« Les crimes de guerre russes en Ukraine devront être jugés », par Pierre-Yves Le Borgn'
Pierre-Yves Le Borgn’, un des interviewés fréquents de Paroles d’Actu, est juriste international. Il a été candidat au mandat de Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe (2017-18) et n’a raté cette élection que de très peu. Homme d’engagements, il fut entre 2012 et 2017 le député représentant les Français de la septième circonscription de l’étranger, celle qui va de l’Allemagne aux Balkans en passant par la Pologne... Pour tout cela, et pour les engagements humanistes que je lui connais, j’ai souhaité lui proposer une tribune libre autour de l’invasion russe de l’Ukraine, sujet dont je sais à quel point il le préoccupe et il le touche. Je le remercie d’avoir accepté, une fois de plus, mon invitation : son texte aborde notamment la question sensible des juridictions pénales internationales compétentes. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
« Les crimes de guerre russes
en Ukraine devront être jugés »
par Pierre-Yves Le Borgn’, le 2 mars 2022
Vote historique de l’Assemblée générale des Nations Unies en défaveur
de l’invasion russe de l’Ukraine, le 2 mars 2022. Photo : Carlo Allegri/Reuters.
Cela fait désormais plus de deux semaines que le monde assiste, sidéré, à la plus grave crise internationale depuis des décennies. L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une initiative insensée, folle, inscrite dans la paranoïa d’un homme seul : Vladimir Poutine. C’est lui qui a dupé durant des semaines les leaders européens qui tentaient de le convaincre de donner à la diplomatie et à la paix la chance qu’elles méritaient, c’est lui désormais qui dirige la guerre, les manœuvres, les bombardements et le siège dramatique en préparation autour de Kiev et à l’œuvre déjà autour de Kharkiv, Marioupol et Odessa. Les victimes civiles ukrainiennes se comptent par milliers. Dans la seule ville de Marioupol, elles sont au-delà de 2 000. Des millions de personnes fuient sur les routes, essuyant les tirs et les bombardements russes. Aucun cessez-le-feu ne se profile et les corridors humanitaires à peine esquissés ne sont jamais respectés. Nombre de villes sont dans des situations dramatiques. Tout y manque, de la nourriture à l’eau potable. Une catastrophe humanitaire d’une ampleur considérable est à redouter. Rien de cela n’émeut ni encore moins n’arrête Vladimir Poutine. Au contraire, ce sera la capitulation à ses conditions ou bien la guerre totale.
« Ce qui se joue en Ukraine est l’avenir
d’un pays libre, d’une démocratie, d’un peuple,
mais plus largement le nôtre aussi. »
Ce qui se joue en Ukraine est l’avenir d’un pays libre, d’une démocratie, d’un peuple, mais plus largement le nôtre aussi. Peut-on accepter de vivre en Europe dans la terreur du chantage à l’arme atomique, de la réécriture permanente de l’histoire et de la guerre menée à la liberté ? Aucun pays ne peut dénier à un autre sa souveraineté, son intégrité, le droit à ses choix et à son destin. Aussi étrange que cela puisse sonner, il existe un droit de la guerre sur lequel les belligérants s’entendent par-delà le conflit armé qui les oppose, en particulier sur le respect des civils et des trêves. Or, ce droit-là, Vladimir Poutine a choisi de l’ignorer. Bombarder des hôpitaux et des écoles, tirer sur un foyer de personnes handicapées, sur des enfants, des femmes et des hommes tentant de fuir les combats, sur une centrale nucléaire, sur des lieux de mémoire, ce sont des violations caractérisées et révoltantes des lois de la guerre. Et ce sont des crimes de guerre, au sens donné par les Conventions de Genève et de La Haye, à savoir l’attaque à l’égard d’objectifs non-militaires, humains comme matériels. Car comment justifier de bombarder une maternité, d’y tuer des enfants, des mamans, des soignants, des personnages âgées, si ce n’est par la sauvagerie et la volonté, partout, de terroriser ?
« La recherche de la paix, que nous désirons tant,
ne saurait conduire à ignorer la nécessité de poursuivre
ceux qui portent la responsabilité des crimes de guerre. »
Aucun de ces crimes de guerre ne doit rester impuni. Cela concerne la Russie, État agresseur, qui a envahi le territoire de l’Ukraine, mais aussi la responsabilité individuelle de ses dirigeants et au premier chef de Vladimir Poutine. Cette responsabilité sera établie dès lors que les preuves des crimes de guerre auront été rassemblées. Cela ne fait guère de doute. La recherche de la paix, que nous désirons tant, ne saurait conduire à ignorer la nécessité de poursuivre ceux qui portent la responsabilité des crimes de guerre. La Cour pénale internationale aurait été la juridiction idoine, mais le statut de Rome qui en constitue le fondement n’a pas été ratifié par la Russie et l’Ukraine. Elle ne peut donc être utilement saisie. Le seul moyen de poursuivre ces crimes de guerre serait de mettre en place un tribunal pénal international affecté à l’invasion russe de l’Ukraine, à l’instar de ce qui se fit en ex-Yougoslavie et au Rwanda il y a plus de 20 ans. C’est possible. La décision relève de l’Organisation des Nations Unies, qui a condamné à une immense majorité de ses États membres l’invasion russe de l’Ukraine. Au Conseil de sécurité, la Russie brandira son veto, criant au complot. Pourra-t-elle pourtant nier et fuir ses responsabilités longtemps ? C’est peu probable.
« Les responsabilités doivent d’abord
être individuelles, car cette guerre n’est pas
celle de la Russie, elle est celle de Poutine. »
Car cette guerre qu’il a choisie de déclencher et de mener, Vladimir Poutine l’a déjà perdue. A coup sûr politiquement. Et militairement peut-être aussi. Son pays est au ban des nations et il est, lui, le paria du monde. Quoi qu’il se passe dans les prochains jours, semaines ou mois en Ukraine et même si, par bonheur, les armes devaient se taire, il ne saurait y avoir de reset, de retour aux années d’avant, comme si rien ne s’était passé, chassant de nos esprits la mémoire des victimes innocentes de cette furie. C’est leur mémoire, précisément, qui nous oblige. Les dirigeants russes actuels, qu’ils le soient encore ou non demain, devront apprendre à vivre avec le risque d’une arrestation sur le territoire d’un Etat membre des Nations Unies, à défaut de se soumettre d’eux-mêmes à la justice pénale internationale. Cela doit concerner Vladimir Poutine aussi. Il n’y a pas d’avenir durable sans justice, pas de réconciliation sans justice aussi. C’est pour cela que les responsabilités doivent d’abord être individuelles, afin de ne pas stigmatiser un pays car cette guerre n’est pas celle de la Russie, elle est celle de Poutine. La justice pénale internationale est nécessaire à la résolution des conflits. L’avenir de la paix en dépend aussi, par-delà un armistice ou un traité.
« Il faut pouvoir aider mais aussi se révolter et en appeler
au droit, à toutes les ressources du droit... »
J’écris ces lignes en pensant à cette jeune maman de Marioupol, extraite de la maternité détruite, son bébé perdu. Elle est morte à son tour hier. Les images ont fait le tour du monde. Quel cœur normal peut accepter une chose pareille ? Je pense aux habitants de ces villes bombardées sans relâche, la nuit, le jour, qui ne dorment plus, ne mangent plus et en sont réduits à boire l’eau de leurs radiateurs pour ne pas mourir. Quelle cause peut bien conduire à infliger une telle souffrance ? Je pense à ce petit garçon de 11 ans parti seul à travers les forêts de l’ouest de l’Ukraine pour rejoindre à pied, dans la nuit et le froid, la Slovaquie. Nous sommes au XXIème siècle et nous reprenons le chemin des drames les plus atroces du XXème siècle, comme si rien n’avait été appris et que la folie d’un homme devait pouvoir fracasser les vies, toutes les vies, y compris celles des plus faibles, des plus humbles, de tous ceux, femmes et hommes, qui aspirent à la paix et à la liberté. Il faut pouvoir aider – et je le fais comme tant d’autres bien sûr – mais aussi se révolter et en appeler au droit, à toutes les ressources du droit, en plus de la force pour mettre un terme à cette guerre et traduire en justice demain ceux qui auront perpétré ou donné l’ordre de commettre l’innommable.
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« Ma présidence de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe », par J.-C. Mignon
Suite au décès de l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) le 2 décembre dernier, j’ai offert à Pierre-Yves Le Borgn’, contributeur fidèle de Paroles d’Actu, une tribune pour s’exprimer sur la vie et le parcours de celui avec lequel il partageait de nombreuses valeurs, et un inaltérable engagement européen. Après réflexion, l’ancien député des Français de l’étranger (2012-2017) m’a répondu qu’il avait quelqu’un à me suggérer pour l’exercice : « Jean-Claude Mignon, l’ancien président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, député LR de Seine-et-Marne depuis près de 30 ans. Un ami, ayant travaillé avec Valéry Giscard d’Estaing à l’Assemblée, et aussi avec son fils Louis. » Profil intéressant : aussitôt proposé, aussitôt contacté.
Jean-Claude Mignon et Pierre-Yves Le Borgn’, à Sarajevo.
L’échange avec M. Mignon fut, d’emblée, agréable et fructueux. Le texte qu’il m’a soumis évoquait VGE en des termes tout autant respectueux (« Je garde le souvenir d’un grand homme d’État, affable et très courtois avec ses jeunes collègues impressionnés par sa stature et ses connaissances ») et affectueux (« Le Président Valéry Giscard d’Estaing et moi sommes nés un 2 février, pas de la même année comme il ne manquait pas de me le rappeler, et dans l’hémicycle ou en réunion de la Commission des Affaires étrangères, c’est avec plaisir et respect que je lui souhaitais son anniversaire ce qui me valait en retour un aimable petit mot manuscrit me souhaitant réciproquement le mien »). Il y était beaucoup question, aussi, d’Europe, et notamment de ce Conseil de l’Europe si méconnu, et de son assemblée, qu’il présida entre 2012 et 2014, et dont il souhaitait qu’elle rende un hommage solennel au leader défunt.
J’ai recontacté M. Mignon pour lui suggérer d’enrichir un peu son texte afin, précisément, de mettre en lumière, de par son expérience, l’action du Conseil de l’Europe et de son assemblée parlementaire. La nouvelle version qui m’est parvenue un mois après est un article bien différent, et fort éclairant quant à un outil important dont disposent les Européens (47 États membres, contre 27 pour l’Union européenne) pour promouvoir, sur l’ensemble du continent et toutes ses zones de voisinage, la paix et les droits de l’Homme. Je remercie Pierre-Yves Le Borgn, sans qui cet article n’aurait pas vu le jour. Et je remercie M. Mignon pour la confiance qu’il m’a accordée, pour ses engagements, et tous les combats menés. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLU PAROLES D’ACTU
« Ma présidence de l’Assemblée parle-
mentaire du Conseil de l’Europe »
par Jean-Claude Mignon, le 13 janvier 2021
L’AVENIR DU CONSEIL DE L’EUROPE À LA LUMIÈRE
DE SES SOIXANTE-DOUZE ANNÉES D’EXPÉRIENCE
Plus ancienne organisation paneuropéenne, le Conseil de l’Europe est en même temps la plus méconnue. La richesse et la diversité des politiques menées par le Conseil de l’Europe sont exceptionnels. Les travaux menés par son Assemblée parlementaire sont exemplaires malgré sa faible exposition médiatique, notamment en France, qui l’enferme dans une certaine obscurité.
La France, État du siège, est assez indifférente à cette organisation, dont elle devrait au minimum reconnaître l’intérêt économique : 2000 emplois à Strasbourg, 47 ambassades, etc…
LE RÔLE MOTEUR DE L’ASSEMBLÉE
PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE
On oublie trop souvent le rôle moteur joué par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) dans la conception de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), ou plus récemment dans celle tendant à criminaliser la contrefaçon des médicaments ou dans le domaine de la bioéthique, parmi beaucoup d’autres exemples.
On oublie le rôle historique qu’elle a joué dans la réunification de l’Europe dans les années 1990 en créant en particulier le statut d’invité spécial pour les nouvelles démocraties d’Europe centrale.
De même, méconnaît-on souvent le rôle qu’elle joue dans l’élection des juges à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Rôle direct de choix, mais aussi indirect d’élaboration de critères additionnels de sélection, ains l’exigence qu’il y ait au moins un représentant du "sexe sous-représenté" dans chaque liste de trois candidats pour un poste de juge.
L’observation des élections est également une mission importante de l’APCE. Il n’y a en effet pas de démocratie sans élections honnêtes. Cette action est complétée par celle de la Commission de Venise, autre organe du Conseil de l’Europe qui apporte son expertise technique aux États parties en matière de règles constitutionnelles ou électorales.
Pour autant, le Conseil de l’Europe a été créé en 1949 et il se doit de s’adapter aux exigences contemporaines. Il doit être encore plus performant, plus lisible et plus cohérent.
L’Assemblée parlementaire est un lieu privilégié d’expression de la diplomatie parlementaire. Tout d’abord parce qu’elle permet à des parlementaires de 47 États membres de discuter de manière informelle, même quand de lourds différents les séparent, ainsi les Chypriotes grecs et les Turcs. L’exercice atteint parfois ses limites lorsqu’il concerne les États du Caucase. Cette diplomatie parlementaire s’est traduite notamment par l’octroi du statut de "Partenaire pour la démocratie" au Parlement marocain, au Conseil national palestinien, et aux Parlements de Jordanie et du Kirghiztan. Le simple fait de participer à la vie parlementaire de l’APCE ne peut qu’encourager à aller vers plus de démocratie.
LE CONSEIL DE L’EUROPE PEUT REDONNER
TOUT SON SENS À L’IDÉE EUROPÉENNE
Alors que l’idée européenne ne cesse de reculer dans l’opinion, le Conseil de l’Europe peut redonner un sens à l’idée fondamentale, celle d’un destin commun des peuples de ce continent, de l’Atlantique à l’Oural, tant il est vrai que l’Union européenne, de par ses lourdes responsabilités économiques et financières, a parfois perdu de vue les valeurs qui la fondent.
La défense des droits de l’Homme et la promotion de la démocratie et de l’État de droit, valeurs qui sont au centre de l’action du Conseil de l’Europe ne sont-elles pas à l’origine de la construction européenne, alors que l’Europe, engluée dans une crise économique et monétaire dont elle ne voit pas la fin, semble les avoir reléguées au second plan ? N’est-ce pas, d’ailleurs, à ce titre, que le Conseil de l’Europe apparaît être ce supplément d’âme dont l’Europe a besoin pour redonner du sens à un projet dont les peuples européens se détachent ?
Le choix d’établir une Charte des Droits fondamentaux au fronton des traités européens a été en quelque sorte une première réponse à ce déficit de sens dont souffre actuellement l’Union européenne. Ces valeurs se trouvaient déjà, néanmoins, au cœur de la construction de l’Europe des droits de l’Homme, gravées dans le marbre de la Convention européenne des Droits de l’Homme, dont la Cour européenne des droits de l’Homme assure le respect.
Aussi la future adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme, rendue juridiquement possible par la ratification du Traité de Lisbonne, ne marque-t-elle pas, dès lors, le début d’une nouvelle ère, porteuse pour le citoyen européen d’un meilleur respect de ses droits ?
« L’adhésion de l’UE à la Convention européenne
des droits de l’Homme ne serait-elle pas l’achèvement
de la construction de l’Europe de la paix, de la prospérité
et de la protection des droits de l’Homme ? »
Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne sont-ils pas en effet, les deux fils d’un même rêve de prospérité, de solidarité et d’humanité ? Le rêve des pères de l’Europe n’est-il pas, enfin, en train de prendre corps sous nos yeux ? L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme ne serait-elle pas, en effet, l’achèvement de la construction de cette Europe de la paix, de la prospérité et de la protection des droits de l’Homme dont les pères fondateurs osaient à peine caresser la réalisation de leurs vœux ?
VERS UNE UNION PLUS ÉTENDUE ENTRE L’EUROPE DE
L’ÉCONOMIE ET L’EUROPE DES DROITS DE L’HOMME
Le Conseil de l’Europe est plus que jamais indispensable à l’Union européenne car il est bien l’incarnation du sens du projet européen dont elle a cruellement besoin pour répondre à la désaffection actuelle des peuples à son endroit.
Nous pourrions avoir la chance irremplaçable, grâce au processus d’adhésion, de renforcer nos liens avec le Parlement européen. Cette adhésion ne sera pas sans embûches. Les difficultés techniques, en particulier, le risque de jurisprudence divergente des deux cours, celle de Luxembourg et celle de Strasbourg, ne sont souvent que la face cachée d’une mauvaise grâce politique qu’il faudra lever.
L’optimisme doit être de mise. La construction de l’Europe du droit et le projet communautaire ont nécessité une forte dose de propension à l’idéal sans laquelle les deux organisations que sont le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne seraient pas nées. Ce ne sont pas ces quelques obstacles qui sauraient nous faire reculer maintenant que la voie se dessine vers une possible union plus étroite entre l’Europe économique et celle des droits de l’Homme.
La coopération entre ces deux institutions, renforcée par ces synergies nouvelles, ne saurait, néanmoins, se limiter à la construction d’une Europe du droit renforcée.
Le Conseil de l’Europe a clairement établi une politique de coopération envers toutes les démocraties émergentes. Coopération qui ne se limite pas au nouveau statut de "partenaire pour la démocratie", mais également à la possibilité d’adhérer à des organes du Conseil de l’Europe tels que la Commission de Venise dont la mission est d’assurer un conseil en matière constitutionnelle. L’Union européenne pourrait bénéfiquement profiter de cette nouvelle politique de voisinage.
La question du droit des femmes n’est-elle pas une question fondamentale pour nos démocraties ? À ce titre, ne paraît-il pas opportun de développer des partenariats pour que l’égalité entre les femmes et les hommes soit partout effective ? Favoriser la démocratie dans son voisinage immédiat ne peut en tout cas que constituer une priorité pour l’Europe.
Malgré une réussite apparente, la protection des droits de l’Homme reste plus que jamais d’actualité. Les difficultés engendrées par la crise économique et financière ne se manifestent pas uniquement à travers les sirènes du nationalisme et du protectionnisme mais également parfois par un recul de la protection de ces droits élémentaires.
MA PRÉSIDENCE DE L’ASSEMBLÉE
PARLEMENTAIRE (2012 - 2014)
Dés mon élection, le 23 janvier 2012, j’ai indiqué que mon action s’articulerait autour de trois grands axes :
- Donner toute sa place à notre assemblée parlementaire dans l’architecture européenne et internationale, en particulier en s’appliquant à ce que l’APCE et l’Union Européenne aient de vraies relations fondées sur le souci de réaliser des objectifs communs et en resserrant les liens avec les organisations parlementaires régionales.
- Contribuer à créer un climat de confiance en Europe qui soit propice à la résolution des situations de crise, des conflits gelés et plus généralement au développement de relations constructives entre les États membres du Conseil de l’Europe. La diplomatie parlementaire est le meilleur instrument dont dispose l’APCE pour atteindre ces objectifs.
- Rendre l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe plus "collective", plus participative et plus visible.
Le bilan de mon action s’inscrit donc autour de ces trois axes majeurs.
I - DONNER TOUTE SA PLACE À L’APCE SUR LE CONTINENT
EUROPÉEN ET DANS L’ARCHITECTURE INTERNATIONALE.
Donner toute sa place à l’APCE dans l’architecture européenne et internationale, c’est avant toute chose promouvoir nos outils auprès de nos partenaires internationaux, par exemple la Commission de Venise, afin de dégager des synergies et lancer des initiatives communes pour répondre aux défis auxquels l’Europe des 47 doit faire face.
Naturellement, je me suis concentré en premier lieu sur le développement de vraies relations de partenariat avec l’Union européenne, basées sur la complémentarité et l’harmonisation de nos positions politiques sur les dossiers clés. En même temps, je me suis efforcé de resserrer les liens de coopération avec les organisations internationales, notamment celles à vocation régionale.
Parallèlement, j’ai souhaité nouer des contacts solides et réguliers avec les 0rganisations non-gouvernementales internationales en général, et en particulier Human Rights Watch et Amnesty International.
AVOIR DE VRAIES RELATIONS AVEC L’UNION EUROPÉENNE
À l’occasion de mes nombreuses rencontres avec le président du Parlement européen, les présidents des groupes politiques, le président de la commission des Affaires étrangères, ainsi que les présidents des délégations nationales du Parlement européen, mon objectif était de comprendre la vision de nos collègues du Parlement européen, afin de mieux l’intégrer dans l’approche paneuropéenne de la coopération qui est celle du Conseil de l’Europe, et préparer au mieux mes visites sur le terrain dans nos 47 États membres.
J’ai aussi développé une relation de partenariat avec la Commission européenne, et plus particulièrement avec le commissaire européen en charge de la politique de voisinage et de l’élargissement.
DÉVELOPPER DES RELATIONS DE COOPÉRATION
AVEC LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES
AVEC L’ONU
J’ai rencontré à trois reprises, à New-York et à Strasbourg, le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon. Nous avons, à ces occasions, exprimé notre attachement à l’existence d’un partenariat fort entre le Conseil de l’Europe et les organes de l’ONU dans la protection et la promotion des droits de l’Homme universels, dans la gestion des crises et dans la recherche de la paix, en particulier sur les conflits gelés. Nous avons également souligné tous deux notre attachement à la défense des droits des femmes, sujet également abordé avec Mme Michelle Bachelet, secrétaire générale adjointe des Nations Unies chargée de l’égalité et de l’autonomisation des femmes.
Lors de chaque rencontre avec le secrétaire général des Nations unies, j’ai fait la promotion des campagnes du Conseil de l’Europe, à savoir la campagne "UN sur CINQ" du Conseil de l’Europe pour combattre la violence sexuelle à l’égard des enfants, ou encore la dimension parlementaire de la campagne visant à combattre la violence à l’égard des femmes. Mes interlocuteurs onusiens étaient unanimes pour saluer l’APCE comme un allié important dans la promotion de nos valeurs communes.
J’ai prôné une coopération renforcée sur des sujets d’intérêts communs et la recherche de synergies, afin de renforcer l’impact de nos organisations sur le terrain.
J’ai particulièrement salué la procédure d’examen périodique universel du respect des droits de l’Homme de l’ensemble des États membres des Nations Unies, conduite par le Conseil des droits de l’Homme, et souligné la nécessité d’une plus grande complémentarité entre les différentes procédures de suivi du Conseil de l’Europe et des Nations unies. Ces procédures existantes au niveau des Nations unies ont ainsi pu être adaptées et mise en place dans le cadre des procédures de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
J’ai également soutenu la proposition du haut-commissaire aux droits de l’Homme de créer une base de données communes, afin de "mutualiser" la jurisprudence en matière de droits de l’Homme des institutions des Nations Unies et du Conseil de l’Europe, ceci pour renforcer notre coopération afin d’assurer une meilleure cohérence d’approche entre les organes de monitoring thématiques du Conseil de l’Europe et des Nations unies.
AVEC L’ORGANISATION POUR LA SÉCURITÉ ET LA COOPÉRATION EN EUROPE (OSCE)
À l’occasion de la 21ème session annuelle de l’assemblée parlementaire de l’OSCE, j’ai eu l’occasion d’insister sur l’évidente complémentarité des deux assemblées en ce qui concerne l’observation des élections et la résolution des conflits gelés.
J’ai aussi invité nos partenaires à rechercher des synergies communes pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés dans la région du voisinage sud : la situation des réfugiés, nombreux, qui arrivent dans des conditions très précaires sur les côtes de la Méditerranée, les conséquences de la guerre en Syrie, les transformations démocratiques dans le sud de la Méditerranée et le Proche-Orient.
AVEC L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DE LA COMMUNAUTÉ DES ÉTATS INDÉPENDANTS (CEI)
Pour la première fois, un président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a rencontré le bureau de l’Assemblée interparlementaire (AIP) de la CEI, composé des présidents des parlements membres, à l’occasion de sa session plénière qui s’est tenue à Saint-Pétersbourg du 10 au 12 avril 2013.
À cette occasion j’ai participé à une conférence organisée par l’APCE et l’AIP de la CEI sur le thème "Le rôle des organisations parlementaires dans la construction d’une Europe sans clivages".
J’ai tenu une rencontre bilatérale avec Mme Valentina Matvienko, présidente du Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie et, également présidente de l’AIP-CEI, notamment pour discuter des différents aspects de la coopération entre l’APCE et le Conseil de la Fédération. Dans une déclaration faite conjointement avec Mme Valentina Matvienko à l’issue de la conférence, nous avons salué la coopération entre nos deux assemblées parlementaires, qui constitue un excellent exemple de diplomatie parlementaire. Parmi d’autres choses, nous avons également salué le fait que des consultations régulières soient désormais organisées entre les chefs des missions d’observation des élections de l’AIP-CEI et de l’APCE pour permettre des échanges de vues sur la campagne électorale et sur le déroulement du processus électoral.
En marge de la conférence, j’ai pu avoir des réunions bilatérales avec les présidents des parlements du Kirghizistan et du Kazakhstan, afin de faire le point sur l’état de la coopération avec ces deux parlements. J’ai également eu une réunion informelle avec la délégation du parlement du Bélarus qui participait à la conférence conjointe. J’ai souligné l’importance d’un dialogue, tout en précisant que tout avancement sur ce chemin n’était possible que si les autorités du Bélarus s’engageaient à respecter nos valeurs et nos standards.
Première retombée concrète de cette rencontre informelle : l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a été invitée à participer à Minsk à une réunion sur le thème "Religion et peine de mort".
AVEC LE CONSEIL NORDIQUE
À Oslo, le 4 avril 2013, j’ai eu un premier contact avec la présidente du Conseil nordique afin d’engager des actions concrètes pour dynamiser notre coopération.
Nous avons évoqué l’extrême importance du changement climatique du point de vue de l’environnement et de l’économie mondiale. Ainsi, l’ouverture à la navigation du passage du Nord-Est est de nature à réduire considérablement les temps de transport et donc à bouleverser l’économie mondiale. De même, il est évident que l’Artique est une région potentiellement extrêmement riche en ressources naturelles et que l’impact de leur exploitation sur l’environnement peut être fondamental. Sur toutes ces questions, le Conseil nordique possède une expertise de première main, très utile pour l’APCE dans ses travaux sur la question du changement climatique et du développement durable.
AVEC L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE DE LA MER NOIRE
A l’occasion de sa 41ème assemblée générale à Sofia, j’ai pu intervenir devant cette assemblée parlementaire et mettre l’accent sur l’intérêt d’une coopération entre nos deux assemblées, ainsi que sur la coopération dans le domaine culturel, ou la résolution des conflits gelés.
II - UNE DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE ACTIVE
À l’origine, en 1949, le Conseil de l’Europe avait été créé pour assurer la paix sur notre continent, pour que les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ne se reproduisent plus jamais. Il me semble donc qu’essayer d’apporter notre contribution à la résolution des conflits gelés - en appui de la diplomatie intergouvernementale et en concertation étroite avec celle-ci - relève de l’essence même de notre mission.
En même temps, une des missions principales du Conseil de l’Europe et de son assemblée est d’apporter à nos États membres un soutien et une expertise précieuse dans le processus de mise en œuvre des standards qui sont les nôtres, tout particulièrement au moment où nos États membres doivent faire face à des situations institutionnelles et politiques compliquées. Par conséquent, il est de notre devoir d’essayer, par la voie du dialogue, de trouver ensemble avec les autorités, ainsi qu’avec toutes les forces politiques, les solutions les plus adaptées au contexte local. C’est ce que j’ai essayé de faire à l’occasion de mes nombreux déplacements sur le terrain, souvent avec la précieuse assistance de mes collègues présidents des groupes politiques et rapporteurs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Par ailleurs, je me suis efforcé de poursuivre et valoriser les travaux de l’APCE dans la région de notre voisinage Sud de la Méditerranée et au Proche-Orient, afin de promouvoir un engagement politique avec les États concernés et apporter un soutien à tous ceux qui partagent les valeurs qui sont les nôtres et aspirent à adhérer aux standards développés au sein du Conseil de l’Europe.
De manière générale, au-delà de toute situation critique, je me suis efforcé d’entretenir un dialogue régulier avec tous les États membres et de poursuivre la politique de voisinage dynamique de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
LES CONFLITS GELÉS
Alors que le Conseil de l’Europe a été fondé pour garantir la paix et les droits de l’Homme en Europe, alors que le mur de Berlin est tombé en 1989, il m’est insupportable que des situations aussi inacceptables perdurent dans une relative indifférence...
LA TRANSNISTRIE
Je me suis rendu à trois reprises à Chisinau et à Tiraspol, en avril et décembre 2012, ainsi qu’en septembre 2013. Lors de mes déplacements, j’ai fait en sorte de rencontrer les autorités de facto de cette région de Transnistrie. À chaque reprise, mon souci a été, sans interférer d’aucune manière avec les travaux du groupe "5 + 2", de faciliter par la diplomatie parlementaire le développement des relations entre les deux parties. C’est pour cette raison que mes déplacements en Transnistrie ont été organisés dans le cadre de mes visites de travail en République de Moldavie, lors desquelles j’ai rencontré à Chisinau les autorités du Pays, les représentants de toutes les forces politiques, la Mission de l’OSCE ainsi que les représentants de la communauté internationale.
Mon objectif était de contribuer à relancer un dialogue entre les élus des deux rives du Dniestr, en utilisant la plateforme de l’APCE. Mes discussions m’ont convaincu qu’il y avait une opportunité devant nous, notamment, grâce aux efforts de la présidence ukrainienne de l’OSCE.
LE CONFLIT DU HAUT-KARABAKH
Je me suis naturellement attaché à apporter ma contribution à la résolution de ce conflit en organisant tout d’abord, sous mon égide, des rencontres régulières entre les présidents des délégations azérie et arménienne. Lors de la session de juin 2013, j’ai pu, pour la première fois depuis l’adhésion de leurs pays au Conseil de l’Europe, réunir les deux délégations parlementaires.
Je tiens à féliciter tout particulièrement les deux présidents des délégations concernées, ainsi que tous les membres de leurs délégations respectives, de leur attitude constructive et de leur ouverture au dialogue. Bien évidemment, de nombreux désaccords existaient encore entre les délégations et certaines questions sensibles suscitaient beaucoup d’émotion. Cependant, le fait que les membres des deux délégations aient accepté d’évoquer ces questions, de manière ouverte et courtoise, démontrait leur souhait d’avancer malgré les divergences d’opinions.
La principale conclusion de cette rencontre : l’accord des deux délégations de se rencontrer de nouveau en marge des prochaines parties de session de l’APCE. Ainsi notre assemblée aurait pu apporter sa contribution au rétablissement du climat de confiance et de dialogue entre les élus d’Arménie et d’Azerbaïdjan, nécessaires pour avancer dans la recherche d’une solution pacifique au conflit du Haut-Karabakh...
Par ailleurs, je me suis rendu en Arménie et en Azerbaïdjan en mai 2013. À cette occasion, j’ai rappelé à tous mes interlocuteurs que la présidence arménienne du Comité des ministres du Conseil de l’Europe (16 mai - 14 novembre 2013), suivie en mai 2014, de la présidence azérie, devait représenter une chance pour la paix entre ces deux États membres. L’année 2013 marquant en outre le cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, qui a scellé la réconciliation entre l’Allemagne et la France, exemple à suivre pour ces deux pays du Caucase du sud...
J’avais bien précisé qu’il n’entrait aucunement dans mes intentions de concurrencer de quelque manière que ce soit le groupe de Minsk de l’OSCE, avec qui j’entretenais un contact régulier, mais simplement d’accompagner son action au niveau parlementaire.
« Je reste convaincu qu’avec de la persévérance
et en privilégiant le dialogue, nous aurions pu trouver
une solution pacifique au conflit dramatiquement
meurtrier du Haut-Karabagh. »
J’ai quitté mes fonctions de président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 27 janvier 2014, avec beaucoup de regrets, estimant qu’une période de deux années est beaucoup trop brève pour mettre en place une politique dynamique et active à la tête d’une telle organisation. Je reste convaincu qu’avec de la persévérance et en privilégiant le dialogue, nous aurions pu trouver une solution pacifique à ce conflit dramatiquement meurtrier.
Il est vraiment regrettable qu’au terme de leurs mandats les anciens présidents de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne puissent plus poursuivre leurs actions auprès de leurs successeurs. Un secrétaire général du Conseil de l’Europe et un secrétaire général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ne sont pas limités en nombre de mandats successifs qu’ils peuvent exercés, contrairement aux Élus qui ne sont pas autorisés à assumer plus de deux années la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe !
LA GEORGIE
Je me suis rendu en Géorgie en mai 2013. Là également, j’ai appelé de mes vœux une résolution pacifique des conflits d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, en mettant l’accent sur les conséquences humanitaires, en particulier les personnes déplacées, compétence première de l’APCE.
UNE ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE RÉACTIVE
Même si l’APCE ne se réunit en séance plénière que quatre fois par an, l’actualité exige des réponses immédiates. Il est donc important que les organes de cette assemblée, président, comité présidentiel, bureau, puissent réagir aux situations institutionnelles et politiques difficiles dans nos États membres, afin de leur apporter le soutien politique approprié et de s’assurer que les standards de notre organisation soient respectés. Je mentionne ci-après quelques exemples de réactions rapides de notre assemblée à des développements politiques dans nos États membres qui ont eu lieu au cours des deux années durant lesquelles j’ai présidé l’APCE :
- La crise politique en Roumanie de 2012
- La Grèce et la difficile et douloureuse question des migrants et des réfugiés
- L’Ukraine et l’indépendance de la justice
- La Serbie et le Kosovo
- L’ex-république yougoslave de Macédoine aujourd’hui enfin dotée d’un nom : la Macédoine du Nord
- La Bulgarie et les indispensables réformes nécessaires
POURSUIVRE UNE POLITIQUE DE VOISINAGE DYNAMIQUE
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a déjà accordé le statut de "partenaire pour la démocratie" au parlement du royaume du Maroc, au Conseil national de la Palestine, et aux parlements de la Jordanie et du Kirghizstan. Le Canada, Israël, le Mexique et le Vatican ont le statut d’observateurs. Cela démontre l’intérêt que nos voisins, et bien au-delà, portent à nos standards. Le Conseil de l’Europe et son assemblée doivent continuer une politique d’ouverture et d’engagement dans nos régions de voisinage afin de répondre de façon adéquate aux défis du XXIème siècle.
Dans ce contexte, j’ai effectué une visite officielle en Tunisie, du 28 au 31 octobre 2012, conjointement avec le président du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et le président de la Commission de Venise. Suite à ma visite, le président de l’Assemblée constituante de Tunisie est venu à Strasbourg s’exprimer devant notre Assemblée.
J’ai également effectué une visite officielle au Maroc du 5 au 7 décembre 2012. Lors des rencontres avec les présidents des deux chambres, j’ai salué la coopération exemplaire du parlement marocain et de l’APCE. Nous avons aussi discuté de l’éventuelle contribution de l’APCE à la résolution du conflit du Sahara occidental.
J’ai effectué une visite officielle en Algérie du 17 au 19 juin 2013. J’ai notamment invité mes interlocuteurs à intensifier leurs relations avec les différents organes du Conseil de l’Europe et à réfléchir à l’intérêt que pourrait présenter pour eux le statut de "partenaire pour la démocratie". J’ai salué l’engagement de l’Algérie en faveur de l’égalité des sexes. Nous avons également abordé la situation en Syrie, en Libye ainsi qu’au Sahara occidental.
Dans un contexte plus général, c’est avec une conscience aiguë de l’importance de ce qui se passe au sud de la Méditerranée, qui nous concerne tous, que j’ai soutenu cette politique de voisinage et ai notamment participé, en novembre 2013, au Forum de Lisbonne organisé par le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe. À cette occasion, j’ai souligné notre rôle en tant que représentants de la plus ancienne organisation paneuropéenne, et rappelé que nous avions vocation à mettre notre expertise au service des États du sud de la Méditerranée, en prenant en compte les spécificités de chacun.
Par ailleurs, je suis convaincu que la politique de voisinage du Conseil de l’Europe ne doit pas se limiter au sud de la Méditerranée. Je pense en particulier à nos relations avec nos partenaires à l’Est.
En janvier 2013, c’est dans cet esprit que j’ai eu une rencontre de travail très fructueuse avec M. l’ambassadeur de Chine en France pour évoquer de possibles rapprochements entre l’Assemblée nationale populaire de la Chine et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe comme je l’avais déjà préconisé dans un Rapport que j’avais présenté en 2008.
« Notre organisation compte aujourd’hui parmi
ses membres tous les États européens, sauf un : le Bélarus.
Je suis convaincu que le Bélarus a vocation à faire partie
de notre projet paneuropéen. »
Notre organisation compte aujourd’hui parmi ses membres tous les États européens, sauf un : le Bélarus. Je suis convaincu que le Bélarus est un État européen qui a vocation à faire partie de notre projet paneuropéen. Par conséquent il est essentiel de dialoguer avec le Bélarus, en posant clairement nos exigences en termes de droits de l’Homme et de démocratie.
J’ai rencontré à plusieurs reprises le vice-président du parlement du Bélarus, ainsi que les parlementaires biélorusses participant aux réunions de la commission des affaires politiques et de la démocratie de l’APCE. Mon objectif était de persuader les autorités de s’engager sur la voie du rapprochement avec le Conseil de l’Europe, en prenant des mesures concrètes, comme par exemple la mise en place d’un moratoire sur la peine de mort et de coopérer pleinement avec l’APCE.
Compte tenu de l’importance des droits de l’Homme pour le Conseil de l’Europe et le Vatican, le Saint-Siège étant d’ailleurs observateur auprès de l’Organisation, il m’a semblé aller de soi d’essayer de renforcer les liens entre nous, afin de partager en particulier nos réflexions sur ces problématiques.
Je me réjouis de l’audience privée que le pape François m’a accordée le 11 octobre 2013 à Rome. À cette occasion, j’ai beaucoup insisté sur l’humanisme et les droits de l’Homme. Nous avons également abordé la question de la situation des migrants et des réfugiés. J’ai aussi invité le Saint-Père à venir s’exprimer devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce qu’il fit le 25 novembre 2014.
RENFORCER LA COOPÉRATION AVEC TOUS LES ÉTATS MEMBRES
Même si j’ai privilégié certaines destinations en fonction de mes priorités, je me suis efforcé de me rendre dans pratiquement tous les États membres du Conseil de l’Europe.
Le 22 janvier 2018, le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, M. Michele Nicoletti, m’a officiellement remis mon diplôme de président honoraire de cette assemblée.
CONCLUSION
En conclusion, je dirai que beaucoup d’initiatives ont été engagées durant mon mandat et que certaines ont porté leurs fruits. Je pense en particulier aux mesures tendant à associer plus étroitement les parlementaires au fonctionnement de leur assemblée, car celle-ci est bien LEUR assemblée, ainsi qu’aux efforts déployés en vue de la participation plus étroite des présidents de commission et des présidents de délégation nationale au processus de décision. Il est impératif de poursuivre dans ce sens.
En même temps, j’ai la conviction qu’ensemble - rapporteurs, leaders des groupes politiques et présidents des commissions, ainsi que chaque membre de l’APCE - nous sommes parvenus à rendre notre assemblée plus présente et plus pertinente en termes politiques sur le terrain, en réponse à de nombreux défis auxquels notre organisation est confrontée : le renforcement de notre système paneuropéen de protection des droits de l’Homme, la situation des migrants et des réfugiés, les situations institutionnelles et politiques sensibles auxquelles nos États membres doivent faire face.
Nos relations avec l’Union européenne demeurent à la fois un sujet de satisfaction et d’insatisfaction : des progrès ont été enregistrés, en particulier avec le commissaire européen pour le voisinage. Néanmoins il reste beaucoup à faire, afin de créer des véritables synergies entre les projets du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Je suis persuadé que les fondements de ce processus ont été posés et j’espère que la poursuite de ce rapprochement conduira, au fur et à mesure, les deux grandes organisations européennes à coopérer efficacement pour la réalisation de leurs objectifs communs au niveau paneuropéen.
S’agissant des conflits gelés, ma préoccupation constante a été de renouer le dialogue entre les différentes parties. Durant ces deux années nous avons réussi à favoriser la confiance mutuelle entre les différentes parties et de ce point de vue je suis certain que nous réaliserons d’autres avancées.. Même s’il est évident que nous souhaitons tous des progrès rapides, nous savons pertinemment qu’il faut donner du temps au temps afin d’avancer pas à pas.
Je suis convaincu que nous avons emprunté la bonne voie.
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« Croire en l'Amérique, rassembler le peuple américain : le défi de Joe Biden », par P.-Y. Le Borgn'
Il y a une semaine tout juste, le peuple américain se mobilisait massivement pour élire son prochain président, après quatre années d’un règne Trump clivant et pour le moins controversé. La victoire du ticket démocrate formé par Joe Biden et Kamala Harris, incertaine pendant de longues heures, s’est révélée nette, tant sur le plan du vote populaire que du collège électoral, même si de son côté, l’actuel locataire de la Maison Blanche a également été gratifié de scores impressionnants.
Ce résultat, beaucoup de gens l’espéraient, notamment parmi les progressistes, aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Biden le libéral modéré succédera à Trump, le conservateur revanchard. Une chance, peut-être, de panser un peu les plaies de la division, aujourd’hui très vives en Amérique ; une chance aussi de redonner toute sa place, et toutes ses responsabilités, sur la scène diplomatique, à la plus grande puissance mondiale.
Peu après la confirmation de la victoire de l’ex-vice-président d’Obama, j’ai souhaité proposer à Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député des Français de l’étranger et fidèle de Paroles d’Actu, de nous livrer, par un texte inédit, son ressenti et ses espoirs suite à cette élection. Je le remercie d’avoir une nouvelle fois accepté mon invitation. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLU PAROLES D’ACTU - SPÉCIAL USA 2020
Joe Biden et Kamala Harris, discours de victoire. Photo : Carolyn Kaster/AP.
Croire en l’Amérique, rassembler le peuple
américain : le défi de Joe Biden
par Pierre-Yves Le Borgn’, le 9 novembre 2020
Comme bien d’autres, j’ai suivi la nuit des élections américaines le nez collé aux sites du Washington Post et de CNN. J’aime profondément les États-Unis. J’ai eu la chance d’y travailler deux années au sortir des études. Cela reste un moment de vie fort pour moi, comme une période initiatique, dont je me souviens avec émotion. Les États-Unis me sont chers par leur histoire, celle de la liberté et du droit, et aussi par leur diversité humaine. Il y a une force, une volonté, un dynamisme aux États-Unis qui ne cessent de me toucher. C’est une partie du rêve américain. Mais la vie y est dure pour des millions de gens, confrontés à la pauvreté, aux injustices, à la faiblesse de la couverture sociale et à un racisme latent dont la mort tragique de George Floyd l’été dernier aura été la plus tragique et insupportable expression.
J’ai assisté par deux fois, à Washington, à la prestation de serment d’un président américain. La première fois, c’était en janvier 1997 pour le second mandat de Bill Clinton. La seconde fois fut en janvier 2009 pour le premier mandat de Barack Obama. J’avais envie de vivre, au milieu de la foule rassemblée dans le froid polaire de l’hiver américain, ce que ce moment de ferveur que l’on voit tous les quatre ans à la télévision, au chaud depuis chez nous, était vraiment. Je m’étais acheté un billet d’avion et j’étais parti là-bas exprès. C’était très émouvant, en particulier pour la prestation de serment de Barack Obama. Je l’avais raconté en 2016 sur mon blog. La solennité de l’instant m’avait impressionné. Le sentiment de vivre un moment d’histoire était immense. Je garde précieusement le petit bonnet Obama 2008 dont je m’étais couvert.
« Je trouve terrifiant d’imaginer qu’un homme
dépourvu de scrupules, impulsif, menteur,
narcissique, raciste, misogyne et démagogue
ait pu présider au destin de ce pays... »
Je suis heureux et soulagé que Joe Biden l’ait emporté. Sa victoire est incontestable, même si elle a pris plusieurs jours à se dessiner. Par tempérament, par sensibilité politique également, tout m’incline à suivre le Parti démocrate. J’ai aussi des amis républicains. Je conçois volontiers que l’on puisse être conservateur par conviction, économiquement et socialement. Ce que je ne puis comprendre en revanche, c’est que ceci se double d’insensibilité et de cynisme revendiqué. Or, c’est précisément cette face-là que Donald Trump a affichée pendant 4 ans. Je trouve terrifiant d’imaginer qu’un homme dépourvu de scrupules, impulsif, menteur, narcissique, raciste, misogyne et démagogue ait pu présider au destin de ce pays, semant le chaos, dressant les gens les uns contre les autres, vivant dans le déni de la tragédie sanitaire comme désormais du résultat même de l’élection.
Aux premières heures du 4 novembre, voyant filer la Floride vers Donald Trump, j’ai cru revivre, avec angoisse le scénario de 2016. Puis la prise en compte différée du vote anticipé, en fonction des législations des États concernés, a permis peu à peu de redresser la barre en faveur de Joe Biden, jusqu’à la victoire en Pennsylvanie samedi et le gain d’une majorité absolue dans le collège électoral. Cette élection a-t-elle été volée, comme le soutient Donald Trump ? Absolument pas. Les électeurs, dans un contexte de pandémie, ont fait le choix du vote anticipé pour ne prendre aucun risque. Ils voulaient s’exprimer et les manœuvres dilatoires du président pour leur dénier le droit de voter ou la prise en compte de leur suffrage sont indignes. Cette élection rentrera dans l’histoire comme celle qui aura vu la plus forte participation électorale avec près de 67%, preuve de l’enjeu et de sa perception.
Joe Biden sera sans doute élu avec 306 voix sur 538 dans le collège électoral. Dans le vote populaire, lorsque le dernier bulletin de vote aura été compté, son avance excédera 5 millions de voix. Jamais un candidat démocrate n’aura obtenu autant de suffrages. Mais jamais aussi un candidat républicain n’aura reçu autant de suffrages que Donald Trump. En 2020, même battu, il compte 7 millions de suffrages de plus qu’en 2016. Cela veut dire que le trumpisme, avec toutes ses outrances, y compris dans la libération de la parole de haine, a rencontré un écho dans le pays, en particulier dans les zones rurales à majorité blanche, dans les petites villes et dans les milieux évangéliques. Donald Trump est parvenu à balayer en 2020 plus encore qu’en 2016 la ligne traditionnelle du Parti républicain, certes conservatrice sur le droit à la vie ou le port d’arme, mais modérée sur d’autres aspects.
Il faudra à Joe Biden tout le talent d’une longue vie politique, en particulier au Congrès, pour rassembler un pays divisé comme jamais. Cette victoire est d’abord la sienne. Aucun autre candidat démocrate n’aurait pu l’emporter. Son empathie personnelle, la solidité de ses propositions au centre de la vie politique et une résilience sans faille face aux circonstances inédites de cette élection ont fait la différence. Mais s’il est parvenu à reconstruire le « blue wall » dans les États industriels du nord-est des États-Unis, ceux-là même que Donald Trump était parvenu à arracher à Hillary Clinton en 2016, il n’a pas pour autant retrouvé la coalition Obama de 2008 et 2012, en particulier le vote latino. Donald Trump est parvenu à capter le vote des électeurs d’origine cubaine en Floride. Et le score de Joe Biden au Nevada, y est en retrait par rapport à celui de Hillary Clinton il y a 4 ans.
Joe Biden comptera sur le soutien d’une Chambre des représentants où le Parti démocrate, bien qu’en retrait de quelques sièges, reste majoritaire. Au Sénat en revanche, malgré les deux seconds tours en janvier en Géorgie, le Parti républicain devrait garder la main. Cela veut dire qu’il n’y aura d’issue que dans des « deals ». Ce sera jouable si la volonté de part et d’autre existe de placer le pays et son intérêt supérieur devant la politique partisane. Les circonstances le requièrent. Le rassemblement voulu par Joe Biden et la volonté de prendre en compte la parole du camp d’en face doivent y conduire. À supposer qu’une part des sénateurs républicains et autres candidats putatifs à l’élection de 2024, déjà dans certaines têtes, ait le courage de s’affranchir de l’ombre probablement bruyante de Donald Trump pour sortir avec le président Biden les États-Unis de la crise économique et sanitaire.
En appeler au patriotisme et au dépassement est le chemin que prendra Joe Biden. Là où Donald Trump n’agissait que pour son camp, Joe Biden s’adresse à tous les Américains. À l’évidence, la maîtrise de la pandémie sera sa première priorité, en particulier par le dépistage généralisé et l’accès de tous au vaccin lorsqu’il sera disponible. En parallèle viendra la relance de l’économie américaine par un plan inédit de dépenses publiques et d’investissements dans des secteurs comme l’école, les infrastructures, les programmes sociaux ou encore les énergies renouvelables. Le salaire minimal sera doublé à l’échelle fédérale. Le plan de relance visera aussi à réduire la fracture raciale et les écarts de revenus. Prolongeant l’Obama Care, un assurance santé sera mise en place au profit des quelque 28 millions d’Américains privés aujourd’hui encore de couverture maladie.
Pour nous, Européens, l’action internationale de l’administration Biden sera essentielle. Joe Biden a promis le retour des États-Unis dans l’accord de Paris sur le climat et dans l’ensemble des organisations multilatérales abandonnées ou malmenées durant le mandat de Donald Trump. De cette Amérique-là, active et engagée, nous avons tant besoin. Pour autant, Joe Biden restera vigilant quant à la défense des intérêts américains, en particulier en termes commerciaux, et il est à prévoir que la position des États-Unis en relation à la Chine, mais également à l’Union européenne ne changera pas considérablement de ce point de vue. C’est pour cela qu’il ne faut pas surinterpréter non plus le réengagement américain sur la scène internationale. Mais une Amérique empathique, qui joue le jeu et qui reparle en bien au monde, ce sera déjà un pas considérable face aux défis de notre temps.
« En 2016, brisé par la douleur causée
par le décès de son fils, il avait renoncé.
En 2020, à près de 78 ans, Joe Biden y est allé,
et il a gagné. C’est une formidable leçon de vie. »
Au bout d’une vie publique de près d’un demi-siècle, Joe Biden deviendra le 20 janvier 2021 le 46ème président des États-Unis. Il fut un sénateur respecté et un vice-président déterminant durant les deux mandats de Barack Obama. La vie publique est faite de hauts, de bas, de longueurs, d’espoirs entretenus et déçus, de drames aussi. J’avais été bouleversé par le livre écrit par Joe Biden après la mort de son fils Beau, Attorney General du Delaware. Son titre est « Promise me, Dad ». La promesse qu’attendait son fils, c’est que son père tente une dernière fois de conquérir la Maison Blanche. En 2016, brisé par la douleur, il avait renoncé. En 2020, à près de 78 ans, Joe Biden y est allé, et il a gagné. C’est une formidable leçon de vie. Ne jamais renoncer, croire en l’Amérique, rassembler le peuple américain. C’est à Joe Biden désormais qu’il appartient d’écrire la suite de l’histoire.
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« La parole publique au défi du Covid », par Pierre-Yves Le Borgn'
Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député des Français de l’étranger (entre 2012 et 2017), est bien connu des lecteurs réguliers de Paroles d’Actu. Il a été, depuis notre première interview de 2013, la personnalité politique que j’ai le plus souvent interrogée, toujours avec plaisir, pour ce site. Il y a quelques semaines, dans un contexte de fin de confinement, j’ai souhaité lui accorder, une fois de plus, une tribune libre pour évoquer, via l’angle de son choix, l’exceptionnelle expérience vécue collectivement. Son texte, dont je le remercie, est un focus pertinent sur l’importance et l’impact de la parole publique en ces temps troublés, et un message, un appel directement adressés à nos dirigeants. Exclu, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
« La parole publique au défi du Covid »
par Pierre-Yves Le Borgn, le 1er juin 2020
En ces premiers jours du mois de juin, la France sort pas à pas du confinement imposé durant près de deux mois en réponse à la pire pandémie qu’elle ait connu en un siècle. Les nouvelles communiquées par le Premier ministre Édouard Philippe il y a quelques jours sont encourageantes. Rien n’est certes encore gagné, mais la pandémie recule. Il n’en reste pas moins qu’une redoutable crise économique et sociale nous attend, dont la portée et l’ampleur seront malheureusement inédites. À la fin de cette année maudite, ce seront sans doute plus d’un million de Français supplémentaires qui auront rejoint les chiffres des demandeurs d’emploi. Pareille perspective est une bombe à retardement, une catastrophe pour la société française, déjà minée par nombre de fractures sociales, territoriales et générationnelles révélées par la crise des gilets jaunes, le mouvement contre la réforme des retraites et le drame sanitaire du printemps.
« On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale
qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide. »
Derrière cela, il y a un pessimisme, un marasme, une défiance, une crise morale qui viennent de loin. Deux livres, chacun à leur manière, le présentaient remarquablement il y 4 ou 5 ans : Comprendre le malheur français, de Marcel Gauchet, et Plus rien à faire, plus rien à foutre, de Brice Teinturier. Leur lucidité d’analyse m’avait impressionné. Ainsi, le diagnostic avait quelque part déjà été fait. En a-t-on seulement tenu compte ? Là est la question, à laquelle il faut lucidement reconnaître qu’une réponse insuffisante a été apportée. La peur du déclassement travaille pourtant la société française depuis longtemps et elle progresse de jour en jour. Notre société est l’une des plus pessimistes, si ce n’est la plus pessimiste d’Europe. Des moments difficiles, beaucoup de pays en ont traversé. Ils ont su pourtant se redresser, chacun à leur manière. Et nous ? On ne peut ignorer plus longtemps la colère sociale qui gronde, les souffrances et les appels à l’aide.
Dans ce contexte, la parole publique est essentielle. Elle doit avoir du crédit, de la force. Malheureusement, la polémique sur les masques l’a mise à mal. La défiance se nourrit de petits arrangements coupables et ravageurs avec la vérité. Il n’y avait pas suffisamment de masques. Pourquoi le gouvernement ne l’a-t-il pas dit, plutôt que de laisser entendre que les masques ne servaient à rien avant, poussé par la réalité, de devoir se raviser ? Autre erreur : annoncer un samedi soir la mise à l’arrêt de toute l’économie française et le confinement de 66 millions de personnes tout en leur demandant d’aller voter le lendemain pour les élections municipales. L’incohérence était flagrante. Les Français ont eu le sentiment d’être infantilisés, méprisés, qu’on leur mentait ou qu’on leur cachait quelque chose. Le complotisme y a trouvé matière à prospérer. Et derrière la perte de sens de la parole publique, c’est toute l’efficacité de l’action publique qui est affectée.
Il faut trouver le mot et le ton justes. Il faut pouvoir écouter, expliquer et justifier. De ce point de vue, ce quinquennat, comme les précédents, n’a pas à ce jour répondu aux attentes. À deux ans de son terme, le pourra-t-il ? L’optimisme farouche d’Emmanuel Macron, sa détermination à faire bouger les lignes et mettre en mouvement l’économie et la société ont été desservi par une pratique excessivement verticale, distante et centralisée du pouvoir. Le Président est en surplomb des Français, là où il devrait être avec eux et parmi eux. Jamais le sens des réformes n’a été suffisamment présenté, comme si cela n’avait pas été jugé nécessaire. C’est une erreur profonde. Aucune réforme n’est efficace ni durable sans appropriation par tout ou partie des Français. La parole publique souffre d’être tour à tour rude, vague, lointaine ou lyrique. La question n’est pas de parler fort, trop ou trop peu, elle est de parler juste et de parler vrai.
« Il faut trouver une expression et un ton
qui fédèrent derrière l’immensité des efforts
à accomplir et la direction à prendre. »
La France est un pays que l’on doit sentir. Je suis convaincu que les Français peuvent entendre la réalité, même si elle est dure, pour peu que l’on mêle à l’exercice de la parole publique la sobriété, le souci didactique, la simplicité de l’échange et la volonté de rassurer par l’exercice de la vérité. C’est ce que le Premier ministre Édouard Philippe est parvenu à faire ces dernières semaines et cet engagement doit inspirer. C’est ce qui fait en Allemagne depuis des années la force de la Chancelière Angela Merkel. On ne sortira pas notre pays de la crise sans l’adhésion d’une majorité de Français. Il faut pour cela trouver une expression et un ton qui fédèrent derrière l’immensité des efforts à accomplir et la direction à prendre. Le défi, c’est la capacité de la France de se réinventer, de reprendre une marche en avant émancipatrice pour chacun, solidaire et créatrice de sens pour tous. Beaucoup se joue maintenant et pour longtemps. Plus que jamais, l’unité de la parole publique doit y contribuer.
Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député des Français de l’étranger (2012-2017).
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« Commémorer 1918 n'est pas tourner une page, c'est apprendre du passé pour construire l'avenir », par Pierre-Yves Le Borgn'
À quatre jours du centième anniversaire de l’Armistice qui mit fin aux combats de la Première Guerre mondiale, et au lendemain de la publication de l’interview de Sylvain Ferreira sur les derniers feux de l’armée allemande, j’ai l’honneur de vous proposer un texte totalement inédit, dont j’ai proposé l’idée dans son principe à l’ex-député Pierre-Yves Le Borgn’, fidèle de ce site. M. Le Borgn’ fut, de 2012 jusqu’à 2017, l’élu de la septième circonscription des Français établis à l’étranger, soit, notamment : l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, et la Hongrie. Certains de ces États constituaient il y a cent ans le cœur du camp ennemi, celui des Empires centraux. D’autres allaient obtenir leur indépendance à la faveur de l’effondrement des puissances vaincues. Une partie importante des drames de l’Europe contemporaine s’est jouée en ces terres, en ces heures ici d’abattement profond, là de soulagement intense, qui dissimulaient mal les nouvelles tragédies à venir. Je remercie chaleureusement Pierre-Yves Le Borgn’, homme d’engagements forts, pour cette contribution touchante et qui, bien que lucide, est porteuse d’un message d’espoir. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
« Commémorer le centenaire de l’Armistice
de 1918 n’est pas tourner une page, c’est
apprendre du passé pour construire l’avenir. »
Par Pierre-Yves Le Borgn’, ancien député, le 1er novembre 2018.
Petit tour avec mes deux garçons, Marcos et Pablo, dans le village de mon enfance,
Quimerc’h (Finistère), le 1er novembre. Je leur ai montré le Monument aux morts de la
Guerre de 1914-18, leur expliquant pourquoi il avait été construit. Ils étaient très intéressés.
Le 11 novembre, j’accrocherai un petit bleuet à ma boutonnière, comme tous les ans et avec la même émotion. Cette commémoration de l’armistice de 1918 aura pourtant une force particulière : elle sera celle du centenaire. Voilà un siècle en effet que les armes se seront tues après quatre années de feu, de drames et de sang. Terrible guerre que ce premier conflit mondial, avec près de 19 millions de morts, d’invalides et de mutilés, dont 8 millions de victimes civiles. Une tragédie qui se lira tout au long du siècle dans la pyramide des âges et que racontent à ce jour encore les monuments érigés dans chaque ville et village, avec la liste des enfants tombés au champ d’honneur, tombés loin, sans parfois qu’une sépulture n’ait pu leur être donnée. Enfant, le voisin de ma grand-mère était un grand mutilé de guerre. Il m’impressionnait. Il me touchait aussi par le peu qu’il disait et surtout par ce qu’il ne disait pas. J’ai voulu parler de lui, rendre hommage à son souvenir et par lui finalement à tant d’autres dans l’un de mes derniers discours de député à l’automne 2016 en Allemagne. Le visage de cet homme humble et digne reste dans ma mémoire comme le symbole d’une rupture ou d’un passage : tout un monde avait disparu avec la Première Guerre mondiale, un autre arrivait et un siècle nouveau avec lui, mais était-ce pour le meilleur ?
« Enfant, le voisin de ma grand-mère était un grand mutilé
de guerre. Il m’impressionnait. Il me touchait aussi par
le peu qu’il disait et surtout par ce qu’il ne disait pas. »
Souvenons-nous de cette phrase du Président du Conseil Georges Clémenceau, le Tigre, au Général Henri Mordacq au soir du 11 novembre 1918 : « Nous avons gagné la guerre et non sans peine. Maintenant, il va falloir gagner la paix et ce sera peut-être encore plus difficile ». La suite a tristement et tragiquement donné raison à Georges Clémenceau. Au matin du 11 novembre 1918, quelques heures après la signature de l’armistice dans la forêt de Rethondes, les cloches sonnaient à pleine volée. À quoi pensait-on si ce n’est à la fin des souffrances ? Au retour des soldats, à l’avenir à construire, aux familles à réunir à nouveau, aux chagrins avec lesquels il faudrait vivre. C’était si compréhensible, si juste également. Tant d’espoirs, tant d’attentes et, somme toute, tant d’illusions aussi, nourries par ces années de souffrance, avec le risque que le silence des armes puisse être confondu avec la paix. Or, la paix était un autre type de combat, dès lors qu’il s’agissait de bannir les nationalismes, de construire le droit international et d’assurer par une organisation mondiale, la Société des Nations, les bases de la paix future. Ce combat-là, consacré par le Traité de Versailles en juin 1919, ne fut pas gagné. Des clauses inappliquées, des prétentions inapplicables, une organisation internationale qui sombre peu à peu. Et la montée au tournant des années 30 du fascisme et du nazisme, à mesure que les démocraties se couchaient.
« Tant d’espoirs, tant d’attentes, et tant d’illusions aussi,
nourries par ces années de souffrance, avec le risque
que le silence des armes puisse être confondu avec la paix. »
Je me suis souvent interrogé sur les conditions de la paix, les conditions de toute paix. Je l’ai fait comme étudiant, puis comme citoyen et durant cinq années comme parlementaire. Faut-il, par crainte de perdre la paix, accepter le fait accompli, l’agression à l’égard d’un peuple ou d’un pays, la violation caractérisée du droit ? La paix commande de faire un pas l’un vers l’autre, au-delà de la qualité de vainqueur ou de vaincu, de vouloir dépasser tous les atavismes et donner une chance à l’avenir en l’organisant par le droit. La paix entre la France et l’Allemagne, que des siècles d’affrontements condamnaient à l’hostilité, s’est forgée grâce au courage de quelques hommes d’État, en particulier Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, et par la mobilisation formidable de la société civile. Elle s’est construite par le partage du charbon et de l’acier, puis par l’intégration des États d’Europe dans un processus fédéraliste que je veux croire irréversible. Rien de cela malheureusement n’était encore imaginable aux lendemains du 11 novembre 1918. Il aura fallu deux conflits mondiaux, l’un découlant pour partie de l’autre, pour que l’Europe se prenne en main et pose les bases d’un monde nouveau autour des valeurs de liberté et de solidarité. Mais la paix, c’est aussi la fermeté et l’intransigeance, c’est un combat pour le droit et le respect du droit se défend, fut-ce au prix de tensions comme la situation en Ukraine nous le rappelle.
« Faut-il, par crainte de perdre la paix, accepter
le fait accompli, l’agression à l’égard d’un peuple
ou d’un pays, la violation caractérisée du droit ? »
Vouloir la paix n’est pas baisser la garde. C’est rester vigilant, demeurer imaginatif, agir pour le droit et par le droit. C’est vivre avec l’idée que la folie, le mépris, les envies et les haines peuvent surgir à nouveau. L’époque que nous traversons n’est pas sans inquiéter. En octobre 1938, juste après les accords de Munich, Winston Churchill, s’adressant au Premier ministre britannique Neville Chamberlain, avait eu cette phrase terriblement prémonitoire : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». C’est avec l’histoire au cœur, ses tragédies et ses fulgurances aussi, qu’ému, je penserai le 11 novembre aux victimes de la Première Guerre mondiale. Député, parcourant les Balkans occidentaux, je m’arrêtais dans tous les cimetières français du front d’Orient pour honorer, ceint de l’écharpe tricolore, les nôtres tombés là-bas, pour qu’ils ne soient pas oubliés. Ces moments étaient forts. Commémorer un centenaire n’est pas tourner une page. C’est apprendre du passé. Il n’y a pas de fatalité à ce que des générations soient sacrifiées, des jeunesses fauchées, des vies brisées. Je n’oublie pas que je suis le fils d’une pupille de la Nation. Je sais ce que « mort pour la France » veut dire. Je l’ai lu toute ma jeunesse sur une tombe qui me raconte l’histoire des miens. Et c’est pour cela, avec tant d’autres, par millions, chez nous et ailleurs, que j’ai mis depuis toujours mes espoirs et mes rêves dans la construction de l’Europe. L’avenir, c’est le droit. L’avenir, c’est l’Europe.
« Il n’y a pas de fatalité à ce que des générations
soient sacrifiées, des jeunesses fauchées, des vies brisées.
Je sais ce que "mort pour la France" veut dire. Et c’est
pour cela, avec tant d’autres, que j’ai mis depuis toujours
mes espoirs et mes rêves dans la construction de l’Europe. »
Photo prise en avril 2016 au cimetière français de Bitola (Macédoine),
où sont enterrés plus de 13 000 soldats français du front d’Orient.
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Paroles d'élus : « Virginie Duby-Muller et Pierre-Yves Le Borgn', députés »
L’élection choc du Républicain iconoclaste Donald Trump à la présidence des États-Unis au milieu de cette semaine a été lue par beaucoup de commentateurs comme la manifestation dans les urnes d’un sentiment puissant - et jusqu’ici latent - de révolte d’une bonne partie du peuple américain. Révolte contre quoi, contre qui ? Sont pointées ces criantes inquiétudes qui touchent au déclassement économico-social dans un monde de plus en plus impitoyablement concurrentiel ; à des problématiques d’identité dans un monde à l’ouverture parfois anarchique et souvent poussée de manière quasi-dogmatique. Les mêmes ressorts que pour le Brexit du mois de juin. Derrière ces phénomènes, massivement ressentis dans un Occident en perte de repères, on croit voir la main d’une élite dont les intérêts divergeraient sur l’essentiel de ceux des peuples : élites économiques et financières, élites bureaucratiques... et bien sûr élites politiques. En France, le phénomène prend de plus en plus d’ampleur, en particulier s’agissant de ce dernier point : la défiance envers le politique atteint des niveaux considérables que ne peuvent qu’alimenter scandales ou « indélicatesses » indignes qui, bien trop souvent, éclaboussent des politiques et salissent nos démocraties ; les chiffres de l’abstention lors de chaque scrutin et les intentions de vote pour les anti-système le démontrent régulièrement.
Dans ce contexte, et alors même qu’à titre personnel je suis issu et me sens donc solidaire de ces milieux qui se sentent laissés pour compte (pour ne pas dire autre chose) ou trahis, j’ai souhaité pour cet article m’inscrire à contre-courant de ces mouvements dont on se surprend à chaque scrutin à découvrir la puissance. Parmi les intervenants qui, tout au long des cinq années et demie d’existence de Paroles d’Actu, ont répondu à mes sollicitations pour des interviews, j’ai été touché par l’accueil qui m’a été fait, immédiatement et de manière constante, par deux primo-députés de la mandature en cours : Pierre-Yves Le Borgn’, élu socialiste des Français de l’étranger (Europe centrale et orientale) et Virginie Duby-Muller, élue Les Républicains de Haute-Savoie. Combien de discussions, devant la machine à café, sur les « privilèges exorbitants » des députés ? Et combien, finalement, sur leur travail effectif - c’est-à-dire : tout sauf les questions au Gouvernement ? Mi-septembre, j’ai proposé à ces deux députés que nous ayons ensemble des échanges croisés (ils se sont déroulés jusqu’au début du mois d’octobre) portant sur le fond de leurs actions et engagements respectifs. La parole, donc, en ces temps de défiance profonde envers le politique, à deux élus de la République dont j’ai la conviction profonde qu’ils sont de ceux qui n’ont pas oublié d’où ils viennent, de qui ils tiennent leurs mandats, ni pour qui ils l’exercent. Des confidences précieuses, parfois touchantes, parfois révoltées... et qui sonnent justes. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
PAROLES D’ACTU - PAROLES D’ÉLUS
« Virginie Duby-Muller et Pierre-Yves
Le Borgn’, députés de la République »
Photo pour Paroles d’Actu, datée du 9 novembre 2016.
Paroles d’Actu : Comment avez-vous vécu vos premiers jours, vos premiers pas à l’Assemblée nationale ? Votre vie, à l’un comme à l’autre, a-t-elle changé radicalement à partir de ce point ?
Virginie Duby-Muller : Mon élection fut évidemment un moment particulièrement fort et symbolique : après une campagne de terrain, je suis devenue députée de la Nation en juin 2012. Les résultats sont tombés le dimanche soir, et j’ai dûêtre à Paris dès le lendemain : à peine le temps de savourer la victoire, que nous sommes déjà dans la course du mandat.
Mon arrivée à l’Assemblée nationale restera évidemment un souvenir très important. Faisant partie des six députés les plus jeunes de l’Hémicycle, j’ai eu l’honneur d’être membre du « Bureau d’âge » lors du premier jour de séance, et d’assister le doyen qui préside cette séance inaugurale. Ce fut un moment particulièrement marquant et émouvant, où j’ai pu sentir la puissance symbolique du lieu, notamment en vivant moi-même le cérémonial d’entrée dans le Palais Bourbon, depuis l’Hôtel de Lassay jusqu’à l’Hémicycle, entourée par la Garde Républicaine, sous leurs roulements de tambours. Ce moment hors du commun m’a rappelé l’importance de la fonction, la responsabilité qui m’avait été confiée.
« Malgré mon élection, je ressentais ma présence
à l’Assemblée comme étant un peu étrange :
tout était à construire... »
Pierre-Yves Le Borgn’ : Je suis venu à l’Assemblée nationale le jeudi 21 juin 2012, quatre jours après mon élection. J’ai vécu avec beaucoup d’émotion ce moment-là, en particulier lorsque, conduit par un huissier, je suis entré dans l’Hémicycle, pensant à mes parents et à tous ceux qui, dans mon parcours de vie, m’avaient encouragé et touché, sans imaginer un instant que ce parcours me conduirait à la députation. Je revoyais le visage aimant de ma grand-mère, garde-barrière et veuve de guerre, décédée quelques mois auparavant à près de 100 ans, que cet instant aurait rendu très fière (« fi-ru », m’aurait-elle dit en breton). Je viens d’un milieu humble et simple. Sans l’école et les bourses scolaires, sans la volonté et le travail, rien de cela n’aurait été possible. Je me sentais tout petit dans cet Hémicycle silencieux, imaginant sur les bancs et à la tribune, les figures historiques de mon Panthéon personnel : Jean Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès France et François Mitterrand. J’avais gagné une élection et méritais d’être là, mais je ne pouvais m’ôter de l’esprit que ma présence était un peu étrange. Tout était à construire.
Ma vie a changé le 17 juin 2012. Après plus de 20 ans dans le secteur privé industriel, j’ai tourné une page. Je m’y étais préparé. Il y a cependant comme une forme de choc à ne plus tenir de conférence téléphonique avec les équipes, à ne plus avoir les yeux sur les comptes de résultats, à ne plus penser au business et même aux concurrents ! Ce quotidien s’est effacé pour faire place à un autre, commençant par le recrutement d’assistants parlementaires et l’installation de ma permanence à Cologne.
Paroles d’Actu : Comment les « anciens » vous ont-ils accueillis ? Avez-vous senti un soutien de leur part ?
Pierre-Yves Le Borgn’ : À l’Assemblée, dans les premières semaines, en l’absence de bureau attribué, je parcourais les salons devant l’Hémicycle… à la recherche du wifi. Et j’ai mis des jours à trouver la buvette des députés, n’osant pas demander mon chemin. Tout cela apparaîtra sans doute ridicule, mais j’avais l’impression d’entrer en 6ème et de porter l’étiquette de bizuth. Je connaissais quelques députés réélus, qui m’ont aidé et conseillé. Au sein du groupe socialiste, nous étions beaucoup de nouveaux et une forme de solidarité entre nous existait. Avec quelques limites cependant, certaines dents rayant déjà le parquet.
« Pas facile de tutoyer les anciens ministres...
mais on s’y habitue ! »
Virginie Duby-Muller : Au Palais Bourbon, j’ai ressenti un vrai soutien des « anciens », notamment de ceux de mon département. Une règle entre les députés favorise aussi cet esprit de cohésion : le tutoiement, que nous employons tous entre nous. Pas toujours facile de tutoyer des anciens ministres, mais on s’y habitue !
Paroles d’Actu : Comment avez-vous géré ce sentiment qui, comme je peux l’imaginer, vous habite en pareil cas : sentiment de responsabilité ; sentiment d’être « la représentation nationale » ?
Pierre-Yves Le Borgn’ : La responsabilité, je l’ai ressentie dès la première séance. La nouvelle majorité avait été élue sur une promesse de changement et les électeurs croisés en campagne attendaient que nous tenions nos engagements. J’avais le sentiment que nous devions assumer sans ciller un langage de vérité, expliquant nos initiatives, propositions et votes. Et les difficultés rencontrées aussi. Parler vrai, en somme. Venu à la politique dans le sillage des idées de Rocard et Delors, cette exigence de responsabilité m’habite depuis toujours. Sans doute avais-je déjà, en ces premiers jours de législature, la crainte que les jeux, postures et ambitions ne rendent l’action illisible et confuse. Cela n’a malheureusement pas manqué. Même si l’Assemblée reflète imparfaitement la diversité du peuple français, j’avais conscience que nous étions la représentation nationale et qu’il nous fallait agir avec rigueur, devoir et discipline. C’est pour cela que j’ai vécu l’affaire Cahuzac comme un échec collectif, voire une trahison du peuple souverain, les errements d’un homme éclaboussant la République et la vie politique, à rebours de la noblesse de l’engagement à laquelle je crois.
Paroles d’Actu : Comment avez-vous conçu votre rôle au sein d’un collectif à vocation bien précise (vous Virginie dans l’opposition, vous Pierre-Yves dans la majorité), avec tout ce que ça implique peut-être de « mise en scène » ou de postures au niveau d’un groupe (ça pose la question de la possibilité de travailler sereinement de manière trans-partisane, la distinction entre « plénière » et commission) ?
Virginie Duby-Muller : L’opinion publique a trop souvent tendance à réduire le travail parlementaire aux questions au Gouvernement du mardi et du mercredi. Cela donne souvent une image de brouillon, de politique agressive, d’interrogations uniquement rhétoriques, où chacun y va de sa petite phrase pour « piquer l’adversaire ». C’est surtout le travail en coulisses qui m’intéresse : celui des commissions, des groupes d’études, des rencontres en circonscriptions. J’y suis particulièrement attentive et assidue.
Être dans l’opposition pour un premier mandat, cela ajoute aussi du challenge à ce mandat. J’ai toujours voulu assumer mon appartenance au groupe des Républicains, tout en travaillant de manière constructive, pour des réformes nécessaires, et en valorisant le bien commun. En résumé, je fais partie d’un groupe, mais je souhaite conserver une liberté de parole, de ton et de vote. C’est une question de confiance avec les citoyens de Haute-Savoie, et de convictions.
Pierre-Yves Le Borgn’ : Je crois à la fidélité. Je tiens aussi à l’exigence de vérité et à l’indépendance de jugement. Enfin, je me défie de tout sectarisme. Je me suis engagé à fond dans le travail de la Commission des Affaires étrangères, construisant peu à peu, rapport après rapport, au sein du groupe socialiste comme de la Commission elle-même, une spécialisation sur l’environnement et la lutte contre les dérèglements climatiques, les droits de l’homme et la matière fiscale internationale. J’ai pris mes tours de permanence dans l’Hémicycle pour les débats législatifs, enchaînant (tout en les redoutant) les séances de nuit à n’en plus finir. J’ai souvent pesté contre cette organisation foutraque de nos travaux, le Bundestag, dont je suis familier, me renvoyant en boomerang l’image d’une institution organisée, prévisible et sereine. Je me suis endormi une nuit à mon banc, cuit de fatigue, entraînant un commentaire cinglant au micro d’un collègue de l’opposition, avec qui j’ai eu le lendemain matin une explication de gravure. J’ai défendu mon premier amendement de député à 5 heures 10 du matin en juillet 2012. Sur la vidéo, je ressemblais à Gainsbourg…
« Les différences existent, pas besoin
de les mettre en scène dans l’outrance »
J’ai vite découvert les postures, trucs de séance et autres colères surjouées pour la galerie et plus encore pour la télévision. Je m’y suis toujours refusé. Je ne juge pas cela utile ni digne. Les différences existent, il n’est pas besoin de les mettre en scène dans l’outrance. C’est pour cela que j’ai perdu en quelques mois l’intérêt que j’avais initialement pour la séance des questions au Gouvernement, même si je m’y rends toujours. Flatter le Gouvernement d’un côté, hurler à la ruine de l’autre, tout cela n’a pas grand sens et contribue malheureusement au regard désabusé que portent nos compatriotes sur l’institution parlementaire. J’ai défendu fidèlement le Gouvernement sur tous les textes où j’étais en accord. J’ai aussi assumé publiquement tous mes désaccords en m’abstenant ou en votant contre des textes soutenus par mon groupe parlementaire (loi renseignement, suppression des classes bi-langues, déchéance de nationalité, fiscalité sur les Français de l’étranger). Cela m’a valu parfois un purgatoire politique plus ou moins prolongé, si ce n’est une réputation de type pas facile. J’ai assumé, même si ce n’était ni agréable ni juste.
Paroles d’Actu : Est-ce que vous vous connaissez bien, tous les deux ? Avez-vous déjà eu des occasions de vous côtoyer, de travailler ensemble ?
Virginie Duby-Muller : Nous avons surtout eu l’occasion de travailler ensemble lors des réunions du groupe d’amitié France-Allemagne, que préside Pierre-Yves et qui organise de nombreuses auditions. Nous accueillons également chacun un stagiaire franco-allemand tous les ans à Paris dans nos bureaux, dans le cadre d’un échange mis en place entre l’Assemblée et le Bundestag.
Nous nous entendons très bien, la preuve que l’appartenance politique ne fait pas tout ! Pierre-Yves Le Borgn’ est un excellent député, pointu et consciencieux sur ses dossiers. Nous avons un peu la même manière d’évoluer à l’Assemblée et de définir notre mandat : avec une liberté de parole, des convictions que nous respectons, et beaucoup de travail !
Pierre-Yves Le Borgn’ : Nous avons en effet fait connaissance au sein du groupe d’amitié France-Allemagne, que je préside. J’ai tout de suite apprécié l’échange franc, direct et sympa avec Virginie. Peut-être y avait-il là une forme de solidarité entre primo-députés, mais pas seulement. Je m’attache à l’unité des gens, à leur sincérité et à leur force, au-delà des différences partisanes et de vote. Tout cela n’est pas très politique, mais je revendique cette approche personnelle, corollaire de l’horreur absolue dans laquelle je tiens le sectarisme. J’ai noué des relations fortes avec des collègues de l’opposition, voire même des liens d’amitié, et j’en suis heureux. Pour une large part, c’est le travail en commun au sein du groupe d’amitié France-Allemagne, l’attachement à l’Allemagne qui nous rassemble, qui y a conduit. C’est ainsi par exemple que, comme elle l’a rappelé, Virginie et moi nous retrouvons chaque année à travailler tous deux avec un(e) stagiaire allemand(e). J’ai souvenir aussi que Virginie avait mentionné mon désaccord sur la suppression des classes bi-langues dans une question qu’elle posait à Najat Vallaud-Belkacem et mes oreilles avaient beaucoup sifflé après coup au sein du groupe socialiste !
Paroles d’Actu : Quels sont les grands moments de la vie du parlement et de la vie de la Nation qui vous ont marqués, en tant que citoyens comme en tant que députés ?
Virginie Duby-Muller : Je pense d’abord au Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 16 novembre 2015. C’est un moment que j’aurais préféré vivre dans d’autres circonstances. Après l’horreur des attentats, je crois que nous étions tous un peu sonnés, l’émotion dans la salle était palpable. C’était un après-midi très solennel, où la nécessité d’union et de solidarité face à la barbarie a été rappelée.
J’ai également été marquée par le vote de la loi sur le mariage pour tous, qui s’est révélée profondément clivante. Les débats étaient particulièrement agressifs et offensifs dans l’Hémicycle, et m’ont laissés un souvenir amer. C’est souvent le cas pour les votes parlementaires sur des sujets de société, qui instaurent des discussions pesantes, exacerbent les passions, encouragent la démesure des réactions.
« Le débat sur le mariage pour tous était important,
les arguments des uns et des autres
étaient légitimes ; cela aurait mérité
de vrais échanges, plus apaisés »
Le débat était pourtant important, des arguments étaient légitimes des deux côtés de la mobilisation : cela aurait mérité davantage d’échanges apaisés et dans la co-construction.
Pierre-Yves Le Borgn’ : Le moment le plus impressionnant pour moi restera également cette réunion du Congrès du Parlement à Versailles, le surlendemain des attentats terribles du 13 novembre 2015. Nous étions en état de choc collectif. La guerre venait de nous être déclarée par une organisation terroriste s’en prenant aux valeurs et à l’art de vivre de la France. Je repense aussi au discours de Manuel Valls devant l’Assemblée en janvier 2015, suite aux attentats à Charlie Hebdo et à l’Hypercasher de la Porte de Vincennes. Et cet instant où notre collègue Serge Grouard, député du Loiret, lança une Marseillaise a capella totalement inattendue, que nous avions reprise tous ensemble. Au rang des souvenirs heureux, je revois le moment où je pousse sur le bouton « pour » et contribue, en mai 2013, à l’adoption définitive de la loi sur le mariage pour tous. J’ai dans mon entourage de très proches amis homosexuels et je savais combien cette égalité-là, ce droit d’épouser l’être aimé et de construire une famille, était le combat de toute leur vie. J’en ai eu les larmes aux yeux sur l’instant. À tort ou à raison, j’avais le sentiment d’un moment historique, comme lors de l’adoption, des décennies avant, de la loi Veil ou de l’abolition de la peine de mort.
Paroles d’Actu : Un focus bien sûr sur ces événements si particuliers qu’on a vécus et que vous venez d’évoquer, à travers le prisme peut-être particulier de l’Assemblée et du travail en circonscription (questions, attentes, craintes des citoyens) : les attentats en France.
Virginie Duby-Muller : À Paris comme en Haute-Savoie, toute la France a été touchée par la brutalité et la barbarie de ces attentats. J’ai reçu beaucoup de questions sur l’islamisme, sur nos capacités à agir, sur notre action en tant que députés face à cette guerre contre Daech. J’ai vite ressenti un malaise en circonscription, dû à beaucoup de désinformation sur les attaques et sur nos actions en tant que députés.
Etant élue dans une zone frontalière, je suis aussi confrontée à d’autres problématiques spécifiques de l’état d’urgence, notamment celle des douanes. A l’heure où on les menace de suppression, je les défends sans relâche depuis de nombreuses années.
« L’obsession de voir sa tête, à la faveur
d’un bon mot ou d’un tweet, sur les antennes
des chaînes d’info en continu est un poison »
Pierre-Yves Le Borgn’ : Après les attentats, mais plus généralement aussi sur les textes majeurs examinés au cours de la législature, j’ai ressenti l’attente exigeante de nos compatriotes : des résultats bien sûr, mais aussi de la dignité. Être efficace, juste et respectueux. Ne jamais se donner en spectacle. Les gens ont pris la crise en pleine poire. La désindustrialisation est un drame humain, le chômage des jeunes tout autant. Bosser sans en rajouter dans le jeu de rôles, c’est respecter nos compatriotes. Nous n’y sommes pas toujours parvenus et je le regrette. Le microcosme qu’est le Palais Bourbon ne contribue pas à la sérénité. L’obsession de voir sa tête, à la faveur d’un bon mot ou d’un tweet, sur les antennes des chaînes d’info en continu est un poison. Le travail en circonscription et le contact avec nos compatriotes me ramènent toujours à l’exigence de sérieux et de sobriété. Une seule fois, je me suis mis en colère dans l’Hémicycle et je n’en suis pas spécialement fier. J’avais réagi vivement aux propos d’un collègue de l’opposition me traitant de « meurtrier » en raison de ma défense des droits des enfants nés par GPA à l’étranger. J’en ai été blessé comme homme et comme père. Pour ma part, je n’ai jamais invectivé personne.
Paroles d’Actu : Qu’est-ce qu’être député implique sur un plan personnel, humain : vous avez des enfants en bas âge tous les deux, on imagine que ça n’est pas forcément évident de gérer cela, y compris sur le plan émotionnel, peut-être de la culpabilité ressentie, quand on a une activité aussi prenante (et aussi mobile) que la vôtre ?
Pierre-Yves Le Borgn’ : Lorsque j’ai été élu député, mon petit Marcos avait dix mois. Je le revois encore, à mon retour de l’Assemblée nationale le 21 juin au soir, suçant ma toute nouvelle cocarde tricolore qu’il croyait être une glace. Pablo et Mariana sont nés depuis. Je me suis organisé pour être régulièrement avec eux et mon épouse, même si cela conduit à des nuits courtes et des départs très matinaux. Je suis un père avant d’être un député. J’ai renoncé à des missions et responsabilités pour être avec eux. La vie politique peut ruiner une vie de famille. Je ne veux pas que ce soit le cas pour la mienne. Certains collègues se sont moqués de moi pour cette raison. J’assume et je les plains quelque part. Vivre avec sa famille, voir ses enfants grandir et contribuer à leur enfance, c’est ce qu’il y a de meilleur. Pour eux, pour soi-même aussi. Dans plusieurs de mes interventions et nombre de mes votes, j’ai pensé à mes enfants. Notamment dans mon discours de rapporteur de l’Accord de Paris sur le changement climatique. Je veux leur laisser un monde meilleur. Et je veux aussi qu’ils se souviennent, le jour venu, de leur papa comme quelqu’un qui aura accompagné leur vie, tendrement et sûrement.
Virginie Duby-Muller : L’articulation entre la vie familiale et les mandats est parfois compliquée. Je suis devenue député quand ma fille avait à peine six mois et je me déplace à Paris deux jours par semaine. Il n’y a malheureusement pas encore de crèche à l’Assemblée nationale !
Nous sommes d’ailleurs peu de femmes de moins de 40 ans dans la vie politique. Pour ce faire, il faut donc une bonne logistique, l’appui de son conjoint, de sa famille et une bonne nounou. Je n’accepte pas toutes les sollicitations, en particulier le dimanche après-midi, et je fais en sorte de préserver des moments exclusifs pour ma vie de famille, privilégier la qualité à la quantité. Et j’emmène aussi ma fille avec moi sur le terrain en Haute-Savoie, lors de déplacements moins officiels !
Je pense que la famille peut parfaitement évoluer avec une maman député : j’ai d’ailleurs toujours eu pour modèle des femmes actives, qui m’ont poussée dans mes études et incitée à être indépendante.
Paroles d’Actu : Comment vous vivez l’articulation, peut-être le « fossé » entre les phases « Hémicycle » et « circonscription » de vos mandats ? Quelques mots peut-être sur l’échange que vous pouvez avoir avec les habitants de vos circonscriptions respectives ?
Virginie Duby-Muller : J’accorde dans mon travail une grande place au terrain, sinon on peut très vite être déconnecté des réalités. J’effectue chaque année « une tournée » sur les 53 communes de ma circonscription. La circonscription et l’Hémicycle sont complémentaires : des problèmes remontent au niveau local, que nous pouvons régler au niveau national. Mon objectif, c’est d’être un relai efficace entre ce que je constate sur le terrain et ce qui peut être fait et voté à l’Assemblée nationale.
« Une bonne articulation Hémicycle/circonscription
est essentielle en ces temps
de crise de confiance citoyenne »
Cette articulation Hémicycle/circonscription permet aussi d’avoir un rôle pédagogique, pour expliquer ce que nous faisons à Paris, comment nous votons les lois, comment nous travaillons à l’Assemblée. C’est profondément nécessaire, à l’heure de la crise de confiance citoyenne et des préjugés sur les élus. C’est ce que je fais, le plus souvent possible, notamment en accueillant des groupes de visiteurs de mon département au Palais Bourbon.
Pierre-Yves Le Borgn’ : Je préfère la circonscription à l’Hémicycle. La vraie vie, la première des valeurs ajoutées, c’est le contact humain, la rencontre in situ avec les compatriotes et la résolution des questions qu’ils portent à mon attention. À chaque déplacement que je fais en circonscription, je tiens une permanence qui me permet de recevoir individuellement les gens, puis j’enchaine avec une réunion publique de compte-rendu de mandat. Je réponds à tous les courriers et courriels individuels que je reçois, sans aucune exception. Je prépare tous les trimestres une lettre d’information précise, qui présente dans le détail mes interventions et fait le point sur tous les dossiers affectant la vie des Français établis dans les 16 pays de ma circonscription d’Europe centrale et balkanique. Je tiens un blog dans lequel j’écris plusieurs fois par semaine. Je trouve que la vie politique communique mal et trop peu. Les gens n’attendent pas de moi que je les appelle à voter pour le Parti socialiste ou que je me comporte comme la brosse à reluire du Gouvernement. J’ai à leur égard à tout le moins une obligation de moyens et j’y rajoute une obligation de résultats.
Paroles d’Actu : Un point qui m’intéresse : de par vos circonscriptions respectives, vous êtes l’un et l’autre pas mal en rapport avec l’étranger, vous Virginie le transfrontalier, vous Pierre-Yves l’international. On a l’impression que beaucoup de vos collègues raisonnent quand même pas mal en des termes très « franco-français ». Est-ce qu’il y a une espèce de « communauté » particulière des parlementaires qui touchent à l’international ?
« Nous avons un devoir de curiosité d’esprit,
qui commence par l’exercice régulier
de la législation comparée »
Pierre-Yves Le Borgn’ : Il y a en effet une sorte de solidarité informelle des députés connaisseurs de l’étranger. D’une certaine manière, la vingtaine de collègues régulièrement présents depuis quatre ans aux manifestations du groupe d’amitié France-Allemagne que j’organise en est un exemple. Il faudrait que nous mobilisions davantage les groupes d’amitié dans cette perspective. Certains groupes n’ont aucune activité et c’est regrettable. Je suis membre de France-États-Unis, en souvenir d’une lointaine vie en Californie au début des années 1990. J’avais demandé au printemps dernier au président du groupe, durant la campagne des élections primaires américaines, d’organiser une réunion avec des journalistes américains à Paris pour parler des phénomènes Trump et Sanders. Il n’en a jamais rien fait. L’on s’étonne après de la tournure franchouillarde ou chauvine de certains débats… Nous avons un devoir de curiosité d’esprit, qui commence par l’exercice régulier de la législation comparée. Soyons fiers de notre pays, reconnaissons aussi qu’il n’est pas une île et que la connaissance de l’étranger est une chance pour bien légiférer.
Virginie Duby-Muller : [Ce contact avec l’étranger] est en effet une chance et un atout dans ma circonscription : notre proximité avec la frontière suisse amène de nouvelles problématiques, comme le travail des frontaliers, les relations économiques avec le bassin suisse, les questions de mobilité… Je pense que cette ouverture à l’international est primordiale aujourd’hui, et que nous ne pouvons plus nous permettre de raisonner uniquement sur du « franco-français ».
On se retrouve d’ailleurs, avec Pierre-Yves Le Borgn’, sur cette question, ce qui nous amène à avoir des positions communes. Ce fut notamment le cas dans notre opposition à la suppression des classes bi-langues, lors de la réforme des collèges de Najat Vallaud Belkacem. Etant tous les deux sensibles aux relations internationales et aux relations frontalières, nous connaissons l’importance de cet enseignement et les réussites de ces classes pour l’ouverture des élèves sur le monde.
D’une manière globale, les notions d’international et de transfrontalier sont fondamentales : en tant que représentants de la Nation, nous avons besoin d’avoir une ouverture sur le monde. J’ai eu l’opportunité d’effectuer plusieurs missions parlementaires à l’étranger, car il est important, effectivement, de s’ouvrir au monde, de faire preuve de curiosité, pour voir ce qui se passe ailleurs, et faire du « benchmarking ».
Paroles d’Actu : Parlez-nous de quelques uns de vos grands moments de joie, mais aussi de déception, peut-être parfois de découragement ?
Virginie Duby-Muller : Être élue de l’opposition n’est pas toujours facile, tant le fait majoritaire nous contraint dans l’Hémicycle. Mes principales déceptions (mais toujours pas de découragements !) viennent donc de là, de toutes ces occasions ratées où j’ai vu un sujet important et des mesures nécessaires être refusées par la majorité en place.
Mes moments de joie sont donc souvent des « petites victoires », comme lorsque ma proposition de loi relative à la déclaration de domiciliation fut examinée dans l’Hémicycle, mais malheureusement rejetée par la majorité socialiste.
Pierre-Yves Le Borgn’ : J’en ai déjà un peu parlé pour ce qui est de la joie ou à tout le moins des moments heureux, en référence notamment au vote de la loi sur le mariage pour tous. Mes moments de satisfaction sont cependant bien plus sur les dossiers que je traite en circonscription que dans l’Hémicycle. Avoir contribué, par exemple, à mettre un terme au prélèvement indu opéré par les caisses d’assurance-maladie allemandes sur les retraites complémentaires de l’AGIRC et de l’ARRCO perçues en Allemagne. Avoir bataillé pour le remboursement de la CSG prélevée à tort sur les revenus des personnes non-affiliées à la sécurité sociale française. Ce sont des centaines d’heures de travail et de batailles, que j’ai eu la chance de mener à bien. Les déceptions, c’est quand rien n’avance, que le Gouvernement dit quelque chose et que l’administration fait l’exact inverse, quand une promesse est faite et qu’elle n’est pas tenue, quand les courriers aux ministres ne reçoivent pas de réponse. Je n’ai jamais été découragé. Je n’ai pas le droit de l’être, outre que ce n’est pas non plus dans ma nature. Je me suis fâché parfois, fort même, face à l’incurie, au manque de rigueur et à la duplicité. Cela me vaut de croiser des ministres qui ne me saluent plus et me zappent de toute information lorsqu’ils se rendent dans ma circonscription. Ce n’est pas drôle, mais je préfère le résultat à la courtisanerie.
Paroles d’Actu : Comment vivez-vous cette espèce de défiance très perceptible des citoyens envers le politique, qu’on sent par moments assez explosive ? Qu’est-ce qui à vos niveaux pourrait être fait pour y répondre (réformes institutionnelles ou démocratiques notamment) ?
Pierre-Yves Le Borgn’ : Je la vis mal, surtout lorsque se rattache à cette défiance une présomption d’incompétence et de malhonnêteté. Cela me met en rage. Mais si la vie politique française en est là, c’est parce que l’on promet tout le temps et abuse ensuite les gens. Les déclarations de matamore dans les campagnes électorales ou les petits coups tactiques font le plus grand mal. Voyez Sarkozy et Hollande, qui avaient promis par écrit aux pupilles de la Nation de la guerre de 1939-1945 un dédommagement, par extension de décrets datant de 2000 et 2004. Parvenus aux responsabilités, l’un comme l’autre n’en ont rien fait. Près de 10 000 personnes, les pupilles de la Nation, le vivent aujourd’hui cruellement. C’est inacceptable. Avec Yves Fromion, député LR du Cher, j’ai déposé une proposition de loi transpartisane, co-signée par 30 collègues PS, LR et UDI, pour que ces promesses soient tenues. À l’arrivée, parce que cette proposition de loi inédite rappelait chaque camp à ses engagements, ni le groupe socialiste ni le groupe LR n’ont accepté l’inscription de notre proposition à l’ordre du jour de l’Assemblée. C’est affligeant.
« La vie politique crève d’un entre-soi coupable :
la démocratie participative doit être l’une
des réponses à privilégier »
Je voudrais par exemple pouvoir imaginer une organisation institutionnelle plus simple permettant un droit effectif de pétition citoyenne, contraignant pour l’examen d’un texte au Parlement. Je pense aussi que les tâches de contrôle du Parlement devraient être renforcées, quitte à prendre du temps sur le travail législatif, obstrué par des centaines, voire des milliers d’amendements inutiles car hors du domaine de la loi et impossibles à mettre en musique au plan réglementaire. On perd un temps infini à discuter du sexe des anges à 4 heures du matin dans l’Hémicycle, juste parce qu’un ou plusieurs collègues entendent coller leurs noms derrière un amendement dont tout le monde sait, à commencer par les intéressés, qu’il ne débouchera jamais sur aucune action publique que ce soit. Il me semble également qu’il faudrait mieux rendre publiques les études d’impact et y associer bien davantage les Français. La vie politique crève d’un entre-soi coupable, alimentant l’idée – injuste – d’une caste. La démocratie participative doit être l’une des réponses à privilégier.
Virginie Duby-Muller : La défiance envers nos institutions, envers les « politiques », envers notre fonctionnement législatif et exécutif n’a jamais été aussi forte. On parle de « crise du politique », du « tous pourris », de scandales médiatiques, de crise de confiance envers les représentants du peuple. On reproche à l’administration ses structures verticales, ses hiérarchies pesantes, son management basé sur la méfiance, avec peu de place pour la créativité…
Bref, la fracture est imminente, et tout l’enjeu est d’agir rapidement et efficacement, pour adapter notre gouvernance. Nous sommes des citoyens du 21ème siècle avec des institutions conçues au 20ème, voire au 19ème siècle !
Un des bouleversements que nous subissons, c’est le numérique. Notre démocratie doit s’adapter à l’ère internet, et nous devons trouver comment. Nous sommes aujourd’hui à un tournant.
Et je pense que le numérique n’est pas la fin de la politique, mais c’est une révolution de la politique, un formidable outil pour la moderniser, et permettre une démocratie plus directe, ouverte, simplifiée, réactive et contemporaine. C’est une chance pour révolutionner l’engagement citoyen, et plus modestement améliorer la relation administration/citoyen. En France, les initiatives ne manquent pas. Il ne s’agit plus de projets futuristes encore dans les cartons. Ce sont par exemple des projets de co-production législative, comme c’est permis par le site internet « Parlements et Citoyens » : cette plateforme propose, en quelques clics, d’associer les citoyens à la rédaction des propositions de lois sur lesquelles nous, parlementaires travaillons. C’est un vrai travail de collaboration, pour arriver à un texte législatif au plus proche des intérêts des Français. Je pense aussi à la création de « La Vie Publique », émission qui propose sur YouTube de décrypter les questions au Gouvernement, avec la possibilité d’interagir en direct via un tchat intégré. Des applications se développent aussi dans les villes et métropoles, comme c’est le cas à Marseille, à Saint-Étienne, à Asnières, qui proposent une application portable permettant à n’importe quel habitant de signaler les problèmes de propreté. La mairie reçoit directement les géolocalisations, et peut ainsi agir, au plus grand bonheur des usagers. Je m’intéresse également à la Blockchain, qui permet aux personnes de réaliser entre elles des opérations garanties sans l’interaction d’un tiers de confiance. C’est évidemment une remise en question latente des institutions et de leur rôle d’intermédiaire dans bien des domaines.
« Le numérique devient une formidable opportunité
pour nos concitoyens en mobilisant l’innovation,
l’intelligence collective, la co-création »
Bref, le numérique devient une formidable opportunité pour nos concitoyens, en mobilisant l’innovation, l’intelligence collective, la co-création. Il leur permet de devenir eux même acteurs directs de leurs institutions, et partenaires dans les collectivités territoriales.
Paroles d’Actu : Un regard peut-être, lié, sur la nette poussée prévisible des anti-système en 2017 ?
Virginie Duby-Muller : Ces anti-système, extrême-droite et extrême-gauche, sont une menace réelle pour notre état de droit, et je les combattrai sans relâche. Ils profitent des faiblesses de notre société et surfent sur la peur des citoyens. Sur la forme, ils sont bien souvent excellents à ce jeu. Heureusement, sur le fond, leurs propositions sont biaisées par leur idéologie, et ne tiennent pas la route.
Le vote vers les extrêmes révèle avant tout un déficit d’adhésion, un vote par défaut, parce que notre politique actuelle est entachée par des « affaires », à gauche comme à droite. Nous devons faire preuve d’exemplarité, pour défendre le rôle des élus. Nous devons aussi nous réinventer, nous moderniser dans notre façon d’appréhender la politique. Et c’est mon engagement.
Pierre-Yves Le Borgn’ : Les anti-système surfent sur nos échecs, nos silences coupables et nos promesses inconsidérées. À ne pas dire toute la vérité, à la travestir ou à promettre sans tenir, on récolte la colère. Je crois à l’exigence de vérité, même lorsqu’elle est dure à entendre. Et face à la démagogie des anti-système, il faut se battre. Le racisme du Front national est insupportable. Tout cela doit se combattre frontalement, au nom des valeurs de la République. De même, raconter que l’on va sortir des traités européens et vivre notre vie de notre côté, c’est dire n’importe quoi, le savoir pertinemment et berner ainsi les gens à dessein. Voulez-vous d’une France autarcique, raciste, haineuse, ruinée et ridiculisée à l’échelle internationale ? Voilà ce qu’il faut dire face à tous ces oiseaux de malheur qui réapparaissent dans les périodes électorales, fuyant toute éthique de responsabilité, imbus d’eux-mêmes tant il est facile, avec le délire incantatoire pour seul fonds de commerce, de se payer de mots et de se faire applaudir.
Paroles d’Actu : Comment jugez-vous, l’un et l’autre, votre action depuis quatre ans et demi ?
Virginie Duby-Muller : En 2012, j’ai axé ma campagne autour de valeurs - travail, mérite, liberté - et me suis fixé une ligne de conduite - assiduité, transparence, disponibilité. Quatre ans et demi après, je trouve avoir tenu mes engagements, et je m’applique ces principes.
Sur la forme, j’ai toujours voulu faire preuve de disponibilité pour les citoyens, avec une permanence ouverte et accueillante, des déplacements et des permanences annuelles dans chaque commune de la circonscription, l’accueil de nombreux groupes de visiteurs à l’Assemblée nationale. Cela passe aussi par du travail de terrain, des visites d’entreprises et d’associations, des journées d’immersion (police, gendarmerie, pompiers).
Sur le fond, j’ai défendu de multiples dossiers, avec plus de 5000 interventions auprès des ministères, des collectivités, des administrations pour établir un projet de développement cohérent pour notre territoire, et relayer les préoccupations des citoyens : sur l’Education, sur le Logement, l’Emploi, le Transport, la Culture, les Relations transfrontalières, l’Agriculture, le Développement durable, le Commerce et l’Industrie…
Le tout, en m’appliquant à moi-même les valeurs de transparence et d’intelligibilité de mon travail : j’ai voulu rendre compte de mon mandat tous les jours, via mon site internet et les réseaux sociaux, et avec une newsletter hebdomadaire et d’une lettre annuelle. Je publie également chaque année ma réserve parlementaire.
N’oublions pas que le mandat n’est pas fini : mes électeurs seront les seuls juges en juin 2017 !
« En entreprise, je n’aurais jamais accepté
cette inefficacité qu’en politique
je déplore au quotidien »
Pierre-Yves Le Borgn’ : J’ai sincèrement tout donné pour les compatriotes de ma circonscription, obtenant des succès dont j’ai parlé un peu plus haut. Je pense avoir fait avancer des sujets importants, localement et à l’Assemblée (notamment sur la lutte contre les dérèglements climatiques). J’ai aussi enregistré des frustrations face à des dossiers qui n’avancent pas, parce que le politique dit oui et que les instructions ne suivent pas. Je pense notamment aux drames des conflits d’autorité parentale dans les ex-couples franco-allemands. J’en suis à 14 réunions ministérielles en tête à tête, 10 en France et 4 en Allemagne. Les échanges sont toujours intéressants, si ce n’est prometteur, mais rien ne suit après coup. Cette impuissance du politique m’insupporte car il y a derrière cela des tas de petites vies d’enfants bousillées. Je repense parfois à ma vie d’entreprise. Jamais je n’aurais toléré que des instructions ne soient pas exécutées et que l’inaction, la pusillanimité et les tergiversations soient une manière de faire. Je n’ai pas été un député spectaculaire et médiatique tant je me défie de l’agitation personnelle et de l’autopromotion. Cependant, peut-être aurais-je dû parfois mieux m’appuyer sur la presse pour dénoncer l’inaction et le manque de résultats que je déplore ici.
Paroles d’Actu : Comment voyez-vous la suite, pour vous... et « accessoirement »... pour la France ?
Pierre-Yves Le Borgn’ : Je souhaite me représenter en 2017 pour un second mandat de député. Je dois pour cela solliciter la confiance des membres de mon parti dans le cadre d’une élection primaire ouverte à d’autres candidatures éventuelles. En tout état de cause, si j’étais réélu, ce second mandat serait le dernier. Je suis partisan du non-cumul des mandats, dans le nombre et dans le temps. Le Président Sarkozy avait dit un jour quelque chose de très juste en assurant qu’il arrivait dans la vie politique un moment où l’on passe plus de temps à durer qu’à faire (sauf qu’il ne semble pas y avoir pensé pour lui-même…). Deux mandats, c’est le bon timing pour moi : s’investir, bosser, avoir des résultats et transmettre le témoin. J’ai eu une vie avant d’être député, j’entends en avoir une après, notamment pour mes enfants. Cela ne veut pas dire se désintéresser de la chose publique, cela veut dire y participer différemment. La classe politique (expression que je n’aime guère) retrouvera le crédit qui lui manque si elle sait se renouveler.
Pour la France – et ce n’est aucunement accessoire, cher Nicolas – je souhaite un débat électoral vif, profond et serein, qui consacre l’urgence de réformes pour remettre le pays sur les rails d’une croissance pourvoyeuse d’emplois. La source de tous nos malheurs, de la désespérance et du pessimisme terrible du peuple français, c’est l’absence de jobs et de perspectives. Si la croissance ne revient pas, nous ne pourrons plus financer nos stabilisateurs sociaux. Et la croissance ne se décrète pas. Ce sont les entreprises qui créent l’emploi. Il faut travailler à un cadre économique et fiscal stable, qui encourage l’investissement, la recherche et l’embauche. J’ai tendance à croire que la majorité à laquelle j’appartiens peut y parvenir. Je m’emploierai à en convaincre, dans le respect de la diversité d’opinions des Français et de leur vote final.
Virginie Duby-Muller : Je souhaite me représenter aux législatives de 2017, parce que j’ai l’impression d’avoir encore beaucoup de choses à accomplir, de nombreuses autres batailles à mener au service de mon pays. Je reste aussi particulièrement vigilante sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes qui sont encore loin d’être acquises.
Enfin, la France est actuellement soumise à ses contradictions : nous devons réformer, libérer l’État, les énergies créatrices, les initiatives individuelles, tout en garantissant la sécurité de nos concitoyens et en assumant nos valeurs. En un mot : nous avons besoin d’audace.
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« Qu'on ne me demande pas de me renier... », par P.-Y. Le Borgn', député PS
Pierre-Yves Le Borgn’, député de la Nation depuis son élection en 2012 par les Français établis en Europe centrale et dans les Balkans, a fait montre à plusieurs reprises et de manière constante, dans les paroles et dans les actes, de son malaise face au projet de réforme constitutionnelle que porte l’exécutif, pourtant socialiste comme lui. Un an et demi après la tribune engagée - et toujours actuelle - qu’il avait écrite pour Paroles d’Actu (septembre 2014), il a accepté à nouveau, et je l’en remercie, de répondre à mes questions, et il le fait avec beaucoup de franchise. On pourrait imaginer un sous-titre pour cet article : « Conscience d’un homme de gauche »... Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
« Qu’on ne me demande pas de me renier... »
Interview de Pierre-Yves Le Borgn’
Q. : 04/02 ; R. : 11/02
Paroles d’Actu : Bonjour Pierre-Yves Le Borgn’, merci de m’accorder cet entretien. Mercredi dernier, vous avez voté contre le projet de révision constitutionnelle que porte le gouvernement, à savoir l’inclusion de l’état d’urgence dans la loi fondamentale et la possibilité de déchoir de leur nationalité celles et ceux (s’entend : binationaux) qui participeraient à une entreprise terroriste - et peut-être à d’autres types d’activités malfaisantes. Comment jugez-vous globalement, en prenant un peu de recul, la teneur des discussions et débats qui ont eu cours dans la société française depuis les attentats de novembre, et dans quel état d’esprit vous trouvez-vous aujourd’hui, franchement ?
Pierre-Yves Le Borgn’ : Merci de me donner la parole sur votre blog, cher Nicolas. J’en suis un lecteur régulier et j’en apprécie la diversité des sujets traités et des personnes interviewées. J’ai été épouvanté par l’horreur des attentats du 13 novembre. C’est notre liberté et notre art de vivre qui ont été pris pour cible par des criminels terroristes. Je ne confonds aucunement l’islam, belle et grande religion de paix, prise en otage et dévoyée au nom de cette folie meurtrière, avec ces actes monstrueux. J’ai été frappé par le sentiment de peur, bien compréhensible au demeurant, qui s’est emparé de la société française dans les jours suivants le 13 novembre. Mes propres parents, vivant dans une petite ville de Bretagne, ont utilisé pour décrire leur réaction un mot que je n’avais jamais entendu dans leur bouche à ce jour : terreur. Cela m’a beaucoup marqué. Et pourtant il faut continuer à vivre, continuer à sortir, continuer à aimer la vie et ses plaisirs, continuer à le revendiquer. Faire recul sur tout cela serait comme apporter de l’eau au moulin des terroristes. Faire recul sur les libertés publiques aussi. Continuer à vivre sans rien oublier, en musclant nos services de renseignement, en développant les effectifs des forces de police et de gendarmerie, en frappant les bases de Daech à l’étranger et luttant par l’éducation contre la radicalisation.
Vous avez souligné ma position et mon vote sur la révision constitutionnelle. Ils expriment un doute : que la constitutionnalisation de l’état d’urgence et la déchéance de nationalité ne soient pas les réponses idoines dans la lutte contre le terrorisme. Je ne conçois pas que l’état d’urgence, d’une manière ou d’une autre (constitutionnalisation ou prolongation dans le temps) devienne peu à peu le droit commun, au détriment des libertés publiques et notamment du rôle du juge des libertés individuelles. Quant à la déchéance de nationalité, je n’ai pas aimé qu’elle tourne au procès a priori des binationaux, alimentant l’idée – diffuse dans l’opinion – que ces compatriotes seraient de moindres Français. Je vois davantage dans la révision constitutionnelle le risque d’un recul des libertés publiques et d’une rupture d’égalité entre Français que des instruments efficaces de lutte contre le terrorisme. Pour répondre à votre question, mon état d’esprit aujourd’hui, c’est la recherche de l’efficacité et des résultats, concrets et mesurables, dans la politique de lutte contre le terrorisme. Pas le suivisme à l’égard de l’opinion publique et des sondages.
PdA : On évoque souvent, quand on regarde ce qu’ont été et ce que sont les parcours de vie des jeunes partis faire le djihad, les notions de « quête de sens » ou d’« absolu », de recherche de « transcendance ». À l’heure de l’individualisme et de l’argent rois, à l’heure où les communautarismes sont exacerbés, il semble de plus en plus difficile de se rêver des destins collectifs, des perspectives communes à l’échelle par exemple d’une nation. La République et ses valeurs, elles, peinent à faire encore vraiment « rêver ». Est-ce que vous êtes sensible à cette question que je crois prégnante dans pas mal d’esprits, celle au fond d’une « crise de foi » peut-être plus répandue qu’on pourrait le penser ? Les attentats du 13 novembre auraient-ils, de ce point de vue, suscité une espèce de « sursaut » ?
PYLB : Je ne pense pas qu’une « crise de foi » traverse la société française et en son sein la jeunesse de notre pays. Une crise d’identité peut-être, une angoisse face à l’absence d’avenir plus sûrement. Notre société est bloquée par des choix aux conséquences dramatiques, opérés il y a longtemps, depuis les ghettos urbains et l’absence de moyens suffisants mis à disposition de l’école dans les zones d’éducation prioritaires jusqu’au refus de la mixité sociale entretenu dans de trop nombreuses villes. Un plafond de verre prive toute une part de la jeunesse des mêmes chances dans l’accès à l’emploi et au déroulement d’une carrière. Il est bien plus dur, disons les choses directement, d’obtenir un job à qualification équivalente quand on s’appelle Mohamed ou Rachida que quand on s’appelle Bertrand ou Élodie. Or, la France du XXIème siècle est celle de Bertrand et Mohamed, de Rachida et d’Élodie.
La République fait rêver lorsqu’elle donne à chacun les mêmes chances. La vérité est que ce n’est pas le cas à l’épreuve des faits. Dès lors, l’échec scolaire, l’épreuve du chômage, le manque d’avenir conduisent à l’amertume, à la révolte, au communautarisme, à la bigoterie, au rejet de la société et du pays duquel on est pourtant. Si les drames de 2015 peuvent contribuer à une prise de conscience de tout ce qu’il importe de faire pour lutter contre ces difficultés, ce serait heureux. Il faudra des années pour y arriver. Cela commande sans doute de penser à la discrimination positive : mettre la priorité de l’action publique sur certaines régions, certaines villes, certains quartiers. J’ai de ce point de vue la plus grande admiration pour ce que l’ancien directeur de l’Institut d’Études politiques de Paris, Richard Descoings, a fait, ouvrant l’accès à Science Po aux élèves de certains lycées de banlieue. De telles initiatives créent de l’espoir et s’inscrivent dans ce que la République a de meilleur.
PdA : Les attentats du 13 novembre vous ont-ils à titre personnel changé en quoi que ce soit ?
PYLB : Je ne pense pas. Comme tout Français, j’ai été épouvanté par l’horreur. J’ai un ami qui a perdu son fils dans ces attaques. Je pense souvent à ce jeune homme, réuni avec ses copains à La Belle Equipe. Il était plein de vie et de projets. Tout cela est tragique. Il faut redoubler de vigilance face au danger. Le parlementaire que je suis, davantage encore qu’auparavant, entend donner les moyens de son action à nos services de renseignements et à la police. Mais le citoyen, l’homme et le père se refuse à regarder l’autre différemment, à pratiquer la méfiance, à céder au repli. L’avenir reste pour moi dans la main tendue.
PdA : La démission de Christiane Taubira, garde des Sceaux et figure de la gauche progressiste, du gouvernement conduit par Manuel Valls n’a pas fini de faire parler les commentateurs politiques. Ce départ s’est fait, paraît-il, sur un « désaccord politique majeur » qui s’ajoute à d’autres départs liés à des désaccords politiques majeurs. Aujourd’hui la ligne gouvernementale est peut-être plus cohérente mais elle s’appuie sur une majorité moins large qu’au début du quinquennat. Nombre de membres de ce qu’on appelle le « peuple de gauche » se sentent de bonne foi déboussolés (pour ne pas dire autre chose) par les orientations politiques de l’exécutif, je pense notamment au discours sécuritaire, aux attitudes autoritaires de Manuel Valls et aux positionnements, disons, iconoclastes d’Emmanuel Macron sur les questions socio-économiques. Comprenez-vous ces interrogations et, d’une certaine manière, les partagez-vous ? Est-ce que, pour l’essentiel, vous retrouvez de l’esprit de la campagne de 2012, de vos idéaux progressistes dans la gestion 2016 des affaires de l’État et du pays ?
PYLB : J’ai regretté le départ de Christiane Taubira. Sa voix, son charisme et ses combats manqueront dans l’action de l’exécutif. Je partage les raisons qu’elle a invoquées pour expliquer sa démission. Rejetant la déchéance de nationalité, je me sens en communion avec elle. Le souci de protéger les Français a tout mon soutien. Ce que je regrette, c’est la tentation de « triangulation », non sans penser à 2017. Je n’aime pas que la gauche lie l’insécurité et la nationalité. L’an passé, j’étais l’un des orateurs du groupe socialiste dans un débat à l’Assemblée nationale sur une proposition de loi de l’UMP visant à… la déchéance de nationalité. Ma mission était de m’y opposer. Moins d’un an après, le gouvernement voudrait que je me renie et me fasse le zélateur d’une mesure à laquelle je ne crois pas. C’est hors de question.
Je suis attaché aux droits et libertés publiques, partageant sans doute une part de chemin de ce côté-là avec les « frondeurs ». D’un autre côté, j’ai toujours été, expérience professionnelle aidant, modéré au plan économique et ce que fait Emmanuel Macron me séduit. C’est sans doute un curieux positionnement politique au sein du groupe socialiste. C’est un peu, finalement, comme si j’y étais « non-inscrit », à l’écart de toutes les chapelles. Quant à l’esprit de la campagne de 2012, il est loin malheureusement et je le regrette. Trop de prudence, trop d’atermoiements, trop peu de communication sur l’action de l’exécutif ont installé dans l’esprit des Français l’idée que le changement, ce n’est surtout pas maintenant. Je n’aime pas l’ambiguïté dans l’action publique. Il faut afficher les objectifs, obtenir des résultats, faire des compte-rendus d’étapes, ne rien cacher des difficultés. Etre mendésiste, ma filiation politique.
PdA : Question liée : considérez-vous que, pour ce qui concerne l’essentiel des promesses et engagements énoncés en 2012 par le candidat Hollande, le contrat est rempli ou en passe de l’être durant l’année 2016 ?
PYLB : Le contrat sera partiellement rempli et j’en suis heureux. Néanmoins, certaines promesses ont été passées par pertes et profits, comme le droit de vote des étrangers aux élections locales ou bien la ratification de la Charte du Conseil de l’Europe sur les langues régionales et minoritaires. Nous aurions dû les tenir. Nous avions entre 2012 et 2014 une majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat pour cela. Je regrette aussi que nous ayons renoncé à autoriser la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes mariées. Au bout du compte cependant, c’est sur l’emploi que nous serons jugés et l’absence de réduction de la courbe du chômage reste à ce jour un échec, reconnaissons-le.
PdA : Un point de détail sur lequel François Hollande s’était engagé, une thématique qui vous concerne directement et qui peut peser lourd dans la défiance de nombre de nos compatriotes par rapport à la chose politique : le mode d’allocation des sièges à l’Assemblée nationale. François Hollande avait promis qu’il introduirait une dose de proportionnelle pour coller au mieux (ou en tout cas coller mieux) aux aspirations des citoyens. Il a annoncé après les régionales qu’il y renonçait pour ne pas favoriser une entrée trop importante de députés Front national dans l’hémicycle (sans doute aussi pour assurer la formation de groupes potentiellement alliés). Trois questions : 1/ cet argument est-il valable et cette décision juste ? 2/ ne pensez-vous pas que le débat avec le FN doive se tenir aussi à l’Assemblée nationale ? 3/ où en êtes-vous à titre personnel et dans le détail de votre réflexion sur le mode de scrutin pour les législatives ?
PYLB : Ma position est claire : lorsque l’on fait une promesse, on la tient. Revenir sur elle pour des considérations électorales n’est pas juste. Il n’est pas sain que des formations politiques qui pèsent lourd en voix ne soient pas représentées en sièges à l’Assemblée nationale. C’est vrai pour le Front national, que je combats de toutes mes forces. C’est vrai également pour le MoDem, que j’estime et respecte. Il est toujours infiniment meilleur pour la démocratie que le débat ait lieu dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale que dans la rue.
À titre personnel, l’idée d’allouer 25% des 577 sièges de l’Assemblée à la proportionnelle me conviendrait. Cela obligerait à redecouper les circonscriptions correspondant aux 75% des 577 sièges qui resteraient alloués au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. J’ai, pour ce qui concerne la part déterminée à la proportionnelle, un attachement pour le scrutin d’arrondissement, car c’est au contact de la réalité d’un territoire qu’un parlementaire est efficace. Je ne pourrais m’imaginer député issu d’un scrutin proportionnel, sans lien avec un territoire. Je me sentirais hors sol. J’aime trop le terrain, le contact.
PdA : Qu’est-ce qui, demain, devra vous singulariser sur le fond en matière d’offre politique par rapport à la droite ? Quels nouveaux horizons du « progressisme » devraient être portés par la gauche à votre avis ?
PYLB : Certainement le combat de l’égalité des chances dont j’ai parlé un peu plus haut dans l’interview et les bases de discrimination positive qui me semblent nécessaires pour sortir notre pays de ses ruptures territoriales et générationnelles. Lorsque vous voyez que 100% des classes bi-langues sont maintenues à Paris contre 5% seulement en Normandie, on se dit que l’égalité réelle est bien lointaine. Qu’une telle situation se produise sous un gouvernement de gauche est incompréhensible pour moi. La gauche doit aussi s’engager en soutien sincère et profond pour l’économie verte. L’avenir de la planète comme la pérennité de la croissance en dépendent. Je viens du secteur photovoltaïque et je sais tout le potentiel de cette nouvelle économie pour l’emploi et le bien-être de notre société. Je pense que la gauche doit encourager ce mouvement et lui donner les cartes d’un développement pérenne, notamment en revendiquant un meilleur traitement législatif et fiscal au bénéfice des activités favorisant la transition énergétique.
PdA : Si vous deviez définir en quelques mots le sens que vous donnez à votre engagement politique ?
PYLB : Donner à chacun la chance de réussir sa vie. Cela passe par les moyens pour l’école, l’aide à la petite enfance, le soutien à la famille. Et se battre pour que nos enfants et petits-enfants vivent dans une société libre, reposant sur la responsabilité et la solidarité.
PdA : Si vous aviez un message à transmettre à François Hollande ? À Manuel Valls ?
PYLB : À François Hollande, ce serait de réformer notre pays jusqu’au bout de son mandat, sans se préoccuper des échéances électorales, quitte à ne pas être candidat. En politique, c’est comme au tennis : à jouer petit bras, on perd toujours. Je lui conseillerais aussi de renouer avec l’esprit et la volonté de 2012, en un mot d’oser.
À Manuel Valls, ce serait d’accepter la diversité de sa majorité, de se décrisper, d’entendre et de solliciter les voix critiques. De comprendre que ces voix critiques veulent autant que lui le succès du gouvernement. Je lui conseillerais aussi de sourire de temps en temps et de montrer son humanité en allant vers la jeunesse.
Et vous, que vous inspire le projet de réforme constitutionnelle ?
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Pierre-Yves Le Borgn' : "Andreas Schockenhoff, mon ami"
Le 14 décembre, à dix-huit heures, le député Pierre-Yves Le Borgn', dont la fidélité à Paroles d'Actu m'honore, écrivait sur son mur Facebook le message suivant : « J'ai appris ce soir avec une très grande peine le décès d’Andreas Schockenhoff, président du groupe d’amitié France-Allemagne au Bundestag. Depuis près de trois ans, Andreas et moi étions devenus plus que des alter egos : de vrais complices. » N'étant pas particulièrement au fait de la vie parlementaire quotidienne, pas davantage des échanges internationaux qu'elle suppose - deux questions qui, pourtant, m'intéressent grandement -, je ne connaissais pas Andreas Schockenhoff. J'ai voulu voir, via Google News, si sa disparition était évoquée par des médias français. Rien, ou presque rien, plusieurs heures après.
Je me suis fait cette réflexion : on parle beaucoup, s'agissant de la relation franco-allemande - un constat valable pour bien des thématiques -, de ce qui ne marche pas, de ce qui agace dans le comportement des uns et des autres. Bref, de ce qui tend à diviser. Et jamais de ce qui marche. Le 14 au soir, j'ai proposé à Pierre-Yves Le Borgn' de composer pour le blog un article, un texte sur et pour son collègue, son ami. Il a aimé l'idée et l'a acceptée, avec la bienveillance qui le caractérise - et dont je le remercie à nouveau. Ses mots, ici retranscrits, me sont parvenus ce jour, au lendemain des obsèques de M. Schockenhoff. L'hommage émouvant d'un ami à un ami... Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...
Pierre-Yves LE BORGN':
« Andreas Schockenhoff, mon ami »
« Une photo d'Andreas et moi, prise le mois passé à Paris, lorsque nous avions reçu tous les deux
les jeunes de l'Office franco-allemand pour la Jeunesse... »
Le 13 décembre, l’Allemagne a perdu un grand parlementaire : Andreas Schockenhoff. Andreas s’est éteint chez lui à Ravensburg, victime d’un malaise cardiaque. Il avait 57 ans. Enseignant de formation, Andreas avait été élu pour la première fois au Bundestag en octobre 1990, lors des premières élections d’après la chute du Mur. Le Bundestag siégeait alors à Bonn. Il me confiera un jour qu’il fut l’un des très rares députés du sud-ouest de l’Allemagne à avoir voté pour Berlin, quand il revint aux parlementaires allemands de décider qui, de Bonn ou de Berlin, deviendrait la capitale de l’Allemagne réunifiée. Andreas avait choisi Berlin parce que là-bas s’écrirait selon lui l’avenir de la nouvelle Allemagne, malgré son plaisir de travailler à Bonn, sur les bords du Rhin. Il adorait le pays souabe d’où il venait. Né à Ludwigsburg, la vie professionnelle, personnelle et politique l’avait conduit à Ravensburg. Il y revenait toutes les fins de semaine, quittant son petit studio de Berlin pour retrouver sa maison, sa famille, ses amis.
J’avais fait la connaissance d’Andreas Schockenhoff il y a trois ans seulement et j’ai pourtant l’impression que je le connaissais depuis toujours. Curieux sentiment, lié à cette chaleur, cette attention et cette discrète affection qu’Andreas savait toujours mettre dans l’échange. Ce sont nos fonctions de présidents des groupes d’amitié France-Allemagne et Allemagne-France à l’Assemblée et au Bundestag qui nous avaient rapprochés. Il présidait le groupe d’amitié depuis 1994. Vingt ans de passion franco-allemande, qui avaient fait de lui le « Monsieur Allemagne » pour l’Assemblée nationale. Andreas était aimé au Palais Bourbon, par-delà toutes les affinités politiques. Il y était chez lui et n’oubliait jamais d’arborer sa rosette au moment de venir nous rendre visite. La France, pour Andreas, était d’abord un bonheur, celui d’une année d’études à Grenoble, celui, aussi, de l’échange culturel qu’il prisait tant. Il parlait un français saisissant, tout en finesse, d’une voix douce et juste.
J’aimais ses appels téléphoniques, réguliers, qui commençaient toujours par le même « Bonjour, c’est Andreas ». Lui, le démocrate-chrétien, et moi, le socialiste, étions devenus amis et complices. Nous organisions les rencontres communes de nos parlements et groupes d’amitiés. Nous intervenions ensemble sur divers sujets, comme les conflits franco-allemands d’autorité parentale l’été dernier, adressant un courrier commun aux ministres française et allemande de la Famille pour les presser d’agir. Ou plus récemment sur la crise politique en Macédoine. Nous voyagions ensemble, comme le 6 avril 2014 à Izieu, pour la commémoration des soixante-dix ans de la rafle des enfants. Les familles et membres de la communauté juive avaient été très touchés qu’un député allemand se rende pour la première fois à Izieu. Je me souviens de l’émotion d’Andreas durant la visite de la maison et l’échange avec les derniers témoins de cette tragédie. Une photo, que je chéris, nous représente tous les deux, devant la maison et les gerbes de fleurs déposées.
Ce voyage à Izieu fut l’occasion de longues conversations dans le petit hôtel de Savoie où nous étions descendus. Andreas, par pudeur, se livrait peu. Ce soir-là, il avait fendu l’armure, me racontant sa vie, ses combats, ses coups durs, sa passion pour ses enfants. Et j’en avais fait de même de mon côté. La vie politique est si souvent superficielle, au point de ne jamais conduire à la rencontre de l’autre, de son unité et de son histoire. Andreas m’a permis de le connaître, personnellement en plus de politiquement. J’ai aimé ces moments. Je n’aurais jamais imaginé qu’ils devraient être si brefs. La vie est cruelle. Je pense à ses enfants : Theresa, Ferdinand et Philipp. Je pense à ses amis du Bundestag, rencontrés hier à la messe de requiem à Berlin. Je pense à notre dernière conversation téléphonique, il y a juste deux semaines, conclue par un « Salut ! », qui voulait dire « À tout bientôt ». Salut, mon ami. Je ne t’oublierai pas. Nous serons nombreux à faire vivre ton idéal et tes passions, à continuer le chemin avec toi et pour toi.
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Pierre-Yves Le Borgn' : "In fine, seul compte l'intérêt du pays"
Il y a un peu plus d'un an, Pierre-Yves Le Borgn', député socialiste représentant les Français établis dans la septième circonscription de l'étranger (Europe centrale et orientale), acceptait de répondre à ma sollicitation pour un article, pour Paroles d'Actu (l'interview est à lire ici). À la mi-septembre, j'ai souhaité lui proposer de participer à nouveau au blog, d'une manière, cette fois, un peu différente de la première : un développement, une sorte de tribune "orientée" par un propos introductif.
On trouvera, dans ce document, une analyse franche des causes et des conséquences - prévisibles - de l'impopularité record du chef de l'État, ainsi qu'un énoncé des leçons qu'il conviendrait - selon M. Le Borgn' - de tirer de cette situation. Je le remercie d'avoir, cette fois encore, joué le jeu, de nous livrer ainsi le fond de sa pensée, sans concession. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...
PIERRE-YVES LE BORGN'
«In fine, seul compte l'intérêt du pays»
(Source de l'illustration : P.-Y. Le Borgn')
Vingt-huit mois après son élection à la présidence de la République, la rupture que l'on constate tous les jours entre nos concitoyens et François Hollande atteint des niveaux critiques : un sondage LH2 pour Le Nouvel Observateur le créditait récemment de 19% d'opinions positives, un autre signé TNS Sofres pour Le Figaro Magazine le gratifiant d'une cote de confiance ne dépassant pas 13% - deux chiffres largement en deçà de son socle électoral du premier tour de 2012 (28,6%). Une étude Ifop pour Le Figaro indiquait quant à elle que, dans le cas d'un second tour l'opposant à Marine Le Pen, la présidente du Front national battrait largement l'actuel locataire de l'Élysée (par 54% contre 46%).
L'Assemblée nationale vient, par une majorité relative, de renouveler sa confiance au Premier ministre, Manuel Valls. Mais, s'agissant du peuple, qui constitue la base de la pyramide, rien, absolument rien n'est réglé : la défiance n'a peut-être jamais été aussi forte qu'aujourd'hui depuis l'instauration de la Cinquième République. J'aimerais vous demander, Pierre-Yves Le Borgn', en tant que député mais, surtout, en tant que militant socialiste, en tant qu'homme de convictions, de me dire, le plus sincèrement possible, ce que cette désaffection profonde vous inspire, comment vous voyez la suite ?
Cette désaffection me peine, même si j’en comprends les causes. Les Français estiment, pour une large part à raison, que le changement promis pour « maintenant » dans la campagne présidentielle en 2012 n’est pas au rendez-vous. Ils ne reconnaissent pas le candidat qu’a été François Hollande dans le Président qu’est devenu François Hollande. François Hollande, dans sa campagne présidentielle, n’avait sans doute pas pris la pleine mesure du délabrement de nos finances publiques et du décrochage de notre économie. La gauche était dans l’opposition depuis dix ans et je souscris volontiers à ce déficit de perception.
Il est possible aussi que le candidat n’ait pas, à dessein, suffisamment mis en évidence les mesures difficiles qu’il conviendrait de prendre aux lendemains des succès électoraux de mai et juin 2012. Ce souci de ne pas dire les choses brutalement est assez hollandais. Comme l’était également la croyance mécanique et en l’occurrence démentie par les faits d’une reprise économique mondiale nécessairement à venir qui tirerait la France au-dessus de la ligne de flottaison. De fait, des propos qui se voulaient rassurants comme « La reprise est là » sont apparus totalement décalés par rapport à la réalité vécue par des millions de Français, qui prenaient dans la figure la progression continue des chiffres du chômage et les augmentations d’impôts.
La société française crève du chômage de masse et du sentiment que renverser cette courbe est de l’ordre de l’impossible. Ce sentiment de résignation, de désillusion, de déclassement, de pessimisme, si ce n’est de déprime collective est terrifiant. Il vient de loin. Ce serait injuste d’en attribuer toute la responsabilité au Président Hollande, loin s’en faut. Reste que l’on ne peut ni ne doit s’en accommoder. Plus encore qu’en 2012, je crois à la nécessité de parler vrai, de parler cash, c’est-à-dire d’afficher toutes nos difficultés sans n’en atténuer aucune et d’afficher les efforts requis pour s’en sortir. Je n’ai pas d’affection particulière pour Churchill, mais il n’est pas inutile de parler de sueur et de larmes.
Le rapport Gallois est pour moi l’acte fondateur du quinquennat. Il pose le diagnostic juste et implacable des carences de l’économie française. Il trace aussi le chemin à suivre pour restaurer la compétitivité perdue de nos entreprises, réduire nos déficits et notre endettement, en un mot retrouver la souveraineté que nous avons abandonnée, non à l’Europe mais aux marchés financiers par le laxisme budgétaire et les non-choix. Si l’on veut sauver le modèle français et notre pacte républicain, alors des politiques difficiles sont à mener, qui ne figuraient pas dans le programme présidentiel de François Hollande, c’est vrai.
Au risque de détonner, j’estime que l’objectif d’un parti au pouvoir, a fortiori le mien, n’est pas de gagner les élections d’après, mais avant tout de tendre, dans les faits et par les réalisations, au progrès partagé. En cette fin de mois de septembre 2014, les résultats ne sont pas au rendez-vous et je comprends la colère des Français. Si les élections avaient lieu aujourd’hui, nous serions balayés, tant à l’élection présidentielle qu’aux élections législatives. Marine Le Pen serait au second tour et il resterait moins de cinquante députés PS à l'Assemblée nationale. L’électoralisme n’est pas une boussole. La fuite en avant de la dette et le retour de la dépense publique sans compter seraient une tragique erreur.
Seul compte l’intérêt du pays, et celui-ci requiert que soient mises en place toutes les mesures d’ordre législatif et réglementaire procédant du pacte de responsabilité. Il faut réduire le coût du travail pour relancer l’investissement et donc l’emploi. J’ai confiance qu’à terme, cette politique portera ses fruits. À temps pour 2017 ? C’est possible, mais pas assuré. Il faut passer du dire au faire, revendiquer l’impopularité et, oui, prendre le risque de l’échec électoral pour assurer la réussite du pays et des Français. C’est l’idée que je me fais de l’action publique. J'ai confiance que le gouvernement de Manuel Valls conduit la France dans la bonne direction.
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Pierre-Yves Le Borgn' : "Aidons nos PME, revalorisons l'apprentissage"
Le week end dernier, deux législatives partielles avaient lieu en dehors du territoire national. Les Français établis en Amérique du Nord ont préféré l'ex-député altoséquanais Frédéric Levebre au Montréalais Franck Scemama pour les représenter. Dans la huitième circonscription, comprenant notamment Israël, l'Italie, la Grèce et la Turquie, c'est l'UDI Meyer Habib qui l'a emporté face à la candidate UMP Valérie Hoffenberg. Il y a un an, chacun de ces sièges était occupé par une socialiste, avant l'annulation des deux élections par le Conseil Constitutionnel - et la diminution d'autant des effectifs de la majorité présidentielle -. Il y a cinq ans, ces circonscriptions extraterritoriales n'existaient pas. Elles sont nées de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, voulue par Nicolas Sarkozy. Un an après son élection et l'installation de François Hollande à l'Élysée, le député socialiste de la septième circonscription (l'Europe centrale et orientale) Pierre-Yves Le Borgn' a accepté d'évoquer pour Paroles d'Actu ces Français dont il entend porter les voix, ses idées, ses engagements, ses espoirs pour le quinquennat. Je l'en remercie. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU
PIERRE-YVES LE BORGN'
Député de la 7ème circonscription des Français établis hors de France
"Aidons nos PME, revalorisons l'apprentissage"
(Photos proposées à ma demande par Pierre-Yves Le Borgn')
Q : 23/04/13
R : 09/06/13
Paroles d'Actu : Bonjour Pierre-Yves le Borgn'. Vous êtes depuis juin 2012 le Député des Français de l'étranger établis dans la septième circonscription extraterritoriale. (Albanie, Allemagne, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Hongrie, ancienne République yougoslave de Macédoine, Pologne, Roumanie, Serbie, Monténégro, Kosovo, Slovénie, République tchèque, Slovaquie) Un territoire vaste, très vaste... À quoi votre quotidien d'élu ressemble-t-il ?
Pierre-Yves Le Borgn' : En effet, le territoire est grand. Seize pays, un territoire de 1,6 million de km2. C’est certain que ce chiffre n’a pas grand-chose à voir avec la taille des circonscriptions de mes collègues de France métropolitaine et ultramarine, qui mesurent quelques dizaines voire centaines de km2.
Après quasiment un an à l’Assemblée nationale, j’arrive à gérer mon emploi du temps. Il m’a cependant fallu près d’un semestre de rodage. Le lundi, je suis chez moi où je peux travailler au calme. Les mardis, mercredis et jeudis, je suis au Palais Bourbon où j’enchaîne les rendez-vous et les réunions. J’assiste naturellement aux questions posées au gouvernement et aux différentes séances dans l’hémicycle et ce de jour comme de nuit. C’est un rythme d’enfer, passionnant et parfois éprouvant.
Enfin, le vendredi, je suis à Cologne, où se trouve ma permanence parlementaire, pour y rencontrer les compatriotes qui le souhaitent ou bien je me rends dans le reste de la circonscription. Lorsque je suis en dehors de l’Allemagne, ce qui est en général le cas une à deux fois par mois au moins, j’organise des déplacements de deux à trois jours afin de tenir compte des difficultés de transport, notamment vers les Balkans.
PdA : Il est difficile et toujours un peu périlleux de chercher à synthétiser sur la base de situations individuelles complexes et souvent très différentes. Pouvez-vous malgré cela nous parler de ces Français qui vous ont élu l'année dernière, nous faire part de ce qui les préoccupe, peut-être d'une manière un peu décalée par rapport au reste de la communauté nationale ?
P.-Y.L.B. : Il y a des sujets communs à tous les Français de la 7ème circonscription comme les bourses scolaires, les frais de scolarité élevés dans les écoles françaises, la protection consulaire, l’action sociale et plus particulièrement la question de la liquidation des retraites ou celle de la couverture santé. Une question plus légère mais non moins importante qui revient souvent lors de mes réunions publiques concerne le visionnage de programmes télévisuels par Internet depuis l’étranger. Enfin, un sujet très délicat est celui des conflits d’autorité parentale. Beaucoup de parents divorcés, en Allemagne notamment, me contactent parce qu’ils rencontrent des difficultés à obtenir un droit de garde et de visite de leur enfant. Ces difficultés sont induites par le défaut de la coordination de droit de la famille au niveau européen et je m’emploie beaucoup depuis de nombreux mois à prévenir ces difficultés. Je n’ai pas trop communiqué sur cette action-là car le sujet est très sensible et je préfère le faire au bon moment, lorsque j’aurai au demeurant des résultats à afficher.
PdA : Juriste international de formation, vous avez notamment travaillé à Mayence, à Francfort, en tant que cadre-dirigeant au sein d'une société de fabrication de panneaux solaires. L'Allemagne, sa culture du dialogue, sa politique de l'offre... sont souvent présentés comme des modèles dont il faudrait s'inspirer pour assainir et redynamiser notre économie. Vous connaissez bien nos deux pays. Voyez-vous des domaines dans lesquels nous devrions, à votre avis, nous inspirer de nos partenaires allemands ?
P.-Y.L.B. : Pourquoi se limiter à l’Allemagne ? Il me semble qu’il faudrait s’inspirer des méthodes ayant fait leurs preuves dans chaque pays de la circonscription et pas seulement en Allemagne. J’admire le dynamisme de l’économie allemande et notamment la force de son tissu d’entreprises de taille intermédiaire, championnes de l’exportation. C’est le fameux « Mittelstand », qui n’a pas d’équivalent en France, malheureusement. Il faut aider nos petites et moyennes entreprises à se développer car elles sont un atout pour notre économie et de ce fait pour l’emploi.
Un autre point positif que nous pouvons trouver de ce côté du Rhin concerne l’apprentissage. En effet, cette méthode d’enseignement est trop peu valorisée en France. Il faut encourager les collégiens à rejoindre un Centre de Formation pour Apprentis et faire disparaître cette idée reçue consistant à faire passer les apprentis pour des personnes inintelligentes. Lors de son déplacement à Blois, le Président François Hollande a annoncé des mesures importantes pour l’apprentissage. Cette formation professionnelle est un atout pour les adolescents et pour notre pays.
PdA : Plus globalement, vous revendiquez pleinement votre ouverture sur l'international, votre culture profondément européenne. Vous avez ainsi étudié au Collège d'Europe à Bruges, travaillé en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg et aux États-Unis. Qu'avez-vous appris au contact de ce monde-là, ces leçons que vous souhaiteriez, peut-être, partager avec ceux de nos compatriotes - et ils sont nombreux - qui ne voient pas forcément la mondialisation d'un très bon œil ?
P.-Y.L.B. : Nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire du Traité de l’Elysée, dont l’une des heureuses conséquences a été de donner naissance à l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (OFAJ), qui a permis à des milliers de jeunes de découvrir une autre culture en traversant le Rhin. Quitter son pays pour s’établir ailleurs n’est pas une décision facile à prendre. J’ai fait ce choix. Cela n’a pas toujours été facile. J’en ai parfois bavé, mais j’ai travaillé d’arrache-pied, apprenant de toutes les cultures dans lesquelles je m’immergeais, et j’ai réussi professionnellement. Vivre dans différents pays m’a permis de découvrir d’autres méthodes de travail. Mon expérience professionnelle est un melting pot de ces cultures d’entreprises dans les quatre pays que j’ai connus.
Ma conclusion est donc qu’il ne faut pas craindre l’ouverture au monde et aux autres mais bien au contraire utiliser ce qu’elle peut apporter de positif pour une carrière et un parcours de vie.
PdA : Sans transition, une question d'"actualité immédiate", ce sera la seule de cet entretien. À l'heure où je vous la propose, l'Assemblée nationale vient d'adopter le Mariage pour tous. Vous l'avez fait, avec vos collègues députés. Dans quel état d'esprit vous trouvez-vous suite à ce vote ?
P.-Y.L.B. : Je suis heureux et fier. Cela est un véritable honneur pour moi d’avoir participé à ce changement sociétal important. Avec cette loi, le mariage est devenu ouvert à tous. Il n’était pas normal que dans notre pays, nous ne reconnaissions pas l’égalité des couples devant la loi.
PdA : Quelles sont les thématiques, les causes sur lesquelles vous souhaiterez vous engager tout particulièrement à titre personnel durant ce quinquennat ?
P.-Y.L.B. : J’ai déjà évoqué les problèmes de garde d’enfants, qui sont l’une de mes priorités. Je souhaiterais œuvrer pour rapprocher nos politiques et législations nationales en droit de la famille. Si nous sommes arrivés à élaborer un droit matériel commun du mariage entre la France et l’Allemagne, nous pourrons le faire sur le divorce et les successions. C’est une nécessité. L’accès à l’enseignement français à l’étranger est également une thématique importante car beaucoup de familles souffrent de frais de scolarité trop élevés. Pour les familles demeurant trop loin d’un établissement français, une solution serait de développer les filières bilingues.
L’accès à la langue et à la culture française par nos compatriotes est aussi une priorité car c’est souvent ce qui permet à nos concitoyens de garder un lien avec notre pays. J’ai d’ailleurs utilisé une grande partie de ma réserve parlementaire pour permettre à différentes bibliothèques de ma circonscription d’acquérir de nouveaux livres, de faire des travaux pour rendre l’accueil des usagers agréable ou permettre un meilleur accès aux livres.
PdA : Près d'un an a passé depuis les élections présidentielle et législatives... L'enthousiasme populaire n'est plus tout à fait de mise... Quant la confiance, celle accordée à l'exécutif, elle est en berne. La crise, d'accord, mais elle n'est jamais qu'un élément de ce désamour, plus profond et qui touche à la politique menée, aux priorités affichées, aux personnalités elles-mêmes. L'inquiétude, voire la défiance sont exprimées par nombre de nos compatriotes, dont pas mal d'électeurs du président. Où en êtes-vous par rapport à tout cela ? Confiant, vous l'êtes toujours ?
P.-Y.L.B. : Bien sûr que je suis toujours confiant. Un célèbre adage dit : Paris ne s’est pas fait en un jour. Il me semble donc qu’il faut laisser du temps au temps. Je comprends bien évidemment les Français vivant dans une situation délicate qui souhaiteraient que leur vie s’améliore rapidement. La majorité a besoin de temps pour améliorer la situation de la France. Nous avons hérité d’une situation économique et sociale très dégradée par la crise certes, mais aussi par les choix de la droite au pouvoir durant 10 années. François Hollande l’a très bien dit lui-même : « Je demande à être jugé au terme des cinq ans ».
PdA : Cette question de la confiance me pousse à en aborder une autre, fondamentale pour le bon fonctionnement de notre société. Votre parcours, celui de votre famille est exemplaire. Celui de la méritocratie républicaine, de "l'émancipation et l'élévation sociale grâce à l'école laïque et aux bourses scolaires". Aujourd'hui, l'ascension de l'échelle sociale, la génération suivante vivant forcément mieux que la précédente, beaucoup de gens n'y croient tout simplement plus. La morosité des perspectives économiques, la remise en cause d'acquis sociaux - y compris par la gauche - et le poids écrasant de la dette ne sont évidemment pas étrangers à ce ressenti ô combien préoccupant... Qu'avez-vous envie de répondre à ces personnes ?
P.-Y.L.B. : Je répondrais qu’il ne faut jamais baisser les bras. Grâce à l’École de la République, l’ascension sociale est possible. J’en suis le parfait exemple. Je suis le petit-fils d’un cheminot, d’une garde-barrière, d’un boulanger et d’une coiffeuse. Grâce aux bourses, mon père et mère ont pu suivre des études et devenir instituteurs. Ils ont su, confiants en l’école et nous inculquant le goût du travail, nous aider, ma sœur et moi, à faire des études longues.
Nous vivons une époque difficile et je comprends les doutes de nos compatriotes, mais ne plus essayer de se battre contre l’injustice sociale serait le pire exemple à donner à nos enfants. C’est dans la solidarité nationale, avec le sens des devoirs et des droits qui fondent la République, que l’on construit l’avenir.
PdA : Revenons à des horizons plus immédiats, même si l'avenir se jouera en grande partie au cours de ce quinquennat... Sur la base de quels résultats tangibles, de quels chantiers sérieusement entrepris pourrez-vous sincèrement déclarer, au printemps 2017, "Oui, Hollande, a été utile à la France et aux Français" ?
P.-Y.L.B. : Comme vous l’écrivez, tout va se jouer au cours du quinquennat. Je vous donne donc rendez-vous en 2017 pour répondre à cette question. Et je vous redis ma confiance en l’action menée par le Président de la République.
PdA : Un message pour nos lecteurs ?
P.-Y.L.B. : N’hésitez par à aller sur mon site, j‘y poste très régulièrement des articles.
PdA : Que peut-on vous souhaiter, Pierre-Yves Le Borgn' ?
P.-Y.L.B. : Que j’arrive à réaliser tout ce que j’ai entrepris pour nos compatriotes. C’est là qu’est ma motivation, ma volonté de servir.
Merci encore, Pierre-Yves Le Borgn', pour vos réponses, pour votre enthousiasme. Merci également à Cyril Mallet, collaborateur du Député, pour sa patience, pour nos échanges. Si vous êtes vous aussi un(e) Français(e) établi(e) à l'étranger, n'hésitez pas à nous faire part de votre expérience, en commentaire. Nicolas alias Phil Defer
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