Inde de Pasolini, Tristes tropiques de Lévi-Strauss (on l’oublie trop souvent, mais c’est un récit de voyage), Autoportrait (à l’étranger) de Jean-Philippe Toussaint, Paysage avec palmiers de Bernard Wallet, Voyage à motocyclette de Che Guevara (il y a quelques années, j’ai refait exactement le même voyage à travers l’Amérique du sud, et j’en ai tiré un récit qui sera peut-être un jour publié), ou encore La Trêve, de Primo Levi, que j’ai lu récemment et qui m’a scié en deux tellement c’est beau.

 

J’espère que ce projet de récit sud-américain se fera ! Il y a dix ans presque jour pour jour paraissait Tu montreras ma tête au peuple, déjà chez Gallimard. Quel bilan tires-tu de ces dix premières années en tant qu’écrivain professionnel, si d’ailleurs tu te définis ainsi  ? Où sont à cet égard tes enthousiasmes, tes découragements aussi ?

J’ai appris à faire le distinguo entre la littérature et le milieu littéraire. Avec le milieu littéraire, je sais à quoi m’en tenir, j’ai fait mienne la phrase de Cioran  : «  Et avec quelle quantité d’illusions ai-je dû naître pour pouvoir en perdre une chaque jour  ?  » Mais il y a la littérature. Et par la littérature il y a des admirations parfois réciproques, des amitiés qui se forgent et qui perdurent – Clément Bénech, Maria Pourchet, Miguel Bonnefoy, Guillaume Sire, Lilia Hassaine, Mohammed Mbougar Sarr, pour citer quelques noms.

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

Un roman dont j’ai eu l’idée il y a tout juste trois ans, et qui m’a demandé de longues, très longues recherches. C’est une histoire qui se passe entre Delhi, la Bourgogne et New York.

 

Un dernier mot ?

Trois derniers mots, et en persan  :

Zan, Zendegi, Azadi (Femmes, vie, liberté, ndlr).

 

François-Henri Désérable

Crédit photo : Claire Désérable.

 

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13 novembre 2021

François-Henri Désérable : « Ce roman m'a permis de faire passer mes poèmes en contrebande »

Mon premier article avec François-Henri Désérable date de juillet 2013 : je l’avais contacté immédiatement après l’avoir découvert dans On n’est pas couché, il présentait alors sa première oeuvre, Tu montreras ma tête au peuple (Gallimard), remarquable recueil de nouvelles ayant pour cadre la Révolution, époque Terreur. L’échange fut tout de suite agréable, on réalisa l’interview dans la foulée. Et j’ai plaisir, depuis huit ans, à suivre dans mon coin, le parcours de cet auteur dont le talent est de plus en plus reconnu. En 2013, il fut pour l’ouvrage cité plus haut lauréat du prix Amic de l’Académie française. En cette année 2021, il vient de recevoir le Grand Prix du Roman de cette même Académie française, ce qui on peut en convenir, n’est quand même pas mal !

Dans Mon maître et mon vainqueur (Gallimard), il aborde avec beaucoup de sensibilité, et de bonnes doses d’un humour qui le caractérise (aussi), la passion et ces raisons du cœur qui parfois, s’opposent frontalement à la raison elle-même. Je le remercie chaleureusement d’avoir accepté de m’accorder cette interview, et pour les confidences qu’il a bien voulu me faire. Je ne peux que vous recommander, comme tant d’autres l’ont fait avant moi, de vous emparer de ce roman qui vous touchera, et des autres ouvrages signés François-Henri Désérable ! Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

François-Henri Désérable : « Ce roman

ma permis de faire passer mes poèmes en contrebande »

Mon maître et mon vainqueur

Mon maître et mon vainqueur (Gallimard, août 2021). Crédit photo : éditeur.

 

Tina est comédienne, elle est belle, désirable, aimée de deux hommes, son officiel, Edgar, père de ses enfants, et Vasco, son amant qui prend de plus en plus de place dans son cœur et dans sa vie. Et de manières différentes, les trois vont morfler...

François-Henri Désérable bonjour, et merci d’avoir accepté de m’accorder cette nouvelle interview. Ma première question, celle qui vient immédiatement à l’esprit quand on referme Mon maître et mon vainqueur (Gallimard), celle à laquelle, sans doute, tu ne répondras pas : dans quelle mesure le narrateur du récit, qui a des liens forts avec Venise, est-il toi, et dans quelle mesure mets-tu de ton vécu dans ce que lui vit et raconte ?

On sait très peu de choses du narrateur, il se livre assez peu, sauf sur son mariage à Venise – et ce mariage, c’est le mien. Je me suis marié à une fille formidable, et puis les circonstances de la vie ont fait que ce mariage n’a pas tenu. Ce narrateur, c’est bien moi. Mais il y a de moi dans chacun de mes personnages  : l’amour de Tina pour Verlaine et Rimbaud, c’est le mien  ; la mélancolie de Vasco qui va jusqu’à vouloir se tuer par amour pour Tina, c’est la mienne  ; et souvent, quand je me moque d’Edgar, le futur mari de Tina, c’est en réalité moi-même que je raille à travers lui. Ces personnages, je les aime jusque dans leur travers, et si j’ai pour eux de la compassion, c’est sans doute par complaisance envers moi-même.

 

Tient-on là ton roman le plus personnel ? Peut-être celui qui aura été le plus compliqué à écrire ?

Le plus personnel, c’est certain. Du moins pour ce qui touche aux poèmes, la plupart écrits parce que je me trouvais dans l’impossibilité d’écrire quoi que ce soit d’autre, à la fin d’un amour dont c’est peu dire qu’il fut passionnel. Mon intention était d’ailleurs de publier un recueil de poèmes… Mais si écrire de la poésie, c’est se mettre à nu, écrire des poèmes d’amour, c’est carrément sortir à poil dans la rue. Alors j’ai pris quelques-uns de ces poèmes, et je les ai enrobés de fiction – meilleur moyen de faire passer de la poésie en contrebande. Ce roman n’aura pas été le plus compliqué à écrire (le plus compliqué reste Un certain M. Piekielny, où j’ai connu de vraies périodes de découragement), mais il est celui pour lequel j’ai le plus ressenti l’impérieuse nécessité à écrire, sans laquelle on ne devrait jamais se lancer.

 

Un certain M

 

Sans surprise, la littérature est très présente dans le roman : le juge avec lequel se trouve le narrateur essaie de déchiffrer les haïkus de Vasco, qui bosse à la BnF, Tina aime lire et déclamer de la poésie, le tout sous le haut-patronage de Verlaine, de Rimbaud et de Voltaire qui, au vu des circonstances, s’en seraient peut-être bien passés. "La littérature, c’est la vie", comme aurait pu dire, peut-être, Jeanne Moreau ?

C’est la mienne en tout cas. J’ai pris conscience assez tôt que c’était là ma terre d’élection, mon terrain de jeu. Lire, écrire… Voilà comment depuis mes dix-huit ans j’emplis le cours de mon existence. Ça ne veut pas dire que je me retranche de la vie pour vivre pleinement dans les livres, non, ça veut dire que tout ce que je vis, tout ce que j’éprouve n’a qu’une seule vocation  : nourrir mon imaginaire et, in fine, mes livres.

 

À un moment de ton histoire, un des protagonistes entreprend de dérober, aidé du narrateur, une relique de philosophe, je n’en dis pas plus, pour épater celle qu’il aime. Quel serait-il, le Graal sur lequel toi, tu aimerais poser la main (et bim dans le sac) pour l’offrir à ta Tina à toi ?

Ma Tina à moi a dérobé pour me l’offrir – et c’est peut-être le plus beau cadeau que j’ai jamais reçu – un billet d’amour écrit par un grand écrivain suisse né en Céphalonie (je n’en dis pas plus, je ne voudrais pas lui causer de tort). Pour me montrer à la hauteur, il faudrait peut-être que je songe à dérober une relique de Prévert (son béret ?), pour qui elle a beaucoup d’admiration.

 

Si toi, tu devais commettre un crime passionnel, quelle serait ton arme ? On pense à la crosse de hockey, mais ce serait trop évident non ? ;-) Surtout, forcément, si tu l’écris dans cette interview...

Un Lefaucheux à six coups de calibre sept millimètres – le même que celui avec lequel Verlaine a tiré sur Rimbaud en 1873 à Bruxelles.

 

Je ressors, rien que pour toi, ma vieille machine à remonter le temps, celle avec laquelle, déjà en 2013, tu avais choisi de voyager dans le Paris du 14 juillet 1789. Là, tu as le droit d’aller où et quand tu veux, et même d’aller rencontrer un écrivain, ou quelqu’un, n’importe qui, et de poser à cette personne une question, ou de lui donner un conseil. Quel sera ton choix ?

J’irais voir Romain Gary le matin du 2 décembre 1980, et je lui dirais quel immense écrivain il est. Alors, peut-être…

 

Si tu avais dû, pu vivre dans une autre époque que la nôtre, plutôt le XIXe ?

Ma réponse varie en fonction de mes obsessions du moment. Là, je dirais à Montmartre, au début du XXè siècle… Traîner au Bateau-Lavoir, boire des coups avec Apollinaire et Picasso, être contemporain de la naissance de l’art moderne…

 

Dans Mon maître et mon vainqueur, au cours de tes multiples digressions, et non sans humour (les unes et l’autre n’abîmant pas ton charme), il y a une pointe d’ironie sur le fait que, finalement, être publié dans d’autres pays, traduit dans d’autres langues contribue aussi à accroître, par millions, le nombre de lecteurs qui ne liront pas un livre. Cette lecture cynique, c’est aussi un peu la tienne ou non ça va, tu es plutôt content à ce niveau-là ?

Je suis très heureux d’être traduit, vraiment. Mais c’est comme avec les chiffres de vente ou les prix littéraires  : on ne peut pas en tirer une quelconque vanité. Le succès d’un livre n’est pas gage de sa qualité. Il y a d’excellents romans qui se vendent à moins de cinq cents exemplaires, et d’autres, totalement ineptes, qui s’écoulent à des millions d’exemplaires et sont traduits dans le monde entier.

 

Et le Grand Prix du Roman de l’Académie française, que tu viens de recevoir pour Mon maître et mon vainqueur, comment le prends-tu ?

Cela m’a fait évidemment très plaisir, et pour plusieurs raisons. D’abord, des lecteurs qui n’auraient jamais lu mon livre vont le découvrir grâce au bandeau rouge qui le ceint désormais. Ensuite, si le palmarès du Grand prix du roman est loin d’être irréprochable (mais y a-t-il seulement un palmarès qui le soit  ?), y figurent plusieurs écrivains que j’admire – je songe entre autres à Modiano, à Littell, à Michon… Et puis j’ai commencé à écrire à dix-huit ans après avoir lu Belle du Seigneur, qui est un monument, qui est sans doute le grand roman de la passion amoureuse, et qui fut couronné du même prix en 1968. Alors me retrouver près d’un demi-siècle plus tard sous la Coupole, avec la même distinction pour un roman qui traite du même sujet, comment dire… c’est à la fois terriblement émouvant et follement intimidant.

 

Belle du Seigneur

 

Comment as-tu vécu, personnellement, cette crise du Covid qui quand même, nous embête bien depuis un an et demi ? A-t-elle fait bourgeonner en toi des remises en question ?

Les débuts du Covid, le premier confinement, etc… Il y avait un effet de sidération planétaire. Il fallait prendre des mesures fortes pour endiguer l’épidémie, rien à dire là-dessus. Mais je suis fasciné par la docilité avec laquelle la plupart des gens se sont par la suite accommodés des restrictions les plus drastiques à leurs libertés les plus élémentaires. Qu’on nous oblige encore à porter le masque quand on est vacciné me semble une absurdité. Et néanmoins nous y consentons sans trop protester  : nous sommes tous plus ou moins les valets serviles d’une idéologie liberticide qui sous prétexte de prolonger la vie en diminue l’intensité.

 

Quelle serait ta technique pour attirer un jeune ado, qui en serait éloigné, vers la littérature ?

Lui mettre entre les mains des romans dont la lecture m’a enchanté quand j’avais son âge : La Promesse de l’aube, La Vie devant soi, Le Parfum, Le Comte de Monte-Cristo, Le Crime de l’Orient-Express

 

La promesse de l'aube

 

Tes conseils pour quelqu’un, jeune ou moins jeune d’ailleurs, qui aurait envie, peut-être après t’avoir lu, d’écrire à son tour, et pourquoi pas, soyons fous, de chercher à être publié ?

Sommerset Maughan avait une formule que je pourrais faire mienne  : «  Il y a trois règles à suivre impérativement pour écrire un roman… Malheureusement, personne ne les connaît  ». Mais je dirais lire, lire beaucoup, tout le temps, pas seulement des classiques, mais aussi de la littérature contemporaine… Quant à être publié, il suffit d’envoyer son manuscrit par la Poste. Je ne crois pas au bon manuscrit qui passerait totalement entre les mailles du filet.

 

Tes coups de cœur littérature récents ?
 
Je pourrais en citer plusieurs, je vais en citer quatre  : le remarquable, l’incandescent Feu de mon amie Maria Pourchet (voilà plusieurs années que je ne cesse de répéter qu’il faut lire Maria Pourchet – notamment Champion, lisez Champion  : l’histoire d’un gamin de quinze ans, adolescent subversif et railleur qui raconte sa vie à sa psychiatre, sur des cahiers à carreaux. C’est drôle, émouvant, mélancolique, intelligent, drôle – je l’ai déjà dit, mais vraiment, c’est très drôle, aussi drôle que La vie devant soi de vous savez qui). J’ai aussi beaucoup aimé La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr, roman ambitieux, érudit, porté par une langue inventive et lyrique – en voilà un qui n’a pas volé son Goncourt  ! Mais encore Sur les toits, de Frédéric Verger, dont j’envie l’imaginaire et les métaphores. Et enfin Le Voyant d’Étampes, d’Abel Quentin, peut-être le meilleur satiriste de notre époque, qui signe un grand roman désopilant sur (désolé pour les anglicismes) le wokisme, la cancel culture et les shitstorms à l’ère des réseaux sociaux – je l’ai terminé stupéfait, en me disant putain, quel talent  !

 

Champion

 

Si tu étais libraire, et que tu devais t’extirper un peu de François-Henri pour être objectif, qu’écrirais-tu sur un post-it pour présenter de façon désirable, Mon maître et mon vainqueur ?

Je ne sais pas ce que j’écrirais, mais j’aimerais qu’on dise de ce livre qu’il «  se glisse dans les interstices de la vie, dans ses gouffres, ses cruautés, ses étrangetés, ses supplices et ses beautés  ».

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

L’écriture avec Maria Pourchet d’un scénario autour de Romain Gary, et celle d’un récit de voyage en Amérique du Sud, sur les traces de Che Guevara.

 

Un dernier mot ?

Hasta siempre !

 

FH Désérable

Crédit photo : Claire Désérable.

 

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05 décembre 2017

« Au revoir et merci », Jean d'Ormesson vu par François-Henri Désérable

Parmi les impondérables inévitables de la vie, il y a la mort. Il fallait bien que celle de Jean d’Ormesson, tout immortel qu’il fût, survienne un jour. Il vient tout juste de s’éclipser, sans doute avec flegme et mots tombés à pic, lui qui n’était que Lettres et élégance. Il aimait écrire et lire, les échanges et les débats, les femmes et la bonne chère ; bref, il aimait la vie. Il était une source d’inspiration, y compris pour des gens qui ne lisent pas, ou trop peu ; ses écrits resteront et lui aussi, parce qu’on n’oublie pas un Immortel quand il est charmant.

Lorsque j’ai appris, ce matin, la triste nouvelle, j’ai immédiatement proposé à François-Henri Désérable, jeune auteur de grand talent qui lui aussi signe chez Gallimard (ce qui, reconnaissez-le, n’est pas la plus honteuse des cartes de visite pour un écrivain), de coucher sur papier quelques mots au sujet de son illustre aîné, qu’il avait rencontré. Je suis heureux, et disons-le flatté qu’il ait accepté. Bel hommage qu’il lui rend ici. Quant à moi jai aussi, en cette heure, une pensée émue pour l’ami Maxime Scherrer, parti beaucoup trop tôt et qui, lui aussi, l’aimait... Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

Jean d'O FHD

 

« Au revoir et merci »

Par François-Henri Désérable, le 5 décembre 2017.

 

La première fois que j’ai rencontré Jean d’Ormesson, c’était à Lyon, fin 2011 ou début 2012. Il nous avait parlé tout au long du dîner – d’Aragon, de Pessoa, de Bonaparte, etc. –, avec mille digressions, «  à sauts et à gambades  », mais toujours en retombant sur ses pieds, et je me souviens m’être dit : «  le voilà, le fameux esprit français  ». J’étais avec une jeune fille qui deviendrait ma femme. L’ayant vue, il avait laissé, en guise de dédicace, sur mon exemplaire d’Histoire du Juif errant : «  Vous avez bien de la chance  ».

La dernière fois que j’ai vu Jean d’Ormesson, c’était il y a un peu plus d’un mois, un vendredi après-midi d’octobre, dans le hall des éditions Gallimard. Ce jour-là, il faisait beau. Il m’avait dit : «  À votre âge, j’avais un cabriolet décapotable. Le vendredi après-midi, s’il y avait du soleil, il m’arrivait de partir cheveux au vent avec une amie, et de rouler toute la nuit. Il y a quatorze heures de route entre Paris et Rome. Nous prenions le petit-déjeuner sur la Piazza Navona.  »

J’avais rétorqué : «  J’ai un scooter, Jean. Un 50 cm3. Il roule à 50 km/h, 53 si la route est en pente. Il me faudrait quatre jours pour rallier Rome.  »

À quoi il avait répondu : «  Partez maintenant, et mardi matin, caffè ristretto sur la Piazza Navona.  »

Une petite chose, enfin : il avait le génie du titre  – des vers, souvent, qu’il empruntait à des poètes : Odeur du temps, Et toi mon cœur pourquoi bats-tu, Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit… Nous pouvons le dire aujourd’hui : c’est une chose étrange à la fin que le monde sans Jean d’Ormesson.

 

Jean d'O

 

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14 juillet 2014

François-Henri Désérable : "J'ai voulu raconter la vie d'Évariste Galois"

Un an après la publication de notre première interview, François-Henri Désérable, l'auteur brillant de Tu montreras ma tête au peuple (que je ne cesserai de vous recommander) m'a fait l'honneur, une nouvelle fois, d'accepter de répondre à mes questions pour Paroles d'Actu. L'occasion d'évoquer, pêle-mêle, l'accueil réservé à son premier ouvrage, la journée du 14 juillet 1789, ses goûts et conseils littéraires. Et de nous offrir, en exclusivité, quelques infos sur son prochain livre... Je l'en remercie et espère qu'il aura, à l'heure de la rédaction de ce texte - le 14 juillet, autour de 18h05 - dégusté la crêpe au sucre qui lui faisait tant envie. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer.  EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

FRANÇOIS-HENRI

DÉSÉRABLE

Auteur de Tu montreras ma tête au peuple

 

« J'ai voulu raconter

la vie d'Évariste Galois »

 

François-Henri Désérable

(Photo proposée par François-Henri Désérable)

 

Q : 12/07/14 ; R : 14/07/14

 

Paroles d'Actu : François-Henri Désérable, bonjour. L'an dernier, à peu près à cette époque, nous évoquions, lors de notre première interview, ton ouvrage édité chez Gallimard, Tu montreras ma tête au peuple. Quinze mois ont passé depuis sa sortie. L'occasion, peut-être, d'un bilan d'étape ?

 

François-Henri Désérable : Oui, quinze mois. Déjà. Mais les bilans, en littérature, se font sur plusieurs années. Quand Alcools paraît en 1913, il ne trouve qu’une centaine de lecteurs. Un siècle plus tard, deux millions d’exemplaires se sont écoulés. Qu’aurait dit Apollinaire un an après la parution de son recueil ? Que ses poèmes n’ont pas trouvé leur public, mais que la vie continue, d’ailleurs l’année 1914 s’annonce radieuse… Faisons un premier bilan dans dix ans.

 

PdA : As-tu été touché d'une manière toute particulière par certaines critiques, certains retours - qu'ils soient positifs ou négatifs, d'ailleurs ?

 

F.-H.D. : Bien sûr. Surtout par les retours de quelques écrivains que je tiens en très haute estime. Et par les lettres de lecteurs. À l’heure d’internet et du mail, les lettres ont un charme un peu suranné.

 

PdA : En mai 2013, un journaliste de France 3 Languedoc t'interrogeait quant à ta position sur la peine de mort; ta réponse fut sans ambiguïté : « Je suis résolument contre la peine de mort. C'est un assassinat grimé sous les oripeaux du droit. On pourrait ériger une statue à Robert Badinter pour l'avoir abolie. » Il est une question que j'aimerais te poser, un peu dans le même ordre d'idées. Bon, ça plombera l'ambiance deux minutes, mais je crois qu'elle peut être intéressante, surtout pour qui a lu Tu montreras ma tête au peuple : quel est ton rapport à la mort ?

 

F.-H.D. : Paradoxalement, un monde sans la mort serait invivable. Et ce n’est pas tant la mort qui me fascine et m’angoisse, mais le temps qui s’enfuit. Je pense avoir pris conscience très tôt de la préciosité du temps.

 

PdA : « J’ai envie de répondre le 14 juillet, à la Bastille, pour revenir en 2013 et dire : 'J’y étais' ». Ce fut là la première de tes idées lorsque j'entrepris, lors de notre entretien, de te convier à un hypothétique voyage dans le temps, à l'époque de la Révolution. Deux fois cent ans, plus le quart de siècle, tout juste... Ta requête est accordée : tu y es, à la date, au lieu dits...

 

F.-H.D. : Eh bien je regarde. La foule en liesse, la tête du gouverneur de la Bastille au bout d’une pique, oui, je regarde tous ces gens et je me dis qu’ils n’ont aucune idée de ce qu’ils font : ils sont en train d’écrire l’une des pages les plus importantes, les plus belles de l’Histoire de France, et ils ne le savent pas. À ce moment-là, ça n’est qu’une petite révolte. Pas une révolution. Mais peut-être que je me trompe, peut-être pressentent-ils déjà que l’ordre immuable des choses n’est plus si immuable que ça…

 

PdA : On retrouve souvent chez nos compatriotes - et bien au-delà - la confusion qui touche à la fête nationale, au 14 juillet. De la prise de la Bastille en 1789 ou de la fête de la Fédération en 1790, quel est celui qui, un peu plus que l'autre, tendrait à recueillir tes suffrages ?

 

F.-H.D. : La prise de la Bastille : il y a du sang, de la sueur et des larmes. La fête de la Fédération, il y a de la sueur, quelques larmes de joie, mais pas de sang. Il me faut du sang.

 

PdA : On déconnecte un peu... juste le temps, parce qu'il faudra bien le faire à un moment ou à un autre, d'aborder une question un peu pénible. On sera débarrassé, comme ça. Promis, après, on n'en parle plus. Où en est ta thèse ? Tu nous en dis deux mots ?

 

F.-H.D. : Elle en est exactement au même point que lors de notre dernière interview il y a un an.

 

PdA : L'année dernière, tu évoquais ce projet d'un nouveau roman débuté six mois auparavant et dont l'histoire allait se passer en partie durant la révolution de 1830 - les Trois glorieuses. L'attente est interminable, le peuple le réclame, il veut... plus d'infos !

 

F.-H.D. : Le livre paraîtra début 2015, toujours chez Gallimard. Je raconte la vie d’Évariste Galois, qui était le Rimbaud des mathématiques : à quinze ans, il les découvre ; à dix-huit, il les révolutionne ; à vingt, il meurt en duel. (Et le tout se passe entre 1811 et 1832). C’est cette vie fulgurante, qui fut un crescendo tourmenté, au rythme marqué par le tambour des mathématiques, que j’ai voulu raconter. 

 

PdA : Tu nous en offres quelques lignes, en exclu ?

 

F.-H.D. : Tout est écrit et, de fait, sur Évariste on a beaucoup écrit. On ne compte plus les essais, les biographies, les témoignages de contemporains. On ne compte plus les colloques, les mémoires, les thèses, les articles. On a dit tout et son contraire : on s’est souvent trompé. On a dit à tort qu’il fut victime d’un complot ; à raison qu’il fut aux mathématiques ce qu’à la poésie fut Arthur Rimbaud : un Rimbaud qui n’aurait pas eu le temps de nous envoyer la Saison à la gueule ; qui aurait cassé sa pipe après Le bateau ivre, les vingt-cinq quatrains depuis le fin fond des Ardennes envoyés à la gueule de Verlaine en même temps qu’à celle de Paris ; un Rimbaud qui n’aurait connu ni Harar ni Aden ni les dents d’éléphant ni la scie sur la jambe à Marseille : parce qu’en vérité c’est la fin du dormeur que ce Rimbaud a connue, c’est le trou de verdure, la nuque baignant dans le frais cresson bleu, le soleil, la main sur la poitrine. Le trou rouge au côté droit.

 

PdA : Merci... Il serait bon que je souligne, à ce stade de notre échange, que tu es un vrai globe-trotter. Tu as beaucoup voyagé ces derniers mois. Tu étais à Istanbul au moment de notre première interview ; tu souhaites t'installer un jour à Venise. On inaugure une toute nouvelle séquence sur Paroles d'Actu avec cette question : Les conseils de François-Henri. La question, donc : quels seraient tes conseils touristiques ? Ta liste d'endroits-à-voir-absolument-avant-de-mourir-si-si-il-le-faut ?

 

F.-H.D. : Je vais essayer d’être très précis : il faut voir Venise depuis les marches de la basilique Santa Maria della Salute. Le plus bel endroit du monde.

 

PdA : As-tu été séduit par quelques livres, ces derniers temps ?

 

F.-H.D. : Parmi les livres sortis depuis le début d’année, il y en a trois que j’ai beaucoup aimés : Histoire de ma sexualité d’Arthur Dreyfus, La vie privée d’Olivier Steiner et Réparer les vivants de Maylis de Kerangal. J’ai aussi apprécié, dans mes lectures récentes, la biographie de Flaubert par Bernard Fauconnier, 14 de Jean Echenoz, Histoire d’un Allemand de l’Est de Maxim Leo (lu sur les conseils avisés de Clément Bénech) et un fabuleux recueil des critiques de Renaud Matignon, qui a sévi pendant trente ans au Figaro : La liberté de blâmer.

 

PdA : S'il te fallait n'en sélectionner que dix, tous genres, toutes périodes confondues... ?

 

F.-H.D. : Sans ordre particulier, si ce n’est alphabétique :

Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne

Albert Cohen, Belle du Seigneur

Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo

Victor Hugo, Quatrevingt-treize

Primo Levi, Si c’est un homme

Pierre Michon, Les Onze

Pierre Michon, Rimbaud le fils

Jean d’Ormesson, Histoire du Juif errant

Jean-Paul Sartre, Les mots

Stefan Zweig, Le monde d’hier

 

PdA : Quels sont tes projets, François-Henri ?

 

F.-H.D. : Dans l’immédiat, manger une crêpe au sucre.

 

PdA : De quoi as-tu envie, aujourd'hui ?

 

F.-H.D. : D’une crêpe. Et de sucre.

 

PdA : Comment te vois-tu, comment vois-tu ta vie dans... disons... dix ans ?

 

F.-H.D. : Vivant, ce sera déjà bien assez.

 

PdA : Que peut-on te souhaiter ?

 

F.-H.D. : Un bon appétit.

 

PdA : Un dernier mot ?

 

F.-H.D. : Merci.

 

PdA : C'est moi... Un bon appétit, donc !

 

 

Tu montreras ma tête au peuple

 

 

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Vous pouvez retrouver François-Henri Désérable...

 

  • Sur le site des éditions Gallimard pour Tu montreras ma tête au peuple... en attendant son prochain ouvrage;
     
  • Sur le site de TV5 Monde pour sa nouvelle, Clic ! Clac ! Boum !;
     
  • Sur le site Hockey Hebdo pour tout savoir de ses stats de hockeyeur professionnel...

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08 août 2013

Clément Bénech : "L'écrivain est une miette..."

Lui aussi, il en vaut la peine... François-Henri Désérable ne tarit pas d'éloges à son endroit. Lors de l'interview qu'il m'avait accordée le mois dernier, l'auteur de l'émouvant Tu montreras ma tête au peuple (aux éditions Gallimard, je vous le recommande avec enthousiasme) eut ces mots pour celui qui, comme lui, compte parmi les révélations littéraires de l'année : "J’ai un ami, jeune (21 ans), talentueux, qui vient de publier son excellent premier roman, L’été slovène, chez Flammarion. Il s’appelle Clément Bénech, et il y a, chez lui, du Modiano, du Toussaint, du Parisis et du Chevillard. Ce qui n’est pas mal, tout de même…". Je n'avais alors jamais entendu parler de ce jeune auteur. Les critiques, elles, ne l'ont pas laissé filer, et c'est heureux. "Le Monde des livres", "Les Inrocks", "Télérama", pour ne citer qu'eux, ont salué la qualité de cette première oeuvre. L'histoire d'un amour mis à l'épreuve d'un cadre différent, d'un monde inconnu, le temps d'un été... Le lecteur se laisse prendre par le récit : il découvre, s'étonne, sourit, est ému. Il le vit. Et se dit que, décidément, il va falloir retenir ce nom : Clément Bénech. Rencontre avec un auteur de talent. Il a 21 ans. Il est mature, lucide. Il a l'avenir devant lui. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer.  EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

CLÉMENT BÉNECH

Auteur de L'Été slovène, du blog Humoétique

 

"L'écrivain est une miette"

 

Clément Benech

(La photo de Clément Benech est signée Julie Biancardini)

 

 

Q : 25/07/13

R : 07/08/13

 

 

Paroles d'Actu : Bonjour Clément Benech. Vous avez 22 ans, êtes étudiant en Lettres et l'auteur d'un roman, L'été slovène, édité chez Flammarion depuis le mois de mars. Qu'aimeriez-vous ajouter pour que l'on vous connaisse mieux, à ce stade de l'entretien ?

 

Clément Benech : J'ai un chat très mignon qui s'appelle Sushi et qui adore faire des bêtises.

 

 

PdA : Vous m'avez dit avoir commencé à écrire après le bac. Quelques pensées, quelques poèmes, quelques nouvelles par-ci par-là avant, j'imagine ?

 

C.B. : Là-dessus, je n'ai pas menti. Mais en CM2, comme tout le monde, j'ai écrit quelques poésies sur la cour de récré ou les crayons de couleur...

 

 

PdA : Quelques mots sur votre blog, Humoétique ? Un post, chaque jour à midi... difficile de s'y tenir ? ;-)

 

C.B. : Merci de me rappeler à mon devoir, j'ai un retard monstre. C'est un blog que j'ai commencé en hommage à celui d'Éric Chevillard, et qui vit maintenant de sa vie propre. Il m'a fait rencontrer des gens qui sont devenus des amis, et il me procure une plate-forme de liberté totale.

 

 

PdA : Quels sont les livres, les lectures que vous érigeriez volontiers au rang de références ?

 

C.B. : La Salle de bain, de Jean-Philippe Toussaint, Le Portrait de Dorian Gray, puis Proust, Modiano et Chevillard. Emmanuelle Pireyre, qui a eu le prix Médicis cette année, m'intéresse aussi beaucoup.

 

 

PdA : L'été slovène, c'est l'histoire d'un couple un peu bancal pour lequel un séjour en Slovénie aura l'effet, disons, d'un révélateur... Sous votre plume, très talentueuse, le lecteur ira de découverte en découverte... Y a-t-il un peu de vous, de votre vie dans ce récit ?

 

C.B. : Un peu, oui. Mais je vous gâcherais la lecture en vous disant en quelle proportion...

 

 

PdA : De l'ébauche d'une idée... à une publication chez Flammarion. Vous nous racontez ?

 

C.B. : J'ai eu la chance d'intéresser la revue Décapage pour la publication d'une nouvelle. Puis, la revue étant chez Flammarion...

 

 

PdA : L'accueil critique qu'a reçu L'été slovène a été très bon jusqu'ici. Je pourrais citer "Le Monde des livres", "Les Inrocks", "Télérama"... Ou encore François-Henri Désérable, auteur de Tu montreras ma tête au peuple (à lire !), qui affirme qu'il y a chez vous "du Modiano, du Toussaint, du Parisis et du Chevillard". La canicule ambiante mise de côté, vous réussissez à garder la tête froide ? ;-)

 

C.B. : Je mentirais en vous disant que ça ne m'atteint pas. Mais il faut garder la tête froide, comme vous dites, se rappeler quelle suite de hasards a présidé à votre publication (au-delà d'un éventuel talent) et voir que de nombreux auteurs talentueux sont encore dans l'ombre. Et puis comme dirait Hervé Le Tellier, le marché du livre en France n'équivaut après tout qu'à 10 % du chiffre d'affaires de Renault... L'écrivain est une miette.

 

 

PdA : Je sais qu'un bon auteur ne fait pas nécessairement un bon commercial, mais bon, ça ne coûte rien d'essayer... Que souhaiteriez-vous dire à nos lecteurs pour leur donner envie de découvrir, de feuilleter, d'acheter "L'été slovène" ?

 

C.B. : Vous y perdriez moins que j'y gagnerais.

 

 

PdA : À part la lecture... vos loisirs, vos espaces d'évasion ?

 

C.B. : Le basket, le chant sous ma douche, et les œuvres complètes de François-Henri Désérable.

 

 

PdA : Quels sont vos projets pour la suite Clément ?

 

C.B. : Je suis sur un nouveau projet qui m'occupe beaucoup l'esprit, un portrait de femme qui se passe à Berlin. Et je vais étudier deux ans à Bordeaux, à l'IJBA (Institut de Journalisme Bordeaux-Aquitaine, ndlr), à la rentrée.

 

 

PdA : Vos rêves ?

 

C.B. : Faire un film avec mon frère. Et je ne serais pas fâché de voir la chute du régime nord-coréen avant ma mort.

 

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter ?

 

C.B. : Bonne nuit.

 

 

PdA : Quelque chose à ajouter ? Merci infiniment.

 

C.B. : Du beurre, pour ne pas que le gratin colle. Merci à vous, Nicolas.

 

 

 

L'été slovène

 

 

 

Merci, Clément ! Tous mes voeux les plus chaleureux pour la suite... Et vous, qu'avez-vous pensé de cet ouvrage, L'été slovène ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

 

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Vous pouvez retrouver Clément Benech...

 

Sur le site des éditions Flammarion pour L'été slovène ;

 

Sur son blog Humoétique.

 

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03 juillet 2013

F.-H. Désérable : "J'ai voulu saisir les derniers tressaillements de vie"

   « Le bourreau et ses aides veulent me lier les pieds. Je refuse. La loi l'exige. Dura lex, sed lex. Alors je me laisse faire. Et puis on me coupe les cheveux. J'enfile ensuite la chemise rouge, réservée aux condamnés à mort pour crime d'assassinat. J'avais pensé garder mes gants mais le bourreau m'a assuré qu'il saurait me lier les mains sans me faire aucun mal. Il serre le moins possible. Je prends congé du citoyen Richard et de sa femme, qui ont été si bons pour moi. On sort dans la cour. La charrette m'attend. On me donne un tabouret, mais je sais déjà que je resterai debout. Je veux regarder la foule dans les yeux. On ne meurt qu'une fois. C'est la fin qui couronne l'oeuvre. »

   Dans quelques instants, Charlotte Corday ne sera plus, guillotinée pour s'être rendue coupable de l'assassinat du citoyen Marat. Ces mots, elle ne les a pas signés. Leur auteur est de nos contemporains; il dépasse à peine le quart de siècle mais s'est déjà fait un nom dans les milieux littéraires, un nom à retenir : François Henri Désérable. Tu montreras ma tête au peuple nous plonge au coeur de la France de la Révolution - la grande. Mille détails, fruits de lectures passionnées, une imagination féconde - c'est un roman historique - mise au service du récit, une aisance stylistique évidente. On s'y croirait. On y est. Il engage son funeste rituel, terrible, impassible... Ce sera mon tour, bientôt... Clic ! Clac ! Boum ! Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer.  EXCLU

 

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

FRANÇOIS-HENRI

DÉSÉRABLE

Auteur de Tu montreras ma tête au peuple

 

« J'ai voulu saisir les derniers

tressaillements de vie »

 

François-Henri Désérable

(Les photos m'ont été proposées, à ma demande, par François-Henri Désérable)

 

Q : 02/07/13 ; R : 03/07/13

 

Paroles d'Actu : Bonjour François-Henri Désérable. Tu montreras ma tête au peuple, paru il y a quelques mois aux éditions Gallimard, a été salué par nombre de critiques littéraires. Votre ouvrage a reçu le prix Amic, l'une des distinctions les plus anciennes de l'Académie française moderne. Il y a un an, votre nouvelle intitulée Clic ! Clac ! Boum ! figurait dans le palmarès du Prix du jeune écrivain de langue française. Une question toute bête, dans quel état d'esprit vous trouvez-vous, aujourd'hui ?

 

François-Henri Désérable : Je suis très surpris du succès que rencontre ce livre, car la qualité d’un livre, hélas, n’est pas gage de son succès. Cela étant, il faut relativiser : c’est un succès critique, mais la critique est indulgente, parce qu’il s’agit d’un premier livre. On m’attend au tournant…

 

PdA : Quelle importance accordez-vous au jugement de vos pairs ?

 

F.-H.D. : Je lui accorde une importance prédominante : il y a de nombreux écrivains que j’admire et rien ne me fait plus plaisir que d’apprendre qu’ils me considèrent, après m’avoir lu, comme un des leurs (même si je suis encore très loin de mériter cet honneur !).

 

PdA : Clic ! Clac ! Boum ! nous faisait vivre, dans sa peau, dans sa tête, les derniers instants de Danton, peu avant son exécution. Un schéma que l'on retrouve dans Tu montreras ma tête au peuple - ligne célèbre, que l'Histoire attribua à Danton. On y rencontre, outre celui qui fut député de la Seine, des figures telles que Charlotte Corday, Marie-Antoinette, Robespierre... À quelques mètres de l'échafaud, à quelques heures de la mort, à chaque fois... Vos récits, très documentés, parfois agrémentés d'éléments de mise en scène, nous plongent d'une manière très réaliste dans cette époque troublée. Une époque qui vous fascine, vous avez lu je ne sais combien d'ouvrages la concernant. Quel est, finalement, le sens de votre démarche ? Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire sur ce sujet-là ?

 

F.-H.D. : Ce sont bel et bien les derniers mots de Danton qui m’ont donnés envie d’écrire sur la Révolution et les derniers instants de ses grandes figures. Je reste fasciné par la superbe de cette phrase – « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine » – prononcée à l’adresse du bourreau, quelques secondes avant que la lame de la Veuve ne s’abatte sur sa nuque. De là, j’ai voulu saisir les derniers tressaillements de vie – je crois que le mot est de David - chez ces hommes et ces femmes qui ont connu la Conciergerie, le tombereau, l’échafaud et, enfin, le léger souffle d’air frais.

 

PdA : J'aimerais, pour cette prochaine question, faire appel, à nouveau, à votre imagination. Vous avez, à la faveur d'une incroyable prouesse technologique, l'opportunité d'effectuer un voyage dans le temps, un seul, d'une durée d'une semaine. La machine n'est pas encore tout à fait au point, les possibilités sont restreintes : ce sera Paris, forcément, quelque part entre le début du mois de mai 1789 et la fin du mois de janvier 1793. À partir du point de votre choix, une semaine d'immersion totale vous est offerte. Vous accompagnent, cela va sans dire, votre savoir de 2013, vos connaissances érudites du "film" de la fin du XVIIIème siècle en France. Quelle date choisirez-vous ?

 

F.-H.D. : J’ai envie de répondre le 14 juillet, à la Bastille, pour revenir en 2013 et dire : « J’y étais ! », mais c’est peut-être un peu convenu… Quelques jours avant alors, le 20 juin, au Jeu de Paume, quand les députés prêtent serment de ne jamais se séparer tant que la France ne sera pas dotée d’une constitution… Ou quelques jours après, la nuit du 4 août, quand l’Assemblée constituante décide d’abolir les privilèges. Ce sont là des événements fondateurs de la République que j’aurais aimé vivre, au même titre que j’aurais aimé vivre, le 14 juillet 1790, la Fête de la Fédération, cette grande liesse populaire au Champ-de-Mars, ou encore, le 2 septembre 1792, le discours de Danton qui réclame « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » pour sauver la patrie en danger.

 

PdA : Quels cercles chercherez-vous à intégrer ? Quelles rencontres, quels entretiens, quels "coups de pouce" à l'Histoire vous emploierez-vous à provoquer ? À vous de jouer !

 

F.-H.D. : Infléchir le cours des événements ? Je ne pense pas que j’aurais pu faire grand chose. Je me sens proche des Girondins, alors j’aurais peut-être essayé d’en sauver quelques uns… Mais rien n’est moins sûr. Ou peut-être que, pour me marrer, j’aurais interrompu un discours de Robespierre en lui disant : « Mais tu vas la fermer, ta grande gueule ? », histoire de voir ce qui se passerait…

 

PdA : Il y a à l'évidence, vos écrits en sont une illustration parfaite, quelque chose qui relève du tragique dans la marche de l'Histoire. La Révolution française a connu plus que son lot de souffrances inutiles, évitables, d'opportunités gâchées, d'occasions manquées... Un an après la prise de la Bastille, ce fut la Fête de la Fédération, l'espoir, l'espace d'un instant, d'une véritable concorde entre les différentes composantes du peuple français. Hélas, les "années terribles" allaient bientôt succéder aux "années lumières". Quels enseignements l'historien, le doctorant en droit que vous êtes tire-t-il de tout cela ?

 

F.-H.D. : Je ne suis pas historien (je n’ai en tout cas aucun titre universitaire qui me confère le droit un peu ridicule de me présenter comme un historien). L’Histoire m’intéresse (ou en tout cas certains pans de l’Histoire) mais je la pratique en dilettante, un peu comme le droit, d’ailleurs (mais ceci est une autre histoire…)

 

Sans aucune fausse modestie, je serais bien incapable de tirer un quelconque enseignement du passage des « années lumières » aux « années terribles », si ce n’est, peut-être, que l’idéal républicain issu de la Révolution ne s’est pas réalisé en un jour : il a fallu d’autres tentatives pour que la France soit définitivement républicaine. On aurait tort, dès lors, de conspuer les printemps arabes parce qu’ils n’ont pas encore porté les fruits qu’on pouvait espérer. Laissons du temps au temps.

 

PdA : Qu'aimeriez-vous ajouter à tout ce que nous avons déjà dit pour donner à nos lecteurs l'envie de découvrir Tu montreras ma tête au peuple ?

 

F.-H.D. : Que je ne suis pas très bon pour répondre aux interviews : j’ai la faiblesse de croire que le livre est bien meilleur que mes réponses.

 

PdA : Avant d'aborder la dernière partie de notre entretien, permettez-moi d'évoquer votre autre grande passion, je pense évidemment au hockey sur glace, dans lequel vous baignez depuis tout jeune. Un sport finalement assez méconnu en France, et dont la médiatisation est quasiment inexistante... Comment l'expliquez-vous ? L'appel, le cri du cœur, c'est maintenant... ;-)

 

F.-H.D. : C’est un sport magnifique qui, hélas, n’est pas aussi médiatisé qu’il devrait l’être (tout au moins en France). Et pourtant, comme la tête de Danton, il en vaut bien la peine. Il y a, malgré tout, certaines villes dont le cœur bat au rythme du hockey : Amiens, Rouen, Grenoble… Et on est sur la bonne voie : la Fédération française de Hockey fait du très bon travail depuis quelques années, et la France va accueillir les championnats du monde en 2017. De quoi donner un sacré coup de projecteur…

 

PdA : Quels sont vos projets ?

 

F.-H.D. : J’ai écrit, pour l’excellente revue Décapage qui paraîtra en septembre, un court récit sur une garde-à-vue que j’ai vécue à Venise pour un motif assez insolite. Je vais écrire pour autre revue, L’Infini, l’histoire du tatouage de Bernadotte, régicide devenu roi. On m’a également demandé une préface pour la réédition des Mémoires de Sanson. Et puis j’ai commencé un roman, il y a bientôt six mois : l’histoire se passe en partie pendant une autre révolution, celle de 1830, les fameuses Trois glorieuses… Enfin, il y a cette thèse de droit que je dois finir, quand bien même elle est plus proche du début que de la fin.

 

PdA : Vos envies ?

 

F.-H.D. : Sans ordre particulier : lire, écrire, jouer au hockey.

 

PdA : Vos rêves ?

 

F.-H.D. : J’ai caressé un rêve pendant toute ma jeunesse : devenir un grand joueur de hockey, jouer en NHL, remporter la coupe Stanley. Je ne suis pas devenu un grand joueur de hockey, je ne jouerai jamais en NHL, et jamais je n’aurai mon nom gravé sur la coupe Stanley. Mon rêve est derrière moi. J’ai échoué.

 

PdA : Que peut-on vous souhaiter, François-Henri Désérable ?

 

F.-H.D. : Des funérailles nationales à la Hugo. Ou, plus modestement, de bonnes vacances (je suis à Istanbul).

 

PdA : Quelque chose à ajouter ?

 

F.-H.D. : Oui : j’ai un ami, jeune (21 ans), talentueux, qui vient de publier son excellent premier roman, L’été slovène, chez Flammarion. Il s’appelle Clément Bénech, et il y a, chez lui, du Modiano, du Toussaint, du Parisis et du Chevillard. Ce qui n’est pas mal, tout de même…

 

PdA : Merci infiniment !

 

 

Tu montreras ma tête au peuple

 

 

Merci, François-Henri, pour vos réponses, passionnantes. Bonnes vacances. Surtout, bons vents... Pas le léger souffle d'air frais, non, ce serait un beau gâchis... Ceux de la chance, du succès, puissent-ils vous pousser à la mesure de votre talent... Et vous, qu'avez-vous pensé de cet ouvrage, Tu montreras ma tête au peuple ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer

 

 

Vous pouvez retrouver François-Henri Désérable...

 

  • Sur le site des éditions Gallimard pour Tu montreras ma tête au peuple;
     
  • Sur le site de TV5 Monde pour sa nouvelle, Clic ! Clac ! Boum !;
     
  • Sur le site Hockey Hebdo pour tout savoir de ses stats de hockeyeur professionnel... ;-)

  • Suivez Paroles d'Actu via Facebook et Twitter... MERCI !

 

Présentation remaniée : 10/07/14.