Baptiste Vignol : « Véronique Sanson et Lynda Lemay sont deux véritables poètes... »
Mon invité du jour, Baptiste Vignol, a signé depuis une vingtaine d’années un grand nombre de travaux consacrés, en particulier, à la chanson française et francophone, qu’il aime depuis son enfance, et à celles et ceux qui la font et qui la portent. J’ai souhaité l’interroger plus précisément sur deux de ses "personnages" récents, deux femmes, grandes interprètes et créatrices (paroles & musiques), qui comptent toutes deux parmi mes artistes préférés à moi aussi : Véronique Sanson, à laquelle il a consacré l’an dernier Tout Véronique Sanson (Gründ), et Lynda Lemay, qui a largement contribué au livre Lynda Lemay - Il était une fois mes chansons (Gründ également, 2021). Deux ouvrages somptueusement illustrés et richement détaillés sur chaque chanson, chaque album, et sur la "drôle" de vie de l’une et de l’autre. Mais le côté bio vient ici en complément, l’œuvre d’abord, et ça c’est bien.
Le premier coup de cœur de votre serviteur avec Lynda Lemay.
Si vous aimez Lynda Lemay, si vous aimez Véronique Sanson, vous apprécierez forcément les livres qu’il a consacrés à l’une et à l’autre. Je remercie Baptiste Vignol pour l’interview, une sorte de portrait croisé de deux vraies "poètes", comme il dit. Je veux saluer au passage, pour ce qui me concerne, trois personnes croisées pour de précédents articles : Violaine Sanson-Tricard, qui a écrit la préface de l’ouvrage sur sa sœur, et les gardiens du temple Sanson, Laurent Calut et Yann Morvan. Et dire à Véronique, à Lynda : je me tiens dispo pour une interview, où et quand vous voulez ! ;-) Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU / Q. 01/23 ; R. 04/23
Baptiste Vignol : « Véronique Sanson et Lynda
Lemay sont deux véritables poètes... »
Vancouver interprété par V. Sanson et L. Lemay,
un soir sur France 2... (capture YouTube Granule27)
Baptiste Vignol bonjour. Quand on se penche sur votre parcours, on constate rapidement à quel point la chanson française tient une place importante dans votre carrière de journaliste et biographe, et dans votre vie tout court. Qu’est-ce qui a déclenché tout ça, et quels ont été en la matière, vos premières émotions, vos premiers coups de foudre musicaux et artistiques ?
J’avais des parents qui aimaient la chanson et qui en écoutaient beaucoup. J’ai donc grandi dans cet univers avec, comme têtes de gondole, Jacques Brel, Guy Béart, Georges Brassens, Anne Sylvestre, Malicorne, Juliette Gréco, Yves Montand, Mouloudji, Angelo Branduardi... Le premier concert que j’ai vu était un tour de chant, comme on ne dit plus, des Frères Jacques. Je devais avoir 5 ou 6 ans et j’avais été fasciné. Tellement que je voulais devenir, moi aussi, un Frère Jacques. Mon père m’avait emmené les revoir quelques années plus tard à Lyon, lors de leur tournée d’adieu. La mort de Claude François m’avait beaucoup marqué. Elle me l’a fait découvrir. J’étais gamin et j’étais fasciné par ce chanteur si blond, qui dansait si bien, avec ses Clodettes. Enfin, je me souviens de la mort de Jacques Brel. J’avais sept ans. J’étais assis à l’arrière de la voiture, avec mes sœurs. Mon père était au volant. La radio a annoncé la nouvelle. J’entends encore le « Merde ! » de mon père. Et puis j’ai découvert Renaud grâce au 33 tours qu’avait acheté ma mère, celui avec la DS qui brûle… Je n’ai jamais cessé de le suivre. Vinrent ensuite Cabrel, Daho, pendant l’adolescence. À 17 ans enfin, je suis allé voir Charles Trenet au théâtre du Chatelet. Le plus beau concert de ma vie. La poésie, le génie à l’état pur.
Lors de cet entretien, nous nous pencherons plus précisément sur deux personnages, deux grands artistes au féminin : vous avez consacré, chez Gründ dans les deux cas, un ouvrage à Lynda Lemay (2021), un autre à Véronique Sanson (2022). Un principe commun : on regarde l’œuvre, on étudie les chansons avant tout, la vie de l’artiste étant abordée comme toile de fond à la création et non l’inverse. Pourquoi ce parti pris ?
Parce qu’il ne s’agit pas de biographies mais de livres sur la discographie d’autrices-compositrices-interprètes, c’est à dire de femmes qui écrivent, composent et chantent. Qui s’« engagent » donc, se livrent, se dévoilent. La vie privée des artistes ne m’intéresse que si elle nourrit leurs chansons. C’est souvent le cas, bien sûr.
Lynda Lemay - Il était une fois mes chansons (Gründ, octobre 2021)
Lynda Lemay est très présente dans le livre que vous lui consacrez, à tel point qu’il ressemble réellement à un livre écrit à deux, et c’est jouissif : elle se confie longuement et avec beaucoup de franchise sur sa carrière et sur chacune de ses chansons. On l’apprend dans votre livre, tout cela est né d’une promesse datant de pas mal de temps : "un jour, on fera un livre ensemble". Alors, comment est-ce que ça s’est fait, de la première idée jusqu’au travail en commun ? Vous vous êtes vus souvent j’imagine, vous avez écouté pas mal de ses chansons ensemble, grand privilège quand on y songe…
Cette promesse dont vous parlez, qui fait l’objet d’une légende d’une photographie où l’on me voit lui parler à l’oreille sur un plateau de télévision, est plus une blague qu’autre chose. Sur le moment, j’avais sûrement d’autres choses à lui dire. Par la suite, bien des années plus tard, alors que j’avais déjà écrit quelques ouvrages sur la chanson, j’ai revu Lynda à l’Olympia. Nous avons alors vaguement évoqué ce projet. Qui s’est concrétisé deux ou trois ans plus tard quand avec l’éditeur Luc-Édouard Gonot nous lui avons formellement proposé, appuyés par Gérard Davoust - l’éditeur de Lynda -, de l’inclure dans la collection « Musique », chez Gründ. L’écriture du livre a commencé en même temps que le monde se fermait avec le Covid. Nous nous sommes donc écrit tous les jours. Je lui posais une question, ou deux, ou trois, auxquelles elle répondait invariablement avec sa finesse et sa générosité.
L’ouvrage sur Véronique Sanson, très riche également, et comme le Lemay magnifiquement illustré, est différent : chacune de ses chansons est également évoquée, mais plutôt sur la base d’interviews qu’elle a données, ou de vos commentaires personnels. J’imagine que ça a été plus compliqué de l’intégrer sur la durée à un tel projet ? Sur quelle documentation, sur quels témoignages vous êtes-vous appuyé pour ce livre ?
Pour ce livre, j’ai essentiellement recueilli les témoignages de Véronique Sanson en visionnant sur le site de l’INA toutes les interviews qu’elle a pu donner depuis 1972. Mais je me suis également plongé dans le blog Harmonies que lui a consacré Laurent Calut, blog qu’il enrichit encore, avec une précision d’horloger. On y trouve des centaines d’articles de presse. Laurent connaît tout de Véronique, et il possède en outre sa confiance. Il y a quelques années, il avait co-écrit avec Yann Morvan le livre Les Années américaines (chroniqué sur Paroles d’Actu à l’époque, ndlr).
Tout Véronique Sanson (Gründ, octobre 2022)
Peut-on dire, pour schématiser, et forcément caricaturer un peu, que l’une (Sanson) est plutôt une musicienne qui met le texte au service d’une musique, un peu à l’anglo-saxonne, tandis que l’autre (Lemay) est plutôt une auteure qui songe à la musique pour accompagner un texte, dans une tradition peut-être plus française ? Attention, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit ;-) Sanson a écrit des textes magnifiques, j’invite simplement le lecteur à écouter Mortelles pensées ou Je me suis tellement manquée, et Lemay a composé de très belles mélodies…
Vous avez tout dit. L’une et l’autre écrivent et composent merveilleusement, mais elles n’œuvrent pas dans le même sens.
Mortelles pensées, la plus intime, la plus belle de Sanson ?
Que vous inspirent la vie de l’une et de l’autre ? Pour Sanson, après les années d’apprentissage, après la gémellité amoureuse et artistique avec Berger, ce furent les années américaines, Sex, Drugs & Rock’n’roll, et pas que, avec Stephen Stills. L’aventure, jusqu’à se faire mal. Lynda Lemay a l’air plus sage, plus apaisée dans son cocon, moins en quête d’aventure justement, mais pas moins curieuse…
À cette question, je répondrai qu’on ne connaît jamais les artistes réellement, que leurs chansons leur ressemblent quand elles ou ils ont du talent, bien sûr, mais qu’il ne faut jamais les prendre, ces chansons, comme le pur témoignage de leur quotidien. La création va plus loin, l’inspiration est mystérieuse. Toutes deux naissent d’un mot, d’une idée, d’une phrase musicale. Cela n’a donc rien à voir avec l’image que l’on peut donner de soi, ce que vous appelez « l’air de », l’air d’être tourmentée, ou sereine, par exemple...
Quelles sont les grandes influences musicales de l’une et de l’autre ? On sait que chez Véronique Sanson, on écoutait beaucoup de classique, et aussi de la world music, quand elle était gosse. Chez les Lemay, c’était plutôt de la chanson francophone. Peut-on malgré tout établir, à cet égard, des points communs, des passerelles entre les deux ?
Par-delà leurs différences, ou plutôt leurs singularités, il y a chez ces deux artistes le même amour des mots, du mot juste, de l’image qui foudroie. Elles sont toutes les deux de véritables poètes. Leurs textes, leurs « paroles » comme on disait autrefois, peuvent se lire à voix haute et tiennent debout sans musique.
Un trait commun, évident même si j’enfonce là une porte ouverte : l’importance de la famille, pour l’une et l’autre. Avec, dans un cas comme dans l’autre, une sœur qui est une confidente, un repère, un ange-gardien : Diane pour Lynda, et bien sûr Violaine pour Véronique, Violaine qui d’ailleurs signe un texte touchant sur sa sœur... Sans elles, les parcours d’artiste et de femme auraient été différents, forcément ?
Il m’est impossible de répondre à cette question. La seule chose dont je sois certain, c’est que l’une comme l’autre est rassurée par la présence de cette sœur. Elles peuvent dès lors entièrement se consacrer à leur art.
Dans ses chansons, Sanson se raconte avec beaucoup de pudeur, mais sans cacher grand chose à son public, à tel point que tout ou presque parmi son répertoire sonne comme un morceau d’autobiographie. Lynda Lemay, elle, raconte surtout les autres, observatrice inspirée de ses contemporains et très bonne comédienne quand il s’agit de se mettre dans la peau d’un(e) autre. Peut-on dire que sur ce point, elles s’inscrivent dans des traditions d’artiste qui ne sont pas tout à fait les mêmes ?
Il y a beaucoup de Lynda dans des chansons qui, à première vue, paraissent être loin d’elle, parce que Lynda a le don de pouvoir se glisser dans la peau de ses personnages et de vivre les situations qu’elle invente ou décrit, comme elle le ferait si elle avait à les vivre concrètement.
Chez Sanson, souvent, les textes sont très imagés, on ressent des émotions, une atmosphère plus qu’on ne comprend au mot près ce qu’elle dit. Lynda Lemay, elle, a le texte beaucoup plus "précis", à la Aznavour. "Précis", un mot qu’elle emploie d’ailleurs dans le commentaire d’une de ses chansons. Là encore, c’est une école, un exercice bien distincts ?
C’est une façon de voir la vie, de s’exprimer, de se livrer, voire de se dévoiler. La chanson est comme la peinture, elle compte plusieurs courants, plusieurs « écoles ». Véronique et Lynda ne ressemblent à personne. Chacune a son style, qui n’appartient qu’à elle. On ne peut pas dire, ni de l’une ni de l’autre, qu’elles sont les héritières d’untel ou d’unetelle. Bien entendu, elles ont chacune des idoles, mais elles n’ont jamais fait dans l’imitation.
À l’heure où féminisme rime trop souvent avec "guerre aux hommes", peut-on dire de ces deux-là qu’elles sont des femmes qui portent des combats féministes et qui, pour autant, aiment les hommes et l’assument ?
Je crois que c’est effectivement le cas. Lynda et Véronique aiment les hommes et sont fières d’être femmes. Amoureuse (Véronique Sanson), Jamais fidèle (Lynda Lemay), Besoin de personne (V.S.), Les souliers verts (LL) sont des chansons parmi tant d’autres qui, dès leurs débuts, montrent à quel point ces deux chanteuses se sont toujours présentées comme des femmes qui chantent.
Véronique Sanson, Lynda Lemay, deux belles ambassadrices de la chanson, et au-delà, de la francophonie : on les écoute et on les aime en France, au Québec bien sûr, et dans tout cet espace linguistique. Mais ni l’une ni l’autre n’a su, pu, voulu peut-être, percer hors francophonie, comment l’expliquez-vous ?
C’est tout simple, elles aiment trop la langue française, et leurs pays, leurs cultures, francophones, pour tenter une autre aventure.
Quelles sont les chansons dans lesquelles à votre avis l’une comme l’autre met le plus d’elle-même ?
Il y a dans chacun des répertoires des dizaines de chansons dans lesquelles chacune s’est complètement, irrémédiablement investie. Il faut bien comprendre qu’elles n’enregistrent pas des chansons de remplissage. Si une chanson figure sur un disque, c’est parce que cela leur a semblé essentiel qu’elle s’y trouve. Lynda a coutume de dire que Le plus fort c’est mon père est celle qui lui ressemble le plus. Mais il y a tant d’elle dans Dans mon jeune temps ! Dans La visite. Et tant d’autres… L’œuvre de Véronique regorge de trésors méconnus. Ecoutez Tout va bien sur son album sorti en 1985. Une valse d’une minute quarantes secondes où elle dit, donne tout.
Celles qu’à titre perso vous préférez d’elles et que vous aimeriez recommander à nos lecteurs ?
Là encore, il est impossible de faire un choix définitif… Leurs répertoires sont si riches, féconds. Tout va bien, justement, m’a ébloui quand je l’ai réécoutée avant hier. La houle de sa voix... Chez Lynda, il ne se passe pas un mois sans que je ne regarde sur YouTube De tes rêves à mes rêves à l’Olympia. Mais j’ai adoré sur son dernier album La mangue, que j’ai du écouter cinquante fois.
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Benjamin Boutin : « Le combat de la francophonie, c'est celui du plurilinguisme »
L’article qui suit va me permettre d’aborder une fois de plus (voir, sur ce blog, les interviews avec Grégor Trumel, Valéry Freland et Fabrice Jaumont) une thématique qui me tient à coeur: la francophonie, ou le français en tant que richesse partagée, et sa vitalité dans le monde. Benjamin Boutin est entre autres (nombreuses) activités, le dynamique président-fondateur de l’association Francophonie sans frontières. Il a accepté de répondre à mes questions, je l’en remercie, ainsi que pour cette cause honorable qu’il défend. Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Benjamin Boutin: « Le combat de la fran-
cophonie, c’est celui du plurilinguisme. »
Une photo de Benjamin Boutin sur le plateau de RFI avec le journaliste Ousmane Drabo.
Bonjour Benjamin Boutin. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a donné envie de vous engager pour la promotion de la cause francophone ?
pourquoi la cause francophone ?
À l’école, j’avais une prédilection pour les langues, notamment pour le français ; j’étais passionné par l’histoire, l’instruction civique et la géographie. J’eus la chance de voyager durant mon adolescence dans une vingtaine de pays et outre-mer. Cela forgea mon goût pour la rencontre des cultures et les échanges internationaux.
En 2012, j’intégrai le master 2 Diplomatie et négociations stratégiques de l’Université Paris-Sud Saclay, dont le thème principal était la francophonie. Le parrain de ce master réunissant des étudiants et des professeurs de 23 nationalités n’était autre qu’Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie, ancien Président de la République du Sénégal. J’eus le grand honneur de le rencontrer en 2013.
Alors que je m’impliquais déjà au sein d’une association de jeunes francophones qui plaidait pour la diversité linguistique et culturelle dans les organisations internationales, je publiai mon premier article sur la francophonie dans La Tribune le 10 juillet 2013 et devins responsable des Débats francophones internationaux à la Conférence Olivaint, une association française de débat public et d’art oratoire.
À l’automne 2014, après avoir vécu en France et en Belgique, j’effectuai un stage à l’Assemblée nationale du Québec. On me confia le suivi des dossiers internationaux relatifs à la francophonie pour le compte du Chef de l’Opposition officielle. En 2015, j’intégrai l’École nationale d’administration publique (ENAP) du Québec, où je rencontrai des jeunes chefs de file, certains originaires de pays africains et caribéens francophones et plurilingue. Je deviens vice-président de l’Association étudiante de l’ENAP et fis de la francophonie ma priorité.
La même année, je partis enseigner en Haïti, pays partiellement francophone trop souvent résumé au seul fait qu’il est économiquement l’un des moins avancés de la planète. En 2015 également, je co-organisai une mission d’étude à New-York, à la rencontre de responsables d’organisations internationales. Une prise de parole à la Représentation permanente de la Francophonie auprès des Nations Unies me permit d’annoncer la tenue d’un colloque sur la francophonie que je préparai déjà depuis plusieurs mois.
« La francophonie est pour moi, un espace
de liberté, de création, d’entrepreneuriat, d’innovation... »
Ce colloque international, intitulé « Quelle stratégie pour l’avenir de la francophone ? », eut lieu le 9 mars 2016 à Montréal, en présence d’une centaine de personnes et d’une trentaine d’intervenants de haut niveau. À cette occasion, nous présentâmes avec Marie-Astrid Berry le projet pilote de Francophonie sans frontières (FSF). Depuis, je n’ai cessé de m’impliquer pour la francophonie. Elle est pour moi un espace de liberté, de création, d’entrepreneuriat, d’innovation. Elle représente surtout une voie d’accès à des millions d’êtres humains avec qui je peux échanger, grâce à notre langue partagée.
Que retenez-vous de votre expérience comme enseignant en Haïti ? En quoi cette aventure a-t-elle été différente, par exemple, de ce temps pendant lequel vous avez enseigné à Paris ?
enseigner à Haïti, et ailleurs
Enseigner à une cinquantaine de jeunes Haïtiens prometteurs au Centre d’études diplomatiques et internationales (CEDI) me sensibilisa aux richesses culturelles et spirituelles de ce pays. En Haïti, l’éducation ouvre véritablement une fenêtre d’espoir sur un futur plus prospère et apaisé. Comme l’écrivait Benjamin Disraeli (Premier ministre britannique de la fin du XIXè siècle, ndlr), de l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays.
Haïti est en proie aux difficultés. Les crises se succèdent. Malgré tout, je place beaucoup d’espoirs en la jeunesse. Celle, la plus éduquée, à laquelle j’ai eu affaire, est tentée par l’émigration. J’ai voulu transmettre à mes étudiants non seulement des connaissances sur le développement économique, la prospective, la géopolitique et la coopération, mais aussi les inciter à valoriser les atouts de leur pays et à préserver son patrimoine culturel et naturel inestimable.
Enseigner à Paris est une expérience différente mais non moins enrichissante. Depuis quelques années, je donne des conférences et des cours sur la francophonie, la diplomatie culturelle, la géopolitique, l’influence... Je compléterais volontiers cette offre par un cours de géoéconomie. Je suis aussi très attentif à l’évolution des technologies dans nos sociétés et dans nos vies.
« Mon rôle d’enseignant, je le conçois comme celui d’un
passeur de connaissance, voire d’un mentor. »
Mon rôle d’enseignant, je le conçois comme celui d’un passeur de connaissance, mais aussi comme celui d’un tuteur voire d’un mentor pour aider les jeunes à exprimer le meilleur d’eux-mêmes et à devenir d’honnêtes femmes et d’honnêtes hommes. Ce désir découle de l’instruction humaniste que j’ai moi-même reçue.
Quel regard portez-vous sur l’état de la francophonie dans le monde ? Est-elle, en 2021, stable, en déclin, ou plutôt en expansion ?
l’état de la francophonie
Son existence a une valeur propre qui ne dépend pas, selon moi, de sa variabilité. L’important est que la francophonie existe et rayonne dans le respect des autres aires linguistiques et culturelles. L’enjeu majeur est d’éviter la sur-représentation d’une seule langue dans les échanges internationaux. Le combat de la francophonie, c’est celui du plurilinguisme, qui nous permet d’exprimer les spécificités de nos cultures, de nos traditions, de nos idéaux dans toutes leurs nuances.
En 2021, la francophonie a comme atout d’être portée par le dynamisme démographique de nombreux pays, d’être représentée sur les cinq continents et d’être bien structurée en associations, en universités et en institutions. Cela lui donne un avantage.
Mais il manque encore quelques briques pour conforter la présence des langues françaises (oui il y en a plusieurs) dans les sphères économiques, médiatiques, numériques, artistiques, scientifiques : par exemple la structuration de filières économiques mutualisées, le développement et l’accessibilité d’une offre culturelle - notamment audiovisuelle - attractive, la mise en place d’une banque francophone d’investissement, etc.
« L’avenir de la francophonie est conditionné
à notre capacité à former et à mobiliser
un grand nombre d’enseignants. »
Sans être exhaustif, l’avenir de la francophonie est conditionné à notre capacité à former et à mobiliser un grand nombre d’enseignants. La demande éducative est forte, notamment en Afrique. Y répondre doit être la priorité des priorités des instances de coopération francophones.
Concernant le Québec et du Canada que vous connaissez bien : la langue française s’y développe-elle, y compris au-delà de ses espaces traditionnels ?
le français au Québec et au Canada
La francophonie québécoise et la francophonie canadienne sont deux réalités imbriquées et interdépendantes. Le Québec abrite une société majoritairement francophone, où les droits de la minorité anglophone sont garantis. J’aimerais que ce soit réciproque au sein du Canada majoritairement anglophone. Or, je constate et déplore des coupes budgétaires dans les services rendus en français, ainsi qu’un manque d’ambition pour assurer une éducation réellement bilingue, d’un océan à l’autre. Le bilinguisme français-anglais doit être un critère absolu pour la sélection des immigrants et pour l’accès aux emplois publics. En premier lieu, les ministres, les parlementaires et les hauts fonctionnaires doivent donner l’exemple.
Et n’oublions pas non plus les langues et les cultures autochtones qui doivent être respectées et valorisées, dans l’ensemble du Canada.
Comment défendre et promouvoir le français dans d’ex-pays de l’empire colonial français notamment, en évitant l’écueil du néocolonialisme ?
francophonie et liberté des peuples
Les politiques de ces pays dépendent de leurs peuples souverains. C’est à eux d’investir à la fois dans des programmes éducatifs, culturels, économiques, scientifiques et autres ainsi que dans les organisations internationales francophones crées par les pères de l’indépendance (Senghor, Bourguiba, Diori, Sihanouk…) s’ils considèrent, comme leurs grands aïeux, que le français et le plurilinguisme sont de formidables outils de connaissance, de prospérité, de dialogue interculturel et de paix.
L’élan de la francophonie dépend fortement de la volonté des sociétés civiles organisées en associations, en coopératives, en syndicats et en conseils économiques, sociaux et environnementaux. Ces forces vives peuvent et doivent lancer des initiatives pour la francophonie, comme le fait Francophonie sans frontières, et inciter leurs gouvernements à développer des programmes pour stimuler la francophonie locale, régionale, nationale et internationale.
« En Europe, le français est la deuxième langue
la plus parlée et la plus apprise. »
Je rappelle aussi que la francophonie n’est pas seulement constituée de pays issus de l’ancien empire colonial français ou belge. Un certain nombre d’États qui n’ont jamais subi cette colonisation choisissent le français comme langue d’enseignement, de culture, de tourisme, d’affaires… En Europe, par exemple, le français est la deuxième langue la plus parlée et la plus apprise. En Amérique latine et même aux États-Unis, la francophonie est attractive parce qu’elle est synonyme de mieux-être, de culture et d’art de vivre. Apprendre cette langue confère des atouts dans tous les domaines, y compris dans la sphère professionnelle.
La diversité culturelle et les échanges entre les cultures sont des concepts nobles, qui vous parlent. Quel rôle pour le français, et quels atouts jouer en la matière ?
de la diversité culturelle
La diversité culturelle et les échanges entre les cultures constituent l’une des sources de mon bonheur. Et le mot n’est pas trop fort. À ce titre, la langue française représente un pont de compréhension et de coopération extraordinaire ; mais celui ou celle qui la pratique doit être animé par un esprit d’ouverture et d’accueil. La langue française, seule, n’est pas une baguette magique. Et comme toutes les langues, elle peut être utilisée à bon ou mauvais escient. C’est la raison pour laquelle le mouvement francophone doit être, à mon sens, animé par l’éthique, ce chemin de réflexion et d’action vers la juste décision, qui commence par la considération pour autrui et pour sa culture.
De fait, l’espace francophone est extrêmement divers : pourquoi cette richesse collective-là n’est-elle pas davantage mise en avant, notamment auprès du grand public ? Que faire pour rendre la francophonie populaire comme peut l’être, par exemple, l’anglais du Commonwealth ?
et le grand public ?
Le Commonwealth est une organisation politique centralisée autour du monarque britannique en exercice. Bien que je le respecte et que je trouve plusieurs de ses initiatives positives, ce n’est pas ma conception d’une francophonie multipolaire et décentralisée.
Faire connaître la francophonie au grand public et notamment aux jeunes, développer l’engagement et le sentiment d’appartenance à cette communauté de langue et de destin, c’est précisément ce à quoi je m’emploie depuis mes jeunes années. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons fondé avec Marie-Astrid Berry Francophonie sans frontières (FSF), l’association des francophones engagés.
Nous offrons avec FSF un espace de coopération, disponible à l’ensemble des francophones et des francophiles volontaires qui adhèrent à notre mission et à notre charte éthique élaborée avec notre partenaire principal, René Villemure Ethicien.
Que faites-vous concrètement pour promouvoir la langue française, et quel bilan tirez-vous de votre action en la matière jusqu’à présent ?
actions concrètes
Notre association internationale fait feu de tout bois, avec des moyens qui sont pour le moment assez limités. Nous pourrions faire plus avec davantage de moyens. Mais la vision que nous proposons d’une francophonie joyeuse, intergénérationnelle, ouverte, amicale, favorisant les synergies et les projets, est extrêmement attirante.
Concrètement, nous structurons des équipes et des modes d’action, nous mettons en place des systèmes d’échange, d’adhésion, de communication et de formation pour créer une culture associative commune.
« La magie du monde associatif permet d’imaginer
et de réaliser des projets, si on y investit suffisamment
de réflexion, d’énergie et de cœur... »
Nous organisons différents types d’événements comme Les Matins francophones et Les Coulisses de la francophonie. C’est cela la magie du monde associatif : être libre d’imaginer et de réaliser des projets, si on y investit suffisamment de réflexion, d’énergie et de cœur.
Nous intervenons également dans le milieu scolaire et universitaire, nous organisons des colloques et des conférences en ligne, nous organisons une école d’été et nous diffusions une émission de radio, La Voix de la diversité.
Nous coopérons aussi avec d’autres associations et institutions mais aussi avec des entreprises désireuses de s’engager pour la francophonie comme l’Hôtel Château Laurier à Québec, un établissement « franco-responsable ».
Francophonie sans frontières est une aventure toujours en mouvement. Notre organisation non-gouvernementale mériterait davantage de soutien, parce qu’elle a vocation à perdurer afin de créer des liens durables pour la francophonie. C’est sa raison d’être.
Je note que, parmi vos sources d’inspiration majeures, il y a le grand poète et écrivain Léopold Sédar Senghor. Quels ouvrages, de lui et d’autres, auriez-vous envie de recommander, aussi bien à des non francophones qu’à des francophones d’ailleurs, pour s’imprégner à la fois de la beauté des lettres et de la diversité culturelle de ceux qui parlent notre langue ?
Senghor et les auteurs francophones
De Senghor, j’apprécie autant la poésie que les discours, deux genres qui expriment les multiples facettes du poète-président sénégalais et français, enraciné et universel, pragmatique et spirituel.
Pour en savoir plus sur Senghor, je vous conseille la lecture d’un livre écrit de sa main intitulé Ce que je crois (Grasset) ainsi que du livre de Jean-Michel Djian, Léopold Sédar Senghor. Genèse d’un imaginaire francophone, paru chez Gallimard.
La Voix de la diversité, l’émission de radio de FSF, diffusera bientôt une série de chroniques consacrée à Senghor, présentées par l’agrégé de Lettres classiques Anthony Glaise, à qui j’ai confié la responsabilité de coordonner l’Année Senghor de Francophonie sans frontières. 2021 marque en effet les vingt ans de la disparition de Senghor. Nous soulignerons son héritage francophone humaniste lors d’un colloque à Paris et d’une grande conférence à Dakar.
« En ce 400e anniversaire de la naissance de
Jean de La Fontaine, relisons avec joie ses fables
et ses contes, empreints de sagesse et d’irrévérence. »
La beauté des lettres françaises et la diversité culturelle de la francophonie sont infinies. Il m’est difficile de recommander un livre en particulier. Mais puisqu’il faut se prêter à l’exercice, je conseille aux francophiles la lecture du Dictionnaire amoureux de l’Esprit français de Metin Arditi (Plon Grasset) ou encore le roman d’une jeune auteure franco-mauricienne de talent, Caroline Laurent, intitulé Rivage de la Colère (Escales). Et puis, en ce 400e anniversaire de la naissance de Jean de La Fontaine, relisons avec joie ses fables et ses contes, empreints de sagesse et d’irrévérence.
Vos projets, vos envies pour la suite ?
Je continuerai d’être là où j’estime être utile par mes initiatives, mon expertise et mes valeurs. La francophonie mobilise beaucoup de mon temps actuellement ; néanmoins, j’ai d’autres dossiers à faire avancer.
En plus de mon engagement social, j’ai sur le feu plusieurs projets de création. J’ai notamment deux projets d’écriture bien avancés, qui pourraient voir le jour avec le concours d’une éditrice ou un éditeur.
On n’arrive jamais à rien sans l’aide de personnes de bonne volonté qui regardent à peu près dans la même direction que soi. J’ai beaucoup d’envies et d’idées. J’aime créer, fédérer, transmettre et donner le meilleur de moi-même. Mais il y a aussi une part d’inconnu et de hasard dans la destinée. Je l’accepte et je vous dirais même que je l’accueille.
Un dernier mot ?
… pour vous remercier de votre attention.
Interview : mi-avril 2021.
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Fabrice Jaumont: « Je suis heureux de participer à la révolution bilingue »
En ces temps où, troubles extérieurs et crispations internes n’aidant pas, les réflexes de repli sur soi sont légion, j’ai eu envie de donner la parole à quelqu’un qui, depuis des années, se bat pour que, précisément, l’ouverture aux autres cultures soit reçue et inculquée comme une valeur, comme une richesse. Non pas comme un mantra vide de sens, mais sur la base de réalisations concrètes : M. Fabrice Jaumont, auteur et activiste enthousiaste, compte parmi les plus ardents défenseurs de ce que soit favorisée, partout, l’instauration de classes bilingues. Sur ce sujet et d’autres, comme l’attrait, la place de la francophonie aux États-Unis ou le poids des fondations privées dans le système éducatif, il a accepté de répondre à mes questions, et je l’en remercie. Interview exclusive, Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Q. : 10/02/18 ; R. : 07/05/18.
Fabrice Jaumont: « Je suis heureux
de participer à la révolution bilingue ! »
Fabrice Jaumont. Photo : Jonas Cuénin.
Fabrice Jaumont bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Comment vous présenteriez-vous, en peu de mots mais sans rien omettre de l’essentiel de votre parcours et de vos engagements ?
En quelques mots, je suis éducateur, chercheur et auteur avec un penchant pour les livres qui peuvent changer l’éducation, la culture et le développement humain.
Né en France, vous vous êtes installé aux États-Unis en 1997, soit, il y a un peu plus de vingt ans. Qu’est-ce qui, au premier abord, puis à l’usage au fil des années, vous a sauté aux yeux, s’agissant des différences, petites et grandes, entre les deux pays ?
Sans tomber dans les clichés, j’ai trouvé ici beaucoup de liberté à pouvoir faire les choses que j’avais envie de faire, ce qui m’a mis en confiance et m’a permis de m’épanouir, d’oser, de progresser. À commencer par mon doctorat que j’ai fait à la New York University, mes livres sur la philanthropie, l’éducation, le cinéma, mon activisme pour les communautés linguistiques et bien d’autres projets. Bien sûr, j’aurais sûrement réussi à trouver de belles choses à faire en France, d’ailleurs mes nouvelles affiliations avec la Fondation Maison des Sciences de l’Homme à Paris et NORRAG à Genève m’amènent à multiplier les initiatives en Europe.
Vous portez actuellement la « révolution bilingue » dans les écoles américaines : le français semble avoir le vent en poupe sur le territoire américain en encourageant les initiatives d’établissement de filières bilingues (cours en français et en anglais) dans les écoles. Quelles sont les vertus observées, avec le recul, de ces filières bilingues pour les élèves qui les suivent ? Quel bilan tirez-vous, à ce stade, de ces programmes, et quels retours en avez-vous ?
Aux États-Unis, on remarque un engouement réel pour l’éducation bilingue qui prend plusieurs formes : en immersion partielle ou totale, en programme double-langue ou dans l’école du samedi. En ce qui concerne notre langue, ce phénomène s’est concrétisé par l’ouverture de filières bilingues français-anglais dans plus de 200 écoles publiques et privées. La demande est forte, les élèves réussissent bien aux tests et aux évaluations nationales, les parents s’engagent pour soutenir ces filières ou en créer de nouvelles s’ils n’en trouvent pas près de chez eux. Bref, c’est très intéressant de participer à cette révolution bilingue.
Est-ce que la promotion du français à l’étranger s’apparente à une « diplomatie d’influence » (le terme n’étant pas entendu comme péjoratif) ? Quels en sont les meilleurs vecteurs : la littérature ? le cinéma ? la chanson ?
La promotion du français, comme pour la promotion des films, des artistes, des auteurs, des échanges universitaires, entre autres, peut sûrement aider à influencer les esprits. J’y vois surtout une manière de mieux les ouvrir, par le dialogue, l’enrichissement de soi et la découverte de l’autre. Je le vois à mon niveau, dans les classes, et c’est très enthousiasmant. La langue sert de point d’entrée vers la culture d’un pays, ses traditions, son peuple.
Est-ce que vous diriez que le français se défend plutôt bien, ou plutôt moins bien que les autres langues étrangères, par rapport à la dynamique de leur diffusion sur le territoire américain ? Et d’ailleurs, que peut-on en dire, de la communauté francophone aux États-Unis ?
La langue française a su conserver sa place de deuxième langue enseignée après l’espagnol aux États-Unis. L’image du français est toujours très positive et véhicule un certain cachet même chez des individus qui ne connaissent rien de la France. La communauté francophone, quant à elle, est vibrante avec près d’1,3 million de locuteurs qu’on retrouve dans les grands centres urbains et dans les zones d’héritage francophone comme la Louisiane et la Nouvelle-Angleterre.
Sur la couverture de votre livre, The Bilingual Revolution: The Future of Education is in Two Languages (TBR Books, 2017) apparaît le mot « multiculture », comme un terme positif parce qu’il implique une ouverture à l’autre, à ce qu’il est. Mais vous n’êtes pas sans savoir que cette notion est vue globalement d’un œil moins favorable qu’en pays anglo-saxons, en France, où l’on chérit le conformisme républicain tout en se méfiant des communautés, soupçonnées parfois de vouloir « pousser » leurs particularismes jusqu’à les faire déborder sur l’espace commun. Est-ce que vous comprenez ces crispations, qui plus généralement peuvent être apparentées à celles ressenties par toutes celles et tous ceux qui, de bonne foi, et sans pour autant avoir l’esprit étriqué, ressentent le « multiculturel » comme une atteinte potentielle à des traditions, à leur identité ? A-t-on un problème spécifique avec le multiculturel en France, en Europe continentale ?
C’est une question complexe. Ce que je peux dire en réponse, c’est que je suis très heureux d’avoir trouvé à New York une société, des politiques, un système scolaire ouvert aux langues et aux cultures des autres, à commencer par ma propre culture et par ma langue. Je m’estime chanceux de voir mes filles suivre leur scolarité en deux langues dans une école publique américaine. Grâce au travail de parents et d’éducateurs bienveillants, elles pourront, comme des milliers d’autres à New York, devenir complètement bilingue, bi-lettrée et biculturelle. C’est une opportunité et elle est proposée à de plus en plus de familles de la ville peu importe leur origine ethnique ou leur statut socio-économique. D’ailleurs, la ville vient d’annoncer la création de 48 écoles bilingues supplémentaires avec des programmes en espagnol, chinois, arabe, français, italien, ourdou, bengalais, allemand, russe, polonais, coréen et, pour la première fois, albanais. J’en ai aidé plusieurs à se monter et j’invite toutes les communautés à suivre le mouvement, comme je l’explique dans mon livre. À mes yeux, cette approche offre un bel exemple de cohésion sociale ; elle favorise la compréhension mutuelle, le respect et la tolérance, tout en permettant le maintien des patrimoines culturel et linguistique de chaque groupe.
The Bilingual Revolution: The Future of Education is in Two Languages (TBR Books, 2017)
Je rebondis sur la question précédente, pour citer une partie du propos de promotion de votre dernier livre, Partenaires inégaux. Fondations américaines et universités en Afrique (Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2018), questionnant sur l’importance de la philanthropie internationale « à une époque où l’enseignement supérieur est à nouveau reconnu comme un moteur de développement économique, que les sociétés du savoir exigent de nouvelles compétences, rendant obsolètes les économies basées sur l’industrie manufacturière... » : est-ce que de fait, ce paradigme tel que posé ne crée pas un « gap » aigu entre anciennes et nouvelles générations, entre jeunes « éduqués » et personnes moins intégrées à l’« économie de demain » ? Comment intégrer pleinement, en évitant de nourrir les frustrations qu’on peut imaginer, toute la masse des gens qui ne sont pas des élites (et le terme n’est pas vu comme péjoratif) au monde de demain tel que celles-ci nous le préparent ?
En ce qui concerne l’exemple des filières bilingues de New York, c’est bien parce que la solution permet de servir, à terme, tous les enfants, avec des parents et des éducateurs travaillant ensemble, que le modèle est remarquable et qu’on parle d’une révolution bilingue. Certes, il y a de nombreux défis à surmonter, comme celui de trouver des enseignants qualifiés et multilingues en nombres, mais je crois qu’on a ici l’opportunité de construire quelque chose d’important, surtout si les institutions, les communautés, voire les nations, collaborent entre elles, comme dans le cas d’échanges d’enseignants par exemple. Pour les fondations américaines impliquées dans le développement des universités en Afrique, c’est là-aussi une question de collaboration, de coordination et de mise en place de stratégies partagées, entre donateurs et récipiendaires, dialoguant de façon équitable pour œuvrer à des solutions de grande envergure certes, mais voulues par tous dans le but de changer un secteur pour mieux servir les jeunes générations.
Partenaires inégaux. Fondations américaines et universités en Afrique
(Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2018)
L’ouvrage traite comme son nom l’indique de la place des fondations américaines dans le financement du système d’éducation supérieure africain : quelles masses cela représente-t-il, et dans quelle mesure cela vient-il pallier les manquements des financements publics ? Surtout, qualitativement parlant, on peut imaginer que ces structures privées, qui sont philanthropiques mais ne versent pas strictement dans l’humanitaire, ont aussi des intérêts identifiables, qu’elles ciblent les formations financées et cherchent à influencer le fond de ce qui est enseigné, par exemple pour former les élites africaines de demain aux vertus de l’économie de marché et en faire des ambassadeurs futurs des manières américaines de faire du commerce. Est-ce que ces fondations sont des fondations qui, clairement, visent aussi à « influencer » ?
C’est une évidence, les fondations cherchent à influencer, que ce soit les universités, les gouvernements, les organisations internationales, voire les autres fondations, l’argent leur permet d’orienter les choses vers leurs idéaux et elles ont développé des stratégies pour y parvenir. Dans le cas du secteur universitaire, le volume des fonds qu’elles investissent n’est proportionnellement pas si important que cela. Mon livre couvre une période de dix ans pendant laquelle une centaine de fondations américaines ont versé 500 millions de dollars dans le secteur universitaire africain. C’est une goutte d’eau comparé au budget total des gouvernements pour l’enseignement supérieur du continent pendant la même période. Malgré tout, ces fondations ont permis de redonner de l’importance à un secteur jusqu’alors délaissé tout en repositionnant les universités africaines comme des moteurs au cœur du développement économique africain.
Le système de fondations philanthropiques privées apportant des financements, portant des causes et « poussant » des formations est infiniment moins développé en France que, par exemple, aux États-Unis, comment l’expliquez-vous ? Est-ce, pour le coup, une question culturelle ? Et est-ce qu’à choisir vous diriez qu’il est toujours, forcément meilleur, que ce soit la collectivité qui finance les formations supérieures quand c’est possible ?
Aux États-Unis, on dénombre plus de 100 000 fondations qui, chaque jour, soutiennent telle ou telle cause, ou des institutions qui œuvrent pour le bien commun. On retrouve les méga-fondations comme celle de Bill Gates et d’autres milliardaires comme Rockefeller, Ford, Carnegie, MacArthur, Mellon, Soros, Hewlett, etc. Cependant, ces dernières ne sont pas les plus représentatives, la majorité des fondations privées sont des organisations familiales, de petite taille, ou des organisations communautaires, servant une région ou une ville en particulier. Ce qui est le plus frappant, c’est que ces fondations ne représentent qu’une petite partie de la philanthropie américaine, majoritairement dominée par des dons d’individus qui soutiennent leur église, leur école ou leur musée, entre autres. Les États-Unis sont une société du don, tradition qui prend sa source avec l’arrivée des premiers colons venus d’Europe, donc très liée à l’individualisme protestant, au capitalisme, et encouragée fiscalement qui plus est. Pour ce qui est du développement des universités aux États-Unis, il se fait principalement par l’apport de la philanthropie, les noms de mécènes sont souvent donnés à un bâtiment, une bibliothèque, un laboratoire. Mais ces dons n’empêchent pas des frais de scolarité élevés qui provoquent l’endettement des étudiants, parfois sur des dizaines d’années, un vrai problème qui, pour moi, montre les limites de ce système.
Quels sont vos projets, vos envies pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?
Je travaille actuellement sur de nouveaux projets de livre. Je viens tout juste de ressortir un essai sur les Odyssées de Stanley Kubrick, en hommage au 50ème anniversaire de la sortie de 2001 : l’Odyssée de l’espace. Je vais sortir un livre sur les linogravures de Raymond Verdaguer, artiste français résidant à New York et qui a, pendant 40 ans, produit des illustrations publiées dans les plus grands journaux comme le New York Times, le Los Angeles Times, Harper’s Magazine et bien d’autres. Enfin, je travaille à l’écriture d’un livre sur l’histoire de la langue française aux États-Unis et j’aide plusieurs auteurs à sortir leur livre aux États-Unis.
Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous, de la trace que vous aurez laissée, après vous, Fabrice Jaumont ?
Je préfère attendre un peu avant de me prononcer, ou laisser passer quelques années. J’ai encore beaucoup de projets à accomplir, d’étapes à franchir pour parler de trace.
Un message pour nos lecteurs ?
Qu’ils me contactent s’ils ont envie de publier un livre aux États-Unis.
Un dernier mot ?
Bravo Nicolas pour votre blog que j’apprécie depuis plusieurs années.
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Valéry Freland : « La francophilie est forte en Nouvelle-Angleterre »
Valéry Freland est depuis septembre 2015 Consul général de France à Boston, soit, le représentant des Français établis dans la région de Nouvelle-Angleterre (États-Unis), dont il doit à ce titre protéger et défendre les intérêts (et cette mission n’est pas vide de sens en ces temps de terrorisme globalisé et imprévisible). Il participe également un peu de ce qu’on appelle la « diplomatie d’influence » française, en ce qu’il est, à l’étranger, aux premières loges de causes aussi importantes pour le rayonnement national que la promotion de la langue et de la culture françaises. Il a accepté, un an et demi après mon interview de Gregor Trumel, ex-Consul général à La Nouvelle-Orléans (il est aujourd’hui rattaché à l’ambassade de France à Alger), de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Je l’en remercie et salue M. Trumel, sans qui le présent article n’aurait sans doute pas vu le jour, et pour la fidélité de nos échanges. Trois objectifs, pour ces articles : 1/ connaître les Français établis à l’étranger et sonder l’état de la francophonie dans le monde ; 2/ positionner la lumière sur de hauts fonctionnaires méconnus mais dont l’action est utile à la nation ; 3/ donner au lecteur, via d’appétissants conseils touristiques, le goût du voyage, ou comme dirait notre regretté Johnny, l’« envie » d’évasion. Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
Q. : 03/10/17 ; R. : 04/12/17.
Valéry Freland: « La francophilie
est forte en Nouvelle-Angleterre »
« Le 15 novembre 2015, cérémonie de recueillement à Boston après les attentats de Paris.
De g. à d. : le Gouverneur du Massachusetts Charlie Baker, la U.S. Sénatrice Elisabeth Warren,
le Consul général de France Valéry Freland, le Maire de Boston Marty Walsh, le Consul général
d’Allemagne Ralf Horlemann. Cette photo a été prise par le photographe Greg Cookland. » DR.
Paroles d’Actu : Valéry Freland bonjour, et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Vous exercez depuis plus de deux ans la charge de Consul général de France à Boston (Massachusetts) et opérez à ce titre sur le territoire des États dits de la « Nouvelle-Angleterre ». Quels furent vos premiers contacts, vos premiers échanges avec les États-Unis, et en quoi l’image que vous en aviez alors a-t-elle évolué au fil du temps ?
Nouvelle-Angleterre, premiers contacts
Valéry Freland : Bonjour et merci de vous intéresser à l’action du Consulat général de France à Boston ! Ma circonscription comprend toute la Nouvelle-Angleterre, à l’exception du Connecticut, rattaché à notre Consulat général à New-York. Je suis donc en charge à la fois de la communauté française et de notre diplomatie d’influence dans cinq États : le Massachusetts, qui, avec Boston pour capitale, est le principal État de la région sur le plan démographique et économique, le Rhode Island, le New Hampshire, le Vermont et le Maine. C’est une région qui, compte tenu de son histoire et de ses paysages notamment, a une forte identité.
Je suis en poste à Boston depuis septembre 2015, mais je suis déjà venu dans cette ville en 1987 et 1990, alors que j’étais encore étudiant, notamment pour un séjour linguistique d’un mois à Tufts University, l’une des principales universités de la région. A l’époque, j’étais tombé amoureux de l’architecture élégante de Boston et des splendides plages de Cape Cod et de l’île de Martha’s Vineyard, qui me rappellent celles de mon enfance, en Charentes. Outre le fait que Boston est souvent présentée comme la « nouvelle Athènes », ce qui est très attirant et stimulant, c’est également la magie de ces paysages que j’ai souhaité retrouver en postulant pour ce poste.
« La force de la réaction américaine après
les attentats de novembre 2015 en France m’a ému
et nous rappelle à quel point nous sommes liés. »
Mes premiers contacts avec les États-Unis, lors de ma prise de poste, ont été marqués par les terribles attentats de Paris de novembre 2015 : j’ai été impressionné et ému par la force de l’amitié américaine exprimée à l’égard du peuple français à cette occasion. Au-delà de nos différences culturelles, des différends qui existent parfois entre nos deux nations qui ont l’une et l’autre une prétention à l’universel – j’ai longtemps traité de cette question lorsque je travaillais sur la notion d’exception culturelle dans le domaine du cinéma – ces évènements tragiques et la réaction américaine nous ont rappelé la force des liens qui nous unissent et notre communauté de valeurs.
PdA : Plusieurs « clichés », quand on considère la Nouvelle-Angleterre : un des cœurs historiques de l’Amérique (Boston) ; de jolis paysages de bord d’océan ; quelques-unes des plus grandes universités du monde ; une population globalement plus « progressiste » que la moyenne nationale (en ce sens, relativement proche des Européens), plus aisée aussi (il y a entre autres l’image des Kennedy)... Dans quelle mesure ces clichés sont-ils vrais ou faux, et que manque-t-il pour une bonne première vision d’ensemble ?
clichés et réalités de terrain
« 250 entreprises françaises contribuent
au dynamisme de l’économie du Massachusetts. »
V.F. : C’est vrai, la Nouvelle-Angleterre, c’est un peu tout cela. Mais c’est aussi une autre dimension que l’on n’a pas forcément en tête en France : Boston n’est pas seulement une ville d’art et d’histoire, c’est également une cité à la pointe de la modernité. Elle dispose aujourd’hui d’un écosystème parmi les plus dynamiques au monde. Sur quelques km², vous trouvez à Boston – et Cambridge, de l’autre côté de la Charles River - parmi les meilleurs et les plus importants au monde centres de recherche, universités, incubateurs, entreprises, financeurs… Le quotidien Le Monde a ainsi titré récemment que Boston était « la capitale mondiale de la biotech » ! La ville accueillera d’ailleurs du 4 au 7 juin prochain le grand rendez-vous de ce secteur, le BIO International Convention, et la France compte bien y être représentée en masse ! Boston est également un centre important de la High-Tech et une cité financière de premier rang (capital-risque, assurances…). Le Massachusetts peut ainsi se flatter d’être aujourd’hui l’État dont l’économie est la plus dynamique des États-Unis ! Et il y a ici environ 250 entreprises françaises qui contribuent à cette croissance et à la force du lien avec notre pays.
PdA : Quel est, à supposer que l’on puisse en établir un, le profil type du Français établi en Nouvelle-Angleterre ? Et combien sont-ils, notamment, à fréquenter ces universités d’élite (Harvard, MIT, Yale...) dont les noms rayonnent dans le monde entier ?
les Français en Nouvelle-Angleterre
V.F. : Nous avons aujourd’hui, pour les cinq États, près de 9000 Français inscrits au registre consulaire, ce qui laisse à penser que le nombre de nos compatriotes tourne autour de 20 000, une grande majorité d’entre eux étant concentrée dans la région de Boston. Nos compatriotes sont ici pour plusieurs raisons : pour y poursuivre des études (à Harvard, au MIT, mais aussi à Boston University, Brown, Tufts, Northeastern… il y a 150 universités et collèges dans la région – Yale étant dans le Connecticut), pour y enseigner, pour travailler comme expatrié dans une grande entreprise française (comme Sanofi, Ipsen, Veolia, Dassault Systèmes, Saint-Gobain, Natixis, Schneider Electric, Keolis, etc.), ou encore y développer leur startup. Cette population est en croissance : plus 4% entre 2016 et 2017.
PdA : Comment se porte la francophonie sur ces terres, qui n’ont jamais été françaises ? Existe-t-il, dans le Massachusetts comme ailleurs, des communautés culturelles francophones vivaces qui réussissent à percer hors de leur cercle de base ? Des livres, des films, des chanteurs et artistes français ou francophones qui ont réussi, récemment, à se faire une place chez les Yankee ? Et de quel « jeu » la diplomatie culturelle française dispose-t-elle en la matière ?
empreintes et implantations « franco »
V.F. : En réalité, peut-être parce que cette terre se nomme la « Nouvelle-Angleterre », on n’imagine pas à quel point la mémoire « française », la francophilie ou la francophonie y sont présents. D’abord, n’oublions pas que le nord de la Nouvelle-Angleterre a été découvert par des Français, qui y ont fait souche : le premier établissement européen dans le Maine a eu lieu en 1604, sur l'île Sainte-Croix, par le saintongeais Pierre Dugua de Mons, et le nord du Maine a par la suite fait partie de la possession française de l'Acadie.
« 20 à 25% des populations du Vermont, du
New Hampshire ou du Maine ont des
origines "françaises". »
Ensuite, il existe dans la région une importante communauté de « Franco », c’est-à-dire de Québécois ou de Canadiens francophones, qui ont émigré dans toute la région de la fin du XIXème siècle aux années 1970, pour des raisons économiques : ils sont venus travailler dans les usines de textile notamment, important leur langue (le français) et leur culture (fortement marquée par le catholicisme). Et si la maîtrise de la langue française a progressivement décliné au sein de cette communauté, son attachement à ses racines reste très vif : on peut le constater notamment dans la région de Lewiston-Auburn, dans le Maine, où existe un très actif « Centre culturel franco-américain ». On estime que 20 à 25% des populations du Vermont, du New Hampshire ou du Maine ont des origines « françaises », comme en témoignent de nombreux patronymes. Imaginez-vous que j’ai parlé français avec le Gouverneur du Maine, d’origine « franco » !
Plus récemment, ont émigrés dans la région des populations francophones venues d’Haïti (100 000 Haïtiens à Boston), du Maghreb ou d’Afrique, notamment des Grands Lacs à Portland (Maine).
Il faut enfin ajouter à cela l’intérêt croissant des familles américaines pour l’enseignement bilingue, notamment français-anglais.
Par conséquent, il n’est pas rare d’entendre parler français dans les rues ou les taxis de Boston ! La vitalité de la francophonie en Nouvelle-Angleterre est le fruit de la profonde transformation, avec les mouvements migratoires contemporains notamment, de la géographie de l’espace francophone.
La francophonie est également un enjeu politique : chaque État la célèbre officiellement un jour de mars, en présence des plus hautes autorités locales et des représentants des communautés « francophones » ou « franco ».
Dans ce contexte, l’une des priorités de ce Consulat général est de faire vivre cette francophonie. Nous nous appuyons naturellement pour cela sur le patrimoine culturel français : à cet égard, les écrivains les plus connus dans la région demeurent les grands classiques de la littérature française, de Victor Hugo à Camus en passant par Proust. On observe également, compte tenu de la présence des universités, un intérêt pour certains penseurs français de la seconde moitié du XXème siècle (comme Foucault, Derrida ou Levi-Strauss…). Mais les écrivains français régulièrement invités au Boston Book Festival suscitent aussi l’intérêt, comme cette année Christine Angot, Christophe Boltanski et Édouard Louis.
En musique, si Aznavour et Piaf restent les références incontournables, certains jeunes artistes français se produisent avec succès à Boston, comme récemment Christine and the Queens, qui chante en français et en anglais. Et on attend Carla Bruni en février prochain !
Au-delà de la culture française, la francophonie vit aussi ici à travers la diversité des cultures du monde francophone.
PdA : Quelles perspectives entrevoyez-vous pour la francophonie aux États-Unis de manière générale ?
la francophonie aux États-Unis
« Nous manquons de professeurs pour enseigner
le français et en français. »
V.F. : Je constate un intérêt substantiel pour l’apprentissage de la langue française en Nouvelle-Angleterre, phénomène sans doute valable pour l’ensemble des États-Unis, en dépit de la forte concurrence d’autres langues, comme l’espagnol ou le mandarin. Cela se traduit notamment par le succès des écoles françaises – nous avons un lycée à Boston et une école dans le Maine et le Rhode Island – des cours en « after school » proposés par les alliances françaises notamment, ou des programmes bilingues des écoles publiques américaines. Le développement de cette offre d’enseignement français ou en français butte toutefois sur le manque de professeurs, enjeu majeur sur lequel nous travaillons.
PdA : Quelques-uns des épisodes les plus marquants de la Révolution américaine se sont déroulés dans la région - je pense notamment au fameux « Boston Tea Party ». On sait quel a été le rôle tenu par la France, par La Fayette notamment, dans la lutte d’émancipation des colons d’Amérique face à la métropole britannique (ce qui au passage contribua à assécher les finances royales et à déclencher la Révolution française, mais c’est une autre histoire). Est-ce qu’on regarde toujours la France d’un œil particulier, par rapport à cela ?
la France et la révolution américaine
« La Fayette est certainement la personnalité
historique française la plus connue et
vénérée en Nouvelle-Angleterre. »
V.F. : Oui, et j’avoue que je ne m’y attendais pas. La Fayette est très certainement la personnalité historique française la plus connue et la plus vénérée en Nouvelle-Angleterre, plus qu’en France d’ailleurs ! Par exemple, chaque année en mai, nous célébrons sa mémoire au pied du monument qui lui est consacré dans le Boston Common, le grand parc du centre de Boston : quel symbole !
Timbre américain en l’honneur de La Fayette. Éd. in 1952.
Ceci m’a donné l’idée de confier à un jeune étudiant français le soin de reconstituer « numériquement » le grand voyage triomphal que La Fayette a fait aux États-Unis en 1824-1825 : vous pouvez retrouver ce trajet sur le site http://www.thelafayettetrail.com. L’objectif ici est double : promouvoir la mémoire de cette figure symbolique de l’amitié franco-américaine et contribuer à l’attractivité touristique de la Nouvelle-Angleterre. Ce projet, qui a vocation à se développer dans tous les États-Unis, a reçu un accueil enthousiaste de la part des autorités locales.
PdA : On reste sur l’Histoire. De qui se composerait votre panthéon des personnalités que vous admirez le plus, et pourquoi ?
références historiques
V.F. : Un personnage historique se distingue nettement pour mo : le général de Gaulle. C’est d’ailleurs sans doute parce que je me faisais, et me fais toujours, une certaine « idée de la France », de sa culture, de ses valeurs, de son rôle sur la scène internationale, que j’ai embrassé la carrière diplomatique. J’admire l’écrivain, l’homme d’Etat et le personnage historique. Je suis fasciné par l’intelligence de situation d’un homme qui, de formation très classique, a su faire entrer la France dans la modernité. Ses mémoires demeurent d’une étonnante actualité.
« Aurais-je été aussi brave que ces hommes ? »
Et puis, de manière générale, j’admire ceux qui par leur courage ont, au quotidien, pesé sur le cours de l’histoire. Je pense notamment à ces vétérans américains de la seconde Guerre mondiale à qui j’ai remis ces derniers mois les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur. À chaque fois, je me dis : aurais-je été aussi brave qu’eux ?
« Remise de la Légion d’Honneur à trois vétérans de la deuxième Guerre mondiale
à Providence, Rhode Island, à l’occasion des fêtes du 14 juillet 2017. » DR.
PdA : On change de sujet, sans transition... un peu violent, mais la violence est tellement inhérente à ce sujet... C’est la question du terrorisme, malheureusement omniprésente dans les esprits aujourd’hui, au Moyen-Orient bien sûr, en Europe, et aux États-Unis notamment. Boston avait, elle, été touchée, on se rappelle les bombes lors du marathon de 2013 qui avaient fait trois morts. Est-ce que vous sentez que la peur du terrorisme tient aujourd’hui une place plus importante, lorsque vous échangez avec les Français dans le cadre de vos activités auprès du consulat, ou bien en général, dans les rues de Boston ou autre ? Et est-ce qu’en tant que diplomate, vous sentez sur vous le poids d’une responsabilité particulière en ces temps troublés ?
le consulat face au terrorisme global
V.F. : Un consulat général a toujours une responsabilité particulière vis-à-vis de la communauté française : celui de veiller à sa sécurité. C’est naturellement, dans le contexte actuel, une absolue priorité. Il ne s’agit pas d’entretenir un sentiment d’inquiétude, mais de redoubler de vigilance et de nous tenir prêts. C’est ainsi que nous mettons régulièrement à jour notre plan de sécurité, qui doit nous permettre de répondre aux risques naturels, industriels ou terroristes qui peuvent frapper une région comme la Nouvelle-Angleterre. Nous y travaillons avec les différents représentants de notre communauté et en lien étroit avec les autorités américaines.
PdA : Petit aparté : je lis dans votre bio que vous avez débuté votre carrière au CSA, il y a une vingtaine d’années. Est-ce qu’un outil comparable de régulation existe aux États-Unis, au niveau fédéral ou peut-être des différents États et, si non, diriez-vous que ce serait souhaitable ?
la régulation de l’audiovisuel
V.F. : J’ai effectivement commencé ma carrière comme juriste au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), de 1994 à 1997, et ai fait mon mémoire de DEA sur « la notion de régulation audiovisuelle en droit public français ». Mais tout cela me semble un peu lointain ! Il existe aux États-Unis une instance de régulation, la Federal Communications Commission, créée en 1934 et chargée de réguler les télécommunications ainsi que certains contenus. Son champ d’intervention couvre grosso modo celui du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel et de l’Autorité de Régulation des Télécommunications électroniques et des Postes (ARCEP). Au-delà, les modèles français et américains restent relativement différents : pour plus d’informations, je vous renvoie au site du CSA !
PdA : Retour à Boston, mais on va quitter un peu votre bureau... Pour cette question, j’aimerais comme je l’avais fait avec Grégor Trumel, qui était jusqu’à cet été consul général à La Nouvelle-Orléans, vous inviter à devenir l’espace d’un instant, pour Paroles d’Actu, un « guide de luxe ». Considérons quelqu’un, un Français, qui aurait envie de découvrir les États de la Nouvelle-Angleterre et se serait assigné une semaine pour ce faire : que devrait-il absolument voir et visiter ? Quelles bonnes adresses à ne pas manquer, à Boston et ailleurs ?
voyage en Nouvelle-Angleterre
V.F. : D’abord, une semaine c’est sans-doute trop court pour visiter toute la Nouvelle-Angleterre : n’oublions pas qu’il y a près de 600 kms entre Newport (Rhode Island), au sud de ma circonscription, et l’Acadia National Park, dans le nord du Maine, à la frontière canadienne. Et je pense que, lorsqu’on voyage, il faut prendre le temps de flâner, de rencontrer les gens, « d’humer le pays ».
À Boston, mes lieux favoris sont les quartiers historiques – et élégants - de Beacon Hill et de Back Bay, le Museum of Fine Arts, qui dispose d’une remarquable collection, et le Isabella Stewart Gardner Museum, palais et cloître vénitiens d’un charme absolu. La Kennedy Library et l’Institute of Contemporary Art (ICA) sont également deux magnifiques bâtiments au bord de l’eau. Je vous engage aussi à faire du vélo le long de Charles River, afin d’admirer la silhouette de Boston et de découvrir Harvard et le MIT, mais aussi de suivre la piste cyclable « Minute man » qui vous conduira jusqu’à Concord, charmante ville historique à 20 milles de Boston. Je suggère également une étape au nord de Boston, du côté des villes historiques et charmantes de Salem – le Peabody Essex Museum et ses collections de porcelaine et sa traditionnelle maison chinoise - Marblehead et Rockport, et le long des plages de Cape Ann.
Depuis Boston, on peut se rendre en bateau à Provincetown, principale ville de Cape Cod : vous pourrez y louer des vélos et parcourir les pistes cyclables qui traversent les pinèdes et longent de magnifiques plages. Descendez vers le sud et rejoignez en bateau, depuis Woods Hole (Massachusetts), les îles de Martha’s Vineyard et Nantucket, ou visitez Providence, siège de Brown University, et Newport, et ses splendides mansions.
Phare de Martha’s Vineyard, DR.
Visitez également les Berkshire, dans l’ouest du Massachusetts : le Clark Museum, Williams College, le MassMOCA - pour les amoureux d’art contemporain - le Rockwell Museum - pour l’art POP américain - ou encore la demeure The Mount, pour les admirateurs d’Edith Wharton.
Dans le New Hampshire, arpentez le charmant village de Woodstock (pas celui du festival, ndlr) et les White Mountains et leurs lacs aux eaux limpides. Dans le Maine, visitez Portland et sa baie, puis longez vers le nord la côte déchiquetée, parsemée de villages de pécheurs, jusqu’au Acadia National Park. Là, visitez la maison de Marguerite Yourcenar à Mount Desert. Traversez le Vermont et ses paysages de collines jusqu’à Burlington, sur les bords du Lake Champlain, et arrêtez-vous au Shelburne Museum.
Les White Moutains, DR.
Enfin, n’hésitez pas à visiter les différents lieux de mémoire « Franco » (Woonsocket (RI), Lowell (MA) ou Lewiston (ME), pour découvrir la vie de cette communauté francophone de Nouvelle-Angleterre.
PdA : Quand vous regardez dans le rétro, vous êtes fier du parcours accompli jusqu’à présent ?
un bilan
V.F. : Je suis plus fier de ce que j’ai fait de concret, au cours de mes différents postes, que de mon parcours en tant que tel. Fier notamment de ce qu’avec mon équipe nous avons fait en Tunisie, où j’étais Conseiller de coopération et d’Action culturelle de 2010 à 2013, au lendemain de la Révolution, pour renforcer les liens entre les sociétés civiles tunisienne et française. Ici, encore, à Boston, nous avons organisé deux symposiums, l’un sur « diversité et intégration », avec des étudiants de la Harvard Kennedy School, l’autre sur « l’éducation pour l’égalité femmes-hommes », avec Wellesley College, afin d’apporter notre modeste contribution au dialogue franco-américain sur ces questions et au combat pour l’égalité.
PdA : Vos envies, vos projets pour la suite ? Que peut-on vous souhaiter ?
what’s next ?
V.F. : Je suis encore à Boston pour près de deux ans : il y a encore beaucoup de choses concrètes à faire pour renforcer les liens économiques, universitaires et scientifiques entre nos deux pays, et promouvoir la francophonie dans la région. Souhaitez à mon équipe et moi-même plein succès dans nos projets !
« Lors de l’inauguration d’un nouveau bâtiment du Lycée International de Boston,
avec l’ambassadeur de France à Washington Gérard Araud, quelques élèves, des membres
du Conseil d’administration de l’école et des représentants de l’entreprise française
Dassault Systèmes, en octobre 2017. » DR.
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Gregor Trumel : « La Louisiane a vocation à être le fer de lance de la francophonie aux Etats-Unis »
Au début de cette année d’élection(s) aux États-Unis, j’ai eu envie, sans en savoir trop du « qui », du « quand » ou du « comment », de consacrer quelques articles à ce pays, objet de fascination depuis toujours. La première publication Paroles d’Actu de 2016, ce fut une interview de la politologue franco-américaine Nicole Bacharan. Pour le présent article, c’est le Consul général de France à la Nouvelle-Orléans (Louisiane), Grégor Trumel, qui a accepté de répondre à ma sollicitation. Je l’en remercie, ainsi que Meagen Moreland-Taliancich, attachée de communication auprès du consulat général. Les réponses aux questions posées me sont parvenues sous la forme de fichiers audio, la seconde interrogeant le premier. Chacun de ces fichiers est inclus à l’article, qui est constitué des retranscriptions écrites que j’en ai faites et des photos sélectionnées et commentées par Grégor Trumel. Parmi les thèmes abordés : un bilan de l’après-Katrina, un regard sur la cession par Bonaparte de la Louisiane aux États-Unis, quelques bons conseils culturels, touristiques et gastro et, fil rouge de cet entretien, l’état de la francophonie sur ces terres anciennement françaises. Enjoy... pardon... bonne lecture ! ;-) Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche.
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D’ACTU
« La Louisiane a vocation à être le fer de lance
de la francophonie aux États-Unis »
Interview de Grégor Trumel
Q. : 17/02 ; R. : 12/04.
Paroles d’Actu : Bonjour Grégor Trumel, merci de m’accorder cet entretien pour Paroles d’Actu. J’aimerais pour cette première question vous demander, évidemment en votre qualité de Consul général de France à La Nouvelle-Orléans, de nous raconter ce qu’ont été vos premiers contacts « physiques » avec les États-Unis de manière générale ; avec la Louisiane en particulier ?
>>> AUDIO <<<
Grégor Trumel : Merci de m’accorder cet interview, je suis toujours très heureux de m’exprimer sur la Louisiane, un État que je chéris et où j’aime servir chaque jour. J’étais venu pour la première fois aux États-Unis en 1992, j’avais dix-sept ans. J’étais encore au lycée et mes parents avaient organisé un voyage fantastique dans l’ouest des États-Unis (Californie, Utah, Nevada, et je crois un peu du Nouveau-Mexique). C’était vraiment fantastique ; c’était mon premier contact, et je n’oublierai jamais ce voyage. J’avais bien sûr envie de retourner aux États-Unis ensuite, et j’y suis allé plusieurs fois après, une fois que je suis devenu diplomate (à New-York et à Washington en particulier). J’ai toujours été fasciné par les États-Unis, par la culture américaine et, bien entendu, ce qu’elle incarne.
S’agissant de la Louisiane, j’y suis arrivé pour la première fois pour prendre mes fonctions, en août 2014. C’était vraiment un vœu très cher pour moi de venir en poste à La Nouvelle-Orléans et en Louisiane, et j’étais vraiment très fier et très heureux d’être nommé Consul général par le président de la République. Mes premiers contacts ont évidemment été à La Nouvelle-Orléans, et j’ai bien sûr été fasciné par la beauté de la ville, par sa richesse architecturale et culturelle. Également par les gens : leur accueil, leur chaleur, leur gentillesse, leur politesse et, très sincèrement, leur grande francophilie. Très vite après mon arrivée, je ne suis pas resté à La Nouvelle-Orléans, je suis allé à Lafayette, à Arnaudville, dans le pays cajun. Puis j’ai « rayonné », pendant la première année, partout en Louisiane. Évidemment, la culture, on en parle, la musique me fascine mais également les paysages qui sont fantastiques et absolument uniques. Donc, vraiment, c’était un vieux rêve de venir ici et je ne pensais pas réaliser ce rêve aussi tôt et aussi jeune !
« Lundi le 22 février 2016, l’Ambassadeur de France aux États-Unis, Monsieur Gérard Araud, a fait sa première visite officielle en Louisiane. Au cours de ce voyage, l’Ambassadeur a souligné le succès de l’éducation française dans l’État, ainsi que le dynamisme des partenariats économiques entre la France et la Louisiane. L’Ambassadeur a également mis l’accent sur les progrès effectués par La Nouvelle-Orléans depuis l’ouragan Katrina. »
PdA : Il y a dix ans et demi, en août 2005, La Nouvelle-Orléans était frappée de plein fouet par Katrina, ouragan cataclysmique de sinistre mémoire. Quelle est la situation aujourd’hui : la ville a-t-elle peu ou prou réussi à « panser ses plaies » et la vie à reprendre ses droits dans chacun des quartiers ? quelles sont les décisions, les mesures qui ont été prises pour s’assurer que, face à un nouvel épisode météorologique similaire, les conséquences sur la ville et les populations ne puissent égaler celles de Katrina ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : Oui, en effet, Katrina a été un véritable cataclysme, une tragédie humaine qui, comme le dit le maire de La Nouvelle-Orléans lui-même, n’est pas « seulement » une catastrophe climatique mais une catastrophe due à l’Homme. Il y a eu 1.800 morts en Louisiane, largement à La Nouvelle-Orléans, et c’est vraiment un traumatisme. D’ailleurs, les habitants de La Nouvelle-Orléans, quand ils s’expriment, disent toujours, « Avant Katrina », « Après Katrina »... C’est vraiment devenu un repère dans le temps. Cela signifie aussi qu’il y avait vraiment un « avant-Katrina » à La Nouvelle-Orléans comme il y a aujourd’hui un « après-Katrina ». C’est évidemment une tragédie qui a touché une grande part de la population ; ce fut également un traumatisme pour les personnes qui ont été évacuées - un million de personnes évacuées, ce qui est tout de même inouï, inédit dans l’histoire des États-Unis et, je dirais même quasiment, dans l’histoire récente du monde occidental.
Aujourd’hui, La Nouvelle-Orléans est sur une pente ascendante. D’abord, la ville et les autorités de l’État ont pris beaucoup de mesures pour éviter qu’une telle catastrophe ne se répète. On est à peu près sûr qu’un ouragan fort comme Katrina, ou même encore plus fort que Katrina, va arriver, c’est une question de temps – on est en Louisiane, dans une zone subtropicale. En revanche, le système de crise, de « crisis management » comme on dit, a été énormément amélioré. Le consulat général est en contact, évidemment pour la sécurité de la communauté française en particulier, très régulièrement avec eux. C’est très moderne, très bien fait : ces gens sont de grands professionnels qui travaillent en lien avec toutes les institutions de la sécurité et qui pourront intervenir dans la sécurité civile, y compris avec Bâton-Rouge, au niveau donc de l’État. Les digues ont été renforcées, des écluses ont été construites, et il y a une prise de conscience, en effet, que La Nouvelle-Orléans est une ville vulnérable sur le plan climatique.
La ville aujourd’hui a donc changé, c’était aussi une époque où la Ville a failli. La question de la disparition de la ville a même été posée. À l’époque, son existence-même à cet endroit, entre le lac Pontchartrain et le fleuve Mississippi a été questionnée. Aujourd’hui, La Nouvelle-Orléans a pris conscience de la richesse de sa culture, de son caractère unique, du fait qu’elle est une ville de classe mondiale, une ville extrêmement connue, qui a un rôle culturel très important à jouer dans le monde, un rôle qui dépasse largement son poids économique et sa population. Un rôle mondial. Ça a donc été un électrochoc. Aujourd’hui la ville est sur une pente ascendante sur le plan économique, sur le plan culturel. La population ré-augmente à nouveau, beaucoup de gens viennent s’installer ici, même s’il faut bien reconnaître que tout le monde n’est pas revenu à La Nouvelle-Orléans. Il y a des catégories de population, notamment parmi les plus fragilisées, les plus pauvres, qui ne sont pas revenues à La Nouvelle-Orléans. C’est un enjeu pour la ville de faire revenir les néo-orléanais, pour qu’ils puissent prendre part à la reconstruction de la ville et regagner leur communauté aux côtés des nouveaux habitants qui viennent ici parce qu’ils comprennent que c’est un magnifique art de vivre, un endroit superbe pour s’épanouir, faire des affaires... et vivre.
« Le consulat général a activement participé aux commémorations des dix ans de l’ouragan Katrina. Le maire Mitch Landrieu avait prévu pour cette semaine de commémorations des moments forts de souvenir, mais aussi des débats, des rencontres publiques, des évènements au cœur de la ville. Le Consul général de France a eu le grand honneur de prononcer un discours de réponse au maire, sur l’engagement de la communauté internationale dans la reconstruction de la ville. »
PdA : Quelles sont, en 2016, les traces qui demeurent du passage et de l’influence françaises sur, respectivement : 1/ l’immense territoire qui constitua naguère la grande Louisiane française ; 2/ l’actuel État de Louisiane ; 3/ La Nouvelle-Orléans ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : Je vous parlerai surtout de la Louisiane, puisque je suis compétent pour la Louisiane. Je me suis évidemment déplacé en-dehors de la Louisiane, j’ai vu en effet des noms français partout, que ce soit dans le Mississippi, en Alabama... tout le long en fait de la vallée du Mississippi. Je ne suis jamais allé dans le Minnesota mais, même dans la région des Grands Lacs et dans le nord-ouest des États-Unis, il y a des villes avec des noms français.
Pour la Louisiane, je peux vous dire que l’héritage français est vraiment omniprésent. Les noms des villes, les noms des gens, le nombre de francophones, très élevé – on l’estime à entre 200 et 250 000 personnes, en particulier dans le pays dit « cajun », l’Acadiana... Évidemment, on retrouve aussi dans l’art de vivre le goût pour la gastronomie, le goût pour les bons restaurants... et Mardi-Gras, qui quand même est une tradition qui vient de la France. En passant par la Caraïbe, il faut le reconnaître. Mais française, ne serait-ce que par son nom, nom français. Je dirais aussi, bien entendu, l’architecture... L’héritage français est vraiment partout, je pense aux écoles - 5.000 élèves dans des écoles françaises, 30 écoles en immersion françaises, des dizaines de professeurs qui viennent travailler ici, enseigner dans les écoles...
« Du 29 mars au 1er avril 2015, la Louisiane a accueilli la conférence annuelle de l’Association internationale des maires francophones (AIMF), qui se tenait pour la première fois aux Etats-Unis. Mme Anne Hidalgo, maire de Paris et présidente de l’AIMF, a présidé cette réunion. Le 30 mars, la délégation des maires de l’AIMF a participé à une soirée organisée en leur honneur au "Nunu Arts and Culture Collective" à Arnaudville. »
À La Nouvelle-Orléans, ne serait-ce que, c’est vrai, le nom des rues : « Bordeaux Street », « Rue Toulouse », « Rue Chartres », le quartier du « Marigny »... vraiment le français est partout. Je pense qu’il y a un bon pourcentage, peut-être un tiers, des Louisianais et des habitants de La Nouvelle-Orléans qui ont un nom français ou qui déclarent avoir un ancêtre français. Et c’est vraiment une fierté ici, et c’est aussi une très forte affection pour la France et la culture française. Une affection réciproque puisque nous avons en France énormément d’intérêt et d’affection pour la Louisiane, et il n’y a pas une semaine sans qu’il y ait à la Nouvelle-Orléans ou en Louisiane une équipe de journalistes ou de télévision française qui vient pour faire un reportage ou préparer un article.
PdA : Trois questions qui touchent à l’Histoire :
Quel regard portez-vous sur la décision de cession par Napoléon Bonaparte de la Louisiane française aux États-Unis en 1803 ? Vous prenez-vous, parfois, à imaginer ce qui serait advenu par la suite si cette vente n’avait eu lieu ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : On dit toujours, « avec des si on peut mettre Paris en bouteille », ou que, si le nez de Cléopâtre avait été différent, la face du monde en eût été changée... Bon, évidemment, votre question, j’y ai moi-même réfléchi souvent. Napoléon Bonaparte est ici un véritable héros, une figure adorée. Il y a la rue Napoléon à La Nouvelle-Orléans, la Napoleon House dans le Vieux carré... c’est vraiment un personnage très, très connu. En même temps, la relation est ambiguë puisque c’est lui qui a vendu la Louisiane aux États-Unis, donc certains se demandent en effet si c’était une bonne décision et si aujourd’hui les grands États-Unis ne parleraient pas français si Napoléon n’avait pas vendu la Louisiane.
En réalité c’était une décision à mon avis difficilement évitable. La France avait beaucoup de mal à peupler la Louisiane. Il y avait trop peu d’émigrés français en Louisiane alors que les colonies britanniques attiraient beaucoup plus de colons et de pionniers britanniques. On peut donc se demander si cette colonie eût été durable et soutenable sur le long terme. Et puis, d’après ce que j’ai lu, c’était aussi une colonie assez coûteuse, qui n’était pas encore très rentable. Or Napoléon, comme on le sait, finançait les guerres en Europe. Donc, finalement, Napoléon a vendu la Louisiane. Il n’y a pas eu d’effusion de sang, il n’y a pas eu de mort, ni de guerre. Peut-être cette appropriation de la Louisiane par les États-Unis serait-elle intervenue plus tard, on ne sait pas à quel prix. Et puis aujourd’hui, finalement, on garde une forte tradition française, une grande culture française aux États-Unis à travers la Louisiane. Et comme j’aime à dire en français, « La Louisiane est the francophone hub of the United States ». Il reste un magnifique héritage. Il est difficile pour moi de remettre en cause la décision du grand empereur des Français Napoléon Bonaparte.
PdA : Un siècle et demi après la Guerre de Sécession et cinquante années à peine après la disparition de la question des droits civiques en tant qu’objet de débats et oppositions passionnés, la Louisiane est-elle aujourd’hui une terre plus apaisée sur le front du « vivre ensemble » ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : Je suis un diplomate français aux États-Unis, je n’ai pas à m’exprimer sur la politique intérieure ou la situation politique du pays dans lequel je réside, ça ne se fait pas, ce n’est pas de coutume. Je ne m’exprimerai donc pas en particulier sur cette question. Juste pour vous dire qu’en Louisiane, ce que je constate, c’est que les populations, les différentes communautés, qu’elles soient blanches ou afro-américaines, font des choses ensemble, vivent ensemble, vont aux concerts ensemble... C’est assez évident par exemple à travers la musique ou à travers les festivals, c’est mélangé. Je ne veux pas, et je ne souhaite pas, comparer avec d’autres États du sud des États-Unis que je ne connais pas et sur lesquels je ne suis pas compétent pour m’exprimer. Ce que je peux constater, c’est qu’en Louisiane, les gens sortent ensemble, vivent ensemble. C’est une richesse. On parle de melting pot pour les États-Unis, en Louisiane on parle de « gombo », le gombo étant cette soupe spécifique et traditionnelle de Louisiane. La culture louisianaise est vraiment une culture diverse : d’origine française, afro-américaine, espagnole, caraïbe, amérindienne... avec des influences néerlandaise, allemande, britannique bien entendu, et c’est un État du sud. C’est donc une culture très riche et c’est cette diversité qui fait toute la richesse de la culture louisianaise.
PdA : Si vous deviez sélectionner, disons, trois personnalités historiques que vous respectez et qui vous inspirent particulièrement, côté français puis côté américain ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : Alors, côté français, je pense d’abord à celui qui a découvert vraiment la Louisiane et qui l’a baptisée, Robert Cavelier de La Salle. Un explorateur un peu fou et qui d’ailleurs a fini par mourir en recherchant à nouveau la Louisiane sur les côtes du Texas. C’est vraiment un personnage fascinant, qui venait de Rouen, comme mon père, en plus. Évidemment, je pense au général de Gaulle, qui a incarné la France dans les moments les plus difficiles, et qui est venu à la Nouvelle-Orléans où il a laissé un très grand souvenir. Son nom d’ailleurs est celui d’un boulevard de la ville. Et puis un de mes écrivains favoris, un homme que j’admire beaucoup, puisqu’il conciliait qualité littéraire à qualités d’artiste et d’engagement, André Malraux, qui est un modèle absolu pour moi et qui figure dans mon panthéon.
Côté américain, je me permettrai d’en donner quatre. D’abord, j’admire Martin Luther King, il s’est battu pour l’égalité et les droits civiques, sans violence, et j’ai visité le musée des Droits civiques à Memphis et je vous recommande d’y aller. Ce n’est pas en Louisiane mais c’est vraiment, absolument fascinant. Je pense au président Franklin Delano Roosevelt, qui a dirigé les États-Unis dans des moments si difficiles, la grande crise des années 30 et, ensuite, la Deuxième Guerre mondiale. Il était un très grand président, avec des idées économiques très avancées puisqu’il est le premier à avoir lancé le New Deal. Il est vraiment l’un des pères, en réalité, de la politique moderne. Permettez-moi de citer un auteur du sud, un des auteurs qui m’ont fait venir et donné envie de venir dans le sud des États-Unis, William Faulkner, qui, bien que de Oxford, Mississippi, a résidé dans sa jeunesse à la Nouvelle-Orléans où il a écrit quelques nouvelles absolument délicieuses, dont Croquis de La Nouvelle-Orléans que je recommande (aux éditions Gallimard). Et puis, enfin, je citerai un grand Américain, a true American, un grand musicien que j’adore et qui me touche beaucoup, Johnny Cash. Ses paroles sont fortes, sombres ; sa musique somptueuse, si américaine et si universelle, me bouleverse.
PdA : Qu’est-ce qui caractérise les populations françaises qui vivent dans les territoires dont vous avez la charge, si tant est que l’on puisse en extraire des traits communs ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : Les Français de Louisiane sont de plus en plus nombreux. Si je devais les caractériser, je dirais que ce sont des Français assez jeunes. Beaucoup sont venus via l’enseignement et l’éducation. Ce sont des Français très intégrés dans la société américaine et dans la communauté louisianaise. Beaucoup de couples mixtes, ils vivent donc à l’heure française et américaine. Ils sont dynamiques, souvent informels, entreprenants... bref, ce sont des Français d’Amérique.
PdA : La culture française contemporaine (littérature, musique, cinéma...) réussit-elle à percer dans ces régions - j’entends, évidemment, auprès de non-francophones ? Quelques exemples qui vous viendraient à l’esprit ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : La Louisiane, donc, a beaucoup d’« accroches » culturelles avec la France. Mais c’est vraiment qu’il n’est pas évident pour des artistes français – musiciens, cinéastes, écrivains... - d’être diffusés ici en Louisiane. Cependant, nous faisons de notre mieux au consulat général pour aider et promouvoir la culture et les artistes français ainsi que les industries culturelles françaises. D’abord, il y a beaucoup de films qui se tournent en Louisiane, donc quelques films, feuilletons, reportages français se sont tournés en Louisiane. Bertrand Tavernier avait fait un magnifique film, Dans la brume électrique, tourné en Nouvelle-Ibérie. Et puis il y a des festivals : le Festival du film français de la Nouvelle-Orléans rencontre beaucoup de succès. La musique ; dans les festivals, il y a des groupes français qui viennent jouer. Nous avons par exemple des groupes antillais qui viendront jouer prochainement au Festival international de Louisiane à Lafayette, puisque la Louisiane est aussi en partie un membre de l’espace créole – disons, caraïbe francophone. Et nous faisons venir également des écrivains dans les universités, etc. Mais il est vrai que nous avons du pain sur la planche pour que des milliers de Louisianais achètent des disques ou lisent des livres français...
PdA : De manière plus générale, parvenez-vous à rester optimiste quant aux perspectives de la francophonie sur le territoire des États-Unis ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : Oui, absolument. Les États-Unis, où l’on parle évidemment l’anglais, langue mondiale et langue de la mondialisation, ont un avantage dans leur développement, notamment économique, pour leur influence politique et culturelle, à travers leur culture et leur langue. Cependant, les Américains se rendent compte que le bilinguisme est vraiment un atout et quand on pense au pense au bilinguisme aux États-Unis, on pense au bilinguisme franco-anglais en Louisiane, et clairement la Louisiane a un rôle à jouer comme fer de lance de la francophonie aux États-Unis. Nous travaillons beaucoup dans ce domaine, en aidant les écoles et en promouvant notre langue et en aidant ceux qui veulent faire revivre, renforcer la francophonie louisianaise. C’est clairement une de nos priorités culturelles. On considère que le français en Louisiane, c’est 13 000 emplois, le commerce entre la France et la Louisiane 3 milliards de dollars par an dans les deux sens, donc quelque chose d’important. Comme on dit en bon français : « French culture is fuel for growth in Louisiana ».
« Intervention aux côtés du Gouverneur John Bel Edwards, du Lieutenant-Gouverneur Billy Nungesser, du Surintendant pour l’Education John White et de nombreux parlementaires et personnalités officielles au lancement d’un nouveau programme en immersion à l’école élémentaire de Rougon, dans la paroisse de Pointe Coupée (vendredi 15 avril 2016). »
PdA : Je lis dans votre bio que vous êtes passionné de musique de Louisiane (ce qui tombe bien) et notamment de morceaux de types « cajun, Zydeco, rythm ‘n blues ». Voulez-vous nous citer quelques titres et noms d’artistes pour nous inviter à les découvrir ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : Franchement, c’est vraiment sincère : ça fait des années que j’aime la musique cajun, Zydeco de la Louisiane, c’est vraiment une des raisons qui font que j’ai postulé pour être consul général en Louisiane. Il y a les classiques, disons les anciens et les nouveaux. Je peux vous dire en tout cas que cette culture musicale est une des raisons du dynamisme de la francophonie en Louisiane et de la popularité de la culture française en Louisiane, à travers la musique et donc la fête, les festivals etc. Côté cajun je ne peux évidemment que vous recommander d’écouter les disques de Zachary Richard bien entendu, ils sont excellents. Zachary est un bon ami qui est extrêmement actif pour la francophonie et pour la défense de l’environnement. Il publie des disques fantastiques, toujours inspirés et magnifiques. Je vous recommande par exemple son album Le Fou, qu’il a sorti il y a deux ou trois ans et qui est absolument somptueux. Il y a aussi des jeunes groupes fantastiques comme par exemple Lost Bayou Ramblers, Feufollet, Bonsoir Catin, des groupes qui innovent avec de la musique cajun à laquelle ils injectent du punk rock, de la pop, de la folk... vraiment fantastique. Pour le Zydeco, vous avez Cédric Watson, un jeune qui est vraiment très, très doué. Bruce Sunpie Barnes, lui aussi extrêmement doué. Et puis, pour le rythm ‘n blues, moi je préfère les classiques : j’adore par exemple Professor Longhair. Ou aussi, plus dans le funk, Doctor John. Toujours aussi bon...
PdA : Je souhaiterais, pour cette dernière question, vous proposer de jouer, l’espace d’un instant, le rôle de « guide de luxe » auprès de ceux de nos lecteurs qui, lisant cet article, aimeraient s’en inspirer pour leur séjour à venir dans le sud des États-Unis : quelle « journée idéale » à La Nouvelle-Orléans nous suggéreriez-vous (visites et restaurants compris) ?
>>> AUDIO <<<
G.T. : Déjà, si vous venez à La Nouvelle-Orléans, vous serez parmi les milliers de chanceux qui, tous les ans, viennent visiter La Nouvelle-Orléans, puisqu’on considère qu’il y a 90 000 Français qui viennent visiter la ville et le sud de la Louisiane tous les ans. Encore plus de Canadiens, beaucoup d’Anglais, Allemands, Espagnols, etc. Je crois que La Nouvelle-Orléans est la deuxième ville la plus touristique des États-Unis. N’hésitez pas à rester une bonne semaine, puisqu’il y a beaucoup de choses à faire, et c’est toujours bien de sortir de La Nouvelle-Orléans. Alors, il faut évidemment visiter le Vieux Carré, absolument magnifique. Il y a de très bons restaurants. Vous pouvez aller au Tableau. Vous pouvez aller chez Muriel. Vous pouvez aller à Bayona. Chez Compère Lapin, délicieux restaurant créole. Il faut aussi aller voir le Garden District et ses magnifiques demeures, la Mousse espagnole, les arbres somptueux qui font une galerie au-dessus de la rue Prytania, par exemple, où vous trouverez la résidence du consul général. Je vous conseille d’aller voir le Mississippi sur la promenade Moonwalk, juste au bord du Mississippi en face de Jackson Square. Vous pouvez aussi visiter le quartier un peu moins touristique et aussi très joli du Marigny, les quartiers en rénovation qui se développent comme Trémé, Bywater... Franchement, je vous recommande d’aller visiter les bords du lac Pontchartrain, d’aller faire un tour au City Park, d’aller voir de magnifiques œuvres d’art au musée Noma. Vraiment énormément de choses à faire. Et n’oubliez pas de louer une voiture, d’aller vous promener dans les bayous, d’aller à Lafayette, à la Nouvelle Ibérie, à Arnaudville... vous trouverez des artistes innovants. Vous trouverez à Pont-Beaux (Breaux Bridge en anglais) une musique authentique, une cuisine authentique, et ce sens incroyable de l’hospitalité, et la chaleur humaine des Louisianais...
Meagen Moreland-Taliancich, attachée de communication au consulat général de France en Louisiane.
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Et vous, Français ou francophiles installés à l’étranger,
comment se porte la francophonie chez vous ?
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Hélène Conway-Mouret : "J'ai toujours été en phase avec le président"
Hélène Conway-Mouret vient de retrouver son siège au Sénat. Il y a deux mois, elle faisait encore partie du gouvernement, celui de Jean-Marc Ayrault. Rattachée au Quai d'Orsay, à Laurent Fabius, elle était jusqu'alors en charge des questions touchant aux Français établis à l'étranger. Pas exactement un rôle de composition pour cette femme politique au profil atypique : l'ouverture aux autres cultures, c'est, pour elle, une histoire de cœur autant que de convictions. L'amour qu'elle porte à l'Irlande, à l'idée européenne est ancien.
Elle n'a pas - c'est le moins qu'on puisse dire - été, parmi les ministres, la plus médiatisée. Son parcours, ses idées, son message mériteraient pourtant d'être entendus. Elle a accepté, quelques jours après la libération des journalistes français retenus en Syrie, de répondre à mes questions pour Paroles d'Actu. Et de revenir, un peu plus tard, sur des propos polémiques qui lui ont été prêtés par le Nouvel Obs' au sujet de François Hollande. Je l'en remercie... Une exclusivité Paroles d'Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. EXCLU
ENTRETIEN EXCLUSIF - PAROLES D'ACTU
HÉLÈNE CONWAY-MOURET
Sénatrice représentant les Français établis hors de France (2011-12, puis depuis le 3 mai 2014)
Ex-ministre déléguée chargée des Français de l'étranger (21 juin 2012 - 31 mars 2014)
« J'ai toujours été en phase
avec le président »
(Source des photos : H. Conway-Mouret)
Q. : 21/04/14 ; R. : 21/05/14
Paroles d'Actu : Bonjour, Hélène Conway-Mouret. Enfin... Ils sont enfin libres. Édouard Élias, Didier François, Nicolas Hénin et Pierre Torres sont rentrés sains et saufs de l'enfer de leur détention par des membres du groupe islamiste radical E.I.I.L., en Syrie. (Quelques heures après la rédaction et l'envoi de ces questions, nous apprenions, malheureusement, la disparition de Gilberto Rodrigues Leal, otage français retenu au Mali, ndlr). Entre juin 2012 et la fin mars 2014, vous avez été ministre déléguée, chargée des Français de l'étranger et, notamment, des questions relatives à leur sécurité. Plusieurs crises liées à des prises d'otages, à des menaces sur nos compatriotes de installés à l'étranger ont émaillé cette période, période au cours de laquelle nos troupes sont intervenues au Mali, en Centrafrique... Comment avez-vous vécu ces deux années, sous le prisme de ces questions en particulier ?
Hélène Conway-Mouret : Je suis restée constamment mobilisée sur ces questions avec mon équipe, notamment en apportant notre soutien aux proches des otages français.
La sécurité des communautés françaises à l’étranger est une question sensible à laquelle j’ai essayé d’apporter des réponses concrètes. Je me suis attachée, pendant ces deux années à la tête du ministère des Français de l’étranger, à la fois, à moderniser et professionnaliser nos équipes en nous inscrivant autant dans la prévention que dans la réaction aux menaces. Nous avons obtenu des crédits supplémentaires pour permettre au Centre de crise du ministère des Affaires étrangères d’engager des missions ponctuelles de soutien - mission de renfort, équipement. Vingt millions d’euros ont aussi été alloués pour la sécurisation de nos installations à l’étranger.
Avec le Centre de crise, nous avons également modernisé nos fiches Conseils aux voyageurs et le portail Ariane, qui permet aux Français de signaler leurs déplacements à l’étranger. Nous avons établi des fiches réflexes pour les postes en matière de sécurité, accessibles par tous les agents consulaires. Nous avons également organisé avec le Centre de crise une simulation de gestion de crise en Indonésie pour mettre nos équipes en situation.
J’ai rassemblé au ministère les directeurs de la sécurité de nos grands groupes à l’étranger, dans le cadre des Rencontres sur la sécurité des entreprises françaises à l’étranger, ainsi que les différentes agences de l’État qui envoient en missions leurs agents. Nous avons offert de traiter de façon conjointe la sécurité et de les faire bénéficier de l’expertise du ministère.
J’ai aussi instauré, dans le cadre de la Conférence des Ambassadeurs, une première réunion sur le thème de la sécurité, en août 2012, pour mutualiser l’ensemble de l’expertise des diplomates sur ce thème, thème qui maintenant a trouvé sa place dans ce rassemblement annuel de tous les chefs de postes.
PdA : Vous vous êtes exprimée à plusieurs reprises - je pense au site web lepetitjournal.com notamment - sur votre action en faveur des Français de l'étranger et de leur représentation, je n'y reviendrai pas outre mesure. J'aimerais vous inviter, plus généralement, à nous livrer vos sentiments quant à l'état de la francophonie aujourd'hui ?
H.C.-M. : La francophonie est bien vivante ! Je l’ai rencontrée partout dans des communautés françaises qui sont de plus en plus importantes à l’étranger, puisque la mobilité est aujourd’hui l’affaire de tous. Dans tous les pays que j’ai visités, j’ai ressenti un capital de sympathie très fort pour la France. La francophonie, ce n’est pas seulement une langue partagée, c’est un ensemble de valeurs basé sur les droits de l’Homme, la défense de l’État de droit.
PdA : Avez-vous été confrontée, ici ou là, à des initiatives tendant à la promouvoir et jugées, de votre point de vue, particulièrement intéressantes ?
H.C.-M. : Les initiatives sont multiples : elles passent par l’organisation d’événements culturels, généralement organisés par les services culturels des ambassades, avec notamment la Semaine du cinéma français, qui fonctionne très bien partout, et par des initiatives individuelles, que j’ai d’ailleurs mises en valeur par le biais du Tumblr Femmes françaises du monde (voir : le lien du Tumblr, ndlr).
PdA : De la même manière, quelles leçons avez-vous tirées, de par votre expérience, y compris en tant que conseillère du commerce extérieur, s'agissant des leviers sur lesquels jouer pour aider nos entrepreneurs à exporter et à se développer à l'étranger, d'une part, et d'autre part à inciter les investisseurs extérieurs à s'implanter sur le territoire national ?
H.C.-M. : À tous les niveaux, là aussi, les initiatives sont prises.
Au niveau national, le président de la République a lancé le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Le concours mondial Innovation 2030, visant à faire émerger les talents et à les accompagner dans leur croissance, en France. Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi favorise aussi l’investissement.
Et puis, localement, à l’étranger, dans le cadre de la diplomatie économique, nous avons mis en place les conseils économiques autour du chef de poste qui ont maintenant des lettres de missions avec des objectifs économiques spécifiques. J’ai travaillé à l’établissement de réseaux, notamment d’anciens élèves de nos lycées français, avec le FOMA (Forum mondial des anciens des lycées français du monde, ndlr), et d’anciens étudiants des universités ou grandes écoles françaises, qui sont de véritables leviers d’influence, et donc des relais incontournables.
Enfin, notre politique, aujourd’hui, est axée sur l’accompagnement des PME à l’international. Elle se traduit concrètement par une présence administrative modernisée et de proximité, soutenue, d’une part, par le réseau scolaire et culturel qui est le pilier de notre diplomatie d’influence et, d’autre part, par les acteurs du monde économique, tels que les chambres de commerce franco-…, les conseillers du commerce extérieur, les missions économiques.
PdA : Quelle interprétation faites-vous de la forte démobilisation des électeurs de gauche lors des élections municipales, de ces sondages qui indiquent, l'un après l'autre, à quel point la défiance de certains des électeurs de François Hollande envers leur candidat d'alors est devenue forte, implacable ? Est-ce une situation qui vous inquiète ?
H.C.-M. : Ce qui m’inquiète le plus, c’est la montée du populisme et du nationalisme, et je vois dans la démobilisation des électeurs de gauche, qui se traduit notamment par une forte abstention, l’expression d’une déception par rapport à ce qu’ils attendaient avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. Les Français sont réalistes et comprennent parfaitement les économies qui doivent être faites, mais ils attendent qu’elles soient réalisées dans l’équité et la justice sociale. C'est ce que fait le gouvernement, avec une marge de manœuvre réduite par l'ampleur de la dette et du déficit.
Il est nécessaire de réinstaurer la confiance entre les élus et la population. Cela passe, à mon sens, par la mise en œuvre de réformes structurelles dont l’application impacte directement la vie quotidienne des citoyens.
PdA : Vous comptez, Hélène Conway-Mouret, parmi les partisans les plus enthousiastes de la construction européenne. Il ne fait guère de doute qu'en ces temps de crises économiques, sociales et, parfois, identitaires, les eurosceptiques gagneront des points lors des élections du mois de mai, sur l'ensemble du continent. Il y aura également, c'est fort probable, une abstention record en France, comme à chaque fois - et de plus en plus - lors des scrutins communautaires, alors même que l'Union pèse d'un poids toujours plus important dans nos législations et notre vie de tous les jours. Franchement, les politiques nationaux, les gouvernements qui se sont succédé aux affaires depuis des années ne partagent-ils pas, en la matière, une lourde responsabilité, en ceci qu'ils n'ont que rarement fait preuve de pédagogie, préférant parfois s'en tenir à des postures à la limite de la démagogie ?
H.C.-M. : En effet, les gouvernements qui se sont succédé ont souvent blâmé l’Europe pour la mise en place de politiques impopulaires, mais cependant nécessaires. Les acquis tels la paix, qui n’a pas de prix, et la prospérité, la mobilité aujourd’hui possible grâce à Schengen, la monnaie unique, toutes les avancées en matière environnementale, sont des acquis qui sont aujourd’hui oubliés.
Il est utile de rappeler tous les acquis positifs et de se projeter dans l’Europe de demain et le rôle qu’elle peut jouer dans le monde. L’Europe a besoin à nouveau de grands projets qui entraînent avec eux à la fois l’enthousiasme et l’implication des citoyens.
PdA : Comment voyez-vous l'Europe à l'horizon d'une génération ?
H.C.-M. : Il s’agit d’une génération qui aura parfaitement intégré cette liberté de choisir où vivre, où travailler, où fonder sa famille. Une Europe où l'humain sera revenu au centre des préoccupations et qui continuera de vivre en paix.
La question en +...
PdA : Le Nouvel Obs' vous a récemment prêté des propos franchement amers envers le président Hollande, sa supposée froideur et son manque de reconnaissance. Le 15 mai, vous avez fustigé le déficit de « rigueur » de l'hebdomadaire, affirmé que vous ne vous reconnaissiez pas dans les termes de l'article et que alliez « demander un droit de réponse ». Comment expliquez-vous ce décalage ? Quels sont votre perception, vos sentiments s'agissant de François Hollande aujourd'hui ? (22/05/14)
H.C.-M. : Je peux comprendre qu'un journaliste choisisse les propos qui illustrent ce qu'il veut démontrer et oublie ce qui présente l'opposé. Cependant, me prêter des mots pour exprimer un sentiment général est incorrect. J'ai d'ailleurs écrit au directeur de la rédaction de l'hebdomadaire. Pendant vingt-deux mois, j'ai mis toute mon énergie à la mise en place de réformes structurelles nécessaires dans l'esprit de la feuille de route donnée par le président, avec lequel j'ai toujours été en phase.
Mon engagement a toujours été total auprès du candidat, que j'ai accompagné dans tous ses meetings de campagne, et comme après en tant que Président dont les objectifs sont clairs et dans lesquels j'ai inscrit mon action. Notre relation a toujours été une relation de travail, qui ne me qualifie pas pour entrer dans l'intimité de sa personnalité, et encore moins pour la commenter. (23/05/14)
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