Jean-Daniel Belfond : « Il y avait autour de Barbara, comme un fil invisible... »
Le 24 novembre 1997 disparaissait Monique Serf, plus connue sous le nom de Barbara. La chanteuse, qui n’avait pas 68 ans, laissait derrière elle des fidèles inconsolables, et une œuvre considérable qu’on ne cesse de redécouvrir, d’analyser, de reprendre. L’admiration qu’elle suscitait, elle l’inspire encore 25 ans après, et nombreux sont celles et ceux, y compris parmi les jeunes, qui l’écoutent toujours, qui la citent parmi leurs sources d’inspiration. Et qui la lisent aussi : dans ses textes celle qui aimait se parer de noir corbeau se mettait parfois à nu, elle s’y racontait beaucoup, y compris sur des aspects très intimes, douloureux de sa vie.
Ces textes - qui n’ont pas vocation à se suffire à eux-mêmes - sont à découvrir ou redécouvrir, posément, dans un ouvrage qui vient de paraître, Barbara, l’intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022) et qui rassemble aussi des documents rares ou inédits signés de la plume de Barbara, et des analyses de son œuvre. Parmi les contributeurs, l’éditeur Jean-Daniel Belfond, patron de l’Archipel et grand amateur de Barbara : il a accepté de répondre à mes questions, l’interview s’est déroulée début novembre. Je l’en remercie, et effectivement, pour qui voudrait approfondir le sujet Barbara, c’est un livre à parcourir... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Jean-Daniel Belfond : « Il y avait
autour de Barbara, comme un fil invisible... »
Barbara, l’intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022).
Jean-Daniel Belfond bonjour, merci d’avoir accepté de m’accorder cet entretien. Quel souvenir gardez-vous de ce matin de novembre 1997, il y a 25 ans donc, où fut annoncée la disparition de Barbara ?
J’avais entendu la veille, sur France Musique, une dépêche : elle avait été admise d’urgence à l’hôpital américain de Neuilly. Là, j’ai senti qu’on allait apprendre rapidement une mauvaise nouvelle. La mort de Barbara, d’une toxi-infection, a été annoncée peu après. Par la suite, son frère Jean m’a dit qu’elle avait connu le même type d’infection, et une hospitalisation d’urgence, six mois plus tôt. Elle n’était absolument pas prudente en matière alimentaire : elle décongelait puis recongelait des plats, chose qu’il ne faut jamais faire. C’est une infection alimentaire qui l’a emportée...
Et quelle a été votre réaction ?
J’étais un fan depuis 25 ans. J’avais vu tous ses spectacles depuis celui de Pantin en 1981. Alors, bien sûr, une grande tristesse m’a envahi. Mais Barbara nous avait prévenus. D’abord, elle avait annoncé qu’elle arrêtait la scène, qu’elle n’en avait plus la force. Elle ne s’interdisait pas de faire un dernier disque, ce qu’elle a fait - une sorte d’adieu, mais aussi un disque un peu expédié, pas entièrement satisfaisant. J’ai su après, par son directeur musical chez Universal qu’une version bien plus belle du même album, avait été enregistrée… et perdue. Bref, on devinait qu’elle arrivait au bout de son chemin. J’ai eu pas mal de contacts avec elle... sans pour autant pouvoir prétendre l’avoir bien connue.
Justement, dans le texte que vous écrivez en introduction du recueil paru aux éditions de l’Archipel, vous évoquez vos échanges avec elle, des projets en commun, et je rappelle ici que vous avez été l’auteur en 2000 d’une biographie, Barbara l’ensorceleuse, aux éditions Christian Pirot. Comment qualifier les rapports que vous avez eus avec elle, professionnellement parlant, et avez-vous des regrets en la matière, sur des choses qui n’ont pu se faire ?
D’abord, très jeune, de retour de coopération, j’ai eu envie d’écrire un livre sur Barbara. J’avais eu l’accord de Frédéric Ferney, qui travaillait chez Sand et Tchou, mais sans l’accord de la principale intéressée ça n’a pu se faire. J’ai ensuite proposé à Fred Hidalgo, le fondateur de Paroles et Musique, le mensuel de la chanson, de réaliser le dossier Barbara avec Cécile Abdesselam. Nous avons alors recueilli le témoignage de gens qui l’avaient connue tel le photographe Jean-Pierre Leloir, ou son premier bassiste, Michel Gaudry. Le dossier a paru en janvier 1985. Nous n’avons pu la rencontrer, malgré nos demandes à son agent, Charley Marouani, qui faisait écran. A l’époque on n’avait aucune idée précise de ce qu’avait été la vie de Barbara avant la notoriété. On savait qu’elle était devenue la "chanteuse de minuit" à la fin des années 50 lorsqu’elle se produisait dans ce cabaret mythique du quai des Grands-Augustins, l’Écluse, mais sans avoir de détail sur son enfance ou ses années de jeunesse. Sur le piano de sa prof de piano Madeleine Dusséqué trônait une photo encadrée de l’immédiat après-guerre où elle était… très ample. Ca m’avait marqué ! On savait aussi qu’elle n’aimait guère qu’on écrive sur elle. Bref, il y avait bien des zones d’ombre… En dépit des trous dans son parcours, on s’est évertué à reconstituer une chronologie. D’ailleurs, Barbara elle-même n’avait pas de mémoire ! Lorsqu’à l’instigation de Jacques Attali elle a entrepris de rassembler ses souvenirs à la fin de sa vie, elle a dû faire appel au meilleur spécialiste de son œuvre, Jean-François Fontana, et à ses proches (dont son mari Claude Sluys !) pour compléter son livre !
Ma première rencontre avec Barbara s’est produite quelques années après, fin 1988. Par le plus grand des hasards. J’étais parti sac au dos faire le tour d’Israël. Sur le principal boulevard de Tel-Aviv, je vois des affiches annonçant qu’elle se produit en concert, le 28 décembre. Bien sûr, je suis allé prendre une place et ai vu ce spectacle, magnifique. Elle était "en voix". C’était un an après son premier Châtelet. Ils louaient des jumelles à l’entrée de la salle, de sorte que j’ai vu Barbara comme si elle était à deux mètres de moi. N’oubliez pas que j’étais un fan absolu. À la fin du spectacle je suis allé la voir. Je me suis présenté à elle et lui ai expliqué avoir rédigé le dossier qui lui avait été consacré dans Paroles et Musique. Elle m’a répondu qu’elle l’avait bien aimé, et de là nous nous sommes mis à parler. Elle était très impressionnante. Elle m’a dit cette phrase, qui m’a marqué : "Vous viendrez un jour à Précy, nous dînerons devant un grand feu de bois". Il émanait d’elle un magnétisme très fort. Je n’ai ressenti cela qu’avec deux ou trois personnes dans ma vie : elle dégageait comme une chaleur, un fluide. Elle m’a parue très grande. Cette rencontre m’a tellement impressionnée que j’en ai encore des frissons...
Il y a eu donc, par la suite, d’autres contacts et, comme je suis éditeur, tout naturellement, je lui ai dit un jour : "Barbara, il faudrait publier une intégrale papier de vos chansons". Je le raconte dans l’avant-propos du livre. Elle m’a répondu qu’elle n’était pas un poète, que les textes de ses chansons elle aimait les chanter à son public mais qu’ils ne "tenaient" pas à la lecture. Impossible d’avoir son accord.
En revanche, un jour elle m’appelle, et me dit : "Que diriez-vous de rassembler les photos de Lily Passion ?" Lily Passion, c’est son opéra-rock de 1986, qui a connu toutes sortes d’aléas, avec trois metteurs en scène successifs, et qui finalement avait été monté avec deux personnages seulement, elle et Gérard Depardieu. C’était un très beau spectacle, mais qui n’a pas rencontré son public, avec une tournée un peu catastrophique en France. Là, je l’avoue, j’ai commis une énorme erreur, je n’ai pas donné suite à sa proposition. Cela fait partie de la vie d’un éditeur, on prend de mauvaises décisions. A plusieurs reprises il m’est arrivé de dire "non" à des projets et de m’en mordre les doigts. Cela aurait été l’occasion de la rencontrer plus souvent, de la connaître mieux... Mais on s’est revu, on s’est parlé plusieurs fois au téléphone. Elle appelait le matin à 9 heures précises. Au standard de la maison d’édition elle disait toujours "C’est Barbara la chanteuse". Et, quand elle voulait quelque chose, c’était un bulldozer. On ne pouvait même imaginer la contredire.
Ce recueil pour lequel elle disait ne pas être poétesse, vous pensez que c’était vraiment de l’humilité, une forme de manque de confiance en soi ?
Non, elle était sincère. Elle m’a dit une autre chose qui m’a énormément surpris : "Je ne pourrai pas empêcher qu’un jour il y ait des dizaines de livres sur moi". On était au début des années 90, deux livres lui avaient été consacré. Et on savait qu’elle voulait tout contrôler : les photos, les parutions… Comment pouvait-elle imaginer qu’il y aurait un jour une ribambelle de livres sur elle ? Une fois de plus, elle avait raison. Quand je les recense dans ma bibliothèque, j’arrive à plus de soixante-dix ouvrages de tous formats…
Bref, comment en sommes–nous venus à publier l’intégrale de ses chansons ? Par un incroyable concours de circonstances. Ce livre aurait dû paraître chez Fayard, qui avait publié ses mémoires posthumes inachevés, Il était un piano noir, en septembre 1998. Un jour, je reçois un appel de Jean Serf, le frère aîné de Barbara qui était son ayant-droit. Il m’explique qu’il ne s’est pas mis d’accord sur le taux de droits avec Fayard. Il me demande si ce projet m’intéresse. J’ai couru, j’ai bondi : bien sûr, nous étions d’accord ! Le livre est ainsi né et, tous les cinq ans depuis, à chaque anniversaire, il reparaît dans une version enrichie. L’ouvrage a existé en grand format à partir de 2000, puis au format poche, puis en livre illustré enrichi d’articles de presse, tout cela avec le soutien de Bernard Serf, le fils de Jean, qui accomplit un beau travail de mémoire autour de Barbara.
Et cette histoire d’album photo sur Lily Passion, même si Barbara n’est plus là, ça reste une idée que vous pourriez reprendre ?
Bien sûr. J’ai écrit à Gérard Depardieu, pour qu’il écrive un livre, le "Barbara de Depardieu" illustré de photos. Il ne m’a pas répondu. Je crois qu’il y a de la souffrance chez lui. Barbara a joué un grand rôle dans sa vie, il lui rend hommage en lui consacrant un superbe tour de chant tout en émotions. Il y a du non-résolu dans sa relation à Barbara. On ne sait pas tout. Il s’est opposé à ce que Universal réédite ses duos avec Barbara dans Lily Passion, ce qui est vraiment dommage, ils sont magnifiques. Je crois qu’il ne s’est pas remis de la fin de leur travail en commun. Vous savez : avoir côtoyé, avoir vécu, ri, partagé tant de choses avec un être humain si exceptionnel, on n‘en sort pas indemne. Il a même inauguré à Nantes, avec Barbara, la rue de la "Grange-au-loup" : un nom qu’avait inventé Barbara dans sa chanson Nantes (1964), où elle évoquait la mort de son père.
Concernant Depardieu, il y a dans le livre, parmi les textes divers de Barbara qui y sont reproduits, un très beau texte dans lequel elle décrit très bien le personnage, alors oui certainement il y aurait certainement à creuser là...
Il ont vécu quelque chose d’extraordinaire, et j’en reste persuadé oui, ce Lily Passion qui a connu tellement de vicissitudes, d’aléas, Depardieu pourrait en parler très bien...
Extrait de Barbara - L'intégrale des chansons (L’Archipel, octobre 2022).
Barbara n’a, depuis 1967, cessé de répéter à son public qu’il était sa "plus belle histoire d’amour". Quelle est "votre" histoire personnelle, comme auditeur et comme spectateur, avec elle ?
Enfant, à l’époque où mes copains étaient fans de Johnny et des Beatles, mes idoles à moi se nommaient Brassens et Anne Sylvestre, que mes parents m’avaient fait découvrir. J’ai 11 ans, en 1970. Mon meilleur ami, avec qui nous chantions Brassens à tue-tête, me fait écouter un 33 tours de sa grande sœur : Barbara, récital Bobino 1967. Dernière chanson de l’album : Les Rapaces, enregistrée le jour où l’artiste vient de la composer. Cette chanson m’a sidéré. J’ai écouté, j’ai été comme captivé par ce personnage.
Comme je suis compulsif dans ma passion pour la chanson, j’ai tout voulu écouter, tout voulu connaître. Petit à petit je suis rentré dans son univers, qui est magique... Les années 1965-1975 sont les plus marquantes de sa carrière. Sa voix est d’une pureté absolue ; ses albums de l’époque sont d’une force envoutante. J’ignorais que j’habitais alors à cent cinquante mètres de chez elle, rue Michel-Ange…
C’était une évidence pour vous, que les éditions de l’Archipel, que vous dirigez, publient quelque chose pour les 25 ans de sa disparition...
Oui, j’ai du reste publié plusieurs livres sur elle au fil des années. La première biographie de Sophie Delassein, Barbara, une vie, dès 1998. Mais aussi les mémoires posthumes d’Hubert Ballay, qui lui avait offert son appartement de la rue de Rémusat et à qui elle aurait écrit deux cent lettres (perdues ?). Un homme d’affaires pour qui a été écrit en 1962 Dis quand reviendras-tu ?, son premier grand succès, titre devenu celui du livre. J’ai aussi fait paraître Vingt ans avec Barbara, les souvenirs de Roland Romanelli, qui fut son homme-orchestre et son compagnon. Et, cet automne, deux longs chapitres sont consacrés à la dame en noir dans Mes années lumière, le livre de Jacques Rouveyrollis, qu’elle appelait le "magicien des lumières".
Le vôtre, Barbara l’ensorceleuse, en 2000 ?
Il était paru chez Christian Pirot, fou de chansons et excellent éditeur, hélas disparu trop tôt. Un texte où je raconte comment Barbara m’a ensorcelé.
Que retenir de cette nouvelle édition de Barbara, l’intégrale des chansons ?
Parmi les nouveautés, une étude de son univers scénique, par Sébastien Bost. Les cent cinquante chansons que Barbara a écrites sont classées chronologiquement, présentées et replacées dans leur contexte par le directeur d’ouvrage, Joël July, qui signe en outre une étude sur l’univers poétique de Barbara. Le livre indique les variantes connues des chansons. Il inclut de nombreux textes manuscrits de Barbara. Il y a une annexe assez volumineuse avec les textes écrits par Barbara pour accompagner ses spectacles, notamment. Puis une chronologie détaillée de sa vie et de son après-vie, une discographie et une bibliographie mises à jour.
Nous avons failli avoir un scoop pour cette réédition : un poème inédit ! Un collectionneur avait acquis, lors d’une vente aux enchères en 2000, un lot de textes et scripts de Lily Passion annotés par Barbara. Il m’a adressé le scan de quelques pages. Parmi elles le tapuscrit d’un poème inconnu écrit pour cet opéra-rock : La Mer du Nord. Un très beau texte, avec des réminiscences de l’univers de Barbara. Par acquis de conscience, on a interrogé Luc Plamondon, qui avait collaboré à la première version de Lily Passion. Alors que l’on bouclait le livre, Plamondon a confirmé qu’il était bien l’auteur de ce texte et… qu’il en interdisait la reproduction ! Je me suis souvenu qu’il avait souffert lors de l’accouchement difficile de Lily Passion et ne devait pas en avoir gardé un bon souvenir.
En couverture figure une très jolie photo, peu connue : elle est datée de 1967 et on voit Barbara toute jeune, à l’arrière de sa voiture, en tournée. Le fan de Barbara ne peut pas passer à côté !
Lire des textes de chanson est un exercice bien différent de la simple écoute d’une chanson, qu’on imagine plus distraite. Est-ce à dire que le texte se suffit à lui-même dès lors qu’il est poétique ?
Question difficile : le texte d’une chanson se suffit-il à lui-même ? Si l’on part du principe qu’une chanson est un composé de texte et de musique, on serait tenté de répondre non. Mais le premier plaisir très égoïste qu’on a avec un recueil, c’est d’entonner les chansons qu’on aime, seul ou en groupe, peut-être même en les jouant avec un instrument. Le plaisir de retrouver des refrains qu’on a en tête. Indépendamment de tout jugement sur la qualité poétique de la chanson. Quand je disais à Barbara que ses fans seraient heureux de disposer du recueil de ses textes, je n’émettais pas de jugement sur leur valeur poétique. Barbara, elle, avait un doute sur la qualité intrinsèque de ses textes, sur leur postérité. Quand on voit que Brassens ciselait ses chansons, recherchant des rimes riches à chaque vers, des enjambements d’une créativité extraordinaire... Quand on constate la puissance poétique des vers de Léo Ferré, on peut comprendre les craintes de Barbara, pour qui les textes sont le support d’une émotion davantage que le fruit d’un travail très élaboré. Elle avait peur de voir ses textes souffrir de la comparaison avec ceux de Brassens ou de Brel, qu’elle avait jadis chantés. Maintenant, ses chansons sont si chargées de moments forts, d’amour qu’on leur pardonne leurs imperfections, leur côté parfois inabouti.
Une vraie manque de confiance en soi malgré tout... On a tous un peu de Barbara l’image sombre qu’elle s’est toujours donnée, sur la forme et souvent sur le fond. Mais quelques textes prêtent aussi à sourire, et entre des blocs d’ombre jaillissent des rayons de lumière. D’après ce que vous en percevez, comment se situait Monique Serf entre l’optimisme volontariste de Le jour se lève encore (1994), et le pessimisme sans recours de Fatigue (1996), pour ne citer que deux textes parmi ses derniers ?
Barbara a souvent été questionnée sur son côté "aigle noir", "mante religieuse". Elle avait énormément d’humour. Elle avait cette phrase : "Je ne veux pas qu’on me voie de profil, je risque de faire peur aux enfants" (rires). Elle était le contraire de ce qu’on croit : elle était en noir, parce que c’était la couleur qui lui allait, la couleur du personnage qu’elle s’était façonné, mais elle était le contraire d’un personnage sombre. J’ai souvent parlé d’elle avec Georges Moustaki, il me disait qu’il n’avait jamais ri avec personne comme avec Barbara. Elle était gaie. Mais je pense qu’elle était aussi sujette à des moments de détresse, avec une humeur pouvant varier... Elle parle de la tentation du suicide dans ses chansons, et elle ne triche jamais dans ses écrits. Elle n’était pas quelqu’un de linéaire. C’est aussi une femme qui s’est beaucoup vouée aux autres, aux rêveuses de parloir, ces femmes qui venaient écouter les prisonniers... Elle a consacré des nuits entières aux malades du Sida, elle a chanté bénévolement en prison. Elle a donné beaucoup de son temps et, comme elle était insomniaque, elle appelait des gens la nuit. Un être généreux, désintéressé. Le contraire de l’image vénéneuse... D’ailleurs il y a un texte reproduit dans le livre où elle écrit qu’elle n’est pas une "tulipe noire". Mais ce cliché court toujours sur elle... Si on gratte un peu, ça ne tient pas.
N’avait-elle pas compris, aussi, que pour la postérité, dans l’art le noir et blanc s’abîmerait moins vite que la couleur ?
C’est une jolie formule, je pense qu’on peut la garder. Je peux la signer, et je vous l’emprunte!
Quelles sont les chansons de Barbara qui vous ont personnellement le plus touché, sur le moment ou après redécouverte ? Ces titres, connus ou mieux, moins connus, que vous aimeriez inciter nos lecteurs à écouter, et aussi à lire ?
Plusieurs titres sont poignants. Celui qui me bouleverse le plus, c’est Mon enfance (1968). Elle retourne dans ce petit village dans le Vercors où elle a passé plusieurs mois à la fin de la guerre, et qui ont été douloureux, comme tout le conflit où, petite fille juive, elle n’a cessé de fuir l’occupant. Elle en parle de façon très émouvante, la musique est magnifique... C’est un texte autobiographique, un peu comme Nantes. De manière générale, ce sont les chansons où elle parle d’elle de façon très directe, comme Rémusat (1970), évocation du deuil de sa mère, ou Drouot (1971), salle des ventes qu’elle a beaucoup fréquentée, qui sont aussi très prégnantes. Et il y a cette chanson sombre qu’on n’a décodée qu’après sa mort et qui s’appelle Au cœur de la nuit (1966). Si on l’écoute et qu’on la lit bien, c’est au cœur de la nuit que les choses se passent et que son enfance est à jamais détruite...
L’Aigle noir (1970) aussi, de ce point de vue-là ?
C’est sa chanson la plus populaire. Elle l’avait ajoutée en dernière minute à l’album paru en mai 1970. Cette chanson est devenu son plus grand succès malgré elle tant elle a tourné en radio au cours de l’été suivant. Il y eu énormément d’interprétations psychanalytiques de la chanson. Peut-être veut-on lui faire dire trop de choses. Comme pour le tableau d’un peintre où celui-ci découvre qu’il a représenté des concepts qu’il n’avait pas imaginés. L’Aigle noir, on lui a trouvé tant de sens cachés ! Je ne sais si tout cela a lieu d’être, mais encore une fois, pour décoder le viol il faut surtout écouter Au cœur de la nuit.
Quand on songe à Barbara, à son public, il y a comme une forme de communion qui reste forte. Vous l’évoquiez, est-ce que ça tient à l’espèce d’intimité née, collectivement et individuellement, entre elle et chacun de ses auditeurs, à sa manière à elle de se mettre à nu ? Barbara écrit : "Voilà tu la connais l’histoire..." dans la touchante Nantes...
L’émotion vous prenait, au spectacle, dès qu’on arrivait au théâtre. Quelque chose de très prégnant, une atmosphère très particulière qui faisait battre le cœur avant même que le rideau ne se lève. Comme si tous les gens présents appartenaient à une sorte de communauté, liés par un fil invisible, une expression qu’elle utilise dans la chanson Vienne (1972). Un groupe d’êtres humains reliés à elle, à ses notes, à sa respiration. Certains fanatiques la suivaient en tournée, certains se couchaient sur son paillasson rue Rémusat comme elle le raconte dans Les Rapaces. Sa façon de chanter, l’intensité de ses phrases, de ses histoires étaient telles que les gens se sentaient concernés de façon très intime par ce qu’elle racontait. Après sa disparition j’ai retrouvé cette atmosphère si particulière, lorsque Marie-Paule Belle a donné un spectacle hommage où elle a fort bien chanté Barbara. On ne retrouvait pas cela chez d’autres artistes : Brassens, en spectacle, créait une atmosphère de complicité, Ferré un élan vital d’adhésion à ses mots, Anne Sylvestre un plaisir intense, une adhésion à la beauté de ses textes, de ses musiques et à sa générosité.
Quel regard portez-vous sur la carrière de Barbara, sur son parcours de vie aussi ?
Son parcours de vie est très intéressant. Quand on regarde de près la vie de Barbara, ça commence par beaucoup de souffrance, vingt premières années assez terribles... Elle grandit sans père, suit des cours de piano, de chant lyrique, puis se rend compte que sa voix n’est pas de celles qui conviennent pour mener carrière à l’opéra... Elle a crevé de faim en Belgique pour essayer de monter un cabaret, elle a été à deux doigts de se prostituer pour pouvoir manger... Elle s’est faite seule, malgré le père absent, malgré la misère. Un parcours assez extraordinaire, avec aussi elle a la capacité de subjuguer les hommes. Elle ne dit pas qu’elle écrit des chansons, elle ne les signe pas tout de suite, une sorte de pudeur. À partir de la fin des années 1950, elle se rend compte que la scène de l’Écluse est trop étroite pour elle, qu’elle a en elle une force incroyable, elle invente des jeux scéniques dès qu’elle ose quitter son piano. À partir de 1963, de sa première scène en solo au Théâtre des Capucines, elle passe dans une autre dimension...
En quoi est-elle une source d’inspiration pour vous, et en quoi peut-elle inspirer ceux qui prêtent attention à son œuvre ?
Par sa générosité, Barbara nous montre l’exemple de quelqu’un qui a beaucoup fait, sur bien des sujets, par exemple pour prendre conscience qu’il fallait mettre des préservatifs, se protéger contre les MST, avoir un regard généreux sur les gens qui sont fragiles, sur les infirmières, les prisonniers aussi... Elle le dit elle-même, elle a voulu rendre aux gens tout ce qu’ils lui avaient donné. Elle disait que ce qui la motivait le plus, c’était le plaisir du spectacle. Je pense qu’elle sentait la ferveur du public, qu’elle comprenait à quel point les gens comptaient sur elle et ça l’a émue, elle a voulu rendre tout ce qu’elle avait reçu d’amour de son public, un amour plus intense que celui qu’elle a pu recevoir d’un homme...
Il y a des artistes qui vous font penser à elle en 2022, retrouveriez-vous en eux ce qui vous a fait aimer Barbara ?
Oui, il y a une jeune artiste qui a un talent fou, une voix très différente de Barbara et une grande sensibilité, c’est Pomme. Je retrouve beaucoup de choses en elle, elle a aussi un vécu très original. C’est une fille qu’on sent mal dans sa peau, dans l’ambivalence... Elle a une voix vulnérable, et elle dégage beaucoup de choses. Parmi les artistes d’aujourd’hui j’aime aussi Barbara Pravi qui a une belle voix et la merveilleuse Clarika, qui excelle aussi bien sur scène qu’en disque. Ces femmes ont un talent barbaresque, mais il ne faut pas essayer de copier. Que chacun suive sa route... Certes, je n’ai jamais ressenti une telle intensité entre un artiste et son public qu’avec Barbara. J’imagine que les fans Mylène Farmer vivent ce phénomène de communion, qui relie beaucoup d’artistes, notamment anglo-saxons, à leur public...
Une forme de religion quelque part...
Oui, une forme de religion. Mais chacun trouve ce qu’il cherche. Mon déclic en matière de chanson c’est vraiment la musique. C’est d’abord elle qui me fait aller vers un artiste. Si je n’ai pas le plaisir du son, c’est fini, je suis hors course. Si, par contre, la musique me plaît, je peux accepter une certaine imperfection, une facilité dans les textes.
Si, par un improbable prodige, vous pouviez vous retrouver face à Barbara, lui poser les yeux dans les yeux une question, quelle serait-elle ?
Comme je l’ai dit, Barbara était quelqu’un d’impressionnant. Pourtant, je ne suis peu impressionnable. Elle dégageait quelque chose de magnétique... J’aurais aimé l’interroger sur les histoires cachées derrière ses chansons, tout en sachant qu’elle aurait refusé de répondre. J’ai essayé de convaincre Anne Sylvestre de raconter les histoires qui étaient en filigrane cachées dans ses textes, mais j’ai vu très vite qu’il y avait beaucoup de souffrance là-dedans. Elle aussi a connu des drames dans sa vie ; elle n’a pas voulu les revivre.
Trois qualificatifs, pour décrire au mieux Monique Serf alias Barbara, telle que vous croyez l’avoir comprise par ses attitudes, par ses textes et parce qu’il y avait entre les lignes ?
La passion de convaincre : elle était dotée d’une force extraordinaire de ce point de vue. La passion de transmettre. Et une vraie bienveillance envers autrui.
Quel bilan tirez-vous de l’année écoulée, en tant cette fois qu’éditeur, pour l’Archipel ? Le marché du livre se porte-t-il plutôt plus ou moins bien qu’avant la crise Covid ?
Disons qu’on a été un peu leurrés par l’année 2021, qui a été celle de la fin du Covid. Les gens, ayant été frustrés de livres, se sont précipités en librairie. Le marché a connu une année anormalement faste, et la plupart des éditeurs ont vu leur chiffres d’affaires faire un bond. On a pu croire qu’il était facile de vendre des livres... 2022 nous a cruellement ramenés à la réalité, on est revenu à un marché plus difficile, avec trois phénomènes qui se sont additionnés : la guerre en Ukraine, avec cette peur du nucléaire en Europe qui a noué pas mal de ventres ; l’année politique avec les incertitudes qu’elle a générées ; dernièrement l’inflation disparue depuis quarante ans à ce niveau qui revient et impacte le budget culture des ménages.
Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ?
Je fais un métier qui me permet de rencontrer des gens passionnants, de tous horizons. On ne s’ennuie jamais, on est toujours dans la curiosité, dans la découverte. Une grande partie du plaisir de l’éditeur, c’est de travailler les textes avec les auteurs. Le plaisir de découvrir une plume de talent, c’est quelque chose dont on ne se lasse pas. J’aime féliciter les auteurs qui nous enchantent par leur talent de plume. C’est l’aventure de faire des livres, des livres qui vous intéressent, vous passionnent parfois. Dans le domaine de la chanson, j’ai publié deux témoignages cet automne. Les souvenirs de Françoise Canetti, la fille de Jacques Canetti. Elle raconte le parcours de cet extraordinaire découvreur de talents que fut son père. Ensuite, les mémoires du plus grand éclairagiste de la scène, Jacques Rouveyrollis : il a connu tant d’artistes depuis un demi-siècle et les raconte avec beaucoup d’humour. Je signale aussi un livre très différent signé Philippe Di Folco, qui recense les impostures littéraires. On se rend compte qu’il y a ceux qui écrivent, ceux qui s’inspirent et ceux… qui trichent !
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Pascal Louvrier : « Fanny Ardant se brûle parfois mais peu importe, elle est quelqu'un qui ose »
Il y a quatre mois, l’auteur et biographe Pascal Louvrier m’accordait une interview autour de son Gérard Depardieu à nu, qui venait de paraître aux éditions de l’Archipel. La lecture fut instructive et l’échange agréable. Il y fut question, parmi tous les sujets abordés, des partenaires de Depardieu, dont Fanny Ardant, à laquelle l’auteur consacrait justement son prochain ouvrage - ouvrage qui d’ailleurs, au moment de l’interview, était sur le point d’être imprimé. Quelques semaines après, j’ai pu avoir entre les mains Fanny Ardant, une femme amoureuse (Tohu-Bohu, septembre 2022), objet littéraire pas vraiment identifié (pas réellement une biographie, pas franchement un roman, pas tout à fait des confessions, mais un peu tout ça à la fois).
Ce livre, c’est un peu le regard d’un amoureux sur une femme amoureuse, et à le lire on comprend à quel point ce qualificatif correspond bien à Fanny Ardant. On peut aussi en parler comme d’une actrice qui ose faire des choix casse-gueule, elle l’a prouvé à maintes reprises, et comme d’une femme mystérieuse, complexe et révoltée, autant qu’un Depardieu. Une femme de passions, le jeu de mot est facile, mais il correspond à une réalité : comme son nom l’indique, peu de place pour la tiédeur chez Fanny Ardant. Ce livre, qui se lit comme un roman, mérite d’être découvert. Et sa lecture invite à découvrir ou redécouvrir l’œuvre remarquable de cette comédienne. Merci à elle pour ces moments, et à Pascal Louvrier, pour sa disponibilité, et pour cette nouvelle interview donc, réalisée mi-juillet. Exclu. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Pascal Louvrier : « Fanny Ardant
se brûle parfois mais peu importe,
elle est quelqu’un qui ose. »
Fanny Ardant, une femme amoureuse (Tohu-Bohu, septembre 2022).
Pascal Louvrier bonjour. Quand on referme votre livre, on se dit qu’il n’est pas vraiment une bio. Fanny Ardant y est largement évoquée, mais il y a beaucoup de sentiments personnels qui sont aussi confessés, pas mal d’éléments qui iraient bien dans un roman. Peut-être est-ce tout simplement, une déclaration ?
Une déclaration, je ne sais pas... Confession me paraît plus exact. Et effectivement, je ne fais jamais de biographies classiques, mais sur celui-ci en particulier, si j’ose dire, "ceci n’est pas une biographie". Il y a des éléments romanesques, même s’il faut faire attention aux termes, puisque je n’invente absolument rien concernant Fanny Ardant : tout est rigoureusement exact. Mais il y a bien une dramaturgie personnelle qui se déploie, et qui d’ailleurs a été un peu voulue par Fanny Ardant : quand je lui avais demandé si je pouvais me lancer dans une biographie, elle m’avait dit que ça ne se demandait pas, qu’il fallait "prendre le pouvoir". Je consacre d’ailleurs un court chapitre à ce qu’elle m’a dit, écrit, et j’ai trouvé que ça correspondait bien à son état d’esprit, à son caractère et à ses passions qu’elle nourrit depuis toujours : tout ce qui me séduit chez elle.
Fanny Ardant, c’est la femme libre par excellence ?
Oui, c’est vraiment la femme libre qui ne revendique pas sa liberté mais qui la vit pleinement. Elle ne souhaite être dans aucun embrigadement quel qu’il soit parce que le moindre slogan, la moindre pancarte sous lesquels défiler vous font perdre votre liberté. C’est pour ça qu’elle incarne pour moi la liberté absolue. Par son allure déjà : c’est une femme d’une grande classe, d’une grande élégance, qui s’exprime très bien, avec une phrasé particulier qui je crois fait aussi son charme. Et au fil des années elle est devenue une actrice culte. Je pense notamment à La Femme d’à côté (1981) de François Truffaut qui allait devenir son compagnon peu après.
Il y a également chez elle une liberté d’expression que l’on ne trouve plus aujourd’hui, hélas, parce qu’on est dans des formatages, dans des slogans, du prêt-à-penser intellectuel et idéologique. Elle n’est pas du tout là-dedans, et son parcours et ses propos le prouvent, toujours avec beaucoup de distinction et de classe. J’aime ça par-dessus tout : je ne suis pas favorable à ce qu’on quitte une salle de spectacle en faisant un bras d’honneur aux gens qui sont dans la salle ou sur scène, j’ai même horreur de ça.
Vous avez un peu répondu à cela, mais pour vous, le sujet Fanny Ardant, ça a été un vrai coup de cœur personnel ?
Oui bien sûr. Comme souvent d’ailleurs avec les livres que j’écris sur certaines personnalités : il ne peut en être autrement, parce que je choisis mes personnages si j’ose dire. Ou c’est peut-être eux qui me choisissent, il y a parfois une alchimie qui nous échappe... Clairement ici c’est un vrai coup de cœur, et je crois que de son côté aussi, quand elle m’écrit : "Vous me donnez des chaleurs, à vouloir écrire sur moi...", quand je lui annonce le projet, ce qui est magnifique (rires).
Qu’est-ce qui, de son enfance à son parcours de femme et d’artiste, l’a forgée telle qu’elle est ?
Je crois qu’il y a une discipline qu’elle a acquise dans la solitude. Elle était une jeune fille, puis une adolescente solitaire, qui se réfugiait dans les livres. Elle a eu une enfance dorée, puisqu’elle a vécu à Monaco du fait du métier de son père. Père qui était un homme très rigoureux, d’une grande droiture : il était écuyer, il faut savoir maîtriser le cheval, sinon il part au galop et vous rompt le cou. Il faut à la fois laisser la liberté, bride sur le cou au cheval mais aussi le monter serré. Elle a retenu cela de son père, cette discipline donc, cette exigence. Cette discrétion, aussi. C’est dans la solitude, dans la lecture, qu’elle s’est forgé une culture et surtout une personnalité. Solitaire, c’est aussi une femme très secrète dont on ne peut percer tous les mystères - d’ailleurs je trouve ça plutôt bien, à la fin du livre reste une part d’ombre...
On ressent bien ce mystère qui persiste à la fin de la lecture d’ailleurs...
Oui, le mystère perdure, parce que je ne peux pas le pénétrer totalement, et d’autre part je n’ai pas envie de soulever le voile totalement. Garder une part de mystère et de rêve en même temps. Mais on sent que, sous des aspects très polissés, c’est une femme qui bout et qui est ravagée par un incendie intérieur très fort.
Justement, à votre avis dans quels rôles cette discrète nous donne-t-elle le plus à voir qui elle est vraiment ?
Le grand rôle à mon avis c’est La Femme d’à côté. Le titre de mon livre, c’est "Fanny Ardant, une femme amoureuse", et on voit dans ce film que c’est l’amour qui détermine sa vie et ses choix, avec tout ce que ça comporte de dangers et de risques, parce qu’il y a une mise à nu dans la passion amoureuse, qui peut d’ailleurs revêtir plusieurs formes. C’est une femme qui se met perpétuellement en danger, par ses choix artistiques. Pour moi elle est bien la femme de ce film, "ni avec toi ni sans toi", et l’amour à mort qui se finit tragiquement. C’est aussi pourquoi elle interprète aussi admirablement Marguerite Duras au théâtre : elle est l’une des grandes voix de l’écriture de Duras.
En tout cas c’est la deuxième fois que vous me vantez les mérites de ce film, entre l’interview sur Depardieu et celle-ci, il faut vraiment que je le voie !
Oui, il y a dans ce film une alchimie difficile à trouver au cinéma : deux très grands acteurs. Parfois, dans pareil cas le cocktail ne prend pas. Là ils sont magnifiques tous les deux, avec la caméra de Truffaut : on a le réalisateur, on a la femme, on a l’homme... on a tout dans ce film. Et l’histoire, qui est assez classique mais qui donne une force inégalable à l’ensemble.
Parlons du réalisateur justement. Leur fille mise à part bien sûr, que lui a apporté Truffaut, et qu’a-t-elle apporté à Truffaut ?
Vaste question... Ils ont été ensemble. Truffaut est mort sans avoir pu connaître Joséphine, sa fille que portait Fanny Ardant. Il y a forcément ici quelque chose de très puissant. Sur le plan privé, le père, la mère, la fille. Et cela, doublé d’un couple cinématographique : ils tourneront ensuite Vivement dimanche, avec Jean-Louis Trintignant qui vient de nous quitter.
Truffaut n’avait pas son pareil pour mettre en valeur les femmes dans ses films. Et je pense qu’il nous manque beaucoup aujourd’hui. Certaines actrices auraient pu trouver un développement original si elles avaient pu tourner avec lui. Je pense notamment à Léa Seydoux, que j’évoque à la fin de mon livre et que j’imagine très bien filmée par Truffaut. Même si Arnaud Desplechin dans Tromperie (2021), adapté du roman de Philip Roth, arrive à faire quelque chose de très fort... Je fais cet aparté, parce qu’il est difficile, après Fanny Ardant, de trouver une jeune actrice qui ait toutes ses qualités, son tempérament, son intelligence et sa force. Il me semble que Léa Seydoux les a. Mais pour revenir à votre question, c’est vraiment entre eux un apport réciproque multiple, qu’on ne peut résumer en quelques lignes. Peut-être faudrait-il d’ailleurs y consacrer tout un livre, pourquoi pas sous la forme d’un roman...
Avec Depardieu, vous évoquez un partenaire de jeu mais aussi un ami, une espèce d’amitié amoureuse entre deux écorchés vifs vomissant les travers de l’époque. Ces deux-là se sont reconnus assez vite ?
Oui, d’autant plus qu’ils se sont rencontrés dans le film Les Chiens (1979), d’Alain Jessua. Fanny Ardant n’était alors absolument pas connue, et on l’avait laissée de côté. Gérard Depardieu avait lui remarqué cette femme, il l’avait un peu prise sous son aile - lui était déjà une vedette reconnue. Il l’a aidée à s’imposer sur un plateau de cinéma, alors que Fanny Ardant se considérait presque comme une pestiférée. Elle lui en a été très reconnaissante. Après il y a donc eu La Femme d’à côté, d’autres films ensuite... On peut effectivement parler d’une sorte d’amitié amoureuse : ils s’estiment et s’adorent, ils sont tous les deux dans une forme de provocation, de provocation saine par rapport à l’étouffoir que représente notre société aujourd’hui. Ils font un bien fou, tous les deux...
À la question que vous laissez en suspens à un moment de votre récit, quelle réponse apporteriez-vous : qui de Fanny Ardant ou de Gérard Depardieu est à votre avis le plus "noir", le plus énervé par le monde qui nous entoure ?
Fanny Ardant répond à cette question, lorsqu’elle se dit beaucoup plus énervée, agitée et sombre que Depardieu. Quand on connaît la personnalité de Depardieu, on sait qu’il a des moments de grand tourment, mais je sais aussi que Fanny Ardant a des moments très sombres et très noirs. Et je crois en effet que dans la noirceur elle l’emporte haut la main. Chez Gérard Depardieu, il y a une très grande fragilité c’est incontestable, mais il y a aussi une très grande force : c’est Pantagruel, il a les pieds dans la glaise et il tient debout. Fanny Ardant a fait plusieurs fois des sorties de route. Et en même temps elle prend des risques, cinématographiquement. Gérard Depardieu en a pris aussi bien sûr, mais aujourd’hui un peu moins, alors que Fanny Ardant en prend toujours.
Dans Pédale douce (1996), elle est extraordinaire, idem dans La Belle Époque (2019). J’ai d’ailleurs interviewé Nicolas Bedos, réalisateur de ce film, il m’en a parlé longuement. Il m’a d’ailleurs confié n’être pas toujours en accord avec ses sorties - je ne le suis pas non plus d’ailleurs - mais c’est sain et salutaire : quand on est dans un dîner, c’est bien de n’être pas tous d’accord à réciter ce que les médias nous imposent de gré ou de force. Fanny m’avait d’ailleurs dit en direct qu’elle aurait envie d’aller dans un dîner où elle rencontrerait un fasciste : ça lui plairait parce qu’elle pourrait s’engueuler avec lui, argumenter, contre-argumenter, ce qui serait intéressant, et peut-être que quelque chose de bien sortirait de cette confrontation-là. Elle avait fait un jour une sortie contre l’américanisme : elle faisait un film sur Staline (Le Divan de Staline, 2017), d’ailleurs avec Depardieu, et un journaliste l’avait attaquée sur Staline, sur l’URSS, sur le goulag... Elle lui avait rétorqué qu’elle n’était pas favorable à Staline mais qu’au moins on pouvait en débattre. Et elle avait fini par lâcher que finalement, il fallait tous être américains et leur dire amen. C’est ce que j’aime chez elle : elle sait amener le débat et la confrontation, comme le faisait d’ailleurs Marguerite Duras.
Et justement, dans ces deux livres, consacrés donc à Depardieu et à Fanny Ardant, vous ne faites pas mystère vous non plus de ce que vous inspire une époque où, notamment dans le milieu du show business, il vaut mieux ne pas sortir des clous de la pensée dominante si on veut faire carrière, et au diable les nuances de la pensée. Ce mouvement-là est-il irréversible ?
Irréversible je ne sais pas. Dans l’existence rien n’est irréversible. Mais effectivement, en ce moment on vit une véritable chape de plomb, une chasse aux sorcières dans une sorte de maccarthysme moderne détestable et que je déteste au plus haut point. Oui, quand il y a des artistes hors normes comme Depardieu, comme Fanny Ardant, ça fait du bien mais on cherche la relève, et malheureusement on la trouve difficilement : il y a beaucoup de fadeur, de calculs un peu misérables. Alors qu’un artiste ce n’est pas ça, ça n’a aucun intérêt. Ce formatage risque de nous détruire totalement, c’est d’ailleurs pour cette raison que nombre de films font des bides. Elle le dit elle-même dans une interview très récente, qu’elle ne tourne pas un film pour "éduquer les citoyens". Tout est dit : le cinéma n’est pas fait pour ça !
Pour elle, pour moi aussi, l’objectif du cinéma, comme de la littérature et de tous les arts d’ailleurs, c’est d’abord de donner des émotions. "Un rendu émotif", comme dirait Louis-Ferdinand Céline. C’est de faire plaisir aux spectateurs aussi, pour qu’ils passent un bon moment. Mais pas pour entretenir une culpabilité permanente, etc... C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a fait ses sorties à propos de Roman Polanski : il a aussi et d’abord fait des films, et quels films. Et qui plus est, elle le connaît et l’apprécie. Elle ne supporte pas les condamnations à mort et suivrait jusqu’à la guillotine quelqu’un qu’elle aime. Moi j’adore ça.
Pour en revenir à Léa Seydoux, elle a déclaré dans une interview récemment que ses cernes, elle entendait bien les garder pour éviter le formatage. J’ai apprécié, en ces temps où les jeunes actrices et les jeunes acteurs se ressemblent tous un peu. On est différents, c’est le principe de l’humain aussi, il faut l’assumer. L’uniformisation de la planète par le système capitaliste est insupportable à mes yeux.
Qu’est-ce qui anime Fanny Ardant ?
Je pense que c’est la passion sous toutes ses formes, à commencer par la passion amoureuse. C’est une femme qui aime au sens le plus fort du terme, c’est pourquoi elle se brûle parfois. Elle va tenter des films, pas toujours très réussis mais peu importe, elle est quelqu’un qui ose.
Si vous étiez un producteur, un réalisateur, un metteur-en-scène, quel rôle aimeriez-vous lui confier ?
C’est difficile, parce qu’elle a joué de très nombreux rôles, y compris un transsexuel. Dans un court-métrage, elle joue une morte. Récemment, elle a interprété une femme amoureuse d’un homme beaucoup plus jeune. Je la verrais bien dans un personnage historique, une femme de pouvoir, Golda Meir par exemple. Merci de m’avoir fait réfléchir à cela ! (rires)
Qu’est-ce que vous auriez envie de lui dire, de lui demander si vous osiez à cette Fanny personnage de roman, dans les yeux ?
Quand tu étais adolescente en 1968, pourquoi t’es-tu retrouvée dans un couvent en Espagne ? Je lui poserais cette question-là. (Il imite Fanny Ardant : "Pascal, vous me gênez beaucoup...")
Vous vous confiez pas mal dans cet ouvrage, l’air de rien. C’est un besoin que vous ressentez de plus en plus ?
Il y avait une connivence qui m’a peut-être incité à la confession. Peut-être que j’ai eu la faiblesse de me laisser aller un peu à quelques confidences. Peut-être aussi un peu l’envie de briser, encore davantage, les codes de la biographie - je les ai déjà pas mal malmenés. Voilà. Chacun lira avec sa propre grille, et retiendra des éléments qui le toucheront.
Avec dans ce livre, plusieurs degrés de lecture et de sensibilité...
Oui, vous avez tout à fait raison.
D’ailleurs vous avez écrit sur BB, sur Depardieu, sur Fanny Ardant donc... Pourquoi pas Deneuve ? Delon ?
Alain Delon j’ai tourné autour, si j’ose dire. Ça n’a jamais pu se faire, mais ça a failli se faire : j’avais en tête un "Delon intime". J’avais même une anecdote personnelle : mon père possédait des chevaux, des trotteurs, et il avait le même entraîneur qu’Alain Delon. Moi j’étais très jeune, j’assistais au championnat du monde des trotteurs - le Prix d’Amérique. Et je vois Alain Delon qui parle avec son entraîneur : "Je veux acheter cette jument américaine, amenez-moi le propriétaire". L’entraîneur s’exécute, son propriétaire lui répond qu’elle n’est pas à vendre. D’ailleurs elle n’était pas du tout favorite. Delon s’emporte : "Je l’achète, quel est son prix ?". Il a fini par aller voir le propriétaire, s’est présenté, lui a tendu le carnet de chèques en lui disant d’y mettre la somme qu’il voulait. Le propriétaire américain s’est tenu à sa position. La course démarre. Je m’en souviendrai toujours parce que ça m’avait marqué : dans cette course, je ne regardais que cette jument. Dans le dernier tournant, elle était dernière. Je me dis, "heureusement qu’il ne l’a pas achetée". Et elle a fait une ligne droite époustouflante, elle est venue sur le poteau, il y a eu photo et elle a gagné le Prix d’Amérique ! Depuis ce jour-là, en-dehors de tous ses films que j’adore, à commencer par Le Samouraï, je me suis dit que ce type était extraordinaire. J’ai eu l’occasion de le rencontrer par l’entremise de Mireille Darc. Je lui ai rappelé cette anecdote, il était surpris, et j’ai pensé qu’on pouvait faire un "Delon intime" avec des anecdotes comme ça, pas de la bio classique. Mais ça n’a jamais pu se faire, et j’ai un peu perdu patience.
Il faut avoir une attirance, sous diverses formes d’ailleurs, pour le sujet, parce qu’une biographie prend deux ans pour les recherches, chercher à rentrer dans la psychologie du sujet... Sans être désagréable, je ne pourrais pas consacrer deux ans de ma vie à Catherine Deneuve, même si je reconnais qu’elle est une très grande actrice. Mais je n’ai pas d’atomes crochus avec elle, il y a des éléments que je ne cerne pas. J’assume mes choix, souvent sur la base de coups de cœur. S’ils donnent de bons livres tant mieux. Chacun est libre d’apprécier ou pas...
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Pascal Louvrier : « Depardieu, il faut qu'il tourne, sinon il tombe... »
Parmi nos monstres sacrés, et il n’en reste plus beaucoup, je vous propose aujourd’hui un gros plan sur un homme et un artiste qui incarne peut-être mieux que personne la notion de démesure. Nounours ou bien ogre, qui se cache derrière l’enveloppe corporelle imposante, la carapace Depardieu ? Pascal Louvrier, auteur de nombreux ouvrages, tente de tirer la chose au clair avec Gérard Depardieu à nu (L’Archipel, avril 2022), une bio fouillée et passionnante dans laquelle il analyse la carrière monumentale de Depardieu et le parcours de vie de Gérard, entre petits bonheurs et grandes failles.
Je remercie M. Louvrier pour l’interview qu’il a bien voulu m’accorder le 23 mai : j’ai pris le parti d’exclure des questions revenant souvent (les liens de Depardieu avec Vladimir Poutine, les affaires dans lesquelles son nom est cité) parce qu’il n’y avait pas grand chose d’intéressant à en dire ; j’ai également pris le parti de retranscrire l’interview telle qu’elle s’est faite, en ne retouchant quasiment rien pour la restituer aussi fidèlement que possible. J’espère que cette lecture plaira à qui s’y engagera, et je suis persuadé que ceux-là auront plaisir à lire le livre. Exclu. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Pascal Louvrier : « Depardieu,
il faut qu’il tourne, sinon il tombe... »
Gérard Depardieu à nu (L’Archipel, avril 2022).
Pascal Louvrier bonjour. Comment choisissez-vous ceux dont vous allez tirer le portrait, et pourquoi avoir choisi Depardieu pour ce nouveau livre ?
Les choix se font un peu par hasard. Je n’ai pas véritablement de méthode : ce sont surtout des coups de coeur. En ce qui concerne Gérard Depardieu, je me suis dit qu’après une biographie de Brigitte Bardot (Vérité BB, TohuBohu, 2021), il était difficile de trouver un sujet équivalent en ce qui concerne l’intérêt. J’ai réfléchi, et je me suis dit que Depardieu s’imposait, de par son parcours et surtout, sa carrière cinématographique exceptionnelle.
Est-ce que, s’agissant de Depardieu et d’Amy Winehouse notamment (je la cite parce que vous lui avez aussi consacré une bio), on peut dire que leurs failles ont favorisé l’apparition du génie, l’affirmation de la personnalité ? Chez Depardieu, ces failles originelles, c’est bien la conscience d’avoir été pour sa mère un "boulet" non désiré, et les scandales de l’arbre familial ?
Oui. Je ne mettrais pas sur le même plan ces deux personnalités. Déjà, parce qu’Amy Winehouse est morte à 27 ans, donc le parallèle est un peu difficile à faire. Les failles d’Amy sont peut-être plus facilement discernables, avec, à 9 ans, l’explosion de sa famille, même si elle a pu continuer à avoir un dialogue avec ses parents, et notamment son père qui allait devenir son manager. Avec Depardieu, c’est beaucoup plus compliqué : la mère, effectivement, ne voulait pas de se troisième enfant et a essayé de le "faire passer", comme on dit. Lui évoque des aiguilles à tricoter, c’est assez spectaculaire mais je penche plutôt vers la thèse de ces breuvages utilisés pour "faire passer" les enfants. Il y a un peu d’exagération sans doute, comme souvent chez lui ce qu’à plusieurs reprises j’essaie de montrer dans mon livre. Mais sur le fond c’est vrai, avec ce père qui est alcoolique, mutique... Rapidement Depardieu devient un voyou qui se retrouve à l’école de la rue, il a des problèmes d’élocution, peine donc à se faire comprendre, etc... C’est quelqu’un qui est très "en friche", au moins jusqu’à certaines rencontres de personnes qui vont lui tendre la main.
Vous m’offrez une transition parfaite : vous racontez bien qu’au départ, le passage au théâtre n’a pas été simple pour un Gérard brut de décoffrage et ne croyant pas vraiment en lui. Est-ce qu’on peut dire que des rencontres comme avec Jean-Laurent Cochet, professeur d’art dramatique ont, à ce moment-là, changé sa vie ?
Forcément, parce que Gérard était une nature brute et brutale. Il a fallu quelqu’un qui le comprenne, qui lui donne sa chance et qui même, puisqu’il n’avait pas d’argent, lui permette de suivre ses cours sans avoir à débourser un centime. Jean-Laurent Cochet a compris que, derrière cette "force qui va", il y avait une sensibilité exacerbée empêchant tout équilibre. Cette rencontre fut déterminante.
Gérard Depardieu a relativement peu joué au théâtre au regard de sa longévité et de sa carrière cinématographique imposante. Pourquoi ?
Je pense que le cinéma convient mieux à la nature de Gérard Depardieu. Comme je vous l’ai dit, c’est une force qui va, il a besoin d’être en permanence dans le mouvement. Le cinéma c’est une équipe, en général le tournage dure trois mois au maximum, on peut un peu tricher avec le texte. Je raconte à plusieurs reprises que souvent Gérard ne connaît pas correctement son texte et qu’il colle des fiches sur le dos ou le front de ses partenaires, comme d’ailleurs le faisait Marlon Brando. Alors qu’au théâtre il y a une discipline qui est plus grande, et tous les soirs on monte sur scène pour rejouer la même chose. Il y a peut-être davantage de lassitude, c’est pourquoi je crois que Depardieu se sent mieux au cinéma.
Qu’est-ce qui justement caractérise pour vous le jeu de Depardieu ? Un mix de sensibilité et de spontanéité brute, qui se joue jusqu’à une non connaissance de son texte ? Peut-on le raccrocher à une tradition d’acteurs, et lui voyez-vous à ce titre des aînés - vous avez déjà cité Brando - ou des descendants évidents ?
Depardieu est un grand instinctif. Il sent les choses et a aussi un vécu très important, une dramaturgie personnelle. Il a une ou plusieurs failles mais il arrive à les maîtriser, même s’il ne les maîtrise pas toujours. Il suit un peu la méthode de l’Actors Studio, sans y penser. C’est souvent très spontané chez lui : il est arrivé à surmonter toutes les épreuves de la vie. En ce moment on parle beaucoup de Patrick Dewaere, pour les 40 ans de sa disparition, et on lie souvent ces deux-là, mais ce ne sont pas du tout les mêmes personnalités. Dewaere, c’est quelqu’un qui n’a jamais trouvé le moindre équilibre alors que Depardieu, même s’il est intérieurement plein de blessures et de fêlures, sait être maître de lui et utiliser ses failles face à une caméra. On peut aussi évoquer sa force physique qui est extraordinaire, au sens premier du terme.
L’équivalent dans le cinéma mondial c’est effectivement Marlon Brando, même si je pense que la carrière de Depardieu est meilleure. On peut penser aussi, parmi les aînés, à Jean Gabin, parce que lui jouait un peu comme ça, à l’instinct. Je pense aussi au professionnalisme de Montand, parce que c’est un grand pro, Depardieu. Même s’il n’apprend pas ses textes ou qu’il les oublie, quand il est devant une caméra, il est sérieux. Après bien sûr, au bout de 150 ou 160 films, il y a des moments où il est certainement moins performant, avec un peu de lassitude, mais dans sa grande période, jusqu’à Cyrano de Bergerac (Jean-Paul Rappeneau, 1990), il est très pro. Après, il est plus dans l’intime, donc le jeu est un peu différent.
Dans Maigret (Patrice Leconte, 2022) par exemple, pour continuer d’évoquer sa méthode, je le trouve éblouissant. Il est éblouissant parce qu’il connaît l’univers de Simenon. Donc quand il joue Maigret, il est Simenon, il est l’univers de Simenon, et ça colle parfaitement. On a un Maigret très intimiste, et cet univers-là dépasse le roman policier. Depardieu a côtoyé des personnalités avec des univers très différents mais très profonds. Il a été très ami avec Marguerite Duras, pour rentrer dans son univers, ça prend du temps... Idem pour Maurice Pialat.
Vous revenez longuement dans votre ouvrage sur les relations difficiles (le mot est faible) qu’entretinrent Gérard et Guillaume. Depardieu a-t-il "écrasé" son fils Guillaume comme il aurait écrasé son camarade des Valseuses, Patrick Dewaere ?
Inconsciemment, ou non ça dépend, il écrase tout le monde. C’est vraiment Obélix, avec sa tendresse, sa sensibilité exacerbée, mais clairement il écrase. Le tort de Dewaere fut je crois d’avoir voulu rivaliser avec Depardieu. C’est lié aussi aux metteurs en scène, notamment à Bertrand Blier qui l’a fait jouer et l’a mis dès le début en rivalité avec Depardieu. C’était à la fois un atout, parce que Les Valseuses (1974), ça a été un succès reposant sur un duo, voire un trio avec Miou-Miou, mais il faut ensuite essayer de s’en défaire...
En ce qui concerne son fils, c’est évidemment beaucoup plus compliqué. Guillaume, c’est le fils de Gérard Depardieu, c’est une évidence, mais c’est quelque chose qu’il faut arriver à surmonter. Il vit dans l’intimité familiale et voit un père qui est complètement borderline, donc pas simple... Et, il y a quelque chose qui m’a toujours étonné et qui est à mon sens un peu "criminel" : dans le film Tous les matins du monde (Alain Corneau, 1991), on offre à Guillaume, qui je pense était encore plus écorché vif que son père, avec moins d’énergie et moins "le physique" que lui, le rôle de son père jeune. C’est suicidaire. Cinématographiquement c’est terrible. En plus, dans la suite du film le père prend la relève et il est comme absent, lourd et désabusé. L’ombre portée du père est dans cette histoire écrasante, asphyxiante...
Vous le racontez bien dans votre ouvrage, et on sent tout le mal être de Guillaume...
Oui d’autant que Gérard Depardieu est souvent sans limite. Je raconte aussi que Guillaume a un jour écrit un texte admirable. Gérard l’a trouvé sur sa table de chevet, il a trouvé que c’était un beau texte, considéré qu’il était fait pour Barbara. Il l’a faxé à la chanteuse sans demander quoi que ce soit à son fils. Il l’a ensuite interprété sur scène quand son fils est mort, en pensant à lui. Mais il y a parfois quelque chose d’assez pervers dans ses attitudes, c’est pourquoi Gérard Depardieu est intéressant : il est à la fois un soleil, la lumière avec quelques zones d’ombre assez terrifiantes...
Ses reprises de Barbara, n’est-ce pas aussi, justement une façon de rendre hommage à ce qui animait Guillaume, l’introspection via par exemple la poésie ?
Il y a deux choses. Déjà, de la part de Depardieu, une très grande fidélité, mais plutôt avec les morts qu’avec les vivants. Il parle de Maurice Pialat d’une façon extraordinaire, il parle de Barbara qu’il a très bien connue. Ils étaient très liés et il lui rend hommage. D’ailleurs, si on ne rend pas hommage aux morts avec notre société qui va de plus en plus vite et qui est un peu sans mémoire, les artistes et même ceux de la trempe de Barbara risquent de disparaître. Donc, Depardieu monstre sacré qui rend hommage à Barbara, c’est admirable parce que c’est pratiquement là une seconde vie. Une fidélité ici tout à son avantage. Mais quand par exemple il chante À force de, les paroles de Guillaume, oui il rend hommage à son fils, à la sensibilité de l’artiste. Mais je ne crois pas que ce soit l’élément premier qui le fasse monter sur scène pour chanter Barbara.
Est-ce que, chez les Depardieu, il n’y a pas d’une certaine manière transmission du malheur de génération en génération : la mère, Gérard, Guillaume... ?
Je crois en effet que l’élément psychologique est important. Oui, c’est un peu une famille maudite comme je l’ai écrit. Gérard n’aurait pas dû vivre, il vit donc il est l’Élu mais avec une ombre au-dessus de lui. Il a une grâce sombre qui fait partie de la tragédie de toutes ces familles qui sont maudites mais qui agissent malgré tout suivant leur destinée. Sans être prédestiné, Gérard est un peu l’instrument de ses failles, et en même temps il a su les surmonter, les projeter dans l’univers cinématographique de façon exceptionnelle. Après, dans sa vie personnelle, c’est je crois beaucoup plus le fatras.
Je crois comprendre, à vous lire, que de tous les réalisateurs avec lesquels Depardieu a tourné, Maurice Pialat est sans doute celui qui l’a le plus marqué, bien au-delà de l’aspect purement professionnel. Vous proposez d’ailleurs des témoignages intéressants de sa veuve, Sylvie. Pourquoi ce lien si fort, si profond aussi apparemment entre les deux hommes ?
Ce sont deux êtres instables, colériques, excessifs qui se sont trouvés. L’attelage a fonctionné même s’il y a eu des sorties de route. Mais ils se sont compris tous les deux, et ça a pu donner un chef d’oeuvre comme Sous le soleil de Satan (1987), ou même des films comme Loulou (1980), Police (1985) ou Le Garçu (1995) qui est plus intimiste. Ce sont deux fortes têtes qui se rencontrent, qui se reniflent, qui s’engueulent, qui se détestent pour finalement se rendre compte que l’un ne peut travailler sans l’autre. Sylvie Pialat m’a dit que Maurice avait besoin d’une locomotive pour pouvoir écrire, tourner, diriger. Depardieu était cette locomotive, ils s’entendaient pour continuer un film après les engueulades. Il y avait comme un jeu entre les deux, et la complicité était réelle entre ces grands enfants, tous deux contre l’ordre établi. Le coup de gueule de Pialat quand il reçoit la Palme d’Or, le poing levé, illustre bien cet aspect du réalisateur. À titre personnel je trouve que les films les plus réussis de Gérard sont ceux qu’il a faits avec Maurice Pialat.
Depardieu a dit de Catherine Deneuve qu’elle était "l’homme qu’il aurait aimé être". Comment qualifier les rapports artistiques entre ces deux grands noms qui se sont souvent croisés, notamment bien sûr pour Le Dernier Métro (1980) de Truffaut ?
Je pense qu’il y avait, et qu’il y a un grand respect mutuel. Un respect et en même temps, une certaine distance. Gérard Depardieu est assez maladroit avec les femmes, c’est un grand timide. Il y a ce côté un peu froid de Catherine Deneuve qui a fait que c’est toujours resté au stade de l’amitié et du respect. C’est pourquoi leurs rapports ont toujours été apaisés. Rien à voir avec Carole Bouquet, avec qui les rapports amoureux sont entrés en ligne de compte, la passion dans tout ce qu’elle a de débordant et de déséquilibrant. C’est encore différent avec Fanny Ardant, avec qui il y a eu une amitié amoureuse où l’un soutient l’autre dans les moments de faille parce que les deux sont assez "noirs" quand ils ne jouent pas. Je le dis parce que je sors une bio de Fanny Ardant au mois de septembre, et je pense que Fanny est encore plus "noire" que Gérard Depardieu.
Depardieu n’est-il pas le dernier des grands acteurs populaires, de ceux qui ont connu grands succès publics et critiques et qui suscitent en même temps une forme de sympathie, à la Belmondo ?
Oui, je pense qu’il est le dernier des géants. Et l’époque a changé. Aujourd’hui on est plutôt dans l’horizontalité : dès qu’une tête dépasse, on lui trouve toujours querelle ou procès. D’ailleurs quand, en ce moment, je suis interviewé, on me questionne souvent sur les rapports de Depardieu avec Poutine, ce qui m’agace parce qu’on ne peut pas résumer Gérard Depardieu à une amitié avec Poutine. Gérard est une personnalité hors norme. Et je crois que le cinéma d’aujourd’hui, en France par exemple mais pas que, ne tolère pas beaucoup ces acteurs ou actrices hors norme. Dès qu’on affiche des personnalités au caractère un peu trempé, même physiquement, on sort un peu des codes imposés par la société. Je le vois par exemple, avec Léa Seydoux. C’est une fille qui à mon sens travaille et progresse énormément, mais à chaque fois que j’en parle, j’entends des "Oui mais, c’est la fille de..." ou des "Elle est née avec une cuillère en or dans la bouche"... Pour moi, tout ça, c’est des conneries. Donc oui, Depardieu est vraiment le dernier des grands acteurs hors norme, de la veine de Gabin, de Michel Simon avant, de Belmondo et surtout de Delon dont la carrière me paraît bien plus intéressante que celle de Belmondo.
Même si Delon ne suscite pas forcément a priori la même sympathie qu’un Belmondo ou qu’un Depardieu...
Oui mais ça à la limite, peu importe. Sympathique ou pas, moi je m’en moque assez. Quand je vais au cinéma, je vais voir Depardieu interprétant untel, voilà. Je ne suis pas en symbiose totale avec Depardieu, loin s’en faut. Il y a des éléments qui m’irritent, d’autres qui me choquent : je vous ai parlé de Tous les matins du monde, si j’avais été à la place de Depardieu je pense que je n’aurais pas accepté que mon fils joue mon rôle jeune. Mais tout cela dit c’est une immense acteur à la filmographie impressionnante. Voyez, un acteur que j’aime beaucoup, Denis Podalydès, il est quand même très limité dans son jeu malgré sa finesse. Depardieu est le dernier des géants oui, mais ça tient beaucoup je le dis à l’évolution de la société et à une permissivité qui n’est plus tolérable aujourd’hui. On ne pourrait pas filmer Les Valseuses aujourd’hui : impossible. Et pourtant, c’était en 1974. Pour moi, il y a une régression de la liberté de création qui m’insupporte et qui me fait peur. Depardieu est à l’étroit aujourd’hui, au sens propre comme au sens figuré.
D’ailleurs quels films avec Depardieu suggéreriez-vous à quelqu’un qui voudrait se forger une culture cinématographique ?
Je prendrais Sous le soleil de Satan. Je prendrais Cyrano de Bergerac. Plus intimiste, Valley of Love (Guillaume Nicloux, 2015), justement pour montrer l’évolution. Je choisirais aussi La femme d’à côté (François Truffaut, 1981), pour moi nettement meilleur que Le dernier métro, en tout cas dans le jeu de Depardieu : le binôme qu’il y forme avec Fanny Ardant est extraordinaire.
Dans votre livre vous dites quelque chose que j’avais ressenti aussi, à propos de son regard : en dépit des coups et des épreuves qu’on connaît et qu’on lit sur son corps, malgré les provoc’ et son air détaché de tout, il subsiste quelque chose de doux, de profondément touchant dans ce regard. Qui est somme toute le Depardieu que vous croyez, Pascal Louvrier, avoir compris ?
C’est à la fois je pense cet être qui peut être imbuvable, intolérable, et plus qu’énervant, qui peut avoir ses moments d’exubérance extraordinaire comme dans Uranus (Claude Berri, 1990), qu’on peut aussi citer pour la question précédente. Et dans un film comme Valley of love, il est extrêmement touchant, avec un regard plein de tendresse, où l’on sent des abîmes de tristesses. C’est la phrase de Pialat : "La tristesse durera toujours". Dans Des hommes (Lucas Belvaux, 2020), film sur la guerre d’Algérie, les vingt premières minutes il joue le rôle d’un raciste, il y est épouvantable. Seul Depardieu peut jouer un sale type pareil : il va tuer le chien d’une famille d’arabes, faire des choses monstrueuses... Et, à un moment donné, on comprend sans l’absoudre évidemment pourquoi il agit comme ça : il est assis dans son fauteuil, carabine à la main, gros plan sur son visage et là, il est bouleversant de tendresse. C’est la plus grosse ordure qu’on puisse avoir mais on arrive à comprendre pourquoi il a fait ça. Son regard dit tout, avec une sensibilité extraordinaire. Quand Gilles Lellouche a repris le rôle d’Obélix, il est allé demander à Depardieu comment jouer le personnage, ce à quoi Gérard a répondu : "Pense qu’Obélix, c’est un type qui a des pâquerettes dans la tête". Je crois que ça résume Depardieu.
Dans quels films peut-on percevoir quelque chose de l’âme Depardieu, Valley of love peut-être ?
Dans la filmographie des dix dernières années principalement : c’est là qu’on peut percevoir l’âme de Depardieu. Il y a aussi ce film qui n’a pas eu de succès, Tour de France (Rachid Djaïdani, 2016), dans lequel il joue le rôle d’un peintre, avec un jeune de banlieue. Il y est touchant, avec une transmission qui s’opère, de la sensibilité, de la culture et de la tolérance. Dans Maigret aussi, il y a cette profondeur, on voit ce type qui connaît l’âme humaine, qui est revenu de tout et est désabusé mais qui malgré tout continue à vivre.
Qu’est-ce qui aujourd’hui, le pousse à avancer encore ?
Je crois que c’est quelqu’un qui est terriblement angoissé. Pour arriver à contrôler ses angoisses il se doit d’être en permanence en mouvement. Et il est cerné de morts, de fantômes, alors pour cerner ses morts il faut avancer. S’il n’est pas dans le mouvement il tombe. Comme à l’intérieur de lui-même. Au début de mon livre, il est sur scène et il y a cette histoire de rêve éveillé où il se voit tomber sans paroi, il tombe dans l’espace sans limite. C’est ça Depardieu aujourd’hui. Et il s’emmerde aussi, alors il faut qu’il tourne. Sinon il tombe.
Notre époque si prompte à juger et à faire la morale est-elle haïssable aux yeux de Depardieu ?
Oui, profondément. Je pense qu’il vomit notre époque. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est parfois dans la pure provocation. Vu, aujourd’hui, le rétrécissement mental des libertés créatrices, comme je le disais tout à l’heure, quand on a tourné avec Truffaut, avec Pialat, quand on a fait La dernière femme de Marco Ferreri (1976)... Bertrand Blier aussi, Les Valseuses, Buffet froid (1979) ! On ne peut plus tourner ça aujourd’hui. Notre époque est haïssable et je crois qu’il faut la haïr, et que c’est salutaire de le faire. À titre personnel je la trouve épouvantable, c’est pourquoi je m’intéresse à Depardieu, à Fanny Ardant... Quand Fanny Ardant dit : "Moi je suivrais quelqu’un jusqu’à la guillotine", ça fait du bien. C’est une bouffée d’oxygène, ces gens-là...
Les yeux dans les yeux, quelle question intime poseriez-vous à Depardieu ?
(Il réfléchit) As-tu des remords concernant ton fils ? Tout dépendrait des circonstances bien sûr mais si je devais lui poser une question ce serait celle-là. Pas pour le piéger mais parce qu’on est au coeur de la boîte noire de Depardieu. Les gens que j’ai rencontrés, tous, me l’ont dit : il y a eu un avant et un après mort de Guillaume. C’est assez naturel mais chez lui, c’est la faille absolue.
Dans Valley of love, où il doit composer avec la mort d’un enfant, il livre une part de sa vérité ?
Absolument. J’ai interviewé le réalisateur Guillaume Nicloux qui me l’a confirmé. D’ailleurs au départ le scénario n’était pas le même. Il a évolué avec la personnalité de Depardieu. Ce film est à voir, avec une Isabelle Huppert qui joue très bien l’antidote de Gérard, elle a plus les pieds sur terre que lui. Au départ il ne croit pas à ces histoires de fantômes, de réincarnation, etc... Et à un moment, il suit une ombre dans le désert, il laisse Isabelle Huppert et part tout seul, voit sans le voir son fils qui lui prend les mains et au retour il porte des stigmates rouges. Il est bouleversant dans ce film, bouleversant...
Vos projets, vos envies pour la suite ? Vous m’avez parlé de la bio de Fanny Ardant...
Oui elle est écrite et sortira le 22 septembre. Des envies ? Pas beaucoup en ce moment. Je m’interroge et suis un peu en stand by.
Un dernier mot ?
Pas spécialement. Merci de m’avoir interrogé sur la question que j’aurais posée à Depardieu.
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Véronique de Villèle : "Davina, c'est ma soeur"
Il y a quatre mois, Madame Véronique de Villèle, dont chacun garde en mémoire le duo "tonic" qu'elle forma avec Davina, avait accepté de répondre à mes questions pour Paroles d'Actu. Je l'avais notamment interrogée sur son combat, au sein de la Fondation pour la Recherche sur Alzheimer, contre cette effroyable maladie neurodégénérative qui frappe tant de familles...
En ce mois de janvier, j'ai souhaité que nous réitérions l'exercice, emballé par la chaleur de notre premier échange. Elle m'a suivi tout de suite, avec la générosité et l'enthousiasme qui la caractérisent. L'interview a été réalisée en live sur la base d'un questionnaire que j'ai rédigé le 25 janvier. Merci pour tout, chère Véronique. Une dernière fois, je souhaite à toutes et à tous de vivre une belle et heureuse année 2013, qu'elle vous soit douce, pour vous, pour vos proches. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU
VÉRONIQUE DE VILLÈLE
Membre d'honneur de la Fondation pour la Recherche sur Alzheimer
Membre du Comité d'organisation de la Fondation
« Davina, c'est ma soeur »
(Photos fournies à ma demande par Madame Véronique de Villèle)
Entretien : 27/01/13
Paroles d'Actu : Bonjour Véronique de Villèle, comment allez-vous ?
Véronique de Villèle : Magnifique, et vous ?
PdA : Bien, je vous remercie. Heureux de vous retrouver pour une nouvelle interview Paroles d'Actu.
V.d.V. : Je suis ravie.
PdA : Lors de notre premier entretien, réalisé au mois de septembre, nous avions longuement évoqué votre engagement contre ce fléau qu'est la maladie d'Alzheimer. En 2013, j'imagine que vous répondrez également présente ?
V.d.V. : Bien sûr que oui. Nous avons notre première réunion avec le Comité d'organisation demain (le 28 janvier, ndlr) !
PdA : Le 29 septembre, Véro trouve tout n'était pas encore sorti. Cette actualité, nous l'avions à peine effleurée. Près de quatre mois après sa parution, quel bilan tirez-vous de cette aventure ?
V.d.V. : Je crois que ma maison d'édition, Hachette - Le Chêne, est très contente !
PdA : Que vous ont dit les gens qui ont apprécié ce livre ? Les retours les plus enthousiasmants, les plus touchants ?
V.d.V. : Il y en a beaucoup. On m'en parle dans mes cours, dans les magasins, dans la rue, mais ce qui est amusant, ce sont les gens qui ont essayé une adresse et qui me disent « merci ».
PdA : Qu'aimeriez-vous dire à celles et ceux qui ne l'ont pas encore acheté, lu, je pense notamment aux non-Parisiens, pour leur donner envie de le faire ?
V.d.V. : Que ce livre est un petit guide pour rendre service, et qu'il plaira aussi aux gens qui n'habitent pas Paris.
Il y a aussi plein de petits trucs et combines pour les Parisiens. La moto-taxi, géniale. La petite couturière rapide et pas chère. Une manucure en 20 minutes pour 8 €. Un salon de coiffure anti-déprime, tant l'ambiance de ce salon est top, chez Patrick Rolland, avec Rena, la meilleure coloriste de Paris. Acheter un scooter moins cher qu'ailleurs, "Rue du Scooter"... Se faire livrer un plateau de fruits de mer sublime et pas cher, etc, etc, etc...
PdA : Vous me faisiez part, la dernière fois, de votre espoir de décliner le concept à d'autres villes que vous connaissez bien. Une suite est-elle en bonne voie pour 2013 ?
V.d.V. : Nous attendons de voir ce que dira l'éditeur, mais il en est question.
PdA : Quelles seraient les villes retenues ?
V.d.V. : J'aimerais Véro trouve tout à New York... Ou à Marseille, pourquoi pas ?
PdA : Bonne idée ! Revenons maintenant, si vous le voulez bien sur quelques étapes clés de votre vie.
Tout d'abord, la collaboration qui vous a valu ce fameux surnom, "Véro trouve tout". Avant Darc-Delon, il y a eu Mireille Darc. Vous vous souvenez de votre rencontre... ?
V.d.V. : Oui, parfaitement bien. J'avais 17 ans. J'étais hôtesse d'accueil dans un grand salon de coiffure très en vogue, à Paris Carita... J'y ai rencontré beaucoup de têtes couronnées et d'actrices célèbres, dont Mireille. Un jour, elle m'a dit, « Je cherche une assistante débrouillarde avec ton énergie. C'est urgent, je pars tourner au Liban dans une semaine ». J'ai répondu, « J'en connais une, c'est moi ! ».
PdA : Belle histoire. Et vous l'avez suivie au Liban ?
V.d.V. : Après avoir eu un grand rendez-vous avec mes parents. L'examen de passage réussi, j'ai ensuite convaincu les soeurs Carita qu'il fallait que je parte... Et je suis partie à Beyrouth, sur le tournage de La Grande sauterelle, avec Hardy Krüger, Francis Blanche, etc...
PdA : Et c'était parti... Une question un peu taquine, maintenant. Alain Delon n'a pas pour réputation d'avoir le plus facile des caractères. Alors, mythe ou réalité ? ;-)
V.d.V. : C'est quelqu'un avec une forte personnalité, avec beaucoup de cœur. Il a le culte de l'amitié comme personne. Je l'adore depuis plus de 40 ans !
PdA : À quoi votre vie avec ces deux grandes vedettes ressemblait-elle ? Avez-vous à l'esprit quelques anecdotes que vous souhaiteriez partager avec nous ?
V.d.V. : J'en ai 1 000, mais mon quotidien avec eux était magique. Sur les tournages, avec Jean Gabin ou Lino Ventura... Avec Michel Audiard, chez qui j'allais en week end... ou a la campagne, tout simplement. J'ai participé à l'entraînement de (Carlos, ndlr) Monzon pour le championnat du monde de boxe organisé par Alain Delon. Je courais et nageais avec les boxeurs partenaires !
PdA : Que de belles images en tête, j'imagine... Et vous me fournissez une excellente transition pour ma question suivante. Vous vous êtes essayée à votre tour au cinéma, à plusieurs reprises. C'est un exercice qui vous plaît ?
V.d.V. : J'adore. Mon premier "petit" rôle était dans La Grande sauterelle...
PdA : Quel était votre rôle ? Vous avez de bons souvenirs de ce premier tournage ?
V.d.V. : Très bon souvenir. C'était sur une plage. Hardy Krüger cherchait partout Mireille, jusque sur cette plage où une fille (moi) était avec un jeune homme. Il arrive en fureur et decouvre que ça n'est pas elle ! Puis d'autres scènes, où je danse...
PdA : D'autres expériences ont suivi. Quels types de personnages rêveriez-vous d'incarner aujourd'hui ? Avec qui ? Delon, Darc, Max, votre talentueux filleul ?
V.d.V. : Non, je n'ai pas de préférences. Mais j'aimerais tourner avec Lelouch, car il laisse aux acteurs une part d'improvisation. Et j'aime improviser !
PdA : J'espère qu'il lira cet entretien, que l'idée le séduira ! D'ailleurs, quels genres de films recueillent vos faveurs ? Vos incontournables ?
V.d.V. : Les films d'aventures, les jolies histoires à la Claude Sautet, les histoires de sagas familiales, les histoires sur l'amitié...
PdA : Je profite de cette escapade dans le monde du 7ème art pour évoquer un autre de ses monstres sacrés, également cher à votre cœur, - il apparaît d'ailleurs dans votre ouvrage - je pense évidemment à Gérard Depardieu. Pas mal de gens lui sont tombés dessus ces derniers temps... Ces attaques vous ont fait mal ?
V.d.V. : Non, car Gérard est grand, très intelligent. Il a des ressources pour se défendre. En revanche, je deteste que l'on tombe sur quelqu'un de faible.
PdA : Diriez-vous que l'on paie trop d'impôts en France ? Pourriez-vous avoir, vous aussi, la tentation de partir ?
V.d.V. : Non. Je reste, car j'adore la France. Et je suis loin, tres loin des gros salaires dont on parle !
PdA : Sans transition... un autre moment fort de votre vie. Votre duo avec Davina. Comment vous êtes-vous rencontrées ? C'est une amie très chère, quasiment une soeur pour vous ?
V.d.V. : C'est ma soeur. Nous nous sommes rencontrées dans un cours de danse classique à Paris. Notre amitié est sans faille depuis 35 ans !
PdA : Comment êtes-vous passées de ce cours de danse classique à Gym Tonic ?
V.d.V. : Après avoir obtenu un prix dans un concours de chorégraphie et dansé sur plusieurs scènes, dont l'opéra de Toulouse, nous avons donné des cours dans un sous-sol à Paris, emmenagé en salle de danse. Tout le quartier parlait de nous... un monde de folie. Puis, la visite d'une journaliste du magazine Vital... Presque un numéro special sur nous, avec un joli titre, « Véronique et Davina, elles inventent l'énergie beauté ». Ce magazine est tombé sur le bureau d'une productrice, Pascale Breugnot. Elle vient nous voir, et nous engage sur le champ à Antenne 2 (la future France 2) !
PdA : Très belle histoire ! Une authentique success story ! Vous reconnaît-on souvent dans la rue ? Ça fait quel effet, de rester aussi populaire après tant d'années ?
V.d.V. : Oui, on nous reconnaît assez souvent, mais ce qui est le plus drôle, c'est lorsque je suis dans un magasin ou une station d'essence et que j'entends, « Regarde, regarde, c'est Véronique et Davina ! ». Alors que je suis seule !
PdA : Vous avez récemment participé à Danse avec les stars en tant que coach d'Amel Bent. Cette même chaîne, TF1, vous a posé un lapin il y a quelques jours, pour une émission...
V.d.V. : Oui, ils sont spécialistes ! Je ne le regrette absolument pas... Je devais être trop sportive, ou pas assez blonde ! C'est peut-être un mal pour un bien. Je ferai autre chose de mieux, sûrement ?
PdA : Qu'est-ce que vous aimez dans la télé d'aujourd'hui ?
V.d.V. : Les émissions de grands reportages comme Thalassa, Des Racines et des ailes, les émissions politiques, les sujets de Mireille Dumas... Les classiques, comme les émissions de Drucker... il est respectueux de ses invités, les lumières sont belles...
PdA : Ce que vous aimez moins ?
V.d.V. : La télé-réalité. Tout ce qui est navrant pour les gens... Tout ce qui ridiculise, qui manque de finesse et d'intelligence...
PdA : Si demain, un producteur vous voulait à la tête d'une émission, pour le concept de votre choix, quel serait-il ?
V.d.V. : J'ai plusieurs idées, je ne vais pas vous les donner ! Mais je me verrais bien dans une émission interactive qui rendrait service aux gens, je suis sûre que ça marcherait à fond... J'ai 2 000 idées !
PdA : C'est tout le mal que je vous souhaite, qu'un producteur prenne cette initiative de vous contacter !
V.d.V. : Alors, qu'il lise Paroles d'Actu !
PdA : Une question inspirée par mon ami Cédric Anderegg et qui nous renvoie à Gym Tonic. Quel regard portez-vous sur l'évolution des cours de fitness depuis l'émission ?
V.d.V. : Je trouve que c'est formidable, car ça incite les gens a se remuer... Mais attention ! Regardez, testez, choisissez le bon coach avant de vous inscrire dans un club.
PdA : Gym Tonic, c'était aussi une époque, les années 80. On sent qu'il y a chez certaines personnes une nostalgie pour ces années-là. C'est votre cas ?
V.d.V. : Pas du tout, mais j'adore l'idée d'aimer à nouveau quelque chose que l'on a aimé...
PdA : Revenons à Davina... Elle vit aujourd'hui dans un monastère, en harmonie avec les principes bouddhistes qu'elle a embrassés. Est-elle une source d'inspiration pour vous ?
V.d.V. : Non. En revanche, j'ai une immense admiration pour ce qu'elle fait, pour ce qu'elle est devenue. Alors, quelquefois, je me dis, « Que ferait Davina ? », « Que dirait Davina ? » dans telle ou telle situation... et je m'en inspire.
PdA : La spiritualité, la foi sont-elles importantes dans votre vie ?
V.d.V. : Je suis catholique, croyante. J'ai la foi, voilà. Mais sans débordements.
Le petit bracelet des medailles miraculeuses de "Sur la terre comme au ciel", une des adresses de mon livre...
PdA : Votre foi vous aide-t-elle à mieux accepter le départ de votre maman en mai dernier ?
V.d.V. : Oui... mais je sais qu'elle ne doit pas être très loin de moi. En tout cas, je le souhaite et l'espère de tout mon cœur...
PdA : J'en suis persuadé... Quelques évocations, avant de conclure... Je pense à Henri Salvador. Le copain au grand cœur, le camarade de pétanque...
V.d.V. : Henri était élegant. Élegant physiquement, certes, mais élegant dans son cœur. Courtois avec les femmes, généreux... C'était un ami que j'aimais beaucoup. Je garde 1 000 souvenirs merveilleux avec lui et Catherine, sa femme.
PdA : Et puis Johnny, l'éternel phénix, qui renaît toujours de ses cendres...
V.d.V. : Un être à part. Il est magique. C'est aussi quelqu'un de généreux et de simple dans la vie. J'ai passé des moments extraordinaires avec lui, Laeticia et leur famille. Je les aime.
PdA : Allez... une question d'actu que je n'avais pas prévue mais que je ne peux pas ne pas poser en ce jour. Il y a tout juste trente ans, l'immense Louis de Funès rejoignait le paradis des acteurs. C'est quelqu'un que vous aimez ? Peut-être l'avez-vous rencontré ?
V.d.V. : Génial, fabuleux... Quel acteur... Oui, je l'ai croisé un jour, aux studios de Boulogne. Il m'a dit, « Mademoiselle, vous avez de jolis yeux bleus ». Tout le monde m'a dit, ensuite, « Tu as de la chance, il est timide, ses paroles sont rares ! ».
PdA : Vous me disiez avoir une affection particulière pour le musée Rodin, à Paris. Quelles sont vos autres passions, celles que l'on ne vous connaît pas forcément ?
V.d.V. : J'aime les marchés à Paris et en province. J'aime les églises où l'on peut mettre un cierge. Je peux rester deux heures dans un magasin de papeterie ou dans une quincaillerie ! J'aime le Musée d'Art Moderne de Paris et le MoMa (Museum of Modern Art, ndlr) de New York. J'aime les bons bistrots avec des amis. J'aime la mer, le soleil et l'eau...
PdA : Au fond, comment voudriez-vous que le public vous voie, au-delà de l'éternelle Véro de Véronique et Davina ?
V.d.V. : Comme une femme banale, qui est naturelle et sur qui on peut compter !
PdA : Quels sont vos projets, vos rêves ?
V.d.V. : Un peu moins de guerres, un peu moins d'histoires, un peu moins d'impôts... Une vie calme et sereine pour tout le monde, ça, c'est pour les rêves... Et avoir une émission de radio ou de télé. Je ne crois pas, je suis sûre que ça marcherait !
PdA : En cette période de voeux, que peut-on vous souhaiter pour 2013, chère Véronique ?
V.d.V. : D'avoir une bonne santé et la même énergie, pour que je puisse continuer de la communiquer à ceux qui en ont besoin. Et que les gens pensent à et aident la Fondation pour la Recherche sur la maladie d'Alzheimer, auprès de laquelle je suis engagée depuis plus de 10 ans !
PdA : Un message pour nos lecteurs ?
V.d.V. : Qu'ils mettent un peu de soleil dans leurs cœurs, car la vie est belle malgré tout...
PdA : En voilà un beau message... En avez-vous un autre pour quelqu'un en particulier ?
V.d.V. : Non, je ne vois pas...
PdA : Un dernier mot ? Merci infiniment !
V.d.V. : Merci Nicolas pour ce moment avec vous.
Merci Véronique, merci pour tout ! Phil Defer. Un commentaire ?
Quelques liens...
- Le site de la Fondation pour la Recherche sur Alzheimer (ifrad)
- Le site officiel de Véronique et Davina
- L'ouvrage Véro trouve tout ainsi que sa page Facebook
- Suivez Paroles d'Actu via Facebook et Twitter... MERCI !
Présentation remaniée : 07/11/13.