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Paroles d'Actu
1 septembre 2024

Béatrice Agenin : « J'adorerais interpréter Marguerite Yourcenar »

Début février, je publiais, avec bonheur, un article reprenant l’essentiel de mon interview récente avec Anny Duperey. J’avais pris l’initiative, pour lui faire une surprise qui serait intégrée au document, en première partie (comme au spectacle), de contacter Béatrice Agenin, qui fut sa complice dans Une famille formidable, et qui est surtout une de ses grandes amies. Celle-ci écrivit un joli texte d’évocation de l’auteure du Voile noir, et de leurs liens tissés au fil des ans.

 

Cette prise de contact avec Béatrice Agenin était ancienne. Je l’avais invitée sur Facebook il y a longtemps, la connaissant évidemment, d’abord pour son personnage de Reine dans la série populaire de TF1. Les échanges furent toujours agréables, bienveillants de sa part. Et je découvris petit à petit son parcours impressionnant de comédienne de théâtre, qui serait plus tard - justement - couronné par un Molière pour Marie des poules. Je l’interviewerais un jour, c’était sûr, restait à trouver le bon moment. Il intervint en ce mois d’août, 2024, à ma plus grande joie. Peu de temps auparavant, elle avait partagé des moments de spectacle et d’émotion avec sa fille Émilie Bouchereau (Notre petit cabaret).

 

J’ai le plaisir, donc, de vous proposer cet article, un (auto)portrait grand format, non pas de Dorian Gray mais de quelqu’un de bien moins torturé que le personnage d’Oscar Wilde, une belle comédienne de grand talent dont on ne parle décidément pas assez. Merci à vous Béatrice, pour le temps que vous avez bien voulu m’accorder. Pour votre confiance. Pour votre humilité. Pour vos tableaux sensibles, part de ce jardin secret que vous m’avez confiée, et pour toutes ces confidences... Et pour vous aussi, l’article commencera par une surprise, y’a pas de raison ! ;-) Une exclu Paroles d’Actu, par Nicolas Roche.

 

 

 

partie 1 : le témoignage d’Anny Duperey

 

Reine et Catherine. Une Famille formidable,

capture d’écran (épisode "Otages", 2009), par votre serviteur. ;-)

 

Voilà bien des années que j’aime, que j’admire Béatrice. (Il ne faut pas s’inquiéter, à un certain moment, on ne compte plus les années qu’en dizaines). C’est mon amie. Ce fut ma partenaire, au théâtre, puis à la télévision, longtemps. Je l’admire comme actrice, bien sûr, mais aussi parce qu’ elle a à cœur de transmettre son savoir aux jeunes. C’est formidablement généreux, et moi, je garde égoïstement l’enseignement que je pourrais tirer de mes petits 60 ans de carrière.

 

Mais quand parfois de jeunes comédiens me demandent comment faire pour être heureux dans ce métier, je leur réponds : «  50% de passion, 50% de désinvolture  ». Entendons une passion réelle, exigeante, alliée à une désinvolture qui n’a rien à voir avec le «  j’m’en foutisme  », mais une faculté qui permet de digérer les échecs avec élégance, en passant très vite sans amertume à autre chose, et de digérer modestement les triomphes. L’alliage des deux n’est pas donné à tout le monde…

 

J’ai longtemps tenté de convaincre Béatrice des bienfaits de la désinvolture. Rien à faire. Elle n’est que passion, exigence, et elle souffre, et elle travaille, tempête pour arriver à faire ce qu’elle veut, à vivre ses rêves coûte que coûte. En colère si elle n’y arrive pas, et elle repart dans la bagarre…

 

Et oui, je l’admire pour ça, moi plus désinvolte, en étant aussi travailleuse.

 

Je t’aime, Béatrice !

 

ANNY

 

PS : Nous avions un temps, pour rire, évoqué la possibilité d’un duo humoristique sous les pseudonymes : « AGENIN PEUX PLUS » ET « DUPEREY RIEN POUR ATTENDRE  ».

 

Projet qui n’a jamais vu le jour…

 

Et pourquoi pas, encore maintenant ? ;-) Mille mercis chère Anny ! Nicolas
 

Témoignage daté du 29 août 2024.

 

À noter : Anny Duperey jouera Viens poupoule,

dont elle m’avait parlé lors de notre interview,

ce jeudi 5 septembre, en ouverture du festival de Houlgate (Calvados).

 

 

 

partie 2 : l’interview avec Béatrice Agenin

 

Marie, in Marie des poules,

capture d’écran, par votre serviteur, encore. ;-)

 

Béatrice Agenin bonjour. Ma première question portera sur l’actualité immédiate : Alain Delon vient de disparaître, une réaction ?

 

On fait peu de cas de la disparition de Gena Rowlands qui est morte le 14 août. Il est vrai qu’elle était américaine. Mais elle est aussi importante comme comédienne qu’Alain Delon pour nous, et surtout elle a inspiré John Cassavetes. Je n’aime pas les grands mots rapportés par les journalistes, "vide abyssal", etc… Je suis triste pour sa famille mais lui ? Il y a longtemps qu’il ne tournait plus, et qu’il devait s’ennuyer. Personnellement je le trouvais vraiment formidable dans beaucoup de films. Je vois un commentaire qui me plaît assez : sa beauté bouleversante. Sa beauté était au service de tous grâce au cinéma. Sa beauté fascinait et bouleversait. Il représentait un fantasme. Sans Visconti, il n’aurait été qu’un très bel acteur. Visconti en a fait un personnage dans Le Guépard. Delon est le dernier grand acteur d’une époque incroyable où le cinéma créait des mythes… la tristesse bien sûr, de fermer avec lui les pages d’un livre qui nous enchanta.

 

 

Je suis ravi de pouvoir vous interviewer pour Paroles d’Actu. Votre actu la plus récente, c’était Notre petit cabaret, joli spectacle tendre et fantaisiste interprété avec votre fille, Émilie Bouchereau. Une expérience bien particulière dans votre carrière j’imagine, parce que partagée avec elle bien sûr, mais aussi parce qu’il y avait du chant, de la danse ?

 

Notre petit cabaret est né pendant le Covid. Cette pandémie a arrêté beaucoup d’artistes, elle a tué des rêves, et je me suis dit qu’on ne pouvait plus attendre. Que c’était maintenant, dans l’urgence de ce temps suspendu. Nous rêvions depuis longtemps, ma fille et moi, de faire quelque chose ensemble, sans trouver l’axe. Il ne pouvait pas s’agir d’une pièce avec un conflit à résoudre. D’abord, elle n’est pas comédienne, et moi, je ne suis pas chanteuse. L’idée du Cabaret s’est imposée, à la suite d’une Carte Blanche qu’on m’avait donnée pour un festival, à Jarnac, où je jouais Marie des poules et dont j’étais en même temps la marraine, en 2021. Nous avons cherché des textes, et ma fille avait ses propres chansons, et des reprises de Barbara, Brassens ; ça s’appelait Parlez-moi d’amour, c’était très poétique : des poèmes de Marceline Debordes Valmore, des extraits du Petit Prince de Saint-Exupéry, une page de Proust, et des lettres de George Sand… Mais nous l’avons joué une fois seulement, c’était frustrant parce qu’on avait beaucoup répété… Alors j’ai proposé qu’on fasse Avignon en 2022, puis la deuxième année en 2023, puis le Lucernaire, à cheval sur décembre 23 et janvier 24. Nous avons peaufiné le spectacle, et j’aimerais beaucoup le reprendre parce qu’il est atypique… Les cabarets aujourd’hui sont plutôt basés sur le transformisme, mais je reste persuadée qu’il y a de la place pour des spectacles tendres comme le nôtre.

 

>>> Notre petit cabaret <<<

 

Casser les codes, comme vous avez eu à cœur de le faire dans ce spectacle, c’est important, jouissif pour un artiste ?

 

Mon idée n’était pas de casser les codes, mais de faire quelque chose qui corresponde à nos personnalités, à ma fille, et à moi. On nous a reproché de ne pas avoir de fil conducteur, le fil c’est ce qui nous lie toutes les deux. Nous sommes anti-modes. Nous avons choisi ce qui nous plaisait, ce qui nous faisait plaisir. Un peu de fantaisie, un peu de complicité, beaucoup d’amour, et une admiration réciproque. Elle compose ses musiques, je suis comédienne et j’aime dire des textes, il nous a semblé qu’on pouvait donner au public ce partage-là. Les gens par exemple sont surpris par le texte de Proust, ça n’a rien à faire dans un cabaret, mais le style est tellement riche, et compréhensible qu’ils écoutent cette langue séduisante, en ne sachant pas que c’est Proust, et ils sont surpris au final que ce soit un thriller extrêmement simple, et très accessible. Voyez plutôt : un type jaloux envisage comment il va surprendre sa maîtresse, il est persuadé qu’elle est avec un autre homme, il se poste sous sa fenêtre, il entend un murmure, il croit reconnaître la voix de l’amant, il s’imagine tout ce qu’elle est en train de faire avec lui, et au moment où il se décide à frapper contre le volet, il s’aperçoit qu’il s’est trompé de fenêtre, ce n’est pas celle de sa maîtresse... Le spectacle a modifié notre relation avec ma fille, je l’ai découverte comme musicienne, je connaissais très mal sa capacité à s’adapter rapidement aux musiciens, à les diriger. J’ai une très grande confiance en elle maintenant que je l’ai vue travailler.

 

«  Le spectacle a modifié notre relation,

 

avec ma fille. J’ai une très grande confiance

 

en elle maintenant que je l’ai vue travailler. »

 

Le théâtre, ça a rapidement été une évidence pour vous ? "Ça, et nulle autre voie" ?
 
Tout est venu très tard pour moi. J’ai pris des cours de Théâtre au lycée Pasteur, à Neuilly, j’avais 17 ans, mais je ne savais pas ce que je voulais faire... Il y avait Gérard Jugnot, Michel Blanc, Christian Clavier, Olivier Lejeune, Marie-Anne Chazel, Isabelle De Botton, puis chez Périmony, il y avait André Dussollier, Dominique Lavanant... Puis le Conservatoire, j’aimais travailler des scènes, mais je ne rêvais pas d’une carrière, comme Adjani, par exemple, ou Isabelle Huppert. Je suis entrée à la Comédie-Française par hasard, et là, ça m’a plu, vraiment : de découvrir les textes classiques, la langue française, ça m’a enthousiasmée.

 

 

Delon faisait apparemment une distinction entre le métier de comédien, qu’aurait prétendument exercé son ami et rival Belmondo, et celui d’acteur dont lui-même se revendiquait, l’acteur étant dans son esprit moins dans l’apprentissage consciencieux d’un rôle, davantage dans l’instinctif de celui qui "vit" son personnage. Cette distinction vous paraît-elle pertinente pour ce qui vous concerne, et si oui est-ce que ça ne dépend pas aussi du rôle en question ?

 

Pour répondre à cette question sur l’emploi du mot comédien ou acteur, j’ai relu particulièrement Jouvet, qui ne fait pas de distinction entre les deux mots. Luchini parle très bien de ça dans une interview : "Un comédien a la responsabilité d’un auteur qui le dépasse, il est un livreur de plat. Il y a un plat qui s’appelle Flaubert, un plat qui s’appelle La Fontaine, un plat qui s’appelle Hugo... et le comédien emmène le plat exactement comme il doit être. Le comédien disparaît derrière le plat… Un acteur emmène le plat, et le plat arrive dénaturé.

 

Moi, je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui une si grande différence. Quand je vois Ingrid Bergman à l’écran, je pense : « Quelle actrice ! » Mais quand je vois Elizabeth Taylor, je peux me dire : « Quelle comédienne ! » Pour les comédiens entrés à la Comédie-Française, comme c’est mon cas, on dit "comédien", parce que c’est la tradition dans la Maison… Mais aussi, c’est un Théâtre, on répète longtemps, et on joue des grands rôles, c’est peut-être la différence que souligne Delon. Belmondo a commencé au Théâtre, il y est revenu, il y a forcément un apprentissage consciencieux des rôles, mais au cinéma, on n’a pas le temps de répéter, Delon et Belmondo doivent certainement être instinctifs tous les deux quand les scènes sont courtes. C’est là qu’intervient le metteur en scène ou le réalisateur… Au cinéma, c’est le montage qui fait qu’un acteur est formidable, c’est sa façon de le filmer, c’est le nombre de plans qu’il a à faire, etc... Delon était formidable, mais quand  les scènes étaient difficiles : il était bien obligé de répéter avec les autres, alors il faisait un travail de comédien dans ce contexte…

 

Moi, je ne tourne presque pas. Je n’avais pas cette ambition de l’image, je voulais des textes, et je les ai eus. Acteur de Théâtre, c’est un travail caché, dans des salles de répétitions tristes parfois, inlassablement, avec un metteur en scène qui nous guide, et on doit suivre son point de vue. J’y reviens quand même : parfois le point de vue d’un metteur en scène ne nous emmène nulle part, parfois, une seule phrase du metteur en scène, peut m’enchanter et le personnage se dessine grâce à cette phrase. Pour Marie des poules, qui a un long monologue au début, assise à une table devant un verre d’absinthe, le metteur en scène m’a dit : «  Tu as tout ton temps, elle est brisée ». Moi, ça m’a énormément aidée tout de suite... je suis entrée dans le personnage, avec de la compassion pour elle, j’ai cherché comment on pouvait être brisé, sans endormir le public, qu’est-ce qui résistait en elle, pour se tenir droite. Arnaud Denis m’a emmenée là où j’avais à chercher l’excellence d’une tenue pour ne pas m’effondrer. Ça n’a l’air de rien, cette petite phrase, mais c’est capital. L’imaginaire ensuite se développe à chaque mot.

 

>>> Marie des poules <<<

 

Marie des poules justement a été un grand succès qui vous a à juste titre valu un Molière. Que retiendrez-vous de cette aventure, au cours de laquelle vous interprétiez deux personnages très différents (Marie des poules et George Sand) ?

 
Marie des poules sans Arnaud Denis, ça pouvait être une catastrophe. C’est moi qui ait demandé à Gérard Savoisien de m’écrire une pièce, après avoir vu Mademoiselle Molière avec Anne Bouvier. Elle était extraordinaire, elle a eu un Molière sur ce spectacle. Arnaud Denis avait fait la mise en scène ;  c’est un artiste très délicat, très intelligent. Pour moi, le meilleur des metteurs en scène avec Pierre Constant et bien sûr Jean-Paul Roussillon, mon maître, rencontré au Français. Je suis berrichonne, je voulais vraiment faire quelque chose sur George Sand, avec le patois berrichon, et des marionnettes… La petite Marie des poules, c’est un peu mon histoire, celle de ma mère, celle de beaucoup de jeunes filles de la campagne. Savoisien ne connait rien au Berry, il est méridional, mais il est tombé pile sur l’ histoire de Marie Caillaud… c’était moi, moi quand j’avais 11 ans, j’étais vraiment comme Marie Caillaud, innocente, paysanne, la seule différence, c’est que je n’ai pas eu d’enfant d’un bourgeois peu scrupuleux. L’aventure a été magnifique par la présence, et la mise en scène d’Arnaud Denis.

 

« La petite Marie des poules,

 

c’est un peu mon histoire, celle

 

de ma mère, celle de beaucoup

 

de jeunes filles de la campagne. »

 

Il y a, justement, dans cette pièce une notion très forte de mépris de classe, de différences sociales apparemment insurmontables, même avec l’éducation. Êtes-vous sensible à ces thèmes, et avez-vous eu l’impression qu’ils étaient d’actualité au moment où vous jouiez Marie désemparée ?

 

La pièce est sociétale. Les domestiques qui travaillaient chez George Sand n’avaient aucun droit. S’ils ne convenaient pas à la patronne du domaine, ils étaient à la rue. George Sand était certainement très humaine, originale, et artiste, elle faisait participer les gens du village à ses pièces de théâtre, et elle respectait ses employés. Elle a appris à lire et à écrire à Marie Caillaud, et à d’autres des ses domestiques. Mais il était impossible à cette époque que son fils épouse Marie. George Sand n’aurait plus eu aucun crédit dans sa maison. Et puis, elle était noble par son père, elle ne voulait pas mettre en cause cette partie de son ascendance, de plus elle était très connue, elle savait que la Presse allait s’emparer de cette histoire, Elle n’avait aucun intérêt à devenir la risée de toute la région, de son village, et de ses amis parisiens. Depuis #MeToo des femmes remettent la notion de patriarcat en cause, mais c’était tout à fait impossible à l’époque de George Sand.

 

Marie des poules vu par Béatrice Agenin !

 

On ne peut pas, Béatrice Agenin, ne pas évoquer ensemble Une Famille formidable, dont j’ai revu pas mal d’épisodes avec beaucoup de plaisir suite à mon interview avec Anny Duperey. Est-ce qu’il y avait réellement, pour le coup, comme un esprit de troupe avec cette équipe ?

 

La Famille formidable, ça a été une aventure exceptionnelle. J’étais amie avec Anny Duperey depuis Le Voile noir. J’avais adoré son livre, je le lui ai dit. Ensuite j’ai été sollicitée pour remplacer Catherine Spaak, qui n’était plus libre pour la série, et j’étais engagée…

 

Reine Grenier, votre personnage dans la série pendant vingt ans (1996-2016), vous ressemblait-elle ? Avez-vous mis de vous en elle, et, qui sait, vous êtes-vous parfois inspirée d’elle ?

 

On met toujours un peu de soi dans les personnages que l’on joue. Je trouvais le personnage de Reine assez fade, elle n’était que l’amie de l’héroïne… Je n’avais pas grand chose à faire, c’était un peu "sois belle et tais-toi". Mais des spectatrices m’ont dit qu’elle se retrouvaient en moi, qu’elles aimaient dans ce personnage son élégance, son besoin d’aventures amoureuses, pour ne pas renoncer à se battre, pour se maintenir, pour rester désirables… Je me suis dit, finalement, que Reine servait à quelque chose, et puis l’amitié entre Anny et moi était sincère en dehors du tournage. Reine m’a donc obligée à jouer une forme de résistance, par sa présence soignée, comme le souhaitait le metteur en scène.

 

« Dans Une famille formidable,

 

Reine m’a obligée à jouer

 

une forme de résistance... »
 

Jouer sa propre mort, comme ce fut votre cas dans la Famille formidable mais pas que, c’est un peu perturbant, ou bien ça aide à dédramatiser la chose ?

 

Oui, bien sûr, jouer sa propre mort, ça aide à dédramatiser. On est payé pour simuler la joie, la peine, la mort, etc… Mais on est dans un produit télévisuel, la mort de Reine n’est qu’un rebondissement pour mettre en valeur le personnage de Catherine qui accepte, en tant que médecin, d’aider son amie à mourir, c’est l’occasion de parler de l’euthanasie, mais on n’est pas dans un film d’auteur, on n’a pas le temps de travailler les situations comme on le ferait avec Bergman, je suppose…

 

>>> Qui a peur de Virginia Woolf ? <<<

 

Vous avez interprété un grand nombre de classiques. Parmi vos personnages, un parmi trente, celui de Martha dans Qui a peur de Virginia Woolf ?. Se mettre dans la peau de quelqu’un de torturé, de complètement borderline, c’est très exigeant on l’imagine, mais aussi jouissif, pour un acteur ?

 

Martha, c’était un rêve ! Quand on me l’a proposé, je ne savais pas que le rôle était à ce point magnifique. En le travaillant, en le jouant, j’ai adoré tout du rôle. Edward Albee est un immense auteur, vraiment un extraordinaire auteur ! J’ai regardé Elizabeth Taylor des dizaines de fois, jusqu’à ce que je comprenne qu’elle "crachait"  le texte. A partir de là, je me suis approprié Martha. Pendant trois heures, chaque jour, je me suis métamorphosée dans ce personnage inouï, déchiré entre l’enfance, l’amour, l’alcool, la folie, la séduction, j’avais 50 ans, j’avais ce cadeau incroyable, de pouvoir jouer Martha !!! Si ce métier fait du bien, c’est quand il vous offre un rôle de cette dimension-là ! Je jouais avec Jean-Pierre Cassel, on s’est entendu à merveille, alors qu’on nous disait que c’était une pièce maudite et que les acteurs qui jouaient ça, se haïssaient au bout de quelques semaines. C’est faux, ce fut une de mes plus grandes joies au Théâtre.

 

Est-ce qu’il y a justement, dans le vaste répertoire du théâtre, ou même de l’Histoire plus ou moins récente, des personnages que vous rêveriez d’incarner ? Des femmes, imaginaires ou non, des hommes même à la faveur d’une mise en scène audacieuse ?

 

J’aimerais jouer Alceste, parce que Molière, c’est ce qu’il y a de plus beau au monde, et que ce personnage-là est pur.

J’aimerais qu’on me propose de jouer Marguerite Yourcenar au cinéma, parce qu’elle a une distinction exceptionnelle, et que tout en elle est poésie, ce serait un travail incroyable, comme Ben Kingsley dans Gandhi. L’intelligence de cette femme me fascine. Sa tenue, sa force. Je ne veux pas jouer les mémés, les grands-mères entourées de petits-enfants. Je préfère ne pas jouer du tout si ce n’est pas un grand personnage.

 

Prenez-vous autant de plaisir à jouer la comédie qu’à donner vie à une tragédie ? L’exercice est-il bien différent ?

 

J’aime jouer tout ce qui est bien écrit. J’ai joué un personnage vraiment comique dans Pieds nus dans le parc, c’était vraiment très bien écrit, et c’était formidable de faire rire les gens, mais c’est le texte qui était drôle.

 

Vous avez aussi fait de la mise en scène, c’est une fonction qui vous plaît également, en ce qu’elle permet d’adapter un texte d’après sa vision particulière ? Quid de l’écriture de pièces, vous y êtes-vous déjà essayée ?

 

J’adore mettre en scène. Écrire, je ne m’y suis pas encore essayé, mais j’ai fait des adaptations de pièces américaines, avec ma compagnie. J’ai fait des rencontres passionnantes, grâce aux spectacles que j’ai montés. L’auteur Lee Blessing, dont j’ai joué trois pièces, est venu des États-Unis, m’offrir un rôle magnifique que j’ai joué au Studio Marigny, entre autres joies.

 

« Dominique Constanza était mon amie. Grande comédienne

de la Comédie-Française… Elle s’est suicidée il y a 11 ans. Cette peinture

a été faite sur photo, je ne sais plus quel rôle elle jouait... »

 

Quelles ont été, au théâtre comme au cinéma, vos grandes rencontres, professionnellement mais aussi humainement parlant ?

 

Jean-Paul Roussillon m’a tout appris. À la Comédie-Française, il avait monté Le Jeu de l’amour et du hasard, je jouais Silvia. J’ai vraiment appris à LIRE avec lui. Pierre Constant aussi, sur Qui a peur de Virginia Woolf ?. Autrefois, j’ai adoré travailler avec Claude Santelli et avec Marcel Bluwal, à la télévision. Avec Édouard Molinaro aussi. Les rencontres exceptionnelles, c’est avec ma compagnie que je les ai eues : Dominique Blanchar, Éléonore Hirt… décédées toutes les deux, grandes comédiennes. Dominique Blanchar a joué Agnès avec Louis Jouvet dans L’École des femmes, et elle a obtenu un Molière de la meilleure comédienne dans Les femmes savantes que j’avais monté pour elle.

 

« J’ai vraiment appris à LIRE

 

avec Jean-Paul Roussillon... »

 

Qu’aimeriez-vous recommander particulièrement à nos lecteurs dans votre filmographie, et parmi toutes les productions télé ou théâtrales qui seraient actuellement disponibles au visionnage ?

 

Ma filmographie est pauvre, le seul film important que j’ai fait est un film tourné au Brésil, où j’ai obtenu le prix de la meilleure comédienne, et qu’on peut voir sur YouTube. Le film s’appelle Amelia, j’y joue le rôle de Sarah Bernhardt. C’était il y a 24 ans. Vous voyez, on ne peut pas faire grande communication sur un seul film. J’ai un joli soleil en statuette (Festival de Biarritz), à la maison, à côté de mon Molière. Dans Itinéraire d’un enfant gâté, ma superbe scène avec Belmondo a été coupée, et dans les autres films, je ne fais presque rien. Il n’y a vraiment que Marie des poules qui a un intérêt, mais c’est du théâtre. On peut le voir en Vimeo (mot de passe : chickenMARY).

 

>>> Amélia <<<

 

Je peux aussi vous proposer quelques liens de productions dans lesquelles j’ai joué...

 

- Le jeu de l’amour et du hasard, Comédie-Française, 1978.

 

- On ne badine pas avec l’amour, Comédie-Française, 1978.

 

- Claudine s’en va, 1978.

 

Au bon beurre, de Édouard Molinaro, 1981.

 

Merci pour ce partage. Je ne peux pas non plus ne pas évoquer votre joli parcours en tant que doubleuse, en particulier de Madeleine Stowe, de Sharon Stone, de Kim Basinger et de Melanie Griffith. C’est un exercice plus difficile non ? Parce que, comme je l’imagine, on se met à la fois dans la peau d’un personnage, et de l’actrice qui l’interprète à l’écran ?

 

Le doublage, ce n’est pas compliqué, quand on a compris la technique. Ce n’est pas un exercice très amusant. On gagne bien sa vie quand on fait des séries, sinon, sur des très bons films, on essaye de reproduire le plus possible l’état dans lequel sont les acteurs qu’on voit. J’ai doublé Meryl Streep dans Les heures (The Hours). Elle était vraiment sensationnelle. J’aime bien ça, quand ce sont des films intéressants parce qu’on peut peaufiner les voix, chercher les états, travailler phrase par phrase, mais il faut des directeurs de plateau particulièrement consciencieux.

 

>>> Oublie-moi <<<

 

Le théâtre souffre toujours de son image un peu élitiste, à tort ou à raison. Que faire pour le rendre plus populaire, plus accessible ?

 

Le Théâtre ne mourra jamais, mais il est vrai qu’il souffre en ce moment. Je ne sais pas ce qu’il faut faire, il faut avoir la chance d’avoir 3 ou 4 Molières pour être remarqué. Michalik a la cote, et c’est tant mieux, il invente quelque chose de jeune et d’enthousiasmant… Oublie-moi, avec 4 Molières marche bien… et le sujet est intéressant. Et puis il y a des choses incompréhensibles, qui plaisent au public. Que dire ? C’est le public qui décide… Je ne sais pas du tout comment intéresser les gens, ce qui est sûr, c’est qu’il faut un système d’abonnement, parce que ça, ça remplit bien les salles, mais on ne peut pas le faire dans le privé. Alors, la vieille recette c’est de prendre des vedettes de cinéma, pour que les gens aient envie de voir de près leurs idoles…

 

« Le Théâtre ne mourra jamais, mais

 

il est vrai qu’il souffre en ce moment... »

 
 
Votre conseil au jeune, ou au moins jeune d’ailleurs, qui aurait envie d’essayer le théâtre mais qui n’oserait pas trop ?

 

Les jeunes se débrouillent très bien, avec les réseaux. Mais moi, je suis de la vieille école, je ne crois qu’au travail. Alors je leur dis de travailler, d’y croire, et de créer leur compagnie, de ne pas attendre qu’on vienne les chercher, parce que ça, ça ne marche plus du tout. Ils sont souvent plus malins que les anciens. Je vois des jeunes vraiment très bien. Investis, passionnés, amoureux, ils arrivent à créer des spectacles avec peu d’argent. Mathieu Kassovitz a filmé La Haine avec des portables, et il a commencé comme ça. Je leur dis de ne pas abandonner… d’y croire, de toutes façons.

 

Des coups de cœur récemment, au théâtre mais pas que ?

 

Des coups de cœur, j’en ai tous les jours. Un film suisse formidable, La ligne, d’Ursula Meier. The quiet girl de Colm Bairéad… La zone d’interêt de Jonathan Glazer, Requiem de Hans Christian Schmid. Milla, une splendeur, de Shannon Murphy, et un livre fort : Triste Tigre. Et mes coups de cœur permanents : Proust, Colette… Je rêve de monter Macbeth, c’est en projet… et une pièce américaine sur Beethoven…

 

>>> Milla <<<

 

Quand vous regardez derrière, le chemin parcouru, vous vous dites quoi : contente ?

 

Je dirais que ce métier m’a fait beaucoup pleurer quand l’aventure n’était pas au meilleur de ce qu’elle aurait dû être, parce qu’il y a des gens malfaisants qui se prétendent artistes, ça, c’est très douloureux, mais j’ai appris à aimer les poètes, et les textes m’ont éduquée. Je me sens à ma place. Je n’ai jamais joué que ce qui me plaisait. Et la vie réserve de telles surprises ! Je peins aussi, c’est mon refuge. Alors… heureuse de tout ce qui me reste à découvrir…

 

Belle réponse. Vos projets et surtout, vos envies pour la suite, Béatrice Agenin ?

 

Des projets, j’en ai toujours. Je trouve notre époque merveilleuse. Il y a des créateurs partout… Thomas Jolly en fait partie : son cheval qui court sur la Seine était une merveille [lors de la cérémonie d’ouverture des J.O. de Paris, ndlr]. Il y a aussi beaucoup de haine, mais on ne peut pas empêcher ni la jalousie ni la bêtise, alors la seule résistance, c’est de rêver et de faire rêver. J’ai vu Le Comte de Monte Cristo, ce n’est pas un très grand film, mais pendant qu’on est là, dans le noir, on ne fait de mal à personne, on s’évade, pendant 3 heures, on oublie ses soucis.

 

Le Théâtre aussi a cette vertu : quand c’est vraiment bien, on est récompensé, on a vécu quelque chose d’extraordinaire. J’ai vu War Horse trois fois, j’ai vu des choses si magnifiques et croisé des gens si intéressants, que malgré tout ce qui ne va pas, beaucoup de choses vont bien. Je refuse toute lamentation, toute haine contre qui que ce soit. J’essaye en tout cas. J’ai été longtemps une femme en colère, ça ne mène à rien… Il me reste peu de temps encore, je vais continuer à rêver, à lire, à regarder le plus possible tout ce qui s’offre à moi, à être curieuse, et je vais faire mienne la phrase de Clint Eastwood qui a dit à 92 ans :  « Je ne laisse pas le vieux entrer en moi ».

 

 

« J’ai vu des choses si magnifiques

 

et croisé des gens si intéressants,

 

que malgré tout ce qui ne va pas,

 

beaucoup de choses vont bien. »

 

Interview datée du 25 août 2024.

 

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