24 juin 2018

Françoise Deville : « Personne n'a aimé Joséphine comme Bonaparte, de façon exclusive et unique »

Moi la Malmaison : l’amie intime de Joséphine (Éditions de la Bisquine, 2018) est le premier livre de Françoise Deville. Passionnée d’histoire napoléonienne - elle possède une belle collection d’objets ayant trait à cette époque - et titulaire d’une maîtrise en Histoire de l’Université de Genève, l’auteure, qui a déjà signé plusieurs articles dans la presse, a voulu s’attacher à dresser un portrait original de l’unique, de l’incomparable Joséphine, « sa » Joséphine. L’angle trouvé est original, il est servi par sa jolie plume, et par sa connaissance pointue de l’histoire de ce temps-là : ici, c’est la Malmaison, la demeure, le havre de paix (pas toujours !) du couple Bonaparte, qui observe, qui s’exprime et interpelle, et qui raconte... Mais qu’on ne s’y trompe pas, comme chez Pierre Branda, celle qui crève l’écran, c’est bien Joséphine, décidément une des figures les plus attachantes de notre histoire. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU

Q. : 12/06/18 ; R. : 17/06/18.

Françoise Deville: « Personne n’a aimé Joséphine

comme Bonaparte, de façon exclusive et unique. »

Moi la Malmaison

Moi la Malmaison : l’amie intime de Joséphine, Éditions de la Bisquine, 2018.

 

Qui êtes-vous Françoise Deville ?

Une passionnée de Joséphine et de Bonaparte. En 1979, j’ai découvert ces deux personnages grâce à la série Joséphine ou la comédie de l’ambition avec Danièle Lebrun et Daniel Mesguich dans les rôles titres. Ce jour-là, ma vie a été bouleversée et Joséphine ne m’a plus quittée. J’ai obtenu un Master en Histoire à l’Université de Genève. J’ai toujours voulu écrire un livre sur Joséphine, mais il fallait que le projet mûrisse car je voulais aller au plus près de l’âme de cette femme. Depuis 2013, je constitue une collection d’objets et de lettres ayant appartenus ou ayant été écrites par Joséphine et Napoléon principalement. Le fleuron de ma collection est la lettre d’amour écrite par Napoléon à Joséphine le 30 mars 1796.

 

Pourquoi la Malmaison, Joséphine et ses enfants ? Pourquoi Bonaparte ?

Malmaison est le lieu le plus aimé par Joséphine et Bonaparte. C’est un lieu privé, témoin de leur vie, de leur amour. Ce lieu a une âme, la présence de Joséphine y est palpable. C’est aussi l’histoire des enfants de Joséphine, Eugène et Hortense, qu’elle a tant aimés et qui tiennent une place majeure dans l’épopée napoléonienne.

 

Peut-on dire que Joséphine a fait grandir Bonaparte dans sa vie d’homme, et que lui a redonné foi en l’amour et au bonheur à sa Joséphine ?

Napoléon était un novice en amour. Joséphine lui a tout appris. Dans ses bras, il a découvert l’amour, la plénitude. Elle lui a donné confiance et l’a fait se sentir homme. Elle lui a offert un statut familial et social. Joséphine a beaucoup souffert, Alexandre de Beauharnais, son premier époux, a été odieux avec elle, il lui a fait subir les pires humiliations. Son cœur de femme était blessé. Personne ne l’a aimée comme Bonaparte de façon exclusive et unique. Joséphine a aussi eu peur de mourir lors de son emprisonnement aux Carmes en 1794. Sa vie en a été profondément marquée. Elle ne sera plus jamais la même, son insouciance a totalement disparu.

 

L’officier qu’il fut quand il rencontra la veuve Beauharnais serait-il devenu grand comme il l’a été sans elle  ?

Oui, car avec ou sans Joséphine, Napoléon était doué. Il avait le quelque chose en plus sur les autres généraux. Le côté intellectuel sans doute qui fera de lui le Consul que l’on connaît avec toutes les grandes œuvres accomplies, tel le Code civil par exemple. L’idée de la Campagne d’Italie germait en lui depuis deux ans. Il avait même proposé son plan à Talleyrand. Il était sûr que les Autrichiens seraient vaincus sur ce front moins protégé.

 

Quel regard portez-vous sur l’exécution du duc d’Enghien, qui parut troubler beaucoup Joséphine ?

Elle était nécessaire. Des complots royalistes visant à tuer Bonaparte étaient légions. Il devait frapper fort. Le Duc était peut-être ignorant du dernier en date, quoique ? Il était en attente du renversement de Bonaparte pour entrer avec ses troupes en France. Il était contre-révolutionnaire et portait les armes contre la France. Cependant, Bonaparte a outrepassé ses droits en l’enlevant hors des frontières françaises sur les terres du Grand-Duché de Bade. À l’époque, l’exécution du Duc n’a pas eu un grand retentissement, c’est la Restauration qui en fît un martyr. Joséphine si bienveillante était touchée par la mort de ce jeune homme et était choquée par le fait que l’on pourrait reprocher à son Bonaparte cette exécution. C’est la forme de cette exécution dans sa rapidité et non le fond qui cause problème ainsi que l’enlèvement en territoire étranger. Les royalistes n’auraient eu aucun scrupule à assassiner Bonaparte.

 

Diriez-vous que Bonaparte a perdu pied en instituant l’Empire ? Qu’au fond, Napoléon a perdu Bonaparte ?

L’Empire a brisé les digues révolutionnaires. Le souci est le côté monarchique de l’Empire. Un Consul n’a rien à prouver aux anciennes monarchies. A contrario, l’Empire doit tout prouver en adoptant les codes monarchiques. Le Consulat est un régime politique fondé sur sa propre légitimité qui ne doit rien aux monarchies. Bonaparte pensait qu’en adoptant un côté monarchique, il apaiserait la peur de la Révolution des autres souverains. Ce fut une erreur car, pour eux, Empire ou non, Bonaparte reste l’usurpateur révolutionnaire.

 

Bonaparte a-t-il perdu sa bonne étoile quand il a répudié Joséphine pour Marie-Louise ?

Oui et non. C’est l’année 1807 qui marque un tournant décisif avec la rencontre de Tilsit et « l’amitié » du Tsar Alexandre Ier. Napoléon se sent accepté en tant que souverain monarchique. De plus, il gagne toutes ses guerres, les limites s’estompent et le vertige du pouvoir n’a plus de limites. Joséphine le tempère, l’adoucit et lui rappelle le passé, l’Histoire française de la Révolution. Ils ont une identité non souveraine, Monsieur et Madame Bonaparte. Marie-Louise est une princesse, élevée pour épouser un souverain.

 

Comment caractériser les rapports entre Bonaparte et Joséphine après la répudiation ? C’était quoi entre eux, une estime mutuelle et une grande tendresse ?

Après leur séparation, Joséphine et Napoléon ne se verront plus que six fois mais une grande tendresse les unissait toujours, un grand respect l’un pour l’autre, et aussi de l’amour.

 

Napoléon a-t-il été accablé par la mort de Joséphine ? A-t-il souvent parlé d’elle après , et en quels termes ?

Napoléon a été anéanti par la mort de Joséphine. Lorsqu’il apprend sa mort à l’île d’Elbe, il s’enferme seul dans une pièce durant plusieurs heures. Lors de son retour en France en mars 1815, il passera une journée, en avril, à Malmaison avec Hortense. Il se rendra seul dans la chambre de Joséphine et en ressortira bouleversé. A Sainte-Hélène, il parle souvent d’elle, de leur amour vrai, unique que seule la mort peut rompre. Il affirme qu’elle l’aimait plus que tout et il avait raison.

 

Portrait Joséphine

Portrait méconnu de Joséphine, peint par Guérin, son miniaturiste de Malmaison.

Illustration sélectionnée par Françoise Deville.

 

Peut-on dire que les enfants de Joséphine, Eugène et Hortense, ont été plus constamment fidèles à leur beau-père que ne le fut, prise tout ensemble, la famille Bonaparte ? Sa famille de cœur, c’était les Beauharnais ?

Non, sans conteste plus dévoués, plus aimants mais pas plus fidèles. Seule Caroline trahit honteusement son frère en 1814, les autres essaient de sauver les meubles. En 1815, ils sont au rendez-vous pour certains, Joseph, Lucien, Madame Mère, Jérôme, Hortense… Les autres attendent ou sont empêchés. Pauline et Madame mère étaient à l’île d’Elbe. Eugène ne viendra pas, il est deveunu prince allemand dévoué à sa femme Auguste de Bavière. En 1813-1814, l’attitude dure et injuste de Napoléon face à Eugène qui attendait des ordres clairs de l’Empereur pour quitter l’Italie et rejoindre la France a perturbé les sentiments d’Eugène et d’Auguste. Certains ont parlé de trahison d’Eugène. Napoléon était confus et Eugène habitué à être téléguider par l’Empereur attendait l’ordre de ce dernier. Après, il fut trop tard et Eugène décida de défendre ses intérêts au Congrès de Vienne sous la protection du Tsar Alexandre Ier afin d’obtenir une principauté en Italie. Cependant dans sa dernière lettre du 8 avril 1814 à Joséphine écrite à Fontainebleau, Napoléon lui rappelle qu’Eugène est si digne d’elle et de lui. Il est vrai que les Beauharnais furent la famille de cœur et les Bonaparte le clan familial.

 

Quel est, dans toute cette histoire, le personnage qui vous fascine le plus ? Celui pour lequel vous avez le plus de tendresse ? J’aurais tendance à penser : Joséphine, je me trompe ?

Joséphine évidemment, mon héroïne.

 

Hypothèse farfelue, mais admettons : si vous pouviez, à un moment ou à un autre, vous projeter dans cette histoire pour un conseil, pour une mise en garde, qui choisiriez-vous, et que lui diriez-vous ?

Je choisirais Bonaparte et je lui dirais que suite à la mort de Napoléon-Charles le 5 mai 1807, fils aîné d’Hortense et de Louis et héritier présomptif du trône, il doit absolument adopter le second fils de son frère Louis, Napoléon-Louis. Il ne doit pas se séparer de Joséphine, tant aimée des Français et qui sait si bien le tempérer, l’adoucir, le raisonner. Ils ont cheminé ensemble vers la gloire, ils doivent rester unis. Elle est sa meilleure diplomate, sa meilleure représentante. «  Ne quitte pas Joséphine, ta bonne étoile !  »

 

Vos projets, vos envies pour la suite ?

Le petit Trianon et l’assassinat à Genève de Sissi, deux projets.

 

Un dernier mot ?

Vive Joséphine !

 

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19 avril 2016

Pierre Branda : « Attachons-nous à redécouvrir la "vraie" Joséphine ! »

Pierre Branda est historien, auteur de riches ouvrages qui touchent aux époques consulat-empire et directeur du patrimoine de la Fondation Napoléon. Sa dernière étude en date, il a souhaité la consacrer à celle qu’on appelle communément Joséphine de Beauharnais, madame Bonaparte, qui fut auprès de Napoléon consulesse puis impératrice des Français (1804-1809). Un des personnages les plus romanesques et attachants de notre histoire, sans doute aussi un des plus caricaturés : c’est précisément à cela que Pierre Branda a souhaité s’attaquer, s’attachant à questionner les idées reçues, à enquêter et apporter de nouvelles pistes de réflexion sur la base d’éléments de recherche inédits. Le résultat, c’est ce Joséphine : Le paradoxe du cygne, paru aux éditions Perrin (janvier 2016). Une biographie qui se lit avec plaisir et fourmille d’informations permettant de mieux appréhender le parcours complexe de cette femme hors du commun. À découvrir ici, l’interview que M. Branda a bien voulu m’accorder - ce dont je le remercie. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

Pierre Branda: « Attachons-nous

à redécouvrir la "vraie" Joséphine ! »

 

Joséphine

Joséphine, le paradoxe du cygne, par Pierre Branda. Éd. Perrin, janvier 2016.

 

Paroles d'Actu : Pierre Branda, bonjour, et merci de m’accorder ce nouvel entretien pour Paroles d’Actu. Autour, cette fois, à l’occasion de la parution de Joséphine : le paradoxe du cygne (Perrin), de la figure ô combien romanesque de celle qui, consulesse puis impératrice, tint au côté de Bonaparte puis Napoléon, le titre de première dame de France durant certaines des années les plus chargées de l’histoire de notre pays. Pourquoi avoir voulu écrire sur Joséphine de Beauharnais (un nom qui d’ailleurs n’était pas le sien) ?

 

Pierre Branda : Oui en effet, Joséphine de Beauharnais est un nom qu’elle n’a jamais porté. Ce nom a été inventé par la Restauration pour éviter de l’appeler Joséphine Bonaparte ou seulement Joséphine, ce qui aurait rappelé son rang d’impératrice. On préféra alors accoler le prénom sous lequel elle était connu et que lui avait donné Napoléon au nom de son premier mari.

 

Cet ouvrage est venu d’une insatisfaction à chaque portrait que je pouvais lire d’elle. Je ne pouvais croire que Napoléon Bonaparte, qui se liait difficilement, - on lui connaît peu de véritables amis ou amours - ait pu s’enticher aussi longtemps d’une femme évanescente, frivole et pour tout dire sans consistance. L’enquête que j’ai menée m’a conduit à reconsidérer bien des légendes et j’espère mettre en évidence les préjugés dont elle a souffert.

 

PdA : On est frappé, peu après sa rencontre avec Bonaparte, de l’attachement très fort que le jeune général, parti pour l’Italie, témoigne à sa femme, de six ans son aînée. C’est particulièrement flagrant lors de leurs échanges de lettres, et très bien retranscrit dans votre ouvrage. On le sent fou amoureux comme un adolescent et, au moins tout autant, très possessif envers elle ; cette dernière paraît, disons, un peu plus accoutumée aux affres du cœur. Que représente Joséphine pour Napoléon durant les premiers mois de leur relation ? Peut-on dire qu’elle contribue alors à le faire grandir sentimentalement parlant, peut-être à le « former », à le « forger » ?

 

P.B. : Je ne dirais pas cela. Cette image est facile et sans doute fausse. Napoléon est à un moment particulier de sa vie. Il est sous le coup d’une rupture sentimentale avec Désirée Clary mais aussi d’un éloignement de Joseph. Ce dernier a d’ailleurs fait en sorte qu’il ne puisse pas épouser Désirée. En octobre 1795, quand il rencontre Joséphine, il s’éloigne de son clan pour la première fois de sa vie pour adopter une nouvelle famille, celle des Beauharnais. En homme pressé, il apprécie en quelque sorte d’entrer dans une famille toute faite avec Joséphine et ses deux enfants, Eugène et Hortense. Sentimentalement, il est possédé par un véritable délire amoureux qui du reste avait commencé avec Désirée, et qui va se concentrer sur sa nouvelle conquête. Cela tient donc plus à son caractère excessif qu’au charme de Joséphine. Quant à elle, autant possessive et jalouse que lui, elle apprécie certainement d’avoir cet homme jeune à ses pieds. C’est pour elle une première ! Avant Napoléon, les hommes la fuyaient, tel son premier mari, à cause de sa « tyrannie domestique ».

 

PdA : Vous évoquez dans votre livre un point fort méconnu (et d’une importance capitale quand on connaît la suite de l’histoire) : Joséphine aurait assez rapidement été enceinte de Bonaparte. Mais l’empressement appuyé de celui-ci, alors en poste en Italie, à la retrouver auprès de lui aurait contribué, sans doute, par le voyage occasionné, à ce qu’elle tombe malade et fasse une fausse couche. Une fausse couche qui n’a probablement pas pesé pour rien dans son incapacité future à porter des enfants...

 

P.B. : Il semble planer comme une étrange fatalité autour de Joséphine. Dès qu’elle s’élève, le sol se dérobe sous ses pieds comme en témoigne sa séparation douloureuse avec Alexandre de Beauharnais puis son emprisonnement aux Carmes sous la Terreur. En 1796, elle a la chance d’épouser l’homme le plus prometteur du siècle et elle ne pourra jamais avoir d’enfants de lui. J’évoque en effet dans le livre une nouvelle hypothèse à propos de sa stérilité, une fausse couche qui se serait ensuite infecté. Les conséquences allaient être difficiles ensuite pour le couple. Joséphine allait devoir lutter pour se maintenir.

 

PdA : Une constante que l’on retrouve tout au long de l’histoire : l’hostilité du clan Bonaparte à l’égard de Joséphine et souvent, par extension, des Beauharnais. La famille de sang de Napoléon (certes prise ici comme un ensemble) craint de voir le pouvoir et une partie du « patrimoine familial » lui échapper tandis que le premier personnage de l’État multiplie les marques d’affection et de confiance envers, notamment, les enfants de son épouse, Comment considérez-vous les Bonaparte sur ce point en particulier : sont-ils manifestement injustes, pour ne pas dire mesquins ?

 

P.B. : Ils peuvent l’être mais ils n’ont surtout jamais compris que Napoléon se servait des Beauharnais pour leur échapper. Pour éviter que son clan ne l’étouffe, il prenait sans doute un malin plaisir à décerner titres et honneurs à Joséphine et à ses enfants. Napoléon pratiquait à l’excès parfois le diviser pour régner, d’où cette attitude. De leur côté, les Bonaparte restaient persuadés que Napoléon était sous l’emprise de cette «  diablesse» de Joséphine. Partant, ils la détesteront longtemps, militant sans cesse pour le divorce.

 

PdA : Nous l’évoquions il y a un instant : le pouvoir, bientôt, va (re)devenir héréditaire. Ce qui ne va pas manquer de poser, de façon de plus en plus appuyée au fil du temps, la question de l’incapacité du couple régnant à enfanter un héritier. Vous suggérez dans votre ouvrage que Joséphine, sentant le « coup venir », n’aurait pas été totalement insensible aux appels des milieux royalistes qui l’invitaient à pousser auprès de son époux l’idée d’une restauration qui eût maintenu ce dernier au centre de l’action gouvernementale mais déplacé l’affaire de la succession. Cette angoisse est prégnante chez elle, depuis longtemps ?

 

P.B. : La possessive Joséphine n’acceptera jamais de perdre « son » Napoléon. Ce dernier dira que quant il ouvrait la porte de sa berline à l’aube, il trouvait son épouse « avec tout son attirail ». Pour le suivre, elle s’était sûrement levée à quatre heures du matin. Alors la perspective de le voir couronné l’a sûrement inquiétée. N’allait-il pas s’éloigner d’elle au final ? Son pressentiment allait hélas pour elle se vérifier.

 

PdA : Joséphine est populaire, très populaire même, vous le démontrez à de nombreuses reprises : outre le charme évident qu’elle dégage, il émane d’elle une espèce de bienveillance naturelle qui paraît par ricochet contribuer à adoucir l’image de Bonaparte. Comment la perçoit-on au sein du peuple ? En quoi est-elle un atout pour la monarchie impériale ?

 

P.B. : Joséphine possédait une empathie certaine. Femme de réseaux, elle sait écouter puis rendre service. Depuis son premier mariage, elle tisse sa toile, n’adoptant aucun parti mais en les fréquentant tous. Elle apportera à Napoléon ses mille et une relations. Ensuite, elle apparaît rassurante et pour le nouveau régime, c’est un atout certain. Napoléon pouvait inquiéter de par son allure martiale ; en apparaissant à ses côtés, Joséphine lissait son image. Vénus en contrepoint de Mars en somme. L’image est ancienne mais efficace. 

 

PdA : Vous le rappelez très bien, Joséphine essaiera de faire entendre sa voix, sa sensibilité sur, notamment, l’exécution du duc d’Enghien, prélude à l’instauration de l’empire - sans succès. S’est-elle fendue, pour ce que l’on sait, de conseils, de recommandations sur des points notables d’affaires d’État auprès de Bonaparte / de Napoléon ? A-t-elle eu une influence sur certains de ces points ?

 

P.B. : Il est difficile de dire quelle part lui attribuer dans telle ou telle décision. Napoléon était très peu influençable. En outre, il le dira à Sainte-Hélène, elle ne lui demanda jamais rien directement. Peut être usa-t-elle de malice, elle qui connaissait toutes les nuances de son ombrageux caractère, pour le faire plier ? En tout cas, une chose est maintenant certaine. En ce qui concerne le rétablissement de l’esclavage dont on l’a accusée d’avoir décidé Napoléon, elle n’y est pour rien. En 1802, au moment où la France recouvre ses colonies, elle écrit à sa mère pour la prier de vendre l’habitation familiale. On a connu colon plus acharné !

 

PdA : Considérez-vous, même si on fait appel ici à quelque chose d’impalpable, que Napoléon a perdu sa « bonne étoile » et, peut-être, « perdu pied » après sa séparation d’avec l’impératrice Joséphine en 1809 ?

 

P.B. : Même si cela y ressemble, ce serait bien réducteur de considérer les choses ainsi. La répudiation de Joséphine reste avant tout une décision politique qui constituera l’une des erreurs du règne. Napoléon voulait que sa dynastie s’allie aux plus prestigieuses familles d’Europe. Il choisira d’ailleurs la fille de l’empereur d’Autriche. Pour successeur, il pouvait parfaitement choisir l’un des enfants issus du mariage entre son frère Louis et la fille de Joséphine, Hortense. Cette union célébrée en 1802 et qui tournera au désastre avait d’ailleurs été manigancée par Joséphine et Napoléon pour se perpétuer d’une autre façon.

 

PdA : L’affection manifeste qui continue de les lier après ne peut que toucher le lecteur. Comment qualifieriez-vous leurs rapports, à ces deux-là, finalement ? Au-delà de l’amour, une estime, peut-être une admiration profonde de part et d’autre ?

 

P.B. : Plus qu’une simple affection ou de l’estime à mon avis. Ces deux géants de l’histoire avaient tous deux une incroyable confiance en eux. Ils étaient certes complémentaires presque jusqu’à la caricature mais ils se ressemblaient aussi étonnamment. Ils étaient ambitieux, jaloux, possessifs, peu rancuniers et leurs histoires personnelles se recoupent en de nombreux points. Joséphine était vraiment l’alter ego de Napoléon. Peut-être voyaient-ils en l’autre comme une part d’eux-mêmes ? Je pense que leur lien très fort, de l’amour sans doute, était comme un jeu de miroirs dans lequel ils continuaient d’une certaine manière à s’admirer.

 

PdA : J’ai dû faire des choix pour mes questions, occultant, forcément, des pans entiers de l’histoire de Joséphine. Ce que l’on retient du portrait que vous en faites, c’est réellement qu’elle fut un personnage attachant, forcément touchant et tragique à bien des égards. Quelle est l’image que vous vous êtes forgée de Joséphine à la suite des recherches que vous avez conduites pour l’écriture de ce livre ? En quoi est-elle différente de celle que vous pouviez en avoir avant ?

 

P.B. : Je ne soupçonnais pas une telle force de caractère et son ambition forcenée. Elle m’a vraiment étonnée et j’espère avoir vraiment levé le voile sur cette femme attachante et troublante comme vous le soulignez. Je forme le vœu qu’on la redécouvre dans toute l’étendue de sa personnalité et qu’on cesse de ne voir en elle qu’une femme superficielle seulement intéressée par ses centaines de robes ou chaussures.

 

PdA : Un dernier mot ?

 

P.B. : Vive la nouvelle Joséphine !

Q. : 19/03/16 ; R. : 17/04/16.

 

Pierre Branda

 

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