Tommy : « Cette BD est bel et bien une histoire des JO modernes »
Il y a sept mois, j’avais la joie de vous présenter ma première interview avec le dessinateur de presse Tommy, coauteur avec Pascal Boniface des deux tomes de Géostratégix, une série d’ouvrages qui, mariant la géopolitique et la BD, se payait le luxe d’apprendre des tas de choses au lecteur tout en étant accessible, et même ludique. En ce mois de mai - qui vit ses dernières heures au moment où j’écris ces lignes - est sorti un troisième opus de leur saga, Un monde de Jeux (Dunod, mars 2024) : cet album se focalise plus spécifiquement, vous l’aurez deviné, sur les Jeux Olympiques. Et quand on le lit, on se rend bien compte effectivement de tous les enjeux des Jeux, passés et présents, qui vont bien au-delà du sport... Ce livre mérite d’être lu, il constitue un bon entraînement, non pas pour participer aux Jeux, n’exagérons rien, mais pour les comprendre... Exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.
EXCLU - PAROLES D’ACTU
Tommy : « Cette BD est bel et bien
une histoire des JO modernes »
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Un monde de Jeux (Dunod, mars 2024).
Tommy bonjour. Comment cette idée d’un troisième tome de Géostratégix vous est-elle venue, avec Pascal Boniface, et quel a été le calendrier de sa réalisation ?
L’idée originale vient de Pascal, qui avait déjà publié un ouvrage sur le sujet. Il a travaillé de manière générale sur la géopolitique du sport depuis plusieurs années, à une époque où elle était considérée comme une sous-catégorie sans intérêt, avant donc que cela ne devienne une discipline reconnue.
Qu’est-ce qui a changé dans votre façon de travailler, entre les esquisses préparatoires du premier Géostratégix, et les dernières retouches apportées à celui-ci ?
Pour le premier tome, j’ai réalisé le dessin en noir et blanc sur feuille et les couleurs à la tablette, tandis que pour le tome 2 et ce dernier opus, j’ai tout fait à la tablette. Même si c’est toujours étrange de faire un BD entièrement « virtuelle » (on n’a pas le paquet de feuilles entre les mains pour voir le chemin parcouru), cela me permettait d’aller plus vite sur les esquisses et les retouches.
Dans l’album, qui relate 130 ans d’histoire des Jeux Olympiques - pour ne parler que de leur époque moderne -, il y a des personnages récurrents, qui constituent comme un fil rouge pour la narration. Comment pense-t-on l’agencement, la construction narrative d’un tel récit ? J’imagine qu’à cet égard c’est un travail que vous faites à deux, via des échanges d’idées ?
On est resté sur le même modèle de collaboration sur les 3 tomes : Pascal me transmet l’intégralité du texte, que je découpe et que j’anime par des petites touches d’humour. Il relit régulièrement les planches à leurs diverses étapes (crayonné, encrage, couleur) et on échange, mais comme nous sommes très souvent sur la même longueur d’ondes, il y a peu de retouches. On a eu la volonté d’intégrer des narrateurs pour en effet tirer un fil tout au long de l’ouvrage, construire une histoire plus qu’une liste chronologique d’événements. En tant que dessinateur, j’ai beaucoup apprécié l’exercice de se familiariser avec ces personnages (surtout le lutteur !), on est presque tristes de les quitter lorsque la dernière planche est bouclée !
J’imagine que vous avez dû, pour ce livre, vous renseigner sur tel ou tel sport, etc ? Sur quels points votre travail préparatoire a-t-il été particulièrement important ?
Je ne vise pas un dessin académique avec des proportions et des positions corporelles parfaites (vous avez dû vous en rendre compte…). Cependant, j’essaie quand même de m’appliquer pour que le lecteur puisse différencier un lancer de javelot d’un saut à la perche ! J’ai aussi essayé de varier les sports présentés, de ne pas toujours mettre de l’athlétisme par exemple. J’ai bien aimé découvrir les sports paralympiques, on les présente sur une pleine page, j’avoue que j’étais très ignorant dans ce domaine, j’ai comblé quelques lacunes grâce à des vidéos en ligne.
Est-ce qu’avant de travailler pour le présent ouvrage, vous aviez conscience de l’importance des Jeux Olympiques dans le grand jeu des États et des nations, ou plutôt de l’importance des États, des hiérarchies géopolitiques et de l’argent dans les JO ? C’est un peu déprimant non, ou bien quand on creuse, y a-t-il quand même, à la marge, une part d’imprévu dans ce spectacle qui laisserait une place au rêve ?
J’en étais conscient comme tout le monde je dirais, on sait bien que le sport est traversé d’enjeux politiques (il suffit de penser à la dernière Coupe du monde de la FIFA, au Jeux en Chine, à Sotchi, etc.). Mais n’étant pas un fan inconditionnel des grands événements sportifs mondiaux, je ne réalisais pas l’influence des Jeux, à la fois sur le public (l’engouement qu’il créé) et sur les dirigeant.e.s qui placent de grands espoirs de gains économiques et politiques dans cet événement.
Même si je ne me fais pas d’illusion sur le sport business, le sponsoring, les inégalités entre pays/sportifs, je pense que les Jeux racontent aussi leur époque et qu’à chaque édition on peut trouver une petite histoire à raconter, souvent loin des podiums mais pleine d’intérêt quand même. Par exemple, la course du nageur Eric Moussambani aux Jeux de Sydney en 2000. Originaire de Guinée équatoriale, il arrive aux JO en short de bain, après s’être entraîné dans la piscine d’un hôtel, dans un bassin de 20m. Il réalise une course incroyable, que je vous laisse découvrir page 78… On est loin de l’argent, loin des rivalités de pouvoir, mais Moussambani devient du jour au lendemain une star mondiale grâce aux Jeux.
Plus politique, il y a aussi le cas de l’athlète biélorusse Krystsina Tsimanouskaya aux Jeux de Tokyo. Après avoir critiqué les autorités de son pays, elle a été reconduite de force à l’aéroport de Tokyo, où elle a été interceptée par la police nippone, protégée par le CIO puis accueillie par la Pologne (pays dont elle défendra les couleurs aux Jeux de Paris). Le comité olympique biélorusse étant présidé par… Viktor Loukachenko, fils du président Alexandre Loukachenko.
De beaux exemples individuels. Mais on songe tout de même au CIO et à son réseau tentaculaire, on pense aussi, forcément à la FIFA. Un monde où le sport resterait un jeu, et où les athlètes concourraient pour la beauté du geste, pas pour la gloire de leur drapeau ou pour séduire les annonceurs, c’est une idée définitivement perdue ?
À partir du moment où les sportifs sont professionnels, donc que l’argent entre en jeu (sans mauvais jeu – décidément - de mots) je pense qu’en effet, les dérives sont inéluctables. Pour ne garder que « la beauté du geste » il aurait fallu conserver le statut amateur des athlètes, tel que mis en place par Coubertin. Les JO se sont ouverts aux sportifs professionnels seulement à partir des années 1980 (même si dans les faits de nombreux sportifs étaient faussement amateurs précédemment). La question est ensuite de savoir si les sportifs seraient aussi performants, feraient autant rêver, avec un statut amateur, sans rémunération ni carrière dédiée à leur pratique, pendant des années…
L’émergence d’une communauté internationale qui puisse passer aussi par le sport, vous y croyez ?
Elle existe déjà, que ce soit via le CIO ou la FIFA, avec une diplomatie du sport et un réel soft power. Regardez le Qatar, s’il investit dans la Coupe du monde et le PSG, ce n’est pas parce que ses dirigeants sont fans du championnat de Ligue 1… Mais cette communauté internationale du sport n’est pas vectrice d’unité ou de paix, c’est plutôt un nouveau terrain de rivalité pour des puissances concurrentes. Tant que ce terrain reste sportif, c’est un moindre mal. Si on pouvait régler les conflits avec un arbitre, un ballon et un terrain, ça se saurait…
C’est votre rapport au sport, Tommy ? Quelques autres faits héroïques qui, gamin ou moins gamin, vous ont fait rêver, aux JO comme ailleurs ?
C’est avant tout un rapport direct, puisque je pratique le sport en compétition, depuis tout petit. Aujourd’hui encore, j’ai match presque tous les week-ends et entraînement plusieurs fois par semaine, avec mes coéquipiers. C’est une habitude qui m’est indispensable, physiquement et socialement, surtout quand je passe mes journées en solitaire, enfermé à plancher sur une bande dessinée !
En terme de faits « héroïques », je dirais la Coupe du monde 1998 et l’Euro 2000, j’avais une dizaine d’années, c’était les premières compétitions que je suivais réellement. Je pense que c’est aussi pour ça qu’elles m’ont plus marquées, parce que c’était les premières (et que la France a gagné). Depuis mon intérêt pour ce type de compétition est allé décroissant. Je n’ai pas regardé la dernière Coupe du monde par exemple (pour des raisons politiques aussi !). Pascal a su me convaincre de participer à cet ouvrage grâce à la perspective historique qu’il trace, ce n’est pas un livre de promotion des Jeux de Paris, mais bien une histoire des JO modernes.
Paris 2024, en tant que Français, la perspective vous inquiète, vous fait rêver malgré tout, ou bien est-ce déjà la promesse de nombreux dessins de presse à venir ?
Je ne suis pas inquiet, j’espère bien sûr que tout se passera au mieux maintenant que l’événement est inéluctable. Je n’irai pas voir de match par contre, j’estime que les prix des places sont trop exorbitants. Surtout, dans une ville, ou plutôt un territoire, où de nombreuses inégalités sont visibles et ne demandent parfois « que » quelques investissements et de la bonne volonté pour être réduites, je trouve assez indécent de dépenser des sommes aussi folles pour quelques jours de jeux. Si on veut apprendre aux jeunes de Seine-Saint-Denis à nager, il ne faut pas construire une piscine olympique, il faut plus de professeurs d’EPS, payés décemment, qui fassent cours dans des locaux de qualité en nombre suffisant. Donc oui, de nombreux dessins de presse en vue !
Lors de notre interview de novembre dernier, vous évoquiez une envie que vous aviez, réaliser votre BD à vous, de l’histoire aux dessins, de A à Z, ça en est où ? D’autres projets ?
La question qui fâche ! L’idée est toujours là, mais n’a malheureusement pas beaucoup avancé. En même temps, j’ai terminé Un monde de Jeux en mars, le temps de souffler et de boucler quelques autres petits projets, les semaines se sont vite écoulées. D’autant que j’ai aussi eu la chance d’avoir un enfant entre-temps, qui pourrait bien être la source d’inspiration de mon prochain projet personnel, plus tourné vers l’illustration jeunesse… La collaboration avec Pascal et Dunod étant toujours d’aussi bonne qualité, nous sommes aussi en train de discuter d’un futur album sur un sujet majeur, que je ne peux évidemment pas vous révéler pour l’instant !
Un dernier mot ?
Merci pour vos questions qui traduisent une lecture attentive de la bande dessinée, en tant qu’auteur cela fait plaisir de se savoir lu et bien lu !
Entretien réalisé en mai 2024.
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Tommy, autoportrait.
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