Baptiste Vignol : « Véronique Sanson et Lynda Lemay sont deux véritables poètes... »
Mon invité du jour, Baptiste Vignol, a signé depuis une vingtaine d’années un grand nombre de travaux consacrés, en particulier, à la chanson française et francophone, qu’il aime depuis son enfance, et à celles et ceux qui la font et qui la portent. J’ai souhaité l’interroger plus précisément sur deux de ses "personnages" récents, deux femmes, grandes interprètes et créatrices (paroles & musiques), qui comptent toutes deux parmi mes artistes préférés à moi aussi : Véronique Sanson, à laquelle il a consacré l’an dernier Tout Véronique Sanson (Gründ), et Lynda Lemay, qui a largement contribué au livre Lynda Lemay - Il était une fois mes chansons (Gründ également, 2021). Deux ouvrages somptueusement illustrés et richement détaillés sur chaque chanson, chaque album, et sur la "drôle" de vie de l’une et de l’autre. Mais le côté bio vient ici en complément, l’œuvre d’abord, et ça c’est bien.
Le premier coup de cœur de votre serviteur avec Lynda Lemay.
Si vous aimez Lynda Lemay, si vous aimez Véronique Sanson, vous apprécierez forcément les livres qu’il a consacrés à l’une et à l’autre. Je remercie Baptiste Vignol pour l’interview, une sorte de portrait croisé de deux vraies "poètes", comme il dit. Je veux saluer au passage, pour ce qui me concerne, trois personnes croisées pour de précédents articles : Violaine Sanson-Tricard, qui a écrit la préface de l’ouvrage sur sa sœur, et les gardiens du temple Sanson, Laurent Calut et Yann Morvan. Et dire à Véronique, à Lynda : je me tiens dispo pour une interview, où et quand vous voulez ! ;-) Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU / Q. 01/23 ; R. 04/23
Baptiste Vignol : « Véronique Sanson et Lynda
Lemay sont deux véritables poètes... »
Vancouver interprété par V. Sanson et L. Lemay,
un soir sur France 2... (capture YouTube Granule27)
Baptiste Vignol bonjour. Quand on se penche sur votre parcours, on constate rapidement à quel point la chanson française tient une place importante dans votre carrière de journaliste et biographe, et dans votre vie tout court. Qu’est-ce qui a déclenché tout ça, et quels ont été en la matière, vos premières émotions, vos premiers coups de foudre musicaux et artistiques ?
J’avais des parents qui aimaient la chanson et qui en écoutaient beaucoup. J’ai donc grandi dans cet univers avec, comme têtes de gondole, Jacques Brel, Guy Béart, Georges Brassens, Anne Sylvestre, Malicorne, Juliette Gréco, Yves Montand, Mouloudji, Angelo Branduardi... Le premier concert que j’ai vu était un tour de chant, comme on ne dit plus, des Frères Jacques. Je devais avoir 5 ou 6 ans et j’avais été fasciné. Tellement que je voulais devenir, moi aussi, un Frère Jacques. Mon père m’avait emmené les revoir quelques années plus tard à Lyon, lors de leur tournée d’adieu. La mort de Claude François m’avait beaucoup marqué. Elle me l’a fait découvrir. J’étais gamin et j’étais fasciné par ce chanteur si blond, qui dansait si bien, avec ses Clodettes. Enfin, je me souviens de la mort de Jacques Brel. J’avais sept ans. J’étais assis à l’arrière de la voiture, avec mes sœurs. Mon père était au volant. La radio a annoncé la nouvelle. J’entends encore le « Merde ! » de mon père. Et puis j’ai découvert Renaud grâce au 33 tours qu’avait acheté ma mère, celui avec la DS qui brûle… Je n’ai jamais cessé de le suivre. Vinrent ensuite Cabrel, Daho, pendant l’adolescence. À 17 ans enfin, je suis allé voir Charles Trenet au théâtre du Chatelet. Le plus beau concert de ma vie. La poésie, le génie à l’état pur.
Lors de cet entretien, nous nous pencherons plus précisément sur deux personnages, deux grands artistes au féminin : vous avez consacré, chez Gründ dans les deux cas, un ouvrage à Lynda Lemay (2021), un autre à Véronique Sanson (2022). Un principe commun : on regarde l’œuvre, on étudie les chansons avant tout, la vie de l’artiste étant abordée comme toile de fond à la création et non l’inverse. Pourquoi ce parti pris ?
Parce qu’il ne s’agit pas de biographies mais de livres sur la discographie d’autrices-compositrices-interprètes, c’est à dire de femmes qui écrivent, composent et chantent. Qui s’« engagent » donc, se livrent, se dévoilent. La vie privée des artistes ne m’intéresse que si elle nourrit leurs chansons. C’est souvent le cas, bien sûr.
Lynda Lemay - Il était une fois mes chansons (Gründ, octobre 2021)
Lynda Lemay est très présente dans le livre que vous lui consacrez, à tel point qu’il ressemble réellement à un livre écrit à deux, et c’est jouissif : elle se confie longuement et avec beaucoup de franchise sur sa carrière et sur chacune de ses chansons. On l’apprend dans votre livre, tout cela est né d’une promesse datant de pas mal de temps : "un jour, on fera un livre ensemble". Alors, comment est-ce que ça s’est fait, de la première idée jusqu’au travail en commun ? Vous vous êtes vus souvent j’imagine, vous avez écouté pas mal de ses chansons ensemble, grand privilège quand on y songe…
Cette promesse dont vous parlez, qui fait l’objet d’une légende d’une photographie où l’on me voit lui parler à l’oreille sur un plateau de télévision, est plus une blague qu’autre chose. Sur le moment, j’avais sûrement d’autres choses à lui dire. Par la suite, bien des années plus tard, alors que j’avais déjà écrit quelques ouvrages sur la chanson, j’ai revu Lynda à l’Olympia. Nous avons alors vaguement évoqué ce projet. Qui s’est concrétisé deux ou trois ans plus tard quand avec l’éditeur Luc-Édouard Gonot nous lui avons formellement proposé, appuyés par Gérard Davoust - l’éditeur de Lynda -, de l’inclure dans la collection « Musique », chez Gründ. L’écriture du livre a commencé en même temps que le monde se fermait avec le Covid. Nous nous sommes donc écrit tous les jours. Je lui posais une question, ou deux, ou trois, auxquelles elle répondait invariablement avec sa finesse et sa générosité.
L’ouvrage sur Véronique Sanson, très riche également, et comme le Lemay magnifiquement illustré, est différent : chacune de ses chansons est également évoquée, mais plutôt sur la base d’interviews qu’elle a données, ou de vos commentaires personnels. J’imagine que ça a été plus compliqué de l’intégrer sur la durée à un tel projet ? Sur quelle documentation, sur quels témoignages vous êtes-vous appuyé pour ce livre ?
Pour ce livre, j’ai essentiellement recueilli les témoignages de Véronique Sanson en visionnant sur le site de l’INA toutes les interviews qu’elle a pu donner depuis 1972. Mais je me suis également plongé dans le blog Harmonies que lui a consacré Laurent Calut, blog qu’il enrichit encore, avec une précision d’horloger. On y trouve des centaines d’articles de presse. Laurent connaît tout de Véronique, et il possède en outre sa confiance. Il y a quelques années, il avait co-écrit avec Yann Morvan le livre Les Années américaines (chroniqué sur Paroles d’Actu à l’époque, ndlr).
Tout Véronique Sanson (Gründ, octobre 2022)
Peut-on dire, pour schématiser, et forcément caricaturer un peu, que l’une (Sanson) est plutôt une musicienne qui met le texte au service d’une musique, un peu à l’anglo-saxonne, tandis que l’autre (Lemay) est plutôt une auteure qui songe à la musique pour accompagner un texte, dans une tradition peut-être plus française ? Attention, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit ;-) Sanson a écrit des textes magnifiques, j’invite simplement le lecteur à écouter Mortelles pensées ou Je me suis tellement manquée, et Lemay a composé de très belles mélodies…
Vous avez tout dit. L’une et l’autre écrivent et composent merveilleusement, mais elles n’œuvrent pas dans le même sens.
Mortelles pensées, la plus intime, la plus belle de Sanson ?
Que vous inspirent la vie de l’une et de l’autre ? Pour Sanson, après les années d’apprentissage, après la gémellité amoureuse et artistique avec Berger, ce furent les années américaines, Sex, Drugs & Rock’n’roll, et pas que, avec Stephen Stills. L’aventure, jusqu’à se faire mal. Lynda Lemay a l’air plus sage, plus apaisée dans son cocon, moins en quête d’aventure justement, mais pas moins curieuse…
À cette question, je répondrai qu’on ne connaît jamais les artistes réellement, que leurs chansons leur ressemblent quand elles ou ils ont du talent, bien sûr, mais qu’il ne faut jamais les prendre, ces chansons, comme le pur témoignage de leur quotidien. La création va plus loin, l’inspiration est mystérieuse. Toutes deux naissent d’un mot, d’une idée, d’une phrase musicale. Cela n’a donc rien à voir avec l’image que l’on peut donner de soi, ce que vous appelez « l’air de », l’air d’être tourmentée, ou sereine, par exemple...
Quelles sont les grandes influences musicales de l’une et de l’autre ? On sait que chez Véronique Sanson, on écoutait beaucoup de classique, et aussi de la world music, quand elle était gosse. Chez les Lemay, c’était plutôt de la chanson francophone. Peut-on malgré tout établir, à cet égard, des points communs, des passerelles entre les deux ?
Par-delà leurs différences, ou plutôt leurs singularités, il y a chez ces deux artistes le même amour des mots, du mot juste, de l’image qui foudroie. Elles sont toutes les deux de véritables poètes. Leurs textes, leurs « paroles » comme on disait autrefois, peuvent se lire à voix haute et tiennent debout sans musique.
Un trait commun, évident même si j’enfonce là une porte ouverte : l’importance de la famille, pour l’une et l’autre. Avec, dans un cas comme dans l’autre, une sœur qui est une confidente, un repère, un ange-gardien : Diane pour Lynda, et bien sûr Violaine pour Véronique, Violaine qui d’ailleurs signe un texte touchant sur sa sœur... Sans elles, les parcours d’artiste et de femme auraient été différents, forcément ?
Il m’est impossible de répondre à cette question. La seule chose dont je sois certain, c’est que l’une comme l’autre est rassurée par la présence de cette sœur. Elles peuvent dès lors entièrement se consacrer à leur art.
Dans ses chansons, Sanson se raconte avec beaucoup de pudeur, mais sans cacher grand chose à son public, à tel point que tout ou presque parmi son répertoire sonne comme un morceau d’autobiographie. Lynda Lemay, elle, raconte surtout les autres, observatrice inspirée de ses contemporains et très bonne comédienne quand il s’agit de se mettre dans la peau d’un(e) autre. Peut-on dire que sur ce point, elles s’inscrivent dans des traditions d’artiste qui ne sont pas tout à fait les mêmes ?
Il y a beaucoup de Lynda dans des chansons qui, à première vue, paraissent être loin d’elle, parce que Lynda a le don de pouvoir se glisser dans la peau de ses personnages et de vivre les situations qu’elle invente ou décrit, comme elle le ferait si elle avait à les vivre concrètement.
Chez Sanson, souvent, les textes sont très imagés, on ressent des émotions, une atmosphère plus qu’on ne comprend au mot près ce qu’elle dit. Lynda Lemay, elle, a le texte beaucoup plus "précis", à la Aznavour. "Précis", un mot qu’elle emploie d’ailleurs dans le commentaire d’une de ses chansons. Là encore, c’est une école, un exercice bien distincts ?
C’est une façon de voir la vie, de s’exprimer, de se livrer, voire de se dévoiler. La chanson est comme la peinture, elle compte plusieurs courants, plusieurs « écoles ». Véronique et Lynda ne ressemblent à personne. Chacune a son style, qui n’appartient qu’à elle. On ne peut pas dire, ni de l’une ni de l’autre, qu’elles sont les héritières d’untel ou d’unetelle. Bien entendu, elles ont chacune des idoles, mais elles n’ont jamais fait dans l’imitation.
À l’heure où féminisme rime trop souvent avec "guerre aux hommes", peut-on dire de ces deux-là qu’elles sont des femmes qui portent des combats féministes et qui, pour autant, aiment les hommes et l’assument ?
Je crois que c’est effectivement le cas. Lynda et Véronique aiment les hommes et sont fières d’être femmes. Amoureuse (Véronique Sanson), Jamais fidèle (Lynda Lemay), Besoin de personne (V.S.), Les souliers verts (LL) sont des chansons parmi tant d’autres qui, dès leurs débuts, montrent à quel point ces deux chanteuses se sont toujours présentées comme des femmes qui chantent.
Véronique Sanson, Lynda Lemay, deux belles ambassadrices de la chanson, et au-delà, de la francophonie : on les écoute et on les aime en France, au Québec bien sûr, et dans tout cet espace linguistique. Mais ni l’une ni l’autre n’a su, pu, voulu peut-être, percer hors francophonie, comment l’expliquez-vous ?
C’est tout simple, elles aiment trop la langue française, et leurs pays, leurs cultures, francophones, pour tenter une autre aventure.
Quelles sont les chansons dans lesquelles à votre avis l’une comme l’autre met le plus d’elle-même ?
Il y a dans chacun des répertoires des dizaines de chansons dans lesquelles chacune s’est complètement, irrémédiablement investie. Il faut bien comprendre qu’elles n’enregistrent pas des chansons de remplissage. Si une chanson figure sur un disque, c’est parce que cela leur a semblé essentiel qu’elle s’y trouve. Lynda a coutume de dire que Le plus fort c’est mon père est celle qui lui ressemble le plus. Mais il y a tant d’elle dans Dans mon jeune temps ! Dans La visite. Et tant d’autres… L’œuvre de Véronique regorge de trésors méconnus. Ecoutez Tout va bien sur son album sorti en 1985. Une valse d’une minute quarantes secondes où elle dit, donne tout.
Celles qu’à titre perso vous préférez d’elles et que vous aimeriez recommander à nos lecteurs ?
Là encore, il est impossible de faire un choix définitif… Leurs répertoires sont si riches, féconds. Tout va bien, justement, m’a ébloui quand je l’ai réécoutée avant hier. La houle de sa voix... Chez Lynda, il ne se passe pas un mois sans que je ne regarde sur YouTube De tes rêves à mes rêves à l’Olympia. Mais j’ai adoré sur son dernier album La mangue, que j’ai du écouter cinquante fois.
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Alain Wodrascka : « Barbara était en couleur, il faut arrêter de la voir en noir et blanc ! »
On commémorera ce 24 novembre les 25 ans de la disparition de Barbara. Elle était déjà évoquée il y a quelques jours sur Paroles d’Actu lors de l’interview avec Jean-Daniel Belfond, patron de L’Archipel et amoureux de la "longue dame brune". Je vous propose ce nouvel article, fruit d’un long entretien daté du 15 novembre avec le biographe et chanteur Alain Wodrascka, qui vient de publier tout récemment Barbara - Un ange en noir (Éditions City). Barbara, lui aussi la connaissait bien, il l’aime depuis plus de 40 ans, et celle qu’il nous dépeint ici s’éloigne un peu de l’image qu’on peut en avoir habituellement. Car il est vrai que les extraits qu’on nous présente souvent datent du temps de la télé en noir et blanc, alors qu’elle est partie en 97 et qu’elle a été très active entre-temps...
Il faut dit-il rendre à cette Barbara qu’on voit toujours en noir et qu’on croit toujours sombre, sa part de couleur et de fantaisie qui était réelle. En somme, la femme complexe et contrastée qu’elle était, tout sauf monochrome. Il nous présente aussi une Barbara aimant jouer de son image, convoquant volontiers y compris dans son art, l’imagerie gothique, aimant provoquer aussi : un peu la grande sœur de Mylène Farmer. À lire, entretien rendu tel quel, tout comme l’ouvrage de Wodrascka, pour connaître le regard personnel d’un passionné, et se saisir peut-être d’une part supplémentaire de la vérité d’une Barbara qui inspire toujours le mystère... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Alain Wodrascka: « Barbara
était en couleur, il faut arrêter
de la voir en noir et blanc ! »
Barbara - Un ange en noir (Éditions City, novembre 2022).
Barbara est morte il y a 25 ans, vous vous souvenez de ce moment-là ?
Il y a les histoires de biographe et les histoires personnelles. Je n’y ai pas cru, c’était tellement violent... Et je n’en rajoute pas : ça a été pour moi, un des décès les plus difficiles à accepter. Il y a eu une annonce en deux fois. La veille de son décès, on a préparé le terrain en annonçant qu’elle n’allait pas bien. La veille, je n’y croyais pas. Je ne pensais pas que c’était possible, qu’elle puisse mourir...
Quelle est votre histoire avec elle ?
Je l’ai connue le 11 février 1984, j’étais très jeune et je lui avais envoyé une cassette. Et pour être précis, en 1990, elle m’avait aidé personnellement parce que je n’étais pas dans une période très facile, et elle a contribué à m’en sortir, en me téléphonant tous les jours, et en me disant des phrases qui me sont restées. Une en particulier est restée gravée en moi : "On traverse tous des couloirs, mais il ne faut pas aller contre les couloirs, il faut aller avec les couloirs".
Elle m’a été d’une aide précieuse à ce moment-là. Rôle artistique aussi, elle s’est penchée sur mes chansons, parmi les premières. Quand j’ai vraiment compris qu’elle n’était plus là, j’ai réellement eu l’impression que la vie s’arrêtait, et que tout ce qu’elle m’avait dit était faux, parce qu’elle partait. Pour moi, et je suis prudent dans ce que j’affirme, d’ailleurs je n’affirme rien, c’est un départ volontaire. D’où l’aspect impossible, parce que je l’ai pris comme ça, sensiblement, instinctivement. Tout ce qu’elle avait pu me dire ne tenait plus debout...
Aucun des éléments qu’on a connus depuis ne vous a fait dévier de cette conviction personnelle ?
Quel que soit le motif médical, il me semble que c’est l’interruption volontaire d’un chemin. On peut parler de décongélation d’un mauvais surgelé, mais pourquoi à ce moment-là ? C’était une femme hors du commun et une très grande artiste : avec Véronique Sanson, elle est en France la principale femme auteur-compositeur-interprète avec un répertoire et un style. Je parle vraiment de ces femmes qui ont apporté une musicalité et un langage. Il n’y a que ces deux-là, je crois. On peut dire qu’elles sont les deux femmes-piano de la chanson et de la pop actuelles. Parce que Barbara était aussi une chanteuse pop : à partir des années 1970, elle a changé de cap, trouvé une musicalité nouvelle, en travaillant avec William Sheller, François Wertheimer, etc... Et Jean-Louis Aubert sur son dernier album. C’est quelqu’un qui suivait les nouveautés musicales.
Elle était exceptionnelle du point de vue de l’intelligence, de la carrière. Pour moi, et ça va peut-être étonner, une de ses héritières c’est Mylène Farmer. Pourquoi ? Parce que la stratégie de communication est la même : on nourrit le mystère, et ça a toujours marché chez l’une et l’autre. Barbara était totalement pionnière en la matière : hormis elle, personne ne se serait permis, en 1987, de faire une rentrée au Châtelet sans affichage. Mylène Farmer n’a rien copié, simplement, ce qu’elle a fait en matière de stratégie de communication a fonctionné et nourri le mythe, comme Barbara. Ce sont deux femmes qui conjuguent un aspect intime et une forme de provocation élégante. Bref, Barbara était très importante pour tout le monde. Sa façon de respirer, c’était de chanter. Par manque de chance, comme Maria Callas en son temps, elle a perdu son organe - quand on chante de l’opéra c’est encore pire, parce qu’on ne peut pas s’amuser à chanter l’air d’opéra sans avoir la technique. Mais Barbara a malgré tout chanté pendant 15 ans à peu près avec une voix malade, et arrivé à un moment, ça n’a plus du tout été possible de chanter. Donc, par rapport à l’importance fondamentale qu’elle accordait à la chanson, dont elle ne pouvait plus faire usage, il était un peu normal qu’elle s’en aille. Parce que c’était sa vie... Elle a essayé de faire des mémoires, ça a duré un certain temps, puis elle est partie...
Pourquoi cette nouvelle bio, qu’apporte-t-elle ? Et pourquoi ce titre, "un ange en noir" ?
Ce sont les 25 ans, donc c’est important de penser à elle. Ce n’est pas moi qui ai trouvé ce titre, mais l’éditeur. Je l’ai trouvé bien. Un "ange en noir", ça fait forcément référence à L’Aigle noir. Mais je pense aussi à la mythologie de Federico Garcia Lorca, à ses "anges noirs de la mort". Tout cela lui correspond bien. Elle n’était pas la seule à chanter en noir, Juliette Gréco l’a fait avant (elle avait trois ans de plus et a chanté très jeune). Gréco chantait en noir par rapport à Cora Vaucaire, parce qu’elle n’avait pas d’argent et que le noir était moins salissant que le blanc qu’arborait Vaucaire. Je pense que Barbara a chanté en noir au départ parce que c’était plus facile et plus pratique. Après, c’est devenu quelque chose de légendaire. Elle a dit plus tard après que ça n’était pas pour elle couleur de deuil, mais quelque chose d’élégant, d’érotique aussi quelque part. Et, avec le recul, on va s’apercevoir que ça correspond aussi à l’univers gothique. Barbara est une chanteuse gothique à mon sens, elle en utilise l’imagerie, celle qu’on retrouve dans la littérature du XIXè siècle, du Portrait de Dorian Gray au Dracula de Bram Stoker, tout ce mélange où l’art se marie à l’aspect maléfique. Barbara avait dans sa bibliothèque notamment des traités de magie noire, non qu’elle y croyait mais pour alimenter son personnage. Elle a arrêté la télé en 1975, j’étais petit à l’époque. Quand on la voyait chez les Carpentier à l’époque, entre Johnny et Sylvie Vartan, les enfants que nous étions avions très peur. Je regardais cette femme sur un rocking chair avec ce regard qui semblait jeter des sorts. Je crois que c’est une des raisons pour lesquelles elle a arrêté la télé : elle a su qu’elle faisait peur aux enfants.
Sur le fond et la forme, le noir c’est vraiment ce qui la caractérise, ou bien c’est plus nuancé ?
On en a beaucoup parlé. Elle est quelqu’un qui a exprimé les sentiments de l’être humain, et elle l’a très bien fait. Sentiments de bonheur, d’émotions. Dis, quand reviendras-tu ?, son premier succès, raconte l’absence. Il est question du tourment amoureux, mais aussi de la difficulté d’être avec Le Mal de vivre, de la solitude... Assez rapidement, les médias en ont fait une chanteuse "triste", pour prendre un mot un peu simpliste, et on a associé cela à la couleur noire de ses tenues. Pourquoi n’a-t-on pas retenu à ce point cette noirceur chez Juliette Gréco ? Sans doute L’Aigle noir, le plus grand tube de Barbara, a-t-il joué...
Peut-être aussi que Gréco jouait moins de l’ambiguïté de son personnage...
Oui c’est vrai. Elle chantait des choses diverses, mais on retient surtout d’elle des choses plus légères, plus malicieuses comme Jolie môme. Mais encore une fois, ce sont beaucoup les médias qui ont entretenu cela. Je me pose aussi cette question : chaque fois qu’on fait un bouquin sur Barbara, elle est toujours en noir et blanc. Je rappelle qu’elle nous a quittés en 1997. Michel Berger est mort en 1992, Daniel Balavoine en 1986, ce n’est pas pour autant qu’on les représente tout le temps en noir et blanc. Et quand on fait une émission, on nous colle toujours des archives des années 1960, de chez Denise Glaser généralement, donc en noir et blanc. On alimente un peu des clichés. Barbara est beaucoup plus complexe que ce que certains prétendent : Barbara est aussi en couleur ! Il y a du noir, mais il y a aussi du rouge, songez à ses lèvres rouge carmin, etc... D’ailleurs, si elle a arrêté de faire de la télé en 1975, il y a eu pas mal de concerts filmés, en couleur, par la suite.
Ce qui s’appelle alimenter une légende noire...
Oui, alors évidemment, elle aimait le noir, mais pour elle, c’était vraiment de l’ordre de l’anecdote.
La guerre est évoquée dans des chansons bouleversantes comme Göttingen, Mon enfance, ou Il me revient. En quoi ce temps-là l’a-t-il marquée ?
Forcément, quand on est né en 1930, on n’a pas pu échapper à la Seconde Guerre mondiale. Ça l’a d’autant plus marquée qu’évidemment, elle était juive. Sa guerre, ce fut une vie d’errance où il a fallu déménager dans la clandestinité avec ses parents : Marseille, Saint-Marcellin où elle est restée plusieurs années, Tarbes... Ce fut pour elle un déménagement perpétuel la nuit, avec des gens qui par bonheur ont été là pour protéger cette famille. Dans Mon enfance elle dit : "La guerre nous avait jetés là / Nous vivions comme hors-la-loi / Et j’aimais cela quand j’y pense". Les enfants aiment bien le danger dont ils n’ont pas complètement conscience, je pense que c’est dans ce sens qu’il faut lire ces mots. Elle évoque ici son séjour à Saint-Marcellin, dans le Vercors, où elle a été réfugiée avec ses parents, et cette chanson retrace son retour sur les "lieux du crime" si je puis dire. Cette maison-là, je suis allé la voir, c’est très émouvant parce que la chanson prend un autre sens quand on va la voir. J’étais aussi allé voir ses camarades de classe.
On peut considérer que c’est dommage, d’ailleurs, qu’on n’en fasse pas un musée Barbara ?
Vous avez raison. En revanche, Saint-Marcellin tenait un festival pour lui rendre hommage, je crois que c’est toujours d’actualité. Mais cette maison qui ne paie pas de mine pourrait bien devenir un musée en effet.
Il y aussi ces textes où le rapport au père est évoqué...
Il y a évidemment Nantes, le père y est évoqué sans que les choses soient vraiment claires. C’est l’histoire de ce père dont on apprend la disparition et qu’on va, la mort dans l’âme, enterrer dans une ville inconnue et pluvieuse. La chanson qui évoque les relations incestueuses, puisque c’est le sujet sur lequel vous m’interrogez, celle que Barbara a revendiquée comme telle, c’est bien Au cœur de la nuit. D’ailleurs elle a arrêté de la chanter sur scène, parce que personne ne comprenait. Mais on peut comprendre cette incompréhension, parce qu’il n’y a pas vraiment de clé si on ne sait pas... À propos de cette histoire : elle avait porté plainte, à l’époque, quand elle avait atteint l’âge de l’adolescence. C’est très rare, surtout à cette époque-là, les enfants victimes qui vont jusqu’à faire cela. Beaucoup de relations inappropriées et criminelles restent tues dans des secrets de famille. Ça n’a pas été son cas, elle a tout de suite eu ce réflexe de se défendre, d’aller voir les gendarmes pour en parler. Ils ne l’ont pas vraiment crue, mais en tout cas psychologiquement il y avait une démarche de survie. Tout le monde ne l’a pas crue en France, ce n’est qu’à partir de l’affaire Dutroux qu’on a commencé à prendre au sérieux tout ce qui était crimes sexuels contre l’enfance. Claude Sluys, qui a été son mari dans les années 1950, se destinait à la profession d’avocat tout en étant artiste. Il m’avait dit que lui-même n’y avait pas cru au départ, beaucoup de gens se posaient la question, mais les enquêtes menées ont confirmé la chose. À l’époque on ne croyait pas ce que les enfants racontaient...
Pour ce que vous en savez, elle s’était remise de ses blessures d’enfance ?
Je pense que personne ne se remet d’une chose pareille, ce n’est pas possible. Mais on peut composer avec. S’agissant de L’Aigle noir, elle-même n’a jamais confirmé qu’elle y évoquait l’inceste, mais comme le climat est le même que pour Au cœur de la nuit, je comprends bien qu’on puisse le prétendre.
Quel regard portez-vous sur le parcours d’artiste de Barbara ? Quelle est sa patte singulière dans le patrimoine culturel francophone ?
Le regard que je porte, c’est vraiment celui, encore une fois, sur une femme auteur-compositeur et interprète aussi, elle était une grande interprète. Elle conjuguait des qualités incroyables. Il y a un personne, une femme très belle avec un physique très particulier, une prestance, un charisme très forts. Sa voix aussi était très particulière, elle l’a travaillée au fil des années pour se libérer du chant classique - au départ elle avait fait des études de chant classique, ce qui sonnait un peu lourd dans les premières chansons. Elle s’est libérée de ce point de vue à partir des années 1970. Et elle était aussi un poète. Elle ne choisissait pas forcément la facilité, elle pouvait écrire paroles et musique en même temps. Elle n’écrivait pas non plus de la rédaction chantée, elle écrivait bien de la poésie. Écoutez Vienne. Gauguin. Nous sommes dans le sillage de Verlaine. Je peux citer quelques passages de Vienne : "Une vieille dame autrichienne / Comme il n’en existe qu’à Vienne / Me loge, dans ma chambre / Tombent de pourpre et d'ambre / De lourdes tentures de soie". C’est l’expression d’une poésie réelle, spontanée, lyrique et pourtant très simple. Son écriture est restée très simple, aussi par volonté. Elle ne voulait pas frimer avec l’écriture. D’ailleurs un éditeur a créé dans les années 1960 une collection consacrée aux chanteurs, on y trouvait Brel, Brassens, Anne Sylvestre. On a proposé à Barbara de faire partie de cette collection en 1968, elle n’était pas très chaude pour ça. L’appellation "Chanteurs poètes" est devenue "Chanteurs d’aujourd’hui", mais elle a refusé l’appellation de poète, alors qu’elle en était vraiment une. Il faut dire aussi qu’elle avait pu, grâce à son mari et à sa période belge, fréquenter pas mal de poètes surréalistes : si elle n’a pas fait d’études, elle a eu le bonheur de rencontrer des artistes prestigieux dans son jeune âge, et notamment ces poètes surréalistes.
D’ailleurs elle a chanté Aragon à ses débuts...
Oui tout à fait. Et il faut noter qu’elle a été aussi une vraie femme de scène, ça s’est exprimé de plus en plus et sa carrière a pris un nouvel essor à Pantin en 1981. C’était quelqu’un qui mettait sa vie en jeu, comme un Johnny au féminin. On l’entend pas trop, ça. Ses spectacles, avec elle derrière son piano, c’était vraiment des shows. Moi je l’ai vraiment découverte dans les années 1980, notamment au Châtelet en 87, puis à Mogador en 90, Paris encore en 93... Je suis allé la voir souvent à Mogador en 90, c’est là que j’ai eu ce petit accident de vie dans lequel elle m’a aidé. Elle avait acquis, notamment à partir des années 1980-90, un nouveau public de jeunes qui était très fan et exprimait son enthousiasme comme on savait le faire dans ses années. J’y suis allé notamment un dimanche, et je me souviens d’un groupe de gens de sa génération à elle qui était venu, et je les entendais râler parce qu’on n’entendait pas les paroles, se plaindre parce qu’on n’était pas "à un concert de rock"... À partir des années 80, on retrouvait chez Barbara une ambiance comparable à celle des concerts de rock. Sa musicalité n’était pas du rock, l’esprit si. Il y avait une énergie, une façon de se mettre en scène comme si sa vie en dépendait proches du rock plutôt que de la chanson française.
Et cette espèce de communion particulière entre elle et son public...
Oui, ce genre de communion qu’on trouve dans l’univers du rock, aussi. Mais clairement, ses derniers concerts étaient plus proches de Janis Joplin que de Gréco. L’évolution avait été extrême, ce qui explique aussi que certains aient été agacés, parce que ceux qui l’ont vue à Bobino, bien sagement assis, ne retrouvaient plus cette ambiance : les rappels commençaient à partir de la cinquième chanson... Moi j’adorais ça, elle sortait du cadre, un peu provocatrice et insolente aussi par rapport au métier. Ma plus belle histoire d’amour c’est vous, la chanson date de 66, enregistrée en 67, ça voulait vraiment dire qu’il y avait un lien, quelque chose de l’ordre de l’orgasme dans les concerts. Ce n’est pas juste un mot, une formule, il y avait dans cette communion quelque chose de l’ordre du sexuel, du sensuel. Pas très catholique si je puis dire !
Sa vie, c’est une source d’inspiration pour vous ?
C’est quelqu’un qui pouvait n’écrire que si elle avait vécu la chose. Elle prétendait en tout cas qu’elle n’avait pas d’imagination. Toutes ses chansons sont nées d’une histoire vécue. On retrouve des prénoms, des lieux (parfois ils sont inventés), des choses qu’elle a vécues, elle se racontait complètement. Vienne c’est l’exception confirmant la règle, elle n’y était pas allée, c’était une Vienne imaginaire suite à une crise sentimentale avec la personne avec qui elle était, elle avait besoin de prendre le large. Mais sinon, même la comédie musicale Lily Passion est liée à la réalité... On pourrait penser que c’est de la fiction pure, parce que ça met en scène une chanteuse et un meurtrier, mais c’est aussi autobiographique. D’ailleurs c’est assez amusant, on a plutôt eu tendance à prêter à Gérard Depardieu des séquences autobiographiques dans cet opéra-rock, alors que ça parlait plutôt de son vécu à elle. Il y a une chanson dans ce spectacle qui s’appelle Qui est qui et qui joue un peu de cette ambiguïté entre les deux personnages. C’est aussi une chanson sur l’ambivalence sexuelle, il faut dire qu’à l’époque elle était un peu une pasionaria des homosexuels et du Sida.
Je ne pense pas que Barbara ait été meurtrière (rire) mais quoi qu’il en soit, il faut raconter qu’elle a rencontré Jacques Mesrine à l’occasion d’une tournée qu’elle a faite avec son ami Jean-Jacques Debout en 1970 (elle était aussi l’amie de Chantal Goya). Jean-Jacques Debout avait eu Jacques Mesrine comme camarade de classe, et ils étaient restés amis proches. Il savait que Mesrine se cachait au Canada. Ils sont allés un soir dîner chez lui. À la fin du repas, Mesrine demande à Jean-Jacques Debout de chanter quelque chose, puis il demande la même chose à Barbara. Celle-ci lui a répondu qu’elle ne chantait pas sur commande, que ça n’était pas son truc... Et il menace de l’étrangler pour qu’elle chante. Jean-Jacques Debout est rentré en scène pour essayer de le calmer, puis ils sont partis. Quelques jours plus tard, pour se faire pardonner, Jacques Mesrine est venu dans la loge de Barbara lui apporter une rivière de diamants. Elle n’a pas osé la lui rendre (rire), il faut dire qu’elle avait eu une vraie frayeur, elle en a finalement fait profiter quelqu’un de sa famille qui était dans le besoin. Voilà l’histoire. Jean-Jacques Debout est quelqu’un d’adorable qui a vécu des choses incroyables.
Ce qui est bien avec ce genre d’histoire, c’est qu’elle casse un peu plus l’image trop sombre de Barbara...
Oui, c’est bien parfois d’éclaircir un peu le personnage, on dit tellement de choses sur elle qui ne sont pas en couleur... On ne peut pas dire qu’elle était sinistre ou dépressive. Son côté gothique, c’est une esthétique artistique, pas de la tristesse. Est-ce qu’on dit que Mylène Farmer est triste ? Elle parle pourtant de choses parfois très provocatrices. Elles ont en commun de parler du suicide, de la mort... il y a une volonté de dire la vérité. Et la volonté de provocation, Barbara l’a aussi à coup sûr. Après, il est vrai que la musicalité est différente. Une chanson comme La Mort, de Barbara, une de mes préférées d’ailleurs, est complètement gothique. Sa musicalité est très étrange, il y a des accords de synthé, l’atmosphère incroyable... Mylène Farmer aurait très bien pu chanter ça, elle aurait sans doute mis une rythmique différente ce qui en aurait changé la couleur. Je pense que Mylène Farmer est l’héritière de Barbara. Peut-être sa seule héritière...
Son inceste, Barbara a essayé de composer avec, elle a même fait une chanson qui s’appelle Amours incestueuses, issue d’un album du même nom paru en 1972. À cette époque, les gens étaient beaucoup trop inconscients de tout ça, maintenant on ne pourrait plus appeler un album comme ça. Et dans cette chanson elle dit : "Les plus belles amours / Sont les amours incestueuses"... Je pense que c’était là une façon d’inverser le dramatique de son histoire. Parce qu’il faut bien le vivre, alors parfois on essaie de le sublimer. Barbara n’a fait qu’un clip, question de génération, mais ceux de Mylène Farmer sont très axés sur Eros et Thanatos, l’érotisme et la mort qui sont les deux pôles du gothisme qui sera très présent dans la pop anglo-saxonne, puis chez les punks. Barbara a été pionnière en matière de gothisme musical, mais effectivement ceux deux-là traitent des mêmes thèmes, et personne n’avait vraiment réfléchi à ça...
Et la vie de Barbara, c’est quelque chose qui vous inspire, vous ?
Une source d’inspiration je ne sais pas, mais les réponses par rapport aux problèmes, que j’ai entendues et intégrées. L’intelligence de son regard sur la psychologie, aussi. Souvent, il m’arrive de penser à ce qu’elle dirait par rapport à telle chose, lorsqu’il y a un obstacle dans la vie. Elle avait tout compris du fonctionnement humain et devinait très rapidement comment fonctionnait quelqu’un, on ne pouvait pas lui cacher quelque chose à cette femme... Certains vont dans le mysticisme, Jean-Jacques Debout qu’elle était une voyante. Je n’irais pas jusque là, je suis plus intéressé par la psychologie que par la parapsychologie, je dirais simplement qu’il y avait une énorme intelligence et un art d’associer les choses. Il y a des gens qui devinent parce qu’ils maîtrisent cet art-là, c’est une question de vivacité d’esprit, de logique aussi. Et ça, ça m’inspire beaucoup parce que c’est très rare, ces personnes-là.
Sa vie elle-même m’inspire oui. À un moment, j’ai voulu écrire une pièce de théâtre inspirée d’elle-même. Il y a eu depuis le film d’Amalric. C’est difficile... un biopic ça ne me semble pas très intéressant, on va y rencontrer une forme de "religion"... Mais c’est un personnage exceptionnel, très riche et qui ne ressemble à aucun autre, à aucun niveau. Très inspirant !
Peut-être faudrait-il contrebalancer un peu, justement, le film d’Amalric, belle œuvre mais qui peut-être, charrie encore quelques clichés ou tend à statufier Barbara...
Sans doute. Après, il faut avoir les moyens. Être suivi par la famille aussi, ce n’est pas simple. Alors, je la fais connaître autrement. Autre chose : c’était quelqu’un qui était féministe sans le dire. Une féministe qui aimait les hommes. Dans chaque cause il y a des gens un peu extrêmes qui assument ces positions parce qu’ils espèrent faire bouger la cause. Dans son cas c’était une féministe qui aimait les hommes, elle disait d’eux d’ailleurs qu’ils l’avaient accouchée. Au lieu de faire des chansons sous forme de règlements de comptes sur la place de l’homme et de la femme, elle a toujours prôné naturellement sa liberté. Dans une chanson comme Vienne elle dit : "Je suis seule et puis j’aime être libre / Oh que j’aime cet exil à Vienne sans toi". Dans Dis, quand reviendras-tu ?, elle dit que si l’amant en question voyage tout le temps et ne la rejoint jamais, elle ira voir ailleurs avec ce vers très emblématique : "Je n’ai pas la vertu des femmes de marins". C’est une façon beaucoup plus efficace à mon avis d’être féministe que de prôner cette liberté. Elle ne se serait pas revendiquée comme "féministe", parce que les mots en -iste, ça n’était pas son histoire. Prôner cette liberté, ça permet de convaincre l’ennemi, parce que vous le séduisez en même temps...
Autre chose, qui sort un peu du cadre habituel, cette image un peu "bobo", convenue, d’un personnage surfait qui a des codes parisiens. Ce n’est pas ça du tout : elle était quelqu’un qui aimait bien se marrer, elle ne rentrait pas dans des cases. Songez qu’elle a chanté en duo avec Johnny Hallyday pour une émission des Carpentier, et c’est Jean-Jacques Debout (encore lui !) qui avait voulu créer l’évènement. Barbara et Johnny s’aimaient et s’estimaient énormément, d’autant plus qu’ils avaient eu tous les deux un problème par rapport au père (pas d’inceste mais un abandon côté Johnny). Ils venaient d’un milieu de saltimbanques et ont tous les deux vécu avec un père vagabond... Bref, c’est un peu marrant, la façon dont ils se sont retrouvés. Barbara ne supportait pas qu’on arrive en retard. C’était même excessif, j’imagine, parce que c’était à 5 ou 10 minutes près. Certains évènements professionnels n’ont pas eu lieu parce que des équipes sont arrivées avec 10 minutes de retard. Et donc, pour l’enregistrement, pour cette rencontre artistique provoquée par Jean-Jacques Debout, Barbara arrive au rendez-vous, et Johnny se fait attendre, donc elle commence à vouloir s’en aller... Et Debout a fait en sorte que l’ascenseur tombe en panne (rire), ce qui l’a contrainte à rester. Ils se sont finalement bien entendus, et il est allé chercher un bon Bordeaux pour la mettre à l’aise. Voilà pour l’anecdote qui tranche un peu avec l’image un peu sinistre. Souvent on dit, soit qu’elle était très désespérée, soit qu’elle était une grande farceuse. Comme tout le monde, il y avait des deux.
Une deuxième anecdote que j’aime bien. Nous sommes au début des années 80. Il faut savoir que Barbara aimait les potins, ça l’amusait beaucoup. Elle était amie avec Michel Sardou notamment - tout le monde ne va pas le dire, parce que ça ne fait "pas bien", alors que Sardou est quelqu’un de respectable qui souvent s’amuse à en rajouter. Elle voulait entendre ce que les gens du show biz disaient, parce qu’elle fréquentait peu ce milieu, surtout depuis qu’elle avait déménagé à Précy-sur-Marne, à une quarantaine de kilomètres de Paris. Donc, pendant que Michel Sardou dédicaçait des disques dans sa loge, elle s’est enfermée dans un placard. Elle écoutait, ça la faisait marrer, c’était une complicité entre eux bien sûr. Sauf qu’un soir Michel Sardou quitte les lieux, et il se rend compte une ou deux heures après qu’il a oublié Barbara dans le placard ! Ça ne s’invente pas...
Barbara en couleur... Photos extraites du carnet central du livre d’A. Wodrascka.
Encore une fois, de quoi casser un peu cette image triste ! Vous avez déjà un peu à cela, mais quelles chansons d’elle vous touchent le plus ?
(Il hésite) Comme je l’ai dit tout à l’heure, ce serait plutôt celles des années 70, parce que je préfère sa façon de chanter de cette époque, et même sa façon de s’exprimer, plus actuelle. Il y a des chansons que j’aime beaucoup. Vienne, je l’aime énormément, elle concilie l’amour avec la description d’une ville magnifique, un texte d’une extrême poésie et en même temps, très simple. Une musique superbe, pour une chanson intemporelle. Mon enfance, parce qu’effectivement celle-ci joint l’intime et l’universel, le retour sur les "lieux du crime", son enfance, tout ce qu’elle a ressenti et que chacun peut ressentir, magnifiquement exprimé. Et, donc, La Mort, chanson très peu connue, pour son aspect gothique merveilleux, elle y décrit la mort comme un personnage surnaturel comme dans cette littérature-là. On touche au tabou suprême...
Mais elle s’en amusait un peu, vous le disiez, elle-même jouait un peu la petite sœur de Dracula...
Bien sûr. Sa façon de s’habiller, ses poses étaient très en relation avec tout ça. L’ambiance de L’Aigle noir est complètement gothique, il y a un lac, une voix avec plein de réverbes... Cette imagerie elle en jouait, mais elle disait aussi à qui voulait l’entendre qu’elle ne se baladait pas "avec un corbeau sur l’épaule".
Ce côté joueur de Barbara transparaît pas mal de notre échange finalement...
Oui, on pense toujours qu’elle est dépressive et que, posée devant un piano, on ne sait même pas si elle ira au bout de la chanson. C’est un peu ce qui est véhiculé. Or, c’est quelqu’un qui avait un contrôle absolu sur tout : sa carrière, ses musiciens, etc... Elle avait vécu des choses difficiles, avait de vraies séquences de mal de vivre, c’est humain, mais elle était quelqu’un qui était dotée d’une grande force vitale.
Elle s’amusait à mettre en scène cet aspect gothique. Son album le plus gothique au niveau de l’aspiration, c’est La Louve, en 1973. On y trouve des chansons comme Le Minotaure, La Louve donc, Marienbad dans laquelle on retrouve le vers suivant : "C’était un grand château, au parc lourd et sombre / Tout propice aux esprits qui habitent les ombres"... Pas mal de chansons sont conçues selon cette esthétique. Ce qui est drôle, c’est que les textes ne sont pas d’elle mais de François Wertheimer, un homme plus jeune qu’elle avec qui elle était à cette époque-là. Et finalement il a été plus loin que ce qu’elle avait pu faire sur le plan de l’imagerie gothique. Il a pris l’esthétique gothique de Barbara et il l’a façonnée avec une culture plus grande qu’il avait sur ce terrain. Elle est complètement en phase avec ça. Écoutez Ma Maison, autre texte complètement gothique : "Ma maison est un bois, mais c’est presque un jardin / Qui danse au crépuscule, autour d’un feu qui chante". C’est donc par un autre qu’elle, un jeune auteur, qu’elle avait à l’époque sublimé cette esthétique. Il faut dire que Barbara avait du mal à écrire. Ses textes sont magnifiques, mais elle n’avait pas la facilité d’écriture que lui par exemple avait, il y a énormément de mots et d’images dans ses chansons. C’est du Barbara plus gothique que nature ! Avec évidemment, sa bénédiction.
Vous aviez écrit une bio précédente de Barbara qui s’intitulait N’avoir que sa vérité. Quelle est finalement la vérité de Barbara telle que vous croyez l’avoir comprise ?
C’est une bonne question... Sa vérité, c’est qu’il faut être soi-même à 300%, ne pas tricher. Il ne faut pas essayer d’aller contre les choses. Je reprends cette phrase citée au début et qu’elle m’avait adressée à un moment difficile de ma vie : "On traverse tous des couloirs, mais il ne faut pas aller contre les couloirs, il faut aller avec les couloirs". Toute sa vérité est là-dedans : s’il y a un obstacle dans la vie, il ne faut pas aller "contre" l’obstacle, mais "avec", faute de quoi on a une double peine, celle d’être embêté, et celle d’être embêté d’être embêté.
D’ailleurs dans son dernier album il y a une chanson qui s’appelle Le Couloir, il y a des choses angoissantes qui s’y passent, mais aussi des moments de vie et d’espoir, le cadre c’est un service de réanimation...
Oui, absolument. Et on revient là au gothisme. Barbara ne s’interdisait rien. Très peu de chanteurs et de chanteuses de sa notoriété se sont permis d’aborder des thèmes aussi durs avec une telle dureté. Le Couloir ou Fatigue, dans cet album de 1996, ce sont des textes qui sont à la limite de l’insoutenable, par rapport à ce que ça exprime. Mais du moment que c’était vrai, il fallait le faire, et c’était sans doute ça son souhait. Quand dans Le Couloir elle évoque "La chambre 12 qui s'en va", ça n’est pas rien...
Quel regard portez-vous sur son dernier album de 96, au passage ?
(Il soupire) En pensant à cette question, je pense aussi à Jacques Brel. On ne peut que les comparer, ils avaient un an de différence et étaient très proches, d’ailleurs ils se sont connus avant d’être reconnus. Leur démarche était similaire, comme leur conception de l’existence où il faut foncer carrément. D’ailleurs ce n’est pas un hasard s’ils sont morts prématurément l’un comme l’autre. Sans doute n’étaient-ils pas faits pour vieillir... Ils ont connu des parcours de fous, en une vie ils en ont vécu cinq...
Le dernier album de Brel est paru en 1977, un an avant sa mort, même chose pour Barbara. Aussi bien le dernier album de Jacques Brel était un chef-d’œuvre, aussi bien ne dirais-je pas la même chose de l’album de Barbara, pour plusieurs raisons. Elle a voulu être arrangeuse elle-même, or les artistes ont besoin me semble-t-il d’un regard extérieur. Les producteurs, les arrangeurs ont un rôle. Les arrangements, elle les faisait déjà pour la scène, et elle faisait ça très bien. Mais faire du studio c’est autre chose, et je trouve que les arrangements de cet album ne sont pas à la hauteur de ceux, par exemple, de ceux de Michel Colombier, son meilleur arrangeur à mon avis. C’est un peu une musicienne qui a fait des arrangements de chanteur. Les instruments, on ne les entend pas bien, et pourtant il y a des pointures. Je sais qu’au départ l’album avait été fait d’une certaine façon, avec un mixage traditionnel, et à la toute fin ça lui a pris, ça c’est Barbara, son côté un peu fantasque, impulsif, elle a refait toutes les voix les unes après les autres, très vite, et le nouveau mixage donne une voix très en avant, on n’entend quasiment pas les musiciens... C’est dommage. Il faut se souvenir qu’elle avait fait beaucoup de choses pour les autres, elle était allée visiter des prisons, et un de ses arguments a été de dire qu’il fallait une voix forte pour qu’on entende, les femmes dans les prisons notamment, ce qu’elle avait à dire. Moi je pense que cet album aurait pu être meilleur, il y avait la matière au niveau des chansons. Mais à la réalisation, il manque quelqu’un... Après, je respecte le choix de Barbara. Cet album était devenu autre chose, peut-être plus celui d’une femme qui s’occupait des autres que d’une chanteuse. Elle voulait se faire entendre plutôt que de faire quelque chose d’artistiquement bien léché, voilà.
Dans l’interview que j’ai faite avec Jean-Daniel Belfond il y a quelques jours, lui aussi insiste beaucoup sur la dévotion de Barbara pour les autres...
Oui, c’était toute sa vie de s’occuper des autres. Elle disait que si elle n’avait pas été chanteuse, elle aurait été assistante sociale.
Si par extraordinaire (hypothèse un peu gothique pour le coup !) vous pouviez là, les yeux dans les yeux, poser une question à Barbara quelle serait-elle ?
Je n’aurais pas de question à lui poser. Ou plutôt je lui demanderais si j’ai suivi le chemin qu’il fallait suivre. Je lui demanderais si le bilan, le mien, est bien par rapport aux conseils qu’elle m’avait donnés. Ai-je été à la hauteur de ce que j’ai entendu ?
D’accord... Peut-être aussi lui demander ce qu’elle pense de la manière dont on l’a statufiée, recréée, reconstruite ?
Je ne sais pas si ce serait si important que ça pour elle, finalement. Par rapport à sa génération, Brassens l’air de rien, derrière sa modestie légendaire, était très soucieux de sa postérité. Pour prendre quelqu’un de plus proche de nous, Michel Berger évoquait aussi la sienne à travers Starmania. Elle, à moins que quelque chose m’échappe, je ne l’ai jamais entendue évoquer cette chose-là, je crois qu’elle n’en avait absolument rien à faire. Donc je ne dis pas que ça n’est pas important, mais si à ses propres yeux ça ne l’était pas, alors... Une de ses phrases était : "On est tous des passants, l’essentiel c’est de passer le mieux possible". Mais je ne sais pas si les choses l’intéressaient une fois le passage fini...
Ce qui ressort de cette interview en tout cas, c’est cette idée qu’il faudrait recoloriser Barbara...
Lui redonner de la couleur bien sûr. C’était quelqu’un qui existait en couleur, elle était très vivante, très drôle. Encore une fois, quand on revoit ces archives en noir et blanc où elle chante Le Mal de vivre derrière son piano, avec un son qui d’ailleurs n’est plus celui qu’elle ferait 15 ans plus tard, on se dit que c’est dommage. Parce que le son ça existe. Elle a un son qui ne correspond pas aux archives des années 60, Barbara. D’ailleurs elle a réenregistré certaines de ses chansons, comme La Solitude ou Les Rapaces dans les années 70, avec des instruments différents, une coloration beaucoup plus pop. C’est important parce que sans cette mutation, il y a tout un public qu’elle n’aurait pas eu. Comme moi. La Barbara des années 60, je l’écoute parce que je connais celle d’après. Mais s’il y avait eu tout le temps ce personnage piano/contrebasse/accordéon tout le temps, je ne m’y serais pas intéressé parce que c’était vraiment d’une autre époque pour moi. Pas mon truc. Mais je pense que ça n’était plus son truc non plus, dans les années 70-80-90. C’est pour ça qu’elle a fait autre chose.
Elle a évolué, là où des gens de sa génération n’ont pas du tout évolué et sont restés à ce qu’on faisait avant 68. Je ne crois pas qu’elle écoutait les Beatles toute la journée, mais le fait est qu’ils ont révolutionné la pop mondiale, et de ce point de vue Sgt. Pepper’s est peut-être l’album le plus mythique dans le monde. Et il y a des gens qui ne se sont pas rendus compte de ça. Même au niveau de l’écriture, elle a évolué. Dans les années 60, elle évoque la solitude dans La Solitude. En 1981, elle évoque ce même sujet avec Seul, chanson qui donne son nom à l’album d’ailleurs. Ce n’est plus la même écriture, c’est beaucoup plus contemporain, il y a moins de mots, avec un synthé un peu bizarre... Elle était ouverte aux changements musicaux à tous les niveaux. Ils ne sont pas si fréquents, ces artistes qui évoluent. Je pense que Barbara ne serait pas devenue une légende si elle n’avait pas évolué. Elle serait devenue une nostalgie. On citait Gréco tout à l’heure. Dans ses déclarations publiques, Gréco était très en phase avec le monde. Musicalement, c’était très bien, très bien fait, mais très daté.
Jusqu’à la fin, Barbara a écouté ce qui sortait, elle s’intéressait. On en revient à l’aspect en couleur du personnage : elle a reçu deux Victoires de la Musique, une en 94, une en 97. Elle ne s’est déplacée pour aucune, mais dans une de ces cérémonies elle était en concurrence avec Ophélie Winter et Zazie. Barbara au téléphone avait dit qu’elle avait bien compris qu’on lui avait donné la Victoire de la Musique parce qu’elle était "la plus vieille", mais elle avait assuré qu’elle aimait beaucoup les autres chanteuses. Il y avait aussi Valérie Lemercier dans l’émission, elle avait improvisé une chanson qui s’appelait Poussin Coin-Coin. Et Barbara a exprimé son envie de continuer la chanson avec Valérie Lemercier, parce qu’elle trouvait pas mal qu’il y ait une chanson qui s’appelle comme ça. C’était sa dernière apparition médiatique. Et ça montre bien sa distance par rapport au show biz aussi, elle n’était pas dupe, elle considérait sincèrement que Zazie comme Ophélie Winter ne lui étaient pas inférieures, elle les respectait complètement. Et en même temps il y avait de l’humour.
Elle restait ouverte, curieuse des autres...
Exactement. Je pense qu’elle aurait aimé des gens comme Stromae, certains rappeurs comme Orelsan... Certains chanteurs de sa génération faisaient semblant d’aimer les rappeurs, mais chez elle la démarche était sincère. Bref, il ne faut pas la figer dans une époque, c’est quelqu’un d’intemporel. Les gens qui l’ont rencontrée gardent toujours un peu cette impression de personne très vieille et très jeune à la fois... On en revient au gothique, à une forme d’immortalité pour quelqu’un qui avait traversé le temps. D’ailleurs on peut dire qu’elle a eu 50 ans toute sa vie : elle n’a jamais eu recours à la chirurgie esthétique et a gardé un visage très lisse, même à la fin. Peut-être était-elle une créature surnaturelle finalement ?
Un mot sur ses passages au cinéma ?
C’était plutôt bien. Elle a joué sous la direction de Jacques Brel dans le film Franz. Et dans un film de Brialy qui s’appelait L’Oiseau rare. Dans ce film-là elle a complètement changé le scénario et les dialogues, elle a raconté sa vie à la place. C’est intéressant : elle devait y jouer le rôle d’une diva déchue, finalement elle joue un peu le sien. C’est très drôle, et très en couleur pour le coup. Je crois qu’elle n’avait de frontière ni dans l’humour ni dans la gravité. Elle bousculait les tabous naturellement, c’est son côté Rock’n’roll. Et en développant ça, je pense à Bashung. La nuit je mens, c’était déjà un peu du domaine de la folie. Elle, c’est quelqu’un qui a raconté la difficulté d’être, mais elle était tout sauf folle. Loufoque, fantasque, perchée si vous voulez, mais tout le contraire d’une folle. Tout ce que j’ai pu entendre sur le plan de la psyché sont des paroles de la personne la plus lucide, en phase avec les choses humaines qui soit.
Vos projets et vos envies pour la suite ?
Je prépare un livre sur Brigitte Bardot, avec sa contribution comme pour tout ce que j’ai fait en ce qui la concerne. Donc on passe du "B" à "BB". Parallèlement à mes concerts. Et je prépare un album qui sortira au printemps prochain.
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Dobbs : « Vivre de la BD est difficile : mieux vaut se diversifier... »
Qui connaît encore, en France, le nom d’Alexeï Leonov ? Pas grand monde, sans doute. Cet homme, disparu en 2019, comptait pourtant parmi les pionniers historiques de la conquête spatiale, un peu comme un Youri Gagarine, ou un Neil Armstrong. Il fut, en mars 1965, le premier humain à avoir réalisé une sortie extravéhiculaire dans l’espace - c’était la mission Voshkod 2, et ce fut un motif de fierté pour l’URSS, en pleine Guerre froide. Le scénariste Dobbs et le dessinateur italien Antonello Becciu (avec Josie de Rosa à la couleur) ont décidé de consacrer à Leonov une bio graphique pour la collection Biopic de Passés/Composés, le résultat, de belle facture, est inspiré et inspirant. Inspirant parce qu’il nous donne à revivre cette aventure, non pas tant du côté des bureaucraties gigantesques qui comparaient la taille de leurs fusées (ce match se rejoue aujourd’hui entre mastodontes privés, le duel Musk/Bezos en est le meilleur exemple), mais parce qu’on suit le parcours d’un gamin qui, petit, rêvait aux étoiles et qui, adulte, a pu les tutoyer. Un ouvrage à lire, et je remercie Dobbs pour les réponses qu’il m’a apportées. Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Dobbs : « Vivre de la BD
est difficile : mieux vaut se diversifier... »
Leonov (Passés/Composés Biopic, novembre 2022).
Dobbs bonjour. Comment est né le projet Leonov, et comment vous êtes-vous retrouvé dans cet équipage ?
Stéphane Dubreil, avec qui j’avais déjà travaillé, m’a parlé de sa collection « Biopic » pour Passés/Composés et de plusieurs pistes de scénarios. Je connaissais pour ma part certains éléments de la course à l’espace entre URSS et USA, et l’orientation vers la biographie aventureuse de Leonov est devenue une évidence pour lui et moi comme futur projet.
Vous connaissiez le dessinateur, Antonello Becciu, avant ce travail en commun ? Comment les choses se sont-elles organisées, et de ce point de vue la barrière de la langue n’a-t-elle pas été un obstacle pour exprimer, l’un et l’autre, ce que vous souhaitiez ?
Je le connais depuis pas mal d’années, nous avions même débuté un projet de road movie trash ensemble. J’aime son style et nous avons œuvré avant Leonov à une BD sur la Seconde Guerre mondiale qui devrait sortir en 2023 chez Glénat. En fait, je travaille depuis de nombreuses années avec des artistes et amis italiens, nous parlons anglais la plupart du temps sur les réseaux sociaux ou par échanges de mails. Cela fait partie de notre quotidien d’œuvrer avec des dessinateurs/trices, coloristes étrangers.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières pour composer ce récit, et si oui lesquelles ?
Les recherches prennent un temps considérable sur ce genre de BD, et il faut trouver un certain axe pour la narration. Pour Leonov, le plus difficile a été de gérer ce temps et de trouver les astuces pour que le récit ne soit pas trop linéaire pour les lecteurs.
Ce que vous mettez bien en avant dans votre histoire, au-delà de ce combat de titans, c’est l’esprit de pionniers, et le rêve de celui qui, admirant les étoiles gamin, se retrouve à force de travail à les tutoyer comme jeune adulte. De ce point de vue votre BD est inspirante. Ce rêve-là, vous l’avez eu un peu vous aussi ?
Merci beaucoup pour ce retour de lecture. Je n’ai jamais eu l’âme d’un pionnier ou d’un aventurier, si ce n’est dans mon imaginaire. J’ai été inspiré par plusieurs rencontres qui m’ont amené à faire ce que je fais actuellement, et il est vrai que raconter et imaginer des histoires et des personnages a toujours fait partie de ce que je suis profondément. Était-ce un rêve de gosse ? Je ne sais pas. J’ai toujours pensé que mon imaginaire demeurerait ainsi et m’accompagnerait toute ma vie, c’était ça l’essentiel pour moi.
Alexeï Leonov, premier homme à avoir effectué une sortie extravéhiculaire dans l’espace donc, est mort en 2019, son nom, bien que fameux, ne l’est pas autant que celui d’un Gagarine, ou d’un Armstrong. Si vous aviez pu le rencontrer, quelle question lui auriez-vous posée ?
« Que pensiez-vous réellement devant ce parterre de bureaucrates du comité politique en débriefing de la mission ? »
Parmi les nombreuses BD que vous avez écrites, pas mal de biographies, de récits historiques aussi. Le "non-fiction" suppose-t-il une discipline particulière, et n’a-t-il pas un petit côté frustrant, en ce qu’il laisse moins libre cours à l’imagination de l’auteur ?
Toute forme d’écriture scénaristique demande de la discipline. Les récits biographiques et historiques n’empêchent en rien le rajout de fictionnel et la part d’imaginaire. Il y a juste un curseur à mettre sur le degré de véracité et de réalisme de la narration.
Ce n’est pas frustrant, il faut simplement le prendre comme un exercice mental qui demande parfois de tordre des éléments pour s’affranchir de carcans divers. Il y a de la fiction dans cette façon de faire. Je vois juste des différences entre créations et commandes…
De qui rêveriez-vous de retranscrire la vie en BD ?
Malcolm X par exemple, ou Diane Arbus (une fameuse photographe de rue américaine, ndlr).
Vous écrivez de la BD depuis une vingtaine d’années. Parmi toutes vos créations, quelles sont celles pour lesquelles vous avez une tendresse particulière, et que vous aimeriez inviter nos lecteurs à découvrir ?
Question très difficile… car cela signifierait qu’il existe une sorte de préférence personnelle. Je botte en touche sur la BD (comme ça je ne mets aucun camarade dessinateur à dos sur mes collaborations, héhé). L’œuvre pour laquelle je ressens le plus de fierté est le livre Méchants que j’ai écrit pour l’éditeur Hachette. C’est une analyse de l’usage des vilains dans la pop culture et de leur évolution, avec des articles de fond, des illustrations inédites etc… une version ludique et fun de ce qu’aurait dû/pu être ma thèse en socio-anthropologie.
Comment décririez-vous votre univers, sur la base de qui vous inspire, et de ce que vous avez produit jusque-là ?
Aimant les différents genres de récits, je dirai que je n’ai pas qu’univers mais plusieurs, en lien les uns avec les autres. Ce qui fait sens chez moi, ce sont des personnages fun et forts, des émotions à faire partager aux lecteurs, des découpages cinématographiques et des thématiques comme la part sombre de l’histoire, ou encore des mécanismes tels que l’ironie dramatique par exemple.
Vos conseils pour quelqu’un, un jeune ou un moins jeune d’ailleurs qui, après vous avoir lu, rêverait de faire lui aussi de la BD, son métier ?
Vivre à 100% de la BD est très difficile, la plupart des auteurs (dessinateurs, scénaristes, coloristes…) ont souvent plusieurs cordes à leur arc et travaillent dans un autre domaine en parallèle (ou sur plusieurs projets). Il faut donc non seulement affiner sa/ses technique(s), apprendre au quotidien, constituer son réseau et diversifier son métier. C’est un métier technique et créatif de longue haleine, fait parfois de sacrifices, mais surtout de rencontres, d’attentes et de marathons.
Il y a des festivals où l’on peut rencontrer des auteurs et même des éditeurs afin de présenter son portfolio, des écoles pour affiner ses techniques et des associations pour prendre des cours de modèles vivants, de colorisation, de types de BD, etc… Mais soyons clair, à l’heure actuelle, peut-être est-il plus sûr de ne pas tout miser sur la BD et de se préparer à faire à côté de l’illustration en jeu vidéo, en livres jeunesse, du storyboard en pub ou même en institutionnel, car l’important est surtout de dessiner et d’en vivre. Pour le scénario, c’est encore différent, car il n’y a pas d’école véritable préparant à la scénarisation en BD : là aussi, les scénaristes font souvent leurs armes dans d’autres médias et apprécient les cours de storytelling qui sont assez universels, et les cursus anglophones qui sont rodés à ce genre d’apprentissage.
Vos projets et surtout, vos envies pour la suite ?
Encore du western (avec Nicola Genzianella), du genre avec du récit de guerre en album et en collection (Glénat et Passés/composés), de la piraterie fantastique et du space opera… Et en même temps un peu de développement en animation. C’est assez chargé mais surtout étalé sur x années, c’est aussi ça la difficulté d’auteur de BD, le planning qui peut s’étirer assez loin hors de notre sphère de contrôle.
Un dernier mot ?
Kamoulox
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Pascal Louvrier : « Fanny Ardant se brûle parfois mais peu importe, elle est quelqu'un qui ose »
Il y a quatre mois, l’auteur et biographe Pascal Louvrier m’accordait une interview autour de son Gérard Depardieu à nu, qui venait de paraître aux éditions de l’Archipel. La lecture fut instructive et l’échange agréable. Il y fut question, parmi tous les sujets abordés, des partenaires de Depardieu, dont Fanny Ardant, à laquelle l’auteur consacrait justement son prochain ouvrage - ouvrage qui d’ailleurs, au moment de l’interview, était sur le point d’être imprimé. Quelques semaines après, j’ai pu avoir entre les mains Fanny Ardant, une femme amoureuse (Tohu-Bohu, septembre 2022), objet littéraire pas vraiment identifié (pas réellement une biographie, pas franchement un roman, pas tout à fait des confessions, mais un peu tout ça à la fois).
Ce livre, c’est un peu le regard d’un amoureux sur une femme amoureuse, et à le lire on comprend à quel point ce qualificatif correspond bien à Fanny Ardant. On peut aussi en parler comme d’une actrice qui ose faire des choix casse-gueule, elle l’a prouvé à maintes reprises, et comme d’une femme mystérieuse, complexe et révoltée, autant qu’un Depardieu. Une femme de passions, le jeu de mot est facile, mais il correspond à une réalité : comme son nom l’indique, peu de place pour la tiédeur chez Fanny Ardant. Ce livre, qui se lit comme un roman, mérite d’être découvert. Et sa lecture invite à découvrir ou redécouvrir l’œuvre remarquable de cette comédienne. Merci à elle pour ces moments, et à Pascal Louvrier, pour sa disponibilité, et pour cette nouvelle interview donc, réalisée mi-juillet. Exclu. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Pascal Louvrier : « Fanny Ardant
se brûle parfois mais peu importe,
elle est quelqu’un qui ose. »
Fanny Ardant, une femme amoureuse (Tohu-Bohu, septembre 2022).
Pascal Louvrier bonjour. Quand on referme votre livre, on se dit qu’il n’est pas vraiment une bio. Fanny Ardant y est largement évoquée, mais il y a beaucoup de sentiments personnels qui sont aussi confessés, pas mal d’éléments qui iraient bien dans un roman. Peut-être est-ce tout simplement, une déclaration ?
Une déclaration, je ne sais pas... Confession me paraît plus exact. Et effectivement, je ne fais jamais de biographies classiques, mais sur celui-ci en particulier, si j’ose dire, "ceci n’est pas une biographie". Il y a des éléments romanesques, même s’il faut faire attention aux termes, puisque je n’invente absolument rien concernant Fanny Ardant : tout est rigoureusement exact. Mais il y a bien une dramaturgie personnelle qui se déploie, et qui d’ailleurs a été un peu voulue par Fanny Ardant : quand je lui avais demandé si je pouvais me lancer dans une biographie, elle m’avait dit que ça ne se demandait pas, qu’il fallait "prendre le pouvoir". Je consacre d’ailleurs un court chapitre à ce qu’elle m’a dit, écrit, et j’ai trouvé que ça correspondait bien à son état d’esprit, à son caractère et à ses passions qu’elle nourrit depuis toujours : tout ce qui me séduit chez elle.
Fanny Ardant, c’est la femme libre par excellence ?
Oui, c’est vraiment la femme libre qui ne revendique pas sa liberté mais qui la vit pleinement. Elle ne souhaite être dans aucun embrigadement quel qu’il soit parce que le moindre slogan, la moindre pancarte sous lesquels défiler vous font perdre votre liberté. C’est pour ça qu’elle incarne pour moi la liberté absolue. Par son allure déjà : c’est une femme d’une grande classe, d’une grande élégance, qui s’exprime très bien, avec une phrasé particulier qui je crois fait aussi son charme. Et au fil des années elle est devenue une actrice culte. Je pense notamment à La Femme d’à côté (1981) de François Truffaut qui allait devenir son compagnon peu après.
Il y a également chez elle une liberté d’expression que l’on ne trouve plus aujourd’hui, hélas, parce qu’on est dans des formatages, dans des slogans, du prêt-à-penser intellectuel et idéologique. Elle n’est pas du tout là-dedans, et son parcours et ses propos le prouvent, toujours avec beaucoup de distinction et de classe. J’aime ça par-dessus tout : je ne suis pas favorable à ce qu’on quitte une salle de spectacle en faisant un bras d’honneur aux gens qui sont dans la salle ou sur scène, j’ai même horreur de ça.
Vous avez un peu répondu à cela, mais pour vous, le sujet Fanny Ardant, ça a été un vrai coup de cœur personnel ?
Oui bien sûr. Comme souvent d’ailleurs avec les livres que j’écris sur certaines personnalités : il ne peut en être autrement, parce que je choisis mes personnages si j’ose dire. Ou c’est peut-être eux qui me choisissent, il y a parfois une alchimie qui nous échappe... Clairement ici c’est un vrai coup de cœur, et je crois que de son côté aussi, quand elle m’écrit : "Vous me donnez des chaleurs, à vouloir écrire sur moi...", quand je lui annonce le projet, ce qui est magnifique (rires).
Qu’est-ce qui, de son enfance à son parcours de femme et d’artiste, l’a forgée telle qu’elle est ?
Je crois qu’il y a une discipline qu’elle a acquise dans la solitude. Elle était une jeune fille, puis une adolescente solitaire, qui se réfugiait dans les livres. Elle a eu une enfance dorée, puisqu’elle a vécu à Monaco du fait du métier de son père. Père qui était un homme très rigoureux, d’une grande droiture : il était écuyer, il faut savoir maîtriser le cheval, sinon il part au galop et vous rompt le cou. Il faut à la fois laisser la liberté, bride sur le cou au cheval mais aussi le monter serré. Elle a retenu cela de son père, cette discipline donc, cette exigence. Cette discrétion, aussi. C’est dans la solitude, dans la lecture, qu’elle s’est forgé une culture et surtout une personnalité. Solitaire, c’est aussi une femme très secrète dont on ne peut percer tous les mystères - d’ailleurs je trouve ça plutôt bien, à la fin du livre reste une part d’ombre...
On ressent bien ce mystère qui persiste à la fin de la lecture d’ailleurs...
Oui, le mystère perdure, parce que je ne peux pas le pénétrer totalement, et d’autre part je n’ai pas envie de soulever le voile totalement. Garder une part de mystère et de rêve en même temps. Mais on sent que, sous des aspects très polissés, c’est une femme qui bout et qui est ravagée par un incendie intérieur très fort.
Justement, à votre avis dans quels rôles cette discrète nous donne-t-elle le plus à voir qui elle est vraiment ?
Le grand rôle à mon avis c’est La Femme d’à côté. Le titre de mon livre, c’est "Fanny Ardant, une femme amoureuse", et on voit dans ce film que c’est l’amour qui détermine sa vie et ses choix, avec tout ce que ça comporte de dangers et de risques, parce qu’il y a une mise à nu dans la passion amoureuse, qui peut d’ailleurs revêtir plusieurs formes. C’est une femme qui se met perpétuellement en danger, par ses choix artistiques. Pour moi elle est bien la femme de ce film, "ni avec toi ni sans toi", et l’amour à mort qui se finit tragiquement. C’est aussi pourquoi elle interprète aussi admirablement Marguerite Duras au théâtre : elle est l’une des grandes voix de l’écriture de Duras.
En tout cas c’est la deuxième fois que vous me vantez les mérites de ce film, entre l’interview sur Depardieu et celle-ci, il faut vraiment que je le voie !
Oui, il y a dans ce film une alchimie difficile à trouver au cinéma : deux très grands acteurs. Parfois, dans pareil cas le cocktail ne prend pas. Là ils sont magnifiques tous les deux, avec la caméra de Truffaut : on a le réalisateur, on a la femme, on a l’homme... on a tout dans ce film. Et l’histoire, qui est assez classique mais qui donne une force inégalable à l’ensemble.
Parlons du réalisateur justement. Leur fille mise à part bien sûr, que lui a apporté Truffaut, et qu’a-t-elle apporté à Truffaut ?
Vaste question... Ils ont été ensemble. Truffaut est mort sans avoir pu connaître Joséphine, sa fille que portait Fanny Ardant. Il y a forcément ici quelque chose de très puissant. Sur le plan privé, le père, la mère, la fille. Et cela, doublé d’un couple cinématographique : ils tourneront ensuite Vivement dimanche, avec Jean-Louis Trintignant qui vient de nous quitter.
Truffaut n’avait pas son pareil pour mettre en valeur les femmes dans ses films. Et je pense qu’il nous manque beaucoup aujourd’hui. Certaines actrices auraient pu trouver un développement original si elles avaient pu tourner avec lui. Je pense notamment à Léa Seydoux, que j’évoque à la fin de mon livre et que j’imagine très bien filmée par Truffaut. Même si Arnaud Desplechin dans Tromperie (2021), adapté du roman de Philip Roth, arrive à faire quelque chose de très fort... Je fais cet aparté, parce qu’il est difficile, après Fanny Ardant, de trouver une jeune actrice qui ait toutes ses qualités, son tempérament, son intelligence et sa force. Il me semble que Léa Seydoux les a. Mais pour revenir à votre question, c’est vraiment entre eux un apport réciproque multiple, qu’on ne peut résumer en quelques lignes. Peut-être faudrait-il d’ailleurs y consacrer tout un livre, pourquoi pas sous la forme d’un roman...
Avec Depardieu, vous évoquez un partenaire de jeu mais aussi un ami, une espèce d’amitié amoureuse entre deux écorchés vifs vomissant les travers de l’époque. Ces deux-là se sont reconnus assez vite ?
Oui, d’autant plus qu’ils se sont rencontrés dans le film Les Chiens (1979), d’Alain Jessua. Fanny Ardant n’était alors absolument pas connue, et on l’avait laissée de côté. Gérard Depardieu avait lui remarqué cette femme, il l’avait un peu prise sous son aile - lui était déjà une vedette reconnue. Il l’a aidée à s’imposer sur un plateau de cinéma, alors que Fanny Ardant se considérait presque comme une pestiférée. Elle lui en a été très reconnaissante. Après il y a donc eu La Femme d’à côté, d’autres films ensuite... On peut effectivement parler d’une sorte d’amitié amoureuse : ils s’estiment et s’adorent, ils sont tous les deux dans une forme de provocation, de provocation saine par rapport à l’étouffoir que représente notre société aujourd’hui. Ils font un bien fou, tous les deux...
À la question que vous laissez en suspens à un moment de votre récit, quelle réponse apporteriez-vous : qui de Fanny Ardant ou de Gérard Depardieu est à votre avis le plus "noir", le plus énervé par le monde qui nous entoure ?
Fanny Ardant répond à cette question, lorsqu’elle se dit beaucoup plus énervée, agitée et sombre que Depardieu. Quand on connaît la personnalité de Depardieu, on sait qu’il a des moments de grand tourment, mais je sais aussi que Fanny Ardant a des moments très sombres et très noirs. Et je crois en effet que dans la noirceur elle l’emporte haut la main. Chez Gérard Depardieu, il y a une très grande fragilité c’est incontestable, mais il y a aussi une très grande force : c’est Pantagruel, il a les pieds dans la glaise et il tient debout. Fanny Ardant a fait plusieurs fois des sorties de route. Et en même temps elle prend des risques, cinématographiquement. Gérard Depardieu en a pris aussi bien sûr, mais aujourd’hui un peu moins, alors que Fanny Ardant en prend toujours.
Dans Pédale douce (1996), elle est extraordinaire, idem dans La Belle Époque (2019). J’ai d’ailleurs interviewé Nicolas Bedos, réalisateur de ce film, il m’en a parlé longuement. Il m’a d’ailleurs confié n’être pas toujours en accord avec ses sorties - je ne le suis pas non plus d’ailleurs - mais c’est sain et salutaire : quand on est dans un dîner, c’est bien de n’être pas tous d’accord à réciter ce que les médias nous imposent de gré ou de force. Fanny m’avait d’ailleurs dit en direct qu’elle aurait envie d’aller dans un dîner où elle rencontrerait un fasciste : ça lui plairait parce qu’elle pourrait s’engueuler avec lui, argumenter, contre-argumenter, ce qui serait intéressant, et peut-être que quelque chose de bien sortirait de cette confrontation-là. Elle avait fait un jour une sortie contre l’américanisme : elle faisait un film sur Staline (Le Divan de Staline, 2017), d’ailleurs avec Depardieu, et un journaliste l’avait attaquée sur Staline, sur l’URSS, sur le goulag... Elle lui avait rétorqué qu’elle n’était pas favorable à Staline mais qu’au moins on pouvait en débattre. Et elle avait fini par lâcher que finalement, il fallait tous être américains et leur dire amen. C’est ce que j’aime chez elle : elle sait amener le débat et la confrontation, comme le faisait d’ailleurs Marguerite Duras.
Et justement, dans ces deux livres, consacrés donc à Depardieu et à Fanny Ardant, vous ne faites pas mystère vous non plus de ce que vous inspire une époque où, notamment dans le milieu du show business, il vaut mieux ne pas sortir des clous de la pensée dominante si on veut faire carrière, et au diable les nuances de la pensée. Ce mouvement-là est-il irréversible ?
Irréversible je ne sais pas. Dans l’existence rien n’est irréversible. Mais effectivement, en ce moment on vit une véritable chape de plomb, une chasse aux sorcières dans une sorte de maccarthysme moderne détestable et que je déteste au plus haut point. Oui, quand il y a des artistes hors normes comme Depardieu, comme Fanny Ardant, ça fait du bien mais on cherche la relève, et malheureusement on la trouve difficilement : il y a beaucoup de fadeur, de calculs un peu misérables. Alors qu’un artiste ce n’est pas ça, ça n’a aucun intérêt. Ce formatage risque de nous détruire totalement, c’est d’ailleurs pour cette raison que nombre de films font des bides. Elle le dit elle-même dans une interview très récente, qu’elle ne tourne pas un film pour "éduquer les citoyens". Tout est dit : le cinéma n’est pas fait pour ça !
Pour elle, pour moi aussi, l’objectif du cinéma, comme de la littérature et de tous les arts d’ailleurs, c’est d’abord de donner des émotions. "Un rendu émotif", comme dirait Louis-Ferdinand Céline. C’est de faire plaisir aux spectateurs aussi, pour qu’ils passent un bon moment. Mais pas pour entretenir une culpabilité permanente, etc... C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a fait ses sorties à propos de Roman Polanski : il a aussi et d’abord fait des films, et quels films. Et qui plus est, elle le connaît et l’apprécie. Elle ne supporte pas les condamnations à mort et suivrait jusqu’à la guillotine quelqu’un qu’elle aime. Moi j’adore ça.
Pour en revenir à Léa Seydoux, elle a déclaré dans une interview récemment que ses cernes, elle entendait bien les garder pour éviter le formatage. J’ai apprécié, en ces temps où les jeunes actrices et les jeunes acteurs se ressemblent tous un peu. On est différents, c’est le principe de l’humain aussi, il faut l’assumer. L’uniformisation de la planète par le système capitaliste est insupportable à mes yeux.
Qu’est-ce qui anime Fanny Ardant ?
Je pense que c’est la passion sous toutes ses formes, à commencer par la passion amoureuse. C’est une femme qui aime au sens le plus fort du terme, c’est pourquoi elle se brûle parfois. Elle va tenter des films, pas toujours très réussis mais peu importe, elle est quelqu’un qui ose.
Si vous étiez un producteur, un réalisateur, un metteur-en-scène, quel rôle aimeriez-vous lui confier ?
C’est difficile, parce qu’elle a joué de très nombreux rôles, y compris un transsexuel. Dans un court-métrage, elle joue une morte. Récemment, elle a interprété une femme amoureuse d’un homme beaucoup plus jeune. Je la verrais bien dans un personnage historique, une femme de pouvoir, Golda Meir par exemple. Merci de m’avoir fait réfléchir à cela ! (rires)
Qu’est-ce que vous auriez envie de lui dire, de lui demander si vous osiez à cette Fanny personnage de roman, dans les yeux ?
Quand tu étais adolescente en 1968, pourquoi t’es-tu retrouvée dans un couvent en Espagne ? Je lui poserais cette question-là. (Il imite Fanny Ardant : "Pascal, vous me gênez beaucoup...")
Vous vous confiez pas mal dans cet ouvrage, l’air de rien. C’est un besoin que vous ressentez de plus en plus ?
Il y avait une connivence qui m’a peut-être incité à la confession. Peut-être que j’ai eu la faiblesse de me laisser aller un peu à quelques confidences. Peut-être aussi un peu l’envie de briser, encore davantage, les codes de la biographie - je les ai déjà pas mal malmenés. Voilà. Chacun lira avec sa propre grille, et retiendra des éléments qui le toucheront.
Avec dans ce livre, plusieurs degrés de lecture et de sensibilité...
Oui, vous avez tout à fait raison.
D’ailleurs vous avez écrit sur BB, sur Depardieu, sur Fanny Ardant donc... Pourquoi pas Deneuve ? Delon ?
Alain Delon j’ai tourné autour, si j’ose dire. Ça n’a jamais pu se faire, mais ça a failli se faire : j’avais en tête un "Delon intime". J’avais même une anecdote personnelle : mon père possédait des chevaux, des trotteurs, et il avait le même entraîneur qu’Alain Delon. Moi j’étais très jeune, j’assistais au championnat du monde des trotteurs - le Prix d’Amérique. Et je vois Alain Delon qui parle avec son entraîneur : "Je veux acheter cette jument américaine, amenez-moi le propriétaire". L’entraîneur s’exécute, son propriétaire lui répond qu’elle n’est pas à vendre. D’ailleurs elle n’était pas du tout favorite. Delon s’emporte : "Je l’achète, quel est son prix ?". Il a fini par aller voir le propriétaire, s’est présenté, lui a tendu le carnet de chèques en lui disant d’y mettre la somme qu’il voulait. Le propriétaire américain s’est tenu à sa position. La course démarre. Je m’en souviendrai toujours parce que ça m’avait marqué : dans cette course, je ne regardais que cette jument. Dans le dernier tournant, elle était dernière. Je me dis, "heureusement qu’il ne l’a pas achetée". Et elle a fait une ligne droite époustouflante, elle est venue sur le poteau, il y a eu photo et elle a gagné le Prix d’Amérique ! Depuis ce jour-là, en-dehors de tous ses films que j’adore, à commencer par Le Samouraï, je me suis dit que ce type était extraordinaire. J’ai eu l’occasion de le rencontrer par l’entremise de Mireille Darc. Je lui ai rappelé cette anecdote, il était surpris, et j’ai pensé qu’on pouvait faire un "Delon intime" avec des anecdotes comme ça, pas de la bio classique. Mais ça n’a jamais pu se faire, et j’ai un peu perdu patience.
Il faut avoir une attirance, sous diverses formes d’ailleurs, pour le sujet, parce qu’une biographie prend deux ans pour les recherches, chercher à rentrer dans la psychologie du sujet... Sans être désagréable, je ne pourrais pas consacrer deux ans de ma vie à Catherine Deneuve, même si je reconnais qu’elle est une très grande actrice. Mais je n’ai pas d’atomes crochus avec elle, il y a des éléments que je ne cerne pas. J’assume mes choix, souvent sur la base de coups de cœur. S’ils donnent de bons livres tant mieux. Chacun est libre d’apprécier ou pas...
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Alain Wodrascka : « Toute la vie de Michel Berger tourne autour de l'abandon de son père »
Le 2 août marquera le 30ème anniversaire de la disparition, à 44 ans seulement, d’un des auteurs-compositeurs les plus influents des années 1970-80 en France : Michel Berger, terrassé par une attaque, ultime reddition de ce cœur qui, au propre comme au figuré, aura connu un peu plus que son lot de tourments. L’homme, discret, aura finalement brillé via les autres, France Gall en particulier bien sûr, plutôt que comme interprète. Mais, 30 ans après, sa trace est perceptible, ses chansons s’écoutent toujours, sans vrai coup de vieux, et ses textes restent à découvrir. À découvrir pour en extirper, l’air de rien, la sensibilité, les colères aussi qui s’y cachent.
Qui était Michel Berger ? Qu’est-ce qui l’animait ? Plusieurs auteurs se sont penchés sur cette question. J’ai choisi d’inviter, pour cette nouvelle interview, le biographe et artiste Alain Wodrascka, auteur de Michel Berger, il manque quelqu’un près de moi (L’Archipel, juin 2022). Titre évocateur, tiré d’une chanson emblématique, Quelques mots d’amour, une de celles dans lesquelles ce pudique s’est livré. Un ouvrage riche en témoignages, à lire pour connaître, "pour comprendre" l’homme, les maux derrière les mots, et pour appréhender aussi l’impact de sa musique. Merci à M. Wodrascka pour cet échange animé, que j’ai choisi de retranscrire comme il s’est fait. Exclu. Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Alain Wodrascka : « Toute la vie de Michel Berger
tourne autour de l’abandon de son père... »
Michel Berger, il manque quelqu’un près de moi (L’Archipel, juin 2022).
Pourquoi cette nouvelle bio de Michel Berger, sur lequel vous avez déjà pas mal travaillé ?
J’ai travaillé une fois sur lui, il y a dix ans, donc ça fait déjà un certain temps. C’était déjà un livre sur lui, mais un livre illustré, il n’y avait donc pas la possibilité de s’exprimer autant sur le sujet, même s’il était relativement complet.
Quels éléments nouveaux avez-vous souhaité apporter, 30 ans après sa disparition ?
Je trouvais que je n’avais pas dit tout ce que j’avais à dire. En outre, il se trouve que j’ai travaillé sur France Gall, puis sur Véronique Sanson par la suite, donc à chaque fois le sujet Michel Berger était évidemment exploité. Et comme c’est quelqu’un qui me passionne, c’était une évidence pour moi que j’avais d’autres choses à dire, d’autant plus qu’on lit beaucoup de choses, tout et n’importe quoi à mon avis, sur le sujet. On fait beaucoup parler les morts... Cela dit, je ne prétends pas avoir toutes les vérités possibles. Mais j’ai enquêté, je me pose des questions quand il s’agit d’assertions soutenues par tout le monde. Il est mort en 1992 : depuis, on a pu inventer une histoire... J’ai voulu explorer tout cela avec bienveillance et une sympathie, au sens étymologique - "souffrir avec". Je l’ai fait vraiment de façon fraternelle, même si je n’ai jamais connu le personnage. J’ai en revanche eu des témoignages de la part de personnes importantes ayant gravité autour de lui.
L’abandon depuis la blessure originelle, le départ du père, c’est le marqueur essentiel, comme un fil rouge dans la vie de Michel Berger ?
Évidemment, pour moi c’est fondamental. Je sais bien que je n’ai rien inventé, mais je crois que toute sa vie tourne autour de cette scène primitive qui a lieu quand il a 5 ans et des poussières, et qui va conditionner toute son existence. D’autant plus qu’il était le plus petit de la fratrie, il n’avait donc pas les armes assez affûtées pour pouvoir vivre une chose pareille. Son grand frère et sa soeur étaient plus âgés. Tous assistaient à la dislocation de la famille, au départ du père sans explication. Et dans sa vie, Michel revivra des scènes de cette nature, qu’il aura plus ou moins inconsciemment provoquées.
Vous pensez que, plus ou moins consciemment, ce sont des choses qu’il a provoquées ?
S’agissant de Véronique Sanson, l’a-t-il vraiment choisie ? Pour moi c’était un peu une union arrangée : les mêmes milieux sociaux, des familles qui se connaissaient... À l’époque, plus que maintenant, on voyait beaucoup les gens que les parents voulaient que l’on fréquente. Il s’est attaché, et elle lui a fait vivre exactement la même chose que son père. Il n’y a pas de hasard dans les choix qu’on fait à mon avis. Il y a des ruptures dans la vie, mais là on ne parle pas de ruptures, mais bien d’abandons : des gens qui partent sans l’expliquer.
Il y a eu aussi ce choc de cet ami très cher qui s’est suicidé...
Oui, là il s’agit plutôt d’accidents de vie. Mais qui évidemment ont eu une résonance par rapport à ses deux histoires d’abandon. Effectivement, son meilleur ami, Antoine, a décidé de s’ôter la vie... Ce sont des choses qui arrivent. Mais ça lui est arrivé, à lui... Michel Berger était quelqu’un de très complexe. Sous des apparences légères, ses chansons étaient souvent très graves, surtout celles qu’il interprétait lui-même. Celles écrites pour les autres, c’est un peu différent. Quoique, prenez Quelque chose de Tennessee, c’est une chanson grave...
Michel Berger, c’est d’abord dans votre esprit, un compositeur, un auteur ? Ne néglige-t-on pas, peut-être, son côté révélateur de talents en ce qu’il a aidé Véronique Sanson à trouver sa patte musicale, contribué à relancer les carrières de Françoise Hardy et Johnny Hallyday, et bien sûr fait d’une France Gall un peu ringardisée une authentique pop star ?
Pour moi, c’est un grand compositeur, et un auteur très inégal. J’en parle d’ailleurs, en citant Françoise Hardy qui a le même regard que le mien. Il avait une énorme exigence sur plein de détails d’interprétation, d’orchestration, etc... et des textes parfois faits au fil de la plume. Dans les années 70, c’était un peu le truc de Véronique Sanson aussi, d’écrire des textes rapidement sans forcément se relire. Eux deux sont issus de l’école anglo-saxonne où le son prime plutôt que le sens. Mais la chanson française peut difficilement se permettre ça. On ne peut pas faire du Elton John en français. Quoique si, on peut le faire, il l’a fait ! Mais c’est mal perçu parce que la chanson française est issue de la poésie. Il y a eu un glissement de l’un à l’autre, avec Prévert, etc... Alors que la pop, la musique anglo-saxonne n’a pas de lien précis avec la poésie. Ça passe difficilement en français à mon avis, même dans un registre populaire. Lucy in the Sky with Diamonds, "Lucy dans le ciel avec des diamants", on ne peut pas répéter ça pendant cinq minutes en français.
Michel Berger négligeait les textes alors même qu’il était capable d’en écrire de très bons et de très profonds. Mais il a fait des efforts par la suite, parce que ça ne passait pas auprès de la presse culturelle française. Il y a eu l’aventure Starmania, la collaboration avec Luc Plamondon qui a apporté une évolution. Il y avait aussi le regard exigeant de son épouse et interprète, qui avait travaillé avec Gainsbourg et Étienne Roda-Gil, Maurice Vidalin... durant la première partie de sa carrière. Je trouve que globalement, au moins les premiers temps, comme auteur, il n’était pas toujours à la hauteur de son talent de compositeur. Mais, à partir de Cézanne peint, il y a une constance d’écriture qui durera jusqu’à la fin.
Quant au fait qu’il ait révélé autant d’artistes, oui effectivement c’est incroyable...
Il a su en magnifier certains, donner confiance à d’autres...
Oui. Déjà, à mon avis, ses forces à lui, c’est d’avoir inventé avec Michel Bernholc un nouveau style musical. Bernholc traduisait avec des partitions ce que Berger avait dans la tête. Michel Berger était autodidacte, lui n’écrivait pas la musique. Bernholc lui apportait ce qu’il lui manquait sur le plan de la musique, de l’orchestration, etc... Ce duo-là a été très important. Il y a un avant et un après Michel Berger, on reconnaît tout de suite sa patte.
Par rapport au rôle qu’il a joué auprès des autres, il faut rappeler qu’il a été directeur artistique au départ, chez Pathé-Marconi, des années 60 au début des années 70. Comme vous dites, il a été très doué pour propulser des talents et remettre en selle et en scène des talents qui étaient dans une impasse, comme Françoise Hardy qui n’avait pas eu de succès depuis Comment te dire adieu en 1968. Elle faisait des "ronds dans l’eau" depuis quelques années. Il va lui écrire Message personnel. Pour Johnny, même chose : avant Quelque chose de Tennessee, il était ringard. Je l’ai vécu : au lycée, peu avant cette chanson, une jeune fille avait un t-shirt à l’effigie de Johnny Hallyday, tout le monde se moquait d’elle. Il représentait quelque chose de passé, un vieux show business. Berger l’a vraiment relancé, et ça a duré jusqu’à la fin...
Quant à France Gall, effectivement, c’est encore plus fort, et pas ponctuel. C’est une chanteuse qui n’arrivait plus du tout à avoir de crédit depuis 1967, et à partir de 1974 les succès vont s’enchaîner. Plus que ça, elle va devenir la seconde voix de Berger et aura plus de succès que lui chantant ses propres chansons. C’est un phénomène assez rare, comparable à Souchon-Voulzy.
Après avoir lu votre bio ça m’a donné envie de réécouter des créations de Michel Berger, mais plutôt chantées par France Gall justement. N’est-ce pas là un de ses "drames", un grand talent pour mettre les autres en avant, mais un relatif manque de charisme pour soi ?
Est-ce un "drame" ? Une frustration je pense, chez lui. Cela dit, il était heureux quand il avait du succès comme interprète, mais je pense que ce n’était pas vraiment sa vie. Quand il parle des chanteurs dans ses propres chansons, il ne parle pas de lui. Les princes des villes, ces rock stars, ça n’est pas lui. Il ne se met pas dans la mêlée. Il aimait chanter en public mais il n’avait pas plaisir, par exemple, à improviser une chanson devant une manifestation quelconque... Il aimait enregistrer en studio, monter sur une scène, mais il n’était pas un adepte de la défonce scénique, pas un Jacques Higelin pour parler de la même génération.
Il y a bien une question de charisme. Une question aussi d’image à casser : lui voulait toujours avoir le contrôle de soi. C’était d’ailleurs quelque chose de très familial : son père a dirigé sa propre opération sans anesthésie pour en avoir le plein contrôle. Michel Berger voulait avoir le contrôle de lui : un verre d’alcool maximum, jamais d’excès... La rock’n’Roll attitude, ça n’était pas pour lui qui se couchait à 10h du soir. Sa femme, elle, l’avait.
Les collaborations de Berger avec Daniel Balavoine et Johnny Hallyday ont été couronnées de succès sur le plan artistique, et des amitiés sont nées. L’un comme l’autre n’ont-ils pas été, dans des styles différents, des fantasmes pour ce garçon bien élevé qui n’osait pas crier lui-même ses rages et ses révoltes ? Plus simplement n’a-t-il pas préféré l’ombre à la lumière ?
Oui, alors, Balavoine, il n’a pas directement écrit pour lui, à part les chansons de Starmania. Quant à Johnny effectivement, il exprimait via cet interprète une certaine violence qu’il avait du mal à exprimer lui-même. Peut-être aurait-il voulu, mais on ne se refait pas... Il avait plus le look d’un chercheur du CNRS que d’une rock star.
Il était trop bien élevé pour chanter Quand on arrive en ville ?
À chacun son registre. Cette chanson ne correspondait pas à sa sensibilité. Pas davantage, les chansons de Diane Dufresne dans Starmania. D’ailleurs il n’a pas du tout chanté dans Starmania. Une chanson qui s’appelait Paranoïa lui convenait mais à part ça... Les uns contre les autres, peut-être ?
Vous indiquez bien en tout cas dans votre livre que sous ses airs très BCBG il y avait de vraies révoltes...
Oui, de vraies révoltes. Un grand désir de justice sociale, un engagement politique aussi. Mais il ne se sentait pas d’exprimer tout cela directement, ça n’était pas lui. La chanson Voyou est très symbolique de cela : quand elle est sortie, les gens riaient quand ils l’entendaient. Elle a eu un petit succès, mais elle n’était pas vraiment crédible. Il y prend la défense des délinquants, pourquoi pas, mais avec une interprétation très féminine qui ne passait pas vraiment. Si France Gall l’avait chantée, elle serait passée.
Qu’est-ce qui définit la "patte" Berger, paroles et musique ?
Sa musique est assez simple, avec des suites d’accords qui sont les siennes, qui ne ressemblent qu’à lui. Un sens de la mélodie hors pair, ce qui est rare. Un côté rythmique aussi, évident. Pour les paroles, l’art de dire avec légèreté des choses graves avec l’air de ne pas y toucher. Prenez Résiste, il y a une phrase qui dit "Tant de liberté pour si peu de bonheur, est-ce que ça vaut la peine ?" C’est glissé dans une chanson, comme ça, alors que c’est un vrai message politico-philosophique. Il a préféré toucher un plus grand public avec une manière populaire en adressant un message politique d’humanisme et de tolérance plutôt que d’aller dans la chanson engagée qui est écoutée par un public plus restreint. Il a fait rentrer la chanson humaniste, "de gauche", dans tous les foyers français.
Vous convoquez une comparaison intéressante avec James Dean, dont l’histoire est évoquée dans La Légende de Jimmy. Vivre vite avec un sentiment d’urgence, ne pas perdre de temps, quitte à se mettre en danger, c’est quelque chose qui colle bien à ce Berger perfectionniste qui voulait créer rapidement et laisser une trace ?
Oui, c’est quelqu’un qui effectivement était dans l’urgence, voulait toujours aller très vite. Et en même temps je suis prudent avec ce sujet : quand la personne n’est plus là, on dit qu’elle était forcément dans l’urgence. Peut-être à la fin de sa vie, parce que, s’il était dans un certain déni, il avait eu des alertes par rapport à sa pathologie. Quoi qu’il en soit, en 44 années, il a fait un nombre incroyable d’expériences. En cela je crois qu’il est comparable à Jacques Brel, mort à 49 ans. Chacun d’eux, rapporté à ce qu’il a créé, a vécu 90 ans. Et la trace est bien là, elle n’est pas venue tout de suite, mais avec le temps.
Vous laissez entendre que Michel Berger, malade du coeur, aurait négligé de se soigner en partie à cause d’une méfiance qu’il aurait intégrée vis-à-vis du corps médical, son père étant lui-même médecin...
Oui, il avait je crois une très mauvaise image de la médecine, qu’il rattachait à l’univers de son père. L’abandon par son père de sa famille a certainement provoqué ce sentiment de répulsion. Il savait qu’il était malade, d’ailleurs son père lui avait adressé une lettre lui conseillant d’aller consulter un cardiologue, il avait eu des alertes... Avec son épouse France Gall, il avait eu quelques mois avant sa disparition des problèmes d’essoufflement dans une station de ski. Un de ceux qui furent ses partenaires au tennis m’a raconté qu’un jour ou deux avant son décès, lors d’une conversation qui tournait autour des régimes, Michel Berger avait dit ne pas suivre le traitement qui lui avait été prescrit. J’ai voulu aller à la source pour ce genre d’info, parce que beaucoup de choses ont été dites.
Il y avait sans doute aussi, une forme de fatigue. Et il y avait la maladie de Pauline, très présente dans son esprit, ses collaborateurs dont Michel Bernholc en ont témoigné. Quelque part, ça lui aurait été impossible de survivre à sa fille. Mais je le dis avec prudence, on ne sait pas ce que les gens ont dans leur tête...
Il faut noter aussi la décision de France Gall, en 1988, de ne plus chanter. Pour moi, la troisième grosse scène d’abandon. Je crois qu’il ne s’en est jamais remis.
Que reste-t-il, 30 ans après sa mort, de Michel Berger ? Qu’est-ce qui restera dans 30 ans parmi l’oeuvre de Berger ?
Dans 30 ans, je ne peux pas vous dire ! (Rires) Quoi qu’il en soit, les années passent plus vite qu’on ne le sent. Il y a 30 ans, quand j’ai appris comme tout le monde, par le JT, la mort de Michel Berger, je ne pensais pas que 30 ans après on en parlerait autant. Ce qu’il reste ? Une oeuvre assez moderne pour qu’on puisse l’entendre assez régulièrement dans les radios : on entend La groupie du pianiste, on entend Paradis blanc, on entend Évidemment... Il jouait du piano debout, vous l’entendez sur pas mal de radios... Et à chaque fois, ça n’est pas présenté comme un antiquité, ça fait partie de l’air du temps. Des titres en avance, et intemporels. D’autres ont plus mal vieilli, comme certains de la deuxième partie des années 80, assez agaçantes avec les caisses claires synthétiques. Les orchestrations de Débranche, etc... sont très marquées par une époque. Mais, pour en revenir à celles qu’on écoute toujours et qui pourraient avoir été faites hier, on peut dire, c’est mon avis en tout cas, qu’il était un "génie de l’art mineur".
A-t-il vraiment été visionnaire, sur Starmania et d’autres choses ?
Oui. Après, il a eu l’idée mais il a fait appel à un auteur, sur Starmania. Un nord-américain, Luc Plamondon donc, sur le conseil de sa femme, parce qu’elle pensait qu’il n’aurait pas la violence nécessaire pour écrire ce qu’il voulait écrire, et je crois qu’elle a eu raison. Mais visionnaire oui, à un point assez incroyable. Starmania a été écrit dans les années 1975-77. Le premier album avec les chansons sort en 78. Il était inenvisageable, à l’époque, d’imaginer que les réseaux sociaux allaient exister. Et je ne parle même pas d’internet. Starmania, c’est ce que nous vivons depuis quelques années, mais ça n’était pas du tout envisageable à cette époque-là. Starmania c’est une histoire où tout le monde veut devenir star, et c’est un peu ce qu’on vit avec les réseaux sociaux. Avec toutes les histoires de cyber-harcèlement, etc... Michel Berger était quelqu’un d’une intelligence supérieure mais il voulait exprimer les choses avec une certaine simplicité.
Michel Berger en 3 qualificatifs ?
(Il hésite longuement) Inventif, c’est clair. Pygmalion. Protestant. Oui, c’est ça.
Même question pour France Gall ?
Pas protestante du tout. (Rires) Interprète. Opiniâtre. Solaire. Ce côté solaire, c’est un peu ce qui lui manquait à lui qui était plutôt quelqu’un de l’ombre. Elle a éclairé son oeuvre. Dans un vrai couple, il y a ce genre de complémentarité. La gémellité fonctionne difficilement pour un couple.
Si vous aviez pu l’interroger de son vivant, quelles questions lui auriez-vous posées ?
Bonne question... Pourquoi ne pas avoir fait de psychanalyse ? Je pense que cette question s’appliquerait bien dans son cas : il était intelligent, dans la réflexion. Il savait qu’il y avait une souffrance. Peut-être aurait-il répondu qu’il avait peur que ça tarisse son inspiration, qui était peut-être une forme de compensation à sa souffrance. Mais je ne sais pas s’il aurait répondu... Il y a de la psychologie dans ses chansons. La groupie du pianiste raconte le fanatisme avec des mots très simples et d’une façon très fine.
Quelles sont les trois ou quatre chansons de Berger qu’il faut écouter à votre avis, "pour le comprendre" ?
Pour me comprendre, ça c’est sûr. C’est une des rares où il parle vraiment de lui. Et il parle de son frère, qui était malade. Je citerais Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux, parce qu’ici il parle autant de la souffrance du monde que de lui. "Quand je pense à eux, ça fait mal, ça fait mal..." À la fin de la chanson, il y a des coups de batterie, ça percute très fort, on dirait que ça percute dans sa tête. Et, Plus haut, où il fait son autoportrait, d’ailleurs très suffisant... (rires)
Les chansons de lui, pas forcément chantées par lui, que vous préférez et qui vous touchent particulièrement ?
Déjà je suis loin. Personne ne la connaît, mais j’adore cette chanson-là. Il y décrit qui il est, son abandon (d’ailleurs le texte commence par "Perdu...") et l’injustice du monde ("Assez de luxe et de misère...") en mélangeant le tout. Une superbe mélodie, de belles harmonies... Du Berger pur jus, ça aurait dû faire un tube.
J’aime beaucoup La prière des petits humains, que là encore personne ne connaît. Elle est chantée par France Gall dans l’album Tout pour la musique. Je ne sais pas ce qu’il y a eu avec celle-ci. Personne ne la diffuse, elle n’a jamais été chantée sur scène, elle avait pourtant tout pour devenir un tube : très bien chantée, mélodie et texte géniaux, elle traite de ce besoin qu’ont les peuples depuis toujours d’un dieu, qu’ils créent eux-mêmes. Tous ces gens font des prières, chacun à son dieu, sans réponse.
Je veux aussi citer Quelques mots d’amour, dont j’ai extrait un vers pour le titre de mon livre. On a dit, de façon posthume, qu’elle était la chanson pour Véronique Sanson. C’est un peu frustrant, c’est vraiment limiter son imaginaire : "Il manque quelqu’un près de moi, je me retourne tout le monde est là", c’est bien encore le sentiment d’abandon que quelqu’un qui a été abandonné très tôt aura toute sa vie. On ne limite pas ça à une personne. C’est comme Seras-tu là, au-delà de Véronique Sanson, il pose la question de savoir si le couple peut durer. C’est une version bien plus moderne de la Chanson des vieux amants de Brel. Cette chanson de Brel, on ne dit pas qu’elle est pour telle ou telle personne. Pourquoi, avec Michel Berger... Un des problèmes avec lui à mon sens, c’est qu’il a été peoplisé à sa mort. Une presse très people a parlé d’anecdotes, de ses amours, plutôt que de regarder son oeuvre en profondeur. Il n’aurait pas aimé cette "gloire" posthume-là.
Vos écrits sont principalement consacrés à des chanteurs d’un âge, Orelsan excepté. Qui trouve grâce à vos yeux parmi les artistes plus récents ?
Je vais vous en expliquer la raison, il y en a deux. Déjà, quand on me propose une biographie d’artiste qui est là depuis cinq ans ou moins, en général je refuse : pour moi, il faut qu’il y ait vingt ans pour savoir si la personne s’inscrira dans la durée. Les gens sur lesquels j’ai écrit sont ceux que j’ai écoutés quand j’étais gosse, qui m’ont façonné aussi. Comme je chante moi aussi, je m’intéresse moins à la nouvelle génération. Je dis ça modestement : je n’ai pas besoin de nouvelle nourriture parce que je me la crée. Mais je me tiens au courant bien sûr, il y a des tas de choses que j’apprécie, d’Orelsan à Feu! Chatterton. Mais il n’y a pas un besoin. J’ai une collection de vinyles d’époque, de chanteurs et groupes qui ont été une nourriture d’enfance.
Les artistes d’hier qui pour vous sont au-dessus du lot, que vous aimeriez contribuer à faire découvrir ou redécouvrir ? Marie Laforêt, par exemple ?
Si je vous dis les Beatles ou Barbara, il n’y a pas de besoin de les faire redécouvrir, parce qu’ils ne sont pas oubliés. Marie Laforêt est un bon exemple. C’est une très grande artiste, mais tout le monde ne le sait pas, à part Télérama et la presse culturelle. Elle n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite. En partie à cause de sa carrière, qui va un peu dans tous les sens. Elle ne l’a pas vraiment ordonnée, elle faisait un peu les choses comme elle voulait, voilà. C’était quelqu’un qui chantait très bien dans plusieurs registres, dans les aigus et les graves, des choses très différentes, du folklore au chanson à texte, et même de la variété ce qui à mon avis lui a fait du mal à long terme. Elle fut aussi une grande actrice. C’est rare d’être à la fois Barbara et Catherine Deneuve, je ne vois pas d’autre exemple.
Justement, est-ce qu’il ne lui a pas manqué de rencontrer "un Michel Berger" ?
Je ne pense pas. Ce n’était pas un problème de chansons. Elle les écrivait, et elle le faisait très bien. Mais elle n’avait pas d’ambition du tout (rires). Elle a fait ce métier par hasard. D’abord le cinéma, peut-être aussi pour perdre de sa timidité. Ensuite la chanson est venue, mais elle n’a pas eu le désir de laisser une trace. Simplement, dans les derniers moments de sa vie, elle a contribué à l’élaboration de son intégrale chez Universal, sans doute parce qu’elle voulait quand même laisser une trace, avec une pointe de regret. C’était ça, Marie Laforêt. Jusque dans les années 70, ça a été sa période très variétés, ça marchait très bien. Dans les années 80 elle a pris de la distance, ouvert une gallerie d’art à Genève. Elle faisait du cinéma et de la chanson de manière plutôt alimentaire. Quand elle faisait une télé, elle disait des choses du genre "Je viens de faire un film hautement psychologique", elle se moquait de ses films, etc... Dans une émission dont je me souviens, il était question de soupe, soupe alimentaire, et elle a rebondi : "En matière de soupe, je suis experte, d’ailleurs je vais vous chanter quelque chose..." Elle a fabriqué tout cela dans les années 80, ce qui a discrédité son personnage parce que quand on entend ça, on la croit. Le mal a été fait. Patrick Dewaere avait été un peu comme ça aussi.
Vos projets et envies pour la suite Alain Wodrascka ?
Je prépare un album de chansons qui va sortir en février prochain, avec une scène. Et je prépare deux autres livres.
Un dernier mot ?
Je suis un biographe qui fait ce travail avec passion, mais je suis avant tout un artiste. Je me distingue des autres biographes qui sont avant tout des journalistes. Souvent j’interroge des gens, mais comme un artiste qui parle à d’autres artistes. En toute modestie, je me mets sur un pied d’égalité avec ceux sur lesquels j’écris. Je ne suis un fan de personne. Je m’intéresse beaucoup à l’art mais je le fais avec distance. Ils ne sont pas des dieux mais des artistes comme les autres, ils sont excellents dans ce qu’ils font mais sont des gens comme les autres. Artiste, je le suis, je ne me compare en rien avec eux au niveau du talent ou autre, je projette un regard d’artiste sur d’autres artistes.
Entretien réalisé le 9 juillet 2022.
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I. Dethan, A. Ozanam : « Severiano de Heredia », interview
Alors comme ça, le nom de Severiano de Heredia ne vous dit rien ? Bon, je vous rassure, il ne me disait strictement rien à moi non plus, avant de découvrir cette BD (Severiano de Heredia, Passés/Composés, 2021) qui retrace la vie haute en couleur de cet homme, né à Cuba et qui en son temps fut député, ministre, et président du conseil municipal de Paris. Une lecture qui vaut pour la qualité du scénario, signé Antoine Ozanam, et pour cette plongée dans le Paris fin XIXe que nous offre Isabelle Dethan. Pour ce que le personnage a d’inspirant, aussi. Je remercie les deux auteurs de cet ouvrage pour l’accueil qu’ils ont bien voulu me réserver. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
Severiano de Heredia (Passés/Composés, 2021)
EXCLU PAROLES D’ACTU
P.1: Antoine Ozanam, scénariste
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le personnage, étonnant mais très méconnu, de Severiano de Heredia ?
C’est justement qu’un type avec une histoire pareille n’ait pas marqué l’histoire ! Ou plutôt qu’on nous l’ait effacé. Au départ, je suis un peu naïf, assez pour croire que le parcours de Severiano soit assez exemplaire pour que l’on enseigne son histoire à l’école... De plus, j’adore les personnages complexes... Ceux qui ont des contradictions...
Comment s’y prend-on pour scénariser une vie, et la faire rentrer à deux dans un nombre de pages strictement prédéfini ?
Tout dépend de quelle vie on parle. Certains personnages ont tellement marqué l’histoire qu’il est difficile de tout retranscrire dans un album classique. Ici, avec Severiano, il n’y avait pas trop de documentation ou de livres sur lui... J’ai donc pu mettre pratiquement tout ce que je connaissais du personnage. Reste après à créer un certain regard sur l’homme... essayer de rester dans le vrai. Et ne pas être complaisant ou déshonorant. Le nombre de pages restreint oblige aussi à garder l’oeil sur l’essentiel et ne pas se perdre dans l’anecdote de plus...
Quelques mots sur votre partenaire, Isabelle Dethan : vous vous connaissiez auparavant ? Le travail ensemble a-t-il été aisé, agréable ?
J’ai découvert le travail d’Isabelle avec son premier album, il y a pratiquement 30 ans. Et un jour, on s’est retrouvé dans le même atelier et on a commencé à parler projet... Ce qui est très chouette chez Isabelle c’est qu’elle a eu un cursus d’historienne et que ça se ressent dans sa volonté de transcrire le réel. Je croyais fournir assez de docs à mes dessinateurs mais Isabelle est allé plus loin. Cet amour du détail fait plaisir. Après, Isabelle est aussi un métronome incroyable. Elle est rapide et régulière... ça aide à ne pas se stresser...
Journal d’Anne Frank (Éditions Soleil, 2016)
La bio en BD, vous l’avez déjà pratiquée avec Anne Frank (2016), et dans un tout autre genre, Lénine (2017). Cet exercice-là n’est il pas un peu frustrant, en ce sens qu’il ne laisse que peu de place à l’imagination ?
On pourrait le croire mais dans les trois cas de figure (Anne Frank, Lénine et Severiano), voir aussi dans Mauvaise réputation (puisqu’il s’agit de la véritable histoire du gang Dalton), il faut faire des choix... De mise en scène et de "montage" des événements... Et puis, il y a le jeu des dialogues qui doivent sonner vrai. On vous donne juste un fil rouge (ou une structure) mais il vous faut encore tout créer. Et rendre tout ça fluide et intéressant ! À vrai dire, c’est même très sympa de suivre un fil que vous n’avez pas inventé car la vie du personnage vous impose un déroulé que vous n’auriez pas forcément osé si c’était de la fiction pure. De temps en temps, le déroulé de la vie est beaucoup plus tordu que ce que l’on pourrait accepter dans une fiction...
Parmi la soixantaine d’ouvrages dont vous avez été scénariste, lesquels tiennent une place particulière dans votre cœur, et lesquels aimeriez-vous recommander à nos lecteurs ?
C’est difficile à dire. Comme beaucoup de monde, je vois plutôt ceux que je trouve ratés... Mais à vrai dire, il y a trois ou quatre bouquins où je me suis dit que je ne m’étais pas planté...
Par exemple, j’ai beaucoup d’affection pour E dans l’eau chez Glénat. Je pense être allé aussi loin que je pouvais avec ce livre. En plus, Rica, le dessinateur est un ami... Je suis très fan de son trait et je suis certain qu’il va faire des bouquins importants dans l’histoire de la BD. J’ai l’impression que cette histoire-là a été un tournant dans mon travail...
E dans l’eau (Glénat, 2009)
Vos projets, et surtout, vos envies pour la suite ?
D’abord, l’envie d’écrire sur des sujets que je n’ai pas abordés ou que je n’ai fait qu’effleurer... Par exemple, je suis en train de mettre en place une série dont tous les tomes seraient auto conclusifs. Donc vous pouvez commencer par le tome 3 si vous le voulez... C’est un chouette challenge je trouve. Et un retour aux sources de la BD populaire...
Puis, refaire du polar. Ça me manque en ce moment. Faire du genre permet beaucoup d’audace généralement... J’ai déjà trouvé les sujets et les dessinateurs pour bosser dessus... reste plus qu’à s’y mettre pour de vrai.
Un dernier mot ?
Cela fait vingt ans que je fais de la BD et je constate que plus de la moitié de mes albums ont déjà complètement disparu des catalogues des éditeurs. Ils sont voués à disparaître. Pour certains titres, personne ne va les pleurer (même pas moi) mais cela me fait quand même peur. Surtout que des auteurs bien plus connus ou importants que moi ont le même problème. Nous produisons beaucoup de nouveautés à l’année mais on néglige notre histoire. Le fait qu’il n’y ait que peu de volonté de faire vivre les catalogues ou de faire du patrimoine est une erreur incroyable. Voilà, c’était mon signal d’alarme.
Merci à vous.
P.2: Isabelle Dethan, la dessinatrice
Comment vous êtes-vous retrouvée à dessiner la vie de Severiano de Heredia ? Que retiendrez-vous de cette expérience, et de votre collaboration avec Antoine Ozanam ?
Un pur hasard : je travaillais dans le même atelier (du Marquis, à Angoulême) qu’Antoine, et petit à petit, on en est venus à se dire qu’on bosserait bien ensemble ; il m’a alors parlé de ce projet qui lui tenait à coeur. Ç’a été un challenge pour moi, car c’était la première fois que je travaillais avec un scénariste (et ma foi, on retravaillera ensemble, en tout cas je l’espère !) et c’était la première fois aussi que je dessinais la société française du 19e siècle. Or, pour cette période, me revenaient en tête essenciellement des gravures en noir et blanc : j’ai donc décidé de changer de technique et de privilégier un travail au pinceau et à la plume/encre de Chine, avec une couleur en aplats (au contraire de l’Égypte, pour laquelle je me remémore toujours les aquarelles de David Roberts; de plus j’avais fait aussi des aquarelles sur place, donc pour l’Égypte antique, c’est pinceaux et encres de couleur transparentes !)
Qu’est-ce qui est plus difficile/agréable à dessiner, les paysages luxuriants de Cuba, ou le Paris de la fin du XIXe ? Pas mal de recherches en amont pour ce travail, j’imagine ?
Le Paris ancien, d’avant Haussmann, rempli de petites maisons les unes sur les autres, d’échoppes aux enseignes rigolotes, de cafés et de panneaux publicitaires peints sur les murs, de rues tortueuses où passaient des vendeurs de balais, d’oublies, de paniers, des chiffonniers, des allumeurs de réverbères... Antoine m’a fourni une tonne de documents - surtout des photos d’époque, et pour le reste, j’ai fait des recherches pour avoir des dates exactes... Aaahhh, l’historique des pissotières et des colonnes Morris ! Oui, parce qu’à l’origine, ces colonnes, pas encore des "Morris", étaient creuses, et servaient donc de pissotières; on en profitait pour accrocher des avis, des affiches, des infos tout autour, du coup, les vendeurs de journaux sont venus s’y installer. Mais avoir des messieurs qui se soulageaient juste à côté, c’était pas top pour le commerce, on a fini par construire de vraies pissotières... (Ça, c’est de la digression !)
Vous êtes férue d’histoire : la BD historique constitue-t-elle à votre avis, un bon compromis, entre fond rigoureux et forme divertissante, pour contribuer à contrer le désamour des jeunes pour l’enseignement historique académique ?
Ah, une question-piège! Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’adore l’Histoire parce que des enseignants m’ont raconté avec passion des destinées plutôt que des dates, des enjeux socio-économiques plutôt que des chiffres (même si dates et chiffres sont très importants), c’est à dire qu’ils ont raconté ... des histoires plutôt que l’Histoire (qu’on peut aborder par thèmes plus tard). Pour des gamins, ça fait une différence. Et, parce que j’ai des enfants qui sont passés par là, je militerais bien pour le retour d’une vraie chronologie plutôt que d’aborder l’Histoire par thématiques: à force de tout synthétiser, on fragmente tout, et plus personne n’a de vision globale, à l’échelle des siècles.
Vous êtes, en particulier, passionnée on l’a dit d’histoire égyptienne, à laquelle vous avez consacré pas mal de livres. Qu’est-ce qui vous fascine tant dans cette période ?
Cette civilisation est incroyable! À une époque où, ailleurs, les femmes étaient souvent des inférieures, là, elles avaient des droits; l’esclavage tel que décrit dans les mondes grecs ou romain, n’existe pas en Égypte (ce n’est pas la même notion) ; j’aime aussi leur façon très humaine de représenter leur société et leur monde. Et puis trois voyages là-bas ont fait le reste, car se retrouver au pied de la grande pyramide et avoir l’impression qu’elle va vous tomber dessus tant elle est grande, ou visiter les catacombes d’Alexandrie et se rendre compte qu’il y a encore 2 niveaux d’hypogées (ça fait un total de centaines de tombes souterraines !) sous vos pieds alors que vous êtes déjà à 5 m de profondeur dans une grande salle donnant sur des loculi par dizaines, c’est génial !
Quels conseils auriez-vous envie de donner à un jeune, ou peut-être, davantage encore, à une jeune aimant dessiner et qui rêverait d’écrire, de dessiner de la BD, mais comme un rêve secret : "ça n’est pas pour moi" ?
Que ce soit en BD ou dans n’importe quel autre domaine, il faut essayer de concrétiser son rêve, évidemment! Aller voir les professionnels, avoir leur avis, monter des projets... Avec une remarque cependant: toujours avoir une porte de sortie, afin que le rêve ne se transforme pas en cauchemar, et pour ne pas sortir de là dégouté: ces métiers-là sont des métiers de passion, mais aussi des métiers fortement impactés par un libéralisme effréné, où l’auteur est souvent celui qui encaisse pour les autres, en cas de coup dur.
Le Tombeau d’Alexandre (Delcourt, 2018)
Parmi la quarantaine d’albums écrits ou coécrits par vous, quels sont ceux qui comptent particulièrement à vos yeux, et que vous aimeriez inviter nos lecteurs à découvrir ?
Hmmm, difficile, ça! A priori, comme je ne renie aucun de mes albums, que j’ai eu un plaisir infini à faire chacun d’entre eux, ben, tous! Après, il y en a pour tous les goûts: Les Terres d’Horus et surtout Le Roi de Paille (tout récent, il me correspond bien aujourd’hui, et surtout, il va ressortir augmenté d’un ex-libris) pour ceux qui aiment l’Egypte. Khéti fils du Nil et Gaspard, la malédiction du prince-fantôme, ou Aquitania, pour les enfants... J’ai beaucoup aimé travailler avec Julien Maffre sur Le Tombeau d’Alexandre car l’intrigue se passe au moment où des aventuriers (on ne pouvait pas encore parler d’égyptologues, ça n’existait pas à l’époque) redécouvrent l’Égypte antique, au début du 19e s. Et bien sûr, le dernier album, Severiano de Heredia pour toutes les raisons décrites plus haut: le sujet, la technique, et la collaboration avec un autre auteur.
Le Roi de Paille (Dargaud, 2020-21)
Vos projets, et surtout, vos envies pour la suite ?
Euh... L’Égypte, l’Égypte, Rome, l’Égypte, le Nouveau Monde. Dans cet ordre, ou pas.
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Frédéric Quinonero : « Goldman, c'est un fédérateur, un artiste et un homme de coeur... »
En décembre dernier, Jean-Jacques Goldman était élu personnalité préférée des Français dans le cadre du classement IFOP/JDD. Depuis juillet 2013, l’auteur-compositeur-interprète a dominé l’exercice, dont il est sorti lauréat à sept reprises, sur neuf consultations semestrielles. Frédéric Quinonero, biographe de nombreux artistes et interviewé régulier de Paroles d’Actu, lui a consacré dernièrement un portrait, bienveillant et fouillé : Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie (City éditions, 2017). L’ouvrage est riche de toutes les infos disponibles sur un artiste aussi important pour le paysage musical français qu’il est discret, et vaut davantage encore pour les témoignages inédits récoltés par l’auteur et qui mettent en lumière la personnalité de Goldman. La bio d’un artiste et d’un homme attachant, par un mec bien. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Q. : 08/02/18 ; R. : 21/02/18.
Frédéric Quinonero: « Goldman, c’est
un fédérateur, un artiste et un homme de cœur... »
Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie, City éditions, 2017.
Bonjour Frédéric, ravi de te retrouver pour ce nouvel échange, autour de ce livre sorti en novembre dernier, Jean-Jacques Goldman : vivre sa vie (City éditions, 2017). Pourquoi avoir choisi d’écrire sur Goldman, et quelle orientation particulière as-tu voulu donner à ta démarche ? Est-ce que spontanément, tu t’inclurais, toi, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « génération Goldman » ?
pourquoi Goldman ?
Pour la première fois je n’ai pas choisi. C’est mon nouvel éditeur qui est venu vers moi pour me souffler l’idée. J’y avais longtemps pensé, cela dit. Car les chansons de Goldman ont bercé ma jeunesse. Mais j’y voyais une difficulté que je n’avais pas envie de surmonter : aborder le sujet sous un angle nouveau. On a tant écrit sur Goldman ! J’avais tort, on ne devrait pas douter de soi. Il faut avoir le courage d’écrire sur les artistes qu’on aime, quand bien même on n’aurait aucun scoop à révéler. On a au moins sa plume, son style, sa façon personnelle d’écrire, ce n’est pas rien ! Même si aujourd’hui on nous demande de faire le buzz avec du sensationnel… Là, on me propose d’écrire sur Goldman, donc je ne peux refuser. Je me donne une semaine pour réfléchir à un angle d’attaque, puis je me lance.
« La "génération Goldman" ? Bien sûr que j’en fais partie ! »
La « génération Goldman », bien sûr que j’en fais partie. J’avais 18 ans à l’époque de son premier album solo. J’étais animateur dans une radio libre et j’avais jeté mon dévolu sur la chanson Pas l’indifférence que je programmais souvent. Puis, j’ai fêté mes 20 ans sur Quand la musique est bonne !
Didier Varrod, grand spécialiste de la chanson française et fin connaisseur de Goldman, a signé la préface de l’ouvrage et y livre quelques témoignages éclairants. Comment la rencontre s’est-elle faite ? Et après quelles démarches, quel signal de la part de Jean-Jacques Goldman as-tu pu, avec l’éditeur, intégrer la mention « biographie autorisée » au document ?
préface et autorisations
Avec Didier, nous avons Sheila et Goldman en commun. Il avait témoigné en 2012 dans mon livre Sheila, star française. Puis, naturellement, j’ai pensé à lui quand j’ai abordé Goldman, puisqu’il est son premier biographe et le premier journaliste à avoir pressenti son importance auprès de la jeunesse. Outre ses connaissances sur l’artiste, Didier est un garçon vraiment adorable et j’ai eu plaisir à dialoguer avec lui. Sa préface est très belle…
« La réponse de Goldman, favorable et pleine d’humour,
m’est parvenue au bout de trois jours... Ça donne des ailes ! »
Comme je le fais systématiquement, pour chacune de mes biographies, j’ai adressé une lettre à Jean-Jacques Goldman afin de lui exposer mon projet et je suppose que ce que je lui ai écrit l’a touché. J’ai obtenu sa réponse, favorable et pleine d’humour, trois jours après. Ça donne des ailes.
Je m’attarde un peu, avant d’entrer dans le vif du sujet, sur l’aspect « conception » du livre ; j’en ai déjà chroniqué pas mal de toi, et tu en as écrit bien davantage : comment t’y es-tu pris pour mettre en forme, rédiger ce nouvel opus ? Y a-t-il, après une phase qu’on imagine longue de documentation (lectures, écoute et visionnage d’interviews, rencontre de témoins...), décision d’intégrer ou de ne pas intégrer tel témoignage ou élément, décision de suivre tel ou tel plan ? Ça s’est fait comment, sur ce livre, et est-ce que tu dirais que, publication après publication, ta technique se peaufine et l’exercice devient plus aisé ?
coulisses d’un ouvrage
« Je considère que les témoignages apportent un éclairage
supplémentaire, une fois qu’on a raconté l’essentiel. »
Je trouve donc un angle d’attaque, d’abord : je me souviens que je suis cévenol et que dans ma région on n’a pas oublié la générosité de Jean-Jacques Goldman. Je raconte sa venue à La Grand-Combe, en 1999, pour sauver une colonie de vacances de la faillite, puis l’année suivante pour le spectacle des Fous chantants d’Alès. Touché par l’hommage qui lui est rendu, il décide d’écrire une chanson qui s’appellera Ensemble et qu’il vient enregistrer l’année suivante avec les choristes… C’est cette idée de « vivre ensemble » qui a guidé mon travail. J’ai écrit sans perdre de vue cette valeur qui fait partie du personnage Goldman : c’est un fédérateur, un artiste et un homme de cœur. Je ne me suis censuré sur rien. La phase de documentation n’a pas été très différente par rapport à mes livres précédents. Je lis beaucoup d’interviews et « stabilobosse » les extraits qui me paraissent importants, je visionne la plupart des spectacles et documents vidéo… Ensuite, je classe tout de façon chronologique afin d’avoir toutes les données sous la main, classées, ordonnées. C’est une phase qui me plaît beaucoup et que je ne bâcle pas. Ça aide beaucoup d’être très discipliné… Pour ce qui est des témoignages (il y en a une bonne dizaine dans ce livre), j’attends d’avoir écrit ma partie avant de les recueillir, puis je les intègre à mon texte. Je ne fais pas l’inverse, comme beaucoup de biographes. Je considère que les témoignages apportent un éclairage supplémentaire, une fois qu’on a raconté l’essentiel.
Une des images fortes qui ressortent de ce portrait, de Goldman, c’est celle d’un homme qui, malgré son talent, malgré son charisme, choisit de ne jamais se mettre seul en avant, privilégiant très souvent, en bien des points de sa carrière, le collectif, l’esprit de troupe. Ce sera vrai à ses débuts, avec la chorale de l’église de Montrouge. Un peu plus tard, les Tai Thong. Fredericks Goldman Jones évidemment, par la suite. Puis, bien sûr, Les Enfoirés. D’où lui viennent cette envie de partager l’affiche, ce goût de l’« Ensemble » ? C’est une vraie humilité ? Une sécurité ? Un peu des deux ?
esprit de troupe
Les deux, oui. Goldman s’est toujours comporté comme un homme « normal », tourné vers les autres, un artiste animé par le besoin de partager. Et le fait d’être entouré était aussi rassurant pour lui, surtout sur scène parce que ce n’était pas le lieu où il se sentait le plus à l’aise.
Jean-Jacques Goldman est issu d’une famille ballottée par les vents glaciaux de l’Histoire. Et engagée, forcément. Son père Alter, né en Pologne, fut résistant en France durant l’Occupation. Il était communiste. Son demi-frère Pierre, un militant radical d’extrême gauche, assassiné en 1979. On parle beaucoup politique et grandes causes, chez les Goldman. Jean-Jacques lui, se sent des valeurs de gauche, mais il s’emporte moins facilement pour les pulsions révolutionnaires. Dans une interview que tu cites, il admet que lors de repas familiaux, il était le seul à ne pas savoir où était Cuba... Jean-Jacques, on peut dire que c’est un indépendant, qui a à cœur de tracer sa propre route, sans carcan idéologique, de se composer sa propre brochette d’indignations ? Est-ce qu’il a souffert de cette différenciation parfois (il est suggéré, dans le livre, que certaines des critiques assassines dont il a eu sa part dans la presse de gauche étaient aussi liées au fait qu’il « n’était pas » Pierre) ?
engagements de famille
S’il en a souffert, il ne l’a pas dit. Il a très peu parlé de son frère aîné, sauf dans quelques chansons si on sait écouter… J’ai adoré écrire toute la partie concernant sa famille, le parcours de ces gens, leur engagement, leurs valeurs. L’album « Rouge » leur rend un vibrant hommage.
Quelles sont, dans sa jeunesse et par la suite, les coups de cœur musicaux et d’écriture qui lui ont donné envie d’aller vers ce parcours, et qui l’ont inspiré ? On note, à la lecture du livre, que c’est en découvrant Léo Ferré sur scène qu’il se dit que oui, on peut écrire de la musique en français...
inspirations musicales
« C’est Michel Berger qui, au milieu des années 1970, le débar-
rasse de tout complexe à l’égard du chant français : il trouve
en lui le compromis idéal entre la variété française
et un style musical inspiré de la pop anglo-saxonne. »
Avant Léo Ferré, il y a eu Jean Ferrat qu’écoutaient ses parents. Et aussi les Chœurs de l’Armée rouge qu’il est allé applaudir avec eux et qu’il ira chercher plus tard pour l’accompagner sur l’album « Rouge ». Mais pendant son adolescence, son influence musicale était surtout anglo-saxonne, il écoutait Jimi Hendrix, Bob Dylan, Aretha Franklin, les Doobie Brothers, Chicago ou encore Elton John. Puis, Michel Berger au milieu des années 1970 le débarrasse de tout complexe à l’égard du chant français. C’est lui qui ouvre la voie : il trouve en lui le compromis idéal entre la variété française et un style musical inspiré de la pop anglo-saxonne.
Qu’est-ce qui, pour toi, caractérise l’artiste Goldman en tant qu’auteur-compositeur-interprète ? En quoi dirais-tu de son œuvre qu’elle évolue (mûrit ?) de manière évidente entre le premier et le dernier album solo ? En quoi lui a-t-il évolué ?
regard sur une œuvre
« Sa pensée a toujours été en éveil, attentive
à l’air du temps et à la marche du monde. »
C’est un artiste qui a toujours su allier le fond et la forme, les « chansons pour les pieds » et celles pour le cœur et l’esprit, les tubes dansants pour les discothèques et les textes qu’on écoute les soirs où on veille tard, afin d’y trouver une réponse à ses doutes. Son langage simple et percutant a répondu aux attentes de la jeunesse, qui s’y est reconnue. Il ne s’est jamais départi de cette ligne artistique, même si son public ensuite a grandi, vieilli. Ses textes aussi. Sa pensée a toujours été en éveil, attentive à l’air du temps et à la marche du monde. Il s’autorisait de penser autrement, de naviguer entre gris clair et gris foncé, parce que rien d’humain n’est jamais noir ou blanc.
Les chansons que tu préfères de lui, et pourquoi ?
J’aime surtout ses chansons qui me transpercent le cœur et ont la faculté de « changer la vie », comme Puisque tu pars, Né en 17 en Leidenstadt ou Ensemble. La force du texte et de la mélodie, tout est réuni…
Goldman, très lucide, se rappelle dans une interview les années où tout le monde ou presque méprisait ce qu’il écrivait ou composait, parce qu’il n’était pas connu. Il dit en substance : maintenant, on s’extasierait devant une chanson bâclée que j’écrirais, parce qu’elle est de moi, et on mépriserait un jeune plein d’envie et de talent parce qu’il n’est pas connu. Ça t’inspire quoi, ce sujet, qui je le sais te parle aussi, personnellement... ?
la galère du débutant
C’est toujours vrai. Il faut un certain pouvoir pour convaincre. On ne vit pas dans un pays où on donne une chance aux débutants de réussir. On doit se battre, fort et longtemps.
Parmi les grands interprètes de Goldman, évidemment, la plus grande de tous, c’est Céline Dion, dont tu dis qu’avant lui, elle avait une image un peu ringarde. Il en a fait une reine sur la scène francophone. Est-ce que grâce à lui, elle a changé de dimension ?
Céline Dion
Quand il lui écrit l’album « D’eux » (sur lequel figurent notamment Pour que tu m’aimes encore et J’irai où tu iras, ndlr), elle mène déjà une carrière internationale, mais ça ne marche pas tellement en France. Goldman lui écrit un répertoire solide, en exploitant toute la violence, toute la passion qu’elle peut exprimer dans ses sentiments. Et surtout, il lui indique comment moderniser son interprétation, en évitant de rouler les « r » et mouiller les « m », et en déchantant, c’est-à-dire en acceptant de ne pas être à tout moment dans la démonstration vocale et, de cette façon, en laissant passer les émotions. L’album triomphe dans le monde entier, y compris aux États-Unis où il est classé dans sa version originale, sous le titre « The French Album ». Grâce à Goldman, puis à la BO de Titanic, Céline devient une star planétaire.
Céline Dion et Jean-Jacques Goldman. DR.
Ce qui est le plus touchant, dans ton livre, ce sont ces anecdotes, ces témoignages que tu es allé grappiller de gens dont le parcours a un jour, de manière provoquée ou non, rencontré celui de Goldman. Ici il accepte généreusement de donner un coup de main pour une jolie cause, là il rappelle quelqu’un pour lui dire qu’il n’oublie pas les moments passés « ensemble ». On découvre aussi des traits de sa personnalité, qui le rendent encore plus humain : un artiste assez peu à l’aise avec la célébrité finalement, et aimant volontiers des moments de solitude complète. C’est quoi finalement, en résumé, cette image que tu t’es forgée de l’homme JJG ?
perception publique
Oui, c’est toujours cette idée de « vivre ensemble » qui m’a guidé, y compris dans le choix des témoins que j’ai interviewés. Ce sont les valeurs humaines de Jean-Jacques Goldman qui m’attachent à lui, c’est cet aspect-là de sa personnalité que j’ai voulu mettre en avant. Si le public persiste à le plébisciter dans les sondages plus de quinze après son retrait de la scène, ce n’est pas un hasard.
Si tu avais une question à lui poser ?
Dis quand reviendras-tu ? Dis, au moins le sais-tu ?...
Crois-tu, justement, qu’on le reverra un jour sur scène pour défendre ses chansons voire, soyons fous, de nouvelles chansons ?
reviendra-t-il un jour... ?
« La vie qu’il mène actuellement est celle qu’il avait envisagée
au départ : être dans l’ombre et écrire pour les autres. »
Je pense qu’il serait déjà revenu. Il avait prévu de le faire pour ses 60 ans, puis le temps a passé… Je crains qu’il ne soit trop tard pour la scène. Un disque, peut-être, mais en a-t-il envie ? En fait, la vie qu’il mène est celle qu’il avait envisagée au départ : être dans l’ombre et écrire pour les autres. Aujourd’hui, il peut le faire confortablement.
Je ne peux pas, évidemment, ne pas évoquer Johnny ici... Parce que Goldman lui a écrit quelques unes de ses plus belles chansons (dont L’envie et Je te promets...) Est-ce qu’ils venaient vraiment d’univers musicaux différents, ces deux-là ? Comment qualifier leur entente ?
avec Johnny
« L’instinct et la fragilité sous le roc apparent
de Johnny ont inspiré Goldman. »
L’instinct et la fragilité sous le roc apparent de Johnny ont inspiré Goldman. Humainement, ils ne se sont pas trop fréquentés, mais la musique les a rapprochés. L’album « Gang » est l’un des grands albums de Johnny, il contient non seulement des tubes énormes mais aussi des chansons intemporelles, comme Je te promets.
Johnny Hallyday et Jean-Jacques Goldman. Photo : SIPA.
Johnny, auxquels tu as consacré de nombreux livres, dont le dernier Johnny immortel, Johnny que tu qualifiais de « frère que tu n’avais pas eu », est parti il y a un peu plus de deux mois... C’est bête à demander, mais est-ce que tu t’y fais ?
la mort de Johnny
Non… D’autant que cette affaire d’héritage m’attriste encore plus…
Question musique, voix plutôt, sur Johnny : comment le jeune homme à la voix douce et charmante de L’idole des jeunes a-t-il pu interpréter, « gueulant » (au meilleur sens du terme) à vous coller les poils des titres comme Que je t’aime, Derrière l’amour, Diego ou Vivre pour le meilleur ? Est-ce que sa voix, sa technique ont mûri au fil des ans, ou bien aurait-il été capable de faire ça dès le départ, au début des années 60 ?
la voix de Johnny
Je ne crois pas qu’il ait beaucoup travaillé sa voix, mais sans doute a-t-il appris l’essentiel, à savoir respirer correctement et rééduquer son souffle. Puis, la maturité et l’exercice constant de son métier, de la scène ont fait le reste… Mais il chantait déjà très bien à ses débuts.
Johnny immortel, l’Archipel, 2017.
Quels sont, à ce stade, avec pas mal de livres à ton actif, les plus et les moins que tu attribuerais à cette expérience, à ton métier de biographe ?
le métier de biographe
Le plus : vivre de sa passion et s’intéresser à l’autre. Le moins : la mauvaise réputation des biographes auprès des artistes et la difficulté d’obtenir leur concours. On pourra développer une autre fois…
Tes projets et envies pour la suite ? Je sais qu’une nouvelle version de ta bio de Sardou va sortir bientôt... et sinon, de qui aurais-tu envie de tirer le portrait ?
Trouver un compromis pour aller vers des projets plus personnels…
Des coups de cœur musicaux récents que tu voudrais partager avec nous ?
Gauvain Sers, que je vais applaudir bientôt en tournée, et Juliette Armanet.
Photo : Emmanuelle Grimaud.
Photos utilisées dans cet article : DR.
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Frédéric Quinonero : « Oui, Sophie Marceau est une de nos grandes actrices »
Le 6 novembre dernier - une éternité, par les temps qui courent... -, une version actualisée de la biographie de Sophie Marceau qu’a signée Frédéric Quinonero, La belle échappée, sortait chez Carpentier. Un ouvrage qui fait référence pour qui souhaiterait tout connaître du parcours de l’actrice, qui vient d’avoir quarante-neuf ans : empreint de bienveillance envers son objet mais pas exempt de réflexions critiques, le livre fera le bonheur des fans de Sophie Marceau et de ceux qui, curieux, ont grandi avec elle. Je remercie Frédéric Quinonero et les éditions Carpentier pour cette lecture qui m’a fait découvrir - et apprécier au plan humain - une vedette à laquelle je ne m’étais jamais vraiment intéressé jusque là. Les réponses de Frédéric Quinonero me sont parvenues le 20 novembre, six jours après que je lui ai envoyé mes questions. Bonnes lectures ! Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Frédéric Quinonero: « Oui, Sophie Marceau
est une de nos grandes actrices »
Éd. Carpentier
Paroles d'Actu : Bonjour Frédéric Quinonero, et merci de m’accorder ce nouvel entretien. Une réédition « enrichie et mise à jour » de ton ouvrage intitulé Sophie Marceau : La belle échappée vient de sortir (éd. Carpentier). Je précise à ce stade qu’étant né dans le milieu des années 80, je n’ai pas forcément le même rapport que d’autres générations à Sophie Marceau - ce qui peut rendre l’échange d’autant plus intéressant. Je reviens au livre. Dans la section des remerciements, vers les dernières pages, tu salues l’actrice, confessant qu’elle a été ton « premier coup de cœur de cinéma ». L’envie d’écrire sa bio vient de là ?
Frédéric Quinonero : Oui, il y a à la base un élan affectif de ma part à l’égard de Sophie Marceau. Et comme il est important d’être en empathie avec son sujet quand on est biographe, c’est d’autant plus commode quand on le connaît bien, qu’on a grandi avec lui et suivi sa carrière pas à pas.
PdA : La jeune Sophie Maupu, qu’on n’appelle pas encore « Marceau », est issue d’un milieu populaire, fort éloigné du monde du cinéma. Sa première audition, ce sera pour La Boum, en 1980. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’à ce moment-là, la jeune ado de 13 ans a déjà un caractère bien affirmé...
F.Q. : C’est en effet ce que révèlent ceux qui l’ont connue à ce moment-là. Issue d’un milieu social défavorisé, Sophie a tôt compris que pour s’en émanciper il fallait faire preuve d’audace et de volonté. Surtout ne pas être timide, inhibée. Elle a vite intégré cette idée qu’elle n’avait rien à perdre. Ajouté à cela, elle avait un charme naturel qui l’élevait au dessus des autres.
PdA : La suite, chacun la connaît : elle obtient le rôle de Vic, l’héroïne du film La Boum, de Claude Pinoteau, qui fera un carton monumental ; le film deviendra rien de moins qu’un phénomène de société. Comment reçois-tu tout cela en tant que spectateur qui, du haut de ses dix-sept ans, s’apprête lui à quitter progressivement l’adolescence ?
« Avec un ami, nous sommes tombés amoureux
de Sophie Marceau après avoir vu La Boum »
F.Q. : J’étais très cinéphile à cette époque et, avec un copain qui l’était tout autant, j’allais voir deux ou trois films par semaine. Je me souviens que nous avions vu tous les films à l’affiche du Gaumont-Comédie à Montpellier, sauf La Boum qui ne nous disait rien. Nous trouvions le titre et l’affiche ringards. Nous étions allés revoir Je vous aime, qui n’en méritait pas tant, puis nous nous sommes finalement décidés. Et nous sommes tombés amoureux de Sophie Marceau.
PdA : Sophie Marceau, devenue hyper populaire en très peu de temps, retrouvera rapidement Claude Pinoteau, son père de cinéma, pour La Boum 2, film qui lui vaudra, en 1983, le César du meilleur espoir féminin. Mais elle est bien décidée à suivre un parcours d’actrice audacieux. Libre, elle le sera résolument dans ses choix de rôles, quitte à déboussoler (un peu) son public...
F.Q. : À un moment donné, elle a eu l’instinct de se démarquer de l’image dans laquelle on l’avait enfermée. Elle a compris qu’il fallait cesser de se laisser dorloter par Pinoteau et la Gaumont et prendre sa carrière en main. L’occasion s’est présentée très vite, en 1984. Elle avait le choix entre un petit rôle dans La Septième Cible de Pinoteau et le premier rôle de L’Amour braque de Zulawski. Elle n’a pas hésité longtemps. Sa liberté elle l’a payée un million de francs, en rachetant le contrat qui la liait à Gaumont.
PdA : Andrzej Zulawski justement, réalisateur polonais et, accessoirement, son futur compagnon, la prendra bientôt sous son aile. Il lui ouvre de nouveaux horizons, la conforte dans son désir d’aller vers des rôles différents, de casser son image... Quel regard portes-tu sur leur relation ? Que lui a-t-il apporté ?
F.Q. : Sa rencontre avec Zulawski a été cruciale, tant d’un point de vue professionnel que personnel. Sophie est tombée sous le charme de cet homme érudit qui se pose en Pygmalion et va contribuer à faire son éducation artistique et culturelle. Il lui recommande des lectures, lui apprend à apprécier des films d’auteur, des œuvres d’art… Et bien sûr elle devient son égérie. Sans doute lui a-t-il permis de gagner un temps précieux. Même si, avec le recul, on peut penser que l’influence prégnante de Zulawski a pu avoir quelque incidence sur la carrière de Sophie, en empêchant sa rencontre avec d’autres metteurs en scène de renom.
PdA : Un passage du livre qui m’a particulièrement intéressé, c’est celui qui concerne Police de Maurice Pialat (1985). La complicité du réalisateur avec sa vedette Gérard Depardieu, le climat un peu malsain qui régnait sur le plateau, envers les actrices féminines (Sophie Marceau et Sandrine Bonnaire) en particulier... avec une Marceau qui n’hésite pas à se rebiffer, à « l’ouvrir ». On comprend qu’elle a acquis assez rapidement l’estime de Pialat. Quelques années plus tard, l’un et l’autre peaufineront leur image rebelle en dérangeant, par des voies certes un peu différentes, le petit monde si bien huilé de l’establishment cinématographique tel qu’on l’entend à Cannes. Est-ce qu’ils ont des traits communs ; est-ce qu’ils se ressemblent, ces deux-là ?
« Maurice Pialat avait un certain respect pour elle »
F.Q. : Il me plaît de penser, en effet, qu’ils ne sont pas si différents l’un de l’autre. Sur Police, Sophie Marceau a acquis sinon l’estime de Pialat, tout au moins une certaine forme de respect. Il a avoué lui-même avoir été très impressionné par l’actrice, et par sa force de caractère. Dès le deuxième jour de tournage, ne pouvant tolérer l’ambiance malsaine qui régnait sur le plateau, Sophie Marceau eut l’audace de convoquer carrément le réalisateur dans sa loge. Plus tard, Pialat sera l’un de ses rares soutiens à distance après le discours cafouilleux de Cannes : il y verra une forme de rébellion contre le protocole et, naturellement, ça lui plaira. Nul doute qu’il aurait fort apprécié également les récents « accidents vestimentaires » de la star au même festival. Oui, je crois qu’ils ont ce point commun de se démarquer de l’establishment cinématographique.
PdA : On avance un peu dans le temps... 1994 : c’est la sortie de La Fille de d’Artagnan, de Bertrand Tavernier ; Marceau y partage l’affiche avec Philippe Noiret et Claude Rich. On le sait peu, mais en coulisses, il y a eu quelques remaniements quant à la réalisation. Et Marceau a pesé dans la balance...
F.Q. : À l’origine, La Fille de d’Artagnan ne devait pas être réalisé par Bertrand Tavernier, mais par un vieux cinéaste nommé Riccardo Freda. Tavernier n’intervenait qu’en qualité d’ami et de parrain. Mais il s’est très vite avéré que Freda ne pouvait diriger seul un tel tournage, prévu en hiver, avec plusieurs scènes nocturnes, des cascades, etc. Il fut alors question que Tavernier intervienne comme second réalisateur, une sorte de superviseur en quelque sorte. La proposition n’emballait personne, et c’est Sophie Marceau qui a pris l’initiative d’en parler. Elle a demandé à Bertrand Tavernier de reprendre seul les rênes du film, faute de quoi elle ne signait pas son contrat. Sans elle, il n’y avait plus de « fille de d’Artagnan ». Donc ce fut fait comme elle l’avait dit.
PdA : 1995 : Mel Gibson la remarque et l’invite à prendre part à son Braveheart ; 1999 : elle est Elektra King dans Le Monde ne suffit pas, le nouveau James Bond que réalise Michael Apted. En quoi va-t-elle changer au contact de ces superproductions américaines ?
F.Q. : Les véritables changements à cette époque sont d’ordre personnel. Elle devient maman pour la première fois, puis elle se sépare de Zulawski. Elle traverse une période assez tourmentée, qui se traduit par des comportements insolites, comme son discours lunaire à Cannes. C’est son nouveau compagnon, un producteur américain, qui la convainc de tourner le « James Bond ». Mais elle n’est pas particulièrement tentée par une carrière américaine, qui implique qu’on s’installe là-bas et se soumette à leur discipline. Sophie se sent trop Française pour quitter son pays. Elle préfère alors se lancer dans la réalisation, avec un premier film où elle exorcise sa rupture conjugale : Parlez-moi d’amour.
PdA : Je passe rapidement sur ses films des années 2000 : elle continue de grandir, de mûrir personnellement et professionnellement sous les yeux des spectateurs qui ont pris de l’âge avec elle. 2009 : LOL, de Lisa Azuelos, sort dans les salles. Elle y joue, trente ans après La Boum, la mère d’une ado ; toutes deux bien ancrées dans leur temps. Et c’est un succès, un gros succès. Est-ce qu’à ce point de sa carrière, une boucle est bouclée - et peut-être un chapitre refermé ? Question complémentaire : Christa Theret, sa fille de cinéma, te paraît-elle promise à un parcours « à la Marceau » ?
F.Q. : Oui, on peut dire que la boucle est bouclée. À nouveau, près de trente ans après La Boum, Sophie Marceau se retrouve à l’affiche d’un film générationnel à gros succès. Ceux qui l’ont suivie réalisent que le temps a passé… Et la jeune génération l’adopte en maman moderne et sympa. Le chapitre n’est peut-être pas refermé. Dans quelques années, on peut imaginer une nouvelle comédie générationnelle où elle serait la grand-mère ou l’arrière-grand-mère cool, comme le fut Denise Grey dans La Boum… En ce qui concerne Christa Theret, elle n’a pas eu le même impact populaire que Sophie Marceau. L’époque n’est pas la même non plus…
Sophie Marceau et Christa Theret à l’affiche de LOL ; source : Cineplex.com.
PdA : Une anecdote m’a fait sourire à propos d’un jugement tout personnel qu’elle aurait formulé auprès de François Mitterrand : au président de l’époque, très impliqué dans l’érection d’une pyramide au Louvre, elle aurait confié de manière assez cash, disons, qu’elle n’était pas fan de l’idée. Mitterrand n’a que modérément apprécié. Marceau, rebelle et d’une franchise rafraîchissante, souvent...
F.Q. : Oui, la réflexion sur la Pyramide du Louvre c’était lors d’un voyage en Corée avec le président Mitterrand. C’est lui-même qui avait choisi Sophie comme ambassadrice, car elle est une énorme star en Asie – l’enjeu économique était de vendre des TGV à la Corée. La franchise de Sophie est souvent décapante, en effet. Elle en agace certains, et en réjouit d’autres. C’est ce qu’on aime aussi chez elle, son esprit frondeur et sa propension à mettre les pieds dans le plat.
PdA : Sophie Maupu, issue d’un univers très popu, nous le rappelions tout à l’heure, n’a eu de cesse de vouloir rattraper un peu du temps qu’elle pense avoir perdu, s’agissant de la constitution d’une culture, littéraire en particulier. Cet aspect m’a touché...
« Sophie Marceau s’est longtemps sentie
illégitime dans le milieu des acteurs »
F.Q. : Oui, elle a toujours eu à cœur de s’affranchir de son milieu d’origine, sans jamais le renier. Son ambition d’enfant était d’être intelligente. Elle a toujours eu conscience de ses carences culturelles, au point de ressentir parfois le complexe de l’imposture. Se sentir illégitime parce qu’on n’a pas eu comme la plupart de ses consœurs la vocation et suivi un parcours classique au Conservatoire ou dans une école de comédie. Ce discours est récurrent dans la bouche de Sophie, comme le complexe d’être embarrassée avec les mots et devoir chercher systématiquement à s’exprimer avec justesse et clarté. S’adapter à son milieu, celui du cinéma, n’a pas été chose aisée de ce point de vue. D’autant que son apprentissage s’est effectué aux yeux de tous. On parlait tout à l’heure de Zulawski qui lui a beaucoup apporté en ce sens, tout en l’accaparant.
PdA : On retrouve cette même logique avec le théâtre : cet univers qu’elle voit comme un peu élitiste, inaccessible a priori pour elle, elle s’attache à s’y immiscer, avec succès. Trop peu ?
F.Q. : Oui, elle ne s’interdit aucune audace. Et son aplomb, ajouté à son talent, lui permet de s’imposer. Avec succès, en effet, et la reconnaissance des gens du métier puisqu’elle fut couronnée du Molière de la révélation pour ses débuts sur les planches avec Eurydice. On aimerait la voir plus souvent au théâtre car elle s’y montre souvent plus audacieuse qu’au cinéma. Sa dernière performance dans le monologue de Bergman, Une histoire d’âme, était particulièrement courageuse et réussie. Ceux qui ne l’ont pas vue pourront bientôt l’apprécier sur Arte qui en diffusera une version filmée.
PdA : Le rendez-vous est pris. La lecture du livre nous donne à découvrir pas mal d’éléments de critiques d’époque au fil des sorties en salles de ses films. Certains sont bons, d’autres moins ; ce qui frappe, c’est que Sophie Marceau passe quasiment tout le temps, y compris pour les films jugés négativement, comme un élément positif dans la balance : on loue son jeu d’actrice autant que son charme, ce qu’elle a de solaire...
F.Q. : Oui, et je me suis appliqué à choisir des critiques de sources très diverses, de Première à Télérama, en passant par Les Inrocks. Il en ressort, en effet, qu’elle porte souvent le film à elle toute seule et on loue généralement sa justesse de jeu, son naturel, sa beauté et son implication physique.
PdA : À plusieurs époques, Marceau se retrouve mise en concurrence avec Isabelle Adjani. On croise aussi quelques autres grandes actrices dans ce livre : Isabelle Huppert, Juliette Binoche, Sandrine Bonnaire... Quels rapports entretient-elle avec ces femmes ? Comment les perçoit-elle au plan artistique ?
F.Q. : Sophie ne se range pas dans une famille d’acteurs ou d’actrices. Elle s’exprime rarement sur ses consœurs. En outre, elle n’aime pas beaucoup les films choraux. On l’a peu vue partager l’affiche avec d’autres comédiennes, sauf dans Les Femmes de l’ombre. On le regrette, car on adorerait un film qui réunirait à l’affiche les trois comédiennes générationnelles que sont Marceau, Bonnaire et Binoche. On pourrait même y ajouter Dalle.
PdA : Sophie Marceau est peut-être la plus populaire de nos actrices - ça se défend aisément ; la classerais-tu parmi nos « grandes » actrices ?
F.Q. : Mais oui. Sophie Marceau est une grande actrice. Qui ne fait pas toujours les bons choix, ou qui n’est pas toujours servie comme elle le mériterait… Mais puisqu’on la sait capable de porter sur ses épaules de mauvais films, on ne peut en douter.
PdA : Si tu devais nous recommander, ici, une liste de cinq films avec Sophie Marceau (les plus connus mis à part peut-être) ?
« Taularde marquera un tournant dans sa carrière »
F.Q. : Police ; Marquise ; À ce soir ; Firelight ; La Fidélité. Et le prochain : Taularde, où elle apparaît sans fard et qui va assurément marquer un tournant dans sa carrière.
PdA : Ce qui ressort d’elle à tout moment, à la lecture de ce livre, c’est ce qu’elle renvoie depuis des années : l’image d’une femme belle, battante et éprise de liberté. Est-ce là l’image que tu t’es forgée d’elle ?
F.Q. : Oui, une femme solaire. Pas une star glacée. Sa beauté est lumineuse. C’est une actrice proche des gens, populaire au sens noble du terme.
PdA : Tu as rencontré plusieurs témoins pour la composition de cet ouvrage, des amis de jeunesse notamment. Ça a été compliqué, de ce point de vue ?
F.Q. : Non, et ça a été plutôt sympathique et instructif. Je trouvais intéressant de s’attarder sur ses années passées à Gentilly, avant que le cinéma ne la kidnappe. Les témoignages de ses amis de collège ont été précieux. Tout le monde a tendance à confondre Sophie avec la jeune ado de La Boum, alors qu’elle arrivait d’un milieu opposé où l’on partage le quotidien des ouvriers, les influences de la rue, les problèmes d’intégration et de racisme.
PdA : Quel message aimerais-tu adresser à Sophie Marceau, là, maintenant ?
F.Q. : À quelle heure dois-je réserver le resto ?
PdA : Tes projets, tes envies pour la suite ?
F.Q. : Un livre consacré à Jane Birkin paraîtra en février, aux éditions de l’Archipel. Puis, on espère continuer…
PdA : Que peut-on te souhaiter ?
F.Q. : Du bonheur.
PdA : Un mot sur le nouvel album de Johnny, auquel tu as consacré plusieurs ouvrages, dont la bio monumentale Johnny, la vie en rock ?
F.Q. : J’aime beaucoup. Un soin particulier a été apporté aux textes, et je m’en réjouis. J’aime aussi l’interprétation sobre de Johnny.
PdA : Un dernier mot... ?
F.Q. : Plutôt deux, par les temps qui courent : Peace & Love...
Photo : Emmanuelle Grimaud
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Pour aller plus loin...
- Sophie Marceau : La belle échappée, aux éd. Carpentier.
- Les œuvres de Frédéric Quinonero; sur Amazon.fr, Fnac.com...
- Le cinéma de Sophie Marceau;
sur AlloCiné, Amazon, Fnac.com, YouTube, DailyMotion.
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Daniel Pantchenko : "Aznavour a su conjuguer qualité et chanson populaire"
Je caressais depuis longtemps l'idée de consacrer à Charles Aznavour, qui a eu quatre-vingt-dix ans le 22 mai dernier, un article qui me permette d'évoquer celles de ses chansons que j'aime, de donner à nos lecteurs une occasion de les (re)découvrir. Avec, à l'appui, du son et de l'image : l'inclusion au document de liens audiovisuels mis en ligne par des passionnés, bien loin de décourager l'éventuelle consommation tarifée d'un produit artistique aurait, au contraire, pour effet d'enrichir l'expérience de l'écrit, d'aiguiser la connaissance, l'appétit du public pour une œuvre remarquable. Ô combien...
Daniel Pantchenko, qui a signé il y a quelques années Charles Aznavour ou le destin apprivoisé, une biographie de référence sur cet auteur-compositeur-interprète de génie, m'a fait l'honneur d'accepter l'invitation que je lui ai proposée. Il nous ouvre à des titres fort peu connus et revient pour Paroles d'Actu sur le parcours exceptionnel - mais non dénué d'embûches - de celui qu'un sondage CNN/Time avait consacré « artiste du siècle » en 1998 et qui, aujourd'hui encore, après si longtemps, demeure présent, en bonne position, dans le cœur des Français.
Un hommage à quatre mains, donc, à un artiste dont l'empreinte dans la légende et la grande histoire de la belle chanson française est assurée depuis longtemps. Chapeau bas, Monsieur Aznavour. Merci, Monsieur Pantchenko, pour vos réponses, passionnantes et qui nous donnent envie d'aller plus loin. Pour votre gentillesse. Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU
DANIEL PANTCHENKO
Auteur de Charles Aznavour ou le destin apprivoisé
« Aznavour a su conjuguer
qualité et chanson populaire »
(Source des photos : D. Pantchenko.
Dont : trois photos provenant de documents de présentation édités par l'Alhambra, 1956.)
Q. : 09/06/14 ; R. : 20/08/14
Paroles d'Actu : Bonjour, Daniel Pantchenko. Vous êtes journaliste et l'auteur de plusieurs ouvrages, dont celui qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, Charles Aznavour ou le destin apprivoisé (Fayard), publié en 2006. Ce projet, c'est aussi une histoire d'amitié : vous avez souhaité terminer ce qu'avait entrepris votre ami Marc Robine, décédé en 2003...
Daniel Pantchenko : Effectivement. Marc et moi, nous étions journalistes à la revue Chorus, les cahiers de la chanson et nous nous retrouvions surtout à chaque réunion trimestrielle. Aussi passionné l’un que l’autre mais extrêmement différents, nous avions donc des discussions animées au sein de l’équipe dirigée par Fred et Mauricette Hidalgo. Marc m’avait parlé à plusieurs reprises du livre qu’il avait commencé sur Aznavour et il savait que j’avais beaucoup aimé certaines de ses chansons. Pas toujours des plus connues, d’ailleurs, que j’avais apprises par cœur (Sa jeunesse, Plus heureux que moi, Le Carillonneur…). Nous n’étions pas amis intimes avec Marc, mais nous avions une estime professionnelle réciproque. À son décès (l’été 2003), j’ai vu les documents précieux qu’il avait réunis et j’ai lu les quelque 150 feuillets qu’il avait écrits. C’était un travail non finalisé mais remarquable.
Dans un premier temps, j’ai pensé qu’il aurait été symbolique de poursuivre son travail avec plusieurs membres de l’équipe, mais cela ne s’est pas produit et j’ai donc décidé de m’atteler seul à la tâche. Je n’avais encore jamais écrit de livre et cela m’a mis en quelque sorte le pied à l’étrier. Comme je souhaitais pouvoir interroger Charles, j’ai fait parvenir le manuscrit de Marc Robine à Gérard Davoust (l’associé d’Aznavour aux éditions Raoul Breton), que j’avais déjà croisé au plan professionnel. Quelques mois plus tard, il m’a téléphoné, enthousiaste, pour me dire que Charles était d’accord pour me rencontrer. Je l’avais déjà interviewé en 1987, lorsque j’étais pigiste au quotidien L’Humanité, mais Charles n’avait plus accepté de participer à une biographie de ce type depuis quarante ans. J’ai alors signé le contrat en septembre 2004 avec les éditions Fayard, avec lesquelles la revue Chorus était partenaire. Et le livre est sorti en mai 2006.
PdA : Charles Aznavour naît d'une famille d'artistes le 22 mai 1924, à Paris, presque par hasard... Est-ce au hasard que l'on doit l'installation des Aznavourian en France et, par voie de conséquence, l'émergence d'un des futurs grands ambassadeurs de notre langue ?
D.P. : Les parents de Charles Aznavour ont été ballottés par l’Histoire, entre la Révolution russe côté paternel et le génocide arménien en Turquie côté maternel. S’ils se sont installés à Paris, c’est qu’après avoir été l’un des cuisiniers du Tsar, Missak Aznavourian (le grand-père de Charles) y avait émigré et ouvert un restaurant, Le Caucase, où se retrouvaient de nombreux Russes blancs. Mischa (le père de Charles) y travaillera et y jouera du Târ (un instrument à cordes pincées) en chantant pour distraire les clients. En 1980, Aznavour a enregistré une magnifique chanson où tout est dit, Autobiographie, et il avait créé en 1975 Ils sont tombés, sur le génocide arménien.
PdA : Le jeune Charles rêve d'abord de devenir acteur, il s'orientera un peu plus tard, plus clairement, vers le monde de la chanson, des cabarets... En 1941, il rencontre le jeune auteur-compositeur Pierre Roche. En 1946, leur chemin croise celui de Piaf. Le duo va bientôt découvrir l'Amérique...
D.P. : Beaucoup de chanteurs, tels Reggiani ou Bruel, ont débuté ainsi avant de conjuguer les différentes disciplines ou d’en choisir une. Charles a fréquenté dès l’âge de neuf ans une école du spectacle et débuté tout de suite au théâtre. Avec sa sœur aînée Aïda, ils ont été des « enfants de la balle » (ils ont grandi dans le milieu du spectacle) avant d’être ces Enfants de la guerre que Charles a enregistrés en 1966. Aïda a commencé à chanter avant lui, il a débuté au cinéma à quatorze ans dans Les Disparus de Saint-Agil, de Christian-Jaque, aux côtés de Mouloudji et Michel Simon. Et il va gagner de nombreux radio-crochets avant d’intégrer une troupe où officie déjà sa sœur.
De fait, c’est sa rencontre au Club de la Chanson avec le pianiste-compositeur Pierre Roche en 1941 qui se révèlera déterminante. Lors d’une soirée où ils doivent se succéder, la présentatrice se trompe et les annonce ensemble. Du coup, ils décident de monter un duo qui va durer huit ans, orientant définitivement Aznavour vers la chanson. Curieusement, il passera d’ailleurs aussi huit ans auprès de Piaf… qui interprètera huit de ses chansons. Mais si le duo Roche-Aznavour découvre l’Amérique en passant par le Québec, Piaf va pousser Aznavour à chanter en solo et à bâtir sa carrière en France, ce qu’il va faire. En se libérant ensuite de la tutelle de Piaf, dont il dira toujours deux choses essentielles : qu’elle a été très importante pour lui et pour sa carrière ; qu’il n’y a jamais eu d’histoire d’amour entre eux.
PdA : Au début des années 50, il écrit pour Bécaud, compose pour Patachou, Gréco... En solo, il peine à décoller...
D.P. : Aznavour rencontre Bécaud en 1952 et ils se mettent à écrire ensemble des chansons que l’un et l’autre enregistreront : Viens, Mé qué, mé qué… Gréco avait remporté un prix avec Je hais les dimanches (qu’avait d’abord refusé Piaf !) ; avant d’auditionner Aznavour dans son cabaret sur la Butte Montmartre, Patachou était secrétaire chez Raoul Breton, l’éditeur obstiné et décisif d’Aznavour (j’ai tenu à lui consacrer tout un chapitre). Bientôt l’auteur Aznavour est chanté par de nombreux interprètes tels Georges Ulmer, Philippe Clay, Les Compagnons de la chanson (on dit que la France est « Aznavourée »), mais le chanteur Aznavour va être l’objet de critiques violentes à la limite du racisme pour ses origines ou sa petite taille, et de façon soi-disant spirituelle pour sa voix au timbre singulier : « l’enroué vers l’or », « l’aphonie des grandeurs », « la petite Callas mitée »… Il lui aura fallu une détermination et un courage hors-norme (sans oublier le soutien sans faille de l’éditeur Raoul Breton) pour venir à bout de tous ces obstacles. D’où le titre du livre (Charles Aznavour ou le destin apprivoisé) qu’avait trouvé Marc Robine, et que j’ai bien entendu conservé.
PdA : La consécration vient autour des années 1956-57. Il crée Sur ma vie (1956), son premier grand succès populaire. Le public le fête à l'Alhambra, à l'Olympia; il va, dès lors, enchaîner les contrats. Une vedette est née...
D.P. : Aznavour connaît ses premiers vrais succès publics fin 1954 après une tournée en Afrique du Nord, où il a enthousiasmé le propriétaire du Casino de Marrakech, qui est alors également celui du Moulin-Rouge. Il y passe donc ensuite en tête d’affiche, et pendant trois mois. L’année suivante, il sera en « vedette anglaise » de l’Olympia où il créera Sur ma vie, son premier grand succès populaire… que reprendra Hallyday beaucoup plus tard (un article de la revue Music-Hall le qualifie alors de « Monsieur-Force-la-Chance »). Ce n’est pas encore la « consécration » et même si son succès est de plus en plus grand, ladite consécration viendra véritablement avec son arrivée chez Barclay et le choc scénique et médiatique lié à Je m’voyais déjà (entre-temps, le 31 août 1956, un autre choc s’est produit, terrible celui-là, où Charles a failli perdre la vie dans un accident de voiture).
PdA : J'aimerais, à ce stade de notre entretien, vous inviter à évoquer quelques chansons d'Aznavour, à nous livrer les anecdotes dont vous auriez connaissance, votre ressenti face à tel ou tel titre. La liste est totalement subjective, presque égoïste : une sélection, parmi mes préférées. De superbes mélodies. Des textes très riches et, à la fois, désarmants de simplicité, la mise en scène quasi-cinématographique de situations, de sentiments qui peuvent toucher tout le monde... Il y en a qui sont archi-connues, d'autres moins. Une belle occasion, à mon sens, de faire découvrir ou redécouvrir quelques perles de son répertoire...
D.P. : En 1954, certains titres, déjà, ont marqué comme Viens au creux de mon épaule et Je t’aime comme ça (cousine annonciatrice de Tu t’laisses aller) et il les a réunis dans un 25 cm. Côté un rien mélodramatique, il y a eu ensuite Le Palais de nos chimères et Une enfant ; côté swing, On ne sait jamais, J’aime Paris au mois de mai, Pour faire une Jam… et toujours lié à la musique, Ce sacré piano ; côté sensualité voire provocation, il y a eu Après l’amour (« Quand nos corps se détendent …/… Quand nos souffles sont courts »), et des titres que parfois Piaf et Bécaud ont un peu édulcorés. Le mieux, c’est quand même d’écouter tous ces titres qu’on trouve aisément sur le web.
PdA : Sa jeunesse (Année : 1956. Paroles et musique : C. Aznavour.)
D.P. : Bien sûr, Sa jeunesse est une pure merveille, dans l’œuvre d’un auteur-compositeur où la thématique du « temps » est omniprésente (« C’est normal pour quelqu’un qui a peur de la mort », me confiera-t-il). Il l’associera plus tard à Hier encore, autre merveille (la chanson préférée, je crois, de Marc Robine), et il ne faut jamais oublier chez Aznavour la dimension mélodique extraordinaire. La sienne propre d’abord, mais aussi, celle de son grand complice (et beau-frère) Georges Garvarentz, qui a signé – en outre - de nombreuses musiques de films. Pour revenir à Sa jeunesse, Charles a écrit le texte fin 1949 à l’époque de son passage québécois au Faisan Doré avec Pierre Roche, et il n’a composé la musique que sept ou huit ans plus tard…
PdA : Les deux guitares (Année : 1960. Paroles : C. Aznavour. Musique : Tzigane russe.)
D.P. : C’est l’une des toutes premières chansons d’Aznavour chez Barclay (après Tu t’laisses aller), adaptée d’un air traditionnel russe, et qui prend valeur de symbole en évoquant les racines et les années d’enfance à travers la musique et l’ambiance des restaurants ouverts par son père. L’arrangement est de Paul Mauriat et on retrouvera cette ambiance et cet esprit musical en 1980, dans Autobiographie, cette longue et incontournable chanson déjà évoquée.
PdA : Je m'voyais déjà (Année : 1960. Paroles et musique : C. Aznavour.)
D.P. : Le 12 décembre 1960, pour la première de presse du passage d’Aznavour à l’Alhambra, Barclay a fait tirer pour les VIP un 45 tours / 2 titres spécial avec Je m’voyais déjà et L’Enfant prodigue. Pour la première chanson, Charles a imaginé toute une mise en scène, de dos au public, qui va se révéler très efficace. Et susciter un triomphe et l’avènement d’une vedette, bientôt internationale (d’où le chapitre que j’ai intitulé « L’effet 'Je m’voyais déjà' »). Bien qu’elle paraisse très autobiographique, Charles a maintes fois répété que cette chanson lui a été inspirée par un artiste croisé dans un cabaret belge.
PdA : Bon anniversaire (Année : 1963. Paroles et musique : C. Aznavour.)
D.P. : C’est dans l’album qui s’ouvre sur For me… formidable (paroles de Jacques Plante, l’auteur de La Bohême). Ce titre doux-amer sur un anniversaire de mariage calamiteux, mais où l’amour reste le plus fort, s’inscrit dans l’esprit de Tu t’laisses aller, qu’on retrouve encore dans l’album à travers Dors et Tu exagères. L’homme y a quand même un peu trop le beau rôle, extrêmement compréhensif et patient à l’égard de cette femme qu’il aime « malgré tout ». Cette « abnégation » gentiment auto-célébrée aurait eu un peu de mal à passer dix ans plus tard avec l’essor du mouvement féministe.
PdA : La mamma (Année : 1963. Paroles : R. Gall. Musique : C. Aznavour.)
D.P. : Énorme tube sur un texte du père de France Gall, et encore sur une mélodie efficace de Charles. Il y a un côté cinématographique à l’Italienne, un récitatif, un refrain-cantique et une montée finale typiquement aznavourienne… Mais comme toujours, pour les chansons de Charles qui ont eu un tel succès et qu’on a – à mon goût – un peu trop entendues (c’était un peu le cas dans le même album avec Et pourtant), j’ai préféré ici Je t’attends (musique de Bécaud) ou Les Aventuriers (encore un texte de Jacques Plante).
PdA : À ma fille (Année : 1964. Paroles et musique : C. Aznavour.)
D.P. : Là, j’ai beaucoup aimé l’ensemble de l’album (à part son tube, Que c’est triste Venise) même si je trouve À ma fille un peu convenu. Cela étant, Charles (40 ans) sait les « dangers » qui guettent sa fille Patricia qui a alors 17 ans… l’âge de plusieurs de celles qu’il courtise dans ses chansons (Viens, Donne tes seize ans, Trousse-Chemise…). Et comme je l’ai dit plus haut, ici, c’est Hier encore que je préfère, l’une des plus belles de Charles à mon sens.
PdA : La Bohème (Année : 1965. Paroles : J. Plante. Musique : C. Aznavour.)
D.P. : Celle-ci aussi est évidemment superbe. Elle a permis à l’opérette Monsieur Carnaval (sur un livret de Frédéric Dard, alias San-Antonio) d’obtenir un grand succès. La chanson n’y était pas prévue au départ. Sentant immédiatement l’impact qu’elle pouvait avoir, Charles l’a enregistrée avant la vedette du spectacle, Georges Guétary, ce qui a provoqué un sérieux accrochage entre les deux artistes et leurs maisons de disques respectives. Tous ayant vendu beaucoup, la réconciliation eut lieu assez vite.
PdA : Et moi dans mon coin (Année : 1966. Paroles et musique : C. Aznavour.)
D.P. : Chantre inlassable du sentiment amoureux, Aznavour parle rupture d’une manière cinématographique et promène son œil-caméra sur la femme aimée et son rival, dont il saisit clairement et avec accablement le « manège ». Il y a souvent des saynètes de ce genre chez Charles, qui n’oublie jamais qu’il est comédien (il a enregistré Les Comédiens quelques années plus tôt). Il y a, dans ce même disque, Les Enfants de la guerre dont j’ai déjà parlé, et un exercice de style assez rare qui vaut le détour, éclairant d’intéressante façon la façon d’écrire du chanteur : Pour essayer de faire une chanson.
PdA : Emmenez-moi (Année : 1967. Paroles : C. Aznavour. Musique : G. Garvarentz.)
D.P. : Encore un titre-culte, et dont près d’un demi-siècle après, les deux dernières lignes du refrain gardent toute leur actualité : « Il me semble que la misère / Serait moins pénible au soleil ». Avec, une fois de plus cette touche cinéma, qui invite particulièrement bien au voyage.
PdA : Non, je n'ai rien oublié (Année : 1971. Paroles : C. Aznavour. Musique : G. Garvarentz.)
D.P. : Rebelote, et de façon magistrale, dans ce flash-back de plus de six minutes, avec la patte de Garvarentz, roi de la musique de film. Excellent en scène, of course, ce que plusieurs critiques ont souligné.
PdA : Comme ils disent (Année : 1972. Paroles et musique : C. Aznavour.)
D.P. : Inspirée à Charles par certains de ses amis (et déconseillée alors prudemment par des proches), cette chanson reste encore aujourd’hui la plus connue au plan symbolique sur le thème de l’homosexualité. Aucun chanteur de sa notoriété n’avait alors osé l’aborder ainsi et en finesse. Comme je l’ai noté dans le livre, des militants et autres artistes « engagés » ont déploré alors qu’Aznavour n’ait pas écrit cette chanson dix ans plus tôt. Quand on voit les débats pour le moins houleux qu’a provoqué « le mariage pour tous », on se dit qu’il y a encore du travail… À noter que cette chanson d’Aznavour sera la dernière à obtenir autant de succès (avec, à un degré moindre, Les Plaisirs démodés, sur ce même album).
PdA : Je t'aime A.I.M.E. (Année : 1994. Paroles et musique : C. Aznavour.)
D.P. : J’avoue que cette chanson en forme d’exercice de style ne m’a pas vraiment passionné, même si elle illustre parfaitement une des manières d’écrire de son auteur.
PdA : Une autre, de votre choix ?
D.P. : Là, c’est le genre de question à laquelle je ne répond jamais, parce que la chanson que je choisirai aujourd’hui sera différente demain, et encore différente après-demain. Mais la question suivante me permettra de résoudre plus ou moins ce dilemme.
PdA : Justement... Quelles sont, notamment parmi celles qui sont un peu moins connues, vos chansons préférées d'Aznavour, celles qui, de votre point de vue, mériteraient d'être connues davantage ?
D.P. : Il y en a beaucoup, et le bonheur que m’apporte chacune de mes biographies, où je mets en avant l’artiste et son œuvre, c’est lorsqu’une personne me dit que sa lecture lui a donné envie de découvrir d’autres chansons de l’artiste en question. J’ai découvert Aznavour lorsque j’étais adolescent, au début des années 60, et j’ai adoré sa voix et son premier disque Barclay, avec Les deux guitares, bien sûr (peut-être à cause de mes origines paternelles ukrainiennes : à Bordeaux, on allait sur des bateaux soviétiques de passage, on trinquait et des marins chantaient des variantes - façon corps de garde - de cette chanson d’origine traditionnelle qui les faisaient beaucoup rigoler, mais pas nous, malgré la traduction).
Dans ce même disque, j’adorais Fraternité, Rendez-vous à Brasilia et surtout J’ai perdu la tête et Plus heureux que moi, que j’avais apprises par cœur et que je me chantais souvent. Et plus encore même, Le Carillonneur, dans le disque suivant, avec Il faut savoir. Le Carillonneur, c’est sur un texte de Bernard Dimey, auquel j’ai consacré un chapitre (38), car c’est le seul auteur auquel Aznavour a lui-même consacré tout un album (en 1983).
Ensuite, j’ai découvert des chansons antérieures qui m’ont aussi beaucoup plu comme On ne sait jamais, J’aime Paris au mois de mai, Sa jeunesse, Il y avait, Sur la table, C’est merveilleux l’amour, Ce sacré piano… Et puis encore, dans les années 60, L’Amour c’est comme un jour, Les petits matins, Avec, Le Toréador…
PdA : Quelle image vous êtes-vous forgée, pour l'avoir étudié, rencontré plusieurs fois, de l'homme Charles Aznavour ?
D.P. : D’abord, « forger », c’est vraiment un verbe qu’utilise beaucoup Aznavour et qui lui correspond très bien, en homme – j’y reviens - qui a su apprivoiser son destin. Je l’ai effectivement rencontré plusieurs fois, mais vous savez, c’était dans un contexte privilégié où le rapport était évidemment facilité, simple, préparé par Gérard Davoust et empreint de confiance réciproque. Pour autant, j’ai constaté son professionnalisme, son souci du détail, son souci primordial pour sa famille, et aussi son humour, jeux de mots à l’appui…
PdA : Avez-vous été étonné, surpris par certaines découvertes, certaines révélations lors de la préparation de votre ouvrage ?
D.P. : Pas vraiment. Marc Robine avait déjà réuni de nombreux documents et, comme j’avais déjà écrit sur Aznavour (interview comprise), je le connaissais pas mal. J’ai appris des choses, comme j’en apprends chaque fois sur les artistes, des choses importantes mais pas véritablement surprenantes.
PdA : En 1998, CNN et les internautes de Time le consacrent « artiste du siècle » devant Elvis Presley et Bob Dylan. C'est un choix que vous comprenez, que vous auriez pu faire vous-même ?
D.P. : Pour moi, ce type de classement n’a pas vraiment de sens en matière artistique et donc, ne m’intéresse pas (même si cela a été indiqué en quatrième de couverture de mon livre).
PdA : Quel est, au fond, l'apport de Charles Aznavour à la chanson française ? Que lui doit-elle ?
D.P. : Charles rappelle toujours que son nom n’est jamais cité parmi les « grands » de la chanson française. Sans doute son immense succès populaire est-il en partie responsable de cela, et sans doute y a-t-il contribué lui même en se prêtant à certaines opérations plus médiatiques qu’artistiques. Il reste qu’il a su conjuguer qualité et chanson populaire, un certain nombre de ses compositions n’ayant rien à envier à personne, personne n’ayant par ailleurs porté comme lui cette expression culturelle française à travers le monde, au fil d’une carrière d’une exceptionnelle longévité.
(Photo de Claudie Pantchenko.)
PdA : Nous ne conclurons pas cet entretien avant d'avoir évoqué, l'espace d'un instant, votre dernier ouvrage : Serge Reggiani, l'acteur de la chanson. Reggiani, grand interprète qui, c'est heureux, revient dans l'actualité et sur les ondes, dix ans après sa disparition... Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire cette nouvelle biographie ?
D.P. : Exceptée la biographie d’Aznavour, écrite après le décès de Marc Robine qui l’avait amorcée, les trois suivantes (Jean Ferrat, Anne Sylvestre et aujourd’hui Serge Reggiani) répondent toujours de ma part à un souci fondamental : combler un manque éditorial à propos d’une chanteuse ou d’un chanteur importants à mes yeux, dont j’ai suivi professionnellement la carrière. Il n’existait pas de biographie vraiment pointue de Reggiani, que j’ai interviewé cinq fois entre 1981 et 2003.
Tout en abordant l’ensemble de sa carrière et de sa vie, j’ai centré naturellement mon travail sur la chanson, sur son répertoire remarquable et sur sa dimension d’acteur, avec cette voix émouvante reconnaissable entre mille. Et je me suis rendu compte que, toutes générations confondues, la plupart des gens auxquels j’ai parlé de mon projet d’écrire sur Reggiani ont réagi spontanément en disant : « J’adore ! »
PdA : Quels sont vos projets pour la suite, cher Daniel Pantchenko ?
D.P. : J’ai quelques idées de nouvelles biographies, mais pour l’instant, rien n’est arrêté. Je réfléchis également à des choses plus personnelles et je commence à réunir du matériel divers sans savoir encore ce que cela donnera et à quelle échéance…
PdA : Quelque chose à ajouter ?
D.P. : Sans doute, mais j’ai déjà beaucoup répondu et le mieux et de chercher directement dans le livre la réponse à d’autres éventuelles questions…
PdA : Merci infiniment...
Ndlr : Il m'a fallu opérer quelques choix s'agissant des chansons évoquées lors de l'interview et qui ont été commentées par M. Pantchenko. J'aurais pu en citer d'autres, que j'apprécie beaucoup, dont Être, Je voyage ou encore Un Mort vivant. N.R.
(Photo de Francis Vernhet, datée de janvier 2006.)
Et vous, que vous inspire l'œuvre de Charles Aznavour ? Quelles sont, parmi ses chansons, celles que vous préférez ? Postez vos réponses - et vos réactions - en commentaire ! Nicolas alias Phil Defer
Pour aller plus loin...