30 septembre 2021

Frédéric Quinonero : « Serge Lama est perçu injustement, corrigeons cela tant qu'il est encore là »

De Serge Lama, on connaît tous au moins une chanson : Je suis malade (S. Lama / A. Dona) a été interprétée, ici et ailleurs, par de grandes voix qui ont sublimé ce texte, pourtant très personnel d’un Lama né Chauvier qui, davantage sans doute que d’autres, s’est raconté et s’est confié, tout au long de sa carrière.

 

 

Connaît-on vraiment Serge Lama, au-delà de cette chanson, et de ses plus connues qui, des P’tites femmes de Pigalle à Femme, femme, femme, ne sont pas forcément ses plus intéressantes ? Je le confesse : de lui je ne savais pas grand chose avant de lire cette nouvelle bio de qualité signée Frédéric Quinonero, que je remercie pour cet entretien  - et je salue au passage Marie-Paule Belle et Marcel Amont, cités dans le livre et que j’avais tous deux interviewés, il y a des années.

L’histoire d’une enfance, qui l’aura marqué à vie ; l’histoire aussi d’une niaque hors norme, que les lourdes épreuves de son existence n’ont fait que renforcer. Lama, un gaillard attachant, et un grand interprète et auteur, trop souvent oublié, et qui mérite d’être découvert, ou redécouvert. Lisez ce livre, et écoutez-le, profitez-en : pour le moment le chanteur a vingt ans. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

Frédéric Quinonero: « Serge Lama est perçu

injustement, corrigeons cela tant quil est encore là »

Serge Lama La rage de vivre

Serge Lama, la rage de vivre (LArchipel, septembre 2021)

 

Pourquoi as-tu choisi de consacrer cette nouvelle biographie à Serge Lama ?

C’est avant tout pour réparer un manque  : il n’y avait pas de biographie de Serge Lama quand j’ai décidé d’écrire la mienne. Ensuite, il y a eu l’annonce de ses adieux à la scène, tout au moins à la Province, ce qui constituait un prétexte idéal. Enfin, et surtout, il s’agissait de réhabiliter un auteur et un show-man.

 

Ce qui saute aux yeux quand on lit ce récit, dès les premières lignes, c’est cette niaque assez incroyable qui a animé Lama, notamment après son terrible accident de l’été 1965 qui a emporté celle qu’il aimait, Liliane, le frère d’Enrico Macias aussi, et qui a failli, lui, le laisser paralysé...

J’ai ouvert mon livre en relatant cet événement tragique, de façon filmique. Car on peut dire que cet accident de voiture, au-delà de l’horreur qu’il représente, a «  fait  » Lama  ! Il était en tournée, il démarrait une carrière avec l’arrogance des débutants qui veulent réussir coûte que coûte. L’accident l’a fauché en pleine ascension, modifiant brutalement la donne. Ramené à la case départ, physiquement et moralement détruit, il lui a fallu remonter la pente avec une rage de vivre supplémentaire, mais la sensibilité en plus. Devenu plus ouvert aux autres, plus humain, il était désormais prêt à être aimé. Et il l’a été, ô combien  !

 

 

On est frappé aussi de voir à quel point il a, semble-t-il, été influencé par ce qu’il a vu de ses parents  : une mère au caractère fort, un peu castratrice ; un père artiste mais qui lui a manqué de niaque et a lâché l’affaire sous la pression notamment de son épouse. Peut-on dire que Lama, plus peut-être que d’autres artistes, s’est construit en songeant à ses parents ? Qu’il a choisi ses compagnes en pensant à sa mère, comme un anti-modèle, et qu’il a mené sa carrière et sa vie d’homme en s’assurant, lui, de ne jamais abandonner ce qui lui tenait à cœur ? Les Ballons rouges c’est vraiment l’histoire de son enfance ?

Il y a souvent chez l’artiste un enfant qui sommeille et n’a pas réglé ses comptes avec ses parents. C’est le cas de Lama. Admiratif de son père, chanteur d’opérette qui plaisait beaucoup aux femmes, mais dont la carrière évoluait péniblement, il en a toujours voulu à sa mère de l’avoir contraint à renoncer pour une activité alimentaire plus lucrative. Une rancœur injuste, à l’égard d’une femme, sa mère, qui supportait les inconvénients de la vie d’un chanteur, sans en connaître les avantages  ! Si Lama n’a pas eu de ballons rouges et ne jouait pas aux billes dans son quartier, c’est parce qu’il ne devait pas se salir et astreindre sa mère à trop de lessives… Ce ressentiment à l’égard de sa mère allait déteindre ensuite sur les femmes, en général, tout au long de sa vie – l’idée de la femme castratrice et empêcheuse de tourner ou de chanter en rond l’incita à ne jamais partager le même toit avec ses compagnes (sauf la dernière). Devenu chanteur populaire pour venger son père, alors qu’il se voulait plutôt écrivain, Lama a fait ensuite, comme dans la chanson, «  ce qu’il a voulu  ».

 

 

Parmi tes témoignages recueillis, sur l’accident, et sur son père, on retrouve avec plaisir les mots de Marcel Amont. Un témoin, comme une évidence à tes yeux ?

Oui, n’ayant pas accès aux très proches de Lama (le chanteur écrit un livre de souvenirs, et se les réserve), j’ai sollicité d’autres témoins qui ont accompagné son parcours, certains jamais sollicités. Marcel Amont l’a été, notamment pour évoquer l’accident de l’été 1965, puisqu’il était la vedette de cette tournée. Je l’avais déjà rencontré pour un livre sur les années 60 (Les années 60, rêves et révolution, 2009)  : il m’avait alors reçu dans sa chambre d’hôtel, allongé tout habillé sur son lit et moi assis dans un fauteuil (rires). C’est toujours un plaisir d’interviewer Marcel Amont qui est un artiste d’une grande humanité. J’ai tendance à penser que seuls les chanteurs de «  l’ancienne école  » sont encore capables d’une telle générosité. Il me remerciait encore tout récemment par courriel de lui avoir envoyé un exemplaire de mon livre.

 

On le salue avec chaleur. Tu l’évoques très bien dans le livre, Serge Lama aime écrire, il a de l’énergie à revendre, mais il a aussi fait des rencontres essentielles qui l’ont aidé à prendre le large, à l’image de son "père de substitution" Marcel Gobineau, de Régine, de Barbara aussi... Beaucoup de bonnes fées, au féminin comme au masculin, autour de lui ?

Marcel Gobineau, qui était régisseur au théâtre des Capucines où se produisait Georges Chauvier, le père de Lama, a été l’homme providentiel. Il l’a aidé à surmonter les épreuves, s’est occupé de lui comme d’un fils. Serge lui dédiera plus tard la chanson Mon ami, mon maître. Médium, Gobineau lui avait prédit que la gloire viendrait avec un disque à la pochette rouge, illustré d’un portrait de Serge qui ne serait ni une photo, ni un dessin… À ses débuts, ce sont surtout des femmes qui lui ont mis le pied à l’étrier. Barbara, la première, qui était la vedette de l’Écluse où Lama levait le torchon, l’imposera ensuite à Bobino dans le spectacle de Brassens où elle était la vedette américaine. Il y aura ensuite Renée Lebas, qui sera la productrice de ses premiers disques, Régine, pour qui il écrira des chansons et qui lui présentera le compositeur Yves Gilbert… Les femmes seront très importantes dans le parcours de Serge, toujours présentes dans son entourage.

 

 

Serge Lama n’était pas compositeur, mais on l’a vu, il a su et sait toujours très bien s’entourer. Parmi ses compositeurs, deux noms essentiels : Yves Gilbert et Alice Dona. Qu’est-ce que l’une et l’autre lui ont apporté, et en quoi la contribution de chacun à l’édifice Lama a-t-elle été particulière ?

Yves Gilbert survient très tôt dans son parcours, au moment où il est alité et corseté, à la suite de son accident. Le compositeur lui rend visite tous les jours et, ensemble, ils écrivent les chansons des premiers albums de Serge. Ils ne se quitteront plus. Yves Gilbert sera son pianiste attitré sur scène pendant toutes les années de gloire. Alice Dona intervient à partir de 1971, à la faveur d’une chanson écrite pour le concours de l’Eurovision (Un jardin sur la terre). Complément harmonique d’Yves Gilbert, elle devient indispensable dès lors qu’elle écrit Je suis malade et d’autres titres de l’album rouge (La chanteuse a 20 ans, L’enfant d’un autre…) Suivront de nombreux tubes, comme Chez moi, La vie lilas, L’Algérie…) Serge apprécie l’élégance d’Yves Gilbert, sa sensibilité féminine, et a contrario, le touche masculine et efficace d’Alice Dona, son élan populaire.

 

 

Au petit jeu des filiations et des ressemblances, on l’a paraît-il pas mal comparé à Brel au début, ce qui ne le convainquait qu’à moitié. Parmi les anciens, ne faut-il pas plutôt, chercher du côté d’un Bécaud ? Je sais qu’il a aussi revendiqué une filiation par rapport à Aznavour...

Oui, Bécaud comme Lama était un vrai show-man. Aujourd’hui, on ne cite pas plus Lama que Bécaud dans les influences sur les jeunes générations, alors qu’ils ont révolutionné la scène musicale chacun à son époque, par ailleurs auteur pour l’un, compositeur pour l’autre. Si Bécaud a influencé Lama à ses débuts – il allait le voir sur scène pour apprendre le métier –, c’est du côté d’Aznavour qu’il préfère qu’on le rapproche, car c’est sa plume qu’il voudrait qu’on honore, plus que ses qualités d’interprète qui, pourtant,  elles, pourraient être comparées à celles de Brel.

 

Lama a monté un spectacle assez impressionnant autour de Napoléon. Dans la deuxième moitié des années 70 il a volontiers assumé un côté cocardier, sa virilité, et passait auprès de certain(e)s pour être misogyne, voire allons-y franchement - l’époque (déjà) ne faisait pas trop dans la finesse - pour un affreux réac. On pense aussi à Sardou, qui a été catalogué dans ces catégories lui aussi : comme Lama, il a parfois tendu le bâton, mais comme Lama, il a prouvé par la suite à quel point il savait être plus fin que ce que certains espéraient de lui. De fait, est-ce qu’ils se ressemblaient au-delà des apparences, ces deux-là que tu connais bien ? Quelles ont été, pour ce que tu en sais, leurs relations ?

Napoléon ne lui a pas rendu service. Ce fut un triomphe en termes d’entrées pendant six ans, mais cela n’a pas attiré une clientèle jeune et l’a définitivement éloigné de la génération de ces années Mitterrand et des suivantes. Il y eut de graves erreurs de commises à cette période-là, en termes d’image et de communication, de celles dont on peine à se relever. Par la suite, il lui a manqué, dans les années 80 surtout, des grandes chansons, dignes de celles qu’il sait écrire quand il est inspiré. Si bien qu’aujourd’hui on l’associe encore à une caricature de chanteur franchouillard, liée aux chansons joyeuses qui demeurent ancrées dans les mémoires, comme Les p’tites femmes de Pigalle ou Femme, femme, femme. Sardou n’a pas eu cette traversée du désert des années 80, il a su prendre le virage qu’il fallait et garder sa popularité intacte avec des tubes comme Musulmanes ou Les Lacs du Connemara.

 

 

Quels sentiments Serge Chauvier, l’homme derrière Lama, qui a connu plus que sa part d’épreuves, t’inspire-t-il ? Si tu avais un message à lui faire passer, une question à lui adresser ?

Il m’inspire des sentiments contrastés, mais je le crois généreux et humble. Nous avons des amis communs. J’aurais aimé le rencontrer, même après ce livre. Pour parler histoire et littérature. Et chanson, inévitablement.

 

Quel regard portes-tu sur son travail, son œuvre en tant qu’auteur ? Serge Lama est-il à ton avis considéré à sa juste valeur aujourd’hui ?

On se souviendra sans doute longtemps de Je suis malade, que Lara Fabian a fait découvrir à la génération du début des années 2000. Et mon livre permet de se rendre compte de la richesse de son répertoire, qui ne se limite pas aux chansons festives, style Le gibier manque et les femmes sont rares. Je crois sincèrement qu’il y a une injustice de perception à l’égard de l’œuvre de Lama, qui mérite d’être corrigée tant qu’il est encore là.

 

 

Quelles chansons, connues ou moins connues d’ailleurs, préfères-tu dans son répertoire, celles que tu aimerais inviter nos lecteurs à découvrir ou redécouvrir ?

En voici dix-huit pour une playlist de mes préférées  : Le 15 juillet à cinq heures, Et puis on s’aperçoit…, Le dimanche en famille, Mon enfance m’appelle, Les poètes, L’enfant d’un autre, À chaque son de cloche, Les ports de l’Atlantique, L’esclave, Toute blanche, La fille dans l’église, Devenir vieux, O comme les saumons, Maman Chauvier, Les jardins ouvriers, Quand on revient de là, D’où qu’on parte et Le souvenir.

 

 

 

Et encore, parmi les mieux connues  : La chanteuse a vingt ans, L’Algérie, La vie lilas, Souvenirs… attention… danger ! et bien sûr, Les Ballons rouges...

 

 

Et, allez, quelles chansons de Lama mériterait-elles de sombrer définitivement dans l’oubli, celles qu’il n’aurait jamais dû écrire  ?

Messieurs… et quelques autres comme Je vous salue Marie.

 

Je ne crois pas briser un secret en indiquant, à ce stade, que tu as commencé un nouvel emploi à la Poste, durant l’été, à côté de tes activités d’auteur. Est-ce que cette expérience te fait regarder autrement, peut-être avec une motivation différente, ton travail d’écrivain ?

Cela faisait longtemps que je m’interrogeais sur ma situation et les difficultés que je pouvais rencontrer, financièrement. L’année 2020 a été épouvantable à tous points de vue et m’a fait franchir le pas. Cette nouvelle activité me permet d’avoir une vie sociale, un salaire, une mutuelle, bref une sécurité que je n’avais pas. Et me donne, en effet, la possibilité d’envisager l’écriture autrement. Celle aussi de dire merde à quelques-uns (rires)…

 

Début septembre, la disparition de Jean-Paul Belmondo a provoqué une vague d’émotion qui à mon avis, n’était pas usurpée tant l’artiste, talentueux, avait aussi une image sympathique. À quoi songes-tu à l’évocation de Belmondo ? C’est quelqu’un sur qui tu aurais pu avoir envie d’écrire ?

Il est l’acteur de mes tendres années et sa mort, comme celle de Johnny – toutes proportions gardées, car chacun sait ce que Johnny représentait pour moi ­ –, a fait s’écrouler un pan de ma vie. On n’allait pas voir le dernier film de Zidi ou de Lautner, on allait voir le dernier Belmondo. Ils sont de plus en plus rares les acteurs qui font ainsi déplacer les foules au cinéma. Son immense popularité était la conséquence de la simplicité et de la gentillesse qui irradiaient de tout son être. Il avait en outre un charme de dingue. J’aurais aimé écrire sur Belmondo, comme j’ai écrit sur Sophie Marceau. Je leur trouve des points communs, en particulier cette grande liberté qui a fait leur force.

 

Jean-Paul Belmondo

Crédit photo : AFP.

 

Si ça ne tenait qu’à toi, et non aux impératifs posés par des éditeurs, y a-t-il des personnalités moins "bankables" auxquelles tu aurais envie de consacrer une biographie ?

Il y a des artistes oubliés comme Georges Chelon, que j’aime beaucoup et dont l’oeuvre mériterait d’être réhabilitée. Des artistes de mon enfance, comme Gérard Lenorman. De nombreux anonymes qui changent la vie (comme le chante si bien Goldman) mériteraient qu’on s’intéresse à eux. Ils sont sûrement plus méritants que certains chanteurs. Et puis, ça va t’étonner, mais j’aimerais raconter l’incroyable destin de Mireille Mathieu ! J’aime les gens qui ont un destin inouï comme le sien. C’est pain bénit pour un biographe !

Mireille Mathieu

C’est le destin qui me plaît, partie de rien, des terrains vagues d’Avignon, travaillant en usine pour nourrir la marmaille (13 enfants), et devenir ce qu’elle est devenue à force de travail et de renoncements, c’est purement incroyable.

 

C’est un appel du pied ?

Je ne suis pas sûr qu’elle ait envie de collaborer à un livre. Mais pourquoi pas ? Mireille, si tu nous lis...

 

À quand des écrits plus intimes ?

Chaque chose en son temps… Des choses sont écrites, des fragments. Une idée de roman autobiographique… Tout ça viendra sans doute.

 

Tes projets et surtout, tes envies pour la suite ?

Un projet de livre sur un chanteur, mais pas une biographie. Plein d’envies, mais rien encore de concret.

 

Un dernier mot ?

Doré… (c’est pour bientôt  !)

 

F

 

Un commentaire ? Une réaction ?

Suivez Paroles d’Actu via FacebookTwitter et Linkedin... MERCI !


19 janvier 2015

Elena Hasna : "Huit millions de vues... j'en reste abasourdie"

   Il y a un an, un peu plus ou un peu moins, je ne sais plus... bref, j'ai eu, comme nombre de Français et francophones, un coup de cœur pour l'interprétation par une petite Roumaine de cette sublime chanson qu'est Je suis malade (écrite par Serge Lama et composée par Alice Dona). J'ai découvert cette vidéo sur Facebook et l'ai partagée plus d'une fois sur ce réseau.

   Elena Hasna, c'est son nom, a repris plusieurs autres titres en français, dont Dernière Danse, que chante Indila. Je l'ai contactée et lui ai demandé d'évoquer pour Paroles d'Actu l'expérience Next Star (l'émission qui l'a fait connaître), ses goûts en matière de chanson française et ses envies pour la suite. Le texte ici publié est une traduction du sien, initialement composé en anglais. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

PAROLES D'ACTU - LA PAROLE À...

Elena Hasna (Je suis malade, 2013)

Elena Hasna

 

Q. : 06/01/15 ; R. : 12/01/15

  

   Je m'appelle Elena Beatrice Hasna. Je chante depuis l'âge de sept ans ; une passion qui, depuis lors, ne m'a jamais quittée. En 2013, j'ai souhaité participer à cette émission importante, en Roumanie : Next Star, sur Antena 1. C'est un show dans lequel des enfants chantent et sont jugés sur leur prestation. Je ne pensais pas devenir célèbre, parce que je n'ai pas réussi à atteindre la finale. Nous avons tous été surpris, moi la première, par le nombre de vues qu'a obtenues, sur le web, la vidéo de mon interprétation de Je suis malade, juste après la diffusion. Voyant cela, Next Star m'a invitée à réintégrer l'émission, dans le cadre d'une « finale de popularité ». Que j'ai gagnée.

   Il y a eu, cumulés, huit millions de visionnages pour cette vidéo de Je suis malade. J'en reste abasourdie... De nombreux Français s'en sont emparés, quand ils l'ont découverte. Serge Lama lui-même en a posté le lien sur sa page FacebookNext Star organise, de temps à autre, des émissions spéciales auxquelles, souvent, je suis invitée. J'ai participé à plusieurs concerts, à plusieurs émissions en France. J'y ai chanté cette chanson et en ai été très heureuse. J'aime beaucoup la chanson française. Je pourrais citer, outre Serge Lama évidemment, des gens comme Céline Dion, Dalida, Lara Fabian... J'aime beaucoup la France de manière générale. C'est un très beau pays.

   Ce dont j'aurais envie, pour la suite ? Je veux continuer de chanter et espère participer à nouveau show musical pour adolescents ici, en Roumanie. Je rêve d'un duo avec une grande vedette de la chanson. De me produire sur des scènes importantes. De poursuivre mon chemin et de gagner en notoriété, petit à petit. Merci de m'avoir proposé de m'exprimer sur votre blog.

 

Une réaction, un commentaire ?

 

Vous pouvez retrouver Elena Hasna...

 

31 juillet 2014

Bernard Saint-Paul : "J'ai confiance en Véronique... et je l'aime"

   Il est de ces articles dont la publication procure, au-delà de la satisfaction née de l'achèvement d'un projet et de la gratitude ressentie envers l'interviewé, une fierté véritable. Je pourrais citer quelques-uns des entretiens parus sur Paroles d'Actu - celui avec le regretté Gilles Verlant; celui avec la "maman" des Guignols Alain Duverne; celui avec la directrice des jeux et divertissements de France 2 Nathalie André; celui avec Marie-Paule Belle, par exemple -, ils ont tous au moins un trait commun : la sincérité qui émane de l'invité, le goût manifesté à l'idée de se raconter, sans fioriture ni tabou, simplement et, souvent, avec de vraies bonnes doses d'humilité.

   L'article qui suit sera, à l'évidence, à classer parmi ceux-là - et tous les autres que je n'ai pas cités. Bernard Saint-Paul a un CV long comme un bras (plus la moitié d'un autre). Je n'y reviendrai pas outre-mesure dans cette intro : sa carrière et sa vie, sa "drôle de vie", comme dirait Sanson, cette immense artiste qu'il a si souvent accompagnée, seront largement déroulées au cours du document. De ses mots, je retiendrai la puissance d'une tendresse qu'il ne cherche pas à dissimuler envers sa « petite sœur ». Et toutes ces anecdotes, passionnantes, formidables. Un mot, banal en apparence, dont chaque lettre est pesée, pensée ici : MERCI, Monsieur... Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU

 

N.B. : Votre serviteur a eu à coeur, lors de la composition de cette page, d'insérer une multitude de liens dénichés un par un pour permettre au lecteur de bénéficier, en plus du texte, d'illustrations visuelles et - surtout - musicales. Il y a, sans préjugé sur les questions de droits qui leur sont attachés, des liens YouTube, Dailymotion, etc... qui n'ont d'autre but que la (re)découverte de telle ou telle chanson. Celui ou celle qui partage un lien de ce genre le fait avant tout parce qu'il aime un artiste. Celui ou celle qui découvrira un titre qui lui plaira sera tenté, par la suite, de le "consommer" de manière plus traditionnelle, forcément. (Tenez, au passage, un investissement que je vous recommande vivement, avec le Lucien de Bernard Saint-Paul : Petits moments choisis)

 

ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU

BERNARD SAINT-PAUL

 

« J'ai confiance en Véronique...

et je l'aime »

 

Bernard Saint-Paul

(Photos : collection personnelle B. Saint-Paul)

 

Q. : 08/07/14 ; R. : 27-31/07/14

 

Paroles d'Actu : Bonjour, Bernard Saint-Paul. "Fils d'un haut fonctionnaire nommé par le général de Gaulle et d'une mère institutrice", votre destin semblait tout tracé : vous seriez diplomate ou occuperiez, en tout cas, un emploi sérieux. C'était, comme il est raconté sur votre site, sans compter "les tentations diverses". C'était sans compter le Rock 'n' Roll et l'irrésistible pouvoir d'attraction de son "parfum d'interdit sauvage"...

 

Bernard Saint-Paul : C'est une belle formulation, cet "interdit sauvage". J'aime beaucoup ça, c'était vrai dans les années 70, ça l'est, hélas, beaucoup moins. J'avais une envie furieuse de quitter Bordeaux, de ne pas être professeur de Lettres.

 

Je ne me voyais pas moisir en province, la capitale me faisait les yeux doux, montrait le haut de ses jambes, insistant pour que je l'empale, et moi, pauvre idiot, j'y croyais ! J'étais loin de savoir qu'elle faisait ce même "coup du charme" à tous les puceaux de mon genre, aux rêveurs de grands espaces, à ceux qui voulaient toucher les paillettes, acheter la Tour Eiffel et s'encanailler avec le succès.

 

PdA : Parlez-nous de vos premiers coups de cœur - voire, carrément, de foudre - musicaux ?

 

B.S.-P. : Mon premier coup de foudre musical fut Be Bop a Lula par les Chaussettes noires. J'adorais le son de leurs guitares Ohio, le timbre de voix d'Eddy, son déhanché particulier et la manière dont il glissait les pieds pour jongler avec son micro. Puis ce fut Jumpin Jack Flash et Satisfaction, des Stones, et Ronnie Bird. Tels furent mes premiers émois musicaux en dehors de Maurice Ravel et de Gustave Mahler.

 

PdA : 1969... Suite à une rencontre "inattendue" d'avec Salvatore Adamo, vous quittez le sud-ouest pour Paris et devenez directeur artistique chez EMI (Pathé-Marconi)...

 

B.S.-P. : Exact. J'ai rencontré Salvatore quand je m'occupais de la page spectacle du quotidien local Sud-Ouest. Puis je suis venu à Paris où il m'a fait rentrer chez EMI en tant que directeur artistique. J'y ai exercé pendant deux ans en même temps que Gérard Manset, Claude Michel Schönberg et Michel Berger. On avait de tout petits bureaux au tout dernier étage et une foi inébranlable en nos capacités. C'était passionnant mais je n'y ai pas appris grand chose. J'y ai rencontré mon ami de toujours, Alain Chamfort et la belle Véronique qui me saluait de loin. Moi, j'étais fan des Stones, de Pink Floyd et des Who.

 

PdA : 1971... C'est, pour ce qui vous concerne, la fin de l'aventure EMI. Vous devenez producteur. Un flair de maître, pour l'une de vos premières prises : The Fool, de Gilbert Montagné, fera le tour du monde et se classera n°1 dans une douzaine de pays...

 

B.S.-P. : C'est un peu vrai... J'ai un gros nez, il justifie sa taille par les services qu'il me rend. J'ai, de fait, entendu, par pur hasard, une maquette d'un certain Lord Thomas, chantée dans un anglais approximatif. J'ai contacté le garçon en question, qui jouait dans un bar à Miami, je l'ai convaincu de rentrer en France. J'ai emprunté de quoi produire à Salvatore, j'ai choisi les musiciens et le studio Trident à Londres, à cause du piano sur lequel Elton John avait enregistré son premier album. J'ai pris les mêmes musiciens, et ça a fait The Fool.

 

Exceptionnel, d'autant que les premiers distributeurs auxquels j'ai présenté le bébé, à l'époque, m'ont pris pour un illuminé parce que j'osais leur faire écouter un titre en anglais ! « Ça ne marchera jamais, ici on est en France, la radio ne passera jamais ça. » Je tairai ici leur nom, par respect pour leur mémoire... on a tous le droit à l'erreur, tant qu'elle n’entraîne pas la mort.

 

Bernard Saint-Paul Musique

 

PdA : Dans quelques années, vous serez devenu le manager de Véronique Sanson, le producteur exécutif de bon nombre de ses disques à venir... Vous l'avez rencontrée durant votre période Pathé-Marconi, si je ne m'abuse...

 

B.S.-P. : Exactement... bien documenté ! J'ai retrouvé Véronique après cinq ans sans la croiser, sans avoir eu de ses nouvelles depuis qu'elle s'était mariée (avec Stephen Stills, ndlr).

 

PdA : Qu'est-ce qui vous a séduits l'un chez l'autre ; décidés, l'un comme l'autre, à travailler ensemble ?

 

B.S.-P. : Moi, j'étais fan de sa voix, de ce vibrato magique, de sa sensibilité contrôlée, de sa douceur, de son intelligence et de sa douceur avec moi. Nous étions comme frère et soeur, confiant l'un à l'autre nos secrets et nos désespoirs amoureux, riant de nos bévues, de nos mensonges opportuns, ignorant les conventions et les heures sur les horloges. Un soir, dans un restaurant japonais, rue Sainte-Anne, elle m'a dit que McCartney devait produire son prochain album, qu'elle attendait son accord. Je me suis proposé sur le champ, au cas où il se désisterait, croyant assez peu à mes chances... et puis elle m'a choisi.

 

Ce fut le début d'une aventure passionnante qui nous a enrichis l'un et l'autre par les rencontres et les voyages que nous avons faits ensemble, par toutes ces longues nuits que nous passions tous les deux à nous inventer un monde, à montrer qu'on s'aimait sans se dire qu'on s'aimait... Deux frère et soeur dans la tourmente, deux âmes sans attaches qui rêvaient d'aventures, de liberté profonde et d'amour infini, mais qui se lassaient vite de toutes leurs conquêtes.

 

PdA : 1976... Le fruit de votre première collaboration voit le jour : Vancouver, que l'on classera bientôt parmi les albums les plus emblématiques de Sanson, connaît un succès considérable... (Vancouver; When we're together; Redoutable; Donne-toi; Étrange comédie; Sad limousine; Full tilt frog...)

 

B.S.-P. : Je ne sais pas s'il s'agit, comme vous l'affirmez, d'un album emblématique, mais c'est en tout cas le premier titre de Véronique qui sera classé premier de tous les hit-parades (si jamais cela veut dire quelque chose). Cet album fut un plaisir à réaliser. Le piano sonnait comme je voulais, les musiciens rayonnaient. Nous avons passé beaucoup de temps à Londres après les péripéties liées à l'écriture. De fait, Véronique n'avait pas fini d'écrire, elle renâclait. On dirait aujourd'hui qu'elle faisait de la procrastination.

 

On vivait à cette époque au château d'Hérouville, où je la laissais le matin pour vaquer à mes occupations parisiennes (pas de téléphone portable ni d'internet dans ces temps-là). Je me suis vite aperçu qu'elle ne travaillait pas assez et que, par voie de conséquence, on ne pourrait pas enregistrer, faute de matériel. Je l'ai donc enfermée dans une pièce du château dont je ne la délivrais qu'en rentrant, en fin d'après-midi. Elle m'en a voulu sur le moment, mais dans cette geôle improvisée, elle a écrit Vancouver.

 

PdA : 1976, bis... Sanson la timide apprivoise la scène, le public, de plus en plus... Live at the Olympia sera son premier album live, le premier d'une longue liste...

 

B.S.-P. : C'était marrant, cette captation : de grands musiciens, une artiste qui découvrait les moyens techniques hors normes que j'avais mis à disposition. Aujourd'hui, ce déploiement de son et de lumière est banal. À l'époque, il ne l'était pas, au point que j'ai le souvenir de Bruno Coquatrix me faisant la guerre pendant les répétitions de l'Olympia et me hurlant dans l'oreille devant les baffles qui dégueulaient : « Jeune homme, vous la tuez, il lui faut, comme à Édith Piaf, une poursuite et deux projecteurs ». Il pensait ce qu'il disait, le pauvre ! On est tous victimes de nos limites...

 

PdA : 1977... "Il est jamais bien rasé, Il est toujours fatigué, Il dit toujours oui à un bon verre de vin... Il cache souvent sa tendresse, Par pudeur ou par paresse, Il est sûr de n'avoir jamais peur de rien..." Sur la tracklist de l'album Hollywood, il y a Les Délices d'Hollywood; Y'a pas de doute il faut que je m'en aille; Harmonies; How many lies; Les Délires d'Hollywood... et cette chanson, Bernard's Song (Il est de nulle part), qu'elle a écrite pour vous...

 

B.S.-P. : Je ne l'en remercierai jamais assez, mais je n'y suis pour rien ! Le plus navrant de cette histoire (et je ne sais pas si c'est bon signe ou non), c'est que trente-sept ans plus tard, le texte soit encore d'actualité. Elle m'avait bien cerné, la bougresse !

 

Un mot sur l'enregistrement de ce titre : nous étions dans le studio où Stevie Wonder travaillait et, par une chaude après-midi du sud californien, dès que nous avons pénétré dans le parking, elle m'a demandé de la laisser toute seule. Elle avait, disait-elle, une surprise pour moi, mais ne voulait pas que j'assiste à sa séance de voix. Quand je suis revenu, quelques heures plus tard, elle a mis le son à fond et m'a fait écouter la chanson, puis m'a dit dans le creux de l'oreille, « Tu es content ? ». Je ne comprenais pas le sens de sa question ! Je n'ai réalisé l'ampleur de son cadeau que quand elle m'a avoué, « Je l'ai écrite pour toi ! ». Je n'en croyais pas mes oreilles. J'ai caché mon émotion et mon orgueil qui naissait... Aujourd'hui, je ne cache plus rien, je suis fier, un point c'est tout.

 

Journal Saint-Paul Sanson

 

PdA : 1978... Vous retrouvez Alain Chamfort, pour lequel vous aviez déjà travaillé chez EMI. Gainsbourg vient de lui écrire ce qui demeurera son plus grand succès : Manureva...

 

B.S.-P. : Je suis à l'origine de cette rencontre. J'avais invité Alain à venir à Los Angeles pour y faire des choeurs sur l'album Hollywood. Son timbre de voix et son vibrato s'accordaient parfaitement avec ceux de Véronique. Puis, un soir, sur la terrasse de la maison que Véronique louait sur les collines de Hollywood, un de ces soirs fatigués où nous regardions décoller les Boeing, où nous refusions le sommeil, exacerbés par des substances encore aujourd'hui encore interdites, Alain m'a confié son désir de changer de parolier, d'équipe de production et de maison de disque. J'ai pensé aussitôt à Gainsbourg qui me semblait être le meilleur complément à la musique qu'il écrivait. Alain prétendait alors que ce n'était pas possible, qu'il n'accepterait jamais, que ce qu'il écrivait était trop typé "variété"... Et, croyez-le ou non, je suis rentré en France, j'ai fait écouter à Serge les maquettes que nous avions faites à Los Angeles avec Alain, et Gainsbourg a accepté.

 

Je me rappelle encore ce premier rendez-vous avec Serge, dans sa maison de la rue de Verneuil. J'y allais tremblant avec mes cassettes. Serge avait bu un coup, j'en ai bu quelques autres avec lui, puis il m'a dit, « P'tit gars, ton histoire m'intéresse » et j'ai appelé Alain aussitôt. J'ai donc réalisé les deux premiers albums d'Alain dont Serge avait écrit les textes. Le premier est intitulé : Rock'n rose ( je vous le recommande), le second (Poses, ndlr) contient Manureva. Je suis très fier d'avoir eu cette idée. Je m'en délecte encore aujourd'hui quand j'écoute ces albums.

 

PdA : 1979... Sept ans après Amoureuse, déjà le septième album de Véronique Sanson : 7ème, tout simplement... Il est plus sombre, plus mélancolique que les précédents. Plusieurs perles : Toute une vie sans te voir; Lerida (dans la ville de); Celui qui n'essaie pas (ne se trompe qu'une seule fois); Mi-maître, mi-esclave; Pour celle que j'aime (Maman). Sans oublier, évidemment, Ma révérence...

 

B.S.-P. : J'ai une nette préférence pour Ma révérence. Je me rappelle m'être caché pour pleurer dans le studio de mixage à Londres, tellement j'étais touché par la charge émotionnelle. Je ne voulais pas que Véronique sache qu'elle m'avait frappé au bon endroit. L'aider à propager ses émotions, ses détresses, ses chagrins et ses fêlures, confectionner un piedestal d'où elle pourrait être admirée, ça c'était mon travail quotidien, mais je n'étais pas là pour craquer. Mes sentiments étaient pour moi, pas de vautrerie pathétique. On peut pleurer quand on est grand, quand on est petit on se cache.

 

PdA : "Puis c'est la séparation... deux ego incompatibles"...

 

B.S.-P. : Oui, si vous voulez... Je reste persuadé que nos "ego" n'avaient rien d'incompatible, bien au contraire. Mais je suis très exigeant, et maladroit de surcroît. je peux blesser très fort sans jamais m'en rendre compte, ou alors des années plus tard... Dans le feu de ma passion, je me convulse, je rétrécis, je manque souvent de distance, et ce uniquement pour faire mieux. Et puis je gène énormément !

 

Rien de nouveau sous le soleil, les artistes aiment leur entourage et prêtent volontiers l'oreille à Radio Chiottes et ses consoeurs qui inventent pour nettoyer, pour ne pas perdre les privilèges acquis au fil des temps par l'habitude et le mensonge, l'habileté à brosser le manque de capacité à juger, parmi lesquels, et non des moindres, celui d'avoir l'écoute de leur idole qui a besoin d'être rassurée, ce que je trouve par ailleurs parfaitement justifié. Reste à choisir les rassureurs... qui ne sont pas les payeurs...

 

PdA : Dans les années 80, vous collaborez avec Jean-Patrick Capdevielle sur Quand t'es dans le désert; partez pour les États-Unis...

 

B.S.-P. : (...) Véronique m'a fait remarquer Jean Patrick Capdevielle, auteur de grand talent, avec lequel j'ai collaboré avec un plaisir indicible. Cet homme est un géant qui refusait d'écouter et persiste dans ses contradictions ravageuses, entre le désir insatiable de faire du fric et celui d'être sincère. Facile à dire comme ça de loin... mais je l'aime et il le sait.

 

PdA : Bientôt, vous deviendrez attaché parlementaire et conseiller d'un ministre de la Mer...

 

B.S.-P. : Cet épisode du ministère de la Mer est inénarrable. J'ai fait une grande école qui aurait dû me conduire, comme mes parents le souhaitaient, à faire une carrière de diplomate. Tel ne fut pas le cas, j'ai préféré le Rock 'n' Roll. Me restait de cette grande école et de ce que l'on m'y avait enseigné une capacité hors-norme à inventer des situations et à valoriser les politiques. On a donc fait appel à moi (un parti politique tout à fait respectable, si cela a jamais existé) pour mettre en valeur un ministre qui n'était même pas député. Ce fut épique et très marrant.

 

On quittait le ministère tous les vendredis en fin d'après-midi pour attraper le dernier vol en direction de Brest et rejoindre le canton dans lequel il voulait se faire élire. Je préparais toutes ses fiches pour les rencontres du week-end. Je les lui faisais répéter dans la voiture à gyrophare qui nous conduisait à Orly en empruntant les bandes d'arrêt d'urgence, dans un vacarme de sirènes. Ça éclatait mon ministre. J'en ai conçu un syndrome, celui de la lumière bleue, qui afflige les puissants, les abuseurs de privilèges, qui savent très secrètement qu'ils ne fréquenteront pas longtemps les dorures de la République.

 

PdA : 1990... Vos talents, vous venez, cette fois-là, de les mettre au service de Polnareff, pour Goodbye Marylou...

 

B.S.-P. : En effet, Michel m'a fait contacter. Je l'avais rencontré dans un restaurant à Los Angeles. Il vivait à cette époque dans une chambre minuscule au-dessus d'un bar pourrave dans la banlieue parisienne. Il n'avait plus de contrat phonographique. Je lui en ai négocié un, puis j'ai fait ce que je savais faire : réaliser un album (Kâmâ Sutrâ, sorti en 1990, ndlr). Et ce fut un numéro un ! Il n'en avait pas eu depuis des années... Peut-être un coup de chance ?

 

PdA : 1992... Le tandem que vous formiez avec Sanson se reconstitue. L'album Sans regrets comprend de jolies reprises d'anciens titres (Mon voisin; Jusqu'à la tombée du jour; Odeur de neige; Le Feu du ciel; Panne de cœur...), de belles chansons originales (Sans regrets; Louise; Les Hommes; Visiteur et voyageur) et un futur gros tube : Rien que de l'eau...

 

B.S.-P. : Le tandem se reforme par un besoin réciproque. J'avais réalisé son plus gros tube (Vancouver) et j'avais une idée très précise de ce que je pouvais encore faire avec elle. Je me sentais peu remplaçable, j'avais la foi et aucun doute sur la finalité de notre travail commun. Nous passions nos vacances ensemble avec nos enfants respectifs (le plus souvent en bateau dans les Caraïbes) et un soir, au mouillage, face au soleil couchant happé par l'Océan, Véronique a exhumé de sa cabine une cassette stéréo et l'a passée sur la sono pour avoir mon sentiment. C'était la maquette de ce qui allait devenir Rien que de l'eau. Nous sirotions un "ti-punch" sur la plage arrière apaisée. La vie me semblait belle. Elle l'est toujours, heureusement.

 

PdA : 1993, 1994... Vous produisez deux captations de ses spectacles live : le Zénith 93 et Comme ils l'imaginent, concert de duos (avec M. Lavoine; A. Chamfort; M. Fugain; I Muvrini; Les Innocents; M. Le Forestier; Y. Duteil; P. Personne) enregistré en 94 pendant les Francofolies de la Rochelle...

 

B.S.-P. : Splendide, ce Zénith 93. À mon goût, son meilleur album live, avec celui consacré à Michel Berger. Une énergie hors du commun, un band qui décoiffait, de l'enthousiasme à revendre. C'était pur et dur, sans sophistications ni effets spéciaux. J'adore cet album et l'écoute encore de temps en temps. Puis ce fut La Rochelle. Jean-Louis Foulquier (paix à son âme) m'avait appelé pour voir si Véronique serait d'accord pour participer aux Francofolies. Dans le cas de Véronique, ça voulait dire faire venir les musiciens de Los Angeles pour un seul concert... un coût pas supportable. J'ai donc imaginé l'enregistrement de ces duos, convaincants à mes oreilles.

 

Le plus étrange dans cette histoire c'est la présence de I Muvrini (groupe corse totalement inconnu, à l'époque). Hervé Leduc, le directeur musical de Véro, m'avait fait écouter un projet sur lequel il travaillait et j'ai craqué pour la voix du chanteur lead. Je me rappelle le premier rendez-vous avec lui dans mon bureau. Il était halluciné et ne comprenais pas du tout comment leurs voix pouvaient s'intégrer à une chanson de Véronique, eux qui chantaient en langue corse et dans un tout autre registre. On a réussi ce challenge, je n'en suis pas peu fier. Et ce fut, à mon avis, le début de la notoriété de ce groupe.

 

PdA : 1994-96... Votre goût pour la belle chanson vous conduit à collaborer avec Serge Lama...

 

B.S.-P. : J'ai été recommandé à Serge (qui ne faisait pas, loin s'en faut, partie de mon panorama musical). J'ai fini par le rencontrer. Je n'ai pas ri à son humour mais j'ai apprécié chez l'homme son franc-parler gascon et sa verve inaliénable. Lui aussi était ignoré depuis une génération. J'ai pris en mains son album et il a fait disque d'or. On n'en revenait pas, ni l'un ni l'autre. (Voir : L'ami à l'Olympia en 1996, ndlr)

 

Bernard Saint-Paul soleil

 

PdA : 1996-98... Dans un autre cadre, avec les Éditions Atlas, vous contribuez à créer la collection Chansons françaises...

 

B.S.-P. : On m'a appelé un jour (son président, Bernard Canetti, qui n'est autre que le fils de Jacques Canetti, le plus grand découvreur de talents du 20ème siècle). Ils avaient dans l'idée de vendre un best-of de la chanson française en le classant année par année, commençant par les années 50. Ils n'arrivaient pas à boucler leur projet, faute des autorisations des major companies qui, prises au dépourvu, considéraient d'un mauvais œil l'éventuelle dilapidation de leur catalogue.

 

J'ai donc imaginé, pour by-passer ce mur de Chine, de faire réinterpréter toutes ces chansons par d'autres chanteurs que les originaux. J'y ai mis du temps (1 000 titres, 80 albums) mais ça a fonctionné. On a vendu 13 millions de CD, mais l'industrie traditionnelle s'est bien gardée d'en faire état. C'était un camouflet de taille, et un gigantesque manque à gagner.

 

PdA : 1998, 1999, 2000... Trois albums de Sanson, dont un live. De l'album Indestructible (1998), on retient trois ou quatre beaux morceaux (Indestructible; Un amour qui m'irait bien; Un être idéal; J'ai l'honneur d'être une fille...) et un chef d’œuvre, déchiré et déchirant : Je me suis tellement manquée... Un an et demi plus tard, c'est la sortie de son album hommage à Michel Berger, D'un papillon à une étoile (Pour me comprendre; Le Paradis blanc; Si tu t'en vas; Je reviens de loin...), interprété sur scène et enregistré en 2000 sous le titre Véronique Sanson chante Michel Berger; Avec vous. Elle bouleverse, plus que jamais. Ces années-là, c'est aussi l'amorce d'une période, disons... compliquée, pour elle...

 

B.S.-P. : Si vous voulez... En fait, c'était compliqué depuis longtemps, mais j'étais impuissant devant sa maladie. Je m'en voulais en silence d'être incapable de la soigner. Ça aurait été tellement plus simple. Mais cette saloperie s'accroche et vous tire par les pieds vers les abîmes qu'elle habite. Ce furent des années complexes, faites de tiraillements successifs, de mésententes, d'incompréhensions répétées entre Véronique et moi. De plus, évidemment, son entourage s'acharnait à vouloir me dégager. Je les gênais, c'était leur vérité ou la mienne ! J'ai très mal réagi aux médisances dont j'ai été la cible pendant ces années-là. C'est donc dans cette atmosphère lourde, Véronique étant malade, que nous avons enregistré l'album Indestructible au Palais des Sports de Paris.

 

Puis, ce fut l'hommage à Michel Berger, dont la rythmique fut enregistrée à Paris et les cordes à Rome, puis mixé dans un studio à Capri, qui a été fermé depuis. Pourquoi tous ces voyages ? Les musiciens de Véronique, qui habitaient tous aux USA, sont venus une semaine en France et ont enregistré les bases rythmiques. J'avais contacté, au tout début du projet, le splendide Paul Buckmaster (celui-là même qui avait fait les arrangements de cordes pour les premiers albums d'Elton John). Je suis allé le rencontrer à Los Angeles, il nous a fait des propositions, et pour que cela coûte moins cher, nous avons enregistré les cordes à Rome, dans le studio d'Ennio Morricone.

 

Quand tout cela fut terminé, nous avons fini à Capri. Je me rappelle m'être retiré pour pleurer quand j'ai eu fini le mixage de L'un sans l'autre. Réécoutez ce titre, c'est exceptionnel (voir : la version live de la chanson, sur l'album Avec vous, ndlr). J'adore le son de cet album, la délicatesse de l'écriture de cordes de Buckmaster, la finesse du mixage et surtout la touchante interprétation de Véronique. C'est, avec Olympia 1993, l'album de Véronique que je préfère, et de loin.

 

PdA : 2004, 2005... Elle revient, après un gros passage à vide. On la sent apaisée. Mieux. Son album Longue distance (J'aime un homme; Annecy; L'Homme de farandole; Vue sur la mer; La Douceur du danger; La vie se fuit de moi; Longue distance; 5e étage...) est suivi d'une tournée, immortalisée sur les enregistrements estampillés Olympia 2005. Le public, son public est là, présent. Le lien qui les unit n'a jamais été aussi fort...

 

B.S.-P. : Je n'ai pas remarqué qu'on la sentait apaisée. De près, je n'avais pas cette sensation. Mais elle se battait ! Je ne suis pas fan de cet album, qui s'est fait dans la douleur et l'approximation. Je n'en garde rien qui soit transcendant. C'est bien, mais on peut mieux faire.

 

PdA : Voyez-vous, dans votre parcours, quelque chose dont nous n'aurions pas encore parlé et que vous souhaiteriez évoquer ici ?

 

B.S.-P. : Qu'aurait-on oublié d'évoquer ? Mon âge ? Ma fortune ? Ma collection de voitures ? Ma sexualité trépidante ? Elle est atrocement banale, même quand j'ai bu, c'est dire !

 

PdA : De quoi êtes-vous fier, Bernard Saint-Paul ?

 

B.S.-P. : Je suis fier d'avoir su mettre ma culture et la petite intelligence dont mes parents m'ont fait cadeau au service d'une cause dont je rêvais depuis ma banlieue provinciale. J'habitais au dessus de l'école que ma mère dirigeait et écoutais Europe n°1 en rêvant d'habiter Paris, d'aller à l'Olympia, de réaliser des disques, de faire partie du monde de la musique, mais à ma manière uniquement. Quelque chose de très fort me disait que j'y avais ma place, que je saurais apporter une très belle pierre à l'édifice de la chanson. Cette intuition était la bonne.

 

PdA : Avez-vous, a contrario, des regrets ?

 

B.S.-P. : J'en ai encore quelques uns, dont celui, et non des moindres, d'avoir été trop rigide, intransigeant, froid, communiquant très peu, et très probablement à la limite du supportable. Je suis un solitaire, je ne me sens bien qu'avec des livres et/ou de la musique. J'ai du mal à échanger des banalités de café du commerce. Ce n'est pas de la prétention, c'est juste le constat que le temps passe très vite, que mon chat me comprend sans parler, que j'ai encore beaucoup à apprendre et que les minutes défilent.

 

PdA : Véronique Sanson fera son retour sur scène - et sans doute dans les bacs - l'an prochain...

 

B.S.-P. : J'ai appris cela très récemment.

 

PdA : Y a-t-il un message que vous souhaiteriez lui adresser, au détour de cet entretien ?

 

B.S.-P. : C'est une artiste incomparable, douée au-delà du possible, mais ce n'est pas la plus grande travailleuse que j'aie connue. En même temps, est-ce indispensable ? Si elle a LE titre, elle est imparable. La loi est la même pour tout le monde, tant en littérature qu'au cinéma et en musique. Je lui souhaite le meilleur, et j'ai hâte d'entendre. Je lui fais confiance et je l'aime. C'est ma petite sœur, vous ne saviez pas ?

 

PdA : Que vous inspire le paysage musical actuel ? Avez-vous, à ce jour, des coups de cœur pour tel ou tel artiste ?

 

B.S.-P. : À vrai dire, je suis quasi ignorant du paysage musical actuel en France, où je vis assez peu. J'aime beaucoup l'attitude de Christine and the Queens, quelques aspects de Julien Doré, London Grammar et Fauve. Je suis fan de Kiddo et de Michael McDonald.

 

Le rap a eu raison de ma patience, non pas tant par le manque flagrant de mélodies (voire l'appropriation outrancière de samples), mais bien plus par la pauvreté des textes et des messages que leurs auteurs essayaient d'y faire passer. Et ça, c'est dans le meilleur des cas, quand il s'expriment en français, quand ils respectent la syntaxe et la grammaire d'une langue qu'ils n'ont pas jugé nécessaire d'apprendre sur les bancs de l'école. Je n'ai aucun respect pour ces usurpateurs qui se prennent pour des poètes. Non seulement ils m'ennuient mais ils m'énervent profondément.

 

PdA : Question subsidiaire : seriez-vous prêt à rempiler dans le domaine de la production, de la réalisation musicale ?

 

B.S.-P. : Pourquoi pas ? Tout cela dépend du projet, mais ce serait à mes conditions et uniquement pour me prouver que j'ai encore un peu de goût.

 

Lucien

 

PdA : Changeons de domaine, avant de conclure... Votre premier roman, Lucien, a été publié il y a deux ans aux Éditions du Panthéon. Voulez-vous nous en parler ?

 

B.S.-P. : C'est le premier d'une série de personnages qui habitaient mon imagination. Lucien est un désespéré cynique dans son discours, mais cynique par faiblesse, par tendresse, le prototype du mec qui fait semblant et qui s'en veut au point de se haïr et de tout faire pour qu'on le déteste, ce qui justifierait l'opinion qu'il a de lui. On a dit de mon style qu'il était gainsbourien?  Est-ce que la détresse humaine serait l'apanage de Serge ? On est tous malheureux, on a tous des limites. Peu d'entre nous les acceptent, ils se battent contre des rochers. C'est ça, la grande loterie !

 

PdA : Quels sont vos projets, vos rêves pour la suite ?

 

B.S.-P. : Mes projets sont assez simples. Mon second roman, intitulé L'Enterrement de Monsieur Lapin, est parti chez l'éditeur il y a un mois maintenant. Sortie prévue : en janvier prochain. J'en ai aussitôt attaqué un autre, qui me prendra environ deux ans. Je voyage beaucoup en Asie, je vais voir une de mes filles qui fait ses études à Houston, je parle beaucoup à mon chat, j'aime qui veut m'aimer, je lis, j'écris et je rêve...

 

PdA : Un message pour nos lecteurs ?

 

B.S.-P. : Pour ceux qui n'ont pas encore lu Lucien, foncez sur amazon, sur Chapitre ou sur fnac.com, ou bien commandez-le à votre libraire... Vous ne vous ennuierez pas. C'est assez facile à lire, ça parle d'amour et de mal de vivre, de passions, de séparations, d'alcool, de drogues et de nouveaux-nés.

 

PdA : Un dernier mot ?

 

B.S.-P. : Merci de m'avoir accordé cet espace pour m'y livrer sans parapet, sans censure et sans garde-fou. Je n'ai rien su cacher que je n'aie encore en mémoire.

 

Ma conclusion à ce stade, et si elle peut être d'une quelconque utilité : protégez-vous des cons, ils osent tout, c'est même à cela qu'on les reconnaît (Audiard).

 

PdA : Merci infiniment...

 

Bernard Saint-Paul chien

 

 

Une réaction, un commentaire ?

 

 

Pour aller plus loin...