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Paroles d'Actu
5 août 2024

« Au Moyen-Orient, il est minuit moins une », par Olivier Da Lage

L’élimination par Israël du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, le 31 juillet en plein Téhéran, fait craindre dans les territoires concernés, et dans nombre de chancelleries, un embrasement inédit entre l’État hébreu d’une part, l’Iran, ses organisations clientes (Hezbollah, Houthis) et ses alliés de circonstance (Hamas) d’autre part. Et dans ce panorama, pas grand chose à espérer du leadership américain pour modérer les ardeurs des uns et des autres : à Washington, c’est une atmosphère de fin de règne et de grandes divisions, y compris, fait relativement peu fréquent, sur les grandes options en matière de politique étrangère.

 

D’après Olivier Da Lage, ancien journaliste de RFI fin connaisseur de cette partie du globe, on n’aurait pas connu situation plus tendue, plus explosive même, dans la région depuis le tout début des années 1990, au moment de l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein. Je vous laisse découvrir le texte inédit qu’il a bien voulu composer, sur ma proposition : je le remercie. Sur le fond, l’analyse, précise, n’a pas de quoi rendre optimiste : pour lui, au Moyen-Orient, il serait « minuit moins une »... Exclu, Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

EXCLU - PAROLES D’ACTU

« Au Moyen-Orient,

il est minuit moins une »

par Olivier Da Lage

 

Jamais, depuis les premiers jours de 1991, à la veille de l’opération Tempête du désert menée contre l’Irak par une vaste coalition dirigée par les États-Unis, le Moyen-Orient n’a été confronté à pareils périls. Pas même après les attaques terroristes du 11-Septembre ordonnées par Oussama Ben Laden sur le territoire américain. Les représailles attendues – et effectivement menées par les États-Unis n’avaient alors pas débordé du territoire de l’Afghanistan, puni pour avoir hébergé et soutenu Ben Laden et son organisation al-Qaïda.

 

Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’un cataclysme, également annoncé et prévisible dont on ne sait encore s’il restera, lui aussi, relativement contenu ou s’il débouchera sur une apocalypse régionale. Quoi qu’il en soit, tous les éléments sont en place pour que le pire, dont on dit rituellement qu’il n’est jamais sûr, soit au moins possible et, malheureusement, probable.

 

« Aujourd’hui, nous sommes

 

à la veille d’un cataclysme »

 

Les ingrédients sont connus. En fait, tout, ou presque, est sur la place publique, ce qui rend d’autant plus difficiles les efforts diplomatiques pour conjurer l’inéluctable, toute concession de l’une ou l’autre des parties risquant d’apparaître à la face du monde comme un signe de faiblesse, une faiblesse impardonnable alors que chacun des acteurs essaie de rétablir une dissuasion dont la crédibilité a fortement été ébranlée par les événements récents.

 

Pour Israël, il s’agit de laver l’affront du 7 octobre 2023, lorsque des combattants du Hamas, manifestement peu impressionnés par la puissance militaire d’Israël, ont lancé cette attaque terroriste dont l’ampleur a sidéré les dirigeants politiques et militaires de l’État hébreu qui à l’évidence ne l’avaient tout simplement pas imaginée possible.

 

Pour l’Iran, accusé par Israël d’être le parrain régional de cette alliance offensive anti-israélienne composée du Hamas, du Hezbollah libanais et des Houthis yéménites – ce qui est difficilement contestable – il s’agit également de laver un affront, ou plutôt plusieurs  : le double assassinat à quelques heures d’écart d’un haut responsable du Hezbollah, Fouad Chokr, tué à Beyrouth le 30 juillet, puis, peu après, à Téhéran, du chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, pulvérisé par l’explosion d’un engin dans la chambre de la résidence mise à sa disposition par les Gardiens de la Révolution iranienne quelques heures seulement après avoir assisté à l’intronisation du nouveau président iranien et avoir été reçu par le guide suprême, l’ayatollah Khamenei.

 

Lorsqu’en avril, un commandant des Gardiens de la Révolution avait été tué par un missile israélien visant une annexe du consulat iranien à Damas, les Iraniens avaient promis une vengeance. Ce fut le bombardement massif d’Israël par des drones et des missiles, presque tous interceptés par le fameux «  dôme de fer  » antimissiles sans faire la moindre victime. Il faut dire que les Iraniens avaient abondamment prévenu de leurs intentions, et même de la date de leur riposte, très certainement calibrée pour ne pas entraîner les deux belligérants dans un engrenage imprévisible.

 

Tel n’est pas du tout le cas cette fois-ci. Khamenei n’a pas perdu de temps pour faire connaître, le jour même, sa décision de tirer vengeance de cette humiliation. Dans les jours suivants, les Iraniens ont martelé le même message. Depuis quelques jours, la propagande iranienne publie des images de drones déferlant sur Tel Aviv. Personne ne se risque à prendre la menace à la légère. Les ministres arabes se ruent à Téhéran (comme ce fut en vain le cas à Bagdad, en 1990 avant l’invasion du Koweït et à nouveau six mois plus tard, pour tenter de convaincre Saddam Hussein de se retirer de l’émirat avant qu’il ne soit trop tard). Mais c’est pour s’entendre rétorquer fermement par leurs interlocuteurs iraniens que la République islamique ne reculera pas, quelles qu’en soient les conséquences.

 

 

« La République islamique entend

 

fermement tirer vengeance

 

de l’humiliation qu’elle a subie »

 

Les ministres du G7 ont publié un communiqué, l’ONU s’alarme, les Russes envoient à leur tour un proche de Poutine, Sergueï Choïgou à Téhéran… Toutes ces tentatives semblent dérisoires. L’Iran semble avoir pris sa décision, conséquence directe de celle du premier ministre israélien d’ordonner l’assassinat de Chokr et Haniyeh.

 

Car le chef du gouvernement israélien, qui onze mois après le début de la guerre de Gaza et quelque 40 000 morts plus tard, a fait la démonstration que le sort des otages capturés par le Hamas lui importait moins que son maintien au pouvoir, a pris cette initiative en connaissance de cause, cherchant à entraîner les États-Unis malgré eux dans un conflit régional dans lequel l’existence même d’Israël pourrait être menacée, ce qui oblige les Américains à fournir une assistance quasi-automatique à l’État hébreu.

 

Pour Netanyahou, la «  fenêtre de tir  » est relativement courte et se refermera après l’élection présidentielle américaine de novembre. Pour l’heure, le président Biden est, comme on dit un «  canard boiteux  » (lame duck), politiquement affaibli par sa décision de ne pas se représenter, Kamala Harris n’est encore qu’une candidate et, en cas d’élection, ne sera présidente qu’en janvier. Quant à Donald Trump, le choix de cœur de Netanyahou, il est encore à l’écart et, dans le cas le plus favorable pour lui, ne sera aux affaires qu’à partir du 20 janvier. Dans la logique égotique du premier ministre israélien, obsédé depuis des décennies par le désir de s’en prendre à la République islamique d’Iran, c’est le moment ou jamais. La fragmentation du paysage politique israélien lui en donne l’occasion, qui ne se représentera peut-être jamais.

 

 

« Netanyahou nourrit depuis des années

 

une obsession envers la République

 

islamique d’Iran. D’après sa logique,

 

c’est le moment ou jamais... »

 

En d’autres termes, sous les regards atterrés des voisins de ces deux pays et du reste du monde, le duel qui se dessine comporte un potentiel de destruction incalculable pour les pays de la région, d’abord, mais par ricochet, pour l’économie de la planète tout entière et, à l’heure où sont écrites ces lignes, on voit mal ce qui pourrait arrêter le compte à rebours vers le désastre majuscule qui s’annonce.

 

Au Moyen-Orient, il est minuit moins une. Les soixante prochaines secondes s’égrènent déjà.

 

le 5 août 2024

 

Olivier Da Lage 2022

Olivier Da Lage est l’auteur du récent Les Indiens

et leurs langues, paru aux éditions Bibliomonde (juin 2024)

 

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