François Durpaire : « La véritable ligne de fracture de ce second tour, qui n'est pas joué, est sociale »
Neuf jours après le premier tour d’une présidentielle éclatée, qui a vu la qualification pour le second tour du président sortant Emmanuel Macron (27,8%) et de la patronne du RN Marine Le Pen (23,1%), et à la veille d’un débat qui sera très scruté, une pause pour analyser les personnalités de l’une et de l’autre, et les rapports de force. Il y a cinq ans, François Durpaire, politologue et historien, avait répondu à mes questions autour de sa série de BD La Présidente (Les Arènes BD), qu’il a scénarisée et qui imaginait, dès 2015, l’élection et l’exercice du pouvoir par Marine Le Pen et ses équipes.
Il y a cinq ans, on était avant l’élection de 2017 qui verrait le jeune loup Macron l’emporter largement (par 66% des suffrages exprimés) contre la présidente du Front national. À cinq jours du second tour 2022, on peut se dire que, du point de vue des rapports de force au moins, on ne vivra pas un bête remake : Emmanuel Macron est président sortant, son agenda politique, sa pratique du pouvoir, son tempérament même lui ont aliéné des franges considérables parmi l’électorat qui fut le sien, beaucoup par défaut, en 2017. Et sa rivale, qui a beaucoup appris de ses échecs, est devenue experte dans l’art d’user d’un langage qui parle aux fractions populaires, à ce peuple qui ne s’est jamais reconnu, ou ne se reconnaît décidément plus dans les discours d’Emmanuel Macron.
Je remercie François Durpaire pour le temps qu’il a bien voulu me consacrer et pour ses réponses, instructives et qui évitent tout parti pris. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
François Durpaire : « La véritable ligne
de fracture de ce second tour,
qui n’est pas joué, est sociale... »
La Présidente (Les Arènes BD).
François Durpaire bonjour. Cinq ans après nos précédentes interviews, bis repetita : un second tour Macron-Le Pen. Que vous inspire-t-elle, cette campagne présidentielle 2022 ?
Pour moi ça n’est pas exactement "bis repetita". Effectivement le duel est le même qu’il y a cinq ans, mais beaucoup de choses ont changé. La première, c’est que l’un est président, l’autre toujours candidate, ce qui veut dire que dans leur rapport, notamment dans le débat, le positionnement ne sera pas le même : il y a cinq ans, c’était promesses contre promesses, là c’est promesses contre défense d’un bilan. Et il est toujours plus difficile de défendre un bilan que des promesses. La deuxième chose, c’est que le rapport de force a changé : Marine Le Pen a aujourd’hui des reports de voix possibles. On a évidemment beaucoup parlé de Zemmour pendant la campagne, il n’y a pas que lui. Les reports de voix seront donc plus importants. Le faiseur de roi, cette année, ce sera forcément les voix de Jean-Luc Mélenchon (22%), avec l’inconnue de l’abstention. Quant à la thématique de campagne, c’est le pouvoir d’achat. On dit souvent que celui qui impose son thème à la campagne est celui qui a le plus de chance de l’emporter. Là, ça contredirait un peu les sondages, puisqu’ils donnent la victoire à Emmanuel Macron. Pourtant cette thématique, imposée par Marine Le Pen, est celle que plébiscitent les Français...
Vous avez beaucoup observé, étudié Marine Le Pen, pour votre trilogie La Présidente (Les Arènes BD) notamment. Êtes-vous de ceux qui considèrent qu’en cinq ans, elle a appris de ces erreurs, et gagné en habileté ?
Oui, elle a en tout cas gagné en habileté politique. Elle a beaucoup appris de son échec lors du débat d’il y a cinq ans. Elle s’est dit qu’il fallait creuser deux sillons. Le premier, c’est la crédibilité du programme : elle a beaucoup répété que son programme était sérieux, qu’elle avait beaucoup travaillé, elle a mis en scène son travail autour du projet, notamment en opposition à Éric Zemmour. Le deuxième, c’est de lisser son image : de nombreuses élections se jouent aujourd’hui sur la fameuse polarisation négative qui veut qu’on ne vote pas "pour" un candidat, mais "contre". Elle a fait beaucoup pour que les Français ne votent pas contre elle. On verra s’il y a plus de gens qui sont contre elle (l’ancien "front républicain") ou contre Macron. Il y a un désir, un besoin d’alternance : il faut rappeler qu’aucun président n’a été réélu hors cohabitation dans la Cinquième République. Dans tous les cas ce sera une première : première réélection d’un président hors cohabitation, ou première élection d’une candidate d’extrême-droite.
À la fin de vos BD, le cycle victorieux des Le Pen était brisé par la victoire d’un ticket dit républicain incarné par Emmanuel Macron et Christiane Taubira. Emmanuel Macron est effectivement devenu président depuis, mais sa personnalité et ses orientations ont objectivement contribué à détourner de lui pas mal de gens pourtant attachés aux valeurs républicaines. En 2017, il l’a emporté avec 32 points d’écart sur Marine Le Pen. S’il gagne par 10 points cette année ce sera large... Est-ce qu’on ne sous-estime pas l’hostilité, peut-être la haine qu’il inspire ?
Non effectivement, on ne les sous-estime pas puisque cela se lit dans les sondages. Actuellement les sondages les plus en faveur d’Emmanuel Macron lui donnent 54%, ce qui n’est que très légèrement au-delà de la marge d’erreur. L’hostilité à son égard est réelle : il incarne le libéralisme, il incarne une forme d’arrogance sur laquelle Marine Le Pen a beaucoup joué. Ayons toujours en tête que cette élection, c’est la rencontre d’un homme (ou d’une femme) et du peuple. Il y a donc un côté psychologique qui, nécessairement, a de l’importance.
Et d’ailleurs, quand on voit tous ces gens, notamment des intellectuels, artistes, sportifs... qui appellent à voter Macron pour faire barrage à Le Pen, est-ce qu’on n’a pas tendance, ici, à oublier un peu les leçons de l’élection de Trump en 2016 ?
Vous avez raison, tout cela n’est pas forcément perçu de manière positive : lors de l’élection de Trump, l’engagement des personnalités a plutôt joué contre Hillary Clinton. On pourrait vivre la même chose. L’idée, ce serait de dire que l’électorat du "système" se mobilise. Et ça valide la sociologie du vote : les classes populaires contre les strates plus dominantes de la société. Que ces personnes plus favorisées se mettent à appeler au vote donne donc encore plus de valeur à la terminologie "candidat des élites", "candidat des riches"... "candidat de ceux qui profitent de la mondialisation"...
D’autant plus avec cette habileté qui est celle de Marine Le Pen cette année... Sans doute ne répondrez-vous pas à cette question mais, en tant que scénariste, quels atouts feriez-vous utiliser par Marine Le Pen pour espérer faire pencher la balance lors du débat ?
(Rires) C’est vrai que dans la BD, on lui avait notamment offert le slogan d’une deuxième campagne, "La France Encore Plus". Bon, on va éviter de lui donner des conseils pour le second tour. Je pense toutefois que, comme on l’a déjà dit, elle serait bien inspirée, pour creuser son sillon, de continuer à lisser son image et à mettre en avant le sérieux de son programme. Ce qui est un peu compliqué c’est que les deux candidats ont à aller convertir des électorats à contre-mouvement d’il y a cinq ans : cette fois-ci c’est Emmanuel Macron qui doit séduire l’électorat de gauche entre les deux tours, et Marine Le Pen, qui en a déjà convaincu certains à gauche, doit se faire la plus petite possible, d’ailleurs sa première semaine de campagne a été très discrète. Voulant jouer le "tout contre Macron", elle essaie de se faire oublier, pensant que la polarisation négative va jouer pour elle. En revanche, le fait de n’avoir pas suffisamment été sur le terrain fait que l’écart dans les sondages s’est agrandi. Donc c’est un pari qu’elle a joué, d’une campagne très douce. Elle se dit qu’avec ce faux rythme, comme dans ces sports où il y a des matchs avec un faux rythme, elle peut au bout du compte être la surprise de la fin de la deuxième semaine d’entre-deux tours, surtout si les médias reprennent que les sondages sont au-delà de la marge d’erreur. Si on était, en toute fin de campagne, sur des sondages restant à 54-46, et s’il faisait beau dimanche, cela pourrait entraîner une très forte abstention et une surprise colossale. Si on fait la totalité des voix dont les deux sont sûrs, Emmanuel Macron est à 33%, Marine Le Pen à 32,5... Si on totalise les voix de report quasiment certains, il y a égalité. Le reste n’est que conjectures.
Dans le tome 3 de La Présidente (2017), après deux mandats de Le Pen, tante puis nièce,
débat entre l’ex-présidente Le Pen et un challenger nommé Emmanuel Macron...
Donc autant dire que les choses ne sont pas jouées...
Non, c’est très serré. Quand un journaliste aussi expérimenté qu’Alain Duhamel dit que ce sera l’élection la plus serrée depuis 1974, on peut l’écouter...
Observant Marine Le Pen telle qu’elle mène campagne en 2022, quels points importants d’intrigue auriez-vous modifiés si La Présidente avait été écrit cette année ?
Je me serais amusé à anticiper les répliques du débat Macron-Le Pen, et j’aurais essayé de montrer les coulisses du travestissement de Marine Le Pen en candidate mainstream.
Après le premier tour, beaucoup de frustrations se sont fait entendre : est-ce qu’on arrive pas au bout d’un système, où à la faveur de la juxtaposition des quinquennats présidentiel et législatif, tout se décide sans partage pour cinq ans ("the winner takes all") là où dans les démocraties normales (j’assume ce terme) il y a meilleure représentation de la Nation, obligation de négociation et contre-pouvoirs ?
Disons que c’est un peu dommage pour ceux qui croient en la rénovation de la démocratie... Marine Le Pen a fait une conférence de presse sur la rénovation de la démocratie qui propose notamment la mise en place du référendum d’initiative populaire. Cette thématique se trouve plutôt du côté du camp Mélenchon pendant la campagne. Peu de propositions sinon. On a entendu Emmanuel Macron dire qu’il aurait un style différent, mais rien de concret pour rénover la démocratie. Ce serait pourtant une piste importante, les Français souhaitant sans doute participer plus souvent qu’une fois tous les cinq ans.
On a quand même compris de quel côté vous penchez plutôt pour dimanche : quels seraient vos arguments décisifs pour convaincre notamment les électeurs de gauche, qui probablement feront la clé de ce scrutin ?
Là par contre, je vais me retrancher derrière ma position de scénariste : je ne suis personne pour appeler à voter pour l’un ou pour l’autre, ce serait ridicule. Des dirigeants de partis politiques connus et reconnus ne le font pas non plus alors moi, aucun intérêt. Que chacun vote en son âme et conscience. On peut tout de même dire que c’est une pratique française, que des personnes s’arrogent le droit de dire pour qui elles vont voter, s’imaginant que cela puisse influer sur d’autres personnes. C’est assez franco-français et lié au système à deux tours : au premier tour on choisit, au second on va souvent devoir aller vers un opposant à celui qu’on a choisi. Ma position est assez cohérente je crois. Voyez la position de Mélenchon : il est assez clair, en disant aux gens qu’ils sont libres dans la mesure où il n’y a pas de voix "pour l’extrême-droite". Mais un citoyen est un citoyen... J’ai entendu beaucoup de critiques sur le non-positionnement de l’Union populaire, provenant notamment du camp Macron. Je pense que les partisans du "et en même temps" sont mal placés pour critiquer une force dont le positionnement est clairement éclaté : un tiers pour l’abstention, un tiers pour Macron, un tiers pour Le Pen. Au nom de quoi Mélenchon irait, appelant à voter Macron, faire exploser son propre camp ? Pour des gens qui, encore une fois, ont travaillé sur le "en même temps" pendant des années, travaillé à la disparition des partis traditionnels - LR et le PS additionnés font à peine le score d’Éric Zemmour ? Je crois que cette leçon de morale est complètement déplacée.
La véritable ligne de fracture de ce second tour, le choc (je parle ici des électeurs, pas des postures des politiques), ce sera entre optimistes et pessimistes, entre les heureux et les inquiets face à l’Europe telle qu’elle se fait, à l’Europe telle qu’elle se joue ?
Marine Le Pen entend opposer "mondialistes" et "nationalistes". Emmanuel Macron aimerait opposer "républicains" et "extrémistes". En fait, la sociologie du vote, ce serait plutôt d’un côté, dans le camp de Marine Le Pen, les classes populaires, celles qui ont fait moins d’études supérieures, et de l’autre, un public plus CSP+ (les catégories socioprofessionnelles les plus favorisées, ndlr). Pour moi, la vraie ligne de fracture est là. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle est sociale, et pas identitaire. En cela, du côté des souverainistes de droite, on peut dire que Marine Le Pen a eu une intuition plutôt juste par rapport à un Éric Zemmour qui a tout misé sur la "fracture identitaire".
Dans la lutte d’influence globale entre régimes libéraux et régimes autoritaires, entre pensée progressiste et pulsion de repli sur soi, c’est à ce stade plutôt l’optimisme ou le pessimisme qui dans votre esprit l’emporte ?
Ce sont des fractures apparentes. Il ne faut pas toujours se laisser prendre aux discours des uns et des autres. Les "autoritaires" et les "progressistes" ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Un exemple : Emmanuel Macron nous avait expliqué qu’Erdogan était un autoritaire. Dans le cadre de la guerre actuelle, Erdogan se trouve apparemment du côté des démocraties soutenant l’Ukraine contre la Russie. Dans le cas contraire, l’Inde, dont personne ne peut nier qu’elle est une grande démocratie, est plutôt en soutien de la Russie... Il faut donc distinguer les discours et les réalités géopolitiques et historiques, toujours plus subtiles.
Vos projets, vos envies pour la suite, François Durpaire ?
Quelques projets de BD à venir, je pense qu’on en reparlera.
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Michaël Darmon : « Emmanuel Macron se voulait Jupiter, il est devenu Hercule... »
Dans un peu moins d’un mois, les électeurs seront appelés à se prononcer pour choisir, parmi douze candidats, les deux personnalités qui accéderont au second tour de la présidentielle, l’élection reine en France. Cette campagne 2022 ne ressemblera probablement à aucune de celles qui l’ont précédée dans l’histoire récente : elle intervient alors qu’une guerre brutale fait rage aux portes de l’Europe, et qu’une pandémie peine à se faire oublier. C’est bien un "quinquennat de crises" - pas nécessairement toutes de nature à handicaper un sortant, disons les choses - qu’évoque le journaliste politique Michaël Darmon dans son ouvrage Les secrets d’un règne (L’Archipel, octobre 2021).
Après lecture de ce document éclairant à bien des égards, je l’ai contacté pour lui proposer une interview, ce qu’il a accepté de bonne grâce. Les difficultés furent ailleurs : il a fallu jongler avec son emploi du temps très chargé, et après avoir réalisé une moitié d’entretien, nous nous sommes donné rendez-vous pour la semaine suivante. L’interview s’achèvera en fait trois semaines plus tard : entre temps, la Russie de Vladimir Poutine avait choisi d’envahir l’Ukraine. Merci à Michaël Darmon pour le temps qu’il m’a accordé, et pour ce témoignage. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Michaël Darmon : « Emmanuel Macron
se voulait Jupiter, il est devenu Hercule... »
Les secrets d’un règne : Dans les coulisses d’un quinquennat de crises,
par Michaël Darmon (L’Archipel, octobre 2021).
première partie, le 16 février 2022
Michaël Darmon bonjour. Il y a quelques semaines, les (très) bons sondages post-primaire LR de Valérie Pécresse ont rendu cette élection incertaine, mais à ce stade on a l’air de s’acheminer vers une réélection d’Emmanuel Macron nette comme fut celle de Mitterrand ’88. Honnêtement, subsiste-t-il pour vous un grand suspense quant à ce scrutin, si on laisse de côté un épisode type "Papy Voise x 10" à quelques jours du second tour ?
Je pense que l’élection reste, malgré tout, assez ouverte. Pour la première fois, il y a, dans cette campagne présidentielle, deux éléments nouveaux. Le premier, c’est une primaire à l’extrême-droite, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant. La donne est changée : cela a pour conséquence d’abaisser le ticket d’entrée pour le deuxième tour. Le deuxième, c’est une tendance à l’abstention, qui s’annonce plus importante qu’en 2017 - on s’oriente vers un chiffre d’environ 30%, ce qui serait beaucoup pour une présidentielle. Cette abstention attendue a aussi pour conséquence d’abaisser le niveau d’entrée pour le deuxième tour. Le niveau de qualification pour le duel final semble devoir se situer entre 16 et 18%, c’est bien moins que lors des scrutins précédents. Aujourd’hui, trois personnes sont des qualifiés potentiels, et on ne sait pas à ce jour comment cela va se décanter, entre Marine Le Pen, Valérie Pécresse et Éric Zemmour. Ce niveau d’incertitude, les sondages tentent de le mesurer tant bien que mal, mais ils ont du mal à appréhender des phénomènes nouveaux. Et on peut ajouter à tout cela une troisième dimension, désormais intégrée par les sondeurs : c’est la grande volatilité des électeurs, qui peuvent bouger au dernier moment, massivement, sur un fait d’actualité, une décision soudaine, une cristallisation ou un sursaut...
Et tout cela pourrait, pour vous, mettre en péril une réélection d’Emmanuel Macron ?
Je ne sais pas, mais en tout cas, cela ferait de la campagne du deuxième tour une campagne inédite. On ne sait pas envisager avec certitude une campagne de deuxième tour avant que ne se tienne le premier : ceux qui ont fait des projections se sont souvent trompés. Mais si on regarde la situation à date, alors qu’il reste une cinquantaine de jours, rien n’est encore cristallisé.
À la mi-février, et à défaut d’entente entre les candidats de gauche (on n’en est plus là), la deuxième place qualificative pour le second tour de la présidentielle semble devoir se jouer vous le rappeliez dans un mouchoir, entre Marine Le Pen, Valérie Pécresse et Éric Zemmour. Qui parmi eux serait le plus à même de fédérer au-delà des électeurs de premier tour, et notamment les électeurs de gauche ne voulant plus du président actuel ?
Si tant est qu’il y ait la mise en condition d’un débat entre Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, Valérie Pécresse peut proposer alors les conditions d’un référendum anti-Macron. Cela lui permettrait de rallier à elle, dans une considération qui reste encore à voir, des électeurs de la gauche qui souhaiteraient voir battre Emmanuel Macron. Il faut voir que, pour l’instant, ce scénario est quand même nuancé par le fait qu’une proportion non négligeable d’électeurs de gauche, socialistes, sociaux-démocrates, voyant l’état actuel de leur camp, se reportent plus volontiers sur Emmanuel Macron dont ils se sentent proches au niveau des propositions. Il y aurait donc "match", rien n’est acquis.
Il faut avoir en tête cette frange de la gauche, portée notamment par les élus, qui se dit qu’historiquement, la gauche se reconstitue face à la droite au pouvoir, et que pour pouvoir reconstruire tout cela, il faut que la candidate LR puisse gagner l’élection de manière à ce que LREM tombe, que soit repris le clivage droite-gauche avec la construction d’un contre-projet. Encore une fois, je ne sais pas dans quelle mesure cette théorie, très présente chez les élus, infuse auprès du terrain. Mais dans le cadre d’un deuxième tour face à Macron, il peut y avoir cette consigne d’un "vote utile". Marine Le Pen et Éric Zemmour provoqueraient, eux, essentiellement une démobilisation auprès des électeurs de gauche.
La campagne droitière d’une Valérie Pécresse qu’on a connu plus modérée, et les scores prêtés aux candidats Le Pen et Zemmour, ne sont-ils pas en train de matérialiser le pari du président, à savoir en substance "À la fin, ce sera entre moi et Le Pen" ? Emmanuel Macron n’a-t-il pas contribué, en sapant les fondations des partis établis, à installer le camp de la droite dure comme la seule alternative à sa politique et à ce qu’il incarne, pour 2022 et pour la suite ?
C’est une des conséquences : il contribue à faire du camp "nationaliste" le camp de l’alternance, sachant que son pari à lui c’est de créer le "camp du raisonnable", via le premier parti démocrate à la française centro-progressiste qui rassemblerait de la gauche de la droite à la droite de la gauche. Ce courant central auquel il a voulu s’atteler dès le début, nécessitait de pouvoir capter le centre-droit. Donc effectivement, s’il n’y a pas un rééquilibrage de la campagne de Valérie Pécresse, qui doit pouvoir parler aux centristes comme aux électeurs de la droite partis chez Macron (environ 20%) et qui pour l’instant ne comptent pas retourner chez LR, c’est bien le face-à-face entre camp nationaliste et le camp progressiste qui se profile. Partant de là, cela place ce camp nationaliste en position d’alternance possible, mais c’était bien le pari politique posé par Macron à ses débuts.
On dit beaucoup que Marine Le Pen a appris de et depuis son échec de 2017, c’est votre sentiment ?
Oui, elle a appris, elle s’est beaucoup mieux préparée, elle s’est réorganisée. Surtout, voyant la candidature d’Éric Zemmour grandir sur le terrain, elle a compris qu’elle avait là une possibilité de pouvoir terminer sa dédiabolisation en se recentrant considérablement. Elle a laissé tomber, en tout cas en terme de discours, toutes les caractéristiques du parti d’extrême-droite, et même entamé une sorte de mue dans sa relation avec les Français : on l’a vue à Reims, parler pour la première fois de sa propre vie et de son rapport aux femmes, seules et célibataires notamment, évoquer les familles monoparentales... Elle essaie, et c’est nouveau, de créer une sorte de relation affective entre elle et les Français, alors que cette relation n’était auparavant que tribunitienne et politique. Cette campagne lui permet de parfaire sa mue, d’autant plus qu’elle constate, campagne après campagne, une diminution de la mobilisation contre elle. Elle suscite de moins en moins d’opposition. Et cela, associé à la tentation abstentionniste, rend sa candidature plus efficiente et plus dangereuse qu’il n’y paraît pour Emmanuel Macron.
On parle beaucoup de sujets polémiques, on évoque les défections de certains pour d’autres camps, Nicolas Bay passé de Le Pen à Zemmour dernièrement... Il y a une forme de violence dans cette campagne. Est-ce qu’on peut espérer avoir malgré tout de vrais débats de fond ? Et qu’est-ce qui rend 2022 singulière par rapport aux campagnes passées ?
Ce qui est frappant, c’est la libération de la parole. C’est la première campagne où le diktat des réseaux sociaux est installé, voire très installé. On est dans une libération totale des expressions, des propos, des mots... Il y a une très grande violence politique, en tout cas dans les langages, qui donne à l’ensemble une tonalité très polémique, avec une difficulté à envisager sereinement les problèmes. Il faut se faire une raison : nous ne sommes pas des Allemands, nous ne sommes pas des Néerlandais, nous ne sommes pas des Scandinaves. À partir de là, le débat politique français dans cette Cinquième République, qui est quand même une monarchie présidentielle construite en pyramide avec une course au pouvoir fondée sur l’élimination et non sur la recherche d’un consensus, ne peut produire que de la tension et une forme de violence. La violence politique est alimentée, élection après élection, par des circonstances contemporaines, mais elle a toujours été de mise parce que, encore une fois, l’organisation de la Cinquième République rend cela inévitable.
Vous avez pas mal suivi, durant votre carrière de journaliste, l’actualité des partis politiques, notamment celle du Front national (1995-2004) et de l’UMP (2004-2010). Quel regard portez-vous sur l’évolution du paysage politique depuis 15 ans ? Après Macron, les diverses chapelles retrouveront-elles leurs ouailles, ou bien a-t-on tourné pour de bon la page de ces temps où la gauche et la droite se partageaient alternativement le pouvoir ?
Je crois que les clivages ont considérablement changé. Ils se sont réorganisés à l’intérieur des familles politiques, les camps, les places et modes d’organisations sont redistribués. Les grands partis de gouvernement qu’on a pu connaître et qui ont structuré la vie publique, sociale, culturelle depuis la Seconde Guerre mondiale sont en train de disparaître. D’autres formes d’organisation politique, je pense à ce que permettent les évolutions technologiques et numériques (avec une plate-forme internet, on peut aujourd’hui faire de la politique), font qu’on vit des évolutions majeures et sans doute définitives. On ne reviendra pas aux grands partis tels qu’on les a connus. Aujourd’hui, des partis s’organisent autour de rassemblements liés à des incarnations, à des souvenirs historiques... Mais ç’en est fini des grands partis de masse, où la gauche et la droite avaient du monde des visions radicalement opposées. Leurs positions se sont considérablement rapprochées sur de nombreuses thématiques, et la mondialisation a imposé une transversalité des thèmes. Le courant populiste qui est venu s’installer et est devenu partie prenante des pouvoirs et des modes de gouvernement change aussi considérablement la donne. Je pense qu’on est bien dans une autre époque complexe dont Emmanuel Macron a été, en France, l’installateur. On verra comment ça va se poursuivre, s’il fait un second mandat, au-delà de lui-même. S’il est réélu, on verra comment LREM et ce mouvement centro-progressiste lui survit, qui le récupère et d’après quel mode opérationnel. Mais les grands partis de masse encore une fois appartiennent à l’Histoire.
seconde partie, le 11 mars 2022
Entre temps, un évènement considérable: la Russie a envahi l’Ukraine.
Les sondages donnent désormais une large avance au président sortant,
positionné loin devant Marine Le Pen. Valérie Pécresse et
Éric Zemmour sont à la peine, rejoints par Jean-Luc Mélenchon...
Michaël Darmon bonjour. Cette question nous est imposée par la tragique actualité internationale du moment : l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine a-t-elle eu pour effet, en France, de tuer la campagne et de plier le match en faveur du président Macron ?
Elle ne tue pas la campagne, elle la redimensionne : c’est la première fois qu’un évènement international, donc extérieur à la vie du pays a autant d’effet sur la campagne présidentielle. Par tradition, les campagnes sont en France assez hermétiques à la politique étrangère, se focalisant sur les affaires nationales. La fait que l’international pèse cette année crée une ligne de fracture entre les candidats selon leurs positions, on l’a vu avec Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Ce conflit met en première ligne des sujets, révèle des traits de comportement qu’on relie à ce qu’on appelle une présidentialité, ou la capacité à gérer une crise majeure au plus haut niveau.
Si on prend le cas d’Éric Zemmour par exemple, il chute actuellement dans les sondages sans pouvoir apparemment s’en relever. En cause, ses déclarations d’avant le conflit, où il pariait qu’il n’y aurait jamais d’invasion, puis son refus - un peu amendé depuis - d’accueillir des réfugiés ukrainiens en France, et plus généralement son incapacité à capter ou en tout cas à être en phase avec l’émotion nationale. Le trouble s’est créé jusque dans ses propres rangs et l’opinion l’a sévèrement jugé quant à sa capacité à occuper le poste de président. La situation a permis à Mme Pécresse de rebondir un peu, en taclant Le Pen et Zemmour comme étant disqualifiés parce que trop "pro-Poutine". Paradoxalement Marine Le Pen s’en sort mieux parce que son électorat est surtout accroché au sujet du pouvoir d’achat, qui est le seul thème qui émerge dans cette campagne en-dehors de la guerre.
S’agissant du président sortant, étant aux manettes et qui plus est, président du Conseil européen pour ce semestre, il se trouve en première ligne dans la gestion diplomatique de ce conflit. De ce point de vue-là, on assiste au fameux "effet drapeau" déjà constaté lors de la crise Covid et qui consiste en une sorte de rassemblement légitimiste autour de la tête de l’exécutif. Depuis son entrée en campagne pendant la guerre, et tout en disant qu’il ne pourrait être un candidat à plein temps, Macron a fait un bond considérable dans les sondages (4 à 5 points gagnés, parfois plus) : il est désormais clairement en tête des intentions de vote, à ce jour autour de 30%. Dans cette affaire il rassemble les trois grandes catégories qui lui donnent un socle important : les classes moyennes aisées et les gagnants de la mondialisation, qui se retrouvent dans son discours général, auxquels j’ajoute encore une fois les Français ayant un réflexe légitimiste et qui considèrent, lui décernant un certificat d’efficacité et de crédibilité, qu’il faut soutenir le président dans cette crise-là. Tout cela laisse penser qu’effectivement il est en bonne situation pour être réélu, mais cette réélection sans campagne pourrait provoquer de grandes difficultés pour la suite du mandat...
Peut-on dire qu’Emmanuel Macron, président qui se voulait "jupitérien" et qui entendait dompter les évènements, s’est pris de face une "réalité complexe" qu’il n’aurait finalement cessé de subir (Gilets jaunes, réforme des retraites, Covid-19, guerre Russie-Ukraine...) ?
Oui, il a subi en permanence des crises non prévues et qui ont dû le mettre en défensive. La première crise fut l’affaire Benalla, une crise de confiance dans sa gouvernance. Puis, la crise des Gilets jaunes, liée à sa verticalité, à sa difficulté à comprendre les "milieux" et "derniers de cordée". Ensuite, une réforme des retraites qui a bloqué le pays parce que mal expliquée, mal comprise, trop rapidement emmanchée... La pandémie est ensuite venue mettre l’exécutif dans un état de pression considérable, même si sa gestion a plutôt été au final jugée à la hauteur. Et donc, cette crise internationale majeure, cette guerre en Europe... Il y a eu une mutation : il se voulait Jupiter, il est devenu Hercule.
Il est beaucoup question dans votre ouvrage des frustrations exprimées par Emmanuel Macron quant aux lourdeurs et lenteurs imputées au poids de la technocratie, auxquelles il associe des attitudes de son ex Premier ministre Édouard Philippe. Cherche-t-il ici des boucs émissaires eu égard à ses échecs, ou bien nourrit-il à votre avis de vrais regrets quant à des points clés de son quinquennat ?
Je pense qu’il a des regrets, et il impute effectivement certains de ses échecs à une série de lourdeurs qu’il impute à un État qu’il juge impotent et aveugle. Il a beaucoup dénoncé les résistances aux réformes de ce qu’il appelle "l’État profond" - il est intéressant au passage de voir le parcours de cette expression, à l’origine russe, puis reprise par Donald Trump. Emmanuel Macron a annoncé son intention de faire changer des comportements : a-t-il eu le temps d’aller jusqu’au bout ? Non, puisque par exemple la grande réforme de l’hôpital n’a pas donné l’impulsion politique nécessaire pour remettre à plat l’architecture de l’hôpital et des ARS, qui sont au coeur du système bêta-bloquant de l’administration de la santé, qui est la plus grosse bureaucratie française. Il a tout de même initié une grande réforme de la fonction publique, via la réforme qui part de la formation jusqu’au changement de l’ENA, en passant par des dispositions modifiant les statuts de la haute fonction publique : les effets ne se verront pas avant plusieurs années, mais il a toujours dit qu’il valait mieux perdre du temps en s’attaquant à la racine des problèmes plutôt que d’essayer de les colmater. Il a beaucoup dénoncé, ce qui d’ailleurs a été posé dès son diagnostic de 2017, ces lourdeurs et ces états de sclérose d’un système mis en place durant les Trente Glorieuses, considérant que ce qui avait un temps servi le pays avait ensuite joué comme un phénomène de verrouillage. Mais il n’a pas trouvé ni la force ni le temps pour faire ce qu’il avait prévu.
Nous évoquions Édouard Philippe à l’instant : il est souvent cité dans votre ouvrage. Le président devra-t-il forcément composer avec lui si d’aventure, un second mandat lui était acquis ? De manière plus générale, vous fait-il l’effet d’un homme qui serait un peu seul dans son camp ?
Il pourrait être amené à composer avec lui. D’ailleurs Édouard Philippe a créé son parti, Horizons, qui s’installe au sein de la majorité. Il faut savoir qu’il y a une très grande méfiance entre les deux hommes : ils ne s’entendent pas, on peut même dire que leurs relations ne sont pas bonnes du tout. On va voir comment cela se matérialise dans la répartition des investitures pour les circonscriptions aux législatives, si Macron est réélu. Là sera l’heure de vérité, qui commencera au soir du premier tour. Pour l’instant, sur le papier, les choses ne sont pas faites pour s’améliorer : Édouard Philippe veut un certain nombre de circonscriptions, les autres membres de la majorité dont François Bayrou veulent l’empêcher d’être trop important (et Emmanuel Macron n’est pas difficile à convaincre là-dessus). Il faut donc bien s’attendre à des tensions.
Sur la question de la solitude : oui c’est un homme assez solitaire qui ne fonctionne pas du tout en bande. Le seul ami qu’on lui prête en tant que tel, c’est le maire de Poissy, Karl Olive qui s’occupe en général des grandes opérations de communication de Macron (match avec le Variétés Club, idée du Grand Débat, organisation aux petits oignons de sa première sortie très verrouillée comme candidat à Poissy...) Karl Olive est le seul qu’on désigne vraiment en tant qu’"ami" du président, mais je ne sais pas ce que signifie ce terme. On ne lui connaît pas vraiment d’amis à part ça...
J’ai noté une phrase de Xavier Bertrand que vous reprenez : il évoque, en parlant du président, un "besoin pathologique d’être aimé". Il y a de cela, pour vous ?
Un besoin de séduire en tout cas. D’être aimé je ne crois pas, mais de séduire certainement. Il est dans la séduction, dans une forme de représentation. Il sait donner le sentiment d’être très proche de son interlocuteur alors qu’en réalité, il va l’oublier et s’en détourner assez vite. Il peut être chaleureux dans une conversation mais sans se livrer jamais. D’ailleurs, une phrase essentielle pour moi, que d’ailleurs je cite dans le livre, c’est cette confidence faite à Brut en décembre 2019 : en substance, "Je ne dis à personne ce qu’il y a dans ma tête". Pour moi, la confidence la plus importante du quinquennat, bien que jetée très rapidement.
Quel est votre sentiment profond sur la question suivante : qui est Emmanuel Macron, et qu’est-ce qui l’anime en-dehors de l’ambition, et de son goût pour une forme de mise en danger ?
Pour moi, un Élu avec un grand E. Quelqu’un qui se sent désigné pour un destin au-dessus des autres. Il est habité par cette fonction, et par une forme d’ambition pour l’Histoire. Il adore ces moments où l’on sent que celle-ci se joue. Il a d’ailleurs évoqué, au déclenchement de la guerre en Ukraine, ce retour du tragique dans l’Histoire. Il est persuadé que la France s’ennuyait parce qu’elle n’avait pas assez de tragique et de héros. Il y a chez lui cette démarche héroïque, dans l’acception antique du terme.
Les yeux dans les yeux, quelle question qu’on ne pose habituellement pas à un président soumettriez-vous à Emmanuel Macron ?
Au fond, pourquoi faites-vous tout ça ? Avez-vous l’impression d’être un être singulier, choisi pour effectuer une grande mission ?
Si vous deviez vous jeter à l’eau, un pronostic au jour de notre entretien pour le podium du 1er tour, le 10 avril prochain ? Qu’est-ce qui pourrait faire bouger les lignes au finish ?
Je ne vois pas ce qui aujourd’hui pourrait faire bouger les lignes en sa défaveur. La situation internationale le conforte : il sera au second tour et en tête.
Ma question vous l’aurez compris portait plutôt sur le deuxième qualifié...
Bien sûr. La deuxième personne, ce sera Marine Le Pen ou Valérie Pécresse.
Pour vous, ça ne peut pas être Éric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon ?
Non. On est dans le moment classique de la campagne où il y a toujours un frémissement Jean-Luc Mélenchon. Le Monde va écrire : "Et si c’était lui ?", les sondeurs commencent à le tester pour le deuxième tour... Il y a un réflexe de vote utile chez les électeurs de la gauche, ils se disent qu’après tout il est le seul qui émerge. Mais je crois vraiment que le vrai match est entre Pécresse et Marine Le Pen.
Dernière question, plus personnelle : vous suivez les hommes et les femmes politiques depuis trente ans, vous connaissez les QG des grands soirs et ceux des déceptions amères. Avez-vous jamais été tenté d’entrer vous-même dans cette arène-là ?
J’ai pour habitude de dire que le gardien du zoo ne reste pas dans la cage des fauves. La restitution et le décryptage des grands enjeux politiques et démocratiques sont des activités assez importantes et qui méritent que l’on s’y consacre. Ce n’est pas parce qu’on écrit sur le pouvoir qu’on est attiré par le pouvoir. Ceux qui racontent la vie des grands bandits ne veulent pas forcément devenir policiers ou bandits.
Un dernier mot ?
Cette campagne présidentielle est inédite, parce qu’elle s’inscrit dans un moment de changement d’ère : la pandémie a joué son rôle de pandémie en ce qu’elle a opéré un changement d’époque, comme la Grande Peste qui a été à la charnière entre le Moyen-Âge et la Renaissance. On vient de vivre les vingt premières années du 21ème siècle, et on dit souvent qu’un siècle trouve ses caractéristiques dans ses vingt premières années. Ce qui commence à se dessiner, c’est qu’il peut s’agir d’un siècle non pas de "grand remplacement" mais de grand affrontement entre des pays à régime autoritaire/totalitaire et nos démocraties libérales qui sont très menacées et vont devoir trouver les moyens de se réinventer.
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Geoffroy Lejeune : « La présidentielle 2017, un scénario plus fou que ceux de House of Cards... »
Geoffroy Lejeune est, à 28 ans (!), le directeur de la rédaction de l’hebdo conservateur Valeurs actuelles ; en 2015, alors qu’il ne faisait « qu »’en diriger le service politique, il s’est amusé à imaginer un scénario dans lequel l’essayiste Éric Zemmour serait candidat à la présidentielle de 2017, et au finish élu. Ce récit, édité par les éditions Ring avec pour titre Une élection ordinaire, je l’ai lu très récemment. Il est bien écrit, bien pensé, et regorge de situations qui, prises individuellement ou dans leur ensemble, paraissent toutes crédibles - à une exception près dans mon esprit, la séquence de Marine Le Pen suivant les obsèques de son père... via la télévision. Cet ouvrage plaira je le crois à celles et ceux que la politique intéresse et qui sont séduits par l’exercice de politique-fiction. Au-delà de (tout) ce qui est romancé, Une élection ordinaire constitue une plongée très instructive dans l’univers finalement assez méconnu par le public de la droite conservatrice française. On y découvre ses coulisses, les acteurs et leurs interactions... À lire, donc, avec d’autant plus de gourmandise qu’on commence à avoir un peu de recul sur l’élection de 2017, la vraie. Sur tout cela et sur d’autres points, Geoffroy Lejeune a accepté de répondre à mes questions, écrites juste après la présidentielle. Je l’en remercie, et je remercie Laura Magné de Ring pour son intervention. À la fin de l’interview, l’auteur dit ceci : « Pour écrire à nouveau, j’attends d’avoir une nouvelle révélation ! ». Pari perso : le héros de son prochain roman de politique-fiction sera une héroïne, et si on la désigne par ses initiales, il y en aura quatre. Bonne lecture ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Geoffroy Lejeune: « La présidentielle
2017, un scénario plus fou
que ceux de House of Cards... »
Q. : 09/05/17 ; R. : 24/05/17.
Une élection ordinaire, par Geoffroy Lejeune, aux éd. Ring, 2015.
Paroles d’Actu : Geoffroy Lejeune bonjour, merci de m’accorder pour Paroles d’Actu cet entretien, axé sur votre roman de politique fiction Une élection ordinaire (éd. Ring, 2015), qui imaginait il y a deux ans une campagne présidentielle de 2017 aboutissant à la victoire surprise d’Éric Zemmour, mais aussi bien sûr sur la véritable élection qui vient donc de se tenir, et qui n’a pas été beaucoup moins mouvementée que celle que vous aviez écrite... Quels sentiments vous inspire-t-elle, précisément, cette campagne de 2017 ?
la présidentielle de 2017
Geoffroy Lejeune : Même avec les meilleures intentions, et avec la plus grande imagination, il était impossible d’imaginer une telle histoire ! Je crois que les scénaristes de House of Cards eux-même doivent se trouver bien prudents en comparaison avec ce que vient de vivre la France durant six mois… Au-delà de cette considération de forme, l’élection de 2017 m’inspire deux conclusions :
1. Un personnage inconnu de tous il y a trois ans s’est imposé, ce qui prouve qu’une candidature venue de nulle part avait sa place.
2. Macron s’est imposé alors qu’il incarne en tous points l’exact inverse de l’évolution de l’opinion des français, si l’en croit les récentes enquêtes du Cevipof (le Centre de recherches politiques de Sciences Po, ndlr). Alors, chapeau l’artiste…
PdA : Dans votre roman, l’écrivain et polémiste Éric Zemmour, qui fut poussé à se lancer par ses amis Patrick Buisson et Philippe de Villiers, et soutenu par Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino, Marion Maréchal et feu (!) Jean-Marie Le Pen, remporte donc l’élection présidentielle. Sur le fil, contre François Hollande au second tour ; sa candidature avait vocation à dépasser celle de Nicolas Sarkozy, jugé trop libéral et trop inconstant, et celle de Marine Le Pen, pas assez "de droite" (la fameuse "ligne Philippot"). Cette candidature Zemmour, dont la cohérence sur la ligne est limpide, c’est un fantasme d’écrivain ou, au-delà, celui d’un citoyen engagé ? Comment Zemmour a-t-il reçu le livre ? En avez-vous parlé avec lui depuis ?
Zemmour candidat ?
G.L. : C’est d’abord une intuition éditoriale. J’ai senti très tôt qu’Éric Zemmour incarnait une sensibilité que je crois majoritaire à droite. J’assume aussi le côté "fantasme" car, je ne m’en cache pas, j’ai une grande admiration pour Zemmour et je partage ce qu’il dit. Il a été très tolérant avec moi lorsque je l’ai prévenu de mon projet. Ce livre le gênait un peu, car je le mettais en scène en présidentiable, mais il m’a laissé très libre et m’a juste demandé de faire « quelque chose de bien ». Je lui ai dit une fois, depuis, lorsque je l’ai croisé au moment des affaires de François Fillon, qu’il y aurait eu la place pour lui. Et sa seule réponse a été d’exploser de rire !
PdA : On attendait Marine Le Pen autour de 40% des exprimés face à Emmanuel Macron ; au final elle n’atteint pas les 34%. On a évoqué sa (contre-)performance lors du débat, peut-être aussi les explications un peu commodes du "plafond de verre" ou encore de l’influence des médias... Est-ce que, pour vous, en tant qu’observateur, elle a été une bonne candidate ? Et la campagne qu’elle a menée, avec son équipe, a-t-elle été sur la forme et surtout sur le fond une bonne campagne ?
la campagne de Marine Le Pen
« Le soir du débat, Marine Le Pen a perdu
non seulement l’Elysée mais également
le leadership de l’opposition future »
G.L. : En tant qu’observateur, je suis d’accord avec l’analyse partagée par absolument tous, ce qui est très rare : elle n’a pas été une bonne candidate, sa ligne a été flottante, elle s’est échouée piteusement le soir du débat. Que dire de plus ? Je crois seulement que, le 3 mai, elle a perdu plus que la présidentielle. Marine Le Pen, non seulement, n’est pas devenue présidente de la République, mais en plus elle a perdu le leadership de l’opposition, qu’elle aurait pu incarner en se hissant au second tour, et enfin elle a semé le doute jusqu’au sein de ses troupes. Lourde addition pour une seule soirée de débat…
PdA : Cette question pose aussi celle, fondamentale, des qualités attendues pour être président de la République, et donc de ce qu’on met derrière la fonction. Faut-il un acteur de premier plan ou un arbitre résolument au-dessus de la mêlée ? Est-ce que, pour reprendre le mot du nouveau monarque républicain il y a deux ans, vous diriez qu’il « manque un roi à la France » ?
un roi pour la France ?
« Le paradoxe est que Macron, incarnation
de la modernité, figure de proue des progressistes,
soit celui qui réhabilite l’autorité présidentielle »
G.L. : Il manque depuis longtemps un roi à la France : la monarchie républicaine est d’ailleurs conçue pour ne pas priver les Français de figure tutélaire, mais il faut admettre que depuis des décennies, les présidents semblent habités par l’idée de ne plus incarner cette autorité, ou de l’incarner différemment. Le paradoxe est que Macron, incarnation de la modernité, figure de proue des progressistes, soit celui qui réhabilite cette autorité. Il ne prend personne en traître, il l’a théorisé, mais ses soutiens les plus libertaires doivent tousser en le voyant endosser les habits du monarque !
PdA : Le duel Macron-Le Pen, ça a été, pour le coup, un choc frontal entre deux conceptions diamétralement opposées de ce que doit être notre rapport à l’Europe, au monde et à la mondialisation, et plus généralement à l’"ouverture", peut-être au "progrès" et aux "valeurs". Est-ce qu’on tient là la ligne de fracture fondamentale pour les années, les décennies à venir ? Est-ce qu’on peut résumer cette opposition au clivage progressistes/conservateurs ? Et peut-on de manière réaliste anticiper une recomposition du paysage politique sur ces lignes-là (avec une droite conservatrice qui serait animée par des Marion Maréchal, des Laurent Wauquiez, maraboutée par Patrick Buisson... face aux progressistes centristes et socialistes du macro(n)-cosme) ?
quels clivages pour les années à venir ?
G.L. : Le clivage progressistes-conservateur existe, je le trouve opérant, mais je me méfie de ceux qui veulent résumer le combat politique en un seul clivage. Il existe aussi un clivage européens-souverainistes, droite-gauche, France périphérique-France d’en haut ; etc. Macron bouscule les règles du système, il est donc difficile de dire aujourd’hui quel clivage structurera demain la vie politique française. J’observe seulement qu’il existe une gauche radicale en France, forte, un mouvement modéré allant de la gauche au centre droit, autour de Macron, qui gouverne, un droite conservatrice qui a perdu l’élection de 2017 "par accident" mais qui entend reconstituer ses forces avant 2022, et le FN, qui continuera d’incarner un populisme anti Europe et anti immigration. De là à vous dire qui sera majoritaire en 2022…
PdA : À plus court terme, question mi-analyste, mi-pronostic : à quoi l’Assemblée ressemblera-t-elle à la fin juin à votre avis ? Emmanuel Macron aura-t-il une majorité présidentielle ?
quelle Assemblée à la fin juin ?
« Macron risque bien de réussir son pari ;
il obtiendra sans doute une majorité
avec son parti émergent. Merci de Gaulle ! »
G.L. : Il est sans doute en train de réussir un pari que je croyais impossible il y a encore quelques semaines : obtenir une majorité à l’Assemblée avec un parti jeune et sans figure émergente. Si cela se produit, ce sera sans doute grâce à la traditionnelle poussée consécutive à la présidentielle en faveur du vainqueur. Ce qui est amusant, c’est de constater que les institutions de la Vème République sont si solides qu’elles ont résisté à la pratique du pouvoir de François Hollande et qu’elles vont permettre à Macron, malgré la faiblesse de son mouvement, de gouverner. Merci de Gaulle !
PdA : Vous prêtez dans Une élection ordinaire une stratégie redoutable à Jean-Christophe Cambadélis : faire monter Zemmour pour couper la droite en trois et donc, donner à Hollande une chance d’accéder au second tour et d’être réélu. Il y a un parallèle qui m’a frappé quand j’ai lu votre livre, ces jours - livre écrit je le rappelle en 2015 : OK, vous vous êtes planté sur 2017 en France, à votre décharge tout le monde s’est planté. Mais j’ai le sentiment que ce que vous avez décrit, peut-être anticipé sans le savoir, c’est Trump 2016 aux États-Unis. La victoire surprise, sur le fil, du candidat anti-système et anti-politiquement correct par excellence. On y retrouve jusqu’à cette histoire de stratégie tordue - et finalement fatale - du PS : on a beaucoup dit que les médias progressistes avaient sur-exposé Trump pour le favoriser lors des primaires, pensant qu’il serait ensuite une proie facile pour Hillary Clinton lors de l’élection générale... Dans un cas comme dans l’autre, la créature de Frankenstein, on croit la contrôler et finalement rien ne se passe comme prévu. Que pensez-vous de cette lecture ?
des stratégies tortueuses
G.L. : Sans doute y a-t-il quelques similitudes entre les deux situations, mais rassurez-vous, je n’ai rien inventé ! La stratégie prêtée à Cambadélis est tout simplement celle qu’applique la gauche depuis Mitterrand : faire monter le FN, un ennemi qui ne peut pas gagner, pour l’emporter sans péril au second tour des élections. C’est ce qui s’est passé pour Macron…
PdA : Votre ouvrage est bien pensé et bien écrit, agréable à lire et très documenté, on y apprend beaucoup de choses sur les coulisses de la politique, et notamment de la droite en France. C’est un milieu que vous connaissez bien. Est-ce que ça vous tente, d’en être de manière active et directe, de cette arène politique ?
faire de la politique ?
« Le journaliste, même s’il s’en défend,
fait de la politique ! »
G.L. : Mais je le suis déjà ! Nous sommes acteurs de ce monde et avons un pouvoir considérable. La question est : qu’en faisons-nous ? Voilà pourquoi je préfère ceux qui avancent à visage découvert, et pourquoi rien ne me fait plus peur que ceux qui prétendent à l’objectivité. Le journaliste, même s’il s’en défend, fait de la politique. La différence entre les journalistes est simple : il y a ceux qui l’assument et ceux qui s’en cachent.
PdA : Vous êtes aujourd’hui directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, ce qui n’est pas banal, à même pas 29 ans... Quelle est l’histoire de ce rapport passionné que vous avez avec la et le politique ?
la politique : histoire d’une passion
G.L. : Un rapport très simple : je viens d’une famille très peu politisée, j’ai peu – voire pas du tout – parlé de politique chez moi étant jeune, et découvert sur le tard, à 18 ans, ce monde. Je me suis passionné pour l’histoire de la cinquième République, à travers plusieurs récits journalistiques, et j’ai eu envie de reproduire ce modèle.
PdA : Quelles sont vos ambitions, vos envies pour la suite ? D’autres fictions sur le feu ?
bientôt une nouvelle fiction ?
« Pour écrire à nouveau, j’attends
d’avoir une nouvelle révélation ! »
G.L. : Malheureusement non ! Une élection ordinaire a été un coup de foudre. J’ai eu cette idée, en ai parlé au patron des éditions Ring, qui a été séduit. J’ai écrit vite, sans répit, les chapitres coulaient assez naturellement. Pour écrire à nouveau, j’attends d’avoir une nouvelle révélation !
Geoffroy Lejeune est directeur de la rédaction de Valeurs actuelles
et auteur de Une élection ordinaire, son premier roman (Ring, 2015).
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« Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) », par François Durpaire
Voici deux ans qu’avec son acolyte Farid Boudjellal, François Durpaire se fait peur - peur communicative - à imaginer ce que serait la France d’après une hypothétique élection de Marine Le Pen à la présidence de la République. L’intrigue du premier tome de La Présidente (Les Arènes, 2015), le théâtre de l’élément perturbateur qui déclenche tout, c’est donc cette élection de 2017, ce fameux scrutin qu’on est en train de vivre en direct, et en vrai.
Dans la réalité, il semblerait que la perspective d’une victoire de la présidente du Front national cette année s’éloigne, et sa (mauvaise) performance lors du débat d’entre deux tours n’a pas aidé à inverser cette tendance. C’est bien vers un succès du candidat d’En Marche, Emmanuel Macron, qu’on s’achemine désormais. Mais il sera le choix par défaut d’un grand nombre de ses électeurs de second tour et très vite, dès le 8 mai, la coalition fort hétérogène qui l’aura porté au pouvoir s’évaporera ; resteront dans la perspective des législatives du mois suivant de nombreuses inconnues, moult points à éclaircir et pierres d’achoppement et, s’agissant du président-élu, une charge écrasante, et une responsabilité singulière : écouter, entendre, comprendre.
J’ai souhaité interroger François Durpaire, que les téléspectateurs connaissent bien pour ses fréquentes interventions sur la politique américaine, sur quelques points essentiels dans la perspective de ce second tour. Nous nous sommes mis d’accord en ce sens au soir du 23 avril, première des grandes soirées électorales de cette année qui en comptera beaucoup. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté de répondre à ma sollicitation. Il y a eu une interview en décembre, une autre en avril ; celle-ci se retrouve chapeautée d’un titre qui sonne comme une mise en garde de la part de cet homme d’engagements : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire) ». Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche...
Source de l’illustration : ouest-france.fr
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
« Pourquoi Macron ne peut plus perdre
(et pourquoi il ne faut pas le dire) »
par François Durpaire
Q. : 23/04/17 ; R. : 05/05/17.
Paroles d’Actu : Quels sentiments, quels enseignements les résultats de ce premier tour d’élection présidentielle vous inspirent-ils ?
François Durpaire : Je ne sais pas qui gagnera dimanche, mais je sais qui n’a pas perdu : ce scrutin a confirmé la poussée des idées du Front national. Avec 7 643 276 voix dès le premier tour, Marine Le Pen est arrivée en tête dans 18 mille communes, 48 départements, 213 circonscriptions, et dans l’Outre-mer. Ne l’oublions pas quand nous analyserons les résultats du vote. Il y a des tendances qui relèvent du temps long : en six ans, Marine Le Pen a assuré au parti une progression continue.
PdA : Emmanuel Macron, inconnu il y a encore trois ans, a viré en tête de la présidentielle sans parti établi mais avec, disons, une bienveillance assez marquée de la part des médias. Dans quelle mesure le parallèle avec le Barack Obama de 2008 est-il pertinent ?
« On ne peut pas tout à fait comparer
Emmanuel Macron à Obama »
F.D. : Il y a la jeunesse et l’émergence soudaine qui peuvent faire penser à un « Obama français ». Mais l’enthousiasme autour du candidat n’est pas de la même nature qu’en 2008. L’origine de Barack Obama en a fait une élection historique. Ne l’oublions pas : si Emmanuel Macron gagne dimanche, il devra sa victoire à fois à son positionnement politique, qui aura facilité un bon report de voix entre les deux tours face à une candidate d’extrême droite, et à des concours de circonstances : élimination de la droite du fait de l’affaire Fillon et de la division de la gauche. Cela n’enlève en rien ses qualités personnelles, mais cela ne peut pas être comparé à Obama.
PdA : La présidentielle est l’élection mère en France. D’elle procède quasiment systématiquement l’élection législative, tenue un mois après, et il n’y a pas de scrutins midterms nationaux...
F.D. : Je pense comme vous que l’ordre des deux élections présidentialise notre régime, et subalternise notre Parlement. Et je le regrette.
PdA : Est-ce qu’à titre personnel vous ne trouvez pas gênant ce système du winner takes all qui fait qu’une qualification pour le deuxième tour, forcément à deux, puisse se jouer à quelques dizaines de milliers de voix ? Macron avec 24%, Le Pen avec 21,3 au second tour... Fillon avec 20% et Mélenchon 19,6% rayés de la carte. Est-ce qu’un de nos problèmes de fond, je rebondis sur notre réflexion précédente, ça n’est pas précisément que ce soit cette présidentielle, et non les législatives, notre élection mère ?
« Un Macron élu devra être humble au regard
des résultats du premier tour... sinon il s’exposera
à une revanche politique des minorités du 23 avril »
F.D. : J’ai entendu Emmanuel Macron rappeler le fonctionnement institutionnel, et le fait de devoir choisir entre deux candidats après le premier tour. Il faut pourtant se garder de tout arrogance (je ne parle pas de personnalité mais bien de politique...). La vérité institutionnelle n’est pas la vérité démocratique qui prévoit également le respect des minorités, surtout quand votre majorité est faible (avec un vote utile dès le premier tour) et que la somme des minorités (filloniste, mélenchoniste, hamoniste etc.) est nettement supérieure à votre propre score. Si Macron ne comprend pas cela, on pourrait assister à une revanche politique des « minorités de premier tour » lors des élections législatives du 11 juin.
PdA : Tous les sondages d’après premier tour ont prédit une victoire d’Emmanuel Macron, sur des rapports d’à peu près 60-40. Dans votre série d’anticipation La Présidente, Marine Le Pen est élue à l’Élysée dès 2017. En quoi la réalité qui est en train de s’écrire sous nos yeux vous semble-t-elle différer de ce que vous aviez imaginé ?
F.D. : Il y a quelques heures, j’étais encore dans un état d’esprit similaire à celui qui m’a fait écrire la BD. J’ai même écrit en début de semaine une tribune pour le journal Libération intitulé « Pourquoi Marine Le Pen peut gagner (et pourquoi il faut le dire) ». Aujourd’hui, je dirai plus : « Pourquoi Macron ne peut plus perdre (et pourquoi il ne faut pas le dire...) ». Je m’explique... D’abord, entre temps, il y a eu la catastrophe industrielle du débat, que je qualifierai presque de faute professionnelle pour Marine Le Pen. Ensuite, je maintiens la parenthèse pour signifier que les citoyens doivent rester éveillés, vigilants et concernés par le vote. Si tout le monde se dit que tout est joué, nous pourrions avoir un taux d’abstention record qui pourrait réserver des surprises en termes d’écart entre les candidats. Ce sont les citoyens qui votent, pas les sondages !
Couverture de La Présidente, le tome 1. Éd. Les Arènes, 2015.
PdA : Ne pensez-vous pas que l’on néglige un peu la capacité qu’aura eu le Front national de dépeindre le candidat d’En Marche comme l’homme du "système" par excellence (le consensus "libre-échangiste", "européiste" et "mondialiste"), point qui rencontre de manière diffuse un écho certain auprès de franges nombreuses de la population qui ne se reconnaissent pas et se sentent perdues dans le monde tel qu’on l’a façonné ? Est-ce qu’il n’y a pas au fond, non sur le résultat final mais à la marge du score (qui pourrait être plus serré qu’on ne le dit comme vous le suggérez), un espèce d’"effet Trump" à imaginer à la faveur de Marine Le Pen ?
« L’erreur fatale de Marine Le Pen aura été
de refuser de s’ériger en candidate de la droite ;
elle aurait dû à certains égards être
une héritière de la campagne de Fillon »
F.D. : Attention à la comparaison. Car la spécificité française tient à cette idée de report de voix, que Marine Le Pen précisément n’a pas su maîtriser. Trump pouvait camper sur ses positions, en surmobilisant son électorat. Il a même pu gagner avec une minorité de voix ! Mais le système français impose aux deux candidats d’élargir leur électorat du premier au second tour. Et c’est l’erreur stratégique majeure de Marine Le Pen, de méconnaître les conséquences politiques de cette spécificité institutionnelle (du scrutin à deux tours). Au lieu de s’adresser à son électorat, élargi d’un électorat de gauche en colère, elle aurait dû essayer d’apparaître comme la candidate de la droite face à l’ancien ministre de François Hollande. Or, en dénonçant sans cesse le libéralisme de son adversaire, elle lui a presque offert l’électorat filloniste avide de réformes. Et je ne parle pas de cette incroyable erreur lorsqu’elle a fini par dire « Macron-Fillon, c’est pareil ! ». Elle n’aurait pu gagner – précisément – qu’en montrant qu’elle était sur un certain nombre de points une héritière de la campagne de Fillon, capable de porter les espoirs de son électorat.
PdA : On peut considérer que, sauf accident majeur, Emmanuel Macron accédera à l’Élysée à la mi-mai. Mais s’agissant des législatives, qui interviendront un mois après la présidentielle, pour le coup on est dans le flou total. Pensez-vous que l’on va s’acheminer vers l’émergence véritable d’une troisième force parlementaire, force centrale procédant de l’élection de Macron (les électeurs feraient le choix de la cohérence), ou bien vers une espèce de situation ubuesque pour la Cinquième version quinquennat, un divided government à l’américaine parce que les partis traditionnels (et notamment LR) retrouveraient du poil de la bête, reprendraient leurs droits à l’Assemblée ?
F.D. : Je pense qu’il faut déjà avoir en tête, pour penser la politique, le propos de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
La grande question est l’ampleur de cette recomposition, de cette transformation. Qu’est-ce qui va véritablement disparaître ? Qu’est-ce qui va naître ? Qu’est-ce qui va renaître sous une autre forme ?
« "Républicains" contre "Démocrates", on pourrait
fort bien assister à une américanisation
de la vie politique française »
Je vous propose d’analyser la chose à partir d’un constat : quelle est force politique qui est sortie la plus affaiblie du premier tour ? Il s’agit du parti socialiste, avec un peu plus de 6% des voix. En considérant cela, on peut imaginer que se reconstituent quatre forces. Un « parti démocrate » qui serait la majorité présidentielle et qui se nourrirait de visages nouveaux et des ruines de l’ancien parti socialiste. Face à lui, les Républicains limiteraient selon moi les dégâts suite à l’élimination du premier tour. Dans la terminologie, on assisterait à une américanisation de la vie politique française – « démocrates » face à « républicains », américanisation entamée par l’importation des primaires.
À gauche du parti démocrate, une force constituée à partir des Insoumis et de l’aile gauche de l’ex-PS.
A droite du parti républicain, tout dépend du score de Marine Le Pen dimanche prochain. S’il apparaît comme amoindri du fait de l’erreur stratégique lors du débat télévisée, cela pourrait conduire sur un conflit entre les deux têtes de l’hydre anti-mondialiste. Le « nationalisme populiste » de Marine Le Pen et Florian Philippot – mixte d’extrême droite et d’extrême gauche – pourrait être concurrencé par le « nationalisme conservateur » de Marion Maréchal Le Pen – mixte d’extrême droite et de droite traditionnelle. Avec toutes les alliances possibles avec LR au niveau local notamment.
PdA : Le 7 mai, le choc sera frontal entre deux visions bien distinctes. Si Macron est élu, il incarnera et aura derrière lui peu ou prou l’ensemble des tenants du consensus évoqué plus haut. Une espèce de synthèse ultime entre progressisme et libéralisme - c’est en tout cas ce qui est affiché. Mais est-ce qu’il n’y a pas là, précisément, le risque qu’en cas d’échec, l’alternative, la seule alternative soit, le coup d’après, le Front national, version soft avec Marine Le Pen ou version hard avec Marion Maréchal ? Une alternative qui cette fois aurait des chances de passer parce qu’on aurait essayé tout le reste ?
F.D. : Je suis d’accord avec vous sur le fait que « faire barrage » ou construire des digues ne suffira bientôt plus. Il faut rendre plus performantes nos politiques publiques.
« La clé pour la suite, c’est d’abord
l’amélioration de la qualité de vie des citoyens »
Il ne faut pas avoir un raisonnement cynique. Le problème principal, ce sont les conditions de vie au quotidien des citoyens. Ce sont ces conditions qui amènent au danger démocratique d’avoir un parti d’extrême droite à la tête du pouvoir. N’oublions pas que parmi ceux qui gagnent seulement 1500 euros par mois, Marine Le Pen n’a pas fait 20% mais bien 30% des voix au premier tour ! Donc il faut souhaiter que la nouvelle majorité réussisse, non pas d’abord pour éviter l’élection de l’extrême droite la prochaine fois, mais pour que les citoyens aillent mieux.
PdA : Dans le troisième tome de La Présidente, chroniqué récemment sur Paroles d’Actu, Marion Maréchal est contrainte de céder son fauteuil présidentiel à Emmanuel Macron, allié à Christiane Taubira, tandem auquel vous prêtez des intentions de rénovation profonde du système institutionnel et démocratique. On a déjà abordé quelque peu le sujet plus haut, mais au-delà du débat sur le régime (semi-présidentiel contre présidentiel ou parlementaire) quelles sont à votre avis les réformes les plus nécessaires sur ce front des institutions et de la démocratie ? Que faire pour que soit abaissée la crise du politique et de la représentativité dans notre pays ?
« Face à la "frontière", mantra des
nationalistes, on pourrait mobiliser
autour de l’idée centrale de "formation" »
F.D. : J’ai été frappé par le fait qu’on peut résumer d’un mot la solution proposée par les nationalistes, de Trump à Le Pen : « Les frontières ! ». En revanche, face à eux, il y a une difficulté à comprendre le programme de leurs adversaires. Certes, parce que la voie de la complexité est toujours plus dure à emprunter. Mais je crois qu’ils gagneraient à mobiliser autour d’une idée également identifiable. Pour ma part, je pense à « la formation ». Pouvoir se former toute au long de sa vie est la seule solution pour que chacun trouve sa place au sein de toutes les sociétés dans lesquels il aura à vivre (dans le temps et dans l’espace).
PdA : Cette question-là, elle est pour le citoyen François Durpaire, plus que pour l’analyste. Quel message avez-vous envie d’adresser à ceux de nos lecteurs qui seraient, à l’heure où ils nous liraient, des électeurs indécis pour le second tour ?
F.D. : Comme le dirait Kant, « agis comme si ton action pouvait être universalisable ».
Crédits photo : Seb Jawo.
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« Macron ou Le Pen, la laïcité est perdante », par Fatiha Boudjahlat
Fatiha Boudjahlat, enseignante, militante au Mouvement républicain et citoyen (MRC) et auteure de Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement, essai à paraître aux éditions le Cerf, s’est imposée en quelques mois parmi les contributeurs les plus fidèles de Paroles d’Actu. Trois tribunes lui ont été accordées jusqu’à présent avec en toile de fond l’élection présidentielle : « L'identité républicaine, la plus universelle des singularités » (janvier), « Le retour de la IIIe République » (mi-avril) et « Macron, le rêve américain et la simulation du partage » (écrite juste après le premier tour). Comme pour les trois mousquetaires, voici un quatrième texte, le dernier avant l’ultime round de l’élection - il date de quelques heures après le grand pugi... débat à deux. Sur un des thèmes qui lui sont chers, très chers : la laïcité, valeur cardinale. Merci Fatiha ! Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
Illustration : Europe 1
« Macron ou Le Pen,
la laïcité est perdante. »
par Fatiha Boudjahlat, le 4 mai 2017
On se souvient de la punchline que Clinton infligea à George Bush Père lors de sa première candidature : « It’s the economy stupid ». Cette campagne présidentielle montre au contraire que tout ne se réduit pas à l’économie. La laïcité, le rapport à la Nation, au communautarisme, la lutte contre l’islamisme, s’avèrent déterminants pour le vote du dimanche 7 Mai. Emmanuel Macron et Marine Le Pen, tous deux fans de Jeanne d’Arc, n’ont ni l’un ni l’autre un rapport sain à la laïcité.
« Sur la laïcité, le FN n’a entamé
son virage républicain qu’en apparence...
et dans une visée électoraliste »
Le FN a réalisé un rapt de la laïcité, qui n’est pas dû à la fille, mais au père. Lors d’un discours prononcé au Bourget en novembre 2006, Jean-Marie Le Pen déclarait : « Ils ont cassé l’égalité républicaine. Ils ont cassé l’égalité par l’abandon de la laïcité, seul principe capable de maintenir le "vivre ensemble", malgré nos diversités ancestrales ou récentes, par la frontière bien marquée entre la sphère publique et la sphère privée... Laïcité abandonnée par clientélisme communautaire, cette sordide soumission aux lobbies et autres minorités qui a récemment donné une loi liberticide de plus. Laïcité abandonnée par la mise en avant permanente et arrogante d’origines ethniques souvent mythifiées, au détriment des valeurs communes. Ces valeurs communes unificatrices qui faisaient de la France un pays de diversité et de fraternité où le Breton, comme l’Auvergnat, l’Antillais comme le Savoyard étaient à la fois fiers de leur région ou contrée d’origine. »* Le parti du culte à Jeanne d’Arc en tant que combattante de la foi et de la royauté française, défend à présent ce qu’il méprisait naguère : il a entamé son virage ‘républicain’, en apparence et dans une visée électoraliste. C’est un détournement massif. Le FN est dans une laïcité à géométrie variable, douce avec les chrétiens, dure avec les autres religions du Livre et en particulier, l’islam.
* Vie publique, les discours dans l’actualité.
« L’extrême-droite n’est pas laïque,
elle est anti-islam et lie cette religion
à une ethnie envahissante »
Dans une interview donnée au magazine hebdomadaire Famille Chrétienne*, Marine Le Pen offre un exemple de cette laïcité à géométrie variable : « Je souhaite une laïcité renforcée, parce que je suis une pragmatique : aujourd’hui, la France est confrontée à la montée du fondamentalisme islamiste. Celui-ci se sert de l’argument de la liberté pour en réalité diffuser son idéologie. (...) Pour bloquer ce fondamentalisme islamiste, cela nécessite quelques sacrifices pour les autres religions, notamment pour nos compatriotes de confession juive, en renonçant au port de la kippa dans l’espace public. » Marine Le Pen et l’extrême-droite ne trouvent rien à redire aux revendications des catholiques intégristes. Ses préconisations sont en infraction avec les lois et les jurisprudences européennes et internationales qui posent comme principe la liberté de manifester ses croyances religieuses. On peut être contre le voilement mais aussi, pour prendre la formule Macronienne, « en même temps » être contre son interdiction totale par la loi, qui ne pourra de toute façon jamais être obtenue. Ce ‘renforcement’ concernerait aussi la communauté juive appelée à faire des efforts… de discrétion. À la question, dont la formulation est contestable, du journaliste « Le christianisme et l’islam doivent-ils être traités de manière identique au nom de la laïcité ? Pourquoi faire payer au christianisme les difficultés posées par l’islam ? », Marine Le Pen répond : « Pourquoi se créer des inquiétudes, alors que l’intégralité de l’inquiétude devrait être concentrée sur la montée en puissance du fondamentalisme islamiste, dont, il faut bien le dire, les chrétiens et les juifs peuvent être en particulier des victimes directes. » L’extrême-droite n’est pas laïque, elle est anti-islam et lie cette religion à une ethnie envahissante. La sémantique du FN a changé au sein du Rassemblement Bleu Marine, auteur d’un rapt des mots et des symboles de la République, alors même que la députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen s’est dite appartenir à une génération « un peu saoulée par les valeurs de la République » et pour qui « la République ne prime pas sur la France »**. Cette conception de la laïcité portée par le FN n’a rien de républicain. La brutalité des promesses de Marine Le Pen ont peu à voir avec l’autorité dont ses électeurs l’investissent. Son interview valide les thèses indigénistes, qui seraient les grands gagnants de l’élection de Le Pen. Dans l’ouvrage Fatima moins bien notée que Marianne***, François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils affirment que « la laïcité est pour certains politiques devenue un instrument d’agression des minorités ». La laïcité est fustigée comme « conquérante », « extensive », c’est « une laïcité de conquête coloniale », et on repense au vocabulaire de safari employé par Macron : « chasse » et « traque »… La « neutralité laïque servant de paravent aux discriminations »****.
* Certains catholiques aiment se faire peur, article mis en ligne le 8 mars 2017.
** Article éponyme du Point, mis en ligne le 27 avril 2016.
*** Éditions de l’Aube, janvier 2016.
**** Pour une critique complète du livre : http://la-sociale.viabloga.com/news/fatima-moins-bien-notee-que-marianne-cette-nouvelle-sociologie-contre-la-science-et-contre-l-intelligence
« Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique,
presque jurisprudentiel, permettant toutes
les revendications communautaristes »
Emmanuel Macron n’est pas plus exemplaire. On se rappelle son interview par Jean-François Kahn sur la laïcité* qui avait suscité un émoi légitime. Ce n’est pas une maladresse, mais l’expression tranquille de sa pensée empreinte de libéralisme politique. Rappelons cette série d’actes : l’hommage qu’il a rendu à Jeanne d’Arc, son pèlerinage au Puy du Fou aux côtés du désormais frontiste de Villiers, ses rencontres avec des représentants religieux. Il déclarait : « Quand certains réclament des menus dans les écoles sans aucun accommodement et veulent que tous les enfants mangent du porc, ils pratiquent une laïcité revancharde dangereuse ». La laïcité deviendrait dangereuse parce qu’elle serait ‘revancharde’ à l’encontre de l’islam et des Arabes. Avec une alternative qu’il ose poser sans nuance et sans honnêteté : dans les écoles de notre pays, il y aurait soit des menus confessionnels, soit le porc serait obligatoire. Le site de son mouvement « En Marche », à la rubrique laïcité, il y a quelques mois, affichait le même vocabulaire agressif, parlant de « chasse au foulard dans les universités », de « traque dans les sorties scolaires » de « celles et ceux qui peuvent avoir des signes religieux ». Interrogé sur l’islam en France par Jean-François Kahn, Emmanuel Macron répond : « Et qu’on demande à des gens d’être des musulmans modérés ! Demanderait-on à des catholiques d’être modérés ? Non ! On demande à des gens de faire ce qu’ils veulent avec la religion pour eux-mêmes et d’être dans un rapport de respect absolu avec les règles de la République. (…) Dans le champ public, je ne leur demande qu’une seule chose : qu’ils respectent absolument les règles. Le rapport religieux renvoie à la transcendance et, dans ce rapport-là, je ne demande pas aux gens d’être modérés, ce n’est pas mon affaire. Dans sa conscience profonde, je pense qu’un catholique pratiquant peut considérer que les lois de la religion dépassent les lois de la République ». Avec comme final cette envolée lyrique : « La République est ce lieu magique qui permet à des gens de vivre dans l’intensité de leur religion ». S’il devient légitime que les pratiquants considèrent que les « lois de la religion dépassent les lois de la République », c’est que la loi qui devrait s’appliquer à tous peut être subordonnée aux préceptes religieux d’une communauté et de ses leaders. Même si E. Macron précise qu’il s’agit des convictions personnelles des croyants, ceux-ci ne manqueront pas de vouloir mettre leurs actes en conformité avec leurs convictions profondes, et un candidat à l’élection présidentielle leur en aura donné quitus en validant la primauté des normes religieuses particulières, donc communautaristes, sur le Droit qui s’applique sur l’ensemble du territoire. Emmanuel Macron évoque avec une joie toute évangélique « l’intensité » de la pratique religieuse. C’est un élément de langage derrière lequel les extrémistes s’abritent quand on les renvoie à leurs pratiques rétrogrades : il ne s’agirait en fait que d’orthodoxie. Interrogé par Ali Baddou sur son refus de serrer la main des femmes**, le président-fondateur de l’ONG religieuse Baraka City s’était justifié en donnant l’exemple des juifs orthodoxes qui s’en abstenaient tout autant. Il se décrivait lui et sa pratique religieuse comme « orthodoxes ». On rejettera une pratique religieuse radicale, rétrograde, obscurantiste, mais si elle n’est qu’orthodoxe, nous ne nous y opposerons plus, notamment parce qu’une telle pratique se présente comme conforme au dogme, et que la critiquer reviendrait à s’en prendre au dogme. Les extrémistes, dont nous avalisons la stratégie en adoptant leurs éléments de langage, pourront maintenant dire qu’ils ne font que vivre « dans l’intensité » de leur foi. Emmanuel Macron a créé le cadre sémantique, presque jurisprudentiel, permettant toutes les revendications communautaristes. Il a même pris le contre-pied de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne*** qui a expliqué dans un renvoi préjudiciel qu’une entreprise était tout à fait dans son droit en interdisant dans son règlement intérieur le port du foulard dans certains cas, comme celui de la mise en contact avec les clients. Ce fut une grande victoire pour celles et ceux attachés à la laïcité et opposés à la banalisation du voilement comme pratique ordinaire de l’islam. Emmanuel Macron lui, a préféré évoquer ces femmes en foulard empêchées de travailler. Quant à l’UOIF, qu’il a encore prétendu ne pas connaître lors du débat face à Marine Le Pen, lui qui connaît tant de choses, on ne peut s’étonner de son refus de rejeter le soutien que cette organisation islamiste lui apporte, elle ne fait en effet que « vivre dans l’intensité de sa foi ». Cette formule se referme comme un piège et banalise toutes les radicalités.
* Mis en ligne le 1er octobre 2016.
** Ancienne émission dominicale de Canal +, en date du 24 Janvier 2016.
*** http://curia.europa.eu/…/applica…/pdf/2017-03/cp170030fr.pdf
« Aucun des deux candidats ne défend
une vision de la laïcité conforme à celle des
républicains dignes de ce nom »
Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont une vision de la laïcité opposée en apparence. Mais à la vision multiculturaliste et communautariste de Macron répond la vision identitaire de Marine Le Pen : c’est toujours une conception de la Nation atomisée en segments ethniques, loin de celle à laquelle sont attachés les républicains : un corps politique indivisible. Quel que soit le vainqueur, la laïcité sans adjectif est perdante, ceux qui y sont attachés n’avaient d’ailleurs guère de représentant durant cette campagne. C’est une drôle de défaite...
Enseignante et militante au sein du Mouvement républicain et citoyen (MRC),
Fatiha Boudjahlat est avec Célina Pina la cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République.
Elle est auteure de l’essai à paraître (aux éd. du Cerf) :
"Féminisme, tolérance, racisme, culture : Le grand détournement".
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« La science-fiction, viatique pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) », par Jérôme Maucourant
Alors qu’au lendemain du débat qui a opposé les deux finalistes de l’élection présidentielle tout désormais nous donne à croire qu’Emmanuel Macron sera le prochain président de la République, je vous invite vivement à découvrir la contribution qui suit. Son auteur est Jérôme Maucourant, il est chercheur en sciences économiques et enseignant. Ce texte, né d’une invitation que je lui ai soumise il y a une dizaine de jours, est exigeant mais riche et enrichissant. Ce regard porté sur le scrutin, sur les forces en présence, visibles et sous-jacentes, le tout utilement mis en perspective, est âpre et sans concession. À la fin, le message est clair, mais avec une infinité de nuance, parce que rien n’est simple ou évident n’en déplaise à ceux qui ont la leçon de morale - républicaine, forcément - facile : oui, il faut voter pour « Nicole Thibodeaux ». Mais pas un chèque en blanc. « Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. (...) Demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant [cette froide abstraction qu’on a tous pris l’habitude d’appeler] "le système" ». Merci à vous, Jérôme Maucourant, et merci à la fidèle Fatiha Boudjahlat pour sa précieuse intermédiation. Une exclu Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
Illustration : http://www.flickriver.com
« La science-fiction, viatique
pour électeur indécis (France, 7 mai 2017) »*
par Jérôme Maucourant, le 3 mai 2017
Une prophétie américaine
Philip K. Dick fut rendu célèbre, juste avant sa mort, grâce à une remarquable adaptation cinématographique de l’un de ses romans : Blade Runner. Il est également l’auteur de Simulacres (The Simulacra, 1964), autre œuvre de science-fiction d’une redoutable pertinence pour penser notre monde contemporain. Pas simplement parce qu’on y voit le dernier psychanalyste en exercice : notre monde n’est-il pas celui où la quête de soi a cédé le pas à la recherche de simples techniques efficaces d’influence sur soi comme sur autrui ? Dans ce monde sans âme existe un Président : un androïde, en réalité. La first Lady, Nicole Thibodeaux, exerce la réalité du pouvoir et ne connaît pas l’usure du temps car elle est remplacée par des actrices lorsque le vieillissement fait son œuvre. Plus encore, les partis républicain et démocrate ne font plus qu’un, et la puissance des firmes est telle qu’elles en viennent à contrôler la politique et à s’immiscer de façon suffocante dans l’intériorité de chacun. Et l’odeur du nazisme imprègne ce monde de bien des façons…
« Philip K. Dick avait en son temps parfaitement
saisi le système de simulacres propre au capitalisme
post-totalitaire de la consommation de masse »
Plus de cinquante années après son achèvement, ce texte touffu - mais fort riche - se révèle une anticipation de notre brûlante actualité : Dick avait parfaitement saisi le système de simulacres, économiques comme politiques, propre au capitalisme post-totalitaire de la consommation de masse. Les vies politiques, en France ou aux États-Unis, s’inscrivent dans un paradigme dont nous voyons, jour après jour, l’actualisation de toutes les virtualités. La vérité était chose rare dans l’univers de Simulacres : Trump n’a fait que célébrer, de la façon la plus grotesque qui soit, cette vérité de l’absence de vérité et cette autre vérité que tout est permis. Comme Monsieur Jourdain, Trump fait donc du Nietzsche sans le savoir**. Il nous dévoile un monde de faux semblants, et c’est bien pour cela qu’il attise le ressentiment d’un certaine bourgeoisie intellectuelle-libérale, tellement à l’aise dans ce monde, avide du monopole de la critique et, bien sûr, libérée de tout souci de la vérité depuis bien longtemps***…
* Je remercie Nicolas Roche de m’avoir donné l’idée de ce texte qui justifie le bien-fondé de cette pétition « Pas de chèque en blanc pour Emmanuel Macron ».
** « Non, ceux-ci sont loin d’être des esprits libres, car ils croient encore à la vérité... Lorsque les Croisés se heurtèrent en Orient sur cet invincible ordre des Assassins, sur cet ordre des esprits libres par excellence, dont les affiliés de grades inférieurs vivaient dans une obéissance telle que jamais ordre monastique n’en connut de pareille, ils obtinrent ,je ne sais par quelle voie, quelques indications sur le fameux symbole, sur ce principe essentiel dont la connaissance était réservée aux dignitaires supérieurs, seuls dépositaires de cet ultime secret : "Rien n’est vrai, tout est permis"... ». Voir Frédéric Nietzsche, La Généalogie de la Morale, 1887.
*** Son slogan pourrait être celui-ci : tout n’est que relatif. Sauf cet énoncé…
Hermann Goering voyage dans le temps
L’affaire Mehdi Meklat – du nom de celui qui a envoyé des dizaines de milliers de tweets antisémites et homophobes – illustre parfaitement cette tendance d’une certaine bourgeoise à admirer le lumpenprolétariat. Celui-ci ose, en effet, ouvertement, s’asseoir sur toute forme de règles morales. Tout ce que le Haut-Paris compte de ces très intellectuels jouisseurs transgressifs connaissait parfaitement l’identité de l’auteur à la une de ses magazines ; et d’ailleurs, même après que cela fut connu, France-Culture se bornait à dire que tout cela était fort « complexe »*... Comment cette fraction de l’intelligentsia peut-elle décemment en appeler à la lutte contre le fascisme par un vote Macron le 7 mai 2017, alors qu’elle ne cesse de chérir ce qu’elle désigne par « fascisme » par ailleurs ? D’ailleurs, ces intérêts établis de la sphère culturelle ont assurément oublié que c’est probablement la complexité de Jean-Marie Le Pen qui permet de comprendre son négationnisme ! Mais, deux poids, deux mesures : le père Le Pen n’est pas un « indigène de la République » … Que le lecteur n’oublie pas aussi que, dans un admirable rituel d’inversion, c’est une supposée « fachosphère » qui serait coupable d’une cabale visant Meklat, jeune prodige supposé et déjà publié par le Seuil… Qui ne voit que ce reniement de la morale la plus élémentaire, cette négation de la common decency chère à Orwell, peut nourrir un désir réactif d’ordre qui conduit à bien des dérives ?
« Macron personnifie une politique
post-moderne qui fait bon marché
systématiquement de la vérité »
Or, notre très probable président, Emmanuel Macron, incarne-t-il une parole de vérité et de courage qui irait à l’encontre de ces tendances néfastes de notre temps ? Il semble que non et qu’il personnifie au contraire une politique post-moderne qui fait bon marché systématiquement de la vérité. Il ne s’agit plus d’user de la ruse, chose naturelle en politique, mais de dire tout et son contraire. Comme vouloir combattre le multiculturalisme et nier simultanément l’existence d’une culture française. Anti- et pro-communautaristes peuvent ainsi se réjouir. Plus encore, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, Macron se découvre, en premier lieu, curieusement, « patriote », thème jamais abordé jusque là. Comme ce mot est un fétiche de Marine le Pen, il se l’approprie sans vergogne pour mieux la qualifier de « nationaliste ». Mais, comment être patriote et nier la culture d’un peuple ? Expliquez cela aux Algériens et Irlandais : ils ne comprendront pas. Personne, à dire vrai, ayant quelque bonne foi en cette affaire ne peut comprendre les mots vides de Macron.
* Xavier de La Porte, « Mehdi Meklat : Internet est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes », La Vie numérique, le 21.02.2017 : « Oui, peut-être… Il y a sans doute chez Mehdi Meklat une complexité qui nous échappe, et lui échappe aussi. Mais voilà, qui d’autre que lui peut le savoir, à condition que lui-même le sache ? Une seule chose est certaine dans cette histoire : avec sa capacité de mémorisation, avec les possibilités qu’il offre de jouer avec les identités, avec ce qu’il permet de cette parole mi-privée mi-publique, avec le sentiment d’impunité qu’offre cette parole, Internet est un lieu compliqué. Mais c’est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes ». URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/mehdi-meklat-internet-est-un-lieu-encore-plus-complique-pour-les-gens
Ne pas nommer l’ennemi ou la politique de la crainte
Il se découvre aussi, immédiatement après sa révélation patriotique, un grand penchant anti-terroriste. Fort bien. Mais c’est en 2012, avant que tant de grands crimes ne suivent, que Mohamed Merah a assassiné des enfants juifs parce juifs, premier crime de ce genre depuis 1945. Comment peut-on découvrir, ainsi, en une soirée électorale, un tel problème ? N’a-t-il pas déclaré ainsi : « Je ne vais pas inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit »* ? Pour un ancien ministre, candidat depuis quelque temps déjà, la découverte de cette réalité sociale et de l’échec de la politique conduite par le gouvernement auquel il a appartenu est, pour le moins, inquiétante.
Il est encore plus inquiétant de refuser de désigner l’ennemi, ses dispositifs mentaux et matériels, autant de devoirs essentiels du vrai politique. Or, épousant la lâcheté d’un certain libéralisme multiculturel, Macron refuse toute critique sérieuse de l’islamisme (ou islam politique) par peur de critiquer l’islam lui-même ; cette équivalence entre islam et islamisme est d’ailleurs l’inadmissible dogme fondateur de l’idéologie totalitaire des Frères Musulmans. Ne pas combattre ouvertement l’islamisme est une grave faute morale et politique, car l’existence même d’une telle matrice idéologique permet que s’installe chez certains esprits l’idée que le passage à l’acte terroriste est légitime. Alors que l’État social est une réalité en France, que tant de migrants veulent la rejoindre, que nous sommes loin de la situation de l’Irak détruit par les Anglo-Britanniques ou d’Alep anéantie par les Russes, c’est la « société française » que Macron fustige ! L’Express a ainsi rapporté, rappelons-nous**, que, selon le possible président, « la société française doit assumer une "part de responsabilité" dans le "terreau" sur lequel le djihadisme a pu prospérer. Il a notamment évoqué une disparition de l’idéal républicain de mobilité sociale ». Les morts du Bataclan auraient-ils donc quelque part de responsabilité dans cet assassinat de masse qui les a frappés ?
« Qui ne voit les gages de politiquement correct
adressés par Macron aux ténors d’une bourgeoisie
communautaire émergente ? »
Qui ne voit les gages de politiquement correct adressés ici par Macron aux ténors d’une bourgeoisie communautaire émergente***, jalouse de son capital victimaire ? C’est pourquoi il est une d’indulgence étonnante comme en témoigne son attitude**** face aux comportements communautaristes présents dans son mouvement*****. Faut-il rappeler qu’il n’y a pas d’islamisme modéré ? La logique intellectuelle du CCIF – « frériste » - s’inspire de penseurs comme Sayyed Qotb dont on peut dire le dogme en quelques mots avec un célèbre penseur marxiste arabe : « L’islam, selon Qotb, et avec lui tous les fondamentalistes serait différent et spécifique parce qu’il ne sépare pas le domaine religieux (la croyance) de celui du social (l’organisation du pouvoir de la famille, de la vie économique »******. Il n’existe pas quelque chose comme un totalitarisme « modéré » avec des expressions parfois « radicales ». Le totalitarisme religieux (islamisme à la Hassan al-Banna, Sayyed Qotb et Tariq Ramadan) ou racial (nazisme) est un totalitarisme. On ne peut transiger avec lui : on doit le combattre.
Sans doute, moins que les questions politiques, la question économique ne se prête pas à autant de manœuvres visant à divertir l’attention de l’électeur. Longtemps, on a reproché à Macron de ne pas avoir un programme : c’était là une injustice affreuse. Car, notre probable président a toujours fait de la soumission aux normes de l’Union européenne l’essentiel de ses préoccupations. Bien sûr, le mot de soumission - comme acceptation de l’hégémonie du capital allemand et imitation d’un modèle de domination pour les autres classes dominantes de l’Europe - n’est pas mis en avant. Il s’agit plutôt, comme on le fait depuis trente ans, d’affirmer qu’il faut adapter les Français frileux et arriérés aux « grands vents » de la mondialisation et de « construire l’Europe » etc. Comme si les inégalités n’avaient pas explosé, comme si Trump et Poutine n’étaient pas aux commandes …
* Sur RTL, rapporté par France Télévisions, le 21/04/2017.
** Le 23 novembre 2015, selon L’Express, publié le 23/11/2015.
*** Dont une expression associative est le Collectif contre l'Islamophobie en France (CCIF).
**** A propos de la récente affaire Saou : « C’est un type bien. C’est un type très bien, Mohamed. Et c’est pour ça que je ne l’ai pas viré », dit-il selon l’échange diffusé sur le Facebook Live de la station de radio. Tout juste le candidat admet-il « un ou deux trucs un peu plus radicaux. C’est ça qui est compliqué. » Voir LeFigaro.fr, « Macron qualifie de "type bien" son ex-référent accusé d’accointances avec le CCIF », le 15/04/2017.
***** Ces dires rapportés par le Figaro sont fiables : il n’y a pas d’exagération relativement à la vidéo disponible. Quoi qu’on pense du Figaro par ailleurs... L’extrême-droite islamiste, incarnée par le CCIF et ses satellites, bénéficie encore ici de la « complexité » de la situation. Complexité alléguée dont ne bénéficie pas l’extrême droite traditionnelle ni ceux qui se refusent à signer un chèque en blanc à Macron pour le second tour ne la présidentielle : ceux-là sont considérés comme moralement condamnables, comme Jean-Luc Mélenchon, et non pas comme politiquement discutables. Cette moralisation du débat public et ce « deux poids, deux mesures » systématique a quelque chose de proprement intolérable.
****** Samir Amin, La déconnexion – comment sortir du système mondial, Paris, La découverte, 1986.
L’arrivée de Thorstein Veblen
« La fonction de protection, propre
millénaire du pouvoir, doit-elle être
effacée de la discussion politique ? »
L’autre problème – étroitement lié aux précédents -, c’est-à-dire la « subordination de l’industrie à la finance », pour reprendre un mot du grand économiste et sociologue américain, Thorstein Veblen*, n’est jamais posé par Macron. Ses actes, lorsqu’il était ministre, laissent présager plutôt un dédain de l’économie matérielle**, alors qu’elle doit être la fin de la politique économique, la finance n’étant qu’un moyen. Tout se passe comme si il suffisait de faire en sorte que les marchés soient les plus souples possibles, qu’aucune entrave ne leur soit opposée pour que chacun puisse goûter des dividendes de la liberté capitaliste. Pourtant, la crise de 2008 a eu lieu ! Doit-on également occulter les dégâts causés par une concurrence inique portant sur les règles (environnementales, fiscales, sociales), et non pas sur les seuls biens et services ? Comme si la fonction de protection*** – propre millénaire du pouvoir – devait être effacée de la discussion politique. Il est certes évident que les intérêts établis (de plus en plus héréditaires) de notre société ne veulent pas d’obstacle à leur démesure…
* Sur cet auteur : http://thorstein.veblen.free.fr.
** « Tant pis si ce grand ministre de l’Économie a vendu deux aéroports, notamment celui de Toulouse-Blagnac, stratégique puisque Airbus y a une partie de ses usines. Et tant pis s’il l’a bradé pour une rentrée d’argent rapide et facile, à un riche Chinois qui depuis est en fuite parce qu’il est poursuivi par la justice de son pays. Comment imaginer que pour faire rentrer de l’argent, il ne vendra pas les bijoux de famille, puisqu’il n’a qu’un attachement vague à la France, lui qui incarne la mondialisation et ce qu’elle porte de dilution des identités nationales. Non, il incarne la réussite. » Voir Fatiha Boudjahlat, « Macron, le rêve américain et la simulation du partage », le 24 avril 2017.
*** Voir du regretté Philippe Cohen, Protéger ou disparaître. Les élites face à la montée des insécurités, Gallimard, 1999.
Peut-on raisonnablement voter pour Macron ?
Dans de telles conditions, voter en faveur de Macron serait pure déraison, si n’existait, en face de lui, une candidate effectivement redoutable, Marine Le Pen. Non que le Front national soit fasciste* : c’est plus un avatar de cet inquiétant mouvement de fond des sociétés occidentales qui a permis à des Trump, Orban etc. d’accéder au pouvoir. Parler de façon inconsidérée du fascisme, comme certains parlent de génocide à tout propos (souvent les mêmes), ne fait que démobiliser les consciences et banalise des événements comme la Shoah. En vidant les mots de leur sens, on produit le contraire de ce qui est attendu. Le problème est plutôt que Marine Le Pen ne soit pas républicaine au sens de la tradition française du républicanisme. Celle-ci se fonde sur la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, ce qui interdit de mépriser autant l’un que l’autre. Et c’est pourquoi les transferts de souveraineté faisant éclater l’identité toute française entre citoyenneté et nationalité** vont contre l’esprit de notre république, c’est pourquoi la doctrine de la « préférence nationale » mutile son âme. Il n’est point besoin d’agiter l’épouvantail du fascisme.
Il ne s’agit nullement donc de nier la légitimité de l’organisation politique d’un peuple singulier sous la forme de la nation et le droit de ce peuple à organiser la venue d’autres hommes sur son territoire. Mais, dès que des hommes vivent ou travaillent dans le territoire de la République, ils bénéficient d’une égale dignité (qui n’existe pas nécessairement dans leur pays d’origine, d’où leur arrivée). C’est notamment vrai dans le cadre du travail : comment penser de façon républicaine que les droits sociaux attachés aux travailleurs puissent varier selon l’origine de ceux-ci, sinon à nier leur égale dignité ? On mesure l’extraordinaire responsabilité de ceux qui, détruisant le cadre de la souveraineté nationale, favorisent le recours à un parti qui prétend la défendre… On objectera que bien des « républiques » (en Turquie, en Iran etc.) font des discriminations selon l’origine et qu’un même mouvement s’enclenche en Europe. Disons que, d’un point de vue français, ce sont des États, et non des républiques, et que dans certains cas, ces États ont un régime économique et un système politique qui les rapprochent, effectivement, du vieux fascisme européen. Raison de plus pour les combattre ouvertement, notamment sous le drapeau de la laïcité, ce que ne fait pas Macron.
« Ce n’est pas tant le racisme que le sentiment
d’une confiscation de la démocratie
qui alimente le vote FN »
Comment alors s’assurer que le Pen ne soit pas élue ? Il suffit d’entendre la rue, qui ne veut redonner un blanc-seing à un président élu comme le fut Jacques Chirac en 2002, et donc de s’engager à former un gouvernement d’union nationale qui autorise, sur certains points, la consultation du peuple par voie référendaire. Notamment pour faire évoluer le système de représentation afin que ne se reproduise plus jamais une situation où, avec 17 % des inscrits au premier tour, l’on puisse aisément gouverner la Nation toute entière en empêchant tout débat de fond. Le fait de refuser, par avance, toute discussion sur ce point au nom d’un supposé danger fasciste, c’est exciter les citoyens à manifester leur colère en votant Le Pen en raison de ce sentiment de dépossession monstrueux qui ne peut que justement les saisir. Ce n’est donc pas par racisme que, fondamentalement, tant de citoyens se sentent autorisés à un tel vote mais parce que la démocratie leur est confisquée.
Macron peut accéder au pouvoir, les cosouverains doivent même lui donner ce mandat ; mais, il ne doit pas abuser de ce pouvoir. Malheureusement, il ne donne aucun signe de renoncer par avance à cet abus que lui permet cette situation extraordinaire. Tous ceux qui estiment normal de ne pas exiger de Macron quelque engagement de la nature de ceux que nous évoquons, qui nous pressent de se fier à sa seule personne comme le réclame le vénérable maire de Lyon, ne font que favoriser un vote de protestation. Jamais le libéralisme n’a justifié autant de distance par rapport à l’exigence démocratique : persévérer ainsi, c’est construire les fondements d’une apocalypse en 2022.
* On ne peut à tort et à travers qualifier de néofascistes ces nouvelles formes politiques. Le fascisme doit être pensé avec des matériaux historiques rigoureux, qu’on peut trouver par exemple dans les Essais de Karl Polanyi (Seuil, 2008 ; inspiré par ces thèses, voir Jérôme Maucourant, « Le nazisme comme fascisme radical », Augustin Giovannoni, Jacques Guilhaumou, Histoire et subjectivation, Kimé, pp.197-218, 2008). Un des facteurs essentiels du fascisme est la non-reconnaissance des élections démocratiques (qu’elles soient politiques ou syndicales) et la dictature économique des propriétaires des moyens de productions. C’est pourquoi le nazisme a impliqué une privatisation de la politique économique du Troisième Reich (comme l’a suggéré Nobert Frei dans L’État hitlérien et la société allemande - 1933-1945, Le Seuil, 1994). La planification nazie était l’expression même d’un pouvoir de classe. L’entreprise, à l’image de la “communauté nationale”, est dirigée par un “Führer” qui n’est rien d’autre que l’ancien patron. Or, le capitalisme ne veut plus, pour l’essentiel, perpétuer sa domination par ce genre de procédés qui impliquait les camps et la terreur au quotidien. L’actuelle mondialisation est bien plus efficace, à cet égard, outre qu’elle est porteuse de profits bien plus amples et aisés à obtenir que par un recentrage de l’économie sur un cadre national ou même continental. Nul hasard donc à ce que la colère contre le système socio-économique se nourrisse du mépris du verdict des urnes… Orban et (Marine) Le Pen ne n’inscrivent pas dans le sillage de Hitler, dont Polanyi nous rapporte ces propos : « la démocratie en politique et le communisme en économie sont fondés sur des principes analogues ». Beaux paradoxes de notre temps ! Enfin, le fascisme comme le nazisme, qui était un fascisme radical, se proposait de créer un homme nouveau. Karl Polanyi précisait ce point en commentant la signification d’une institution fasciste : les corporations. Elles brouillaient la distinction entre l’économique et la politique au seul profit de l’économie de la façon suivante : « [Les corporations] se transforment en dépositaires de presque tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires qui relevaient auparavant de l’État politique. L’organisation effective de la vie sociale repose sur un fondement professionnel. La représentation est accordée à la fonction économique : elle devient alors technique et impersonnelle. Ni les idées ni les valeurs ni le nombre des êtres humains concernés ne trouvent d’expression dans ce cadre. Un tel ordre ne peut exister sur la base de la conscience humaine telle que nous la connaissons. La période de transition vers un autre type de conscience est nécessairement longue. Hitler parle en termes de générations pour donner une idée de sa durée. » (Essais de Karl Polanyi, op. cit., p. 394).
** Voir Claude Nicolet, Histoire, Nation, République, Paris, Odile Jacob, 2000.
Déjouer le jeu des simulacres politiques en dépit d’un nécessaire vote Macron
L’antisémitisme, qui s’est développé sur fond d’une mondialisation libérale, s’est infiltré comme jamais à gauche, comme le montre l’affaire Meklat. Le communautarisme – lié fondamentalement à cet antisémitisme - ne semble pas constituer un problème pour Macron. Comme l’illustre la belle métaphore des voyages dans le temps d’Hermann Goering à la rencontre de Nicole Thibodeaux, la question nazie, cette maladie de la modernité, demeure irrésolue. Dick avait aussi bien anticipé cette constitution d’un parti unique de la pensée unique : Macron se veut ainsi le chef du parti du « progrès », d’une gauche et d’une droite réunifiées sous sa férule. Le parti du « progrès » - dans sa terminologie - s’oppose aux conservateurs de tous ordres : peu lui importe que, parmi ses conservateurs, nombreux sont ceux qui veulent conserver la nature, une certaine idée de la société, de l’école, et que, pour eux, à la différence de Macron, le but est tout et le mouvement n’est rien.
« Oui, il faut voter pour Nicole Thibodeaux...
mais pas sans garantie ! »
Faut-il voter pour Nicole Thibodeaux, allégorie d’un pouvoir politique se vidant de sa substance aux profits de puissants intérêts privés ? Oui. Mais, de grâce, cessons de faire la leçon de morale à ceux qui craignent légitimement la possibilité d’un terrible abus de pouvoir. Exigeons du Prince en cours d’élection qu’il donne un signal clair qu’il n’abusera pas du pouvoir. Bref, demandons-lui qu’il existe vraiment et qu’il ne soit pas cet androïde incarnant le « système » ; selon ce terme si curieusement « populiste »* qu’il emploie, comme Marine Le Pen… En général, ceux qui ne posent pas cette question essentielle favorisent le contraire de ce qu’ils souhaitent. Mais certains, parmi eux, nous le savons, se réjouissent, en réalité, de cette aubaine qui permettra à l’Union européenne de continuer à défaire la République.
Il nous faut voter pour Nicole Thibodeaux : Dick, au secours !
* Selon l’AFP, 16/11/2016, « Emmanuel Macron a levé mercredi à Bobigny le faux suspense en annonçant sa candidature "irrévocable" à l’élection présidentielle, en opposition au "système", compliquant encore les projets de son parrain en politique, François Hollande ». URL : http://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-candidat-a-l-election-presidentielle-16-11-2016-2083431_20.php
Jérôme Maucourant est chercheur associé
en sciences économiques (délégation CNRS au lab. HiSoMA).
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François Durpaire : « Si Fillon n'élargit pas son électorat, Marine Le Pen a ses chances... »
Un an après la sortie de La Présidente, BD d’anticipation politique qui imaginait les premiers pas d’une Marine Le Pen propulsée à la présidence de la République par les électeurs de 2017, le tome 2 de cette aventure (éd. Les Arènes BD - Demopolis), toujours orchestré par le duo François Durpaire (textes) et Farid Boudjellal (dessins), s’attache à mettre en scène la présidente sortante à l’aube de la campagne pour sa réélection. Sous-titre de ce deuxième opus (en attendant le 3, attendu pour avril) : « Totalitaire ». Les passionnés de politique, comme ceux qui s’y intéressent d’un peu plus loin, suivront avec curiosité, avec angoisse parfois, ce récit joliment illustré.
Le parti pris est clair et les postulats retenus peuvent être contestés, mais l’ouvrage est à lire, en ce qu’il nous interroge, au-delà du simple cas du FN, sur pas mal de questions qui ne manqueront pas de se poser à l’avenir (la postérité de lois restrictives de libertés, notre dépendance aux nouvelles technologies et aux grandes compagnies qui les portent, les utilisations qui pourraient être faites des unes et des autres par un régime autoritaire, etc.) À découvrir, donc. Je remercie François Durpaire, qui a accepté de répondre à mes questions. Avec, comme dans le livre, quelques pointes d’optimisme. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
« Si François Fillon ne parvient pas
à élargir son électorat aux classes populaires,
Marine Le Pen a ses chances pour 2017... »
Interview de François Durpaire
Q. : 03.12 ; R. : 06.12
La Présidente, tome 2 : « Totalitaire », aux éd. Les Arènes BD - Demopolis.
Bonjour François Durpaire. Le deuxième tome de votre BD La Présidente, sous-titré « Totalitaire » (éditions Les Arènes), met en scène Marine Le Pen en situation de réélection et se veut une fiction citoyenne, engagée, pour alerter les consciences. Quels ont été vos premiers retours, quel impact en espérez-vous, et ne craignez-vous pas que l’initiative puisse desservir votre cause en apportant du grain à moudre à ceux qui veulent voir un « système politico-médiatico-culturel » vent debout contre leur championne et leurs idées (y compris ceux qui hésitent) ?
Oui, l’objectif de ce que nous appelons une « science-fiction civique » est de prendre de la distance, d’échapper à l’imposition du flux d’informations immédiates qui empêche le recul de la réflexion. Se poser les bonnes questions - notamment sur la montée du nationalisme et ses raisons, sur le basculement possible vers une société de la surveillance - nous paraît nécessaire. Nous ne nous sentons pas plus appartenir au « système » que Marine Le Pen. Nous pouvons comparer avec elle notre temps de parole à la télévision, notre train de vie, notre accès aux lieux de pouvoir, et nous jugerons qui de elle ou de nous fait partie des élites et de ce qu’elle appelle le « système ».
Jusqu’à quel point croyez-vous ces scénarios que vous avez échafaudés plausibles ? Les derniers événements en date (poussée plus forte que prévu de Trump dans les régions périphériques, défaite de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé aux primaires de la droite au profit de François Fillon, renonciation de François Hollande, scrutins en Autriche et en Italie...) vous paraissent-ils de nature à les rendre moins improbables encore ? À l’instant de votre réponse, à quel pourcentage estimeriez-vous la probabilité d’une élection de Marine Le Pen à la présidence de la République au printemps prochain ?
Je pense que la question actuelle est celle de la capacité pour le programme de François Fillon de susciter un rassemblement, notamment entre les deux tours. Comment un bloc républicain populaire pourrait se constituer derrière un programme aussi radicalement libéral ? Le pourcentage de chances pour Marine Le Pen d’arriver à l’Elysée en mai ne dépend pas de notre boule de cristal, mais de la capacité de François Fillon à élargir son électorat, notamment aux classes populaires.
Dans votre histoire, Marine Le Pen, qui n’est pas dans son camp parmi les plus radicaux, essaie de contenir l’influence de son aile droite (qui d’après les mots que vous lui prêtez la précipiterait, avec sa politique, « dans le mur »), avant d’être dépassée par une ambitieuse et revancharde Marion Maréchal-Le Pen après sa réélection. Est-ce que pour vous, clairement, il y a deux FN, ou bien tout n’est-il pas finalement affaire de stratégies, de degré plutôt que de nature ?
Il y a une différence de stratégie profonde, et une différence idéologique sur le plan économique. Étatisme du côté de Philippot, libéralisme du côté de Marion Maréchal. Mais l’on se retrouve sur la question migratoire et sur la question identitaire. Le refus d’une société française qui s’éloignerait de ses fondamentaux chrétiens blancs.
Votre récit nous présente un régime FN qui n’a finalement qu’à appliquer, pour faire avancer ses desseins, les lois votées par des majorités antérieures à lui, modérées, et notamment l’actuelle de gauche. Est-ce à dire que dans la lutte contre le terrorisme, on met un peu trop rapidement entre parenthèses des libertés au profit de réflexes sécuritaires dans la France de 2016 ? On est sur une pente dont l’inclinaison vous inquiète ?
Oui, car elle est presque indépendante de l’arrivée ou non de Marine Le Pen au pouvoir. C’est l’objet de notre BD : mettre dans les mains d’un chef d’État les lois sécuritaires actuelles et voir ce que cela donne concrètement en termes de remise en cause de nos libertés quotidiennes.
À la fin de la BD, la présidente Marion Maréchal-Le Pen prononce ces mots : « Il ne suffit pas de réprimer l’esprit critique, il faut éduquer le citoyen nouveau ». Un aspect de cette tentation du totalitarisme, plus puissant ici que jamais puisqu’il utilise à plein les possibilités énormes des nouvelles technologies. Est-ce que vous croyez que tout ou partie du FN a réellement cette tentation totalitaire ? Et ne diriez-vous pas qu’on travaille tous, accro que nous sommes à nos smartphones et autres appareils, au stockage et traçage accrus de nos moindres données, faits et gestes, à la réalisation finalement d’une société orwellienne à peu près consentie ?
Vous avez tout à fait raison. La question est de savoir ce que cela donnerait si un jour un régime politique avait la tentation de se servir des moyens technologiques à sa disposition. Et que se passerait-il si un jour les entreprises du numérique et les pouvoirs politiques s’entendaient sur le dos des citoyens ? C’est le totalitarisme 2.0 que nous décrivons pour essayer de conjurer cette évolution. Soyons des citoyens vigilants !
Un point concernant, mais pas seulement, la politique américaine, que vous maîtrisez fort bien : est-ce que la victoire de Donald Trump en novembre dernier, dans des États clés notamment, ça n’est pas aussi le signe d’une exaspération de larges franges de la population par rapport au discours des démocrates - remarque transposable à de nombreux partis progressistes d’Europe - qui, de moins en moins, donnent l’impression de parler au « peuple » dans son ensemble, mais de plus en plus à telle ou telle catégorie d’une population fragmentée (et plus du tout à des « classes sociales ») ?
Oui, sauf que n’oubliez pas que le système américain, avec un vote par État, doit également être prise en compte dans votre analyse. Clinton a bien eu 2 millions de voix de plus que Trump, alors qu’est-ce que le peuple, si ce n’est la majorité des citoyens ? Et la défaite du candidat d’extrême droite en Autriche montre que le peuple n’est pas nécessairement acquis aux idées des nationalistes populistes. L’histoire n’est pas faite, même s’il est temps de se réveiller.
Dernière question, mention comme un clin d’œil mérité aux beaux dessins en noir et blanc de votre complice Farid Boudjellal. Si vous deviez sélectionner des couleurs pour peindre des visions d’avenir de la France, de l’Europe et des États-Unis telles que vous les anticipez pour les cinq prochaines années, quelles seraient-elles ?
On passerait peut-être du noir et blanc à la couleur à la fin du tome 3 de la BD, qui sortira en avril. L’avenir en rose ou en bleu azur, ce serait, pour moi, celle d’une démocratie éducative. Une démocratie toute entière tournée vers l’éducation des citoyens. De l’école du désir d’apprendre à la formation tout au long de la vie. Cette démocratie éducative est seule à même de répondre au défi de notre temps : comment accompagner chacun dans cette transition de civilisation imprimée par la globalisation ?
Crédits photo : Seb Jawo.
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Déjà demain : « Lignes de Front, 2017 »
Après la mise en ligne, hier soir, de quatre compositions élaborées autour d’hypothèses personnelles d’entre-deux-tours de la présidentielle 2017, voici, comme prévu et comme promis, le cinquième et ultime texte de cette série inédite. La personne qui l’a écrit (je l’en remercie encore ici) a tenu à rester anonyme : j’entends respecter ce choix à la lettre. Le riche récit qu’elle nous livre - le texte date du 30 octobre et elle l’a intitulé « Lignes de Front » - ne devrait pas manquer de faire réagir... Bonne lecture ! Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Déjà demain: « 2017, l’entre-deux-tours »
« Lignes de Front »
KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Lundi 1er mai 2017
Jamais le Front national n’avait connu pareil rassemblement. Près de deux cent mille sympathisants avaient répondu à l’appel de Marine Le Pen, qui s’apprêtait à donner un immense meeting sur le Champ de Mars en ce jour de Fêtes du Travail et de Jeanne d’Arc. Le soleil allait atteindre son zénith tandis qu’une marée de drapeaux bleu-blanc-rouge achevait de se déverser autour de la tour Eiffel. Dans quelques minutes, la candidate sélectionnée au second tour de l’élection présidentielle commencerait son discours devant une foute impatiente.
L’atmosphère printanière, où se faisaient sentir quelques effluves de muguet çà et là, était électrique. On sentait bien que quelque chose de nouveau, d’inédit par son ampleur, allait arriver à la France. Une semaine auparavant, Marine Le Pen, « candidate du peuple » selon le dire de ses militants, était arrivée en tête du classement avec 29,3% des voix recueillies, soit très exactement l’approbation de 9 896 632 Français et Françaises. Presque dix millions de personnes !
Certes, Le Pen au second tour était une histoire dont tous les plus de 20 ans pouvaient se souvenir. Mais ce qui fut présenté hier comme un regrettable accident, un monstrueux malentendu que les errements de la gauche, ajoutés à une participation très faible, avaient rendu possible, apparaissait à présent comme la conséquence inéluctable, prévue et annoncée depuis des mois, voire des années, de tous les renoncements de ces gouvernements fantoches qui se sont succédé au cours des dernières décennies. La percée de Jean-Marie Le Pen en 2002 avait été fortuite, celle de Marine Le Pen, quinze ans plus tard, était logique, nécessaire et attendue.
Au pied de l’estrade, assis dans la première rangée à côté des autres hauts cadres du parti, Jean-François Jalkh, vice-président chargé des affaires juridiques et des élections, mesurait le chemin parcouru depuis. Il avait 17 ans lorsqu’il adhéra au Front national en 1974, deux ans seulement après la création de celui-ci. Lorsque Mitterrand autorisa, dans le but ultime de déstabiliser la droite, la proportionnelle à l’élection législative de 1986, il fut le benjamin des trente-cinq députés frontistes qui entrèrent pour la première fois à l’Assemblée nationale grâce à la roublardise de la gauche. Ces hommes (et cette femme : Yann Piat, la députée assassinée ; – « que Dieu ait son âme » – pensa Jalkh) étaient tous partis, avaient été exclus ou étaient décédés. Tous, sauf lui. Même Bruno Gollnisch, qui n’a pas supporté l’exclusion de son vieil ami Jean-Marie Le Pen au printemps 2015, s’était mis en retrait de la vie politique. Des « Trente-cinq » de 1986, du Front national d’antan, il ne restait que lui, Jean-François Jalhk.
Et cela ne le chagrinait pas outre mesure. Il ne regrettait point l’effacement de ce passé tumultueux. Le parti devait achever sa mue commencée en 2011, lorsque le père céda son pouvoir à la fille, avec le consentement d’une large partie des adhérents. « Le Pen est mort, vive Le Pen ! » s’étaient moqués les journalistes. Mais l’héritière jeta son nom aux oubliettes de l’Histoire pour forger une renommée nouvelle avec son seul prénom, « Marine ». Restait à faire oublier celui du Front national. Jalkh ne croyait pas en la victoire finale, pas tant que le parti garderait le nom d’une formation qui fut associée durant un demi-siècle à l’extrême-droite. Les Français sont des traumatisés que leur ombre effraie…
« MA-RINE ! MA-RINE ! MA-RINE !!! »
Les ovations de la foule tirèrent le vice-président de sa rêverie. Marine Le Pen venait d’apparaître sur scène et saluait son public, les bras largement ouverts, comme si elle cherchait par ce geste à étreindre la France entière. Elle portait un chemisier bleu-marine, un pantalon blanc et des talons rouges. Remarquablement amincie, rayonnante et victorieuse, elle paraissait presque belle. Alors que les dernières notes de l’« Odyssée Bleu Marine » s’achevait, elle gagna place devant le pupitre et commença – le silence se fit aussitôt – de sa voix rauque et puissante.
Dix millions ! Ils avaient été dix millions à aspirer lui donner les rennes du pays ! Dix millions à crier leur soif de liberté dans les urnes ! Grave, la présidente du Front national déclara solennellement que le peuple français était face à un choix historique. Pour la première fois ou presque, une véritable alternative s’ouvrait à lui. D’un côté le parti de l’étranger, de l’immobilisme, de la haute finance mondialisée, incarné par le vieillard Juppé, débris d’un monde archaïque et corrompu. De l’autre, elle, Marine Le Pen, la candidate de la France, qui exercerait son pouvoir par et pour le peuple, seul souverain légitime devant lequel il convient de se plier. Finie la fausse alternative gauche-droite ! En ce jour, c’étaient les partisans de la France contre ceux qui l’ont reniée.
À vrai dire, digressa-t-elle, cette alternative s’était certes déjà posée au peuple quinze ans auparavant (Florian Philippot manqua de s’étrangler à l’entente de cet hommage inattendu à Jean-Marie Le Pen) mais, il fallait le reconnaître, à l’aube de ce siècle, le mouvement national n’était pas suffisamment mature. Depuis, il a grandi.
« Cette fois-ci, nous sommes prêts », assura Marine Le Pen.
Derrière l’estrade, une vingtaine de jeunes attendaient debout la fin de discours avant de monter sur scène et chanter l’hymne national aux côtés de leur présidente. Ils portaient des T-shirt bleu marine, sur lesquels était inscrit, en grosses lettres blanches, le slogan de la campagne présidentielle : « AU NOM DU PEUPLE ». Chacun avait, à la main, un drapeau, un drapeau français, bleu-blanc-rouge, et nulle part on ne pouvait voir de drapeau frontiste. Par ailleurs, la flamme bicolore et les deux lettres « F.N. », avaient été supprimées de toutes les affiches, de tous les tracts, banderoles, et pupitres. Le nom du Front national comme celui de Le Pen avaient disparu de la campagne de communication pour ne laisser place qu’à un objectif : « #Marine2017 ». « C’est fade », regrettaient certains. « Le FN, ce sera bientôt de l’histoire ancienne », répliquaient d’autres.
Arthur, 19 ans, patientait parmi ce petit groupe de militants du FNJ. Il terminait sa première année de droit à Assas. Il était monté au Front l’an dernier, pour ne plus le quitter par la suite, si bien qu’il avait validé ses partiels de justesse. Il éprouvait une naïve excitation à l’idée de monter sur scène rejoindre celle en qui il plaçait des espoirs insensés. Pour la première fois, la semaine dernière, il avait accompli fièrement son devoir de citoyen. Dans l’isoloir, il avait embrassé le bulletin de Marine avant de le glisser dans une enveloppe bleue, et cette dernière, dans l’urne. Dans la candeur de sa jeunesse, il imaginait lui et les siens comme les résistants des temps modernes bataillant contre les armées coalisées de l’Anti-France : bobos moralisateurs, politiciens cyniques, banquiers apatrides, immigrés voleurs, islamistes assassins. « Si Marine ne gagne pas cette fois-ci, c’est foutu », se disait-il. Il pensait à ces hordes de clandestins qui se déversaient inlassablement sur les rivages de l’Europe du sud, exactement comme l’avait décrit Jean Raspail dans le prophétique Camp des Saints. La pensée de la submersion migratoire le terrifiait, l’empêchait même parfois de dormir, comme le montant de la dette qu’il faudra rembourser, ou encore l’épuisement prochain des ressources planétaires. Il avait le sentiment de vivre dans un monde de cinglés.
« Nous ne voulons pas de ce marché mondialisé devenu complètement fou ! » répondait la voix de Marine, en exact écho à ses pensées.
« Ah, pesta-t-il en lui-même, qu’ils ont eu la belle vie, les enfants chanceux du direct après-guerre ! Pas de chômage, pas de crise, pas d’islamisme… Et ils ont tout cassé. Et c’est l’un d’entre eux, l’affreux Juppé, qui devra nous gouverner, alors qu’il est de ceux qui nous léguèrent un pays en ruines ? Mais jamais de la vie ! ».
Lui dont les parents, bourgeois, votaient à droite, lui qui jetait des regards dédaigneux aux crasseux anarchistes qui, pour un oui ou un non du gouvernement, avaient régulièrement bloqué à coup de poubelles renversées les portes de son collège, puis de son lycée toute sa scolarité durant, lui le conformiste, le Front national avait finalement fait de lui un révolté.
Vingt minutes plus tard, Gaëtan Dussaussaye, le souriant directeur du FNJ, fit signe au petit groupe que ce dernier devait s’avancer devant les escaliers métalliques. La candidate à la présidentielle achevait son long discours ; elle cria enfin de toute la force de sa voix éraillée :
« Vive la République ! »
« Vive le Peuple ! »
« Et vive la France ! »
Tonnerre d’applaudissements, explosion des « Marine présidente ! » sous le bel éclat du soleil de mai.
Les jeunes grimpèrent sur l’estrade et y agitèrent les drapeaux. Comme à l’accoutumée, les filles passèrent devant et entourèrent leur présidente ; les garçons devaient rester un peu en retrait. Le spectacle de la gigantesque marée bleue, blanche et rouge qui s’offrait sous les yeux d’Arthur était proprement stupéfiant. En bas, au niveau de la première rangée de chaises pliables, les grands cadres s’étaient levés et applaudissaient également. Arthur croisa le regard de la belle Marion Maréchal-Le Pen et il en fut tout ému. Enfin Marine Le Pen s’approcha de nouveau du micro et commença sur une note sourde :
« Allons enfants de la patrie… »
La multitude reprit en cœur La Marseillaise, et Arthur eut le sentiment d’une immense communion nationale. En cet instant précis, tous ces gens devant lui étaient ses frères et ses sœurs, et son cœur fut gros d’espoir et d’émotion.
« AUX ARMES CITOYENS ! »
Droit comme un piquet, presque au garde-à-vous, il chantait.
« FORMEZ VOS BATAILLONS ! »
La France, se dit-il, a dû affronter bien des épreuves au cours des siècles. Celle-ci n’en est qu’une nouvelle.
« MARCHONS, MARCHONS ! »
La providence a envoyé Jeanne d’Arc et le général de Gaulle au moment où le parti de l’étranger semblait l’avoir définitivement emporté, et menaçait de nous anéantir.
« QU’UN SANG IMPUR… »
Il tourna la tête à droite, vers la Présidente. Jeanne d’Arc avait vieilli, mais elle était revenue.
« …ABREUVE NOS SILLONS !!! »
Levée de drapeaux et ovations. Marine Le Pen fit un ultime salut à la foule et disparut. Le public continuait d’applaudir à tout rompre.
Avec une naïveté toute juvénile, Arthur pensa alors : « Avec tant de volontés, la victoire sera forcément au rendez-vous ».
* * * * *
Mardi 2 mai 2017
La télévision, la radio et les réseaux sociaux fourmillaient de mille rumeurs affolées. C’était la mélodie rituelle d’un Occident halluciné persuadé qu’il courait à sa fin.
Hillary Clinton avait beau l’avoir emporté – de peu – contre Donald Trump à l’automne dernier, la digue du populisme menaçait toujours de rompre de l’autre côté de l’Atlantique. Déjà l’inattendu « Brexit », puis l’avènement final de Norbert Hofer lors du second scrutin des élections présidentielles autrichiennes avaient-ils entamé la tour de Babel strasbourgeoise de brèches profondes. Un grondement de colère s’élevait de toute l’Europe et les institutions de Bruxelles assistaient impuissantes à l’expression des contestations populaires : référendums anti-migrants, manifestations contre l’austérité, montée en puissance des partis eurosceptiques. Celui de Marine Le Pen triomphait en tête du premier tour des élections présidentielles françaises, si bien que l’Union européenne n’avait pas fini de trembler.
Journalistes, politiques de droite et de gauche, hommes d’affaires, représentants d’associations diverses et innombrables, stars du show-business, tous se relayaient à la télé et à la radio, dans des marches et des concerts géants pour prêcher la parole du camp « républicain ». D’un air plus grave que jamais, Valls discourait sur une République en danger que seule l’union des démocrates pouvait sauver et le Quotidien de Yann Barthès enchainait chaque soir les reportages sur les agissements des néo-nazis et des catholiques intégristes dans le pays. Le sommet du consensus politico-médiatique fut atteint lorsque Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, appela ses troupes à voter pour le très libéral Juppé, l’ancien Premier ministre qui, vingt ans auparavant, avait tenté de saboter la Sécurité sociale et les retraites des travailleurs…
Toute cette agitation eût pu évoquer l’esprit du 21 avril 2002, si ce n’est que la mobilisation populaire ne fut pas de la même ampleur. Les activistes de SOS-Racisme constatèrent bien que leur rassemblement clairsemé de la place de la République fit pâle figure au regard des immenses cohortes que les évènements de 2002 avaient levées contre l’extrême-droite. Les gens se lassaient de ces scènes de déjà-vu, ou alors ils avaient suffisamment soupé de leçons de morale. La colossale Marianne de bronze, sur son socle tagué d’innombrables « JE SUIS CHARLIE », avait regardé avec hauteur le navrant spectacle de ces moutons venant bêler dans ses jupes leur désarrois à la moindre fois que leurs naïfs idéaux se voyaient contrariés par les vicissitudes de la réalité. Deux ans après l’assassinat de Charb et des siens, la France n’était définitivement plus Charlie.
Sur les hauteurs de Saint-Cloud, reclus dans un manoir d’époque Napoléon III, un vieil homme borgne contemplait le spectacle depuis son poste de télévision. Il se tenait affalé sur un fauteuil Empire, dans un salon lambrissé quelque peu poussiéreux. De splendides réceptions avaient dû se tenir en ces lieux ternis, car tout y évoquait une gloire passée que les années et l’abandon avaient ravie. Par les hautes fenêtres s’étendait une vue imprenable : le majestueux parc qui dominait la tour Eiffel, puis, au-delà, l’ensemble de la capitale.
« Le débat va commencer, Président », dit Gérald, le majordome.
Il n’y avait plus que ses amis qui continuaient d’appeler ainsi le vieil homme, pour lui faire plaisir, mais le cœur n’y était plus. Après des mois et des mois d’homériques combats devant les tribunaux, il avait perdu le droit de se réclamer du titre de Président d’honneur du Front National. Jean-Marie Le Pen soupira.
« Voyons comment la petite va s’en sortir. »
Gérald augmenta le volume de la télé. On était le soir du traditionnel débat de l’entre-deux tours ; David Pujadas et Anne-Claire Coudray recevaient Marine Le Pen et Alain Juppé sur leur vaste plateau lumineux. Marine portait une éclatante veste rouge sang et à vrai dire, elle crevait déjà l’écran. Les deux candidats sélectionnés pour le second tour saluèrent les journalistes, puis se serrèrent poliment la main et prirent place.
Le tirage au sort octroya la première prise de parole à Juppé, qui expliqua pourquoi il avait accepté de débattre contre Le Pen, contrairement à son défunt prédécesseur, Jacques Chirac.
« Ah ce vieux bougre de Chirac, maugréa le vieillard, il aura crevé avant moi ! Quel escroc ! … Mais quel talent ! … Ha ha, le coquin…
« Nous ne devons plus fuir la confrontation, coupa la voix de Juppé depuis le poste de télévision. Il s’agit désormais de mettre l’extrême-droite face à ses contradictions, de révéler au grand jour la vacuité de son programme économique, de rendre évidente la dangerosité de son idéologie. Ce soir, je ferai tomber le masque de madame Le Pen… »
Et Marine Le Pen de répondre :
- Monsieur Juppé, je vais vous flatter : me voilà extrêmement satisfaite de me trouver face à vous ce soir. Il aura fallu attendre la présidentielle pour que vous acceptiez – enfin ! – de m’affronter ! J’espère que nous aborderons des sujets de fond car, voyez-vous, je vous estime un peu plus honnête que votre rival Sarkozy. Oh, bien sûr, vous êtes tout comme lui un repris de justice, mais vous ne cherchez pas à enfumer les gens comme lui le faisait. Vous assumez votre mondialisme, votre fédéralisme post-démocratique, votre complaisance envers le communautarisme. Vous ne faites pas semblant d’être patriote…
Tout au long du débat, alors qu’elle tenait tête à l’ancien Premier ministre sous les feux des projecteurs, devant des millions et des millions de Français, venaient à Jean-Marie Le Pen des sentiments contradictoires. De la fierté et de la tristesse. Fier de sa fille, oui, il l’était. C’était une battante, comme lui. Sans doute le sang breton qui voulait ça... Mais l’aventure se déroulait sans lui, et ce n’est pas ses pauvres comités Jeanne qui, il le savait, pèseraient d’une quelconque manière aux législatives. Pour la première fois de sa vie, à presque 90 ans, il se sentit vieux.
Ah l’ingrate… Mais il avait fait d’elle ce qu’il était : une brute. Le Pen n’était pas homme à faire des mea culpa. Jamais de sa vie il ne s’était excusé. Ni devant les Français, ni à ses proches. Jamais. Pourtant, dans son for intérieur, il savait quel père effroyable il avait été. L’attentat à la bombe qui faillit les tuer petites, l’école publique et les professeurs qui les haïssaient, l’absence de leur mère quinze ans durant, les menaces permanentes, les humiliations parfois, il avait fait subir tout cela à ses trois filles sans d’autres mots de réconfort, les rares fois où elles venaient se plaindre, que « vous pourriez être nues dans la neige en temps de guerre ». Et ce fut Marine qui pleura le moins. C’était celle qui lui ressemblait le plus.
Il avait déjà perdu le fil du débat. La sénilité lui posait des problèmes de concentration. Ses reins lui causaient maintes douleurs. Il se récita à lui-même, une fois encore, ces vers de Musset qu’il aimait tant :
« J’ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté ;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie. »
Ah, qu’il était loin le temps de Poujade, lorsqu’il gueulait à s’en faire péter les glottes La Marseillaise dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale tandis que la Quatrième République agonisait ! Elles étaient loin, les bagarres et les beuveries du Quartier Latin ! Loin, l’Indochine et l’Algérie. Et les croisades en voilier sur les mers de sa chère Bretagne natale... Et les meetings endiablés où virevoltaient les drapeaux. Et tous les autres souvenirs innombrables…
« Le seul bien qui me reste au monde est d’avoir quelquefois pleuré. »
Dans la pénombre de ce salon désuet, peut-être le Menhir laissa-t-il son unique œil s’épancher un peu… Mais cette scène-là, il n’y aurait jamais aucune caméra de télévision pour la filmer.
* * * * *
Mercredi 3 mai 2017
Florian Philippot était ce qu’on appelle un homme pressé. Impeccable dans son costume gris anthracite de chez Paul Smith, rasé de près, droit comme un automate, il achevait son interview dans le studio de RTL. Il était 14h, et c’était déjà la cinquième de la journée. Cinq fois qu’il répétait presque mot pour mot les mêmes éléments de langage depuis qu’il était levé : « Les Français ont pu voir hier soir une Marine Le Pen digne et éloquente, plus présidentielle que jamais » ; « Nous appelons tous ceux qui ont la France à cœur, qu’ils soient de gauche ou de droite, à rejoindre la grande famille des patriotes »… Il n’avait pas eu le temps de prendre son déjeuner et il était affamé, mais ne laissa rien paraître de sa lassitude. Enfin, il entendit avec soulagement le journaliste déclarer :
« Merci Florian Philippot, excellente journée à vous. »
Il se leva – il eut un léger vertige – et, le visage impassible, prit congé des chroniqueurs par une dernière poignée de mains. Dans le couloir l’attendait Richard, son collaborateur favori. C’était un séduisant jeune homme brun, beau comme l’était Alain Delon à 20 ans, que Philippot avait fait nommer secrétaire FN d’un département des Hauts-de-France, où il avait par ailleurs été élu conseiller régional, sur la liste présidée par Marine Le Pen. Devant la mine visiblement épuisée de son patron, le garçon posa une main sur son épaule, dans un geste apaisant. Ils s’en allèrent déjeuner dans une brasserie du très chic quartier où ils se trouvaient.
Même rassasié, la migraine que Philippot avait ce matin senti poindre juste au niveau de sa tempe droite ne le quittait pas. Elle s’accentua au contraire lorsqu’il pensa au débat qu’il avait ce soir face à Maël de Calan, un des bras droits de Juppé, sur le plateau d’Apolline de Malherbe, de BFM-TV.
« Tu vas le défoncer, le petit Maël », dit Richard, en écho à ses pensées.
Philippot hocha lentement la tête. Il songea au visage blafard et insignifiant de ce frêle trentenaire, largement médiatisé depuis la publication de son pamphlet anti-FN, l’année dernière. Un jeune intello, timide et sans charisme, qui s’est retrouve parachuté du jour au lendemain sous le feu des projecteurs et des caméras de télévisons. Comme lui. Calan l’insupportait.
Une notification s’afficha sur l’iPhone dernier cri qu’il tenait toujours dans la main, comme greffé à elle. Philippe de Villiers venait de déclarer sur iTélé qu’il eût été prêt à soutenir Marine Le Pen à condition que celle-ci abandonnât « l’orientation laïcarde et gauchisante insufflée par ses conseillers chevènementistes » pour « une politique d’inspiration chrétienne, défendant la famille et la morale catholique ». Dans l’état actuel des choses, terminait le vieil homme, toute chance de victoire apparaissait impossible, faute d’unité de la part du camp patriote. Tous les sondages, d’ailleurs, le démontraient.
« Connard », pensa Philippot.
Sur Twitter, les ennemis du vice-président du FN exultaient. « Par la faute de Philippot qui aura dégoûté l’électorat de droite, le sursaut national n’aura pas lieu », twittait une certaine « Capu Patriote » ; « En liquidant le dernier espoir de la droite nationale, le funeste Philippot a définitivement livré la France aux Congoïdes », ajouta, lui, le comte Henri de Lesquen. « Une seule solution : se débarrasser de la truie Le Pen, digne fille de sa catin de mère, et de son acolyte, le sodomite Philippot », philosophait avec sa délicatesse habituelle Jérôme Bourbon, le directeur de la revue Rivarol. Et, clou de ce spectacle virtuel, Marie-Caroline Le Pen, la sœur de Marine, partageait sur son compte l’énième appel à l’union des droites de Karim Ouchikh, le président du très droitier SIEL, qui rêvait de voir réunis dans un seul et même mouvement Robert Ménard, Philippe de Villiers, Jean-Frédéric Poisson, Jacques Bompard et Marion Maréchal-Le Pen, soit autant d’adversaires résolus de la ligne « nationale-républicaine » insufflée par Florian Philippot au Front national.
- Un bon nombre de gens au Front n’en pensent pas moins, dit Richard. Après un silence, il ajouta : Ce parti ne te mérite pas, Florian. Il ne te pardonnera jamais d’être ce que tu es, ton parcours, tes principes politiques, et même ta vie privée. Ce tas de bouseux réacs ne te mérite pas. Quitte-le, fonde quelque chose de nouveau. Beaucoup de jeunes te rejoindraient…
- Je pense poser un ultimatum à Marine après l’élection, répondit Philippot. La Maréchal ou moi. Et si elle n’est pas capable de tourner définitivement le dos à sa famille de cinglés, alors je partirai. On partira.
- Elle ne le fera jamais. Elle préférera toujours la Princesse (c’est ainsi qu’ils surnommaient dédaigneusement Marion Maréchal). Ils ont beau se rentrer dedans à longueur d’année, c’est un clan bien plus soudé qu’il n’y paraît, les Le Pen. Une vraie meute de loups…
- Marine a montré à plusieurs reprises qu’elle savait faire passer les intérêts du parti avant des considérations familiales. Et elle sait qu’elle ne peut pas se passer de moi.
- On verra. Mais à ta place, j’en aurais assez d’être dans un parti qui me déteste.
Philippot posa son verre d’eau et se passa une main sur le front comme pour en essuyer la fatigue. Il marmonna :
« La Princesse, tout le monde l’adore. Elle n’a jamais fourni le moindre effort de sa vie, il lui suffisait juste d’être la petite-fille de son grand-père. Une petite bourgeoise sans intérêt, qui a joué la carte catho réac’ parce que c’est à la mode en ce moment. Mais comme elle est soi-disant jolie, les militants l’appr… ha ha ha! »
Il s’interrompit par un ricanement devant la méchante grimace que fit alors Richard, dont les yeux louchèrent en même temps qu’il battait des cils, se moquant du léger strabisme dont souffrait effectivement Marion Maréchal-Le Pen.
Florian Philippot reprit vite son sérieux habituel, puis il annonça, comme s’il réfléchissait à voix haute :
« Oui. J’irai en parler à Marine. L’heure est venue pour elle de faire un choix. »
Non loin de là, une jeune femme blonde et son garde du corps passèrent la porte d’un immeuble du Faubourg Saint-Honoré. Derrière l’élégante façade, à quelques mètres à peine du palais si convoité de l’Elysée, se trouvait le quartier général de l’équipe de campagne de Marine Le Pen. A l’intérieur, l’agitation était à son comble. David Rachline, à qui la présidente du FN avait confié la direction de sa campagne, sortit d’un bureau empli d’éclats de voix et de sonneries de téléphone afin de saluer sa collègue et amie de longue date, Marion Maréchal-Le Pen.
« Les dernières estimations ? » s’enquit Maréchal.
- Le débat d’hier a boosté la côte de Marine, mais l’écart avec le vieux reste trop large, répondit Rachline, qui essuyait de sa manche son front moite.
- C’était couru… Et ce lâche de Dupont-Aignan qui n’a pas osé donner de consigne de vote ! Ni personne d’autre à droite… soupira la députée. Merci David, à tout à l’heure.
Elle secoua la tête et monta au première étage où il y avait le bureau de Marine Le Pen. Elle trouva sa tante au téléphone. Cette dernière, lorsqu’elle vit qui se tenait sur le seuil de la pièce, abrégea sa conversation et raccrocha rapidement. Elle salua sa nièce d’un grande sourire :
- Ma chérie ! Comment vas-tu ? Je te croyais à Carpentras.
- Je prends le train tout à l’heure. Tu te rappelles que demain on a un meeting commun dans le Vaucluse ?
La Présidente acquiesça : « Oui, bien sûr. »
- J’ai croisé David, en bas, reprit Marion Maréchal. Il m’a dit que l’écart restait très grand.
- On savait que Juppé arriverait à faire reporter sur lui l’immense majorité de l’électorat de gauche, dit Marine Le Pen, désabusée.
Après un petit silence, la jeune femme lâcha sur un ton détaché :
« C’était bien la peine de faire une campagne à gauche qui a fait fuir l’électorat de droite pour finalement se retrouver cocus par les gauchos… »
Le Pen lui jeta un regard sévère.
- Allons bon, Marion. Te voilà en train de parler comme Sarkozy…
- La retraite à 60 ans, c’était pas une promesse de gauchistes démagos, peut-être ?
- Les gens veulent entendre de nous que l’on fera des économies ailleurs, avant de toujours s’attaquer à leurs salaires et leurs retraites…
Marine Le Pen s’assit à son bureau, et tira nerveusement sur sa cigarette électronique. Elle consulta quelques SMS sur son téléphone portable avant de lever de nouveau la tête vers sa nièce, debout et immobile. Elle la fixa de son regard perçant, puis reprit :
- J’imagine que tu n’es pas venue ici pour me conseiller de changer de stratégie électorale quatre jour avant le second scrutin de la présidentielle. Alors parle : je t’écoute.
- Marine, tu as suivi les convictions qui étaient les tiennes et la stratégie électorale qui te semblait la meilleure. Même si cela aboutit à l’échec dimanche prochain, je ne t’en tiendrais pas grief. Seulement, je me suis engagée en politique pour défendre certaines valeurs, certains principes, et je ne pense pas continuer si ceux-là sont bafouées au sein de notre formation.
Marine Le Pen haussa un sourcil :
- Allons-donc, tu vas finalement me faire le reproche de ne pas avoir battu le pavé chez La Manif Pour Tous aux côtés de tous les élus de l’UMP ?
- Tu sais bien que je ne te l’ai jamais fait. D’un point de vue tactique, c’était habile de ménager la chèvre et le chou. En revanche, certains, au Front, m’en ont fait le cuisant reproche… Parfois même publiquement, sur Twitter, par l’intermédiaire de petits sergents fielleux.
- Et voilà ! Florian. Encore ! s’exclama Le Pen. C’est fou que vous n’ayez jamais pu vous piffrer, tous les deux. Vous êtes pénibles avec vos guerres d’égo.
- Moi je l’ai respecté, répliqua Maréchal en haussant le ton. C’est lui qui m’a méprisée dès la première seconde. Il n’a jamais pu supporter l’affection que me portait Papy !
Le pourpre montait aux joues de la jeune députée du Vaucluse, qui respira et reprit d’une voix plus calme :
« Qu’on ne s’aime pas à titre personnel n’a aucune importance. En revanche, que ce parvenu se prenne pour le roi et t’impose à des postes clé ses petits mecs par chantage et caprice – si si, Marine, on sait tous qu’il le fait – ça, ça me pose de sérieux problèmes. Ces jeunes bobos de Sciences-Pô en costard-cravate, idolâtres de Chevènement et de Marchais, qui sont montés en grade on ne sait de quelle façon (je n’ose imaginer comment !) sont le type même de tout ce que nos électeurs haïssent chez les politiciens : ambitieux, cupides, coupés des réalités de la vraie vie. Ils n’ont rien, strictement rien à faire au Front national. Ces "mignons", comme disait Papy, ne sont fidèles qu’à Philippot, Marine. Toi et le parti, ils s’en foutent ! »
Et comme sa tante ne répondit rien, elle continuait :
« Ose me dire que j’ai tort, Marine… Les sectaires, c’est eux. Il y a quelques mois, Philippot a fait pression sur un président de collectif pour la seule raison que celui-ci était allé à un de mes meetings dans le sud. On ne peut pas continuer à tout lui céder. Moi je ne peux plus. Je n’ai rien dit jusqu’à présent pour l’unité du parti, pour ta victoire… Mais maintenant je te le dis. Lundi prochain, il faudra choisir : c’est lui ou moi. »
« Marion... »
Marine Le Pen murmurait presque à présent.
- Je ne peux pas choisir entre vous deux. Tu le sais.
- Je suis désolée, Marine, dit doucement Maréchal, les yeux brillants. Mais l’heure est venue pour toi de faire un choix. Au revoir, à demain, pour notre meeting du Vaucluse.
Marion Maréchal-Le Pen tourna les talons et quitta le bureau de sa tante. La pensée de partir à Carpentras en fin d’après-midi était pour elle un soulagement. Elle y aimait la belle clarté de la Provence, le parfum des champs de lavande, le chant des cigales, l’accueil toujours chaleureux que lui réservaient les solides gaillards du Midi. Olympe, sa fille de trois ans, l’attendait là-bas avec sa mère.
Elle retrouva son garde du corps qui patientait au rez-de-chaussée. Au moment où elle s’apprêtait à quitter l’établissement, Florian Philippot s’avançait de sa démarche chaloupée. Ils se croisèrent, s’ignorèrent royalement, comme ils le faisaient toujours lorsqu’ils se trouvaient sous un même toit. Mais en cet instant précis, pour une rare fois, ils étaient exactement sur la même longueur d’onde.
Au même moment, dans la même ville, au pied du Panthéon, un groupe de jeunes gens du FNJ distribuaient des tracts aux étudiants qui sortaient de la faculté de Paris 1. L’atmosphère y était extrêmement tendue, à la limite de l’hystérie : ils avaient manqué plusieurs fois de recevoir des coups de la part de militants de gauche écœurés. Ces quelques frayeurs n’empêchaient pas Arthur de tendre joyeusement ses tracts bleu-marine : il faisait beau, et un parti dynamique et uni comme le sien, ça valait la peine de tout encourir pour lui.
« Vivement Dimanche », se dit-il en contemplant le Panthéon, où dormaient tous les héros de la France.
FIN.
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Marie-Christine Arnautu : « L'idée de quitter le FN ne m'a jamais effleurée »
Marie-Christine Arnautu, conseillère municipale de Nice et eurodéputée, est depuis 2011 vice-présidente du Front national de Marine Le Pen. Elle compte aussi, depuis longtemps, parmi les proches de Jean-Marie Le Pen. Les conditions de l’exclusion par l’organe exécutif du parti - dont elle est membre - de son vieux leader historique, le 20 août dernier, n’avaient d’ailleurs pas manqué, à l’époque, de la faire réagir.
Par-delà les troubles internes au parti, déjà largement commentés (sur ce site notamment, voir : les interviews de jeunes militants FN et celle de Lorrain de Saint Affrique), j’ai eu envie d’interroger Mme Arnautu sur son engagement, ses convictions profondes et quelques points d’actualité, tant il est vrai que, toute vice-présidente du FN qu’elle est, on ne l’invite finalement qu’assez rarement dans les matinales. Ses réponses - dont je la remercie - me sont parvenues le 13 octobre sur la base de questions préparées dès la fin août. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Marie-Christine Arnautu: « L’idée de quitter
le FN ne m’a jamais effleurée »
Paroles d’Actu : Bonjour Marie-Christine Arnautu. J’ai lu que vous vous êtes attelée il y a un peu plus de deux ans au toilettage et à la retranscription informatique d’écrits de Jean-Marie Le Pen, en vue d’un projet d’autobiographie. Qu’avez-vous « appris » que vous ne sachiez déjà à son propos lors de cet exercice ? Le projet dont on parle est-il toujours, à votre connaissance, d’actualité ?
Marie-Christine Arnautu : Avec Jean-Marie Le Pen, on n’en finit pas d’apprendre... J’avoue qu’en transcrivant la première partie de ses Mémoires, je me suis souvent surprise à chercher dans le dictionnaire la signification de tel ou tel mot, tant son vocabulaire est riche et précis.
« Les Mémoires de Jean-Marie Le Pen ?
C’est toujours d'actualité. »
Ce projet est plus que jamais d’actualité, même s’il reste un immense travail à faire. Je déplore le manque de temps pour m’y consacrer davantage et je vais tout faire pour y remédier. Les Mémoires de Jean-Marie Le Pen seront sans aucun doute un témoignage politique nécessaire sur toute une période de notre Histoire mais elles permettront aussi aux lecteurs d’avoir une vision de l’homme extrêmement différente de celle dépeinte dans les médias ou dans les multiples ouvrages écrits à son sujet.
PdA : Comment vous qualifieriez les liens qui vous unissent à cet homme, compagnon de route et de combats de longue date qui est aussi - ce n’est pas rien - le parrain de votre fille ?
M.-C.A. : Il m’est difficile de les résumer. Je l’ai rencontré à la veille de mes 21 ans, il fut donc pour moi un chemin de vie, une valeur d’exemple, tout comme le fut mon père, autre personnalité très forte. Ces deux personnes ont profondément contribué à mon combat viscéral pour la défense de la liberté, ils m’ont aussi inculqué, je crois, le sens de l’honneur, valeurs que j’ai essayé de transmettre à mon tour à mes enfants.
PdA : Plusieurs élus et militants du Front national ont fait part ces derniers temps de leur décision ou intention de rendre leur carte du parti en protestation de la sanction infligée à celui qui en est toujours, à cette heure, président d’honneur. Cette idée vous a-t-elle, ne serait-ce qu’un temps, traversé l’esprit pour ce qui vous concerne ?
Jean-Marie Le Pen a, pour sa part, clairement appelé ses partisans au sein du FN à y rester pour y peser et restaurer de son influence à votre « ligne » commune au sein du parti. Marion Maréchal-Le Pen est-elle, aujourd’hui et pour la suite, de facto, le chef de file de la ligne, disons, « traditionnelle » du Front national, celle à laquelle vous appartenez ?
M.-C.A. : Cette idée ne m’a jamais effleurée. Je milite pour le Front national aux côtés de Jean-Marie Le Pen depuis plus de quarante-deux ans. Le Front national est une partie importante de ma vie et j’ai toujours été d’une loyauté sans faille. Je ne m’imagine pas une seconde le quitter et je compte bien rester sur cette ligne de loyauté et de fidélité envers le Front national, envers sa présidente Marine Le Pen, envers son fondateur Jean-Marie Le Pen et, bien sûr, envers les idées nationales que le Front promeut depuis sa création et qui sont le moteur de mon engagement.
PdA : Je vous propose maintenant d’aborder quelques questions touchant, ici à l’actualité, là à votre parcours et au sens de vos engagements. La première de ces questions s’ancre pleinement dans une actualité décidément bien sombre. Vous vous insurgez, comme beaucoup de personnalités politiques et de nos concitoyens, contre les exactions abominables que commettent au quotidien les criminels de l’État islamique (contre les femmes, les Chiites et les Chrétiens d’Orient notamment). Comment faudrait-il s’y prendre pour les arrêter, selon vous ?
M.-C.A. : Il faut tout d’abord cesser les imprécations et les leçons de morale. Depuis quatre ans, la diplomatie française n’a qu’un seul mot à la bouche : le départ du président syrien Bachar el-Assad. Outre le fait que cela est d’abord le problème des Syriens, puisque la Syrie est un pays souverain, et ne concerne absolument pas la France, cela ne fait pas une politique. Nous nous en rendons bien compte aujourd’hui puisque François Hollande se retrouve absolument seul à continuer à réclamer son départ.
« Il faut soutenir ceux qui combattent
réellement l’État islamique »
Comme le réclame le Front national depuis le début du conflit, le meilleur moyen pour lutter contre l’organisation État islamique, c’est de soutenir les forces qui, sur le terrain, le combattent jour après jour, c’est à dire les armées régulières syrienne et irakienne, ainsi que les milices kurdes de ces deux pays. Plutôt que d’envoyer des armes et de l’argent à des groupes armés terroristes bien peu recommandables et toujours plus islamistes, nous ferions mieux d’envoyer cette aide à l’Armée arabe syrienne ! Et, puisque la Turquie est membre de l’OTAN, il serait temps de taper du poing sur la table pour exiger qu’elle ferme enfin sa frontière avec la Syrie afin que cesse l’afflux incessant d’armes, de combattants et d’argent aux organisations terroristes qui combattent en Syrie.
PdA : Il y a eu, récemment, au sein de l’Église catholique notamment, un débat quant à l’opportunité de l’organisation par des autorités ecclésiastiques d’un dialogue avec, entre autres personnalités politiques de tous bords, des membres éminents du Front national (Marion Maréchal-Le Pen, pour ne pas la citer). La question touche un peu à l’intime, j’en conviens : vos convictions politiques s’accordent-elles totalement avec votre foi telle que vous la vivez, telle que vous la ressentez ?
Je pense en particulier à la problématique de la peine capitale, à laquelle le Vatican, traditionnellement attaché par principe à la sauvegarde de la vie, paraît de plus en plus hostile ; le Front national, lui, envisage toujours de revenir sur son abolition en France ou, en tout cas d’en proposer le rétablissement par référendum...
M.-C.A. : Mon engagement politique est directement lié à mes convictions. À ce jour, le Front national est le seul parti qui défend véritablement la famille. Dans notre programme, nous prévoyons l’abolition de la loi Taubira ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, contre laquelle j’ai manifesté à de nombreuses reprises. Sur la question de la protection de la vie, le Front national est le seul parti à plaider pour la mise en place d’une véritable politique familiale, avec un accompagnement et une aide pour les femmes qui souhaitent ne pas avorter. La politique actuelle est clairement un échec puisque le nombre d’avortements en France n’a jamais été aussi élevé : 225.000 l’an dernier !
Concernant la peine de mort, le paragraphe 2267 du Catéchisme de l'Église catholique dispose que « L’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains. »
« L’Église n’est pas par principe opposée à la peine de mort »
Vous le voyez, l’enseignement de l’Église n'est pas, par principe, opposé à la peine de mort. Il est vrai que le Vatican, aujourd’hui, ne l'estime ni nécessaire ni opportune mais cela n'est pas une position de principe. Je ne partage pas cette analyse, en particulier envers les personnes reconnues coupables d’acte terroriste, d’assassinat ou de viol d'enfant, ou de crime particulièrement odieux.
PdA : Vous êtes issue, Marie-Christine Arnautu, de racines d’Europe multiples et diverses. Vos parents ont été naturalisés français ; une identité que vous avez choisi d’embrasser pleinement, passionnément même, comme eux et comme des millions d’immigrés et descendants d’immigrés qui ont eu la volonté et la chance de devenir, eux aussi, des Français.
Je ne vous interrogerai pas sur votre définition de l’identité française, définition que vous avez du reste déjà explicitée pour un autre site ; j’aimerais en revanche que vous me disiez, partant notamment de ces origines que l’on vient d’évoquer, s’il existe à votre sens, des traits forts d’identité communs, une communauté de destin qui, de manière spécifique, rassembleraient les peuples européens ?
M.-C.A. : Une des grandes richesses de l’Europe est justement sa diversité, sa multitude d’identités, de cultures, de langues. L’uniformisation et le nivellement par le bas voulus par l’Europe de Bruxelles, qui applique l’idéologie cosmopolite de ses maîtres, sont un désastre culturel et identitaire. Bien évidemment, cette diversité n’exclut pas de fortes convergences : l’héritage philosophique de la Grèce et de la Rome antiques, une histoire commune faite de résistance contre les invasions et de conquêtes glorieuses, une créativité, une inventivité et une ingéniosité qu’aucune autre civilisation n’a égalées, et une religion commune, le christianisme, même si elle se décline sous diverses confessions (orthodoxie, catholicisme, protestantisme...)
PdA : Le message du Front national est souvent celui d’un constat fort sombre s’agissant de la situation et, a fortiori, de l’avenir de la France. Sincèrement, parvenez-vous encore à être optimiste quant à l’avenir de notre pays ?
M.-C.A. : Oui, je suis pleine d'espoir, sinon je ne battrais pas depuis des années pour la France. Je suis pleine d'espoir quand je vois nos militants qui travaillent sans rien exiger en retour et sans compter leur temps. Je suis pleine d'espoir quand je vois ces jeunes familles françaises qui se fondent et élèvent droitement leurs enfants. Je suis pleine d'espoir quand je vois cette jeune génération qui est descendue dans la rue à de multiples reprises pour défendre la famille traditionnelle. Je suis pleine d'espoir quand je vois, si j'en crois les sondages, que les Français prennent enfin conscience des dangers qui les menacent. Et je suis pleine d'espoir quand je vois la progression du Front national, élection après élection. Les Français en sont de plus en plus conscients : il faut porter le Front national au pouvoir afin de mettre un coup d'arrêt à cette entreprise méthodique de destruction de la France, de son peuple, de ses valeurs, de ses traditions.
PdA : Sur quelles thématiques entendez-vous vous mobiliser avec une conviction, une force particulières dans le cadre de vos engagements politiques - je pense notamment à votre mandat de parlementaire européen - et citoyens pour les années à venir ?
M.-C.A. : Je continuerai à me battre sur les thématiques qui sont les miennes depuis le début de mon engagement politique : la défense de la liberté, la protection des plus faibles, que ce soit les plus pauvres, les enfants, les handicapés ou les personnes âgées ; la sécurité morale et physique des Français, la défense de la famille, cellule de base de la société ; la préservation de nos identités et de notre peuple car, s’ils venaient à disparaître, la France ne serait plus la France.
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Lorrain de Saint Affrique : « Marine Le Pen n’a pas l’étoffe de la charge à laquelle elle prétend »
Lorrain de Saint Affrique fut, entre 1984 et 1994, le conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen, alors président et leader incontesté du Front national. Il a accepté, sur la base de questions que je lui ai transmises à la mi-mai, de commenter l’actualité brûlante, en interne, du FN. Ses réponses, qui sont sans concession ni fioriture - je l’en remercie -, me sont parvenues le 9 septembre, soit, trois semaines après l’exclusion de M. Le Pen par le bureau exécutif du parti. Un entretien-synthèse... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Lorrain de Saint Affrique: « Marine
Le Pen n’a pas l’étoffe de la charge
à laquelle elle prétend »
Illustration : AFP/Alain Jocard.
Paroles d’Actu : Bonjour Lorrain de Saint Affrique. Voulez-vous évoquer pour nous, avant d’aller plus loin, les raisons qui, à un moment de votre vie, vous avaient incité à adhérer au Front national ; celles qui, par-delà votre exclusion de 1994, vous poussèrent, sur le fond, à vous en éloigner ?
Lorrain de Saint Affrique : Il n’y a pas eu, au départ, d’adhésion, au sens formel : mon rôle de conseil auprès de Jean-Marie Le Pen s’est institutionnalisé au fil de conversations de plus en plus fréquentes, m’impliquant toujours davantage dans la « défense et illustration » de ses intérêts médiatiques à lui, qui n’étaient pas toujours en harmonie avec ceux de l’appareil FN. Des années durant, au même titre que le PS, le RPR ou l’UDF, le Front national figurait, dans mon activité, une entité politique parmi les autres, avec des nuances, dans le jeu personnel de Le Pen. Cette position à part dans le dispositif, avec ses phases occultes de nature, ne tenant qu’à la volonté de poursuivre de Le Pen était peu comprise, peu admise en interne. Les choses ont changé d’abord en 1990, quand il m’a nommé secrétaire départemental dans le Gard, puis en 1992 avec mon élection au Conseil régional de Languedoc-Roussillon.
« Le Pen exclu, c’est une clé
de voûte qu’on descelle »
Cependant, j’ai toujours été dans une position originale, distanciée, vis-à-vis des personnes comme des idées. J’ai peu de dispositions pour ce qui concerne la culture d’appareil. Quant à l’exclusion, elle fut une sorte de gage donné à l’époque à un Bruno Mégret en pleine ascension. À un tout autre niveau, voilà que Marine Le Pen donne des gages, elle aussi, à de puissants seconds, Philippot, Collard, et d’autres. Sauf que moi, j’étais une modeste pierre de l’édifice, un médicament de confort auprès d’un dirigeant particulièrement doué ; rien à voir avec la clé de voûte qu’elle vient de desceller. Je naviguais entre l’officiel et l’officieux. Aujourd’hui, il s’agit d’enjeux autrement lourds de conséquences, sur fond de parricide, dans une société désorientée.
PdA : Les récentes sorties de Jean-Marie Le Pen, qui ont provoqué tant de remous au sein du parti, m’ont fait penser à une phrase qui m’avait sidéré lors de la diffusion d’un documentaire sur le Front national, il y a quelques années : au journaliste qui lui demandait ce qu’il entendait entreprendre s’il arrivait au pouvoir, Le Pen répondit, dans un grand éclat de rire : « Dieu m’en préserve ! » Vous avez émis une théorie intéressante à l’occasion d’une émission de radio diffusée début mai : Le Pen n’agirait pas par malveillance ou crise d’égo mal placée envers sa fille, il s’évertuerait à maintenir au-dessus du FN un « plafond de verre », tout cela procédant d’une conscience aiguë de sa part de l’impréparation du parti à tenir, en l’état, les rênes du pouvoir. Voulez-vous développer cette idée ?
Deux questions complémentaires : Jean-Marie Le Pen a-t-il eu jamais, à votre avis, sérieusement, sincèrement, l’ambition d’accéder à quelque responsabilité exécutive - dont, a fortiori, la première de l’État ? Ce point ne constitue-t-il pas, et de loin, sa principale divergence d’avec Marine Le Pen ?
L.S.A. : Vous avez noté comment, par dérision pour les éléments de langage frontistes, Le Pen appelle sa fille : « la-femme-d’État-aux-portes-du-pouvoir » ? En un seul mot !
Faisons simple : il y a un avant et un après 13 septembre 1987, « Le Détail », et ses multiples rebonds. Les ricochets médiatiques et politiques de l’affaire, interminablement réactualisés, ont mené Jean-Marie Le Pen à une stratégie en rupture avec ses ambitions antérieures. Jean-Marie Le Pen avait-il la stature, la carrure, la puissance d’incarnation, la densité humaine, culturelle d’un premier rôle ? Sans aucun doute à mes yeux ! Lui même ne se reconnaît qu’une seule erreur : ne pas avoir été le candidat de la droite nationale en 1965, contre Charles de Gaulle et François Mitterrand, au lieu d’aller chercher puis d’imposer Jean-Louis Tixier-Vignancour et d’en orchestrer la campagne.
« Le Pen a réalisé trop tard que
sa fille, née en 1968, était également
née de 1968 »
Quelle est la situation d’aujourd’hui ? Rien n’est plus absurde que de peindre Jean-Marie Le Pen en vieillard aigri ne supportant pas de voir ses successeurs réussir mieux que lui ; c’est oublier l’énergie qu’il a déployée pour ouvrir la route de sa fille, aplanissant devant elle les obstacles de toute nature, au prix des amitiés les plus anciennes. Comme on dit, il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Certes, depuis quelques semaines, Marine Le Pen orchestre l’exclusion en rafale des proches de son père, mais sur qui prend-elle modèle ? Demandez donc à Carl Lang, Jean-Claude Martinez, Roger Holleindre, Martine Lehideux, Fernand Le Rachinel, tous immolés sur l’autel mariniste, ce qu’ils pensent maintenant du parricide en cours d’exécution.
La question du pouvoir n’est pas en cause dans la détérioration des rapports entre Jean-Marie et Marine Le Pen : le patriarche, de droite, réalise seulement et un peu tard que sa fille a en tête un projet de gauche. Née en 1968, née de 1968 ! Plus grave, s’il lui concède ces qualités qui font les stars de la télé-réalité, il voit bien l’insoutenable légèreté de l’être, le bachotage laborieux pour nourrir l’illusion de la compétence, le vide structurel, la vacuité, la méchanceté dans certaines attitudes…
PdA : Vous avez côtoyé Jean-Marie Le Pen au plus près dix années durant lorsque, de 1984 à 1994, vous fûtes son conseiller en communication. Quels souvenirs gardez-vous de cette collaboration ?
L.S.A. : Ce furent des années passionnantes, qui certes m’auront été fatales sur un plan personnel et professionnel, mais au sujet desquelles j’ai peu de regrets. S’il n’y avait pas de place pour quelqu’un comme moi au sein du FN, je crois en revanche à une forme de complémentarité créative qui avait du sens auprès de Jean-Marie Le Pen.
Sur cette photo qui date des législatives de 1988, L. de Saint Affrique
apparaît à la gauche de J.-M. Le Pen.
PdA : Quelle image vous êtes-vous forgée de Jean-Marie Le Pen, finalement ? Avez le sentiment, quelque part, d’être en mesure d’extraire de son parcours tel que vous l’avez vécu et observé, de ses prises de position telles que vous les recevez, l’esquisse d’une cohérence intellectuelle que vous expliciteriez pour nous ? Cette dernière, si elle existe à vos yeux, entre-t-elle en contradiction avec les vues des tenants actuels de la direction du Front national ?
L.S.A. : Un orateur exceptionnel, une personnalité rebelle à toute forme de pression culturelle ou sociale, un homme de culture et d’action aux défauts très répandus, mais aux qualités très rares. Il y a plus de dix ans, dans un livre, (Dans l’ombre de Le Pen, paru en 1998 aux éd. Hachette, ndlr) j’ai beaucoup nuancé mon enthousiasme, et pourtant, au final, si c’était à refaire comme on dit, les mêmes motifs aboutiraient sans doute aux mêmes réflexes de ma part. Ceux qui, au sein du Front national, mènent la danse contre lui, ne veulent voir que ce qui dérangerait, croient-ils, leurs spéculations de carrière : la place de leur cible dans l’histoire politique française contemporaine : ça leur arracherait le cœur de l’admettre, et plus encore de se laisser gagner par un sentiment de respect.
PdA : Vous avez pu observer à la fin des années 90, de l’extérieur du parti, la violence de la rupture entre ses deux leaders d’alors, Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret. Sur des questions essentiellement tactiques. La coexistence au sein du FN de deux pôles puissants et apparemment contradictoires parfois (le sont-ils vraiment ?) - disons, pour faire simple, les souverainistes entraînés par Florian Philippot et les « tradi » qui voient désormais Marion Maréchal-Le Pen comme leur championne - est-elle potentiellement porteuse de troubles qui, pour l’instant, demeureraient contenus grâce à la personnalité de la présidente du parti, Marine Le Pen, qui incarne volontiers et assez habilement une ligne de « synthèse » ?
« Au FN, paroles et musique
dépendent des sondages »
L.S.A. : Ligne de synthèse, vous êtes sûr ? À droite toute, depuis quinze jours, au rythme des images de colonnes de « migrants » ; à Hénin-Beaumont, bientôt, vous entendrez une autre chanson. Paroles et musique dépendront des sondages tels que Florian Philippot en tirera la substantifique moelle et les mettra en bouche de l’une et des autres.
Vous me demandez un pronostic électoral sur les régionales ? Intuitivement, je ne vois de chance de succès pour le FN que dans le Sud-Est, sur le fil.
PdA : Au regard des forces en présence, au-dedans et à l’extérieur du parti, quelle évolution vous risqueriez-vous à prédire au Front national pour les quelques années à venir ?
L.S.A. : Intuitivement toujours, s’agissant du FN tel qu’il est maintenant, j’imagine les Français l’utilisant comme instrument provisoire de « déstabilisation du système » dans une phase peu paisible de la vie civile, et rien d’autre. Un détonateur !
PdA : Jean-Marie Le Pen considérerait, c’est votre sentiment en tout cas, que sa fille n’aurait pas l’étoffe d’un chef d’État. Quel est votre avis sur cette question ?
L.S.A. : Si telle était l’opinion de Jean-Marie Le Pen, je dirais que je la partage, en l’amplifiant.
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